Notre sainte approchait donc
du terme de sa course en ce monde; et le Seigneur
montrait
par divers signes de quelle gloire il allait bientôt, dans les cieux,
couronner son épouse, quand celle-ci aurait consommé sa vie de labeurs
et de souffrances. Cette gloire correspondait aux grâces dont il l’avait
comblée sur la terre. Or, parmi tous les signes qui manifestent à qui
veut les considérer la perfection de cette âme, nous devons signaler son
désir chaque jour plus ardent de mourir pour être avec le Christ (Phil
1,23). Il lui tardait de contempler ouvertement et clairement dans
la Patrie cette vérité du Christ, dont elle n’avait sur le chemin que
des reflets. Ce désir allait croissant en son coeur, à mesure que la
lumière surnaturelle descendait plus parfaite du Ciel dans son âme. Deux
années à peu près avant sa mort, elle reçut de Dieu de telles clartés
sur la vérité qu’elle se vit obligée de répandre ses lumières au dehors
en les confiant à l’écriture. C’est alors qu’elle pria ses secrétaires,
comme nous en avons dit un mot déjà, de se tenir prêts à écrire toutes
ses paroles quand ils la verraient en extase. Voilà comment fut composé
en peu de temps le livre qui contient le dialogue d’une âme avec le
Seigneur. L’âme fait au Seigneur quatre demandes et le Seigneur lui
répond en lui donnant de nombreux et très utiles enseignements. A la
fin. de ce livre, se trouvent deux passages que j’ai jugé bon d’insérer
ici, tant pour l’utilité des lecteurs que pour montrer combien l’âme de
cette vierge bénie était tout entière possédée du désir dont nous avons
parlé. Ces deux extraits sont bien à leur place ici, puisqu’il est
naturel à tout mouvement de tendre à la fin en laquelle il doit se
reposer. L’amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ allait lui aussi tout
entier à sa fin, comme nous l’atteste l’Évangéliste Jean (Jn 13,1),
à cette fin de l’Univers que tout disciple de la science sacrée sait
être la VÉRITÉ PREMIÈRE.
Que personne ne pense que
j’ajoute du mien aux enseignements et à la prière que j’ai transcrits
ici, en les empruntant au livre de Catherine ; j’en appelle, sur ce
point, au témoignage et au jugement de la Vérité Première, qui fut
l’objet de ce discours; j’ai traduit fidèlement ces deux passages du
dialecte vulgaire en latin, comme ils se trouvent dans le livre que la
sainte a dicté. Je n’y ai ajouté aucune pensée, je n’y ai rien changé,
j’ai même gardé l’ordre des mots, autant que j’ai su et pu le faire, et
me suis efforcé de donner une traduction littérale, autant que la phrase
latine me l’a permis. Cependant, à parler strictement, il n’est pas
possible d’arriver à une telle fidélité qu’on n’aie pas à ajouter en
latin une interjection, une conjonction ou un adverbe, qui ne se
trouvent pas dans la rédaction originale en langue vulgaire. Mais ces
additions n’ont rien qui puisse modifier le sens et lui faire exprimer
des idées nouvelles; elles sont plutôt l’ornement régulier de la phrase
et ne font que rendre plus clairement la pensée primitive. Des deux
extraits que je vais ainsi donner, le premier est l’épilogue du livre
précité, dont il résume brièvement tous les enseignements, le second est
une prière, que la vierge elle-même a composée après toutes ces
révélations, et qui nous montre combien elle désirait mourir pour être
avec le Christ.
Catherine raconte donc, en
terminant son livre, comment le Seigneur Dieu, Père de Notre-Seigneur
Jésus-Christ, parla, vers la fin du dialogue, à l’âme qu’il venait
d’instruire longuement de l’obéissance des parfaits : " Ma bien-aimée et
très chère fille, lui dit-il, voilà que maintenant j’ai répondu à tous
tes désirs du commencement jusqu’à la fin, et j’ai fini en te parlant de
l’obéissance. Si tu t’en souviens bien, tu m’as demandé tout d’abord,
avec un désir anxieux, que je fasse croître en ton âme le feu de la
charité. C’était moi qui te faisais prier ainsi. Tu m’as donc exposé
quatre demandes. L’une te concernait, et j’y ai satisfait, en
t’éclairant de ma vérité et en te montrant comment, à la lumière de la
foi, tu apprendrais à me connaître et à te connaître toi-même, et tu
arriverais ainsi à la connaissance de la vérité en suivant la méthode
que je t’ai expliquée. Dans ta seconde prière, tu m’as supplié de faire
miséricorde au monde. Ta troisième demande a été pour le corps mystique
de mon Église, tu m’as prié de dissiper les ténèbres de la persécution
dont elle souffre, et tu voulais que je punisse sur toi les iniquités
des autres. Je t’ai montré alors qu’aucune de ces peines finies que
mesure le temps ne pourrait, par elle-même, expier une faute commise
contre le Bien infini que je suis. Ces peines peuvent être cependant une
satisfaction suffisante, quand elles sont jointes à la contrition du
coeur et au désir de l’âme; je t’ai expliqué comment. Je t’ai répondu
aussi que je voulais faire miséricorde au monde, en te faisant voir
comment la miséricorde était mou attribut propre (Summa S. Th., IIa
IIae, quaest. XXX, art 2). C’est à cause de cette inestimable
miséricorde et de l’amour que je portais à l’homme, que j’ai envoyé mon
Fils unique et mon Verbe. Pour te mieux faire entendre ce qu’il est;
j’ai comparé ce Fils à un pont, qui va du ciel à la terre, symbole de
l’union qui s’est faite en lui, entre la nature divine et la nature
humaine. Pour t’illuminer davantage des lumières de ma volonté, je t’ai
expliqué comment on montait à ce pont, par trois degrés, qui sont les
trois facultés de l’âme.
" De ce Verbe que je t’ai
montré sous l’image d’un pont, je t’ai donné encore une autre figure,
quand je t’ai indiqué, sur son corps, les trois degrés que tu connais le
premier aux pieds, le second au côté ouvert, le troisième à la bouche.
En ces degrés, j’ai placé les trois états de l’âme, l’état imparfait,
l’état parfait et l’état très parfait, où l’homme parvient à
l’excellence de l’amour d’union. Je t’ai signalé, pour chaque état, les
moyens d’écarter les imperfections, la route à suivre, les ruses
secrètes du démon, les dangers de l’amour-propre spirituel. Je t’ai
parlé aussi des reproches que ma clémence adresse aux âmes qui sont en
ces trois états. Les premiers sont ceux qu’elle fait aux hommes pendant
leur vie, avant qu’ils n’aient quitté leurs corps. Les seconds se font
entendre à la mort, à ceux qui meurent sans espérance, en état de péché
mortel. Je t’ai dit que ceux-là s’en allaient sous le pont, par la voie
du diable, et je t’ai raconté leurs misères. Les troisièmes reproches se
feront au Jugement général. Je t’ai dit quelque chose des supplices des
damnés et de la gloire des bienheureux, quand ils auront recouvré chacun
leur propre corps. Je t’ai promis aussi et je te promets encore de
réformer mon l’Epouse, mais en envoyant de lourdes épreuves à mes
serviteurs. Je vous ai invités à la patience. Je me suis plaint à toi
des iniquités de mes mauvais ministres, tout en te montrant en quelle
excellence je les ai établis et quel respect je désire et je veux leur
voir rendre, de la part des laïcs séculiers. Je t’ai répondu aussi que
leurs défauts ne devaient en rien diminuer votre respect pour leurs
personnes, et je t’ai dit combien une autre conduite déplaisait et était
contraire à ma volonté. Je t’ai parlé de la vertu de ceux qui vivent
comme des anges, et je t’ai dit un mot, en même temps, de l’excellence
du Sacrement de l’autel.
" Tandis que je
t’entretenais des trois états de l’âme, tu as voulu savoir quels étaient
les différents états de larmes, et d’où venaient ces larmes. Je t’ai
expliqué comment les différentes sortes de larmes correspondaient aux
différents états de l’âme, et comment toutes ces larmes jaillissent de
la fontaine du cœur. Je t’ai montré successivement la cause de cette
correspondance et l’origine de ces quatre sortes de larmes. C’est alors
que je t’ai parlé d’un cinquième état, qui amène la mort."
" J’ai répondu ensuite à ta
quatrième demande, ou tu me demandais de pourvoir aux conséquences d’un
événement particulier qui venait d’arriver Je t’ai donné toutes les
explications désirées et je t’ai parlé longuement de ma providence en
général et en particulier. Je t’ai exposé son oeuvre, depuis le
commencement de la création jusqu’à la fin du monde, et je t’ai dit
comment j’ai tout fait et fais tout, avec une divine et souveraine
prévoyance, vous envoyant ou permettant tout ce qui vous arrive, les
tribulations aussi bien que les consolations spirituelles ou
temporelles. Tout est pour votre bien, pour que vous soyez sanctifiés en
moi et que ma vérité s’accomplisse en vous; car ma vérité est, et a
toujours été, que je vous ai créés pour que vous ayez la vie éternelle,
et je vous ai manifesté cette vérité dans le Sang du Verbe, mon Fils
unique. Enfin j’ai satisfait à ton désir et tenu les promesses que je
t’avais faites, en t’exposant la perfection de l’obéissance,
l’imperfection de la désobéissance, la source d’où procède l’obéissance,
et ce qui peut vous l’enlever. J’ai posé cette obéissance comme la clef
de tout l’édifice, ce qu’elle est en effet. Je t’ai parlé aussi en
détail des parfaits et des imparfaits, qu’on trouve au sein des Ordres
religieux ou au dehors. Je t’ai entretenue des uns et des autres
séparément. Je t’ai dit la paix que donne l’obéissance, la guerre que
soulève la désobéissance et combien le désobéissant se trompe lui-même.
J’ai ajouté et établi que la mort était entrée dans le monde par la
désobéissance d’Adam."
" Et maintenant moi, Père
éternel, souveraine et éternelle Vérité, je conclus en t’affirmant que
c’est par l’obéissance de mon Fils unique et de mon Verbe que vous avez
la vie. Le premier homme, le vieil homme, vous a tous rendus débiteurs
de la mort; l’homme nouveau, le Christ doux Jésus vous a donné le droit
de vivre, à vous tous qui acceptez de porter la clef de l’obéissance. Je
vous ai fait de lui un pont sur ce chemin du ciel, qui avait été coupé;
en sorte qu’avec la clef de l’obéissance vous pouvez passer par cette
voie douce et droite, qui est la vérité lumineuse, unique source de
rectitude. Voilà comment vous traverserez sans péché les ténèbres de ce
monde, et comment enfin vous ouvrirez le ciel avec la clef de mon Verbe.
Je vous invite maintenant aux larmes, toi et mes autres serviteurs;
c’est grâce à ces larmes et à une prière humble et continue que
j’accorderai miséricorde au monde. Meurs à toi-même et cours dans cette
voie de la vérité. Qu’on n’aie plus à te reprocher une marche trop
lente, car je serai désormais plus exigeant qu’auparavant, puisque je me
suis manifesté moi-même à toi dans ma vérité. Prends garde de ne jamais
quitter la cellule de la connaissance de toi-même, c’est dans cet
intérieur que tu dois augmenter et conserver le trésor que je t’ai
donne, et qui est une doctrine de vérité, fondée sur la pierre solide et
vivante du Christ doux Jésus. Cette doctrine est revêtue d’une lumière
qui fait distinguer les ténèbres ; qu’elle soit ton vêtement dans la
vérité, ma fille bien-aimée. "
Après que cette âme eut vu,
avec l’oeil de l’intelligence et connu à la lumière de la très, sainte
foi la vérité et l’excellence de l’obéissance après qu’elle l’eut
comprise dans un jugement plein de rectitude et l’eut goûtée avec son
cœur, dans un ineffable désir, elle se regarda elle-même dans la divine
Majesté et lui rendit grâces en disant " Je vous rends grâces, ô Père,
de ce que vous n’avez pas méprisé votre créature. Vous n’avez pas
détourné de moi votre face et vous n’avez pas dédaigné mes désirs. Vous,
la lumière, vous ne vous êtes pas arrêté à la considération de mes
ténèbres. Vous, la vie, vous avez bien voulu oublier mon état de mort.
Vous n’avez pas méprisé, vous, le médecin, ma grande infirmité; vous,
l’éternelle pureté, mn boue et mes nombreuses misères; vous, l’infini,
mon être fini; vous, la sagesse, la folie que je suis. Malgré toutes ces
misères, et d’autres encore en nombre infini, malgré les innombrables
défauts qui sont en moi, vous ne m’avez pas repoussée. Je n’ai été
dédaignée, ni par votre sagesse ni par votre bonté, ni par votre
clémence, ni par le Bien infini que vous êtes. Dans votre lumière, vous
m’avez donné la lumière, dans votre ‘sagesse, j’ai connu la vérité; dans
votre clémence, j’ai trouvé la force de vous aimer et d’aimer le
prochain Qui donc vous a obligé d’agir ainsi? Rien qui vienne de moi,
mais votre seule charité. C’est ce même amour qui vous fait illuminer
des clartés, de la foi l’oeil de mon intelligence, pour que je comprenne
et connaisse votre vérité se manifestant à moi. Donnez, Seigneur, à ma
mémoire, de pouvoir garder le souvenir de vos bienfaits. Que mn volonté
brûle du feu de votre charité. Que ce feu fasse répandre à mon corps son
sang donné pour l’amour du Sang et qu’avec la clef de l’obéissance
j’ouvre la porte du ciel. Je vous fais la même demande pour toute
créature raisonnable; pour toutes en général comme pour chacune d’elles
en particulier, et pour le corps mystique de votre sainte Eglise. Je le
confesse et me garderai de le nier, vous m’avez aimée avant que je sois,
et vous chérissez si ineffablement votre créature qu’on pourrait vous
comparer à un homme que l’excès de son amour rend fou.
O Trinité éternelle! O
Déité, qui, par l’union de la nature divine, avez donné tant de
prix
au Sang de votre Fils unique! O Trinité éternelle, vous êtes vraiment un
océan profond, où plus je cherche, plus je trouve, et plus je trouve
plus je cherche. Vous me rassasiez, sans me faire dire jamais, c’est
assez; car, dans votre abîme, vous c6mblez mon âme, en la laissant
toujours affamée. Elle a soif de vous, ô Trinité éternelle, et c’est
dans votre lumière qu’elle désire vous voir, vous lumière. Comme le cerf
soupire après les sources d’eau vive, ainsi mon âme désire quitter ce
corps enténébré, pour contempler la vérité de votre être. Combien de
temps encore votre face restera-t-elle cachée à mes regards? O Trinité
éternelle! feu et abîme de charité, dissipez bien vite le nuage de mon
corps. Car la connaissance que vous m’avez donnée de vous me presse sous
l’attrait de votre vérité; elle m’impose le désir d’abandonner ce corps
si pesant, elle me rend avide de donner cette vie pour la louange et la
gloire de votre Nom, car, à la lumière de l’intelligence, j’ai goûté et
vu vos clartés, l’abîme de vos grandeurs, ô Trinité éternelle, et la
beauté de votre créature. En me regardant en vous, je me suie vue faite
à votre image, car vous m’avez donné, vous, Père éternel, quelque chose
de votre puissance. Il y a dans mon intelligence quelque chose de votre
sagesse, de cette sagesse qui appartient à votre Fils unique, et
l’Esprit-Saint qui procède de vous, ô Père, et de votre Fils, m’a donné
une volonté qui me rend capable d’aimer. Car c’est vous, Trinité
éternelle, qui êtes l’ouvrier et moi je suis votre œuvre. Et quand votre
lumière m’a fait voir que vous m’aviez à nouveau créée dans le Sang de
votre Fils unique, j’ai compris combien vous vous étiez épris d’amour
pour la beauté de votre créature.
" O abîme! O Déité
éternelle! O mer profonde! Que pouviez-vous me donner de plus grand que
vous-même? Vous êtes le feu qui toujours brûle. Vous consumez et n’êtes
point consumé. C’est vous qui consumez dans vos ardeurs tout
l’amour-propre de mon âme. Vous êtes encore ce feu qui chasse toute
froideur et illumine les âmes de cette lumière qui est vôtre et qui m'a
révèle votre vérité. Vous êtes cette lumière qui surpasse toute lumière
et que vous donnez avec votre lumière à l’oeil de l’intelligence (Ps
35, 10) ; lumière surnaturelle si abondante et si parfaite que la
lumière de foi en recevra de nouvelles clartés. C’est dans cette foi que
je vois la vie pour mon âme; c’est dans sa lumière que je vous ai reçu
vous, lumière. Dans la lumière de foi. en effet, j’acquiers
cette sagesse, qu’on trouve dans la sagesse du Verbe, votre Fils. Dans
la lumière de foi, je deviens plus forte, plus constante et
persévérante. Dans la lumière de foi, je trouve l’espérance que vous ne
me laisserez pas défaillir sur le chemin; c’est aussi cette lumière qui
m’enseigne la voie par où je dois passer, sans cette lumière je
marcherais dans les ténèbres; et voilà pourquoi je vous ai demandé, Père
éternel, de m’éclairer de la lumière de la très sainte foi. Oui, cette
lumière est vraiment un océan, où l’âme trouve sa nourriture, jusqu’à ce
qu’elle se perde tout entière en vous, ô océan de paix, Trinité
éternelle. L’eau de cet océan n’est point troublée, aussi
n’inspire-t-elle pas de crainte, et donne-t-elle au contraire la
connaissance de la vérité. Cette eau, d’absolue pureté, laisse entrevoir
les mystères de ses profondeurs, de là vient que là où surabonde la
lumière de votre foi, l’âme a comme des clartés sur ce qu’elle croit.
Cet océan, d’après ce que vous m’en avez fait connaître, ô Trinité
éternelle, est un miroir que la main de l’amour tient devant les yeux de
mon âme, et où je me vois en vous, moi qui suis votre créature. Dans la
lumière de ce miroir, vous vous représentez à moi et je vous connais,
vous le bien suprême et infini, bien au-dessus de tout bien, bien de la
félicité, bien incompréhensible, bien inestimable, beauté au-dessus de
toute beauté, sagesse au-dessus de toute sagesse; car vous êtes la
sagesse même. Vous, la nourriture des anges, vous vous êtes donné aux
hommes, dans le feu de votre charité. Vous êtes le vêtement qui
recouvre. ma nudité; et notre faim se repaît de votre douceur, car vous
êtes doux, sans nulle amertume.
O Trinité éternelle! je vous
ai connue dans cette lumière qui est vôtre, que vous m’avez donnée et
que j’ai reçue par la lumière de la très sainte foi, et vous m’avez
montré, dans de nombreux et admirables enseignements, la voie d’une
grande perfection. Vous l’avez fait pour que désormais je vous serve
dans votre lumière et non plus dans les ténèbres, pour que je sois un
miroir de vie bonne et parfaite, et pour que je m’élève au-dessus de
cette vie misérable, qui a été mienne jusqu’ici, et dans laquelle je
vous ai toujours servi au milieu des ténèbres. Car je n’avais pas connu
votre vérité, et c’est pourquoi je ne l’avais pas aimée. Et pourquoi ne
vous avais-je pas connu? parce que je ne vous avais pas vu? Et pourquoi
ne vous avais-je pas vu à la lumière de la très sainte et glorieuse foi?
parce que le nuage de l’amour-propre obscurcissait l’oeil de mon
intelligence Mais vous avez dissipé mes ténèbres, ô Trinité éternelle,
par votre lumière. Et qui pourrait s’élever jusqu’à vous, et vous rendre
grâce pour l’immense don et les bienfaits si généreux que vous m’avez
accordés, et pour la doctrine de vérité que vous venez de me livrer?
Cette doctrine est vraiment une grâce particulière ajoutée aux grâces
que vous donnez communément aux autres créatures. Vous avez voulu
condescendre à mes besoins et aux besoins de celles de vos autres
créatures, qui, à l’avenir, voudront bien arrêter leur regard sur cette
doctrine comme sur un miroir. Et maintenant, Seigneur, répondez, vous,
pour moi-même. C’est vous qui avez donné, chargez-vous encore de payer
la dette de reconnaissance qu’appellent vos dons; et pour cela répandez
en moi cette lumière de grâce, qui seule peut me permettre de vous
remercier. Revêtez, revêtez-moi, faites que je me revête de vous, ô
Vérité éternelle, afin que ma course en cette vie mortelle se poursuive
dans une véritable obéissance et à la lumière de la très sainte foi. "
Jusqu’ici j’ai rapporté les
paroles de la sainte avec toute la fidélité qui m’a été possible. Je les
ai prises dans son livre et traduites en latin, sans rien changer aux
pensées, et en les transcrivant littéralement, autant que la phrase
latine me l’a permis. Ces paroles, attentivement considérées, vous
permettront, lecteur, de vénérer l’excellence de notre sainte vierge non
seulement dans sa manière de vivre, mais dans son enseignement de la
vérité; enseignement tout à fait admirable chez une femme. De plus, si
vous réfléchissez à ce qui vient d’être écrit, vous verrez s’en dégager,
ce que nous voulions vous montrer, le suprême désir qu’avait Catherine,
de mourir et d’être avec le Christ. Elle savait et comprenait, surtout à
cette époque de sa vie, qu’être avec le Christ était de beaucoup le
meilleur des biens, le bien qui est la fin et la perfection de tout
bien. Voilà pourquoi son désir, tant qu’il n’eut pas obtenu
satisfaction, ne fit que croître en son cœur, depuis le jour où, encore
adolescente, elle contracta avec le Christ ces fiançailles, que nous
avons racontées au dernier chapitre de la première partie; jusqu’à
l’heure où son âme, abandonnant son corps, s'en alla consommer ce
mariage spirituel. C’est de ce départ pour le ciel que nous allons
parler dans le chapitre suivant.