DISCOURS SUR LES PRINCIPALES FÊTES DE MARIE
ET
SUR SES DOULEURS
DISCOURS I
DE L'IMMACULÉE CONCEPTION DE MARIE
Combien il convenait aux trois Personnes divines de préserver
Marie du péché originel.
La ruine que le maudit péché causa à Adam et à tout le genre
humain fut immense, car, en perdant alors la grâce d’une manière si malheureuse,
il perdit en même temps tous les autres biens dont il avait été enrichi dans le
principe, et il attira sur lui et sur tous ses descendants, avec la haine de
Dieu, le comble de tous les maux. Cependant, Dieu voulut exempter de cette
commune disgrâce la Vierge bénie qu’il avait destinée à être la mère du second
Adam, Jésus-Christ, qui devait réparer le mal causé par le premier. Voyons
combien il convenait à Dieu et aux trois personnes divines de l’en préserver, le
Père la considérant comme sa Fille, le Fils comme sa Mère, le Saint-Esprit comme
son Épouse.
PREMIER POINT. En premier lieu, il convenait que la
Père éternel exemptât Marie de la tache originelle, parce qu’elle était sa Fille
et sa Fille aînée, comme elle le déclare elle-même dans un passage de
l’Ecclésiastique : " Je suis sortie de la bouche du Très-Haut, je suis
première-née avant toute créature " (Ecclés. 24, 5) qui a été appliqué à
Marie par les interprètes sacrés, par les saints Pères et par l’Église même dans
la fête de la Conception. En effet, qu’elle s’appelle Fille aînée parce qu’elle
fut prédestinée en même temps que le Fils dans les divins décrets, avant toutes
les créatures, suivant l’opinion des Scotistes, ou bien qu’on la nomme Fille
aînée de la grâce comme prédestinée pour être la Mère du Rédempteur après la
prévision du péché, suivant l’opinion des Thomistes, tous s’accordent néanmoins
à l’appeler Fille aînée de Dieu. Cela posé, il convenait bien que Marie n’eût
jamais été l’esclave de Lucifer, mais eût toujours été en la seule possession de
son Créateur ; comme elle y fut réellement, ainsi qu’elle le déclare : " Le
Seigneur m’a possédée dès le commencement de ses voies. " (Ecclésiastique). C’est
donc avec raison que Denys, archevêque d’Alexandrie la nomme l’unique et seule
Fille de la vie, à la différence des autres qui, naissant dans le péché, sont
filles de la mort.
En outre, il convenait que le Père éternel la créât en état
de grâce, puisqu’il la destinait à être la réparatrice du genre humain frappé de
perdition, et la médiatrice entre les hommes et Dieu, ainsi que l’appellent les
saints Pères, et en particulier saint Jean Damascène qui lui dit : O Vierge
bénie ! vous êtes née pour servir au salut de toute la terre. C’est pourquoi,
selon saint Bernard, Marie fut figurée par l’arche de Noé ; car, de même qu’au
moyen de l’arche, les hommes furent délivrés du déluge, de même au moyen de
Marie ils sont sauvés du naufrage du péché, mais avec cette différence que
l’arche ne sauva qu’un petit nombre de personnes, et que Marie est la délivrance
de tout le genre humain. Aussi saint Athanase donne-t-il à Marie le nom de
nouvelle Ève, la première ayant été une mère de mort, et la sainte Vierge une
mère de vie. Saint Théophane, évêque de Nicée, exprime la même pensée. Saint
Basile appelle Marie la Réconciliatrice des hommes avec Dieu, et saint Ephrem la
Pacificatrice du monde.
Or il ne convient certainement pas que celui qui traite de la
paix soit ennemi de l’offensé, et bien moins encore qu’il soit complice du
crime. Saint Grégoire dit que, pour apaiser le Juge, il ne faut pas lui députer
un ennemi dont la vue, au lieu de l’adoucir, l’irriterait davantage. Marie
devant donc être médiatrice de paix entre les hommes et Dieu, il était de toute
convenance qu’elle ne s’offrit pas à lui pécheresse elle-même et son ennemie,
mais en grâce avec lui et exempte de péché.
De plus, il convenait que Dieu la préservât de la faute
originelle, puisqu’il la destinait à briser la tête du serpent infernal qui, en
séduisant nos premiers parents, procura la mort à tous les hommes. Or, si Marie
devait être la femme forte placée dans le monde pour vaincre Lucifer, il ne
convenait pas assurément qu’elle fût d’abord vaincue par Lucifer et devînt son
esclave : il est beaucoup plus conforme à la raison qu’elle fut exempte de toute
tache et de tout assujettissement au démon. Cet esprit superbe, après avoir
infecté de son venin toute l’espèce humaine, cherchait aussi à en infecter l’âme
très pure de la Vierge. Mais, louanges éternelles à la divine bonté qui la
prévînt de tant de grâces que, demeurant exempte de toute tache de péché, elle
put ainsi abattre et confondre l’orgueil du démon, comme le déclare saint
Augustin ou l’autre commentateur de la Genèse. Saint Bonaventure le dit encore
plus clairement : " Il convenait que la bienheureuse Vierge Marie, par le moyen
de laquelle nous nous trouvons sauvés de l’opprobre, fût victorieuse du diable à
tel point qu’elle ne lui fût en rien assujettie. "
Mais il convenait surtout au Père éternel d’exempter sa Fille
du péché d’Adam, parce qu’il la destinait à être la Mère de son Fils unique. "
Dans l’intention de Dieu, dit saint Bernardin de Sienne, en adressant la parole
à la sainte Vierge elle-même, vous avez été préordonnée avant toute créature,
pour être la mère de Dieu lui-même quant à la nature humaine qu’il a bien voulu
prendre. " N’y eût-il eu aucun autre motif, il convenait du moins, pour
l’honneur de son Fils qui était Dieu, que le Père la créât pure de toute tache.
L’Angélique saint Thomas dit, que tout ce qui vient de Dieu doit être saint et
exempt de toute souillure. David traçait le plan du temple de Jérusalem avec la
magnificence qui convenait au Seigneur. Or ne devons-nous pas croire à plus
forte raison, que le souverain Créateur, destinant Marie à être la Mère de son
propre Fils, a dû doter son âme des plus belles prérogatives, pour en faire une
habitation digne d’un Dieu ? C’est ce qu’affirme aussi le bienheureux Denys le
Chartreux. Et l’Église elle-même nous l’assure, lorsqu’elle atteste dans le
Salve Regina que Dieu avait préparé avec la coopération de l’Esprit-Saint le
corps et l’âme de la Vierge pour être une demeure digne de son fils.
On sait que le premier avantage pour les enfants est de
naître de parents nobles, comme nous le fait entendre le livre des Proverbes
(Prov. XVII, 6). Aussi supporte-t-on plus aisément dans le monde la
mortification d’être réputé pauvre ou ignorant, que celle d’être une basse
extraction, le pauvre pouvant s’enrichir par son industrie, l’ignorant
s’instruire par l’étude, mais l’homme d’une naissance vile ne pouvant qu’avec
peine acquérir la noblesse, et demeurant exposé, alors même qu’il l’obtient, à
s’entendre reprocher la bassesse de son origine. Comment donc croire que Dieu,
qui pouvait faire naître son Fils d’une Mère noble, en la préservant du péché,
eût préféré le faire naître d’une Mère qui en était entachée ; permettant ainsi
que Lucifer pût lui reprocher l’opprobre d’être né d’une Mère qui était son
esclave et l’ennemie de Dieu ? Non, le Seigneur ne l’a point permis ; il a, au
contraire, pourvu à l’honneur de son Fils, en faisant que sa Mère fût toujours
immaculée, afin d’être une Mère convenable à un tel Fils. C’est l’opinion
formelle de l’Église grecque dans ses Ménologes, où il est dit, à l’occasion de
la Fête de l’Annonciation, que Dieu, par une providence singulière, a voulu que
la sainte Vierge, dès les premiers instants de sa vie fût aussi pure qu’il
convenait de l’être à celle qui devait être la digne mère de Jésus-Christ.
C’est un axiome commun parmi les théologiens, qu’il n’a
jamais été accordé aucun donc à aucune créature dont la bienheureuse Vierge
n’ait été également enrichie. Voici ce qu’en a dit en particulier saint Bernard
: " Il n’est pas permis de soupçonner qu’il ait manqué à une Vierge aussi
auguste aucun des dons qu’on sait certainement avoir été conférés à quelque
autre mortel. " Saint Thomas de Villeneuve : " Aucun don n’a été fait à un saint
quelconque, qui n’ait brillé dans Marie avec encore plus d’éclat dès le
commencement de son existence. " Or, ceci étant posé, reprend saint Anselme, ce
grand défenseur de Marie immaculée : Est-ce que la divine sagesse ne pouvait
préparer à son fils une habitation pure, en la préservant de toutes les
souillures du genre humain ? Dieu, continue saint Anselme, a pu garantir les
Anges du ciel de la chute de tant d’autres, et il n’aurait pu préserver la Mère
de son Fils et la Reine des anges de la chute commune des hommes ! Dieu a pu,
ajoutai-je, accorder à Ève la grâce de naître sans tache, et il n’aurait pu
l’accorder à Marie !
Oh non, Dieu a pu le faire, et il l’a fait, parce qu’il
convenait sous tous les rapports, dit le même saint Anselme, que la Vierge, à
qui Dieu avait résolu de donner son Fils unique, fût ornée d’une pureté telle
que non seulement elle surpassât celle de tous les hommes et de tous les anges ;
mais qu’elle fût la plus grande qu’on pût imaginer après celle de Dieu. Saint
Jean Damascène s’exprime encore plus clairement sur ce point ; voici le sens de
ses paroles : " Dieu ayant conservé dans son intégrité l’âme aussi bien que le
corps de cette vierge, comme il convenait qu’il en usât à l’égard de celle qu’il
destinait à recevoir un Dieu dans son propre sein : car étant saint lui-même, il
aime à faire sa demeure dans les âmes saintes " Ainsi, le Père éternel pouvait
bien dire à cette fille bien-aimée : Ma Fille, vous êtes entre mes autres filles
comme le lys entre les épines, puisqu’elles sont toutes souillées par le péché,
au lieu que vous avez toujours été sans tache et êtes toujours en grâce avec
moi.
DEUXIÈME POINT. En second lieu, il convient au Fils de
préserver Marie du péché, comme sa Mère. Les autres enfants n'ont pas la faculté
de choisir leur mère à leur gré ; mais, si cette faculté était accordée à l'un
d'eux, quel est celui qui, pouvant avoir pour mère une reine, préférerait une
esclave ? une femme de haute naissance, en préférerait une de basse extraction ?
une amie de Dieu, en préférerait l'ennemie ? Si donc le seul Fils de Dieu a pu
choisir sa mère à son gré, il faut tenir pour certain qu'il l'a choisie telle
qu'il convenait à un Dieu. C’est ainsi que s’exprime saint Bernard : " Le
Créateur des hommes, voulant prendre naissance parmi nous, a dû se choisir une
mère telle qu’il savait qu’il convenait qu’elle fût " Et comme il convenait à un
Dieu très pur d'avoir une Mère pure de tout péché, c'est ainsi qu'il la choisit,
dit saint Bernardin de Sienne : " La sanctification maternelle exclut toute
faute originelle. Or cette sanctification se trouvait en Marie, car sans doute
Dieu s’est choisi une mère telle qu’il convenait qu’elle fût, tant pas la
noblesse de sa nature que par la perfection de la grâce. " C’est ce que prouvent
encore ces paroles de l’Apôtre : " Il était convenable que nous eussions un
pontife comme celui-ci, saint, innocent, sans tache, séparé des pécheurs "
(Hebr., 7, 26) Un savant auteur fait observer que, d'après saint Paul, il était
convenable que notre Rédempteur fût séparé‚ non seulement du péché, mais encore
des pécheurs, comme l’explique saint Thomas dans le passage suivant : " Celui
qui est venu pour effacer les péchés, a dû être séparé des pécheurs quant à la
coulpe, à laquelle Adam avait été assujetti. ". Mais comment pourrait-on dire
Jésus-Christ séparé des pécheurs, s'il avait eu une Mère pécheresse ?
Saint Ambroise a dit que le Christ avait pris du ciel, et non
de la terre, le vas dont il s’est servi pour descendre parmi nous, en consacrant
pour devenir son temple une vierge pudique. Le saint fait allusion à ce texte de
saint Paul : " Le premier homme est le terrestre, formé de la terre, et le
second est le céleste, descendu du ciel. " (I. Cor. 15, 47). Saint Ambroise
appelle la divine Mère un vase céleste, non que Marie n'ait pas été terrestre
par nature, quoiqu’en aient rêvé les hérétiques, mais parce qu'elle était
céleste par grâce, surpassant les anges du Ciel en pureté‚ et en sainteté‚ comme
il convenait au Roi de gloire qui devait habiter dans son sein ; c’est ce que
saint Jean-Baptiste révéla à sainte Brigitte en ces termes : " Il n’a pas
convenu que le roi de la terre reposât ailleurs que dans un vase très pur et
choisi entre tous, d’un prix supérieur, en un mot à tous les anges aussi bien
qu’à tout ce qu’il peut y avoir d’âmes sur la terre. " (Rév. I, ch. 17). Il faut
joindre à ces paroles ce que le Père éternel le dit à la même sainte : " Marie
était un vase pur, et non pur : pur, parce qu’elle était toute belle ; non pur,
parce qu’elle était née de parents pécheurs, bien qu’elle ait été conçue sans
péché, afin que le fils de Dieu naquît d’elle sans péché. " (Livre 5, ch. 13).
Et remarquons ces dernières paroles, savoir, que Marie fut conçue sans péché.
Non que le fils de Dieu fût capable de contracter une souillure, mais c’était
pour qu’il n’essuyât pas même l’opprobre d’être conçu dans le sein d’une mère
infectée du péché et esclave du démon.
Le Saint Esprit dit que la gloire du fils est l'honneur du
père, et que son déshonneur en est l'opprobre (Ecclés. 3, 15). C'est pourquoi,
dit saint Augustin, Jésus préserva le corps de Marie de la corruption après sa
mort ; car c'eût été pour lui un déshonneur que de laisser assujettie à la
corruption la chair virginale dont il s'était revêtu : " La pourriture est
l’opprobre de la condition humaine : et comme Jésus doit y être étranger, le
corps de Marie a dû aussi en être à l’abri ; car la chair de Jésus et celle de
Marie, c’est tout un. " Or, si c'eût été un opprobre pour Jésus-Christ de naître
d'une Mère dont le corps eût été sujet à la corruption de la chair, n'en eût-ce
pas été un bien plus grand de naître d'une Mère dont l'âme eût été infectée de
la corruption du péché ? D'ailleurs, la chair de Jésus-Christ étant la même que
celle de sa Mère, de telle sorte que la chair du Sauveur, même après sa
résurrection, est restée la même qu'il l'avait prise dans le sein de sa Mère.
C’est ce qui a fait dire à saint Arnould de Chartres : " La chair de Marie est
celle de Jésus, c’est tout un ; et par conséquent la gloire de ce divin Fils me
semble non seulement commune avec celle de sa mère, mais plutôt la même. " Or,
cela posé, si la bienheureuse Vierge eût été conçue en état de péché, bien que
son Fils n'en eût point contracté la tache, cependant c'eût toujours été une
tache pour lui de s'être uni une chair un moment souillée par le péché, vase de
corruption et assujettie à Lucifer.
Marie ne fut point seulement la Mère, mais la digne Mère du
Sauveur. C'est ainsi que l'appellent tous les Pères, saint Bernard : " Vous
seule avez été trouvée digne que le roi des rois choisît votre sein virginal
pour sa première habitation parmi nous. " Saint Thomas de Villeneuve : " Dès
avant qu’elle conçût, elle se trouvait toute prête pour être la Mère de Dieu. "
L'Église elle-même reconnaît que Marie mérita d'être la Mère de Jésus-Christ.
Saint Thomas d’Aquin, expliquant ces paroles, dit : " La sainte Vierge a mérité
de porter le maître du monde, non qu’on puisse dire qu’elle ait mérité qu’il
s’incarnât, mais parce que ; en vertu de la grâce qui lui a été donnée, elle a
mérité le degré de pureté et de sainteté convenable pour pouvoir devenir la Mère
de Dieu. " Le docteur angélique dit donc que Marie ne pouvait mériter
l’Incarnation du Verbe, mais qu'avec le secours de la grâce elle mérita un degré
de perfection qui la rendît digne Mère d'un Dieu, comme le dit aussi saint
Pierre Damien.
Or, dès qu’on admet que Marie fut digne d’être la Mère de
Dieu, quelle excellence et quelle perfection, dit saint Thomas de Villeneuve ne
dut-elle pas avoir ! Le docteur angélique enseigne que, lorsque Dieu élève
quelqu'un à une dignité, il le rend conséquemment capable d’en être revêtue ;
d'où il conclut que Dieu, ayant choisi Marie pour sa Mère, l'a certainement
rendue par sa grâce digne de le devenir. Le saint en déduit que la Vierge ne
commit jamais aucun péché actuel, même véniel ; autrement, dit-il, elle n'eût
pas été digne Mère de Jésus-Christ, puisque l'ignominie de la Mère eût été celle
du Fils, qui aurait eu une pécheresse pour Mère. Or si Marie, en commettant un
seul péché véniel qui ne prive pas l'âme de la grâce, n'eût pas été digne Mère
de Dieu, combien ne l'eût-elle pas été moins avec la tache du péché originel,
qui l'aurait rendue ennemie de Dieu et esclave du démon ! C’est pourquoi saint
augustin dit, dans sa célèbre sentence, qu’en parlant de Marie, il ne voulait
point faire mention de péchés, pour l’honneur du Seigneur qu’elle avait mérité
d’avoir pour Fils, et de qui par conséquent elle avait pu obtenir le grâce de
vaincre entièrement le péché.
Il faut donc tenir pour certain que le Verbe incarné‚ se
choisit une Mère digne de lui, et dont il n'eut point à rougir, comme disent
saint Pierre Damien, de même que Jésus-Christ a bien voulu habiter dans des
entrailles qu’il avait créées sans qu’il lui en revint aucun déshonneur. Ce
n'était pas un opprobre pour Jésus de s'entendre appeler avec mépris par les
juifs Fils de Marie, comme fils d'une pauvre femme (Matth. 13, 55), puisqu'il
était venu sur la terre pour donner des exemples d'humilité et de patience. Mais
quel déshonneur au contraire, n’y aurait-il pas eu pour lui, si les démons
avaient pu dire de lui : N'est-il pas né d'une Mère pécheresse, et naguère notre
esclave ? Il eût été honteux pour Jésus-Christ de naître d'une femme dont le
corps eût été difforme ou possédé du démon ; mais combien n'eût-il pas été plus
honteux pour lui de naître d'une femme dont l'âme eût été naguère souillée et
occupée par Lucifer !
Ah ! sans doute ce Dieu, qui est la sagesse même, a bien su
préparer sur la terre d’une manière convenable la maison où il devait habiter
(Prov. IX, 1) ! Le Seigneur, dit David, sanctifia sa demeure dès le commencement
pour la rendre digne de lui, car il ne convenait pas à un Dieu saint de choisir
une habitation qui ne fût pas sainte (Ps. 92). Et s’il nous proteste qu'il
n'entrera jamais dans une âme de mauvaise volonté, et dans un corps soumis au
péché (Sg. 1, 4), pourrions-nous penser que le Fils de Dieu ait voulut habiter
dans l'âme et dans le corps de Marie sans l'avoir auparavant sanctifiée et
préservée de toute souillure de péché, car comme l'enseigne saint Thomas, le
Verbe éternel a habité non seulement dans l'âme, mais dans le sein de Marie.
L'Église dit : " Seigneur, vous n'avez pas eu horreur d'habiter dans le sein
d'une Vierge. " En effet, Dieu aurait eu horreur de s'incarner dans le sein
d'une Agnès, d'une Gertrude, d'une Thérèse ; parce que ces vierges, quoique
saintes, furent entachées quelque temps du péché originel ; mais il n'eut point
horreur de se faire homme dans le sein de Marie, parce que cette Vierge
privilégiée fut toujours pure de toute faute, et ne fut jamais possédée par le
serpent ennemi. C'est ce qui a fait dire à saint Augustin : " Le Fils de Dieu ne
s’est bâti aucune demeure plus digne que Marie, qui n’a jamais été occupée par
les puissances ennemies, ni dépouillée de ses ornements. "
D’un autre côté, demande saint Cyrille d’Alexandrie, qui
jamais a ouï dire qu'un architecte se soit bâti une maison pour son propre
usage, et qu’il en ait mis d’abord en possession son principal ennemi ?
Assurément, reprend saint Méthode, le Seigneur qui nous a
donné le précepte d'honorer nos parents a voulu, en se faisant homme comme nous,
ne pas enfreindre ce précepte et l’observer lui-même en comblant sa Mère de
toute grâce et de tout honneur. C'est pourquoi, ajoute saint Augustin, on doit
croire que Jésus-Christ a préservé de la corruption le corps de Marie après sa
mort, comme il a été dit plus haut ; puisque, s'il ne l'avait fait, il n'aurait
pas observé la loi qui condamne dans un fils l’action de déshonorer sa mère,
comme elle lui commande de l’honorer. Or, combien moins Jésus-Christ eût-il
pourvu à l'honneur de sa Mère, s'il ne l'avait préservée du péché d'Adam ! Le
Père Thomas de Strasbourg, de l’ordre des Augustins, dit qu’un fils qui ne
préserverait point sa mère du péché originel, tandis qu’il pourrait le faire,
pècherait ? Or, ce qui serait un péché pour nous, dit le même auteur, serait
malséant d’un Fils de Dieu, qui, pouvant rendre sa Mère immaculée, ne l'aurait
pas fait. Oh, non ! cela ne saurait être, dit Gerson, en s’adressant au Fils de
Die lui-même, " du moment que vous voulez avoir une mère, comme vous en êtes
tout à fait le maître, vous lui rendrez certainement honneur. Or, cette loi ne
semblerait pas bien remplie par vous, si vous permettiez à l’abominable péché
originel d’envahir celle qui doit être un sanctuaire de toute pureté. "
En outre, on n’ignore pas que le divin Fils avait en vue plus
encore la rédemption de Marie que tout le reste des autres hommes, lorsqu’il
vint au monde, comme le dit saint Bernardin de Sienne. Et comme il y a deux
manières de racheter, selon la doctrine de saint Augustin, l'une, en relevant
celui qui est déjà tombé, l'autre en empêchant qu'il ne tombe, cette dernière
est sans aucun doute la plus excellente, parce que de cette manière l’âme est
préservée du dommage ou de la tache qu’elle contracte toujours par la chute
qu’elle fait. C'est pourquoi il faut croire, comme le dit saint Bonaventure, que
Marie a été rachetée de la manière la plus excellente, ainsi qu’il convenait à
la Mère d'un Dieu. Frassen prouve que ce discours est véritablement du saint
docteur. A ce sujet, le cardinal de Cusa dit fort élégamment : " Tandis que les
autres ont eu un libérateur, c’est un prélibérateur qu’a eu la sainte Vierge.
C’est-à-dire que les autres ont eu un Rédempteur qui les a délivrés de la tache
du péché déjà contractée, mais que la sainte Vierge a eu un Rédempteur qui,
parce qu’il devait être son fils, l’avait préservée de contracter cette tache. "
En un mot, pour conclure sur ce point, Hughes de Saint-Victor
dit que c’est par le fruit que l’on reconnaît l'arbre. Si l'Agneau fut toujours
sans tache, la Mère doit aussi avoir été toujours immaculée. Aussi ce docteur
salue-t-il Marie, en disant : O digne Mère d'un digne Fils, voulant indiquer
qu'il n'y avait que Marie qui fût la digne Mère d'un tel Fils, et qu'il n'y
avait que Jésus qui fût le digne Fils d'une telle Mère : " O digne Mère d’un
Fils aussi digne, Mère de Dieu, dont la beauté n’est effacée que par celle de
votre fils, comme votre élévation n’est surpassée que par la sienne ". Disons
donc avec saint Ildefonse : Allaitez donc, allaitez votre Créateur, Marie ;
allaitez celui qui vous a créée, et qui vous a faite assez pure et assez
parfaite pour qu’il prît en vous la nature humaine.
TROISIÈME POINT. - S'il était convenable au Père de
préserver Marie du péché, parce qu’elle était sa Fille, et au Fils de l'en
préserver parce qu’elle devait être sa Mère, il n’était pas moins convenable que
le Saint-Esprit l'en préservât, comme son Épouse. Marie, dit saint Augustin, fut
la seule qui mérita d'être appelée Mère et épouse de Dieu. En effet, affirme
saint Anselme, l’Esprit de Dieu descendit corporellement dans Marie, et
l'enrichissant de grâces par-dessus toutes les créatures, il se reposa en elle,
et fit son épouse Reine du ciel et de la terre. Il dit que l’Esprit-Saint vint
habiter corporellement en Marie, quant à l'effet, puisqu'il vint former de son
corps immaculé le corps immaculé de Jésus-Christ, comme l'archange le lui avait
prédit (Luc I, 35). C'est pourquoi, fait observer saint Thomas, Marie est
appelée temple du Seigneur et le sanctuaire du Saint-Esprit, parce qu’elle a été
faite Mère du Verbe incarné par l'opération du Saint-Esprit.
Or, si un excellent peintre devait épouser une femme belle ou
difforme, selon qu'il la peindrait lui-même, avec quel soin ne s'appliquerait-il
pas de la peindre aussi belle qu'il lui serait possible ? Qui pourrait donc
soutenir que le Saint-Esprit ait agi différemment avec Marie et que, pouvant
rendre son Épouse aussi belle qu'il lui convenait, il a manqué de le faire ?
Non, belle elle lui convenait, telle il l'a faite, comme le Seigneur l'attesta
lui-même en célébrant les louanges de Marie : " Vous êtes toute belle, mon amie,
et il n’y a point de taches en vous " (Cant. 4, 7). Saint Ildefonse et saint
Thomas disent que ces paroles s'entendent proprement de la sainte Vierge, comme
l’atteste Corneille de la Pierre en expliquant ce passage ; et saint Bernardin
de Sienne et saint Laurent Justinien assurent qu'elles s'entendent directement
de l'Immaculée Conception de Marie : c'est pourquoi l'abbé de Celles lui dit : "
Vous êtes toute belle, ô très glorieuse Vierge, non en partie seulement, mais
dans toute votre personne, et il n’y a en vous aucune tache de péché, soit
véniel, soit originel. "
C'est aussi ce que l'Esprit Saint signifia, en appelant cette
vierge, qui est son épouse, jardin fermé et fontaine scellée (Cant. 5, 12).
Marie a été précisément, dit saint Jérôme, ce jardin fermé, cette fontaine
scellée, puisque les ennemis de notre salut n'entrèrent jamais en elle pour la
souiller, mais qu'elle en fut toujours garantie, demeurant sainte d'âme et de
corps. Saint Bernard dit de même, en adressant la parole à la bienheureuse
Vierge Marie : " Vous êtes ce jardin fermé, où la main des pécheurs n’a jamais
pu s’introduire pour le dépouiller de ses fleurs. "
Sachons que ce divin Époux a préféré Marie à tous les autres
saints et à tous les anges réunis ensemble, comme l'assurent le Père Suarez,
saint Laurent Justinien et d'autres docteurs ; il l'aima dès le commencement, et
il l'éleva en sainteté par-dessus tous les hommes, comme le témoigne David par
ces paroles : " Ses fondements sont établis sur les saintes montagnes ; le
Seigneur préfère les portes de Sion à tous les pavillons de Jacob. Un homme y
est né, et celui-là même est le Très-Haut qui l’a fondée. " (Ps. 87, 2, 6) Ces
paroles signifient que Marie fut sainte dès le moment de sa conception. C'est ce
qu’indiquent encore d'autres paroles du Saint-Esprit : " Beaucoup de filles ont
ammassé des richesses : mais vous les avez surpassées. " (Prov. 31, 29). Si
Marie a surpassé toutes les créatures en richesses spirituelles, elle a donc eu
aussi la justice originelle que possédèrent Adam et les anges. " Il y a des
jeunes filles sans nombre ; mais ma colombe est toute seule, elle est ma
parfaite, elle est unique à sa mère " (Cant. VII, 7), c’est-à-dire que toutes
les âmes justes sont filles de la grâce divine : mais, entre elles, Marie a été
la colombe sans fiel de péché, la parfaite sans tache d'origine, et l'unique
conçue en état de grâce.
C’est pourquoi avant même qu'elle fût Mère de Dieu, l’Ange la
trouva déjà pleine de grâce, et la salua en ces termes : " Je vous salue, pleine
de grâce " (Ave gratia plena). Saint Sophrone dit, à propos de ces paroles, que
Dieu donna une partie de sa grâce aux autres saints, mais qu'elle a été donnée
toute entière à la Vierge. De telle sorte, dit saint Thomas, que la grâce
sanctifia, non seulement l'âme, mais la chair de Marie, pour que la Vierge put
ensuite en revêtir le Verbe éternel. Or, tout cela conduit à reconnaître que
Marie fut, dès sa conception, enrichie et remplie de la grâce divine par
l'Esprit Saint. Saint Pierre Damien dit que le divin Époux ravit la Vierge, pour
exprimer la vitesse avec laquelle il prévint Lucifer, pour en faire son Épouse
et empêcher le démon de la posséder.
Je veux enfin terminer ce discours, dans lequel je me suis
étendu plus que dans les autres par la raison que notre petite congrégation a
pour principale protectrice la sainte Vierge Marie, précisément sous le titre de
l'Immaculée Conception ; je veux, dis-je, conclure en indiquant brièvement quels
sont les motifs qui m'ont convaincu, et qui devraient, selon moi, convaincre
chacun d'une opinion aussi pieuse et aussi honorable pour la divine Mère,
savoir, qu'elle a été exempte du péché originel.
Il y a beaucoup de docteurs qui soutiennent que Marie a été
exempte de contracter même la dette du péché, entre autres le cardinal Galatin,
le cardinal de Cusa, Salazar, Catharin, Novarin, Viva, de Lugo, Gilles, Richel,
et autres. Or, cette opinion est très probable ; car, s'il est vrai que dans la
volonté d'Adam comme chef du genre humain furent renfermées les volontés de tous
les hommes ainsi que le soutiennent avec probabilité Gonet, Habert et plusieurs
autres qui s’appuient sur un texte de saint Paul : " Tous ont péché en Adam, "
(Rom, 5), si cela est probable, il l'est aussi que Marie n'a point contracté la
dette du péché, puisque, Dieu l'ayant singulièrement distinguée, dans l’ordre de
la grâce, du commun des hommes, on doit croire pieusement qu’il n’avait point
renfermé la volonté de Marie dans celle d'Adam.
Cette opinion est seulement probable, et j'y adhère, comme
plus glorieuse pour ma souveraine bien-aimée. Mais je tiens pour certaine
l'opinion que Marie n'a point contracté le péché d'Adam ; comme la tiennent pour
certaine, et même pour approchant de la foi (suivant leur expression), le
cardinal Everard, Duval, Renaud, Lossada, Viva, et plusieurs autres. Je laisse
de côté les révélations qui confirment cette opinion, spécialement celles faites
à sainte Brigitte, approuvées par le cardinal Turrecremata et par quatre
souverains pontifes, comme on le voit au livre VI, chap. 49 et 55 de ces
révélations. Mais je ne saurais passer sous silence les passages des saints
Pères sur ce point, afin d'établir combien ils ont été uniformes pour
reconnaître un tel privilège à la divine Mère. Saint Ambroise a dit : "
Recevez-moi, non comme enfant de Sara, mais comme enfant de Marie, de cette
vierge immaculée, et exempte par la grâce de toute souillure du péché. "
Origène, parlant de Marie, s’exprime ainsi : " Elle n’a point été infectée par
le souffle venimeux du serpent. " Saint Ephrem : " Immaculée et à l’abri de
toute atteinte du péché. " Saint augustin, sur ces paroles de l’Ange, Ave
gratia plena, dit : " Il montre par ces paroles que la rigueur de la
première sentence est entièrement révoquée, et que la grâce de la bénédiction
est pleinement restituée. " Saint Jérôme : " Cette nuée n’a jamais été dans les
ténèbres, mais toujours en lumière. " Saint Cyprien, ou un autre écrivain sous
son nom : " La justice ne permettait pas que ce vase d’élection fût soumis aux
mêmes misères que le commun des hommes, parce que, bien que la nature lui fût
commune avec les autres, la faute qu’il partageait lui était étrangère. " Saint
Amphiloque : " Celui qui avait créé la première vierge (Eve) exempte de tout
opprobre, a su produire la seconde pareillement exempte de tout reproche. "
Saint Sophrone : " La Vierge est appelée immaculée, parce qu’elle n’a été
corrompue en rien. " Saint Ildefonse : " Il est constant qu’elle a été exempte
du péché originel. " Saint Jean Damascène : " Le serpent n’a point eu entrée
dans ce paradis. " Saint Pierre Damien : " La chair de la Vierge, bien que prise
d’Adam, n’admet point les taches d’Adam. " Saint Bruno : " C’est ici cette terre
vierge, que Dieu a bénie en la conservant entièrement exempte de la contagion du
péché. " Saint Bonaventure : " Notre dame a été remplie de la grâce prévenante
dans sa sanctification, c’est-à-dire d’une grâce préservatrice de l’infection du
péché. " Saint Bernardin de Sienne : " On ne doit pas croire que le Fils de Dieu
ait voulu lui-même naître de la Vierge, et prendre dans son sein une chair
entachée du péché originel. " Saint Laurent Justinien : " Elle a été, dès
l’instant de sa conception, prévenue des bénédictions divines. " Une foule
d’autres docteurs disent la même chose.
Mais il y a surtout deux motifs qui nous garantissent la
vérité de cette pieuse croyance. Le premier est le consentement unanime de tous
les fidèles sur ce point. Le P. Gilles de la Présentation, atteste que ce
sentiment est partagé par tous les ordres religieux ; et, dans l'ordre même de
saint Dominique, dit un auteur moderne, bien que 92 écrivains soutiennent l'avis
contraire, 156 professent le nôtre. Mais ce qui doit surtout nous persuader que
notre pieuse opinion est conforme au commun consentement des catholiques, c'est
un passage de la célèbre bulle du pape Alexandre XII, Sollicitudo Omnium
Ecclesiarum, publiée en 1661, et dans laquelle il est dit : " Cette dévotion
et ce culte à l’endroit de la mère de Dieu a pris de tels accroissements, que
grâce à l’appui que lui ont donné les académies, presque tous les catholiques
ont aujourd’hui embrassé cette pieuse croyance. ". Et cette opinion est
professée par les académies de la Sorbonne, d'Alcal, de Salamanque, de Coïmbre,
de Mayence, de Naples et plusieurs autres, où l'aspirant au doctorat est obligé,
pour l'obtenir, de jurer qu'il prendra la défense de l'Immaculée Conception.
L'argument tir‚ du commun consentement des fidèles est employé par le savant
Père Pétau. Le très docte évêque Jules Torné en est si touché à son tour, qu'il
demande : le commun consentement des fidèles nous assurant de la sanctification
de Marie dans le sein de sa mère, et de son assomption au ciel en corps et en
âme, pourquoi ne nous assurerait-il pas également de la Conception Immaculée ?
L'autre motif, plus fort que le premier, qui nous fait croire
que la Vierge fut exemple de la tache originelle, c'est l'établissement de la
fête de l'Immaculée Conception par l'Église universelle. D'un côté, je vois que
l'Église célèbre le premier instant où l'âme de Marie fut créée et unie à son
corps, comme le déclare Alexandre VII dans la bulle indiquée ci-dessus, où il
est dit que l'Église rend à la Conception de Marie le même culte que la pieuse
opinion qui veut qu'elle ait été conçue sans la faute originelle. D'un autre
côté, je sais que l'Église ne peut célébrer une fête pour ce qui n'est pas
saint, suivant la décision du pape saint Léon, saint Eusèbe et de tous les
théologiens avec saint Augustin, saint Bernard et saint Thomas qui, pour prouver
que Marie fut sanctifiée avant de naître, part de ce point que l'Église célèbre
sa fête de la Nativité. Or, s'il est vrai, comme le dit le docteur angélique,
que Marie fut sanctifiée dans le sein de sa mère, puisque l'Église célèbre sa
Nativité, pourquoi ne pas admettre qu'elle fut préservée du péché originel dès
le premier instant de sa conception, puisque l'Église en célèbre la fête dans ce
sens ? En preuve de ce grand privilège de Marie, s'offrent les grâces
innombrables et prodigieuses que le Seigneur se plaît chaque jour à accorder,
dans le royaume de Naples, par le moyen des images de l'Immaculée Conception. Je
pourrais en citer une foule, constatée par les Pères de notre Congrégation ;
mais je me borne à en indiquer deux qui sont vraiment admirables.
EXEMPLE
Dans une des maisons tenues par notre congrégation au royaume
de Naples, une femme vint dire à l'un de nos Pères que son mari ne s'était pas
confessé depuis longues années, et qu'elle ne savait plus par quel moyen l'y
engager, parce que dès qu'elle lui parlait de confession elle en était
maltraitée. Le Père lui répondit de lui donner une image de l'Immaculée
Conception. Vers le soir, la femme pria de nouveau son mari de se confesser, et
comme il ne voulait rien entendre sur ce point, suivant son habitude, elle lui
donna l'image. A peine l'eut-il reçue : Eh bien, dit-il, quand voulez-vous que
je me confesse, me voilà prêt. La femme se mit à pleurer de joie, en voyant ce
changement si subit. Le lendemain matin, son mari se rendit réellement à notre
église. Le Père lui demanda depuis quel temps il ne s'était pas confessé. Depuis
vingt-huit ans répliqua-t-il. Comment, reprit le Père, vous êtes-vous résolu à
venir ce matin ? Mon Père, répondit-il, je m'obstinais toujours, quand ma femme
me donna hier soir une image de l'Immaculée Conception, et aussitôt mon coeur
changea au point que cette nuit chaque moment me semblait des siècles, en
attendant le jour pour me rendre près de vous. En effet, il se confessa avec
beaucoup de componction, changea de vie, et continua longtemps à se confesser à
ce même Père.
Dans un autre lieu du diocèse de Salerne, pendant que nous y
donnions la mission, un homme nourrissait une inimitié capitale contre un autre
qui l'avait offensé. Un de nos Père l'engageant à pardonner, en reçut cette
réponse : Mon Père, m'avez-vous jamais vu à vos prédications ? Non, c'est à
cause de cela que je n'y vais pas : je vois bien que je suis damné, mais
n'importe, je veux me venger. Le Père insista beaucoup pour le convertir ; mais,
voyant qu'il perdait ses paroles : Prenez, lui dit-il, cette image de
l'Immaculée Conception. L'homme lui répondit d'abord : A quoi sert cette image ?
Cependant l'ayant prise, comme s'il n'avait jamais refus‚ de pardonner, il dit
au missionnaire : Mon Père, ne faut-il que pardonner ? je suis prêt à le faire.
On assigna le lendemain matin à cet effet. Mais le lendemain venu, il avait
encore changé et n'en voulait plus rien faire. Le Père lui offrit une autre
image ; il la refusa, mais à force d'instances il la reçut. O miracle ! la
seconde image ne fut pas plus tôt acceptée, qu'il s'écria : Allons,
dépêchons-nous, où est mon ennemi ? Il lui pardonna aussitôt, puis il se
confessa.
PRIERE
Ah ! mon immaculée maîtresse, je me réjouis avec vous de vous
voir enrichie d'une si grande pureté. Je remercie, et je me propose de remercier
toujours notre commun Créateur de vous avoir préservée de toute tache de péché,
comme j'en ai la conviction ; et pour défendre le grand, le singulier privilège
de votre Immaculée Conception, je suis prêt et je m'engage à donner au besoin ma
vie. Je voudrais que tout le monde vous appréciât et vous reconnût pour cette
belle Aurore, toujours ornée de la divine lumière, pour cette arche choisie du
salut, délivrée du commun naufrage du péché ; pour cette colombe parfaite et
immaculée, suivant les expressions de votre divin ‚poux ; pour ce jardin fermé,
qui fut les délices de Dieu ; pour cette fontaine scellée, où le démon ne
pénétra jamais pour la troubler ; pour ce lis, enfin, éclatant de blancheur,
qui, vous élevant parmi les épines des enfants d'Adam, lesquels naissent tous
souillés de péchés et ennemis de Dieu, êtes née pure, sans tache, et aimée de
votre Créateur.
Permettez-moi de vous louer encore comme Dieu lui-même vous a
louée. O très pure colombe ! toute blanche, toujours amie de Dieu. Ah ! très
douce, très aimable, immaculée Marie, vous qui êtes si belle aux yeux de votre
Seigneur, ne dédaignez pas de fixer vos regards miséricordieux sur les plaies
qui souillent mon âme. Regardez-moi, prenez pitié de moi, guérissez-moi. Aimant
des coeurs, attirez à vous mon coeur misérable, vous qui, dès le premier moment
de votre vie, avez paru belle et pure devant Dieu ; ayez compassion de moi, qui
non seulement suis né dans le péché, mais qui ai, depuis mon baptême, souillé
mon âme de nouvelles fautes. Ce Dieu, qui vous a choisie pour sa Fille, pour sa
Mère, pour son Épouse ; qui vous a en conséquence préservée de toute tache et
préférée dans son amour à toutes les créatures, quelle grâce pourrait-il vous
refuser ? Vierge immaculée, sauvez-moi, vous dirai-je avec saint Philippe de
Néri. Faites que je me souvienne toujours de vous, et vous, ne m'oubliez pas. Il
me semble que dix siècles me séparent de l'heureux moment où j'irai contempler
votre beauté en Paradis, pour vous louer et vous aimer davantage, ma Mère, ma
Reine, ma bien-aimée, très belle, très douce, très pure et immaculée Marie !
Amen.
|