DISCOURS IV
DE L’ANNONCIATION DE MARIE
Marie, lors de l'incarnation du Verbe, ne put s'humilier plus
qu'elle ne s'humilia. De son côté, Dieu ne put l'élever plus qu'il ne l'éleva.
Celui qui s'élève sera humilie, et celui qui s'humilie sera
élevé (Matth. 23, 12). Cette parole du Seigneur ne saurait faillir. Dieu, ayant
résolu de se faire homme pour racheter l'homme déchu, et de manifester au monde
son infinie bonté, et voulant choisir sa Mère sur la terre, chercha parmi les
femmes la plus sainte et la plus humble. Parmi toutes les femmes, il n'en vit
qu'une, ce fut la vierge Marie, car plus elle était parfaite en vertu, plus
cette colombe était simple et humble à ses propres yeux (Cant. 6, 8). Celle-là,
dit le Seigneur, est la mère que je me choisis. Voyons donc combien Marie fut
humble, ce qui fit que Dieu l'éleva. Marie, lors de l'incarnation du Verbe, ne
put s'humilier plus qu'elle ne s'humilia ; c'est notre premier point. Dieu ne
put élever Marie plus qu'il ne l'éleva : ce sera le second.
PREMIER POINT. Saint Antonin, commentant le texte des
Cantiques où le Seigneur parle de l'humilité de cette très humble Vierge (Cant.
I, 11), dit que le nard, plante très petite et très basse, figure l'humilité de
Marie, dont l'odeur monta au Ciel, et du sein du Père éternel attira le Verbe
divin dans son sein virginal. En sorte que le Seigneur, attiré par l'odeur de
cette humble Vierge, la choisit pour sa Mère lorsqu'il voulut se faire homme
afin de racheter le monde. Mais, pour ajouter à la gloire et au mérite de sa
Mère, il ne voulut pas en devenir le Fils, sans avoir d'abord obtenu son
consentement, dit l'abbé Guillaume (Cant. 3). Aussi, pendant que l'humble
Vierge, retirée dans sa pauvre cellule, soupirait avec ardeur et suppliait Dieu
d'envoyer le Messie, comme sainte Elisabeth, de l'ordre de saint Benoît,
l'apprit par révélation, voilà que l'archange Gabriel, lui apportant la grande
nouvelle, entre et la salue en ces mots (Luc. I) : Je vous salue, ô Vierge,
pleine de grâce, parce que vous avez toujours été plus riche en grâce que tous
les autres saints. Le Seigneur est avec vous, parce que vous êtes humble. Vous
êtes bénie entre toutes les femmes, parce que toutes les autres ont encouru la
malédiction du péché originel, au lieu que vous, Mère du béni de tous les
siècles, vous êtes et vous serez toujours bénie et exempte de tache.
A ce salut, accompagné de tant d'‚loges, que répondit
l'humble Marie ? Rien ; elle ne répondit pas, mais pensant à ce salut, elle se
troubla. Et pourquoi se troubla-t-elle ? Serait-ce dans la crainte que ce ne fût
qu'une illusion, ou par modestie en voyant un homme, comme le prétendent ceux
qui croient que l'ange lui apparut sous une forme humaine ? Non, le texte est
clair, fait remarquer Eusèbe d'Émèse. Ce trouble ne fut donc causé que par son
humilité, en entendant des louanges si contraires à l'opinion défavorable
qu'elle avait d'elle-même. Aussi, plus elle entendait l'ange l'exalter, plus
elle s'abaissait et se concentrait dans l'idée de son propre néant. Dans ses
réflexions sur ce sujet, saint Bernardin dit que, si l'ange lui eût déclaré
qu'elle était la plus grande pécheresse du monde, Marie n'eût point éprouvé la
même surprise, mais qu'à ces louanges sublimes elle se troubla tout à fait. Elle
se troubla, parce qu'étant pleine d'humilité elle abhorrait toute louange
personnelle, et désirait que son Créateur et bienfaiteur fût seul loué et béni,
comme elle le déclara à sainte Brigitte, en parlant de l'époque où elle devint
la Mère de Dieu (Revel. l. 1, c. 23).
Mais du moins, ajouterai-je, la Bienheureuse Vierge
connaissait déjà, par les saintes Écritures, que le temps prédit par les
prophètes, touchant la venue du Messie, était arrivé ; déjà les semaines de
Daniel étaient accomplies ; déjà, suivant la prophétie de Jacob, le sceptre de
Juda était passé dans les mains d'Hérode, roi étranger ; déjà elle savait qu'une
Vierge serait la Mère du Messie. Elle s'entendait adresser par l'ange des
louanges qui auraient paru à tout autre ne convenir qu'à la Mère de Dieu ; lui
vint-il alors la pensée que peut-être elle était cette Mère choisie du Seigneur
? Non, sa profonde humilité ne lui permit pas une telle pensée. Ces louanges
eurent seulement pour effet de lui causer une si grande crainte que, suivant la
réflexion de saint Pierre Chrysologue, comme le Sauveur voulut être fortifié par
un ange, ainsi il fut nécessaire que saint Gabriel, voyant Marie consternée à ce
salut, la ranimât en disant : Ne craignez point, ô Marie, vous étonnez par des
titres sublimes que je vous donne, car, si vous êtes si petite et si basse à vos
propres yeux, Dieu qui exalte les humbles, vous a rendue digne de trouver la
grâce perdue par le genre humain, et en conséquence il vous a préservée de la
tache commune à tous les fils d'Adam, il vous honorée des le moment de votre
conception d'une grâce plus grande que celle de tous les saints, enfin il vous
élève maintenant jusqu'a vous choisir pour sa Mère.
A présent, pourquoi différer ? ma souveraine, l'ange attend
votre réponse, nous l'attendons tous, nous qui sommes déjà condamnes à la mort.
Voila, ô notre Mère, que le prix de notre salut s'offre à vous, ce sera le Verbe
divin fait homme dans votre sein; si vous l'acceptez pour Fils, nous serons
aussitôt délivrés de la mort. Plus votre Seigneur s'est épris de votre beauté,
plus il désire votre consentement, d'après lequel il a résolu de sauver le
monde. Hâtez-vous, ma souveraine, répondez, ne retardez plus le salut du monde,
qui dépend maintenant de votre consentement.
Mais voilà que Marie répond ; elle dit à l'ange. Voici la
servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole. Réponse telle que
la sagesse des hommes et des anges réunis n'aurait pu en trouver une plus belle,
plus humble et plus prudente, quand même ils y auraient pensé un million
d'années ! Réponse qui eut la vertu de réjouir le Ciel, et de faire descendre
sur la terre une mer immense de grâces et de biens ! Réponse qui, à peine sortie
de l'humble coeur de Marie, attira du sein du Père éternel dans son sein très
pur le Fils unique de Dieu qui s'y revêtit de l'humanité. En effet, des qu'elle
eut prononce ces mots : Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon
votre parole, le Verbe se fit chair, et le Fils de Dieu devint aussi le Fils de
Marie. Saint Thomas de Villeneuve, insistant sur la fiat prononce par la sainte
Vierge, dit que par les autres fiat Dieu créa la lumière, le ciel et la terre,
mais que par ce fiat de Marie un Dieu devint homme comme nous.
Mais ne nous éloignons pas de notre sujet, considérons la
grande humilité de la Vierge dans cette réponse. Elle avait certes toutes les
lumières nécessaires pour apprécier combien était sublime la dignité de Mère de
Dieu. Elle venait de recevoir de l'ange la nouvelle qu'elle était cette heureuse
Mère choisie du Seigneur. Mais elle ne s'estime pas davantage pour cela, elle ne
s'arrête point à se complaire dans son élévation ; voyant d'une part son propre
néant, et de l'autre l'infinie majesté de son Dieu, qui la choisit pour sa Mère
; elle se reconnaît indigne d'un tel honneur, mais elle ne veut point s'opposer
à sa volonté. Sollicitée de donner son consentement, que fait-elle et que
dit-elle ? Complètement anéantie en elle-même, d'un autre côté, tout enflammée
du désir de s'unir de plus en plus à son Dieu, et s'abandonnant entièrement à la
volonté divine : Voici, répond-elle, la servante du Seigneur, obligée de faire
ce que le Seigneur lui commande. Comme si elle eut dit : Si le Seigneur me
choisit pour sa Mère, moi qui n'ai rien par moi-même, qui tiens tout de sa
bonté, qui pourrait croire qu'il m'a choisie pour mon propre mérite ? Quel
mérite peut avoir une esclave pour être faite la mère de son maître ? On louera
seulement la bonté du Seigneur, sans louer la servante, car il faut toute sa
bonté pour tourner ses regards vers une autre créature aussi vile que moi, et
pour l'exalter à ce point.
O grande humilité de Marie, qui la rend petite d'après son
propre jugement, mais grande devant Dieu ! indigne à ses yeux, mais digne aux
yeux de ce Seigneur immense que le monde ne saurait contenir. Cette exclamation
est moins belle encore que celle de saint Bernard, lorsque admirant l'humilité
de Marie, il s'écrie : Souveraine, comment avez-vous pu unir dans votre coeur
une idée aussi humble de vous-même avec tant de pureté, avec tant d'innocence,
avec une telle plénitude de grâces ? Comment, ô Vierge bienheureuse, a pu
s'enraciner si bien en vous cette humilité, et une si grande humilité, alors que
vous vous voyiez honorée et exaltée à ce point par le Seigneur ? Lucifer, fier
d'être doue d'une grande beauté, aspira à élever son trône au-dessus des étoiles
et à se rendre semblable à Dieu (Is. 14, 13). Or, quels auraient été le langage
et les prétentions de cet esprit superbe, s'il s'était vu orné des prérogatives
de Marie ? L'humble Marie n'agit point de la sorte : plus elle se vit exaltée,
plus elle s'humilia. Ah ! ma Souveraine, conclut saint Bernard, cette belle
vertu vous a rendue digne d'être regardée par le Seigneur avec une tendresse
singulière, digne d'enflammer d'amour votre roi par votre beauté, digne de tirer
par l'odeur suave de votre humilité le Fils de Dieu de son repos, et de le faire
descendre du sein de son Père dans votre sein très pur. Aussi, dit saint
Bernardin de Buste, Marie eut-elle plus de mérite par cette seule réponse :
Voici la servante du Seigneur, que n'en pourraient acquérir toutes les créatures
par toutes leurs bonnes oeuvres.
C'est pourquoi, suivant saint Bernard, si cette innocente
Vierge se rendit chère à Dieu par sa virginité et son humilité, elle se rendit
digne, autant qu'une créature pouvait le mériter, de devenir la Mère de son
Créateur. C'est ce que confirme saint Jérôme, en disant que Dieu la choisit pour
Mère en considération de son humilité, plutôt que de toutes ses autres sublimes
vertus. Marie elle-même le révéla à sainte Brigitte par ces paroles : Comment
ai-je mérité la grâce d'être faite la Mère de mon Seigneur, si ce n'est parce
que j'ai connu mon néant et que je me suis humiliée (Livre 2, Rev. ch 35) ? Elle
l'avait déclaré auparavant dans son Cantique si empreint d'humilité (Lc. I),
suivant la remarque de saint Laurent Justinien. En employant le mot humilité,
fait observer saint François de Sales, Marie n'entendait pas louer en elle une
vertu ; elle voulait déclarer que Dieu avait regardé son néant, et que par pure
bonté il l'avait comblée d'honneurs.
Saint Augustin compare l'humilité de Marie à une échelle par
laquelle le Seigneur daigna descendre sur la terre pour s'incarner dans son
sein. Paroles confirmées par saint Antonin, lorsqu'il dit que l'humilité de la
Vierge fut la disposition la plus parfaite et la plus prochaine qu'elle apporte
à être la Mère de Dieu. Cela résulte de la prédiction d'Isaïe (Is. 11, 1), sur
laquelle le bienheureux Albert fait cette réflexion, que la fleur divine,
c'est-à-dire le Fils unique de Dieu, suivant Isaïe, devait éclore, non point au
sommet ou sur le tronc de la plante de Jesse, mais à la racine, pour indiquer
précisément l'humilité de sa Mère ; l'abbé de Celles l'explique d'une façon
encore plus claire. Cela nous donne, suivant saint Augustin, la clef des paroles
du Seigneur dans les Cantiques (Cant. 5) ; et à ce sujet le docte interprète
Fernandez dit que les yeux si humbles de Marie, avec lesquels elle contempla
sans cesse la divine grandeur, sans jamais perdre de vue son propre néant,
firent une telle violence à Dieu, qu'ils l'attirèrent dans son sein. Par là,
ajoute l'abbé Francon, on s'explique pourquoi l'Esprit saint loua tant la beauté
de son Epouse, disant qu'elle avait des yeux de colombe (Cant. 4, 1). C'est que
Marie, regardant Dieu avec les yeux d'une simple et humble colombe, l'enflamma
tant par sa beauté, qu'elle l'enchaîna avec des liens d'amour dans son sein
virginal. Ainsi Marie, dans l'incarnation du Verbe, dirons-nous pour conclure ce
point, ne put s'humilier plus qu'elle ne s'humilia. Voyons maintenant comment
Dieu, en la choisissant pour sa Mère, ne put l'élever plus qu'il ne le fit.
DEUXIEME POINT. Pour comprendre à quel point Marie fut
exaltée, il faudrait comprendre la sublimité et la grandeur de Dieu. Il suffit
donc de dire que Dieu fit de la Vierge, sa Mère, pour établir que Dieu ne put
l'élever plus qu'il ne l'éleva. Saint Arnaud affirme avec raison que Dieu, en
devenant Fils de la Vierge, l'a élevée à une hauteur d'où elle domine tous les
saints et tous les anges. En sorte, qu'excepté Dieu, elle surpasse sans
comparaison tous les esprits célestes, ajoute saint Ephrem. A l'exception de
Dieu, dit à son tour saint André de Crète, elle est supérieure à tous. Et de
même saint Anselme : Ma Souveraine, s'écrie-t-il, il n'est rien qui vous égale,
car tout ce qui existe est au-dessus ou au-dessous de vous, Dieu seul vous est
supérieur, et toutes les créatures vous sont inférieures. Enfin, répond saint
Bernardin, la grandeur de cette Vierge est telle qu'il n'y a que Dieu qui puisse
ou sache la comprendre.
Qu'on ne s'étonne donc pas, fait remarquer saint Thomas de
Villeneuve, de ce que les évangélistes, si minutieux à enregistrer les louanges
d'un Jean-Baptiste, d'une Magdeleine, sont si brefs en décrivant les
prérogatives de Marie. A quoi bon les détails de ses grandeurs ? Il suffit que
les évangélistes attestent qu'elle est la Mère de Dieu. Comme ils avaient
décrits par ce seul mot le plus grand et même l'ensemble de ses attributs, il
était inutile qu'ils les fissent ressortir ensuite l'un après l'autre. Dire
seulement de Marie qu'elle est la Mère de Dieu, reprend saint Anselme, n'est-ce
pas la placer au plus haut degré d'élévation qu'on puisse concevoir et indiquer
après Dieu ? Donnez-lui le nom que vous voulez, Reine du Ciel, Maîtresse des
anges, ou tout autre titre, vous ne l'honorerez jamais autant qu'en l'appelant
Mère de Dieu.
La raison en est évidente ; car, ainsi que le docteur
angélique l'enseigne, plus une chose est près de son principe, plus elle en
reçoit de la perfection ; et Marie étant la créature qui approche le plus de
Dieu, participe plus que toutes les autres à ses grâces, à sa perfection, à sa
grandeur. Le Père Suarez déduit que la dignité de Mère de Dieu est d'un ordre
supérieur à toute autre dignité créée, de ce qu'elle appartient en quelque sorte
à l'ordre de l'union avec une personne divine, à laquelle elle est
nécessairement unie. Aussi Denys le Chartreux assure-t-il qu'après l'union
hypostatique, il n'y en a pas de plus proche que celle de la Mère de Dieu.
C'est, enseigne saint Thomas, la plus grande union qu'une pure créature puisse
avoir avec Dieu. Et le Bienheureux Albert le Grand déclare que la dignité de
Mère de Dieu est immédiatement après celle de Dieu ; il ajoute, en conséquence,
que Marie ne put être plus unie à Dieu qu'elle ne le fut, à moins de devenir
Dieu elle-même.
Saint Bernardin affirme que la sainte Vierge, pour être Mère
de Dieu, dut être élevée à une certaine égalité avec les personnes divines par
une grâce presque infinie. Et puisque les enfants sont, moralement parlant,
réputes une seule et même chose avec leurs parents, en sorte que les biens et
les honneurs sont communs entre eux, saint Pierre Damien en infère que Dieu, qui
habite en diverses manières dans les créatures, habita en Marie d'une façon
toute spéciale, en ne faisant qu'une même chose avec elle, et à cette pensée il
s'écrie d'admiration : Que toute créature se taise et tremble, qu'elle ose à
peine mesurer l'immensité d'une dignité si élevée ; Dieu habite dans le sein de
la Vierge.
C'est pourquoi saint Thomas pense que Marie, en devenant Mère
de Dieu, et à raison de cette union étroite avec un bien infini, reçut une
certaine dignité infinie, que le Père Suarez appelle infinie dans son genre,
puisque la dignité de Mère de Dieu est la plus grande qui puisse être conférée à
une pure créature. En effet, le docteur angélique enseigne que, comme l'humanité
de Jésus-Christ, bien qu'elle eût put recevoir de Dieu une plus grande grâce
habituelle, ne put cependant être ordonnée pour quelque chose de plus sublime
que l'union avec une personne divine ; ainsi la Bienheureuse Vierge ne put être
élevée à une dignité plus haute que celle de Mère de Dieu. Saint Thomas de
Villeneuve a écrit la même chose, et saint Bernardin déclare que l'état auquel
Marie fut élevée en tant que Mère du Verbe, est tel qu'elle ne saurait être
exaltée davantage. Proposition confirmée par le Bienheureux Albert le Grand.
Saint Bonaventure a dit ce mot célèbre, que Dieu peut faire
un monde plus vaste, un ciel plus grand, mais qu'il ne peut élever une créature
plus haut qu'en la faisant Mère. La Vierge exprima elle-même, bien mieux que
tous ces auteurs, à quel degré Dieu l'a exaltée (Lc. I), seulement pourquoi
n'expliqua-t-elle pas avec détail quels étaient les grands dons que le Seigneur
lui avait accordes ? Saint Thomas de Villeneuve répond que Marie ne le fit
point, parce qu'ils étaient si grands qu'ils ne pouvaient être expliqués.
Saint Bernard a donc eu raison de dire que Dieu créa le monde
pour cette Vierge qui devait être sa Mère, et saint Bonaventure, que la
conservation du monde doit être attribuée à l'intercession de Marie, s'appuyant
sur un texte de Proverbes que l'Eglise applique à la Vierge (Prov. 8, 30). Saint
Bernardin ajoute que ce fut pour l'amour de Marie que Dieu ne détruisit pas
l'homme après le péché d'Adam. Aussi l'Eglise est-elle autorisée à chanter que
Marie a choisi la meilleure part, puisque cette divine Mère choisit non
seulement les meilleures choses, mais les plus excellentes d'entre les
meilleures, Dieu l'ayant dotée au souverain degré, comme l'atteste le
Bienheureux Albert le Grand, de toutes les grâces et de tous les dons généraux
et particuliers conférés à toutes les créatures, et cela en conséquence de la
dignité de Mère de Dieu. Ainsi Marie fut enfant, mais elle n'eut de cet age que
l'innocence et non le défaut de la capacité, car elle a jouit dès le premier
instant de sa vie du parfait usage de la raison. Elle fut Vierge, mais sans
l'affront de la stérilité. Elle fut Mère, mais sans perdre le privilège de la
virginité. Elle fut belle, et belle par excellence, disent Richard de saint
Victor, saint Grégoire de Nicomédie, et saint Denys l'Aréopagite, à qui
plusieurs attribuent le bonheur d'avoir contemplé une fois la beauté de Marie,
et qui dit que, si la foi ne l'avait instruit qu'elle était une créature, il
l'aurait adorée comme la divinité ; et le Seigneur révéla à sainte Brigitte que
la beauté de sa Mère surpassa celle de tous les hommes et des anges (Revel. l.
I, ch. 51). Elle fut belle, dis-je, mais sans dommage pour ceux qui jouirent de
sa vue, puisque sa beauté dissipait les sentiments impurs et inspirait des
pensées de pureté, comme l'attestent saint Ambroise et saint Thomas. C'est
pourquoi on la compare à la myrrhe, qui empêche la corruption, dans des paroles
que l'Eglise emprunte à l'Ecclésiastique (Eccles. 24, 20). Dans sa vie active,
elle agissait, mais sans que son travail la détournât de l'union avec Dieu. Dans
sa vie contemplative, elle était recueillie en Dieu, mais sans négliger les
soins temporels et la charité due au prochain. La mort l'atteignit, mais sans
les angoisses qui la précèdent d'ordinaire et sans la corruption du corps.
Concluons donc. Cette divine Mère est infiniment inférieure à
Dieu, mais elle est immensément supérieure à toutes les créatures. Et s'il est
impossible de trouver un fils plus noble que Jésus, il est impossible aussi de
trouver une mère plus noble que Marie. Cela autorise les serviteurs de cette
Reine, non seulement à se réjouir de ses grandeurs, mais à augmenter leur
confiance en son puissant patronage ; car en qualité de Mère de Dieu, dit le
Père Suarez, elle a un certain droit sur ses dons, qui fait qu'elle les procure
à ceux pour qui elle intercède. Saint Germain déclare d'ailleurs que Dieu ne
saurait ne pas exaucer les prières de Marie, puisqu'il ne peut ne point la
reconnaître pour sa Mère véritable et immaculée. Il ne vous manque donc, ô Mère
de Dieu et la nôtre, ni le pouvoir, ni la volonté de nous secourir. Vous savez,
vous dirai-je avec l'abbé de Celles, que Dieu ne vous a pas créée que pour lui
mais qu'il vous a appelée à rétablir les anges, à réparer les maux du genre
humain, à combattre les démons, puisque par votre entremise nous recouvrons la
divine grâce, et que par vous notre ennemi est vaincu et terrassé.
Si nous désirons plaire à la Mère de Dieu, saluons-la souvent
par l'Ave Maria. Marie, apparaissant un jour à sainte Mechtilde, lui dit qu'on
ne pourrait l'honorer mieux qu'en récitant cette Salutation Angélique. Par la
nous obtiendrons des grâces singulières de cette Mère de miséricorde.
PRIERE
O Vierge immaculée et sainte ! ô créature la plus humble et
la plus sublime devant Dieu ! vous fûtes si petite à vos propres yeux, mais si
grande à ceux de Notre Seigneur qu'il vous exalta jusqu'à vous choisir pour sa
Mère et à vous établir en conséquence Reine du Ciel et de la terre. Je rends
grâces à ce Dieu qui vous a tant exaltée, et je me réjouis avec vous de vous
voir unie tellement à lui qu'une pure créature ne saurait l'être davantage. J'ai
honte de me présenter à vous qui êtes si humble avec tant de qualité, misérable
et orgueilleux que je suis avec tant de péchés. Malgré mes misères, je veux
pourtant vous saluer : Ave, plena gratia ; vous êtes pleine de graves,
obtenez-m'en une partie. Dominus tecum : Le Seigneur a toujours été avec vous
depuis le premier instant de votre création, et il y est maintenant d'une
manière plus étroite, puisqu'il est devenu votre Fils. Benedictus tu in
mulieribus : " Femme bénie entre toutes les femmes ! obtenez-nous aussi la
céleste bénédiction. Et benedictus fructus ventris tui : " Plante bénie, qui
avez mis au monde un fruit si noble et si saint ! Sancta Maria, Mater Dei : "
Marie ! je confesse que vous êtes la véritable Mère de Dieu, et je suis prêt à
donner mille fois ma vie pour la défense de cette vérité. Ora pro nobis
peccatoribus ; mais si vous êtes la Mère de Dieu, soyez encore la Mère de notre
salut et de nous autres, pauvres pécheurs puisque c'est pour sauver les pécheurs
que Dieu s'est fait homme, et il vous a choisie pour sa Mère afin que vos
prières eussent la vertu de sauver tout pécheur quel qu'il fut. De grâce, ô
Marie ! priez donc pour nous. Nunc et in hora mortis nostrae : priez toujours,
priez maintenant que nous sommes entourés de tentations et de dangers de perdre
Dieu ; priez surtout à l'heure de notre mort, lorsque nous serons sur le point
de sortir de ce monde et d'être présentés au divin tribunal, afin que, sauvés
par les mérites de Jésus-Christ et par votre intercession, nous puissions venir
un jour, sans courir le risque de vous perdre encore, vous saluer et vous louer
avec votre Fils, dans le Ciel, pendant toute l'éternité. Ainsi soit-il.
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