CHEMIN DE SAINTETÉ

adveniat regnum tuum

Alphonse de Liguori
(1696-1787)
Évêque, Fondateur, Saint, Docteur de l'Église


LES VERUS DE MARIE

TABLE

DISCOURS SUR LES PRINCIPALES FETES DE MARIE ET SUR SES DOULEURS

Discours I – De l’Immaculée Conception de Marie
Discours II – De la Naissance de Marie
Discours III – De la Présentation de Marie
Discours IV – De l’Annonciation de Marie
Discours V – De la Visitation de Marie
Discours VI – De la Purification de Marie
Discours VII – De l’Assomption de Marie
Discours VIII – Autre Discours sur l’Assomption de Marie
Discours IX – Des Douleurs de Marie

RÉFLEXIONS SUR CHACUNE DES SEPT DOULEURS DE MARIE EN PARTICULIER

Douleur I – De la prophétie de Saint Siméon

Douleur II – De la fuite de Jésus en Égypte

Douleur III – Jésus perdu et retrouvé dans le temple

Douleur IV – Marie rencontre Jésus allant à la mort

Douleur V – Mort de Jésus

Douleur VI – Coup de lance donné à Jésus et sa descente de la croix

Douleur VII – Jésus mis dans le tombeau

DES VERTUS DE MARIE

I. De l’humilité de Marie

II. De l’amour de Marie envers Dieu

III. De la charité de Marie envers le prochain

IV. De la foi de Marie

V. De l’espérance de Marie

VI. De la chasteté de Marie

VII. De la pauvreté de Marie

VIII. De l’obéissance de Marie

IX. De la patience de Marie

X. De l’esprit d’oraison de Marie

DIVERSES PRATIQUES DE DÉVOTIONS ENVERS MARIE

Pratique I – De l’Ave Maria

Pratique II – Des Neuvaines

Pratique III – Du Rosaire et de l’Office

Pratique IV – Du jeûne

Pratique V – Des visites aux images de Marie

Pratique VI – Du scapulaire

Pratique VII – Des confréries de la sainte Vierge

Pratique VIII – Des aumônes faites en l’honneur de Marie

Pratique IX – Des fréquents recours à Marie

Pratique X – Pour la dixième et dernière, je réunis plusieurs pratiques qu’on peut observer en l’honneur de Marie.

CONCLUSION DE L’OUVRAGE

AUTRE EXEMPLES DES GLOIRES DE MARIE EN ANNEXE

SOURCE : http://jesusmarie.free.fr/

   

DOULEUR II

De la fuite de Jésus en Égypte

Comme le cerf, atteint d’une flèche, porte partout où il va la flèche qui l’a blessé ; ainsi la divine Mère, après la triste prophétie de saint Siméon, porta toujours avec elle son tourment, avec la pensée continuelle de la Passion de son Fils, ainsi que nous l’avons vu en considérant la première douleur. Un interprète a dit, sur un passage des cantiques (cap. 7, v. 5), que les cheveux couleur de pourpre de Marie, dont il y est parlé, marquaient sa constante préoccupation des souffrances du Sauveur, qui lui faisait voir comme actuellement versé, le sang qui devait jaillir un jour de ses plaies. Jésus était donc le trait qui perçait le cœur de Marie, et plus il lui paraissait aimable, plus il lui causait de douleur, par la pensée qu’une mort si cruelle le lui ravirait un jour. Examinons maintenant le second glaive de douleur qui frappa Marie dans la fuite en Égypte, où la persécution d’Hérode la força de conduire l’Enfant Jésus.

Hérode ayant appris que le Messie attendu était né, eut la crainte qu’il ne lui enlevât le trône, crainte ridicule que saint Fulgence a flétrie éloquemment. L’impie espérait apprendre des saints Mages où royal enfant était venu au monde, afin de lui ôter la vie ; mais, se voyant trompé par les Mages, il ordonna la mort de tous les nouveaux-nés qui se trouvaient alors aux environs de Bethléem. L’ange apparut en songe à saint Joseph, et lui commanda de fuir en Égypte (Matth. 2). Gerson prétend que cette nuit même saint Joseph avertit Marie, et que prenant l’Enfant Jésus ils se mirent en route, comme cela paraît clairement résulter de l’Évangile. O Dieu, dit alors Marie, selon le Bienheureux Albert le Grand, il faut donc qu’il fuie les hommes, celui qui est venu pour sauver les hommes ! Cette Mère affligée connut alors que la prophétie de saint Siméon sur le sort de son Fils commençait à se vérifier, en voyant qu’à peine né, il était poursuivi à mort. Quelle peine dut pénétrer le cœur de Marie, quand on lui intima ce dur exil, ainsi qu’à son Fils ?

On présume aisément tout ce que Marie souffrit dans ce voyage. La route était bien longue pour arriver en Égypte ; les auteurs lui donnent ordinairement près de deux cents lieues, en sorte que le trajet dura au moins trente jours. Cette route, d’ailleurs, telle que la décrit saint Bonaventure, était rude, mal connue, coupée par des bois, et peu fréquentée. C’était l’hiver, et il leur fallut, battus par la neige, les pluies et les vents, se tirer d’un chemin rompu ça et là et fangeux. Marie avait alors quinze ans, elle était délicate, et n’avait pas l’habitude de pareils voyages. Nul serviteur, enfin, pour les soulager. Quel touchant tableau, ô mon Dieu, que cette faible Vierge fuyant avec son enfant nouveau-né dans ses bras ! Quelle pouvait être leur nourriture sinon un morceau de pain dur apporté par saint Joseph ou reçu en aumône ? Quant à leur repos (surtout dans le désert, où ils ne rencontraient ni habitations, ni hôtelleries), ils le prenaient sur le sable, ou sous un arbre, exposés aux injures de l’air, aux attaques des voleurs ou des bêtes sauvages dont l’Égypte abonde. En rencontrant ces trois grands personnages, certes on les eût pris pour trois pauvres mendiants ou vagabonds.

Ils habitèrent en Égypte un lieu nommé Maturée, suivant Brocard, bien que saint Anselme prétende qu’ils se fixèrent à Héliopolis, autrefois Memphis et aujourd’hui le Caire. Ils y furent condamnés à une pauvreté extrême, comme l’assurent saint Antonin, saint Thomas, etc. Ils étaient étrangers, inconnus, sans revenus, sans argent, sans parents, à peine parvenaient-ils à se nourrir par leur travail. Les pauvres ne liront pas, sans y trouver un motif de consolation pour eux-mêmes, ce que Landolphe a écrit de Marie : tel était son dénuement, que souvent elle manquait d’un morceau de pain, que son Fils pressé par la faim venait lui demander.

Après la mort d’Hérode, rapporte saint Matthieu, l’ange apparut de nouveau en songe à saint Joseph, et lui enjoignit de retourner en Judée. Saint Bonaventure parlant de ce retour, médite sur la vive anxiété que causèrent à bienheureuse Vierge les souffrances de Jésus alors âgé de sept ans.

Le spectacle de Jésus et de Marie ainsi condamnés à la fuite dans le pèlerinage de ce monde, nous enseigne à vivre aussi sur cette terre en pèlerins, sans nous attacher aux biens que le monde nous présente, et qu’il faudra quitter bientôt pour passer à l’éternité (Hebr. 13, 14). Il nous enseigne, en outre, à embrasser les croix, parce qu’on ne peut vivre en ce monde sans croix. La preuve en est que la Bienheureuse Véronique de Binasco, religieuse augustine, ayant accompagné en esprit Marie et l’Enfant Jésus dans sa fuite en Égypte, la divine Mère lui dit à la fin : Ma fille, vous avez vu avec quelle peine nous avons atteint cette contrée ; sachez qu’on ne reçoit pas de grâces qu’il n’en coût des souffrances. Pour moins souffrir en cette vie, il faut prendre avec soi Jésus et Marie. Celui qui porte avec amour dans son cœur ce Fils et cette Mère, se rend toutes les peines légères, douces et agréables. Aimons-les donc, consolons Marie en accueillant dans nos cœurs son Fils qui est encore aujourd’hui persécuté des hommes par leurs péchés.

EXEMPLE

Un jour Marie apparut à la bienheureuse Colette, de l’ordre de saint François, et lui montrant dans un berceau l’enfant Jésus mis en pièces, elle lui dit : C’est ainsi que les pécheurs traitent continuellement mon Fils, en renouvelant sa mort et mes douleurs ; ma fille, priez pour eux, afin qu’ils se convertissent.

DOULEUR III

Jésus perdu et retrouvé dans le temple

L’apôtre saint Jacques a écrit que notre perfection consiste dans la vertu de la patience. Le Seigneur nous ayant donné la Vierge Marie pour modèle de perfection, il fallait qu’il l’accablât de peines, afin que nous pussions admirer en elle et imiter sa patience héroïque. L’une des plus grandes douleurs que la divine Mère ressentit dans sa vie, fut celle que nous considérons maintenant, et qu’elle éprouva en perdant Jésus dans le temple. L’aveugle-né regretta peu de ne pas voir la lumière du jour, mais celui qui l’a vue quelque temps, et qui en a joui trouve bien dur d’en être privé par la cécité. De même, les âmes malheureuses qui, aveuglées par la fange de cette terre, ont peu connu Dieu, ne regrettent guère de ne pas le trouver ; au contraire, celui qui, éclairé de la céleste lumière, a été digne par son amour de jouir de la présence du souverain bien, se désespère, ô mon Dieu, quand il s’en voit privé. Considérons donc combien Marie, qui avait joui continuellement de la si douce présence de son Jésus, dut être cruellement blessée par le troisième glaive qui la perça, lorsque ayant perdu son Fils à Jérusalem, elle s’en vit éloignée pendant trois jours.

Saint Luc rapporte, chapitre 2, que la bienheureuse Vierge, ayant coutume d’aller chaque année visiter le temple à la solennité de Pâque, avec Joseph son époux et l’enfant Jésus, s’y rendit de même lorsque son Fils eut atteint douze ans ; mais, Jésus étant resté à Jérusalem, elle ne s’en aperçut point, croyant qu’il s’en était retourné dans la compagnie des autres. Arrivée à Nazareth, elle demanda son Fils ; ne le trouvant pas, elle revint aussitôt à Jérusalem pour le chercher et ne le rencontra qu’au bout de trois jours. Or, songeons à l’inquiétude qui tourmenta cette Mère affligée durant ces trois jours, où elle s’informait de son Fils, sans en recevoir de nouvelles. Épuisée de fatigue, et ne retrouvant point son bien-aimé, ne devait-elle pas répéter avec infiniment plus de tendresse, ce que Ruben disait de son frère Joseph : Mon Jésus ne paraît pas, je ne sais plus quoi faire pour le retrouver, mais où irai-je sans mon trésor ? Elle pouvait dire de ses larmes versées jour et nuit, ce que David disait des siennes (Ps. 41). Pelbart a fait judicieusement observer que cette Mère affligée ne goûta point de sommeil, pleurant et priant Dieu sans cesse de lui faire retrouver son fils. Souvent, dit saint Bernard, elle adressa à ce fils les paroles de l’épouse (Cant. 1, 6) : Mon Fils, apprenez-moi où vous êtes, afin que je n’aille plus de tous côtés vous chercher en vain.

Non seulement cette douleur fut l’une des plus vives que Marie éprouva dans sa vie, mais elle fut plus grande, plus amère que toutes les autres, et non sans motif. D’abord, Marie dans ses autres douleurs eut Jésus avec elle, elle souffrit lors de la prophétie qui lui fut faite par saint Siméon dans le temple ; elle souffrit dans sa fuite en Égypte, mais toujours avec Jésus ; dans cette douleur, au contraire, elle souffrit loin de Jésus, sans savoir où il était. Inondée de pleurs, elle s’écriait : Hélas ! la lumière de mes yeux, mon cher Jésus, n’est plus avec moi (Ps. 38) ; il est loin de moi, et je ne sais où il se trouve. Origène assure, qu’à raison de l’amour que cette sainte Mère portait à son Fils, elle souffrit plus en perdant ainsi Jésus, qu’aucun martyr n’a souffert à sa mort. Ah ! que ces trois jours furent longs pour Marie ! ils lui parurent trois siècles : jours d’amertume, jours sans consolation. Qui pourrait me consoler, disait-elle avec Jérémie, puisque celui qui le peut est loin de moi ? Aussi mes yeux ne cessent-ils de verser des larmes. (Thren. I, 16).

En second lieu, dans les autres douleurs, Marie en comprenait la raison et la fin, qui étaient la rédemption du monde et la volonté de Dieu ; mais dans celle-ci elle ignorait pourquoi son Fils s’était éloigné. Cette Mère de douleurs se désolait du départ de Jésus, parce que son humilité, dit Lansperge, lui faisait croire qu’elle était indigne de demeurer auprès de lui pour l’assister sur cette terre et avoir soin d’un si grand trésor. Qui sait, pensait-elle peut-être, si je l’ai servi comme je le devais ? si je n’ai pas commis quelque négligence qui aura motivé son départ? C’est la pensée d’Origène. Et assurément il n’y a pas de plus grande peine pour une âme qui aime Dieu que la crainte de lui avoir déplu. C’est pourquoi Marie ne gémit dans aucune douleur comme dans celle-ci, où elle se plaignit amoureusement à l’enfant Jésus, après son retour (Lc. 2). Elle n’entendait pas réprimander Jésus, comme les hérétiques l’ont prétendu avec blasphème, elle voulait seulement lui découvrir la douleur qu’elle avait ressentie loin de lui, par l’amour qu’elle lui portait. En un mot, le glaive de cette douleur déchira si cruellement le cœur de la Vierge que la bienheureuse Benvenuta, suppliant un jour ardemment la sainte Mère de la lui faire éprouver à son exemple, Marie lui apparut avec l’enfant Jésus dans les bras ; mais, tandis que Benvenuta jouissait de la présence de ce bel Enfant, elle s’en vit tout à coup privée, et telle fut la peine qui affligea la bienheureuse, qu’elle recourut à Marie, la conjurant de ne la pas faire mourir de douleur. La sainte Vierge lui apparut trois jours après, et lui dit : Sachez ma fille, que votre douleur n’est qu’une bien faible image de celle que j’éprouvai, lorsque je perdis mon Fils.

Cette douleur de Marie doit servir surtout à rassurer les âmes qui se désolent de ne plus jouir, comme elles en jouissaient autrefois, de la douce présence du Seigneur. Qu’elles pleurent, mais qu’elles pleurent en paix, comme Marie pleura l’absence de son Fils, et qu’elles ne craignent point d’avoir perdu sa divine grâce, car Dieu lui-même a dit à sainte Thérèse : Nul ne se perd sans le savoir, et nul n’est trompé sans vouloir l’être. Le Seigneur, en s’éloignant des yeux d’une âme qui l’aime, ne s’éloigne pas pourtant de son cœur. Il ne se cache souvent que pour se faire chercher avec plus de désir et d’amour. Mais celui qui veut trouver Jésus doit le chercher, non parmi les délices et les plaisirs du monde, mais parmi les croix et les mortifications, à l’exemple de Marie.

En outre, nous ne devons chercher en ce monde d’autre bien que Jésus. Job ne fut pas malheureux, lorsqu’il perdit tout ce qu’il possédait sur la terre, bien, enfants, santé, honneur, jusqu’à descendre du trône sur un fumier ; mais, parce qu’il avait Dieu avec lui, il était heureux. Il n’y a de véritablement malheureuses que les âmes qui ont perdu Dieu. Si Marie se plaignit de l’absence de son Fils pendant trois jours, combien devraient se plaindre les âmes qui ont perdu la grâce divine, et que Dieu repousse (Os. 1, 9) ! Or, le péché a pour effet de séparer l’âme d’avec Dieu (Is. 59, 2). Quand les pécheurs posséderaient tous les biens de la terre, du moment qu’ils ont perdu Dieu, chaque chose ici-bas se change pour eux en fumée et en peine, comme Salomon le confessa (Eccles. I, 14). Mais la plus grande disgrâce pour ces pauvres âmes aveuglées, dit saint Augustin, c’est que, si elles perdent un bœuf, elles vont sans retard à sa recherche ; si elles perdent une brebis, elles mettent de l’empressement à la retrouver ; si elles perdent tout autre objet, elles n’ont plus aucun repos. Au lieu que, si le souverain bien, qui est Dieu, leur échappe, elles mangent, boivent et se reposent.

EXEMPLE

On trouve dans les lettres de la Compagnie de Jésus qu’un jeune Indien ayant voulu sortir de sa chambre pour commettre un péché, s’entendit adresser ces mots : Arrêtez où allez-vous ? Il se retourna, et vit une statue de la Mère de douleurs qui, retirant de son sein le glaive qui s’y trouvait enfoncé, le lui présenta en disant : Prenez ce glaive et frappez-moi, plutôt que de blesser mon Fils par ce péché. A ces mots, le jeune homme se prosterna, et tout contrit et versant des larmes, il demanda à Dieu et à Marie le pardon de sa faute, et l’obtint.

PRIERE

O Vierge bénie, pourquoi vous affliger en cherchant votre Fils ? Est-ce parce que vous ignorez où il est ? Mais ne voyez-vous pas qu’il est dans votre cœur ? Ne savez-vous pas qu’il se plaît au milieu des lys ? Vous l’avez dit vous-même (Cant. 1, 16). Vos pensées, vos affections, toutes humbles, toutes pures, toutes saintes, sont les lys qui invitent le divine Époux à habiter en vous. Ah ! Marie, vous soupirez après Jésus, vous qui n’aimez rien que Jésus ! c’est à moi de soupirer, à moi et à tant de pécheurs qui ne l’aimons point, et qui l’avons perdu par nos offenses. Ma très aimable Mère, si par ma faute votre Fils n’est pas encore revenue dans mon âme, faites, je vouis en conjure, que je le trouve. Je sais bien qu’il se fait trouver par quiconque le cherche (Thren. 2, 35). Mais faites que je le cherche comme je le dois. Vous êtes la paorte par laquelle on arrive à Jésus, c’est par vous que j’espère le trouver. Ainsi soit-il.

DOULEUR IV

Marie rencontre Jésus allant à la mort.

Saint Bernardin dit que, pour concevoir la grande douleur de Marie, qui la mort allait enlever Jésus, il faut considérer l’amour que cette Mère portait à son Fils. Toutes les mères ressentent les peines de leurs enfants comme les leurs propres : c’est pourquoi la Cananéenne, en priant le Sauveur de délivrer sa fille du démon qui la possédait, lui demanda d’avoir pitié d’elle, mère de cette fille, et non de la fille même (Matth. 15, 22). Mais quelle mère aima jamais son fils, autant que Marie aima son cher Jésus ? Il était son Fils unique, élevé avec tant de peine ; Fils infiniment aimable et tendrement attaché à sa Mère ; son Fils, et tout à la fois son Dieu, venu sur la terre pour allumer dans tous les cœurs le feu sacré du divin amour, comme il le dit lui-même (Luc 11, 59) ; de quelles flammes n’embrasa-t-il pas le cœur, pur et libre de toute affection mondaine, de sa sainte Mère ? En un mot, dit la bienheureuse Vierge à sainte Brigitte, l’amour avait réuni leurs cœurs. Ce mélange de servante et de Mère, de Fils et de Dieu, forma dans l’âme de Marie un incendie composé de mille incendies. Mais tout cet incendie d’amour se changea ensuite, au temps de la Passion, en une mer de douleur, suivant les paroles de saint Bernardin et de saint Laurent Justinien. Plus la divine Mère avait de tendresse pour Jésus, plus elle eut de douleur à le voir souffrir, alors surtout qu’elle rencontra son Fils qui, déjà condamné à mort, se rendait avec sa croix au lieu du supplice. C’est là le quatrième glaive de douleur que nous considérerons aujourd’hui.

La Bienheureuse Vierge révéla à sainte Brigitte qu’aux approches de la Passion du Seigneur, ses yeux étaient toujours remplis de larmes, en songeant au Fils bien-aimé qu’elle allait perdre sur cette terre ; elle ajouta qu’une sueur froide inondait ses membres, par la crainte qu’elle ressentait de ce prochain spectacle de douleur (l. 1, ch. 10). Enfin le jour marqué se leva ; Jésus vint et prit, en pleurant, congé de sa Mère pour aller à la mort. Saint Bonaventure, méditant sur la nuit que passa la Vierge, dit qu’elle fut sans sommeil. Le matin, les disciples de Jésus-Christ se rendirent tour à tour auprès de cette Mère affligée , pour lui apporter des nouvelles, mais rien que des nouvelles alarmantes, vérifiant ainsi les paroles de Jérémie (Thren. 112). L’un lui parlait des mauvais traitements subis par son Fils dans la maison de Caïphe, l’autre des mépris qu’il avait essuyés chez Hérode. Enfin, car j’écarte tout le reste pour rentrer dans mon sujet, enfin parut saint Jean, qui annonça à Marie que l’inique Pilate avec condamné Jésus à mourir en croix. Ah ! Mère de douleurs, dit saint Jean, déjà votre Fils est condamné à mort, déjà il est sorti portant lui-même sa croix pour se rendre au Calvaire (circonstances que Jean rapporta ensuite dans son Évangile ; Jn 19, 7). Venez, si vous voulez le voir, et lui dire un dernier adieu sur le chemin où il doit passer.

Marie partit avec saint Jean, et le sang dont elle rencontra les traces lui apprit que son Fils était déjà passé comme elle le révéla à sainte Brigitte (l. 4, ch. 77). Saint Bonaventure dit que cette Mère affligée, prenant alors un détour qui abrégeait son chemin, se plaça dans un endroit de la voie douloureuse où Jésus allait venir. Arrivée là, combien Marie ne dut-elle pas entendre proférer, par les Juifs qui la connaissaient, d’injures contre son cher Fils, et peut-être aussi contre elle-même ! Hélas ! quel triste appareil pour ses yeux que les clous, les marteaux, les cordes, funestes instruments de la mort de Jésus, qu’on porta devant elle ! Quel glaive pour son cœur, que la voix du héraut publiant la sentence prononcée contre son bien-aimé ! Mais, déjà sont passés et les instruments du supplice, et le héraut, et les ministres de la justice, elle lève les yeux et aperçoit… elle aperçoit, ô mon Dieu ! un jeune homme tout couvert de sang et de plaies de la tête aux pieds, couronné d’un faisceau d’épines, une croix pesante sur ses épaules ; elle regarde, et ne le reconnaît presque pas, comme Isaïe l’avait prédit (chap. 53), car les blessures, les meurtrissures, le sang figé sur ses traits le rendent si semblable à un lépreux, qu’on ne peut plus le reconnaître. Cependant, l’amour le révèle à Marie, et dès qu’elle l’eut reconnu, demande saint Pierre d’Alcantara dans ses méditations, quels furent l’amour et la crainte qui remplirent son cœur maternel ! D’un côté elle désirait le voir, et de l’autre elle n’osait fixer une figure si digne de compassion. Ils se regardent enfin ; le Fils, écartant de ses yeux un grumeau de sang qui les offusquait, regarde sa Mère, et la Mère regarde son Fils. Ah ! regards douloureux, qui, comme autant de flèches, traversèrent alors ces deux belles âmes si tendrement unies. Marguerite, fille de saint Thomas More, rencontrant son père que l’on conduisait à la mort, ne put que s’écrier : Mon père, mon père ! et tomba évanouie à ses pieds. Marie, à la vue de son Fils qui se rendait au Calvaire, ne s’évanouit point, parce qu’il n’était pas convenable que la Mère de Dieu perdît l’usage de sa raison, fait observer le Père Suarez ; elle ne mourut point, parce que Dieu la réservait à une plus grande douleur ; mais, si elle ne mourut pas, elle ressentit du moins un tourment capable de lui donner mille morts.

La Mère voulut embrasser son Fils, dit saint Anselme, mais les bourreaux la repoussèrent avec injure, et poussèrent devant eux le Sauveur chargé de peines : Marie le suivit. Ah ! Vierge sainte, où allez-vous ? au Calvaire ? Aurez-vous la force de voir attaché à la croix celui qui est votre vie (Deut. 28, 66) ? Non, ma Mère, demeurez (fait dire en ce moment à Jésus saint Laurent Justinien), où allez-vous ? où venez-vous ? Si vous m’accompagnez, vous serez tourmentée de mon supplice, et je serai tourmenté du vôtre ; mais quoique le spectacle de la mort de son Jésus doive lui causer une douleur amère, la tendre Marie ne le veut point quitter ; le Fils marche devant, la Mère après, pour être crucifiée avec lui, dit Guillaume. En voyant une lionne suivre son lionceau conduit à la mort, une autre bête féroce en aurait pitié. Ne serons-nous point touchés de compassion, en voyant Marie suivre son Agneau sans tache qu’on va immoler ? Compatissons donc à ses douleurs, et tâchons d’accompagner le Fils et la Mère, en portant avec patience les croix que le Seigneur nous enverra. Saint Jean Chrysostome demande pourquoi Jésus-Christ, qui voulut être seul dans ses autres peines, voulut au contraire être aidé par le Cyrénéen en portant sa croix ? et il répond que la seule croix de Jésus ne suffit point pour nous sauver, si nous ne portons aussi la nôtre avec résignation jusqu’à la mort.

EXEMPLE

Le Sauveur apparut un jour à la sœur Diomire, religieuse à Florence, et lui dit : Pensez à moi et aimez-moi, je penserai à vous et je vous aimerai. En même temps, il lui présenta un bouquet de fleurs avec une croix, pour marquer que les consolations des saints ici-bas doivent toujours être accompagnées de la croix. La croix unit les âmes à Dieu. Le bienheureux Jérôme Miani, étant soldat, et plein de vice, fut enfermé par l’ennemi dans une tour. Là, instruit par le malheur, et inspiré de Dieu de changer de vie, il recourut à Marie, et avec le secours de cette divine Mère, il commença à s’occuper de son salut. Par là il mérita de voir un jour au Ciel la place que Dieu lui avait préparée. Il devint fondateur des Pères Somasques, mourut en saint, et l’Église l’a récemment déclaré bienheureux.

PRIERE

Mère de douleurs, par le mérite de la douleur que vous ressentîtes en voyant conduire à la mort votre Jésus bien-aimé, obtenez-moi la grâce de porter aussi avec patience les croix que Dieu me destine. Heureux, si je puis vous accompagner avec ma croix jusqu’à la mort ! Vous et Jésus, tous deux innocents, avec porté une croix bien pesante, et moi pécheur, qui ai mérité l’enfer, je refuserais de porter la mienne ! Ah ! Vierge immaculée, j’espère que vous m’aiderez à souffrir les croix avec patience. Ainsi soit-il.

DOULEUR V

Mort de Jésus

Contemplons une nouvelle sorte de martyre, une Mère condamnée à voir mourir, sous ses yeux et au milieu d’atroces tourments, un Fils innocent et qu’elle aime de toutes ses affections. Il n’est pas besoin, déclare saint Jean, de dire autre chose du martyre de Marie ; contemplez-la près de la croix, en présence de son Fils mourant, et voyez s’il est une douleur semblable à sa douleur. Arrêtons-nous aujourd’hui sur le Calvaire à considérer ce cinquième glaive qui perça le cœur de Marie, à la mort de Jésus.

Dès que notre Rédempteur, épuisé de tortures, fut arrivé sur la colline, les bourreaux le dépouillèrent de ses vêtements, traversèrent ses mains et ses pieds sacrés avec des clous, et le fixèrent à la croix. Après l’avoir crucifié, ils l’élevèrent, assujettirent l’instrument fatal, et l’y laissèrent mourir. Les bourreaux l’abandonnèrent, mais Marie ne le quitta point. Elle se rapprocha alors de la croix, afin d’assister à sa mort, comme elle le révéla à sainte Brigitte (l. 1, ch. 6). Mais pourquoi, ô ma Reine, demande saint Bonaventure, aller sur le Calvaire ? pour y voir mourir votre Fils ? La honte devait vous retenir, car son opprobre était le vôtre, puisque vous étiez sa Mère. Du moins, vous deviez être arrêtée par l’horreur d’un tel forfait, le spectacle d’un Dieu crucifié par ses propres créatures. Mais non, répond le même saint ; ah ! votre cœur ne s’occupait point alors de ses peines, mais des peines et de la mort de votre Fils chéri ; aussi vouliez-vous y assister pour y compatir. Ah ! Mère véritable, Mère pleine de tendresse, les terreurs mêmes de la mort ne purent vous séparer d’un Fils bien-aimé. Mais, ô mon Dieu, quel douloureux spectacle de voir ce Fils à l’agonie sur la croix, et sous cette même croix, sa Mère agonisante qui souffrait toutes les peines qu’endurait son Fils. Voici en quels termes Marie dépeignait à sainte Brigitte l’état bien digne de compassion où elle vit ce Fils sur la croix : " Mon cher Jésus était étendu, épuisé de tourments et à l’agonie ; ses yeux, enfoncés dans sa tête, étaient à moitié fermés et éteints ; ses lèvres pendantes, sa bouche ouverte, ses joues décharnées et appliquées contre les dents, ses traits tirés, le nez amaigri, le visage triste ; sa tête retombait sur sa poitrine, ses cheveux étaient noirs de sang, son ventre rentré dans les reins, ses bras et ses jambes raides et glacés, tout le reste de son corps couvert de plaies " (Révélations, livre 1, ch. 10 ; livre 4, ch. 70).

Toutes les peines de Jésus étaient autant de peines pour Marie. Celui qui se serait alors trouvé sur le Calvaire, dit saint Jean Chrysostome, y aurait vu deux autels où se consommaient deux grands sacrifices : l’un dans le corps de Jésus, l’autre dans le cœur de Marie. Ou plutôt, déclare saint Bonaventure, il n’y avait qu’un autel, la croix du Fils, où la Mère était sacrifiée avec l’Agneau divin ; c’est pourquoi le saint lui demande : ô Marie, où êtes-vous ? près de la croix. Je dirai avec plus de raison que vous êtes sur la croix même, pour vous immoler en même temps que votre Fils, comme l’affirme saint Augustin. En effet, ajoute saint Bernard, ce que les clous opéraient dans le corps de Jésus, l’amour le causait dans le cœur de Marie. En telle sorte, suivant saint Bernardin, qu’en même temps que le Fils sacrifiait son corps, la Mère sacrifiait son âme.

Les mères fuient la présence de leurs enfants à l’agonie, mais lorsqu’une mère est contrainte d’assister à la mort de son fils, elle lui procure tous les soulagements en son pouvoir ; elle dispose son lit, pour qu’il s’y trouve plus commodément, elle lui présente un breuvage qui le rafraîchisse, et ainsi la pauvre mère allége sa douleur. Ah Mère, la plus affligée de toutes les mères ! ô Marie, il vous a été imposé d’assister à la mort de Jésus, sans pouvoir lui donner aucun soulagement. Marie entendit son Fils dire qu’il avait soif, et il ne lui fut point permis de présenter un peu d’eau à Jésus pour étancher cette soif brûlante. Voyant que, fixé par trois barres de fer sur un lit de douleur, il ne pouvait y trouver de repos, elle voulait l’embrasser pour le soulager, pour qu’il expirât au moins entre ses bras, et cela lui fut interdit. Elle voyait que ce pauvre Fils, plongé dans une mer de douleurs, cherchait quelqu’un qui le consolât, suivant la prédiction du prophète (Isaïe 63) ; mais quelle consolation pouvait-il attendre des hommes, puisqu’ils étaient tous ses ennemis ? Jusque sur la croix, les uns le blasphémaient (Mth. 27), les autres se moquaient de lui. La Sainte Vierge déclara à sainte Brigitte : " J’ai entendu dire de mon Fils par les uns qu’il était voleur, par les autres un imposteur, par d’autres encore que nul n’avait autant que lui mérité la mort ; et toutes ces paroles étaient pour moi de nouveaux glaives de douleur. " (l. 4, ch. 70)

Mais, ce qui accrut considérablement la douleur de Marie, dans sa compassion pour son Fils, ce fut de l’entendre se plaindre sur la croix de ce que le Père éternel l’avait abandonné (Mth. 27, 26). Plainte, dit la divine Mère à sainte Brigitte, qu’elle ne put jamais oublier de toute sa vie. Cette Mère affligée voyait son Jésus accablé de tous côtés ; elle voulait le soulager, sans le pouvoir. Ce qui lui causait le plus de peine, c’était de voir que par sa présence et sa douleur elle augmentait les tourments de son Fils. La même souffrance dit saint Bernard, qui remplissait le cœur de Marie, rejaillissait sur celui de Jésus pour le combler d’amertume. Aussi, ajoute-t-il, Jésus souffrit plus sur la croix de la compassion de sa Mère, que de toutes ses propres douleurs. Le même saint, parlant de la présence de Marie à la mort de son Fils, dit qu’elle vivait en mourant, sans pouvoir mourir. Jésus-Christ, s’adressant un jour à la Bienheureuse Battiste Varane de Cemerino, dit qu’il était tellement affligé sur la croix de voir à ses pieds sa Mère ainsi pénétrée de douleur, que sa compassion pour elle le fit mourir sans consolation. Et la bienheureuse, ayant connu tout à coup surnaturellement cette affliction de Jésus-Christ, s’écria : Seigneur, ne me parlez pas davantage de ce que vous souffrîtes alors, car je n’en puis plus.

On s’étonnait, dit Simon de Cassia, de voir Marie garder le silence et ne pas se plaindre dans une si grande douleur. Mais, si sa bouche se taisait, son cœur parlait, car elle ne cessait d’offrir à la justice divine la vie de son Fils pour notre salut. Nous savons qu’elle concourut par les mérites de ses douleurs à nous faire naître à la vie de la grâce ; nous sommes donc les enfants de ses douleurs. Si, dans cette mer de tristesse, quelque soulagement entra au cœur de Marie, la seule chose qui put la consoler fut de savoir que ses douleurs nous ouvraient la porte du salut éternel, comme Jésus le révéla à sainte Brigitte (l. 1, ch. 32). En effet, ce furent les dernières paroles avec lesquelles Jésus prit congé de sa Mère en mourant ; il nous déclara que ses enfants dans la personne de Jean (Jn, ch. 19). Et dès lors Marie commença à remplir envers nous cet office de bonne Mère, puisque, comme l’atteste saint Pierre Damien, c’est par ses prières que se convertit et se sauva le bon larron, qui, au rapport de certains auteurs, avait rendu service à la sainte Famille à l’époque de la fuite en Égypte. Cet office, la Bienheureuse Vierge a toujours continué et continuera à la remplir.

PRIERE

O Mère la plus affligée de toutes les mères, votre Fils est mort, de Fils si aimable et qui vous aimait tant ! Pleurez ; vous avez raison de pleurer. Qui pourra vous consoler ? Rien, sinon la pensée que par sa mort Jésus a vaincu l’enfer, ouvert aux hommes le paradis qui leur était fermé, et fait la conquête de tant d’âmes. Du trône de la croix, il régnera sur tous ces cœurs qui, vaincus par l’amour, le serviront avec amour. Ne dédaignez point, ô ma Mère, de me laisser approcher de vous, pour pleurer avec vous, car j’ai plus de motifs que vous de pleurer, à cause de mes péchés. Ah ! Mère de miséricorde, par la mort de mon Rédempteur et par les mérites de vos douleurs, j’espère mon pardon et le salut éternel. Ainsi soit-il.

DOULEUR VI

Coup de lance donné à Jésus et sa descente de croix.

Âmes chrétiennes, écoutez ce que vous dit aujourd’hui la Mère de douleurs : Filles chéries, je ne veux pas que vous cherchiez à ma consoler ; non, car mon cœur n’est plus capable de consolation sur cette terre, après la mort de mon Jésus bien-aimé. Si vous voulez me plaire, voici ce que je vous demande : tournez-vous vers moi, et voyez s’il y eut jamais dans le monde une douleur semblable à la mienne, depuis que je me suis vu enlever avec tant de cruauté celui qui était tout mon amour. Mais, ma Souveraine, puisque vous ne voulez point être consolée, et que vous avez une si grande soif de peines, je vous dirai que la mort de votre Fils n’est pas le terme de vos douleurs. Vous serez frappée aujourd’hui d’un nouveau glaive, en voyant percer d’un coup de lance le côté de votre Fils déjà mort, et en le recevant dans vos bras à la descente de croix. Considérons la sixième douleur qui affligea cette pauvre Mère. Soyons attentifs et pleurons. Jusqu’ici les douleurs sont venues tourmenter Marie une à une, mais aujourd’hui elles viennent toutes ensemble l’assaillir.

Il suffit d’annoncer à une mère la mort de son fils pour rallumer tout son amour pour lui. Quelques mères qui ont perdu leurs enfants, allégent leur chagrin en se rappelant les torts qu’ils ont eu envers elles. Mais, si j’essayais, ô ma Reine, d’adoucir ainsi les regrets que vous cause la mort de Jésus, de quel tort pourrais-je réveiller le souvenir ? Oh non, toujours il vous aima : toujours il vous obéit, toujours il vous respecta. Maintenant vous l’avez perdu, qui dira votre douleur ? Dites-la, ô vous qui la ressentez. A la mort de notre Rédempteur, écrit un pieux auteur, la première pensée de cette sublime Mère, fut d’accompagner l’âme très sainte de son Fils, pour la présenter au Père éternel : Je vous présente, ô mon Dieu, lui dit alors Marie, l’âme immaculée de mon Fils et du vôtre, qui vous a obéi jusqu’à la mort : recevez-la dans vos bras. Votre justice est satisfaite, votre volonté accomplie, le grand sacrifice à votre gloire éternelle est consommé. Puis, se tournant vers le corps inanimé de Jésus : O plaies, dit-elle, plaies causées par l’amour, je vous adore, je me réjouis de ce que par vous le salut a été donné au monde. Vous resterez ouvertes sur le corps de mon Fils, pour être le refuge de ceux qui recourront à vous. O combien recevront par vous le pardon de leurs péchés, et s’enflammeront d’amour pour le souverain bien !

Pour ne pas troubler l’allégresse du lendemain, sabbat de la Pâque, les Juifs voulurent ôter immédiatement de la croix le corps de Jésus ; mais, les condamnés n’en pouvant être détachés avant que leur mort fût certaine, quelques-uns se présentèrent avec des barres de fer pour lui rompre les jambes, comme on l’avait déjà fait aux deux larrons crucifiés. Marie, qui pleurait la mort de son Fils, vit donc ces hommes menacer encore Jésus. A cette vue, elle frémit d’abord d’épouvante, puis s’écria : Hélas ! mon Fils est déjà mort, cessez de l’outrager davantage, et cessez de tourmenter encore sa pauvre Mère. Pendant qu’elle s’exprimait ainsi, elle vit un soldat lever sa lance avec impétuosité, et, grand Dieu ! en percer le côté de Jésus (Jn. 19). A ce coup de lance, la croix fut ébranlée et le cœur de Jésus divisé en deux parts, comme sainte Brigitte le connut par révélation (livre 2, ch. 31). Il en sortit du sang et de l’eau, car il ne restait plus que quelques gouttes de sang, et le Sauveur voulut encore le répandre, pour nous faire comprendre qu’il n’en avait plus à nous donner. L’injure de ce coup de lance s’adressa à Jésus, mais la douleur affligea Marie, dit le pieux Lansperge. Les saints Pères prétendent que ce fut là proprement le glaive prédit à la Vierge par saint Siméon ; glaive, non de fer, mais de douleur, qui perça son âme bénie dans le cœur de Jésus où elle ne cessait d’habiter. La sainte Vierge le révéla à sainte Brigitte. L’ange dit aussi à cette sainte que les douleurs de Marie furent telles qu’il fallut un miracle pour qu’elle n’en mourut point. Dans ses autres douleurs, elle avait du moins son Fils pour y compatir ; maintenant qu’elle n’a plus de Fils, il ne lui reste pas même cette consolation.

Cependant, la Mère de douleurs, craignant qu’on ne fit d’autres outrages à son Fils bien-aimé, pria Joseph d’Arimathie d’obtenir de Pilate le corps de son Jésus, pour le garder du moins après sa mort et le préserver des injures. Joseph alla trouver Pilate, lui exposa la douleur et le désir de cette Mère affligée, et saint Anselme prétend que c’est la compassion qui, en pénétrant Pilate, l’engagea à accorder le corps du Sauver ; Jésus fut donc descendu de la croix. O Vierge sacrée, vous qui avez avec tant d’amour donné votre Fils au monde pour notre salut, voici que le monde vous le rend ; mais, ô Dieu ! dans quel état ! disait alors Marie au monde. Mon Fils était blanc et vermeil, et vous me le rendez noir et livide, les plaies seules que vous lui avez faite ont terni la couleur qui animait son teint : il était beau, et le voilà difforme ; son aspect enflammait d’amour, et il fait peine à regarder. O combien de glaives, dit saint Bonaventure, percèrent le cœur de la Mère quand on lui présenta son Fils descendu de la croix ! Quelle peine ne ressent pas une mère à la vue de son fils privé de la vie ! Il fut révélé à sainte Brigitte qu’à la descente de croix, on appuya trois échelles contre l’instrument du supplice ; d’abord les saints disciples détachèrent les mains, puis les pieds, et remirent les clous à Marie, comme Métaphraste le rapporte. Ensuite, l’un prenant le corps, et l’autre le soutenant en dessous, ils le descendirent de la croix. Bernardin de Bustis suit en esprit cette Mère affligée, qui s’élevant sur la pointe des pieds étend les bras à la rencontre de son cher Fils, l’embrasse et s’assied au pied de la croix. Elle regarde sa bouche ouverte, ses yeux obscurcis ; elle visite ses chairs déchirées, ses os découverts ; elle enlève la couronne, et considère les plaies faites par les épines à cette tête sacrée ; elle examine les mains et les pieds traversés par les clous, et s’écrie : Ah ! mon Fils, à quel état vous a réduit l’amour que vous avez eu pour les hommes ! Quel mal leur aviez-vous fait, pour en être ainsi maltraité ? Mon Fils, voyez mon affliction, regardez-moi et consolez-moi ; mais vous ne parlez plus maintenant que vous êtes mort. Épines cruelles, ajoute Marie, en s’adressant aux barbares instruments du supplice, clous, lance impitoyable, comment avez-vous pu tourmenter ainsi votre Créateur ? Mais, que dis-je des épines, des clous ? Ah pécheurs, s’écriait-elle, c’est vous qui avez maltraité mon Fils.

Voilà ce que disait alors Marie, elle se plaignait de nous. Mais, si elle était maintenant susceptible de douleur, que dirait-elle ? quelle peine n’éprouverait-elle pas en voyant que les hommes, après la mort de son Fils continuent à le maltraiter et à le crucifier par leurs péchés ? Ne tourmentons donc plus cette Mère de douleurs et si par le passé nous l’avons affligée par nos fautes, faisons maintenant ce qu’elle nous dit : Pécheurs, revenez au cœur blessé de mon Jésus ; repentez-vous, et il vous accueillera. La sainte Vierge révéla à sainte Brigitte que son Fils étant descendu de la croix, elle lui ferma les yeux, mais qu’elle ne put plier ses bras, Jésus-Christ indiquant par là que ses bras restaient ouverts pour recevoir tous les pécheurs repentants qui se tourneraient vers lui. O monde, continua Marie, ô monde, maintenant que mon Fils est mort pour vous sauver, le temps de la crainte est passé, celui de l’amour commence ; il est temps d’aimer celui qui, pour vous prouver son amour, a voulu tant souffrir. Si mon Fils, conclut Marie, a voulu que son côté fût ouvert pour vous donner son cœur, il est juste, ô homme, que vous lui donniez le vôtre, Et si vous voulez, ô fils de Marie, trouver place, sans crainte d’en être repoussés, dans le cœur de Jésus, allez-y avec Marie, elle vous obtiendra cette grâce. L’exemple suivant le prouvera.

EXEMPLE

Un malheureux pécheur, qui avait, entre autres crimes, tué son père et son frère, et que ses forfaits condamnaient à la fuite, ayant assisté un jour de carême à un sermon sur la divine miséricorde, alla se confesser au prédicateur. Celui-ci, après le récit de ses excès, l’envoya à un autel de la Mère de douleurs, pour lui demander la contrition et le pardon de ses péchés. Le pécheur y alla, se mit à prier et y expira de regret. Le lendemain, le prêtre recommandant au peuple de prier pour ce défunt, une blanche colombe parut dans l’église, et laissa tomber un billet aux pieds du prêtre. Il le prit, et y trouva écrite ces paroles : l’âme du défunt, à peine sortie de son corps, est allé en paradis. Et vous, continuez à prêcher l’infinie miséricorde de Dieu.

PRIERE

O Vierge affligée, âme grande en vertus, et aussi grande en douleurs, car les unes et les autres naissent de ce grand incendie d’amour dont vous êtes embrasée pour Dieu puisque votre cœur n’aime que Dieu : ah ! ma Mère, ayez pitié de moi qui, loin d’aimer Dieu, l’ai tant offensé. Vos douleurs m’animent à espérer mon pardon. Mais cela ne me suffit pas ; je veux aimer le Seigneur ; et qui peut m’obtenir cette grâce mieux que vous, qui êtes la Mère du pur amour ? Ah ! Marie, vous consolez tout le monde, consolez-moi aussi. Amen.

DOULEUR VII

Jésus mis dans le tombeau

Quand une mère est présente aux souffrances et à la mort de son fils, nul doute qu’elle n’en ressente et n’en souffre alors toutes les peines ; mais lorsque après la mort de ce fils épuisé de tourments, on va l’ensevelir, et que sa mère affligée prend congé de lui ; la pensée qu’elle ne le reverra jamais plus, est une douleur qui surpasse toutes les autres douleurs. Tel est le dernier glaive que nous avons à considérer aujourd’hui, et qui perça Marie quand, après avoir assisté son fils sur la croix, après l’avoir embrassé lorsqu’on l’en descendit, il lui fallut enfin le laisser dans le sépulcre, pour ne plus jouir de son aimable présence.

Mais, afin de mieux considérer cette dernière douleur, remontons au Calvaire, regardons-y cette Mère affligée qui tient encore embrassé son Fils déjà mort. Mon Fils, lui dit-elle avec Job, (Job, ch. 30, 7-21), toutes vos qualités, votre beauté, votre grâce, votre vertu, vos manières aimables, tous les signes d’amour spécial que vous m’avez donnés, les faveurs singulières que j’ai reçues, tout s’est changé en autant de traits de douleur, et plus j’étais enflammée d’amour pour vous, plus j’éprouve cruellement la peine de vous avoir perdu. Ah ! mon Fils bien-aimé, en vous perdant, j’ai tout perdu. C’est le langage que lui prête saint Bernard.

Ainsi Marie se consumait de douleur en embrassant son Fils ; mais les saints disciples, craignant que cette pauvre Mère n’expirât de chagrin, se hâtèrent de l’éloigner de son sein pour l’ensevelir. Faisant une respectueuse violence à Marie, ils l’enlevèrent de ses bras, puis l’embaumant avec des aromates, ils l’enveloppèrent dans un linceul où le Seigneur laissa au monde l’impression de son visage, comme on le voit aujourd’hui à Turin. On le conduit au tombeau, le triste cortège s’avance, les disciples portent le corps sur les épaules, un groupe d’anges venus du ciel l’accompagnent, les saintes femmes se placent à la suite, et au milieu d’elles la Mère de douleurs marche au lieu de la sépulture. Arrivée à ce lieu, combien Marie s’y serait volontiers ensevelie vivant avec son Fils. Mais, comme telle n’était point la volonté divine, elle accompagna seulement le corps sacré de Jésus au sépulcre où, au rapport de Baronius, on déposa les clous et la couronne d’épines. Au moment d’élever la pierre pour clore le sépulcre, les disciples du Sauveur durent se tourner vers Marie et lui dire : Courage, ô notre Mère, nous allons fermer le tombeau, prenez patience, jetez-y un dernier regard, et dites adieu à votre Fils. Ainsi, ô mon Fils bien-aimé, aura répondu la Mère de douleurs, je ne vous reverrai plus ! Permettez donc, pour la dernière fois que je vous contemple, recevez le dernier adieu de votre tendre Mère, eet recevez mon cœur que je laisse enseveli avec vous.

Enfin les disciples prirent la pierre, et enfermèrent dans le saint sépulcre le corps de Jésus, trésor tel qu’il n’y en a point de plus grand dans le Ciel ni sur la terre. On nous permettra une digression : Marie laisse son cœur enseveli avec Jésus, parce que Jésus est tout son trésor : " Là où est votre cœur, là est votre trésor " (Lc. 12, 34). Et nous où ensevelirons-nous le nôtre ? Est-ce dans les créatures ? dans la fange ? Et pourquoi pas avec Jésus, qui, bien que monté au Ciel, a voulu rester avec nous, non dans un état de mort, mais vivant dans le Saint Sacrement de l’autel, afin d’avoir avec lui et de posséder nos cœurs ? Mais revenons à Marie. Avant de quitter le sépulcre, saint Bonaventure assure qu’elle en bénit la pierre sacrée : Heureuse pierre, dit-elle, qui recèles maintenant celui que j’ai porté neuf mois dans mon sein, je te bénis, et j’envie ton sort ; je te laisse pour protéger mon Fils, qui est tout mon bien, tout mon amour. Puis, s’adressant au Père éternel, elle s’écria : O mon Père, je vous recommande votre Fils et le mien. Disant en même temps un dernier adieux à son Fils et au sépulcre, elle partit pour retourner à sa demeure. Cette pauvre Mère, dit saint Bernard, était si affligée, si triste, que tous ceux qui la rencontraient sur le chemin ne pouvaient retenir leurs larmes ; et il ajoute que les saints disciples et les femmes qui l’accompagnaient pleuraient sur elle plutôt que sur leur Maître.

Saint Bonaventure veut que les saintes femmes aient voilé Marie d’un manteau de deuil. Il dit que, passant à son retour, devant la croix encore baignée du sang de son Jésus, elle fut la première à l’adorer : O croix sainte, dit-elle, je te baise et t’adore, car tu n’es plus un bois infâme, mais un trône d’amour, et un autel de miséricorde, consacré par le sang de l’Agneau divin, qui vient d’être sacrifié pour le salut du monde. Marie quitte la croix, retourne à sa demeure : là, cette Mère affligée porte ses regards tout autour d’elle, et ne rencontre plus son Jésus ; mais, en l’absence de son Fils, tous les souvenirs de sa belle vie et de sa mort effroyable se pressent dans son esprit. Elle se rappelle les baisers qu’elle lui prodiguait dans l’étable de Bethléem, les conversations qu’ils eurent ensemble durant tant d’années dans la boutique de Nazareth ; elle se rappelle les affections réciproques, les tendres regards, les paroles de vie éternelle que prononçait sa bouche divine. Puis, se reproduit la scène funeste de cette journée ; elle croit revoir les clous, les épines, les chairs déchirées de son Fils, ses plaies profondes, ses os mis à nu, sa bouche ouverte, ses yeux éteints. Hélas ! quelle nuit de douleur traversa Marie ! S’adressant à saint Jean, la Mère de douleurs lui demandait: Ah ! Jean, votre Maître, où est-il ? Puis elle demandait à la Magdeleine : Ma Fille, dites-moi où est votre bien-aimé ? Ah ! Dieu, qui nous l’a ravi ? Marie pleurait, et à son exemple tout ce qui l’entourait. Et toi, mon âme, ne pleures-tu point ? Ah ! adresse-toi à Marie, demande-lui des larmes, avec saint Bonaventure. Elle pleure d’amour ; toi, pleure de douleur de tes péchés. Ce n’est qu’ainsi que tu pourras avoir le sort de celui dont parle l’exemple suivant.

EXEMPLE

Le Père Engelgrave raconte qu’un religieux était quelquefois réduit, par les scrupules qui le tourmentaient, à un état voisin du désespoir ; mais, comme il était très dévot à la Mère de douleurs, il recourait toujours à elle dans ses anxiétés, et il se sentait fortifié en contemplant ses afflictions. La mort survint ; et alors le démon l’assiégea de scrupules, et le tenta jusqu’au désespoir. Mais la Mère de pitié, voyant son pauvre serviteur dans ces angoisses, lui apparut et lui dit : Mon fils, pourquoi craindre tant et vous attrister ainsi, vous qui m’avez si souvent consolée en compatissant à mes douleurs ? Jésus m’envoie pour vous consoler à mon tour, vous donner confiance et allégresse ; suivez-moi en Paradis. A ces mots, le dévot religieux, rempli de consolation et d’assurance, expira doucement.

PRIERE

O Mère de douleurs, je ne veux pas vous laisser pleurer seul ; non, je veux unir mes larmes aux vôtres. Je vous demande aujourd’hui une grâce : obtenez-moi, avec un continuel souvenir, une dévotion tendre à la Passion de Jésus et à la vôtre, afin que tous les jours qui me restent à vivre soient employés à pleurer vos douleurs, ô ma Mère, et celles de mon Rédempteur. Ces douleurs, je l’espère, me donneront à l’heure de la mort de la confiance et la force de ne point me désespérer à la vue des offenses que j’ai faites au Seigneur. Ces douleurs m’obtiendront le pardon, la persévérance, le paradis, où j’espère aller me réjouir avec vous, et chanter les miséricordes infinies de mon Dieu pendant toute l’éternité ; je l’espère. Ainsi soit-il. Amen, amen.

DEUXIEME PARTIE DES VERTUS DE MARIE

Saint Augustin dit que, pour obtenir plus sûrement et avec abondance la faveur des saints, il faut les imiter, parce qu’en nous voyant pratiquer les vertus dont ils ont donné l’exemple, ils sont disposés à prier pour nous. La Reine des saints, et notre première avocate, Marie, quand elle a soustrait une âme au bras de Lucifer pour l’unir à Dieu, veut que cette âme s’exerce à l’imiter ; autrement, elle ne pourrait l’enrichir de ses grâces, comme elle le voudrait, celle-ci y mettant obstacle par sa conduite. C’est pourquoi Marie appelle bienheureux ceux qui l’imitent (Prov. 8, 32). Celui qui aime, ou est déjà semblable, ou cherche à ressembler à la personne aimée, suivant un adage célèbre. En conséquence, saint Jérôme déclare que, si nous aimons Marie, il faut que nous cherchions à l’imiter, parce que c’est là le plus grand hommage que nous puissions lui rendre. Richard de Saint-Laurent dit que ceux-là sont et peuvent s’appeler les vrais fils de Marie qui conforment leur vie à la sienne. Que le fils, conclut saint Bernard, s’efforce donc d’imiter sa mère, s’il désire ses faveurs ; car celle-ci se voyant alors honorée en mère, le traitera et le favorisera comme un fils.

Pour en venir aux vertus de Marie, les évangélistes nous offrent peu de particularités sur ce sujet ; néanmoins, en déclarant que la Vierge fut pleine de grâce, ils nous font bien connaître qu’elle eut toutes les vertus, et qu’elle les eut toutes dans un degré héroïque. De telle sorte, enseigne saint Thomas, que les autres saints ont excellé chacun dans une vertu particulière, au lieu que la bienheureuse Vierge a excellé dans toutes, et nous a confirmé par saint Ambroise. Comme, suivant les saints Pères, l’humilité est le fondement de toutes les vertus, voyons en premier lieu combien fut grand l’humilité de Marie.

             § 1 – De l’humilité de Marie

 Sans l’humilité, il ne saurait y avoir aucune autre vertu dans une âme ; quand elle les posséderait toutes, elle les perdrait en perdant l’humilité. Au contraire, saint François de Sales écrivait à la bienheureuse Françoise de Chantal, que Dieu aime tant l’humilité, qu’il court aussitôt où il la voit. Elle était inconnue au monde, cette belle et nécessaire vertu lorsque le Fils de Dieu lui-même descendit sur la terre pour l’enseigner par son exemple, voulant que nous l’imitassions spécialement dans cette humilité (Matth. 11, 29). Et comme Marie fut la première et la plus parfaite imitatrice de Jésus-Christ dans toutes ses vertus, elle le fut aussi dans celle de l’humilité, qui lui mérita d’être exaltée au-dessus de toutes les créatures. Sainte Mechtilde apprit par révélation que l’humilité fut la première vertu dans laquelle la bienheureuse Mère s’exerça singulièrement dès sa jeunesse.

Le premier acte de l’humilité de cœur, c’est d’avoir une modeste opinion de soi-même ; or, comme il fut aussi révélé à sainte Mechtilde, Marie eut toujours d’elle-même une opinion si modeste, que, bien qu’elle se vit enrichie de plus de grâces que les autres, elle ne se préférait à personne. L’abbé Rupert, expliquant un passage des Cantiques (Cant. 4, 9), l’entend de l’humble idée que Marie avait d’elle-même, et qui toucha le cœur de Dieu. Ce n’est pas que la sainte Vierge se crût pécheresse, car l’humilité est la vérité, dit sainte Thérèse, et Marie avait la conscience de n’avoir jamais offensé Dieu ; ce n’est pas non plus qu’elle ignorât qu’elle avait reçu du Seigneur des grâces plus grandes que toutes les autres créatures, car un cœur humble considère ces faveurs spéciales pour s’humilier davantage, mais la même lumière qui lui permettait de mieux connaître l’infinie grandeur et la bonté de son Dieu, lui faisait aussi apercevoir plus clairement sa propre bassesse et c’est pourquoi elle s’humiliait plus que tout autre (Cant. 1, 6). Comme un mendiant, revêtu d’un riche vêtement qu’on lui a donné, loin de s’enorgueillir, ne fait au contraire que s’humilier davantage devant son bienfaiteur, parce que le don lui rappelle sa pauvreté ; ainsi plus Marie se voyait enrichie de grâces, plus elle s’humiliait, en se souvenant que tout cela était un don de Dieu ; elle-même l’a déclaré à sainte Élisabeth de l’ordre de saint Benoît. Aussi, dit saint Bernardin, il n’y a point eu au monde de créature plus élevée que Marie parce qu’il n’y en a point eu de plus humble.

En outre, c’est un acte d’humilité de tenir cachés les dons du Ciel. Marie voulut celer à saint Joseph la grâce qu’elle avait eue d’être faite Mère de Dieu, encore bien que la nécessité de la lui apprendre fût manifestée, pour délivrer au moins son époux des soupçons qu’il pouvait concevoir sur son honnêteté en la voyant enceinte, ou pour éviter la confusion ; car Joseph ne pouvant d’une part mettre en doute la chasteté de Marie, et de l’autre ignorant le mystère, songeait déjà à la congédier en secret (Matth. 1, 19). Et si l’ange ne lui avait appris que son épouse était enceinte par l’opération du Saint-Esprit, il s’en serait réellement séparé. De plus, Marie refuse pour elle les louanges, et les rapporte toutes à Dieu. Ainsi elle se trouble en entendant saint Gabriel célébrer son éloge. Et lorsque Élisabeth les célèbre à son tour (Luc. 1), Marie attribuant toutes ces louanges à Dieu, répond par un humble cantique (Magnificat anima mea Dominum ; Mon âme magnifie le Seigneur). Comme si elle eût dit : Élisabeth, vous me louez, mais moi je loue le Seigneur, à qui seul tout honneur est dû. Vous m’admirez parce que je viens à vous, et moi j’admire la divine bonté, en laquelle mon esprit se réjouit uniquement. Vous me louez d’avoir cru, et moi je loue mon Dieu qui a voulu élever mon néant. C’est ce que confirment et les révélations de Marie à sainte Brigitte (Rev. l. 2, c. 23), et un texte de saint Augustin sur l’humilité de la Vierge.

D’ailleurs, le propre des humbles est de servir les autres, et Marie ne refusa point de servir Élisabeth pendant trois mois. Les humbles se tiennent dans la retraitent, choisissent le lieu le moins commode ; c’est par ce motif, suivant saint Bernard, que Marie, désirant parler à son Fils qui prêchait dans une maison (Matth. c. 12), ne voulut point y entrer d’elle-même. C’est pour ce motif encore que, se trouvant dans le cénacle avec les apôtres, elle voulut prendre la dernière place (Act. 1, 14). Ce n’est pas que saint Luc, qui rapport ce fait, ignorât le mérite de la divine Mère, qu’il aurait dû nommer la première ; mais c’est que Marie s’était réellement placée la dernière dans le cénacle, après les apôtres et les autres femmes, et que saint Luc, suivant la réflexion d’un auteur, les énumère d’après la place qu’ils occupaient. Les humbles enfin aiment les mépris ; aussi ne lit-on point que Marie ait paru à Jérusalem lorsque son Fils y fut reçu avec tant d’honneur par le peuple ; le dimanche des Rameaux, au contraire, à l’époque de sa mort, elle ne craignit point de se montrer publiquement sur le Calvaire, ne reculant pas devant le déshonneur d’être connue comme la Mère du condamné qui allait subit la mort infâme de la main d’infâmes bourreaux ; c’est bien là la pensée qu’elle exprima à sainte Brigitte.

La vénérable sœur Paule de Foligno eut le bonheur de connaître, dans une extase, combien fut grande l’humilité de la sainte Vierge ; faisant à son confesseur le récit de cette faveur, elle s’écriait d’étonnement : L’humilité de Notre-Dame ! ô mon Père, l’humilité de Notre-Dame ! il n’y a rien d’assez humble au monde, pour soutenir le parallèle, même le plus éloigné, avec l’humilité de Marie. Le Seigneur permit aussi un jour que sainte Brigitte vit en esprit deux femmes, l’une toute remplie de vanité et entourée de faste : celle-là, dit-il, est la superbe. Cette autre que vous voyez la tête baissée, serviable pour toute le monde, occupée de Dieu seul, ne s’estimant rien, celle-là est l’humilité, et elle se nomme Marie (Rev., l. 1, ch. 29). Dieu révélait par là que sa bienheureuse Mère est aussi humble que l’humilité elle-même.

Nul doute qu’à cause de la corruption de notre nature par le péché, il n’y ait peut-être pas, dit saint Grégoire de Nysse, de vertu plus difficile à pratiquer que celle de l’humilité. Mais, et à cela point de remède, nous ne serions être de vrais enfants de Marie, si nous ne sommes humbles. Elle abhorre les superbes, et n’appelle à elle que les humbles, suivant Richard de saint Laurent (" Marie nous protège sous le manteau de son humilité "), suivant la Mère de Dieu elle-même parlant à sainte Brigitte : " Venez donc, vous aussi ma fille, et cachez-vous sous mon manteau, ce manteau, c’est mon humilité ". La considération de son humilité est un bon manteau qui nous réchauffe. Mais, ajoute-t-elle, un manteau ne réchauffe que celui qui le porte, non en pensée ; mais en effet. Oh ! que les âmes humbles sont chères à Marie ! Aussi saint Bernard exhorte-t-il tous ceux qui aiment Marie à être humbles. Marin, ou Martin d’Albert, de la Compagnie de Jésus, faisait habituellement les œuvres les plus abjectes pour l’amour de Marie : il balayait la maison, et recueillait les immondices. Un jour, la divine mère lui apparut, ainsi que le rapporte dans sa Vie le P. Nieremberg, et elle lui dit comme pour le remercier : " Combien m’est cher cet acte d’humilité fait pour l’amour de moi ! " Ainsi donc, ô ma Reine, je ne pourrai jamais être vraiment votre fils, si je ne suis humble ; mais ne voyez-vous pas que mes péchés, après m’avoir rendu ingrat envers Dieu, m’ont aussi rendu orgueilleux ? Ô ma Mère, remédiez-y, faites que par les mérites de votre humilités, j’obtienne d’être humble et de devenir ainsi votre fils. Amen.

             § 2 – De l’amour de Marie envers Dieu

Saint Anselme dit : plus un cœur est pur et vide de soi-même, plus il est rempli d’amour envers Dieu.  Marie, étant très humble et vide d’elle-même, fut donc toute remplie de l’amour divin, en sorte qu’elle surpassa en amour tous les hommes et tous les anges.  Saint François l’appelle à juste titre la Reine de l’amour. Le Seigneur a ordonné à l’homme de l’aimer de tout son cœur (Matth. 22, 37) ; ce n’est point sur cette terre, dit saint Thomas, mais dans le Ciel que l’homme accomplira parfaitement ce précepte.  Cependant, suivant la réflexion du bienheureux Albert le Grand, il ne convenait point que dieu intimât un précepte qui n’eût pas été parfaitement accompli par personne, si sa divine Mère ne l’avait pleinement rempli ; pensée confirmée par Richard de Saint-Victor.  L’amour divin, dit saint Bernard, blessa et perça tellement l’âme de Marie, qu’il n’y resta aucune partie qui ne fût blessée d’amour ; aussi accomplit-elle entièrement ce premier précepte.  Marie pouvant bien dire : Mon bien-aimé s’est donné tout entier à moi, et je me suis donnée tout entière à lui (Cant. 2, 10).  Ah ! s’écrie Richard, les séraphins pouvaient descendre du Ciel pour apprendre dans le cœur de Marie la manière d’aimer Dieu.

Dieu, qui est l’amour même, vint sur la terre pour allumer chez tous les hommes la flamme de son divin amour ; mais aucun cœur n’en fut aussi embrasé que celui de sa divine Mère, qui, étant entièrement pur d’affections terrestres, se trouvait tout disposé à brûler de ce feu céleste.  Le cœur de Marie fut donc feu et flamme, comme on le lit dans les Cantiques (Cant. 8, 6) : c’était un feu, selon l’explication de saint Anselme, parce qu’il brûlait intérieurement d’amour ; et flamme, parce qu’il brillait extérieurement dans la conduite vertueuse de Marie. Lorsque, sur la terre, Marie portait Jésus dans ses bras, on pouvait dire d’elle, que le feu portait le feu, avec plus de raison qu’Hippocrate le dit un jour d’une femme qui avait du feu dans sa main.  Saint Ildefonse entre dans cette pensée.  De son côté, saint Thomas de Villeneuve prétend que le cœur de la Vierge était figuré par le buisson que Moïse vit brûler sans se consumer.  Et c’est avec raison qu’elle se montra à saint Jean revêtue du soleil (Ap. 12, 1), puisqu’elle fut si unie à Dieu par l’amour, dit saint Bernard, qu’il semble qu’une créature ne saurait s’unir davantage à son Créateur.

Saint Bonaventure affirme que la sainte Vierge ne fut jamais tentée par l’enfer, et il en donne pour motif que, comme les mouches s’éloignent d’un grand feu, ainsi les démons s’éloignaient de son cœur tout enflammé d’amour, et n’osaient pas même s’approcher d’elle.  Richard exprime la même idée.  Marie révéla à sainte Brigitte qu’elle n’eut en ce monde d’autre pensée, d’autre désir, d’autre bonheur que Dieu.  Son âme bénie étant presque toujours occupée sur la terre à contempler Dieu, les actes d’amour qu’elle formait étaient sans nombre, écrit le P. Suarez.  J’aime encore mieux cette pensée de Bernardin de Bustis que Marie, sans répéter les actes d’amour l’un après l’autre, comme font les autres saints, avait plutôt le singulier privilège d’aimer toujours actuellement Dieu par un seul et continuel acte d’amour.  Cet aigle royal tenait incessamment les yeux fixés sur le soleil divin, de sorte, dit saint Pierre Damien, que les actions journalières de la vie ne l’empêchaient point d’aimer, et que l’amour ne l’empêchait point de vaquer à ses occupations.  Suivant saint Germain, Marie fut figurée par l’autel de propitiation où le feu ne s’éteignit jamais, ni jour ni nuit.

Le sommeil même n’empêchait point Marie d’aimer son Dieu. Et si ce privilège fut accordé à nos premiers parents dans l’état d’innocence, comme l’affirme saint Augustin, il ne fut certainement pas refusé à la divine Mère, comme le pensent Suarez, l’abbé Rupert, saint Bernardin et saint Ambroise.  Marie ayant vérifié par là les paroles du Sage : " Sa lampe ne s’éteindra point pendant la nuit. " (Prov. 21, 18). Pendant que son corps bienheureux prenait dans un léger sommeil un repos nécessaire, son âme veillait, disent saint Bernardin et Suarez.  Et en un mot, tant que Marie vécut sur cette terre, elle aima continuellement Dieu.  De plus, elle ne fit jamais que ce qu’elle connut être agréable à Dieu et elle l’aimant autant qu’elle crut devoir l’aimer.  En sorte qu’on peut dire, d’après le bienheureux Albert le Grand, que Marie fut remplie de tant de charité, qu’une pure créature n’aurait pu en recevoir davantage sur la terre.  Par son ardente charité, dit saint Thomas de Villeneuve, la Vierge se rendit si belle et enflamma tellement son Dieu d’amour, qu’épris de tendresse il descendit dans son sein pour s’y faire homme.  Et saint Bernardin s’écrie : Une Vierge a blessé, a ravi le cœur de Dieu.

Mais, puisque Marie aime tant son Dieu, il est certain qu’elle ne désire rien tant de ses serviteurs, que de les voir aimer Dieu de toutes leurs forces.  Un jour qu’elle apparut à la bienheureuse Angèle de Foligno, qui venait de communier : Angèle, dit Marie, pour être bénie de mon Fils, efforcez-vous de l’aimer de tout votre pouvoir.  Ma fille, dit encore la bienheureuse Vierge à sainte Brigitte, si vous voulez que je m’unisse à vous, aimez mon Fils.  Marie n’a rien plus à cœur que de vous voir chérir son bien-aimé, c’est-à-dire Dieu.  Novarin demande pourquoi la sainte Vierge prie les anges, avec l’Épouse des cantiques, de faire connaître à Dieu le grand amour qu’elle lui porte : " Je vous conjure, ô filles de Jérusalem, si vous rencontrez mon bien-aimé, de lui dire que je languis d’amour " (Cant. 5, 8) ? Et Novarin répond que la divine Mère voulait par là révéler son amour, non point à Dieu, mais à nous, afin de nous blesser de l’amour divin, comme elle en était blessée elle-même. Parce qu’elle est toute de feu pour aimer Dieu, elle communique sa flamme à ceux qui l’aiment elle-même et qui l’approchent, et les rend ainsi semblables à elle ; en conséquence sainte Catherine de Sienne lui donna le nom de porte-feu du divin amour.  Si donc nous désirons brûler à notre tour de cette heureuse flamme, tâchons sans cesse de nous unir à notre Mère et par nos prières et par nos affections.

Ah ! Reine de l’amour, la plus aimable, la plus aimée, la plus aimante de toutes les créatures, comme disait saint François de Sales, ah ! ma Mère, qui brûlez toujours et toute entière d’amour pour Dieu, daignez m’en communiquer une étincelle.  Vous priiez votre Fils pour les époux qui manquaient de vin, et vous ne prieriez pas pour nous, qui manquons d’amour envers Dieu, que nous sommes obligés d’aimer ? Dites un mot et vous nous obtiendrez cet amour.  Nous ne vous demanderons pas d’autre grâce que celle-là.  Ah ! ma Mère, par le grand amour que vous portez à Jésus, exaucez-nous, priez pour nous. Ainsi soit-il.

             § 3 – De la charité de Marie envers le prochain.

L'amour envers Dieu et envers le prochain nous est impose par le même précepte (Jean 4, 21).  La raison en est, dit saint Thomas, que celui qui aime Dieu aime tout ce qui est aime de Dieu. Sainte Catherine de Gênes disait un jour a Dieu : Seigneur, vous voulez que j'aime mon prochain, et je ne puis rien aimer que vous.  Dieu lui répondit : Celui qui m'aime, aime tout ce qui m'est cher.  Or comme il n'y a jamais eu, et comme il n'y aura jamais de créature plus enflammée d'amour pour Dieu que Marie, ainsi il n'y a jamais eu, et il n'y aura jamais de créature plus dévouée qu'elle à son prochain.  Corneille de La Pierre, expliquant un texte des Cantiques (Cant. 3, 9), dit que le Verbe incarné dans le sein de Marie, remplit sa Mère de charité afin qu'elle aidât quiconque s'adressant à elle.  Marie était si remplie de charité quand elle vivait sur la terre, qu'elle secourait ceux qui avaient besoin de son aide, sans même qu'ils le demandassent : citons pour preuve les noces de Cana, ou elle demanda a son Fils le miracle du vin, en lui exposant l'embarras de la famille (Jean 2).  Oh ! quel était son empressement lorsqu'il s'agissait de secourir le prochain ! par exemple, quand elle alla chez Elisabeth pour y remplir un office de charité (Luc I).  elle ne put nous prouver cette grande charité qu'en offrant son Fils a la mort pour notre salut.  Et cette charité de Marie envers nous, dit saint Bonaventure, ne s'est point affaiblie dans le Ciel ; elle s'y est au contraire beaucoup accrue.  L'ange déclara a sainte Brigitte que nul ne prie la Vierge sans recevoir les grâces qu'il attend de sa charité (Rev. l. 3, ch. 30).  Malheur a nous, si Marie n'intercédait en notre faveur ! Jésus lui-même le dit a la Sainte (l. 6, ch. 29).

Heureux, dit la divine Mère, celui qui m'écoute, et qui observe ma charité, pour se montrer ensuite, a mon exemple, charitable envers les autres (Prov. 8, 34) !  Saint Grégoire de Nazianze dit qu'il n'y a pas de meilleure manière de conquérir l'affection de Marie que d'user de charité envers le prochain.  Marie adresse spécialement a ses serviteurs (Luc. 6, 63) la recommandation que Dieu nous fait a cet égard. Il est certain que Dieu et Marie seront miséricordieux envers nous comme nous l'aurons été envers les autres.  Donnez au pauvre, dit saint Méthode, et recevez en échange le paradis. L'Apôtre a écrit que la charité envers le prochain nous rend heureux dans cette vie et dans l'autre (2 Tim. 3, 5). Et saint Jean Chrysostome explique un passage des Proverbes (Prov. 2, 2) en ce sens, que secourir les indigents, c'est faire Dieu son débiteur.  O Mère de miséricorde ! vous qui êtes pleine de charité pour tout le monde, n'oubliez pas mes misères. Vous les voyez. Recommandez-moi donc a ce Dieu, qui ne vous refuse rien.  Obtenez-moi la grâce de pouvoir vous imiter dans votre saint amour envers le Seigneur et envers le prochain. Ainsi soit-il.

             § 4 – De la foi de Marie

La bienheureuse Vierge, Mère de la charité et de l'espérance, l'est aussi de la foi (Eccles. 24, 24). Saint Irénée dit avec raison que Marie répara par sa foi le dommage qu'Ève causa par son incrédulité.  Ève crut le serpent, malgré la défense de Dieu, et engendra la mort ; notre Reine, au contraire, crut Gabriel, qui lui annonçait qu'elle deviendrait la Mère du Seigneur sans cesser d'être vierge, et elle engendra le salut.  C'est pourquoi saint Augustin déclare que Marie, en donnant son consentement a l'incarnation du Verbe, ouvrit le paradis aux hommes par sa foi.  Richard, expliquant un texte de saint Paul (I Cor. 7, 14) a la même pensée.  C'est a cause de cette foi que sainte Elisabeth appela la Vierge bienheureuse (Luc I, 45), et saint Augustin insiste sur ce point.
 

Le Père Suarez déclare que Marie eut plus de foi que tous les hommes et que tous les anges. Elle voyait son Fils dans l'étable de Bethléem, et elle croyait le créateur du monde.  Elle le voyait fuir Hérode, et elle ne laissait pas que de croire qu'il était t le Roi des rois.  Elle le vit naître et le crut éternel. Elle le vit pauvre, ayant besoin d'aliments, et elle le crut maître de l'univers ; couche sur le foin, et elle le crut tout-puissant.  Elle remarque qu'il ne parlait point, et elle le crut la sagesse infinie.  Elle l'entendit pleurer, sans cesser de le croire la joie du paradis.  Elle le vit enfin a sa mort méprise et crucifie, et tandis que la foi chancelait chez les autres, Marie persistait a croire fermement qu'il était Dieu. C'est pourquoi, dit saint Antonin, dans l'office des ténèbres, on ne laisse a la fin qu'un seul cierge allume ; les témoignages de saint Léon sur un texte des Proverbes (Prov. 21, 18), et de saint Thomas sur un texte d'Isaïe (Isaïe 6, 3), viennent a l'appui.  Marie, conclut le bienheureux Albert le Grand, eut donc la foi par excellence.  Cette grande foi lui mérita de devenir la lumière de tous les fidèles, comme la nomme saint Méthode, la reine de la foi orthodoxe, comme dit saint Cyrille d'Alexandrie.  Et l'Église attribue a la sainte Vierge, a raison de sa foi, l'extirpation de toutes les hérésies.  Les yeux de Marie, fait observer saint Thomas de Villeneuve sur les paroles de l'Esprit saint, c'est la foi qui la rendit si agréable a Dieu (Cant. 5, 9).

Comment, ainsi que le voudrait saint Idelphonse, imiterons-nous cette foi de MArie ? La foi est tout ensemble un don et une vertu.  Elle est un don de Dieu, en tant que c'est une lumière que Dieu répand dans les âmes ; elle est une vertu, quant a l'exercice que l'âme en fait. La foi ne doit pas nous servir de règle seulement pour croire, mais aussi pour nous conduire, suivant saint Grégoire et saint Augustin.  Avoir une foi vive, c'est vivre selon sa croyance (Hebr. 10, 38). Ainsi vécut la bienheureuse Vierge, a la différence de ceux qui, ne vivant pas selon leur croyance, ont une foi mort, comme dit saint Jacques (Jacques 20, 26).  Diogène cherchait un homme sur la terre. Il semble que Dieu, parmi tant de fidèles, cherche un chrétien. En effet, il y en a bien peu qui soient chrétiens de conduite, la plus grande partie ne l'est que de nom.  Ceux-ci mériteraient qu'on leur adressât ce qu'Alexandrie dit a un lâche soldat qui se nommait aussi Alexandre : Change de nom ou de conduite.  Ou plutôt, suivant le Père Avila, on devrait enfermer ces malheureux comme des fous dans une prison, puisqu'ils croient qu'une éternité est préparée a ceux qui vivent bien, qu'une éternité d'infortune attend ceux qui vivent mal, et que cependant ils vivent comme s'ils ne le croyaient pas.  saint Augustin nous exhorte a voir les choses avec des yeux chrétiens, c'est-à-dire au flambeau de la foi.  C'est du défaut de foi, dit sainte Thérèse, que naissent tous les péchés. Prions donc la sainte Vierge, par le mérite de sa foi, de nous obtenir une foi vive.

             § 5 – De l’espérance de Marie

De la foi naît l'espérance, puisque Dieu nous initie par la foi a la connaissance de sa bonté et de ses promesses, afin que nous nous élevions par l'espérance au désir de le posséder.  Marie, ayant donc eu la vertu de la foi par excellence, posséda encore celle de l'espérance a un degré éminent, et elle put s'appliquer les paroles de David (Ps. 72, 28).  Marie fut la fidèle Épouse du Saint-Esprit, dont parlent les Cantiques (Cant. 8, 5).  Toujours et complètement détache des affections du monde, qu'elle regardait comme un dessert, ne se fiant, ni aux créatures, ni a ses propres mérites, uniquement appuyée sur la grâce divine, en qui elle avait place toute sa confiance, elle avançait toujours dans l'amour de son Dieu.

La sainte Vierge prouva combien était grande sa confiance en Dieu, d'abord lorsqu'elle s'aperçut que saint Joseph son époux, ignorant la cause de sa merveilleuse grossesse, était agite et songeait a la quitter (Matt. 1, 19).  Il semblait alors, comme nous l'avons vu plus haut, qu'il était nécessaire qu'elle découvrit le mystère a Joseph ; mais non, elle ne veut point révéler elle-même la grâce qu'elle a reçue, elle aime mieux s'abandonner a la divine Providence, certaine qu'elle est que Dieu lui-même défendra son innocence et sa réputation.  Elle prouva encore sa confiance en Dieu, lorsque, sur le point d'enfanter, elle se vit exclue a Bethléem des hospices mêmes des pauvres, et réduite a enfanter dans une étable (Luc 2, 7).  Pas une plainte ne lui échappât en ce moment ; mais, s'abandonnant toute entière a Dieu, elle eut la confiance qu'il l'assisterait dans ses besoins.  Cette confiance de la divine Mère dans la Providence éclat toujours lorsque, avertie par saint Joseph qu'il fallait fuir en Égypte, elle se disposa dans la même nuit a entreprendre un si long voyage dans des pays étrangers et inconnus, sans provisions, sans argent, sans autre compagnie que celle de l'Enfant Jésus et de son pauvre époux (Matt. 2, 14). Marie témoigna bien plus encore sa confiance lorsqu'elle demanda a son Fils le miracle du vin en faveur des époux de Cana (Jean 3).  Malgré la réponse de Jésus, qui paraissait rejeter la prière, toute confiante en sa bonté divine, elle dit aux serviteurs de faire ce que son Fils leur commanderait, parce que la grâce était assurée ; en effet, Jésus-Christ fit remplir les cases d'eau, et il la changea ensuite en vin.

Apprenons donc de Marie a espérer, comme il faut, principalement pour la grand affaire du salut éternel, car, bien que notre coopération soit nécessaire, nous devons néanmoins attendre de Dieu seul la grâce indispensable pour y parvenir, dans la défiance de nos propres forces, et dans la conviction que chacun peut tout en celui qui le fortifie (Phil. 4, 33) Ah ! ma très sainte Reine, l'Ecclésiastique me dit que vous êtes la Mère de l'espérance (Eccles. 24), et l'Église que vous êtes l'espérance même (Spes nostra, salve).  Quelle autre espérance pourrais-je donc avoir ? Vous êtes tout mon espoir après Jésus ; je le répéterai toujours avec saint Bernard et saint Bonaventure.

             § 6 – De la chasteté de Marie

Après la chute d'Adam, les sens s'étant révoltés contre la raison, la vertu de la chasteté devint pour les hommes la plus difficile a pratiquer. Que le Seigneur soit cependant à jamais loué de nous avoir donne dans Marie un grand exemple de cette vertu.
C'est avec raison, dit le Bienheureux Albert le Grand que Marie est appelée Vierge des vierges, parce qu'en offrant la première, sans le conseil ni l'exemple de personne, sa virginité a Dieu, elle lui a donne par la toutes les vierges qui l'ont imitée, comme David l'avait prédit (Ps. 41).  Sans le conseil ni l'exemple de personne, ai-je dit, m'appuyant sur saint Bernard.  Ah ! reprend Sophrone, Dieu a choisi pour Mère cette Vierge très pure, pour qu'elle fut a tous un modèle de chasteté. Aussi saint Ambroise affirme-t-il que Marie leva l'étendard de la virginité.

C'est a cause de cette pureté que l'Esprit saint dit de la sainte Vierge qu'elle est belle comme la tourterelle (Apoc.), qu'elle est comparée au lys (Cant. 2), et surtout au lys entre les épines, suivant la remarque de Denys le Chartreux, car sa seule présence inspirait a tous des pensées et des désirs de pureté.  Saint Jérôme se déclare persuade que saint Joseph conserva sa virginité, a cause de la compagnie de Marie, et cela en réfutant l'hérétique Elvidius qui niait celle de la divine Mère. Un auteur prétend que la B. vierge était si jaloux de cette vertu, que pour la conserver elle aurait été prête a renoncer même a la dignité de Mère de Dieu.  C'est ce qu'on induit de sa réponse a l'archange (Luc. 1), et en particulier de ses dernières parole s (Fiat mihi secondum verbum tuum) qui signifient qu'elle donnait son consentement d'après l'assurance, reçue de Gabriel, qu'elle deviendrait Mère sans autre opération que celle du Saint-Esprit.

Saint Ambroise dit que ceux qui sont chastes sont comme des anges, selon les paroles du Seigneur (Matt. 22).  Mais ceux qui perdent la chasteté, lui deviennent odieux comme les démons.  Saint Remi déplorait que la majeure partie des adultes se perdit par ce vice.  Il est rare de le vaincre, repentons-nous avec saint Augustin ; mais pourquoi ? Parce qu'on n'en prend pas les moyens.  Il y en a trois, disent les maîtres spirituels, d'après Bellarmin. Le jeune, c'est-à-dire la mortification, particulièrement des yeux et de la bouche.  Marie, quoique pleine de la grâce divine, était si mortifiée des yeux, qu'elle les tenait toujours baisses, et ne les fixait sur personne, au rapport de saint Épiphane et saint Jean Damascène ; des son enfance, ajoutent-ils, elle était si modeste qu'elle étonnait tout le monde.  C'est par ce motif que saint Luc fit observer que, dans sa visite a sainte Elisabeth, elle se hâta pour être moins vue du public.  Quant a sa nourriture, Philibert rapporte qu'il fut révélé a un ermite nomme Félix, que Marie enfant ne prenait du lait qu'une fois le jour, et pendant toute sa vie elle jeûna habituellement, comme l'attestent saint Grégoire de Tours et saint Bonaventure. Marie, en un mot, fut mortifiée en toutes choses.

Lesecond moyen est la fuite des occasions(Prv11-14) Selon saint Philippe de Néri, dans la guerre des sens, la victoire ne demeure qu'aux poltrons, c'est-à-dire a ceux qui fuient l'occasion. Marie fuyait, autant qu'elle le pouvait, la vue des hommes, comme l'annonce le mot déjà cite de saint Luc.  Et un auteur fait la remarque que Marie quitta Elisabeth avant que celle-ci eut enfanté. Pourquoi n'attendit-elle pas qu'elle eut enfante ? Afin d'éviter les conversations et les visites qui se seraient succédées chez Elisabeth a cette occasion.  Le troisième moyen est la prière. La sainte Vierge révéla a sainte Elisabeth de l'ordre de saint Benoît, qu'elle n'eut aucune vertu sans peine et sans une oraison continuelle (Sap, 8, 21). Marie, qui est pure, dit saint Jean Damascène, ne supporte par les impurs.  Mais celui qui s'adresse a elle sera certainement délivré de ce vice, en prononçant seulement son nom avec confiance. Le vénérable Père Avila disait que beaucoup de personnes tentées contre la chasteté, avaient vaincu au moyen d'une simple aspiration a la Vierge immaculée. O Marie, très pure colombe, combien sont tourmentes en enfer a cause de ce vice ! Faites, ma Souveraine, que nous recourions toujours a vous dans les tentations, et que nous vous invoquions en disant : Marie, Marie, secourez-moi.  Ainsi soit-il.

             § 7 – De la pauvreté de Marie

Notre aimable Rédempteur, pour nous enseigner de mépriser du monde, voulut être pauvre sur cette terre (2 Cor. 8, 9). Jésus-Christ exhortait à la pauvreté ceux qui voulaient le suivre (Matt. 19, 21). Marie, sa plus parfaite imitatrice, se conforma à son exemple. Le Père Canisius prouve qu’avec l’héritage que ses parents lui avaient laissé, la sainte Vierge aurait pu vivre dans l’aisance ; mais elle préféra rester pauvre, ne se réservant qu’une petite partie de ce bien, et distribuant le reste en aumônes au temple et aux indigents. Plusieurs assurent qu’elle fit même vœu de pauvreté, circonstance qu’elle révéla à sainte Brigitte (Livre 1, ch. 10). Les présents qu’elle reçut des saints Mages n’étaient sans doute pas de médiocre valeur, mais elle les distribua tous aux pauvres, comme l’atteste saint Bernard. La preuve que la divine Mère les distribua sur-le-champ, se tire de ce que, en se présentant au temple, elle n’y offrit point l’agneau, comme le faisaient les riches, d’après le Lévitique (12, 16), mais deux tourterelles ou deux colombes, comme le faisaient les pauvres (Luc 2, 24). Marie, au reste, révéla son état de pauvreté à sainte Brigitte.

Par amour pour la pauvreté, elle ne dédaigna point d’épouser un pauvre artisan tel que saint Joseph, et de s’entretenir ensuite du travail de ses mains, en maniant ??? tour ou l’aiguille, comme l’atteste saint Bonaventure. En un mot, elle vécut toujours pauvre, et mourut pauvre, car on ne sache pas qu’elle ait laissé autre chose à sa mort que deux robes à des femmes qui l’avaient assistée pendant sa vie, comme le rapportent Métaphraste et Nicéphore.

Celui qui aime les richesses ne se sanctifiera point, disait saint Philippe de Néri, et sainte Thérèse ajoutait qu’il est juste que celui qui court après les choses perdues se perde lui-même. Au contraire, déclarait la sainte, la vertu de la pauvreté est un bien qui comprend tous les autres biens. Je dis la vertu de la pauvreté, laquelle, suivant saint Bernard, ne consiste pas seulement à être pauvre, mais à aimer la pauvreté. C’est pourquoi Jésus-Christ a dit : Bienheureux les pauvres d’esprit. Heureux, en effet, parce que ceux qui ne désirent autre chose que Dieu, trouvent en Dieu toute espèce de biens ; la pauvreté fait leur paradis sur la terre, comme elle faisait celui de saint François d’Assise (" mon Dieu et mon tout "). Aimons donc ce bien unique qui renferme tous les biens. Prions le seigneur avec saint Ignace. Et quand nous souffrons de la pauvreté, consolons-nous en songeant que Jésus et sa Mère ont été pauvres comme nous.

Ah ! ma Mère très sainte, vous aviez bien raison de dire qu’en Dieu était toute votre joie (Et exultavit spiritus meus deus salutaris meo), puisqu’en ce monde vous n’ambitionniez et n’aimiez pas d’autre bien que Dieu. Ma Souveraine, écartez-moi du monde, attirez-moi à vous, afin que je n’aime que ce bien unique, qui seul mérite d’être aimé. Ainsi soit-il.

            § 8 - De l’obéissance de Marie

Par l’amour qu’elle avait pour la vertu de l’obéissance, Marie, lors de l’Annonciation, ne se donna pas d’autre nom que celui de servante (Ecce ancilla Domini). En effet, dit saint Thomas de Villeneuve, cette fidèle servante ne contredit jamais le Seigneur ni par ses actions, ni par ses pensées ; mais, dépouillée de toute volonté propre, elle obéit toujours et en toutes choses à celle de Dieu. Elle-même déclara que Dieu s’était complu dans son obéissance (Luc i), puisque l’humilité d’une servante consiste dans sa disposition à obéir. Saint Augustin dit que, par son obéissance, la divine Mère remédia au mal qu’Ève avait causé par sa désobéissance. L’obéissance de Marie fut beaucoup plus parfaite que celle de tous les autres saints, parce que, tous les hommes étant enclins au mal par le péché originel, tous ont de la difficulté à faire le bien ; il n’en fut pas de même de la Vierge. Marie, se trouvant exempte du péché originel, n’avait rien qui l’empêchât d’obéir à Dieu : comme une roue cède au mouvement qu’on lui imprime, elle obéissait docilement à toutes les inspirations divines ; elle ne fit donc autre chose sur la terre que de chercher toujours et d’exécuter ce qui plaisait à Dieu. A sa voix, l’âme de Marie se liquéfiait (Cant. 5, 6) ; cette âme, ajoute Richard, était comme un métal fondu prêt à prendre toutes les formes que Dieu voulait lui donner.

Marie montra bien, en effet, combien elle était disposée à l’obéissance, d’abord lorsque pour plaire à Dieu, elle voulut obéir aussi à l’empereur romain, en faisant de Nazareth à Bethléem un voyage de plus de seize lieues, en hiver, gênée par sa grossesse, et si pauvre qu’elle fut contrainte d’enfanter dans une étable. Elle ne mit point de promptitude, sur l’avis de saint Joseph, à entreprendre cette nuit même le voyage plus long et plus pénible d’Égypte. Silveira demande pourquoi la nécessité de fuir en Égypte fut révélée à saint Joseph, et non point à la Bienheureuse Vierge, qui devait pourtant éprouver davantage la fatigue du voyage ? Et il répond : pour qu’elle exerçât l’obéissance. Mais ce qui démontre par-dessus tout son obéissance héroïque, c’est sa soumission à la volonté divine, lorsqu’elle offrit son Fils à la mort avec tant de fermeté qu’au défaut de bourreaux, dit saint Ildephonse, elle eût été disposée à le crucifier elle-même. Aussi le vénérable Bède, commentant la réponse de Jésus à une femme dont il est parlé dans l’Évangile, déclare-t-il à ce propos que Marie fut plus heureuse par son obéissance à la divine volonté, que pour avoir été faite Mère de Dieu.

Ceux qui pratiquent l’obéissance sont singulièrement agréables à la vierge. Elle blâma vivement un religieux qui, malgré le signal donné pour se rendre au réfectoire s’arrêtait afin d’achever certaines dévotions particulières. La sainte Vierge a parlé à sainte Brigitte de la sécurité qu’on trouve dans l’obéissance au Père spirituel (Rev. L. 6, ch. 11). Saint Philippe de Néri disait que Dieu ne demande point compte de ce qui est exécuté par obéissance, parce qu’il a fait de cette vertu une obligation (Luc 10, 16). La Mère de Dieu révéla aussi à sainte Brigitte qu’elle avait obtenu du Seigneur par le mérite de son obéissance, que tous les pécheurs repentants qui s’adresseraient à elle seraient pardonnés. Ah ! notre Reine et notre Mère, priez Jésus pour nous ! obtenez-nous par le mérite de votre obéissance d’être fidèles à nous soumettre à sa volonté et aux ordres de nos Pères spirituels. Ainsi soit-il.

            § 9 – De la patience de Marie

La terre étant un lieu de mérite, on l'a justement appelée vallée de larmes, puisque nous y sommes tous pour souffrir, et pour y conquérir par la patience la vie éternelle à nos âmes (Luc 21, 19). Dieu nous a donné la Vierge Marie comme modèle de toutes les vertus, mais spécialement comme exemple de patience. Saint François de Sales fait entre autres cette réflexion, que Jésus n'adressa à la sainte Vierge, aux noces de Cana, une réponse où il semblait peu tenir compte de ses prières, qu'afin de nous proposer un exemple de la patience de sa sainte Mère. Mais qu'est-il besoin de chercher ? Toute la vie de Marie fut un continuel exercice de patience, puisque, suivant la révélation de l'ange à sainte Brigitte, la sainte Vierge vécut toujours dans les peines. La seule compassion aux tourments du Rédempteur suffit pour la rendre martyre de patience. Quant à ce qu'elle souffrit d'ailleurs dans le voyage et dans le séjour en Égypte, ainsi que pendant tout le temps qu'elle vécut avec son Fils à Nazareth, nous l'avons apprécié plus haut en parlant de ses douleurs. La seule présence de Marie auprès de Jésus mourant sur le Calvaire, suffit pour montrer combien sa patience fut constante et sublime. Ce fut alors que, par le mérite de sa patience, dit le bienheureux Albert le Grand, elle devint notre Mère et nous enfanta à la vie de la grâce.

Si donc nous désirons être enfants de Marie, nous devons chercher à imiter sa patience. Quel meilleur moyen, demande saint Cyprien, de nous enrichir de mérites en cette vie et de gloire dans l'autre, que de souffrir patiemment les peines qui nous arrivent ? Comme on entoure la vigne d'épines pour la conserver, ainsi Dieu entoure ses serviteurs de tribulations pour qu'ils ne s'attachent point à la terre. La patience, conclut saint Cyprien, nous garantit du péché et de l'enfer. La patience fait les saints (Jac. 1, 4), en nous faisant porter en paix et les croix qui viennent directement de Dieu, comme les maladies, la pauvreté, etc., et celles qui viennent des hommes, les persécutions, les injures, etc. Saint Jean vit tous les saints avec des palmes, signes du martyre, à la main (Ap. 7, 9), ce qui signifie que tous les adultes qui se sauvent doivent être martyrs ou de sang ou de patience. Oh ! quel fruit portera dans le Ciel chaque peine soufferte pour Dieu. Aussi l'Apôtre nous anime à souffrir (2 Cor. 3, 17). Et sainte Thérèse nous donne ce bel avertissement, que celui qui embrasse la croix ne la sent point ; quand on se résout à souffrir, la peine est finie. Lorsque nous sommes accablés par les croix, recourons à Marie. Ah ! ma très douce Maîtrese ! innocente, vous souffrîtes avec tant de patience, et moi coupable qu ai mérité l'enfer, je refuserais de souffrir ! Ma Mère, je vous demande aujourd'hui la grâce, non point d'être délivré des croix, mais de les porter avec patience. Je vous conjure, pour l'amour de Jésus-Christ, de m'obtenir de Dieu cette grâce ; c'est par vous que je l'espère. Ainsi soit-il.

           § 10 – De l’esprit d’oraison de Marie

Il n'y a jamais eu d'âme sur la terre qui ait suivi avec autant de perfection que la bienheureuse Vierge, le grand précepte du Sauveur : Il faut toujours prier, et sans jamais cesser (Luc. 18, 1). Personne ne pourrait mieux que Marie nous fournir l'exemple et nous apprendre la nécessité de la persévérance dans la prière. Le bienheureux Albert le Grand atteste que que la divine Mère fut, après Jésus-Christ, la plus parfaite dans l'oraison. Premièrement, parce que son oraison fut continuelle et persévérante. Dès le premier moment où elle reçut la vie, et avec la vie le parfait usage de la raison, comme nous l'avons dit dans le discours sur sa nativité, elle commença à prier. Afin même de mieux vaquer à sa prière, elle voulut à l'âge de trois ans s'enfermer dans la retraite du temple, où, indépendamment des heures destinées à l'oraison, elle se relevait la nuit pour aller prier devant l'autel, comme elle l'a dit à sainte Élisabeth, vierge. Afin de méditer toujours les peines de Jésus-Christ, dit Odilon, elle visitait aussi le lieu de ses souffrances. En outre, son oraison était profondément recueillie, exempte de distraction et de désordre.

L'amour de la sainte Vierge pour l'oraison lui en donnait tant pour la solitude qu'elle s'abstint dans le temple dit sainte Brigitte, de communiquer avec ses parents. Saint Jérôme a fait sur un texte d'Isaïe (ch. 7) la réflexion que le mot virgo en hébreu signifie proprement vierge retirée, de sorte qu'en l'employant, le prophète prédisait l'amour que Marie aurait pour la solitude. Richard et saint Vincent Ferrier établissent encore le goût de Marie pour la retraite. La diligence qu'elle mit à se rendre chez sa cousine Élisabeth, dit saint Ambroise, montre aux vierges qu'elles doivent fuir le monde. Saint Bernard affirme que l'amour de Marie pour l'oraison ou la solitude la rendait attentive à fuir la conversation des hommes. C'est pourquoi l'Esprit saint lui donne le nom de tourterelle. C'est pourquoi aussi la sainte Vierge vécut dans ce monde comme dans un désert (Cant. 5, 6).

Philon dit que le Seigneur ne parle aux âmes que dans la solitude. Et Dieu lui-même l'a déclaré par la bouche d'Osée (2, 14). C'est que la solitude et le silence dont on y jouit, invitent l'âme à quitter les pensées de la terre pour méditer les biens du Ciel. Vierge très sainte, obtenez-nous l'esprit d'oraison et de retraite, afin que détachés de l'amour des créatures, nous puissions n'aspirer qu'à dieu seul et au paradis, où nous espérons vous voir un jour, pour y louer sans cesse et pour y aimer avec vous votre Fils Jésus-Christ dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

DIVERS EXERCICES DE DEVOTION
EN L’HONNEUR DE LA MERE DE DIEU AVEC LEURS PRATIQUES

La Reine Du Ciel est si généreuse et si reconnaissante,q u'en retour des plus petits services, elle accorde de grandes grâces. Néanmoins, deux choses sont nécessaires pour être ainsi récompensé : d'abord, il faut présenter ses dévotions avec une âme exempte de péché ; sans quoi Marie nous ferait la même réponse qu'à ce soldat vicieux qui pratiquait chaque jour quelque acte de dévotion en son honneur. Un jour qu'il était pressé d'une grande faim, la sainte Vierge lui apparut, et lui présenta un mets exquis, mais dans un vase si sale qu'il n'osa point y toucher. Je suis, dit alors Marie, la Mère de Dieu, venue pour vous secourir dans votre faim. Mais dans ce vase ! reprit le soldat, je ne saurais en goûter. Et comment voulez-vous, répliqua la Vierge, que j'agrée vos dévotions, lorsque vous me les offrez avec une âme si chargée de vices ? Le soldat, converti par cette leçon, se fit ermite, vécut trente années dans le désert, et la sainte Vierge lui apparaissant de nouveau à sa mort, le conduisit au Ciel. Nous avons dit, dans la première partie (Gloires de Marie), qu'il est impossible, moralement parlant, qu'un serviteur de Marie se damne : ce qui est vrai, à la condition qu'il vive sans péché, ou qu'il ait du moins le désir d'en sortir, parce qu'alors Marie l'aidera. Si quelqu'un, au contraire, voulait pécher dans l'espoir que la sainte Vierge le sauverait, il se rendrait par sa faute indigne et incapable d'en être protégé. La seconde condition consiste à persévérer dans sa dévotion envers Marie. Thomas à Kempis avait coutume dans sa jeunesse d'adresser chaque jour certaines prières à la Vierge ; un jour il les omit, puis les négligea pendant quelques semaines, enfin les abandonna tout à fait. Une nuit, il vit en songe Marie qui embrassait ses compagnons, mais, s'adressant à lui : Qu'espérez-vous, dit-elle, vous qui avez abandonné vos pratiques de dévotion ? Éloignez-vous, vous êtes indigne de mes embrassements. Thomas se réveilla saisi de frayeur et reprit ses prières accoutumées. Richard loue aussi la persévérance, personne aussi ne peut être sûr de son salut, jusqu'à la mort. C'est donc une mémorable leçon que celle donnée au moment de sa mort, à ses compagnons, par le vénérable Jean Berchmans, de la compagnie de Jésus ; comme ils lui demandaient quelles dévotions ils devaient offrir à la Vierge pour lui être agréables et obtenir sa protection : Les moindres choses, répondit-il, pourvu qu'on les fasse avec constance. Je vais cependant indiquer, d'une manière simple et courte, diverses dévotions au moyen desquelles nous pouvons concilier notre Mère divine ; c'est, à mon avis la partie la plus utile de ce petit ouvrage. Mais je recommande moins à mon cher lecteur de les pratiquer toutes, que de pratiquer celles qu'il aura choisies avec persévérance, et avec la crainte de perdre la protection de Marie, s'il venait à les interrompre. Oh ! combien brûlent maintenant en enfer, et qui se seraient sauvés, s'ils avaient continué les dévotions envers Marie qu'ils avaient commencées !

PREMIERE DÉVOTION

De l'Ave Maria

Cette salutation angélique est infiniment agréable à la sainte Vierge, parce qu’il semble que par là on lui renouvelle la joie qu’elle ressentit quand saint Gabriel lui annonça qu’elle avait été choisie pour être la Mère de Dieu ; nous devons, dans cette intention, la saluer par l’Ave Maria. C’est ce que Thomas à Kempis nous recommande ; et la Mère de Dieu dit elle-même à sainte Mechtilde qu’on ne peut mieux faire que de la saluer par l’Ave Maria. Quiconque salue Marie en sera salué à son tour. Saint Bernard entendit un jour une statue de la sainte Vierge prendre réellement une voix humaine et lui dire : " Je te salue, Bernard. " Or le salut de Marie, dit saint Bonaventure, est une grâce par laquelle elle répond à celui qui la salue volontiers par un Ave Maria. La mère de Dieu pourra-t-elle, ajoute Richard, refuser à celui qui vient à elle avec l’Ave Maria. Marie promit elle-même à sainte Gertrude autant de grâces à l’heure de la mort qu’elle aurait récité d’Ave Maria. Le bienheureux Alain assurait qu’à la récitation de l’Ave Maria, tandis que le ciel entier est dans la joie, le démon tremble et prend la fuite. Et c’est précisément ce que Thomas à Kempis atteste d’après sa propre expérience : le démon lui étant une fois apparu prit aussitôt la fuite, dès qu’il entendit ces paroles : Ave Maria.

La pratique de cet hommage consistera :

1° à dire chaque jour, matin et soir, en se levant et se couchant, trois Ave Maria, la face contre terre, ou du moins à genoux, ajoutant à chaque Ave Maria cette courte prière : " Par votre pure et immaculée conception, ô Marie, purifiez mon corps et sanctifiez mon âme. " Demander ensuite à Marie, comme à notre mère, sa bénédiction, comme faisait toujours saint Stanislas ; et puis se placer en esprit sous le manteau de Marie, la priant de nous garder de tout péché, pendant le jour ou la nuit qui doit suivre. Il est bon d’avoir à cette fin une belle image de Marie auprès du lit.

2° Dire l’Angélus, avec les trois Ave de coutume, le matin, à midi et le soir. Le premier pape qui attacha une indulgence à cette dévotion fut Jean XXII. Et cela, comme le rapporte le Père Crasset, à l’occasion d’un criminel condamné au feu, qui, ayant invoqué Marie la veille de son Annonciation, demeura au milieu des flammes sans que même ses vêtements en fussent endommagés. En dernier lieu, Benoît XIII accorda cent jours d’indulgence à quiconque récite cette prière, et au commencement du mois indulgence plénière à quiconque la récite après s’être confessé et avoir communié. Le Père Crasset assure que d’autres indulgences ont été accordées par Clément X à quiconque ajoute à la fin de chaque Ave Maria ces mots : Deo gratias et Mariae, c’est-à-dire : Grâces à Dieu et à Marie !

Autrefois au son des cloches on voyait chacun s’agenouiller pour dire l’Angélus. Maintenant quelques-uns auraient honte de le faire. Mais saint Charles Borromée n’avait pas honte, lui, de descendre de carrosse ou de cheval pour le réciter dans la rue, et même quelquefois les genoux dans la boue. On raconte d’un religieux qui, par paresse, ne s’agenouillait pas au signal de l’Angélus, qu’il vit le clocher s’incliner trois fois, et l’entendit lui dire : " Voilà que tu ne fais pas ce que font les créatures inanimées. " On remarquera que dans le temps pascal, ainsi que l’a expliqué Benoît XIV, on récite l’antienne Regina Coeli au lieu de l’Angélus, et que depuis les vêpres du samedi pendant toute la journée du dimanche l’Angélus se dit debout.

3° Saluer la mère de Dieu par l’Ave Maria, toutes les fois qu’on entend sonner l’horloge. Alphonse Rodriguez saluait Marie à toutes les heures ; la nuit, quand l’heure sonnait, les anges venaient l’éveiller, afin qu’il n’y manquât pas une seule fois.

4° En sortant de chez soi, et en rentrant, saluer Marie par un Ave, afin que dehors et dedans elle nous garde de tout péché ; lui baiser chaque fois les pieds, comme le pratiquent les pères chartreux.

5° Honorer d’un Ave toute image de Marie que nous rencontrons. Et, à cette intention, quiconque le pourra, fera placer dans le mur de sa maison quelque belle image de la Vierge, afin qu’elle soit saluée de ceux qui passent dans les rues. A Naples, et plus encore à Rome, on voit ainsi dans les rues un grand nombre de fort belles images de la Vierge que les personnes pieuses y ont placées.

6° La sainte Église ordonne que toutes les heures canoniales soient précédées de la salutation angélique, et que par là aussi se termine l’office l ainsi il serait bien de dire un Ave Maria au commencement et à la fin de toutes nos actions : je dis de toutes nos actions, soit spirituelles, comme l’oraison, la confession, la communion, la lecture spirituelle, l’assistance au sermon et semblables ; soit temporelles, comme l’étude, les consultations, le travail des mains, le repas, le coucher, etc. Heureuses les actions qui se trouveront ainsi renfermées entre deux Ave Maria ! Également quand on s’éveille le matin, quand on ferme les yeux pour s’endormir, dans toutes les tentations, dans tous les dangers, dans tous les mouvements de colère et occasions semblables, réciter toujours un Ave Maria. Mon cher lecteur, suivez cette pratique, et vous verrez la grande utilité que vous en retirerez. Faites attention du reste que pour chaque Ave Maria il y ait vingt jours d’indulgence. Le Père Auriemma rapporte que la sainte Vierge promit à sainte Mechtilde une bonne mort, si chaque jour elle récitait trois Ave Maria, en l’honneur de sa puissance, de sa sagesse et de sa bonté. En outre, elle dit elle-même à la bienheureuse Jeanne de France que rien ne pouvait lui être plus agréable que l’Ave Maria, surtout récité dix fois en l’honneur de ses dix vertus. Voyez à ce sujet le Père Marracci, qui cite nombre d’indulgences attachées à ces dix Ave Maria.

DEUXIÈME DÉVOTION

Des Neuvaines

Les serviteurs de Marie sont pleins d’attention et de ferveur pour célébrer les neuvaines de ses fêtes ; et en retour la sainte Vierge se montre alors pleine de tendresse par la distribution de grâces sans nombre et toutes spéciales. Sainte Gertrude vit un jour sous le manteau de Marie un groupe nombreux d’âmes que l’auguste reine contemplait avec une tendre affection, et il lui fut dit que c’étaient des âmes qui dans les jours précédents s’étaient préparées par des exercices de piété à la fête de l’Assomption. Les exercices qu’on peut faire dans les neuvaines sont les suivants :

1° Faire l’oraison mentale matin et soir, avec la visite au Très Saint Sacrement et y joindre neuf fois Pater, Ave, Gloria Patri.

2° Faire trois visites à Marie devant quelqu’une de ses images, remerciant le Seigneur des grâces qui lui ont été accordées ; et demande chaque fois à la Vierge quelque grâce spéciale ; et dans quelque une de ces visites lire la prière que nous donnerons après chacune de ses fêtes.

3° Faire plusieurs actes d’amour, au moins cent ou cinquante chaque fois, à Marie et à Jésus, puisque nous ne pouvons rien faire qui soit plus agréable à la divine mère que d’aimer son fils, d’après ce qu’elle dit elle-même à sainte Brigitte : "Si vous voulez vous attacher à moi, aimez mon fils Jésus."

4° Lire chaque jour de la neuvaine pendant un quart d’heure quelque livre qui traite de ses gloires.

5° Pratiquer quelque mortification extérieure, telle que le cilice, la discipline ou autre semblable ; jeûner ou même s’abstenir à table, du moins en partie, de fruits ou d’autres mets que l’on aime ; mâcher aussi des herbes amères ; et ensuite aux vigiles des fêtes, jeûner au pain et à l’eau; mais toutes ces choses avec la permission du père spirituel. Mais les meilleures mortifications à pratiquer dans ces neuvaines sont les mortifications intérieures, comme de s’abstenir de voir et d’entendre par curiosité, vivre retiré, observer le silence, obéir, ne pas répondre avec impatience, supporter les contradictions, et choses semblables, qui peuvent se pratiquer avec un moindre risque de vaine gloire et un plus grand mérite ; pour celles-là on n’a pas besoin de l’autorisation du directeur. L’exercice le plus utile sera de se proposer au commencement de la neuvaine l’amendement de quelque défaut auquel on est le plus sujet. Ainsi il sera bon dans chacune des trois visites conseillées ci-dessus, de demander pardon des chutes passées, renouveler le ferme propos de n’y plus retomber et implorer l’assistance de Marie. L’hommage le plus cher à Marie est d’imiter ses vertus ; ainsi, outre ce que nous venons de dire, on fera bien dans chaque neuvaine de se proposer quelque vertu spéciale de Marie, qui paraîtra le mieux approprié au mystère la fête. Par exemple, à la fête de la Conception, se proposer la pureté d’intention ; à celle de la Nativité, le renouvellement de l’esprit intérieur, et le commencement d’une vie fervente ; à celle de la Présentation, le détachement de quelque chose à quoi nous nous sentons plus attachés ; à l’Annonciation, l’humilité qui fait supporter les défauts, etc. ; à la Visitation, la charité envers le prochain, soit en faisant l’aumône, soit du moins en priant pour les pécheurs ; à la Purification, l’obéissance aux supérieurs ; enfin, à l’Assomption, pratiquer le détachement, faire tout dans l’intention de se préparer à la mort et régler sa conduite comme si chaque jour devait être le dernier de la vie. De cette manière, les neuvaines seront d’une grande utilité.

6° Outre la communion au jour de la fête, on fera bien de demander encore au père spirituel qu’il l’accorde plusieurs autres fois dans la neuvaine. Le Père Segneri disait que nous ne pouvons mieux honorer Marie que par Jésus ; et Marie elle-même a révélé à une sainte âme, qu’on ne pouvait lui offrir rien de plus agréable que la sainte communion, parce que Jésus-Christ y recueille dans les âmes le fruit de sa passion ; aussi la sainte Vierge ne paraît-elle rien tant désirer de la part de ses serviteurs que la communion, puisqu’elle leur dit : " Venez, mangez de mon pain, et buvez le vin que j’ai préparé pour vous. " (Prov. IX, 5)

7° Enfin, le jour de la fête, après la communion, il faut se dédier au service de cette divine Mère, et lui demander la grâce de la vertu qu’on s’est proposée dans la neuvaine, ou bien quelque autre grâce spéciale. Il sera bon également de choisir tous les ans entre les fêtes de la Vierge celle qui réveille davantage notre dévotion et notre affection pour Marie, et à l’occasion de cette fête, faire une préparation particulière pour nous consacrer de nouveau et d’une manière plus spéciale à son service, la déclarant notre souveraine, notre avocate et notre mère. Nous lui demanderons alors pardon de notre négligence à la servir dans l’année précédente, et nous lui promettrons une plus grande fidélité pour l’année qui va suivre. Enfin, nous la prierons de nous accepter pour ses serviteurs, et de nous obtenir une sainte mort.

TROISIÈME DÉVOTION

Du Rosaire et de l’Office

On sait que la dévotion du très saint rosaire a été révélée à saint Dominique par la sainte Vierge elle-même. Un jour que le saint était plongé dans l’affliction et se plaignait à Marie des hérétiques albigeois, qui dans ces temps là faisaient beaucoup de mal à l’Église, elle lui dit : " Ce terrain sera toujours stérile jusqu’à ce que la pluie y tombe. " Saint Dominique comprit alors que cette pluie était la dévotion du rosaire qu’il devait publier. En effet, le saint alla prêcher en tous lieux cette dévotion ; elle fut embrassée par tous les catholiques à tel point, qu’aujourd’hui il n’est pas de dévotion plus en usage parmi les fidèles de tout rang que celle du très saint rosaire. Que n’ont pas dit les hérétiques modernes, Calvin, Bucer et autres, pour la discréditer ? mais les grands avantages que le monde entier a retiré de cette excellente dévotion sont assez connus. Combien qui par le moyen de cette pratique ont été délivrés du péché ! combien qui ont été conduits à une vie sainte ! combien qui ont fait une bonne mort et maintenant son sauvés ! On peut lire tous les ouvrages qui en parlent ; mais qu’il suffise de savoir que cette dévotion a été approuvée par l’Église, et que les souverains pontifes l’ont enrichie d’indulgences. Toute personne qui récite la troisième partie du rosaire, gagne une indulgence de soixante et dix mille années, ceux qui le récitent en entier quatre-vingt mille, et plus encore si on le récite devant la chapelle du rosaire. Benoît XIII en dernier lieu attacha au rosaire pour quiconque en récite au moins un tiers sur un chapelet bénit par les dominicains, toutes les indulgences qui sont attachés au chapelet de sainte Brigitte, c’est-à-dire cent jours pour tout Ave Maria et Pater noster que l’on récite. De plus ceux qui récitent le rosaire gagnent l’indulgence plénière dans toutes les fêtes principales de Marie et de la sainte Église, ainsi que des saints de l’ordre de Saint-Dominique, pourvu qu’on visite leurs églises après s’être confessé et communié. Mais on remarquera que tout cela s’entend uniquement des personnes inscrites dans le livre du rosaire ; celles-ci gagnent encore le jour où elles s’inscrivent, après s’être confessées et avoir communié, une indulgence plénière ; et si elles portent le rosaire, une indulgence de cent ans ; enfin, si elles font l’oraison mentale une demi-heure par jour, une indulgence de sept ans chaque fois qu’elles la font, et une indulgence plénière au commencement du mois.

Or, pour gagner les indulgences attachées à la récitation du rosaire, il faut en même temps méditer les mystères de chaque dizaine tels qu’ils sont indiqués dans plusieurs ouvrages ; et si quelqu’un ne les savait pas, il suffirait de méditer quelqu’un des mystères de la passion de Jésus-Christ, comme la flagellation, la mort, etc. Il faut ensuite réciter le rosaire avec dévotion, et à ce sujet on remarquera ce que la sainte Vierge elle-même dit à la bienheureuse Eulalie, savoir, que cinq dizaines récitées posément et avec dévotion, lui étaient plus agréables que quinze récitées à la hâte et avec moins de dévotion. Ainsi, on fera bien de réciter le rosaire à genoux, et devant quelque image de la sainte Vierge ; comme aussi de faire au commencement de chaque dizaine un acte d’amour à Jésus et à Marie, en leur demandant quelque grâce. On remarquera en outre qu’il vaut mieux réciter le rosaire en commun que de le réciter seul.

Quant au petit office de la Vierge qu’on dit avoir été composé par Pierre Damien, Urbain II a accordé beaucoup d’indulgences à ceux qui le récitent ; et la sainte Vierge a montré plusieurs fois combien cette dévotion lui est agréable, ainsi qu’on peut le voir dans le père Auriemma. Elle aime aussi beaucoup les litanies, auxquelles sont attachés deux cents jours d’indulgence pour chaque fois qu’on les dit ; l’hymne Ave maris stella, qu’elle prescrivit à sainte Brigitte de réciter chaque jour, et par-dessus tout le cantique Magnificat, puisque dans ce cantique nous la louons avec les mêmes paroles par lesquelles elle loue Dieu.

QUATRIÈME DÉVOTION

Du jeûne

Il est un grand nombre d’entre les serviteurs de Marie, qui tous les samedis et aux veilles de ses fêtes, ont coutume de lui offrir un jeûne au pain et à l’eau. On sait que le samedi est un jour consacré par l’Église en l’honneur de la Vierge, parce que ce jour là, dit saint Bernard, elle demeura inébranlable dans sa foi après la mort de son fils. C’est pour cela que les serviteurs de Marie ne manquent jamais en ce jour de lui offrir quelque hommage particulier, mais principalement le jeûne au pain et à l’eau, selon la pratique de saint Charles Borromée, du cardinal de Tolède, et d’un grand nombre d’autres ; et même l’évêque de Bamberg, Nittard, ainsi que le père Joseph Arriaga de la compagnie de Jésus, passaient le samedi sans prendre aucune nourriture.

Quant aux grâces signalées dont la Mère de dieu a favorisé ceux qui lui ont offert ce pieux hommage, on peut lire dans le père Auriemma. Qu’il nous suffise entre toutes les autres de citer la miséricorde dont fut l’objet ce chef de brigands, qui par cette dévotion mérita encore de vivre après même qu’on lui eût coupé la tête. Ce misérable était en état de péché mortel, et il put ainsi se confesser avant de mourir. Après s’être confessé, il déclara que la sainte Vierge lui avait conservé la vie à cause de son jeûne du samedi, et il expira aussitôt après. Ainsi, offrir à Marie un jeûne tous les samedis, devrait paraître peu de chose à ceux qui prétendent témoigner une dévotion spéciale à Marie, et surtout à ceux qui déjà auraient mérité l’enfer. Je soutiens que celui qui pratique cette dévotion sera difficilement damné ; non pas néanmoins que, si la mort le surprend en état de péché mortel, la sainte Vierge doive faire un miracle pour le sauver, comme il advint à ce brigand ; ce son là des prodiges de la divine miséricorde qui ont lieu bien rarement, et sur lesquels il y aurait folie de fonder l’espoir de son salut éternel : mais je dis que celui qui offrira cet hommage à la Mère de Dieu obtiendra facilement par elle la persévérance dans la grâce divine et une bonne mort. Tous les frères de notre petite congrégation, au moins ceux qui peuvent le faire, jeûnent au pain et à l’eau en l’honneur de Marie ; ceux, ai-je dit, qui peuvent le faire : car si quelqu’un était pour cause de santé dans l’impossibilité de pratiquer ce jeûne, on lui dirait de se contenter le samedi d’un seul mets, ou d’observer le jeûne ordinaire, ou bien encore de s’abstenir de fruits ou d’autres aliments de son goût. Il faut le samedi rendre à Marie tous les hommages particuliers, faire la communion, ou pour le moins entendre la messe, visiter quelque image de la Vierge, porter le cilice, etc. Mais au moins les veilles des sept fêtes de Marie, ceux qui lui sont dévoués auront soin de lui offrir ce jeûne au pain et à l’eau, ou de l’honorer de toute autre manière le mieux qu’il leur sera possible.

CINQUIÈME DÉVOTION

De la visite aux images de Marie.

Le père Segneri dit que le démon n’a pu mieux faire pour se consoler des pertes qu’il a essuyées par l’extinction de l’idolâtrie, que de persécuter les saintes images par le moyen des hérétiques. Mais la sainte Église en a pris la défense jusqu’à l’effusion du sang par le martyre ; et la mère de Dieu a montré même par des prodiges combien elle sait gré à ses dévots du culte et des visites qu’on rend à ses images. Saint Jean Damascène eut la main coupée pour avoir défendu de sa plume les images de Marie, mais sa protectrice la lui rendit miraculeusement. Le père Spinelli raconte qu’à Constantinople tous les vendredis après vêpres, un voile qui était devant l’image de Marie, s’ouvrait de lui-même et qu’il se refermait aussi de lui-même aussitôt après les vêpres du samedi. Saint Jean de Dieu vit pareillement une fois un voile tendu devant une image de la sainte Vierge s’ouvrir de lui-même, en sorte que le sacristain croyant que le saint était un voleur, voulut lui donner un coup de pied, mais son pied demeura paralysé.

Aussi tous les serviteurs de Marie ont-ils coutume de visiter fréquemment et en grande dévotion les images et les églises consacrées en son honneur. Ce son là vraiment, dit saint Jean Damascène, les cités de refuge où nous trouvons moyen d’échapper aux tentations et aux châtiments mérités par nos fautes. Saint Henri, empereur, quand il entrait dans une ville, allait avant toute autre chose visiter quelque église de la Vierge. Le père Thomas Sanchez ne rentrait jamais à la maison sans avoir auparavant visité quelque église de Marie. Que ce ne soit donc pas pour nous une chose pénible de visiter chaque jour notre reine dans quelque église ou chapelle, ou dans notre propre maison : il serait bon d’avoir à cette fin chez nous, dans l’endroit le plus solitaire, un petit oratoire avec l’image de Marie, qu’on aurait soin d’environner de tentures, de fleurs, de chandelles ou de lampes, et devant laquelle on réciterait les litanies, le rosaire, etc. C’est dans cette intention que j’ai composé un petit livret déjà réimprimé huit fois, pour la visite à faire chaque jour du mois tant au Saint-Sacrement qu’à la bienheureuse Vierge. Un serviteur de Marie pourrait encore faire célébrer avec solennité dans une église ou chapelle quelqu’une de ses fêtes, et la faire précéder d’une neuvaine avec exposition du Très Saint-Sacrement, et même des instructions.

Mais il sera bon de rappeler ici le fait que raconte le père Spinelli dans les Miracles de Marie, n° 65. En l’année 1611, la veille de la Pentecôte, il y avait grand concours de peuple à la célèbre chapelle de Marie in Monte-Vergine ; mais cette multitude ayant profané la fête par des bals, des débauches et des indécences, on vit tout à coup un incendie éclater dans l’hôtel où ils étaient, en sorte qu’en moins d’une heure et demie tout fut réduit en cendre, et il y périt plus de quinze cent personnes : cinq seulement survécurent, et déposèrent avec serment avoir vu la mère de Dieu elle-même, qui avec deux torches ardentes allait mettre le feu à l’édifice.

En conséquence, je prie autant qu’il est en moi les serviteurs de Marie, de s’abstenir eux-mêmes et d’engager aussi les autres à s’abstenir d’aller dans ces oratoires de Marie au temps des fêtes, car à ces époques il en revient plus d’avantages à l’enfer que d’honneur à la divine Mère. Quiconque a cette dévotion doit aller les visiter dans les temps où il n’y a pas de concours.

SIXIÈME DÉVOTION

Du scapulaire

De même que les hommes tiennent à honneur d’avoir des gens qui portent leur livrée, ainsi la très sainte Vierge aime à voir ses serviteurs porter son scapulaire ; ce doit être un signe qu’ils se sont consacrés à son service, et qu’ils appartiennent à la famille de la Mère de Dieu. Les hérétiques modernes tournent en ridicule cette dévotion comme de coutume ; mais la sainte Église l’a approuvée par un grand nombre de bulles et d’indulgences. Le père Crasset et Lezzana parlant du scapulaire des Carmes, disent que vers l’an 1251, la sainte Vierge apparut au bienheureux Simon Stock, Anglais de nation, et que lui donnant son scapulaire elle lui dit que ceux qui le porteraient seraient à l’abri de la damnation éternelle. Voici ses propres paroles : " Recevez, mon fils bien-aimé, ce scapulaire de votre ordre : c’est le signe de ma confraternité; privilège personnel pour vous et pour tous les Carmes : celui qui à sa mort s’en trouvera revêtu n’aura point à craindre le feu éternel. " En outre, le père Crasset raconte que Marie était apparue une autre fois au pape Jean XXII, lui ordonna de faire savoir à tous ceux qui porteraient ce scapulaire qu’ils seraient délivrés du purgatoire le samedi après leur mort, ainsi que ce même pontife le déclara textuellement dans sa bulle confirmée depuis Alexandre V, par Clément VII et d’autres papes, comme on peut le voir dans l’ouvrage déjà cité du père Crasset. Or, d’après ce que nous avons remarqué dans la première partie, Paul V donne à entendre la même chose, et semble expliquer les bulles des papes ses prédécesseurs ; car il prescrit dans sa bulle les conditions à observer pour gagner les indulgences attachées à cette pratique ; savoir, l’observance de la chasteté, chacun selon son état, et la récitation du petit office de la Vierge : il avertit ceux qui ne peuvent le réciter d’observer au moins les jeûnes de l’Église, et de s’abstenir de manger de la viande le mercredi.

Les indulgences attachées au scapulaire des Carmes, comme aussi à ceux des Douleurs de Marie, de la Merci, et surtout de la Conception, sont sans nombre, quotidiennes et plénières, pour le temps de la vie t pour le moment de la mort. Quant à moi, j’ai voulu prendre tous ces scapulaires. On saura surtout qu’au scapulaire de l’Immaculée Conception, qui est bénit par les pères Théatins, outre beaucoup d’indulgences particulières, sont attachées toutes les indulgences accordées à quelque ordre religieux, à quelque lieu de dévotion, à quelque personne que ce soit. Et particulièrement en récitant six fois Pater, Ave et Gloria Patri, en l’honneur de la très sainte Trinité et de Marie immaculée, on gagne chaque fois toutes les indulgences de Rome, de la Portioncule, de Jérusalem et de Galice, qui se montent à 533 indulgences plénières, sans parler des indulgences partielles qui sont innombrables. Tous ces détails sont tirés d’une feuille imprimée par les père Théatins eux-mêmes.

SEPTIÈME DÉVOTION

De l’affiliation aux congrégations de Marie.

Il en est qui désapprouvent les congrégations, en disant qu’elles deviennent quelquefois une source de procès, et que plusieurs n’y entrent que par des vues humaines. Mais de même qu’on ne condamne pas les églises et les sacrements, sous prétexte que beaucoup de gens en abusent, ainsi on ne doit pas non plus condamner les congrégations. Les souverains pontifes, au lieu de les condamner, les ont approuvées avec de grands éloges, et les ont enrichies d’indulgences. Saint François de Sales, dans son Introduction, exhorte instamment les séculiers à entrer dans les congrégations. Que ne fit pas saint Charles Borromée pour les établir et les multiplier ? Dans ses synodes il engage positivement les confesseurs à presser leurs pénitents d’y entrer ; et c’est avec raison, car ces congrégations, et surtout celles de la sainte Vierge, sont comme autant d’arches de Noé, dans lesquelles les pauvres séculiers trouvent un refuge contre le déluge de péchés et de tentations dont le monde est inondé. Nous-mêmes, dans le cours de nos missions, nous avons constaté à loisir l’utilité des confréries. Régulièrement parlant, on trouve plus de péchés dans un seul homme qui se tient éloigné de la confrérie, que dans vingt qui la fréquentent. On peut dire que la congrégation est cette tour de David d’où pendent mille boucliers, l’armure des forts (Cant., IV, 4). Et voici la raison pour laquelle les congréganistes y recueillent grand nombre de moyens de défense contre l’enfer, et y trouvent pour conserver la grâce divine des pratiques dont l’usage est bien difficile aux séculiers hors des congrégations.

En premier lieu, un des moyens de se sauver est de penser aux maximes éternelles : " Pensez à vos fins dernières, et vous ne pècherez jamais " (Ecclés. 7, 40). Et s’il y en a tant qui se perdent, c’est qu’ils n’y pensent pas (Jr. 10 21). Mais ceux qui vont à la congrégation trouvent un moyen de se recueillir, pour y penser, dans les méditations, les lectures, et les sermons qu’ils y entendent. " Mes brebis entendent ma voix. " (Jn, 10, 27).

En second lieu, pour se sauver, il est nécessaire de se recommander à Dieu : " Demandez, et vous recevrez. " (Jn 16, 24). Or, c’est ce que font continuellement les membres des confréries, et Dieu les exaucent plus facilement, puisqu’il a dit lui-même qu’il accorde bien volontiers ses grâces aux prières faites en commun : " Si deux d’entre vous s’unissent sur la terre, tout ce qu’ils auront demandé, mon Père le leur accordera. " (Mt 18, 19), Sur quoi saint Ambroise fait cette réflexion : " Beaucoup d’hommes faibles, réunis ensembles, deviennent puissants : et il est impossible que les prières d’une nombreuse réunion ne soient pas exaucées. "

En troisième lieu, dans la congrégation, il est plus facile de fréquenter les sacrements, soit à cause des règlements auxquels on est soumis, soit à cause des exemples qu’on reçoit de la part des autres confrères. Or, par les sacrements on obtient plus facilement la persévérance dans la grâce divine : car le saint concile de Trente a déclaré que la communion est comme un antidote par lequel nous sommes délivrés de nos fautes journalières, et nous sommes préservés du péché mortel.

En quatrième lieu, outre les sacrements il y a dans les confréries une foule de pratiques de mortification, d’humilité, de charité envers les confrères malades et les pauvres. Or, il serait bon que dans toutes les confréries on introduisît ce saint usage d’assister les pauvres malades du pays.

Ce serait une chose bien profitable d’introduire en l’honneur de la Mère de Dieu la congrégation secrète des confrères les plus fervents. Je veux indiquer ici brièvement les exercices qu’on a coutume de pratiquer dans ces congrégations secrètes : 1° On fait une demi-heure de lecture. 2° On dit vêpres et complies du Saint-Esprit. 3° Les litanies de la sainte Vierge, et alors les confrères désignés font quelque acte de mortification, comme de tenir la croix sur leurs épaules, et choses semblables. 4° On fait un quart d’heure de méditation sur la passion de Jésus-Christ. 5° Chacun s’accuse des fautes commises contre la règle, et reçoit la pénitence du directeur. 6° Un frère désigné lit le bouquet des mortifications pratiquées dans la semaine précédente, et ensuite on annonce les neuvaines qui se présentent à cette époque, etc. Enfin on prend la discipline pendant la durée d’un Miserere et d’un Salve Regina, et chacun baise les pieds du crucifix placé au pied de l’autel. Quant au règlement, chaque confrère devrait 1° faire chaque jour l’oraison mentale ; 2° la visite au Saint-Sacrement et à la Vierge ; 3° l’examen de conscience le soir ; 4° la lecture spirituelle ; 5° éviter les jeux et les conversations du monde ; 6° fréquenter la communion et embrasser la pratique de quelques mortifications, comme la chaîne, la discipline, etc. ; 7° recommander chaque jour à Dieu les âmes du purgatoire et les pécheurs ; 8° enfin, si un confrère venait à tomber malade, tous les autres seraient tenus de le visiter. Mais revenons à notre sujet.

On a déjà dit de quelle utilité il est pour le salut de servir la Mère de Dieu ; et les confrères font-ils autre chose que la servir dans la congrégation ? Là que de louanges ils donnent à Marie ! que de prières ils lui présentent ! Là, dès le principe ils se consacrent à son service, la choisissant d’une manière toute spéciale pour leur patronne et leur mère : ils s’inscrivent sur le livre des fils de Marie ; et comme ils ont voulu être ainsi des fils et des serviteurs distingués de Marie, elle les traite ensuite avec distinction et les protége pendant la vie et à la mort. En sorte qu’un confrère peut dire qu’en entrant dans la congrégation il a reçu tous les biens.

Tout confrère doit donc se proposer deux choses : la première est l’intention, c’est-à-dire n’aller à la congrégation dans aucune autre vue que de servir Dieu et sa sainte Mère, et de sauver son âme. La seconde est de ne pas s’absenter de la congrégation pour affaires séculières aux jours prescrits, car il y va pour traiter de l’affaire la plus importante qui puisse l’occuper sur la terre, l’affaire de son salut éternel. Il aura soin en outre d’attirer à la congrégation tous ceux qu’il pourra, et particulièrement d’y faire rentrer des confrères qui l’auraient quittée. Oh ! de quels terribles châtiments le Ciel a puni ceux qui ont abandonné la congrégation de la Vierge ! A Naples un confrère l’avait quittée, et comme on l’exhortait à y rentrer, il répondit : " J’y rentrerai, quand on m’aura rompu les deux jambes et coupé la tête. " Ces paroles furent une prophétie. Peu de temps après, ses ennemis lui rompirent effectivement les jambes et lui coupèrent la tête. Au contraire les confrères persévérants, sont grâce à Marie, pourvus de tous les biens temporels et spirituels. On peut lire dans le Père Auriemma les faveurs spéciales que Marie procure aux congréganistes pendant la vie et à la mort, mais surtout à la mort. Le Père Crasset raconte qu’en 1486 un jeune homme étant sur le point de mourir, s’endormit, et que s’étant éveillé il dit à son confesseur : O mon père, j’ai été en grand danger de me voir damné, mais la sainte Vierge m’a délivré. Les démons ont présenté mes péchés devant le tribunal de Dieu, et ils se préparaient déjà à me traîner en enfer, mais la sainte Vierge est venue et leur a dit : " Où conduisez-vous ce jeune homme ? quel droit avez-vous sur un de mes serviteurs, qui m’a si longtemps servie dans ma congrégation ? " A ces mots les démons se sont enfuis ; et c’est ainsi que j’ai été sauvé d’entre leurs mains. Le même auteur rapporte ensuite qu’un autre congréganiste également à l’article de la mort eut à soutenir un grand combat contre l’enfer : mais ayant remporté la victoire, il s’écria transporté de joie : " Oh ! que c’est un grand bien d’avoir servi Marie dans sa congrégation ! ". Et il mourut aussi pleinement consolé. Ajoutons avec le même auteur qu’à Naples le duc de Popoli disait à son fils en mourant : Mon fils, sachez que le peu de bien que j’ai fait, je reconnais le devoir à ma congrégation ; je ne puis donc vous laisser de meilleur héritage que la congrégation de Marie. J’estime plus l’avantage d’avoir été congréganiste que duc de Popoli.

HUITIÈME DÉVOTION

Des aumônes en l’honneur de Marie

Les serviteurs de Marie ont coutume de faire des aumônes en l’honneur de cette divine mère, et cela particulièrement les jours de samedi. Saint Grégoire parle dans ses Dialogues d’un pieux cordonnier, appelé Deus-dedit, qui distribuait aux pauvres chaque samedi ce qu’il gagnait dans la semaine : de sorte qu’une autre sainte personne vit dans une vision un palais somptueux, que Dieu préparait dans le ciel à ce serviteur de Marie, et auquel on ne travaillait que les jours de samedi. Également saint Gérard, mais n’importe en quel temps, ne refusait jamais rien de ce qui lui était demandé au nom de Marie. Le Père Martin Guttiérez de la compagnie de Jésus en faisait autant, et en retour il put assurer qu’il n’avait jamais demandé aucune grâce à Marie sans l’obtenir. Ce serviteur de la divine mère ayant été tué par les huguenots, elle apparut à ses compagnons avec quelques vierges, par les mains desquelles elle fit envelopper le corps d’un linceul et l’enleva. Saint Ébrard, évêque de Salzbourg, suivait la même pratique, et c’est pour cela qu’un saint religieux le vit semblable à un enfant entre les bras de Marie, qui lui disait : " Voici mon fils Ébrard qui ne m’a jamais rien refusé. " Alexandre de Halès en faisait autant ; et un frère convers de l’ordre de Saint-François lui ayant demandé au nom de Marie de consentir à se faire franciscain, il renonça au monde et entra dans cet ordre. Que les serviteurs de la Vierge ne refusent donc pas de donner chaque jour quelque aumône en son honneur, et de l’augmenter les jours de samedi. Que du moins, s’ils ne peuvent faire autre chose, ils fassent quelque bonne œuvre au nom de Marie, comme d’assister les malades, de prier pour les pécheurs, et pour les âmes du purgatoire, etc. Les œuvres de miséricorde sont infiniment agréables à cette mère de miséricorde.

NEUVIÈME DÉVOTION

Recourir fréquemment à Marie.

De tous les hommages que nous pouvons offrir à notre mère, je soutiens qu’aucun ne lui plaît autant que de recourir souvent à son intercession, en lui demandant assistance dans tous nos besoins particuliers, comme de prendre ou donner conseil, dans nos périls, dans nos peines, dans nos tentations, et surtout dans les tentations contre la pureté. La divine mère nous délivrera certainement alors, si nous recourons à elle en lui adressant la prière Sub tuum, etc., ou l’Ave Maria, ou même seulement en invoquant le saint nom de Marie, qui a une vertu particulière contre les démons. Le bienheureux Santi, franciscain, dans une tentation d’impureté, eut recours à Marie, et la Vierge lui apparaissant aussitôt lui posa la main sur la poitrine et le délivra. Il est bon également en pareil cas de baiser ou serrer entre ses mains le rosaire, le scapulaire, ou bien de regarder quelque image de la sainte Vierge. Et à ce propos on saura que Benoît XIII a accordé cinquante jours d’indulgence à quiconque prononce les noms de Jésus et de Marie.

DIXIÈME DÉVOTION

(Sous ce titre je réunis ici diverses pratiques en l’honneur de Marie)

1° Célébrer, ou faire célébrer, ou du moins entendre la messe en l’honneur de la sainte Vierge. On ne nie point que le saint sacrifice de la messe ne doive être offert qu’à Dieu seul, à qui on l’offre principalement en reconnaissance de son souverain domaine ; mais cela n’empêche pas, dit le saint concile de Trente, qu’on ne puisse en même temps le lui offrir pour le remercier des grâces accordées aux saints et à sa sainte mère, et pour obtenir de ces derniers que, puisqu’on fait ainsi mémoire d’eux, ils daignent intercéder pour nous. C’est pour cela qu’on dit à la messe : " Afin que ce sacrifice serve à leur gloire et à notre salut. " La sainte Vierge elle-même a révélé à une personne que cet hommage d’une messe offerte à son intention, ainsi que trois Pater, Ave et Gloria Patri dits à la très sainte Trinité pour la remercier des grâces faites à Marie, lui sont infiniment agréables ; car ne pouvant par elle-même remercier pleinement le Seigneur de toutes les faveurs qui lui sont accordées, elle est satisfaite de ce que ses enfants l’aident à remplir ce devoir.

2° Révérer les saints qui ont été unis de plus près à Marie, comme saint Joseph, saint Joachim et sainte Anne. La sainte Vierge elle-même recommanda un jour à un gentilhomme la dévotion envers sainte Anne sa mère. Pareillement il faudrait honorer les saints qui ont eu le plus de dévotion à la mère de Dieu, comme saint Jean l’Évangéliste, saint Jean-Baptiste, saint Bernard, saint Jean Damascène, qui fut le défenseur de ses images, saint Ildefonse qui défendit sa virginité.

3° Lire chaque jour quelque livre qui parle des gloires de Marie ; prêcher, ou du moins insinuer à tous, et particulièrement à ses proches, la dévotion envers la Mère de Dieu. Un jour la sainte Vierge dit à sainte Brigitte : " Fais en sorte que tes enfants soient les miens. " Prier chaque jour pour les vivants et pour les morts, qui se sont montrées les plus dévoués à Marie.

On remarquera d’ailleurs les nombreuses indulgences accordées parles souverains pontifes à ceux qui honorent de diverses autres manières cette reine du ciel : 1° cent jours d’indulgence sont accordés à ceux qui diront : " Bénie soit la sainte et immaculée conception de la bienheureuse Vierge Marie ; " et lorsque après le mot immaculée on ajoute et très pure, on gagne encore, dit le Père Crasset, d’autres indulgences pour les âmes du purgatoire. 2° quarante jours d’indulgence à ceux qui récitent le Salve Regina ; 3° deux cent jours à ceux qui récitent les litanies ; 4° vingt jours à ceux qui inclinent la tête aux noms de Jésus et de Marie ; 5° dix mille ans à ceux qui diront cinq Pater et cinq Ave en mémoire de la passion de Jésus et des douleurs de Marie.

Dans l’intérêt des personnes pieuses, je vais encore indiquer ici d’autres indulgences attachées par les souverains pontifes à certaines autres pratiques. 1° Trois mille huit cents ans à ceux qui entendent la messe ; 2° Benoît XIII a accordé sept ans d’indulgence à ceux qui font les actes du chrétien, avec la résolution de recevoir les sacrements pendant la vie et à l’article de la mort. Et si on les continue pendant un mois, indulgence plénière applicable pour les âmes du purgatoire et pour soi-même à l’article de la mort. 3° La rémission du tiers de ses fautes à quiconque récite quinze Pater et Ave pour les pécheurs. 4° Le pape Benoît XIV a accordé plusieurs indulgences à ceux qui font l’oraison mentale pendant une demi-heure chaque jour, et une indulgence plénière une fois le mois, pourvu qu’on se soit confessé et qu’on ait communié. 5° Trois cents jours à ceux qui récitent l’oraison Anima Christi, etc. 6° Cinq ans à ceux qui accompagnent le viatique, et six ans si c’est avec un flambeau. Que si on ne le peut, on gagnera une indulgence de cent jours, en récitant un Pater et un Ave. 7° Deux cents jours à ceux qui se prosternent devant le Très-Saint-Sacrement ; 8° un an et quarante jours à ceux qui baisent la croix ; 9° trente jours à ceux qui inclinent la tête au Gloria Patri. 10° Cinquante jours aux prêtres qui avant la messe récitent Ego volo celebrare missam, etc. 11° Cinq ans à ceux qui baisent l’habit régulier. On peut encore lire dans le Père Viva une liste de diverses autres indulgences. Mais pour gagner les indulgences énumérées ci-dessus, on aura soin de s’y disposer par un acte de contrition.

Je passe sous silence diverses autres pratiques de dévotion qui se trouvent dans plusieurs livres, comme celles des sept allégresses, des douze privilèges de Marie, et semblables. Mais je terminerai cet ouvrage par ces belles paroles de saint Bernard : " O femme bénie entre toutes les femmes, vous êtes l’honneur du genre humain, le salut de notre peuple. Vous avez un mérite qui n’a pas de bornes, et un plein pouvoir sur toutes les créatures. Vous êtes la Mère de Dieu, la souveraine du monde, la reine du ciel. Vous êtes la dispensatrice de toutes les grâces, l’ornement de la sainte Église. Vous êtes l’exemple des justes, la consolation des saints, et la source de notre salut. Vous êtes la joie du paradis, la porte du ciel, la gloire de Dieu. Vous voyez que nous avons publié vos louanges, et nous venons vous supplier, ô mère de bonté, de faire ce qui est impossible à notre faiblesse, d’excuser notre audace, d’agréer nos hommages, et de bénir nos travaux, en imprimant dans tous les cœurs votre amour, afin qu’après avoir aimé et honoré votre fils sur la terre, nous puissions le louer et le bénir éternellement dans le ciel. Amen.

CONCLUSION

Là-dessus, mon cher lecteur et frère, fils affectueux de notre mère Marie, je vous dirai en terminant : Continuez de grand cœur à honorer et à aimer cette bonne mère. Employez-vous aussi de tout votre pouvoir pour qu’elle soit aimée des autres ; et entretenez-vous dans la ferme confiance que si vous persévérez jusqu’à la mort dans une sincère dévotion à Marie, votre salut est assuré. Je finis, non point parce que je n’ai plus rien à dire des gloires de cette grande reine, mais afin de ne pas vous causer trop d’ennui. Le peu que j’en ai dit peut bien suffire pour vous inspirer l’amour du grand trésor que recèle la dévotion à la Mère de Dieu, et elle saura bien y répondre par les effets de sa puissante protection. Agréez donc le désir qui m’a fait entreprendre cet ouvrage, et qui n’était autre que de vous voir sauvé, et devenu un saint en vous voyant devenu le fils affectueux et tendrement passionné de cette aimable reine. Or, si vous reconnaissez qu’en cela mon livre vous a été de quelque utilité, je vous prie d’avoir la charité de me recommander à Marie, et de lui demander pour moi la grâce que je lui demande pour vous, savoir que nous nous voyions un jour en paradis réunis à ses pieds, avec tous ses autres enfants chéris.

Et pour m’adresser à vous, en terminant, ô Mère de mon Sauveur, et ma Mère, ô Marie, je vous prie d’agréer le triste fruit de mes veilles, et le désir que j’ai conçu de vous voir louée et aimée de tous. Vous savez combien j’ai désiré de pouvoir terminer cet opuscule avant la fin de mes jours, qui n’est pas éloignée. Maintenant je dis que je meurs content, puisque je laisse sur la terre un livre qui continuera de vous louer et de vous préconiser, comme je n’ai cessé moi-même de le faire depuis que, par votre entremise, j’ai obtenu de Dieu ma conversion. O Marie immaculée, je vous recommande ceux qui vous aiment, et particulièrement ceux qui auront la charité de me recommander à vous ; donnez-leur la persévérance, sanctifiez-les tous, et ainsi conduisez-nous tous ensemble dans le ciel pour vous y louer d’une voix unanime. Ô ma très-douce mère, il est vrai que je suis un pauvre pécheur, mais je me fais gloire de vous aimer, et je me flatte d’obtenir de vous de grandes choses, entre autres de mourir en vous aimant. J’espère qu’au milieu des angoisses de la mort, lorsque le démon me remettra mes péchés devant les yeux, j’aurai pour me fortifier, la passion de Jésus-Christ d’abord, et puis votre intercession ; en sorte que je pourrai sortir de cette misérable vie dans la grâce de Dieu, et être admis à l’aimer et à vous remercier, ô ma mère, dans les siècles des siècles. Amen. Ainsi je l’espère. Ainsi soit-il.

Ô notre souveraine maîtresse, dîtes pour nous à votre fils : "Ils n’ont pas de vin." Oh ! qu’il est désirable le calice enivrant de ce vin ! L’amour de Dieu inspire jusqu’à l’ivresse le mépris du monde, donne la ferveur, le courage, l’indifférence pour les choses du temps, l’ardeur à se procurer les biens invisibles."

Vous êtes, ô Marie, ce champ plein de fleurs odorantes dont un saint patriarche avait le pressentiment, remplie que vous êtes de grâces et de vertus. Vous avez paru dans le monde comme une aurore lumineuse et empourprée, parce qu’après avoir franchi l’obstacle des péchés originels, vous êtes née avec l’éclat de la connaissance de la vérité, et la pudeur qu’inspire l’amour de la vertu : les puissances ennemies n’ont aucune prise sur vous, parce que vous êtes cette tour à laquelle sont appendus mille boucliers et toutes sortes d’armes pour les hommes forts ; car il n’est pas de vertu qui n’ait en vous son plus bel éclat, et vous réunissez en vous seule tous les mérites de chacun des saints pris à part.

O notre souveraine maîtresse, notre médiatrice, notre avocate, recommandez-nous à votre fils. Faites, ô vierge bénie entre toutes les femmes, par la grâce que vous avez méritée, que celui qui s’est servi de vous pour se rendre participant de notre infirmité et de notre misère, nous rende aussi, au moyen de son intercession, participants de votre béatitude et de votre gloire.

Rose charmante, si vous avez pitié de moi, si vous m’aimez, inspirez-moi tant d’amour que je puisse un jour en mourir.

O ma souveraine, accordez-moi le bonheur de vous aimer toujours, et enfin d’expirer en prononçant votre nom.

Douce Marie, mon espérance, vous êtes l’heureuse étoile qui doit me guider au port, me conduire aux cieux.

Vive Jésus, Marie, Joseph et Thérèse !

Le père Segneri dit que le démon n’a pu mieux faire pour se consoler des pertes qu’il a essuyées par l’extinction de l’idolâtrie, que de persécuter les saintes images par le moyen des hérétiques.

RECUEIL ADDITIONNEL D’EXEMPLES
CONCERNANT LA DÉVOTION A LA TRES SAINTE VIERGE

On voit des gens qui se vantent d'être exempts de préjugés et se font gloire de n'ajouter foi qu'aux seuls miracles consignés dans les saintes Écritures : quant aux autres, ils ne les regardent que comme des histoires et des contes de femmelettes. Mais il est bon de rappeler ici une remarque judicieuse du savant et pieux Père Jean Crasset. Cet auteur a dit qu'autant les gens de bien sont disposés à croire les miracles, autant les hommes pervers sont disposés à les tourner en dérision ; et il ajoute que si c'est une faiblesse de croire tout sans distinction, d'autre part aussi rejeter les miracles qui sont attestés par des hommes graves et pieux, c'est ou infidélité dans celui qui les juge impossibles à Dieu, ou témérité dans celui qui refuse d'en croire de pareils auteurs. Nous pouvons ajouter foi aux récits d'un Tacite, d'un Suétone, et nous pourrions sans témérité ne pas croire sur parole des auteurs chrétiens, dont la science et la probité nous sont connues ? Il y a moins de danger, disait le Père Canisius, à croire et à recevoir ce qui est rapporté avec quelque vraisemblance par des personnes de bien, sans être contesté par les savants, et qui sert d'ailleurs à édifier le prochain, qu'il n'y en aurait à le rejeter avec un esprit dédaigneux et téméraire.

EXEMPLE I. Dans une contrée d'Allemagne il arriva qu'un homme tomba dans une faute grave : ne voulant pas s'en confesser par une mauvaise honte, et d'autre part ne pouvant supporter le tourment des remords de sa conscience, il se mit en chemin pour aller se noyer dans la rivière ; mais ensuite il s'arrêta, et il priait Dieu avec larmes de lui pardonner son péché sans confession. Une nuit, en dormant, il se senti secouer l'épaule, et il entendit même une voix lui dire : " Va te confesser ". Il se rendit à l'église, mais il ne se confessa pas encore. Une autre nuit il entendit la même voix. Il retourna à l'église, mais, arrivé là, il dit qu'il voulait mourir avant de confesser son péché. Cependant, avant de s'en retourner chez lui, il voulut d'abord aller se recommander à la très sainte Vierge, dont il y avait une image dans cette même église. A peine se fut-il agenouillé qu'il se sentit tout changé, il se releva aussitôt, demanda un confesseur, et, pleurant à chaudes larmes pour la grâce qu'il avait reçue de la sainte Vierge, il fit sa confession entière ; et il dit ensuite qu'il avait éprouvé un plus grand contentement que s'il eût gagné tout l'or du monde.

II. Un jeune gentilhomme voyageant par mer se mit à lire un livre obscène qu'il aimait beaucoup. Un religieux lui dit : Çà donc ! feriez-vous un présent à Marie ? Le gentilhomme répondit qu'il y était tout disposé. Eh bien ! continua le religieux, je voudrais que pour l'amour de la sainte Vierge vous déchiriez ce livre et le jetiez à la mer. - Père, le voilà, dit le jeune homme. - Non pas cela ; je veux que vous-même vous fassiez cette offrande à Marie. Il le fit, et à peine de retour à Gênes, sa patrie, la Mère de Dieu embrasa son coeur d'un tel zèle qu'il alla se faire religieux.

III. Un ermite du mont des Oliviers avait dans sa cellule une pieuse image de Marie devant laquelle il faisait beaucoup de prières. Le démon, ne pouvant souffrir une si grande dévotion à la sainte Vierge, le tourmentait continuellement par des tentations d'impureté ; en sorte que le pauvre vieil ermite, ne voyant pas que toutes ses oraisons et ses mortifications l'en délivrassent, dit un jour au malin esprit : Eh ! que t'ai-je fait pour que tu ne me laisses pas vivre en paix ? Alors le démon lui apparut et lui dit : " Tu me donnes bien plus de tourment que je ne t'en donne. Çà donc, jure-moi de garder le secret, et je te dirai ce que tu dois cesser de faire, pour que je ne vienne plus t'importuner. " L'ermite fit le serment, et alors le démon lui dit : Je veux que tu ne te tournes plus vers cette image que tu as dans ta cellule. L'ermite confus alla consulter l'abbé Théodore qui lui dit qu'il n'était point lié par ce serment, et qu'il se gardât bien de manquer à se recommander à Marie devant cette image, comme il le faisait auparavant. L'ermite obéit, et le démon se vit moqué et vaincu.

IV. Un jour, le père Onofria d'Auna, de l'ordre des pieux ouvriers dans le royaume de Naples, vit venir se confesser à lui tout épouvanté une femme qui avait eu des liaisons criminelles avec deux jeunes gens, dont l'un par jalousie avait tué l'autre. Elle raconta au religieux que dans le moment même que ce malheureux jeune homme venait de mourir, il lui avait apparau v^tu de noir, chargé de chaînes, lançant des flammes de toutes les parties de son corps, et un glaive à la main : or, comme il levait le bras pour lui couper la gorge, elle lui avait dit toute tremblante, et en l'appelant par son nom : Que vous ai-je fait pour vouloir me donner la mort ? A cela, le réprouvé plein d'indignation répondit : " Chienne, chienne, chienne, tu me dis : Que t'ai-je fait ? Tu m'as fait perdre Dieu. " Alors elle invoqua la sainte Vierge ; au saint nom de Marie l'ombre disparut, et elle ne la vit plus depuis.

V. Comme saint Dominique prêchait à Carcassonne, en France, on lui conduisit un hérétique albigeois qui, pour avoir voulu décréditer en public la dévotion du rosaire, était tombé au pouvoir des démons. Alors le saint commanda aux malins esprits, de la part de Dieu, de faire connaître s'il était vrai qu'il eût tenu sur le saint rosaire les discours qu'on lui imputait. Eux, se mettant à hurler, dirent aussitôt : Écoutez, chrétiens ; tout ce que cet ennemi est accusé d'avoir dit de Marie et du saint rosaire est vrai. Ils ajoutèrent en outre qu'ils n'avaient aucune force contre les serviteurs de Marie, et qu'à l'article de la mort plusieurs, malgré ce qu'ils avaient mérité, se sauvaient en invoquant Marie. Enfin, ils dirent en dernier lieu : Nous sommes contraints de déclarer que nul ne se damne de ceux qui persévèrent dans la dévotion à Marie et au saint rosaire, parce que Marie obtient aux pécheurs un repentir sincère avant leur mort. Ensuite saint Dominique fit réciter le rosaire par le peuple assemblé, et, ô merveille ! à chaque Ave Maria plusieurs démons sortaient du corps de ce misérable en forme de charbons ardents jusqu'à ce que, le rosaire étant terminé, il se vît entièrement délivré des malins esprits. Ce fait décida un grand nombre d'hérétiques à se convertir.

VI. La fille d'un prince avait pris le voile dans un couvent et quoiqu'elle fût d'un heureux naturel, néanmoins, comme le relâchement s'était introduit dans cette maison, elle faisait peu de progrès dans la vertu. Mais ensuite ayant pris l'habitude, d'après le conseil de son confesseur, de dire le rosaire en méditant sur les mystères, elle changea tellement qu'elle devint l'exemple de toutes les autres. Il arriva de là que les religieuses s'offensant de sa vie retirée, lui donnèrent de terribles assauts pour l'obliger à y renoncer. Un jour, pendant qu'elle récitait le rosaire et priait Marie de l'assister dans cette persécution, elle vit tomber du ciel une lettre, et sur le dehors de la lettre on lisait : Marie, Mère de Dieu, à sa fille Jeanne, salut. Et en dedans : Ma fille chérie, continuez à réciter mon rosaire ; évitez de converser avec ceux qui ne vous portent pas à bien vivre ; gardez-vous de l'oisiveté et de la vaine gloire : faites disparaître de votre cellule deux choses superflues, et je vous protégerai auprès de Dieu. Dans la suite l'abbé de ce monastère étant venu le visiter, voulut le réformer, mais il ne put y réussir. Or, un jour, il vit un grand nombre de démons entrer dans toutes les cellules des religieuses, mais non dans celle de Jeanne : la divine Mère était là qui les repoussait, et on voyait Jeanne prosternée en prière devant elle. L'abbé, connaissant ensuite par les aveux de Jeanne elle-même sa fidélité à réciter le rosaire, et la lettre qu'elle avait reçue, ordonna que toutes les religieuses réciteraient le rosaire, et l'histoire rapporte que ce monastère devint un paradis.

VII. Il y avait à Rome une femme de mauvaise vie appelée Catherine la Belle. Un jour, cette femme ayant entendu saint Dominique prêcher sur la dévotion du saint rosaire, se fit inscrire dans le livre des soeurs. Elle se mit donc à dire le rosaire, mais sans renoncer à la vie déshonnête. Il arriva un soir qu'il se présenta chez elle un jeune homme qui paraissait d'une naissance distinguée ; elle le reçut avec politesse, et comme ils étaient ensemble à souper, elle vit que des mains du jeune homme, pendant qu'il coupait le pain, tombaient comme des gouttes de sang : elle observa ensuite que toutes les viandes qu'il prenait étaient teintes de sang. Elle lui demanda ce qu'était que ce sang. Le jeune homme répondit que le chrétien ne doit prendre aucun aliment qui ne soit teint du sang de Jésus-Christ, et qui ne soit assaisonné du souvenir de sa passion. Sur cette réponse, elle lui demanda toute stupéfaite qui il était. Je vous le ferai connaître plus tard, lui répondit-il. Ensuite, comme ils furent passés dans une autre chambre, le jeune homme changea de figure, et se fit voir à elle couronné d'épines, avec les chairs toutes déchirées, en lui disant : Veux-tu savoir maintenant qui je suis ? ne me connais-tu pas ? Je suis ton Rédempteur. Catherine, quand cesseras-tu de m'offenser ? vois ce que j'ai souffert pour toi. Allons, c'est bien assez de m'avoir offensé jusqu'à ce jour ; change de vie. Alors Catherine se mit à pleurer amèrement, et Jésus lui dit en l'encourageant : Allons, aime-moi désormais autant que tu m'as offensé, et sache que tu as reçu de moi cette grâce par ta fidélité à réciter le rosaire. Là-dessus il disparut. Catherine alla le lendemain matin se confesser à saint Dominique ; ensuite elle donna aux pauvres tout ce qu'elle avait, et mena une vie si sainte qu'elle parvint à la plus haute perfection. La Vierge lui apparut plusieurs fois, et il fut révélé à saint Dominique par Jésus-Christ lui-même que cette pénitent lui était devenue extrêmement chère.

VIII. Le bienheureux Alain raconte qu'il y eut autrefois une dame appelée Doménique, laquelle d'abord récitait fidèlement le rosaire, mais qui ayant ensuite abandonné cette pratique, tomba dans une telle pauvreté qu'un jour, par désespoir, elle se donna trois coups de couteau. Mais comme elle respirait encore et que les démons se préparaient à la conduire en enfer, la très sainte Vierge lui apparut et lui dit : Ma fille, vous m'avez oublié, mais je n'ai pas voulu vous oublier en considération du rosaire que jadis vous récitiez en mon honneur. Eh bien ! ajouta Marie, si vous continuez à le réciter, je vous rendrai la vie et même les biens que vous avez perdus. Ensuite elle se leva parfaitement guérie, reprit la pratique du rosaire, et recouvra ses biens. A son dernier moment elle fut de nouveau visitée par Marie qui la loua de sa fidélité, et elle fit une sainte mort.

IX. Il y avait à Saragosse un homme de haute naissance, mais extrêmement dépravé ; il se nommait Pierre, et était parent de saint Dominique. Or, un jour que le saint prêchait dans une église, il vit entrer Pierre, et pria le Seigneur de montrer à toute l'assistance l'état de ce malheureux pécheur. Aussitôt, Pierre parut aux yeux de tous semblable à un monstre de l'enfer, entouré et traîné par une foule de démons. Tout le monde prit la fuite, même l'épouse de Pierre qui était dans l'église, ainsi que ses domestiques qui l'accompagnaient. Alors saint Dominique lui envoya dire par un de ses amis de se recommander à Marie et de se mettre à réciter le rosaire qu'elle lui envoyait. D'après ce message, Pierre s'humilia, envoya remercier le saint, et obtint de Dieu la grâce de voir lui-même les démons dont il était entouré. Ensuite il alla se confesser au saint lui-même en versant un torrent de larmes, et il en reçut l'assurance que déjà il était pardonné. Continuant depuis à dire le rosaire, il parvint à un si heureux état de perfection qu'un jour le Seigneur le fit paraître aux yeux de tous dans l'église couronné de trois couronnes de roses.

Si l'on voulait encore d'autres exemples concernant le rosaire, on n'aurait qu'à lire ceux qui sont rapportés dans l'explication du Salve.

X. Sur les montagnes de Trente vivait un brigand fameux, pressé un jour par un religieux de changer de vie, répondit qu’il n’y avait plus pour lui de remède. Non, dit alors le religieux, faites ce que je vous dis, jeûnez le samedi en l’honneur de Marie, abstenez-vous ce jour-là de faire tort à qui que ce soit, et elle vous obtiendra la grâce de ne pas mourir dans l’inimitié de Dieu. Le bon larron suivit ce conseil, il en fit même le vœu, et pour ne plus y manquer à l’avenir, il allait sans armes les jours de samedi. Il arriva qu’un jour de samedi il rencontra la force armée, et pour ne pas rompre son vœu, il se laissa prendre sans résistance. Le juge le voyant vieux et décrépit, voulait lui sauver la vie ; mais lui, pénétré des sentiments de componction que lui avait obtenus Marie, il dit qu’il voulait mourir en punition de ses péchés. Ensuite, dans la salle même du tribunal, il voulut confesser en public toutes les fautes de sa vie entière, et il le fit avec tant de larmes que tout le monde en pleura d’attendrissement ; il fut décapité, et une fosse ayant été creusée, il fut enseveli tout simplement. Mais ensuite on vit la Mère de Dieu, qui, accompagnée de quatre vierges saintes, fit retirer le cadavre de ce lieu et le fit envelopper d’une riche étoffe brochée d’or. Ensuite elles le transportèrent elles-mêmes à la porte de la ville, et la sainte Vierge dit aux gardes : " Allez dire à l’évêque de ma part qu’il donne une sépulture honorable en telle église à ce défunt, parce qu’il fut mon serviteur fidèle. " On le fit, et tout le peuple étant accouru en ce lieu, on put voir le cadavre avec la riche draperie et la bière. A dater de ce jour, au rapport de Césaire, tous les habitants de ce pays se mirent dans l’usage de jeûner le samedi.

XI. Un Portugais, zélé serviteur de Marie, avait conservé toute sa vie l’habitude de jeûner chaque samedi au pain et à l’eau en l’honneur de Marie ; et il avait choisi pour avocats auprès d’elle saint Michel et saint Jean l’Évangéliste. Arrivé à l’article de la mort, la reine du ciel lui apparut avec ces deux saints qui intercédaient pour lui ; et la sainte Vierge, jetant sur son serviteur un regard de satisfaction, répondit aux deux saints : " Je ne partirai point d’ici sans conduire avec moi cette âme. "

XII. Dans une de nos missions, après le sermon sur la sainte Vierge que nous sommes dans l’usage de faire, un vieillard fort âgé vint trouver un des pères de notre congrégation pour se confesser, et plein de consolation il lui dit : " Père, la Vierge m’a fait une grâce. – Et quelle grâce t’a t’elle faite ? lui demanda le confesseur. – Sachez, mon père, répondit-il, que je fis, il y a trente ans, une confession sacrilège, n’osant avouer un péché ; et avec cela j’ai couru bien des dangers, et j’ai été plusieurs fois à l’article de la mort, en sorte que si je fusse mort en ces occasions, j’étais certainement damné ; mais voici maintenant que la sainte Vierge m’a fait la grâce de me toucher le cœur. " Il disait cela en pleurant et en versant tant de larmes que c’était pitié de le voir. Or, le père, après l’avoir confessé, lui demanda quelle dévotion il avait pratiquée. Il dit qu’il n’avait jamais manqué les samedis de s’abstenir de laitage en l’honneur de Marie, et que pour cela la Vierge avait eu compassion de lui. Après quoi il permit au père de publier le fait.

XIII. Dans le pays de Normandie, un voleur fut tué par ses ennemis qui lui coupèrent la tête ; mais la tête ayant été jetée dans un vallon, fit entendre ce cri : " Marie, accordez-moi la confession. " Un prêtre accourut, le confessa, et lui demanda quelle dévotion il avait pratiquée. Il répondit qu’il n’avait fait autre chose que jeûner un jour par semaine en l’honneur de la sainte Vierge ; et que pour cela Marie lui avait obtenu la grâce d’échapper à l’enfer par cette confession.

XIV. Deux jeunes gentilshommes habitaient Madrid, et s’entraidaient mutuellement à mener une vie déréglée et dissolue. L’un d’eux vit en songe son ami saisi par des hommes noirs, et transporté vers une mer orageuse. On voulait en faire autant de lui, mais il eut recours à Marie, en faisant vœu d’enter en religion, et il se vit délivré de ces Maures ; ensuite il vit Jésus sur son trône avec un regard menaçant, et la sainte Vierge lui obtenait sa grâce. L’autre ami étant venu le trouver, il lui raconta la vision, et celui-ci ne fit que s’en moquer ; mais vers le même temps il fut tué d’un coup de poignard. De sorte que le jeune homme, voyant l’accomplissement de la vision, se confessa, s’affermit dans la résolution de se faire religieux, et vendit à cet effet tout ce qu’il avait ; mais ensuite, au lieu de donner l’argent aux pauvres comme il l’avait projeté, il le dépensa en débauches et en excès. Il vint ensuite à tomber malade et eut une autre vision : il lui sembla voir l’enfer s’ouvrir, et le divin juge prononcer l’arrêt de sa condamnation ; il eut de nouveau recours à Marie, et Marie le délivra une seconde fois. Il guérit, et continua de mener une vie pire encore qu’auparavant. Il passa ensuite à Lima dans les Indes, où étant tomber de nouveau malade, et étant à l’hôpital, il fut de nouveau touché de Dieu, et se confessa au Père Francisco Perlino, jésuite, auquel il promit de changer de vie ; mais il ne tint aucun compte de sa promesse. Enfin le même père, entrant un jour dans un autre hôpital situé à une grande distance de là, vit ce misérable étendu par terre et qui s’écriait : " Ah ! désespéré que je suis, pour aggraver ma peine, ce père est encore venu pour être témoin de mon châtiment. De Lima, je suis venu ici après que par mes dérèglements j’aie été réduit à cette extrémité, et maintenant je m’en vais en enfer. " En parlant ainsi il expira sans que le père eût le temps de l’assister.

XV. En Allemagne un criminel fut condamné à mort, mais il s’obstina à ne pas vouloir se confesser. Un père jésuite fit tout au monde pour le convertir. Il le pria, pleura, se jeta à ses pieds, mais voyant qu’il perdait son temps, il lui dit à la fin : Eh bien, récitons ensemble un Ave Maria. Le condamné le fit, et voilà qu’il se mit à pleurer à chaudes larmes, il se confessa avec de grands sentiments de douleur, et voulut mourir en embrassant l’image de Marie.

XVI. Il y avait dans une ville d’Espagne un homme impie, qui s’était donné au démon, et ne s’était jamais confessé, il ne faisait pas d’autre bonne œuvre que de réciter chaque jour un Ave Maria. Le Père Eusèbe de Nieremberg raconte que cet homme étant arrivé à l’article de la mort, la sainte Vierge lui apparut en songe, fixa sur lui un regard, et ce regard miséricordieux de Marie le changea tellement, qu’il envoya aussitôt appeler le confesseur, il se confessa en versant un torrent de larmes, et fit vœu d’entrer en religion s’il vivait, et ce fut dans ces dispositions qu’il mourut.

XVII. Une personne qui avait grande dévotion à Marie, recommandait toujours à sa fille de réciter souvent l’Ave Maria, surtout quand elle serait exposée à quelque danger. Il arriva que cette jeune personne, un jour qu’elle reposait au retour du bal, fut assaillie par le démon qui paraissant sous une forme visible, voulait l’enlever, et il l’avait même saisie à bras le corps, mais elle n’eut qu’à dire un Ave Marie, et le démon disparut.

XVIII. Une femme de Cologne, qui entretenait une liaison criminelle avec un prêtre, le trouva un jour pendu dans sa chambre. Après cela elle entra dans un couvent, où le démon vint encore la tourmenter, même sous une forme visible, en sorte qu’elle ne savait plus que faire. Une de ses compagnes lui suggéra de dire l’Ave Marie ; elle le fit, et le démon lui dit alors : Maudite soit celle qui t’a donné ce conseil. Après quoi il disparut pour ne plus reparaître.

XIX. Un capitaine de mauvaises moeurs, se trouvant dans son château, reçut par hasard la visite d’un bon religieux. Celui-ci, éclairé de Dieu, pria le capitaine de faire venir tous ses domestiques. Ils vinrent tous, mais il y manquait le valet de chambre. Celui-ci enfin étant venu à grande peine, le père lui dit : Or sus, de la part de Jésus-Christ, je te commande de dire qui tu es : Il répondit : Je suis un démon de l’enfer, qui depuis quatorze ans sers ce misérable, j’attendais qu’un jour il vînt à manquer de dire les sept Ave Maria qu’il a coutume de réciter, pour l’étouffer, et l’emporter dans les flemmes éternelles. Alors le religieux ordonna au démon de se retirer, ce qu’il fit en disparaissant aussitôt, et le capitaine se jeta à ses pieds, se convertit, et depuis mena une vie sainte.

XX. Le bienheureux Francesco Patrizi, très zélé pour la dévotion de l’Ave Marie, en récitait cinq cents chaque jour. Marie l’avertit de l’heure de sa mort, de sorte qu’il mourut en saint. Quarante ans après on lui vit sortir de la bouche un lis de toute beauté, qui fut depuis transporté en France, et sur les feuilles duquel était écrit l’Ave Maria en lettre d’or.

XXI. Césaire raconte qu’un frère convers de Cîteaux ne savait dire autre chose que l’Ave Maria, et le récitait continuellement avec grande dévotion. Après sa mort, on vit croître sur le lieu même où il avait été enseveli, un arbre sur les feuilles duquel se trouvait écrit : Ave Maria gratia plena.

XXII. Trois personnes dévotes, pour se préparer à la fête de la Purification de la sainte Vierge, et par le conseil de leur confesseur, récitèrent une première année pendant quarante jours le rosaire entier. La veille de la fête, la divine Mère apparut à la première des trois sœurs avec un riche vêtement brodé en or, et la bénit en la remerciant. Ensuite elle apparut à la seconde avec un vêtement tout simple, et la remercia également. Mais celle-ci lui dit : - Et pourquoi, ô ma souveraine, vous êtes-vous présentée à ma sœur avec un vêtement plus riche ? – Parce qu’elle m’a revêtue plus richement que vous, répondit Marie. Après cela elle apparut encore à la troisième soeur avec une robe de grosse toile, et celle-ci lui demanda pardon de sa tiédeur à l’honorer. L’année suivante elles se préparèrent toutes les trois à cette fête, récitant le rosaire en grande dévotion. Or, la veille de la fête, au milieu de la nuit, Marie leur apparut dans de magnifiques atours et leur dit : Tenez-vous prêtes, demain vous entrerez en paradis. Et de fait, le lendemain après en avoir donné avis au confesseur, dans l’église où elles avaient communié le matin, à l’heure de complies, elles virent de nouveau la sainte Vierge, qui vint les prendre, et au milieu des concerts des anges, elles expirèrent doucement l’une après l’autre.

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