

SECONDE PARTIE
Les trois voies
LIVRE II
La voie illuminative ou l'état des âmes en progrès
CHAPITRE
II
Des vertus morales
2
ART. III.
LA VERTU DE FORCE
1075. La justice,
complétée par la religion et l'obéissance, règle nos rapports avec les autres ;
la force et la tempérance règlent nos rapports avec nous-mêmes. C'est de la
force que nous allons traiter, en décrivant : 1° sa nature ; 2° les vertus
alliées qui s'y rattachent ; 3° les moyens de la pratiquer.
§ I.
Nature de la vertu de force
Nous exposerons : 1° sa
définition ; 2° ses degrés.
I.
Définition
1076. Cette vertu, qu'on
appelle force d'âme, force de caractère, ou virilité, chrétienne, est une vertu
morale surnaturelle qui affermit l’âme dans la poursuite du bien difficile, sans
se laisser ébranler par la peur, pas même par la crainte de la mort. A) Son
objet est de réprimer les impressions de la crainte qui tend à paralyser nos
efforts vers le bien, et de modérer l'audace qui, sans elle, deviendrait
facilement de la témérité.
1077. B) Ses actes se ramènent à deux principaux : entreprendre et endurer des
choses difficiles. a) La force consiste tout d'abord à entreprendre et exécuter
des choses difficiles : il y a en effet, sur le chemin de la vertu et de la
perfection, des obstacles nombreux, difficiles à vaincre, sans cesse
renaissants. Il faut n'en avoir pas peur, aller même au devant d'eux, faire
courageusement l'effort nécessaire pour les surmonter : c’est le premier acte de
la vertu de force. Cet acte suppose : 1) de la décision, pour se résoudre
promptement à faire son devoir coûte que coûte ; 2) du courage, de la générosité
pour faire des efforts proportionnés aux difficultés et qui sache grandir avec
celles-ci ; 3) de la constance, pour continuer l'effort jusqu'au bout, malgré la
persistance et les retours offensifs de l'ennemi. b) Mais il faut aussi savoir
souffrir pour Dieu les épreuves nombreuses et difficiles qu'il nous envoie, les
souffrances, les maladies, les railleries, les calomnies dont on est la victime.
C'est souvent plus difficile encore que d'agir : sustinere difficilius est quam
aggredi, dit S. Thomas, et il en donne trois raisons. 1) Tenir bon suppose qu'on
est attaqué par un ennemi supérieur, tandis que celui qui attaque se sent
supérieur à son adversaire ; 2) celui qui soutient le choc est déjà aux prises
avec les difficultés et en souffre, celui qui attaque ne fait que les prévoir ;
or un mal présent est plus redoutable que celui qu'on prévoit ; 3) l’endurance
suppose qu’on demeure immobile et inflexible sous le choc, pendant un temps
notable, par exemple quand on est cloué au lit par une longue maladie, ou qu'on
éprouve de violentes ou longues tentations ; celui qui entreprend une chose
difficile donne un effort momentané, qui généralement ne dure pas aussi
longtemps.
II.
Degrés de la vertu de force
1078. 1° Les commençants
luttent courageusement contre les diverses craintes qui s'opposent à
l'accomplissement du devoir : 1) La crainte des fatigues et des dangers : ils se
rappellent que l'homme a des biens plus précieux que la fortune, la santé, la
réputation et la vie : les biens de la grâce qui ne sont eux-mêmes que les
préludes du bonheur éternel ; ils en concluent qu'il faut sacrifier
généreusement les premiers pour conquérir les biens qui ne périssent pas. Ils se
persuadent que le seul, véritable mal, c'est le péché ; et que par conséquent ce
mal doit être évité à tout prix, même au risque d'endurer tous les maux
temporels qui peuvent fondre sur nous.
1079. 2) La crainte des critiques ou railleries, ou, en d'autres termes, le
respect humain, qui nous porte à négliger notre devoir par peur des Jugements
défavorables qu'on portera sur nous, des railleries qu'on aura à subir, des
menaces prononcées contre nous, des injures et injustices dont on sera la
victime. Que d'hommes, intrépides sur le champ de bataille, reculent devant ces
critiques ou ces menaces ! Et combien il importe de former les jeunes gens au
mépris du respect humain, à ce mâle courage qui sait braver l'opinion publique,
et suivre ses convictions sans peur comme sans reproche. 3) La crainte de
déplaire à ses amis : elle est parfois plus redoutable que celle d'encourir la
vengeance de ses ennemis. Et cependant il faut se souvenir qu'il vaut mieux
plaire à Dieu qu'aux hommes, que ceux qui nous empêchent de faire intégralement
notre devoir ne sont que de faux amis, et qu'à vouloir leur plaire on perdrait
l'estime et l'amitié de N. S. Jésus Christ : « Si adhuc hominibus placerem,
Christi servus non essem » (Gal., I, 10). A plus forte raison ne faut-il pas
sacrifier son devoir au désir d'une vaine popularité : les applaudissements des
hommes passent, il n'y a de durable, il n'y a de vraiment digne de nous que
l'approbation de Dieu, le juge infaillible. Concluons donc avec S. Paul que la
gloire à rechercher c'est uniquement celle qui vient de la fidélité à Dieu et au
devoir : « Qui autem gloriatur, in Domino glorietur. Non enim qui se ipsum
commendat, ille probatus est, sed quem Deus commendat » (II Cor., X, 17-18)
1080. 2° Les âmes avancées pratiquent le côté positif de la vertu de force, en
s'efforçant d'imiter la force d'âme dont Jésus nous a donné l'exemple pendant sa
vie.
1) Cette vertu apparaît dans sa vie cachée : dès le premier instant Notre
Seigneur se propose à son Père pour remplacer toutes les victimes de l'Ancienne
Loi en s'immolant lui-même pour les hommes. Il sait que par là sa vie sera un
martyre ; mais ce martyre il le veut librement. C'est pour cela que dès sa
naissance, il embrasse avec ardeur la pauvreté, la mortification et
l'obéissance, se soumet aux persécutions et à l'exil, s'enferme pendant trente
ans dans l'obscurité la plus complète, afin de nous mériter la grâce de
sanctifier les actions les plus ordinaires et de nous inspirer, l'amour de
l'humilité. C'est ainsi qu'il nous apprend à pratiquer la force, le courage dans
les mille petits détails de la vie commune.
2) Elle apparaît dans sa vie publique : dans le long jeûne qu'il s'impose avant
de commencer son ministère ; dans la lutte victorieuse qu'il soutient contre le
démon ; dans sa prédication, où, contrairement aux préjugés juifs, il annonce un
royaume tout spirituel, basé sur l'humilité, le sacrifice, l'abnégation en même
temps que sur l'amour de Dieu ; dans la vigueur avec laquelle il flétrit le
scandale et condamne les interprétations casuistiques des Docteurs de la loi ;
dans le soin jaloux avec lequel il évite une popularité de mauvais aloi et
rejette la royauté qu'on veut lui offrir ; dans la manière, à la fois douce et
forte, avec laquelle il forme ses apôtres, redresse leurs préjugés, corrige
leurs défauts et fait la leçon à celui qu'il a choisi comme chef du collège
apostolique ; dans cet esprit de décision qu'il montre en se rendant à
Jérusalem, sachant bien qu'il va à là souffrance, à l'humiliation et à la mort.
Ainsi il nous donne l'exemple de ce courage calme et constant que nous devons
pratiquer dans toutes nos relations avec le prochain.
3) Elle apparaît dans sa vie souffrante : dans cette agonie douloureuse, où,
malgré la sécheresse et l'ennui, il ne cesse de prier longuement ; dans la
sérénité parfaite qu'il montre au moment de son injuste arrestation, dans ce
silence qu'il sait garder au milieu des calomnies et en face de la curiosité
d'Hérode ; dans la dignité de son attitude devant les juges ; dans la patience
héroïque dont il fait preuve au milieu des supplices immérités qu'on lui
inflige, des railleries dont on l'abreuve ; et surtout dans cette calme
résignation avec laquelle il s'abandonne entre les mains de son Père, avant
d'expirer. Par là il nous enseigne la patience au milieu des plus rudes
épreuves.
Comme on le voit, il y a là ample matière à imitation ; et, pour y mieux
réussir, nous devons supplier Notre Seigneur de venir vivre en nous avec la
plénitude de sa force. Mais il faut coopérer avec lui à la pratique de cette
vertu, en nous y exerçant non seulement dans les grandes occasions, mais encore
dans ces mille petites actions qui composent le détail de notre vie, nous
souvenant que la pratique constante des petites vertus demande autant et plus
d'héroïsme que les actions d'éclat.
1081. 3° Les âmes parfaites cultivent non seulement la vertu mais le don de
force, comme nous l'expliquerons en parlant de la voie unitive. Elles
entretiennent cette disposition généreuse de s'immoler pour Dieu, et de subir ce
martyre à petit feu qui consiste dans un effort sans cesse renouvelé de tout
faire pour Dieu, de tout souffrir pour sa gloire.
§ II.
Les vertus alliées de la force
1082. A la vertu de force
se rattachent quatre vertus : deux qui nous aident à faire les choses
difficiles, à savoir la magnanimité et la magnificence ; deux qui nous aident à
bien souffrir, la patience et la constance. Au témoignage de S. Thomas, elles
sont à la fois des parties intégrantes et des annexes de la vertu de force.
I. La
magnanimité
1083. 1° Nature. La
magnanimité, qu'on appelle encore grandeur d'âme, ou noblesse de caractère, est
une disposition noble et généreuse à entreprendre de grandes choses pour Dieu et
le prochain. Elle diffère de l'ambition, qui est au contraire essentiellement
égoïste, et cherche à s'élever au-dessus des autres par l'autorité ou les
honneurs ; le désintéressement est le caractère distinctif de la magnanimité :
elle veut rendre service aux autres. a) Elle suppose donc une âme noble, ayant
un idéal élevé, des idées généreuses ; une âme courageuse qui sait mettre sa vie
en harmonie avec ses convictions. b) Elle se manifeste, non seulement par de
nobles sentiments, mais par de nobles actions, et cela dans tous les ordres :
dans l'ordre militaire, par des actions d'éclat ; dans l'ordre civique, par de
grandes réformes ou de grandes entreprises industrielles, commerciales ou autres
; dans l'ordre surnaturel, par un idéal élevé de perfection sans cesse
poursuivi, par des efforts généreux pour se vaincre et se surpasser, pour
acquérir des vertus solides, pratiquer l'apostolat sous toutes ses formes,
fonder et diriger des œuvres ; tout cela sans craindre de compromettre sa
fortune, sa santé, sa réputation et même sa vie.
1084. 2° Le défaut opposé est la pusillanimité qui, par crainte excessive d'un
échec, hésite et demeure dans l'inaction. Pour éviter des bévues, on commet en
réalité la plus grande des maladresses : on ne fait rien ou presque rien, et
ainsi on gaspille sa vie. Il est évident qu'il vaut mieux s'exposer à quelques
méprises que de rester dans l'inaction.
II. La
munificence ou magnificence
1085. 1° Nature. Quand on
a une âme noble et un grand cœur, on pratique la magnificence ou la munificence,
qui nous porte à faire de grandes œuvres, et par là même les grandes dépenses
que ces œuvres entraînent. a) Parfois c'est l'orgueil ou l'ambition qui inspir
ces œuvres ; ce n'est pas alors une vertu. Mai quand on a en vue la gloire de
Dieu ou le bien de ses semblables, on surnaturalise ce désir naturel des
grandeurs, et, au lieu de capitaliser constamment ses ressources, on dépense
noblement son argent en de grandes et nobles entreprises, œuvres d'art,
monuments publics, constructions d'églises, d'hôpitaux, d'écoles et
d'universités, en un mot, de tout ce qui favorise le bien public : c'est alors
une vertu, qui nous fait triompher de l'attache naturelle qu'on a pour l'argent
et du désir d'augmenter ses revenus.
1086. b) C'est une vertu excellente qu'il faut recommander aux riches, en leur
montrant que le meilleur emploi des richesses que la Providence leur à confiées
est d'imiter la libéralité et la magnificence de Dieu dans ses œuvres. Que
d'institutions catholiques végètent aujourd'hui faute de ressources ! N'y a-t-il
pas là un noble emploi pour les fonds qu'on a pu accumuler, et n'est-ce pas le
meilleur moyen de se bâtir une riche demeure dans le ciel ? Et que d'autres
institutions sont à créer ? Chaque génération apporte son contingent de besoins
nouveaux : tantôt ce sont des églises et des écoles à bâtir, tantôt les
ministres du culte à entretenir ; parfois ce sont des misères publiques à
soulager ; d'autrefois des œuvres nouvelles à fonder, patronages, syndicats,
caisses de prévoyance et de retraites, etc. Il y à là un vaste champ ouvert à
toutes les activités et à toutes les bourses. c) Il n'est même pas besoin d'être
riche pour pratiquer cette vertu. S. Vincent de Paul ne l'était pas ; et
cependant est-il un seul homme qui ait pratiqué autant et aussi sagement que lui
une munificence vraiment royale à l'égard de toutes les misères de son siècle,
et fondé des œuvres qui ont eu autant de succès durable ? Quand on a l'âme
noble, on trouve des ressources dans la charité publique, et il sembte que la
Providence se mette au service des grands dévouements, quand on sait se confier
en elle et observer les lois de la prudence ou suivre les mouvements du Saint
Esprit.
1087. 2° Les défauts opposés sont la lésinerie et la profusion. a) La lésinerie
ou mesquinerie arrête les élans du cœur, ne sait pas proportionner les dépenses
à l'importance de l'œuvre à entreprendre et ne fait rien que de petit ou
d'étroit. b) La profusion au contraire nous pousse à faire des dépenses
excessives, à prodiguer son argent sans compter, sans proportion avec l'œuvre
entreprise, et parfois même en allant au delà de ses ressources. On l'appelle
encore prodigalité. C'est à la prudence qu'il appartient de tenir le juste
milieu entre ces deux excès.
III. La
patience
1088. 1° Nature. La
patience est une vertu chrétienne qui nous fait supporter avec égalité d'âme,
par amour pour Dieu et en union avec Jésus-Christ, les souffrances physiques ou
morales. Tous nous souffrons assez pour être des saints, si nous savons le faire
vaillamment et pour des motifs surnaturels ; mais beaucoup ne souffrent qu'en se
plaignant, en maugréant, parfois même en maudissant la Providence ; d'autres
souffrent par orgueil ou cupidité et perdent ainsi le fruit de leur patience. Le
vrai motif qui doit nous inspirer, c'est la soumission à la volonté de Dieu, n°
487, et, pour nous y aider, l'espoir de la récompense éternelle qui couronnera
notre patience, n° 491. Mais le stimulant le plus puissant, c'est la méditation
de Jésus souffrant et mourant pour nous. Si lui, l'innocence même, a enduré si
héroïquement tant de tortures physiques et morales, et cela par amour pour nous,
pour nous racheter et nous sanctifier, n'est-il pas juste que nous, qui sommes
coupables et avons par nos péchés causé ses souffrances, consentions à souffrir
avec lui et dans les mêmes intentions que lui, pour collaborer avec lui à
l'œuvre de notre purification et de notre sanctification, et avoir part à sa
gloire après avoir eu part à ses souffrances ? Les âmes nobles et généreuses y
ajoutent un motif d'apostolat : elles souffrent pour compléter la Passion du
Sauveur Jésus, et travailler ainsi à la rédemption des âmes (n° 149). Là est le
secret de la patience héroïque des Saints et de leur amour pour la croix.
1089. 2° Les degrés de patience correspondent aux trois stages de la vie
spirituelle. a) Au début, on accepte la souffrance, comme venant de Dieu, sans
murmure et sans révolte, soutenu par l'espérance des biens célestes ; on
l'accepte pour réparer ses fautes et purifier son cœur, pour maîtriser ses
penchants déréglés, en particulier la tristesse et l'abattement ; on l'accepte,
malgré les répugnances de la sensibilité, et si on demande que le calice
s'éloigne, on ajoute que, malgré tout, on se soumet à la volonté divine.
1090. b) Au second degré, on embrasse les souffrances avec ardeur et
détermination, en union avec Jésus-Christ, et pour se conformer davantage à ce
divin Chef. On aime donc à parcourir avec lui la voie douloureuse qu'il a suivie
de la crèche au Calvaire, on l'admire, on le loue, on l'aime dans tous les états
douloureux où il a passé : dans le dénuement où il s'est condamné à son entrée
dans le monde, sa résignation dans l'humble crèche qui lui sert de berceau, où
il souffre encore plus de l'ingratitude des hommes que du froid de la saison ;
les souffrances de l'exil ; les obscurs travaux de la vie cachée ; les labeurs,
les fatigues et les humiliations de la vie publique, mais surtout, les
souffrances physiques et morales de sa longue et douloureuse passion. Armé de
cette pensée : « Christo igitur passo in carne, et vos eadem cogitatione
armamini » (I Petr., IV, 1) on se sent plus courageux en face de la douleur ou
de la tristesse ; on s'étend amoureusement sur la croix, à côté de Jésus et par
amour pour lui : « Christo confixus sum cruci » (Galat., II, 19) ; quand on
souffre davantage, on jette un regard compatissant et amoureux sur lui, et on
l'entend nous dire : « Beati qui lugent ... beati qui persecutionem patiuntur
propter justitiam » ; l'espoir de partager sa gloire dans le ciel rend plus
supportables les crucifiements qu'on subit avec lui : « Si tamen compatimur ut
et conglorificemur » (Rom., VIII, 17). On en vient même parfois, comme S. Paul,
à se réjouir de ses misères et de ses tribulationsi sachant bien que souffrir
avec le Christ, c'est le consoler et compléter sa passion, c'est l'aimer plus
parfaitement sur terre et se préparer à jouir davantage de son amour dans
l'éternité (II Cor., XII, 9 ; VII, 4).
1091. c) Et ceci nous mène au troisième degré, le désir et l’amour de la
souffrance, pour Dieu qu’on veut ainsi glorifier, et pour les âmes à la
sanctification desquelles on veut travailler. C'est ce qui convient aux parfaits
et surtout aux âmes apostoliques, aux religieux, aux prêtres et aux âmes
d'élite. C'est cette disposition qu'avait Notre Seigneur en s'offrant à son Père
comme victime dès son entrée dans le monde et qu'il exprimait en proclamant son
désir d'être baptisé du baptême douloureux de sa passion (Luc, XII, 50). Par
amour pour lui, et afin de lui mieux ressembler, les âmes parfaites entrent dans
les mêmes sentiments : car, nous dit S. Ignace, comme les gens du monde, qui
sont attachés aux choses de la terre, aiment et cherchent avec beaucoup
d'empressement les honneurs, la réputation et l'éclat parmi les hommes... de
même ceux qui s'avancent dans la voie de l'esprit et qui suivent sérieusement
Jésus-Christ, aiment et désirent avec ardeur tout ce qui est contraire à
l’esprit du monde... de sorte que, si cela pouvait se faire sans aucune offense
de Dieu et sans scandale du prochain, ils voudraient souffrir des affronts, des
faux témoignages et des injures, être regardés et traités comme des insensés,
sans toutefois en avoir donné le sujet, tant ils ont de désir de se rendre
semblables en quelque manière à Notre Seigneur Jésus-Christ... afin qu'avec le
secours de sa grâce nous tâchions de l'imiter autant qu'il sera possible, et de
le suivre en toutes choses, puisqu'il est la voie véritable qui conduit les
hommes à la vie. Il n'y a évidemment que l'amour de Dieu et du divin crucifié
qui puisse faire aimer de la sorte les croix et les humiliations.
1092. Faut-il aller plus loin, s'offrir à Dieu comme victime et demander
positivement à Dieu des souffrances exceptionnelles, soit pour réparer la gloire
de Dieu, soit pour obtenir quelque insigne faveur ? Assurément il y a eu des
Saints qui l'ont fait, et aujourd'hui encore il y a des âmes généreuses qui sont
portées à le faire. Mais d'une façon générale on ne peut prudemment conseiller
ces demandes : elles prêtent trop à l'illusion et sont souvent inspirées par une
générosité irréfléchie qui vient de la présomption. On les fait, dit le P. de
Smedt, en des moments de ferveur sensible, et, le temps de cette ferveur une
fois passé, on se sent trop faible pour exécuter les actes héroïques de
soumission et d'acceptation qu'on avait faits si énergiques en imagination. De
là des tentations très rudes de découragement ou même des murmures contre la
divine Providence... c'est là une source de beaucoup d'ennuis et, d'embarras
pour les directeurs de ces âmes. Il ne faut donc pas demander de soi-même des
souffrances ou épreuves spéciales ; si on s'y sent porté, on consultera un
directeur sage, et on ne fera rien sans son approbation.
IV. La
constance
1093. La constance dans
l'effort consiste à lutter et à souffrirjusqu'au bout, sans succomber à la
lassitude, au découragement ou à la mollesse.
1° L'expérience montre en effet, qu'après des efforts réitérés, on se fatigue de
faire le bien, on s'ennuie d'avoir toujours à tendre sa volonté. Et cependant la
vertu n'est pas solide, tant qu'elle n'a pas la sanction du temps, qu'elle n'est
pas affermie par des habitudes profondément enracinées. Ce sentiment de
lassitude produit souvent le découragement et la mollesse : l'ennui que l'on
éprouve à renouveler ses efforts détend les énergies de la volonté, et produit
un certain affaissement moral ou découragement ; alors l'amour de la jouissance
et le regret d'en être sevré, reprennent le dessus, et on se laisse aller au
courant de ses mauvaises tendances.
1094. 2° Pour réagir contre cette faiblesse : 1) il faut tout d'abord se
souvenir que la persévérance est un don de Dieu, n° 127, qui s'obtient par la
prière ; nous devons donc le demander avec instance, en union avec Celui qui a
été constant jusqu'à la mort, et par l'intercession de celle que nous appelons
avec raison la Vierge fidèle. 2) Il faut ensuite renouveler ses convictions sur
la brièveté de la vie et la durée sans fin de la récompense, qui couronnera nos
efforts : si nous avons toute l'éternité pour nous reposer, cela vaut bien
quelques efforts et quelques ennuis sur terre. Si, malgré tout, nous nous
sentons faibles et vacillants, c'est le cas de demander avec instance la grâce
de constance dont nous sentons si vivement le besoin, en redisant la prière
d'Augustin : Da, Domine, quod jubes, et jube quod vis. 3) Enfin on se remet
courageusement à l'œuvre avec une nouvelle ardeur, appuyé sur la grâce toute
puissante de Dieu, et cela malgré le peu de succès apparent de nos essais, en
nous rappelant que Dieu nous demande l'effort et non le succès. Toutefois
n'oublions pas que nous avons parfois besoin d'une certaine détente, de repos et
de diversion. La constance n'exclut donc pas le repos légitime ; le tout c'est
de le prendre en conformité avec la volonté de Dieu, selon les prescriptions de
la règle ou d'un sage directeur.
§ III.
Moyens d'acquérir ou de perfectionner la vertu de force
Nous renvoyons tout
d'abord le lecteur à ce que nous avons dit de l'éducation de la volonté, n° 811,
en ajoutant quelques remarques qui se rapportent davantage à notre sujet.
1095. 1° Le secret de nôtre force réside dans la défiance de nous-mêmes et la
confiance absolue en Dieu. Incapables de rien faire de bon, dans l'ordre
surnaturel, sans le secours de la grâce, nous participons à la force même de
Dieu et sommes invincibles, si nous avons soin de nous appuyer sur Jésus : « qui
manet in me et ego in eo, hic fert fructum multum » (Joan., XV, 5). « Omnia
possum in eo qui me confortat » (Phil., IV, 13). Voilà pourquoi ce sont les
humbles qui sont forts, quand, à la conscience de leur faiblesse, ils joignent
la confiance en Dieu. Ce sont donc ces deux sentiments qu'il faut cultiver dans
les âmes. S'il s'agit des orgueillëux et des présomptueux on insistera sur la
défiance de soi ; si l’on a à faire à des timides et des pessimistes, on
insistera sur la confiance en Dieu, en leur expliquant ces consolantes paroles
de S. Paul : « Infirma mundi elegit Deus ut confundat fortia, et ea quæ non sunt,
ut ea quæ sunt destrueret : ce qui était faible aux yeux du monde, Dieu l'a
choisi pour confondre les forts... ce qui n'est rien, pour réduire au néant ce
qui est » (I Cor., I, 27-28).
1096. 2° A cette double disposition il faut joindre des convictions profondes et
l'habitude d'agir conformément à ces convictions. A) Des convictions fondées sur
les grandes vérités, en particulier la fin de l'homme et du chrétien, la
nécessité de tout sacrifier pour atteindre cette fin ; l'horreur que doit nous
inspirer le péché, le seul obstacle à notre fin ; la nécessité de soumettre
notre volonté à celle de Dieu pour éviter le péché et atteindre notre fin, etc.
Ce sont en effet ces convictions qui sont les principes directeurs de notre
conduite, et les moteurs qui nous donnent l'élan nécessaire pour triompher des
obstacles. B) Voilà pourquoi il importe de s'habituer à agir d'après ces
convictions ; on ne se laissera donc pas entraîner par l'inspiration du moment,
par l'impulsion brusque de la passion, par la routine ou l'intérêt personnel ;
mais avant d'agir, on se dira : quid hoc ad æternitatem ? Est-ce que cette
action que je vais faire me rapproche de Dieu, de mon éternité bienheureuse ? Si
oui, je la fais ; si non, je m'en abstiens. Ainsi, en ramenant tout à la fin
dernière, on vit d'après ses convictions, et on est fort.
1097. 3° Pour mieux surmonter les difficultés, il est bon de les prévoir, de les
envisager en face, et de s'armer de courage contre elles ; mais sans les
exagérer, et en comptant sur le secours que Dieu ne manquera pas de nous donner
en temps opportun. Une difficulté prévue est à moitié vaincue.
1098. 4° Enfin on n'oubliera qu'il n'est rien qui nous rende intrépides comme
l'amour de Dieu : « fortis est ut mors dilectio » (Cant., VIII, 6). Si l’amour
rend une mère courageuse et vaillante quand il s'agit de défendre ses enfants,
que ne fera pas l'amour de Dieu quand il est profondément enraciné dans l'âme ?
N'est-ce pas lui qui a fait les martyrs, les vierges, les missionnaires, les
saints ? Quand Paul raconte par quelles épreuves il a passé, quelles
persécutions, quelles souffrances il a endurées, on se demande ce qui soutenait
son courage au milieu de tant d'adversités. Il nous le dit lui-même : c'est
l'amour du Christ : « Caritas enim Christi urget nos » (II Cor., V, 14). Et
voilà pourquoi il est sans inquiétude pour l'avenir ; car qui donc peut le
séparer de l'amour du Christ ? Et il énumère les différentes tribulations qu'il
peut prévoir, en ajoutant que « ni la mort, ni la vie, ni les anges... ni les
choses présentes, ni les choses à venir, ni les puissances... ni aucune créature
ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu en Jésus Christ notre Seigneur »
(Rom., VIII, 38-39). Ce que S. Paul disait, tout chrétien peut le dire, pourvu
qu'il aime loyalement son Dieu ; et alors il participera à la force même de Dieu
: « quia tu es Deus, fortitudo mea » (Ps. XLII, 2).
ART. IV.
LA VERTU DE TEMPÉRANCE
Si la force est nécessaire
pour réprimer la crainte, la tempérance ne l'est pas moins pour modérer cet
attrait du plaisir qui si facilement nous détourne de Dieu.
1099. La tempérance est une vertu morale surnaturelle qui modère l'attrait au
plaisir sensible, surtout aux plaisirs du goût et du toucher, et le contient
dans les limites de l'honnêteté. Son objet est de modérer tout plaisir sensible,
mais surtout celui qui est lié aux deux grandes fonctions de la vie organique :
le manger et le boire, qui conservent la vie de l'individu, et les actes qui ont
pour but la conservation de l'espèce. La tempérance nous fait user du plaisir
pour une fin honnête et surnaturelle, et par là même en modère l'usage selon les
prescriptions de la raison et de la foi. Et, précisément parce que le plaisir
est alléchant et nous entraîne facilement au delà des justes limites, la
tempérance nous porte à la mortification, même dans certaines choses permises,
afin d'assurer l’empire de la raison sur la passion. C'est à l'aide de ces
principes que nous résoudrons les questions de détail.
Comme nous avons déjà suffisamment parlé des règles à suivre pour modérer le
plaisir attaché à la nutrition (n° 864), nous traiterons ici de la chasteté qui
règle le plaisir attaché à la propagation de l’espèce. Nous parlerons ensuite de
deux vertus alliées à la tempérance, l'humilité et la douceur.
§ I. De
la chasteté
1100. 1° Notion. La
chasteté a pour but de réprimer tout ce qu'il y a de désordonné dans les
jouissances voluptueuses. Or ces jouissances n'ont qu'une fin, perpétuer la race
humaine en transmettant la vie par l'usage légitime du mariage. En dehors de là,
toute volupté est strictement prohibée. La chasteté est appelée avec raison une
vertu angélique, parce qu'elle nous rapproche des anges qui eux sont purs par
nature. C'est une vertu austère, parce qu'on n'arrive à la pratiquer qu'en
disciplinant et en domptant son corps et ses sens par la mortification. C'est
une vertu délicate, que ternissent les moindres défaillances volontaires ; et
par là même difficile, puisqu'on ne peut la garder qu'en luttant généreusement
et constamment contre la plus tyrannique des passions.
1101. 2° Degrés. 1) Elle a bien des degrés : le premier consiste à éviter avec
soin de consentir à toute pensée, imagination, sensation ou action contraire à
cette vertu. 2) Le second vise à écarter immédiatement et énergiquement toute
pensée, image ou impression qui pourrait ternir l'éclat de cette vertu. 3) Le
troisième, qui ne s'acquiert généralement qu'après de longs efforts dans la
pratique de l'amour de Dieu, consiste à maîtriser tellement ses sens et ses
pensées, que, quand on a par devoir à traiter des questions relatives à la
chasteté, on le fait avec autant de calme et de tranquillité que s'il s'agissait
de tout autre sujet. 4) Il en est enfin qui, par un privilège spécial, en
arrivent à n’avoir aucun mouvement déréglé, comme on le raconte de S. Thomas
après sa victoire dans une circonstance critique.
1102. 3° Espèces. Il y a deux sortes de chasteté, la chasteté conjugale qui
convient aux personnes légitimement mariées, et la continence qui convient à
celles qui ne le sont pas. Après avoir traité brièvement de la première, nous
insisterons sur la seconde, en tant surtout qu'elle convient aux personnes
engagées dans le célibat religieux ou ecclésiastique.
I. De la
chasteté conjugale
1103. 1° Principe. Les
époux chrétiens n'oublieront jamais que, selon la doctrine de S. Paul, le
mariage chrétien est le symbole de l'union sainte qui existe entre le Christ et
son Eglise : « Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l'Eglise et s'est
livré lui-même pour elle, afin de la sanctifier » (Ephes., V, 25). Ils doivent
donc s'aimer, se respecter, se sanctifier mutuellement (n° 591). Le premier
effet de cet amour, c'est l'union indissoluble des cœurs, et par conséquent la
fidélité inviolable de l'un à l'autre.
1104. 2° Fidélité mutuelle. a) Ici nous emprunterons le langage de S. François
de Sales ou résumerons sa pensée : « Conservez donc, ô maris, un tendre,
constant et cordial amour envers vos femmes... Si vous voulez que vos femmes
vous soient fidèles, faites-leur en voir la leçon par votre exemple. Avec quel
front, dit S. Grégoire Nazianzene (Orat. XXXVIII), voulez-vous exiger la
pudicité de vos femmes, si vous-mêmes vivez en impudicité ? » - « Mais vous, ô
femmes, desquelles l'honneur est inséparablement conjoint avec la pudicité et
honnêteté, conservez jalousement votre gloire, et ne permettez qu'aucune sorte
de dissolution ternisse la blancheur de votre réputation. Craignez toutes sortes
d'attaques pour petites qu'elles soient, ne permettez jamais aucune muguetterie
autour de vous. Quiconque vient louer votre beauté et votre grâce doit vous être
suspect, mais si à votre louange quelqu’un ajoute le mépris de votre mari, il
vous offense infiniment, car la chose est claire que non seulement il veut vous
perdre, mais vous tient déjà pour demi-perdue, puisque la moitié du marché est
faite avec le second marchand quand on est dégoûté du premier. » (Vie dévote,
IIIe P., ch. XXXVIII). b) Rien n'assure mieux cette mutuelle fidélité que la
pratique de la vraie dévotion, en particulier la prière récitée en commun. «
Ainsi les femmes doivent souhaiter que leurs maris soient confits au sucre de la
dévotion, car l'homme sans dévotion est un animal sévère, âpre et rude ; et les
maris doivent souhaiter que leurs femmes soient dévotes, car, sans la dévotion
la femme est grandement fragile et sujette à déchoir ou ternir en la vertu ». c)
Au demeurant, le support mutuel de l'un pour l'autre doit être si grand que tous
deux ne soient courroucés ensemble et tout à coup, afin qu'en eux il ne se voie
de la dissension et du débat ». Si donc l'un des deux est en colère, que l'autre
demeure calme, afin que la paix revienne au plus tôt.
1105. 3° Devoir conjugal. Les époux respecteront la sainteté du lit conjugal par
la pureté de leur intention et l'honnêteté de leurs rapports. A) Leur intention
sera celle du jeune Tobie, lorsqu'il épousa Sara : « Vous savez, Seigneur, que
ce n'est pas pour satisfaire ma passion que je prends ma sœur pour épouse, mais
dans le seul désir de laisser des enfants qui bénissent votre nom dans tous les
siècles » (Tob., VIII, 9). Voilà bien en effet la fin primordiale du mariage
chrétien : avoir des enfants qu'on élèvera dans la crainte et l'amour du
Seigneur, qu'on formera à la piété et à la vie chrétienne, pour en faire un jour
des citoyens du ciel. La fin secondaire, c'est de s'entraider à supporter les
peines de la vie, et de triompher des passions en subordonnant le plaisir au
devoir.
1106. B) On accomplira donc fidèlement et franchement le devoir conjugal ; tout
ce qui favorise la transmission de la vie est non seulement licite, mais
honorable ; mais toute action qui mettrait volontairement un obstacle à ce but
primordial serait une faute grave, puisqu'elle irait contre la fin première du
mariage. On tiendra compte de cette recommandation de S. Paul : « Ne vous
soustrayez pas l'un à l'autre, si ce n'est d'un commun accord, pour un temps,
afin de vaquer à la prière ; puis remettez-vous ensemble, de peur que Satan ne
vous tente par suite de votre incontinence » (I Cor., VII, 5).
C) La modération s'impose dans l'accomplissement de ce devoir aussi bien que
dans l'usage de la nourriture ; il est même des cas où l'hygiène et les
convenances demandent qu'on pratique pour un temps la continence. On n'y réussit
que lorsqu'on a pris l'habitude de subordonner le plaisir au devoir, et de
chercher dans la réception fréquente des sacrements un remède aux désirs
violents de la concupiscence. Mais qu'on se souvienne qu'il n'est rien
d'impossible, et que par la prière on obtient toujours la grâce de pratiquer les
vertus les plus austères.
II. De
la continence ou du célibat
1107. La continence
absolue est un devoir pour toutes les personnes qui ne sont pas unies par les
liens d'un légitime mariage. Elle doit donc être pratiquée par tous avant le
mariage comme aussi par ceux qui sont dans le saint état de veuvage. Mais il est
en outre des âmes d'élite appelées à pratiquer la continence toute leur vie,
soit dans l'état religieux, soit dans le sacerdoce, soit même dans le monde. A
ces personnes il est bon de tracer des règles spéciales pour la conservation de
la pureté parfaite. Or la chasteté est une vertu frêle et délicate qui ne peut
se conserver que si elle est protégée par d'autres vertus ; c'est une citadelle
qui a besoin, pour sa défense, de forts avancés. Ces forts sont au nombre de
quatre : 1° l’humilité, qui produit la défiance de soi et la fuite des occasions
dangereuses ; 2° la mortification, qui, en combattant l'amour du plaisir,
atteint le mal à sa racine ; 3° l'application aux devoirs d'état, qui prévient
les dangers de l'oisiveté ; 4° l'amour de Dieu, qui, en remplissant le cœur,
l'empêche, de s’adonner aux affections dangereuses. Au centre de ce quadrilatère
l'âme peut non seulement repousser les attaques de l'ennemi, mais se
perfectionner dans la pureté.
1°
L'humilité, gardienne de la chasteté
1108. Cette vertu produit
trois dispositions principales qui nous mettent à l'abri de bien des dangers :
la défiance de soi et la confiance en Dieu ; la fuite des occasions dangereuses,
la sincérité en confession.
A) La défiance de soi-même
accompagnée de confiance en Dieu. Beaucoup d'âmes en effet tombent dans
l'impureté par orgueil et présomption. S. Paul en fait la remarque à propos des
philosophes païens, qui en se glorifiant dans leur sagesse, se laissèrent aller
à toutes sortes de turpitudes (Rom., I, 26). Ce qu'explique ainsi M. Olier : «
Dieu qui ne peut souffrir la superbe dans une âme, l'humilie jusqu'au bout ; et
jaloux de lui faire reconnaître sa faiblesse, et qu'elle n'a aucun pouvoir
d'elle-même pour résister au mal et pour se maintenir dans le bien... permet
qu'elle soit travaillée de ces horribles tentations, et quelquefois même qu'elle
y succombe jusqu'au bout, parce qu'elles sont les plus honteuses de toutes, et
qu'elles laissent après elles une plus grande confusion ». Quand au contraire on
est persuadé qu'on n'est pas capable d'être chaste par soi-même, on redit à Dieu
cette humble prière de S. Philippe de Néri : « Mon Dieu, méfiez-vous de Philippe
; autrement il vous trahirait ».
1109. a) Cette défiance doit être universelle. 1) elle est nécessaire à ceux qui
déjà ont commis des fautes graves : car la crise reviendra, et, sans la grâce,
ils seraient exposés à succomber de nouveau ; elle ne l'est pas moins à ceux qui
ont conservé leur innocence : car la crise viendra un jour ou l'autre, et sera
d'autant plus redoutable qu'on n'a pas encore fait l'expérience de la lutte. 2)
Elle doit persévérer jusqu'à la fin de ta vie : Salomon n'était plus jeune quand
il se laissa aller à l'amour des femmes ; ce furent des vieillards qui tentèrent
la chaste Suzanne ; le démon qui nous attaque à l'âge mûr est d'autant plus
redoutable qu'on le croyait vaincu ; et l'expérience montre que, tant qu'il nous
reste un peu de chaleur vitale, le feu de la concupiscence, qui couve sous la
cendre, se rallume parfois avec une ardeur nouvelle. 3) Elle s'impose même aux
âmes les plus saintes : le démon est plus désireux de les faire tomber que les
âmes vulgaires, et leur tend des pièges plus perfides. C'est la remarque de
saint Jérôme (Epistola XXII, ad Eustochium, P.L. XXII, 396), et il en conclut
qu'il ne faut point se rassurer sur les longues années qu'on a passées dans la
chasteté, sur sa sainteté ou sa sagesse (Ep. LII, ad Nepotianum, P.L. XXII,
531-532).
1110. b) Toutefois cette vigilance doit être accompagnée d'une absolue confiance
en Dieu. Car Dieu ne permettra pas que nous soyons tentés au-dessus de nos
forces ; il ne nous demande pas l'impossible : tantôt il nous donne
immédiatement la grâce de résister aux tentations, et tantôt celle de prier pour
obtenir une grâce plus efficace. Il faut donc, dit M. Olier, « se retirer
intérieurement en Jésus Christ, pour trouver en lui la force de résister à la
tentation... Il veut que nous soyons tentés, afin qu’étant avertis par cette
voie de notre infirmité et du besoin que nous avons de son secours, nous nous
retirions en lui pour y puiser la force qui nous manque » (Introduction, ch. XII).
Si la tentation devient plus pressante, on doit se jeter à genoux et lever les
mains au Ciel pour invoquer l'assistance de Dieu : « je dis, ajoute M, Olier,
qu'il faut lever les mains au ciel, non seulement à cause que cette posture prie
d'elle-même auprès de Dieu, mais encore parce qu'il lui faut donner pour
pénitence expresse de ne se toucher jamais pendant ce temps, et de souffrir
plutôt tous les martyres intérieurs et toutes les gênes de la chair, et même du
démon, que de se toucher ».
Quand on a pris toutes ces précautions, on peut compter infailliblement sur le
secours de Dieu : « Fidelis est Deus qui non patietur vos tentari supra id quod
potestis, sed faciet etiam cum tentatione proventum ». Il ne faut donc pas trop
craindre la tentation avant qu'elle vienne : ce serait le moyen de l'attirer ;
ni lorsqu'elle nous attaque, puisqu'en nous appuyant sur Dieu, nous sommes
invincibles.
1111. B) La fuite des occasions dangereuses. a) La sympathie mutuelle qui existe
entre les personnes de différent sexe, crée aux personnes vouées au célibat des
occasions périlleuses ; il faut donc supprimer les rencontres inutiles, et
écarter le danger lorsque ces rencontres sont nécessaires. Voilà pourquoi la
direction spirituelle des femmes ne doit se faire qu'au confessionnal, comme
nous l'avons dit, n° 546. Nous avons deux choses à sauvegarder : notre vertu et
notre réputation ; l'une et l'autre exigent une extrême réserve. b) Les enfants
qui ont un extérieur agréable, un caractère gai et affectueux, peuvent aussi
être une occasion dangereuse : on aime à les regarder, à les caresser, et, si on
n'y prend garde, on se laisse entraîner à des familiarités qui troublent les
sens. C'est un avertissement qu'il ne faut pas négliger, une sorte de monition
que Dieu nous donne, pour nous faire comprendre qu'il est temps de s'arrêter,
qu'on est même allé déjà trop loin. Rappelons-nous que ces enfants ont des anges
gardiens qui contemplent la face de Dieu ; qu'ils sont les temples vivants de la
Ste Trinité et les membres du Christ. Alors il sera plus facile de les traiter
avec un saint respect, tout en leur témoignant beaucoup de dévouement.
1112. c) D'une façon générale, l'humilité nous fait éviter le désir de plaire,
qui prépare hélas ! bien des chutes. Ce désir, qui vient à la fois de la vanité
et du besoin d'affection, se manifeste par un culte exagéré de sa personne, par
les soins minutieux qu'on donne à sa toilette, par une attitude mièvre et
affectée, un langage doucereux, des regards caressants, l'habitude de
complimenter les personnes sur leurs qualités extérieures. Ces manières d'agir
sont vite remarquées surtout dans un jeune clerc, un prêtre ou un religieux. Sa
réputation est bientôt compromise ; puisse-t-il s'arrêter avant que sa vertu ne
le soit !
1113. C) L'humilité nous donne enfin à l'égard de notre directeur cette
ouverture de cœur si nécessaire pour éviter les pièges de l'ennemi. Dans la
treizième règle sur le discernement des esprits, S. Ignace nous dit avec raison
que « quand l'ennemi de la nature humaine veut tromper une âme juste par ses
ruses et ses artifices, il désire, il veut qu'elle l'écoute et qu'elle garde le
secret. Mais si cette âme découvre tout à un confesseur éclairé, ou à une autre
personne spirituelle qui connaisse les tromperies et les ruses de l'ennemi, il
en reçoit un grand déplaisir ; car il sait que toute sa malice demeurera
impuissante, du moment où ses tentatives seront découvertes et mises au grand
jour ». C'est surtout à la chasteté que s'applique ce sage conseil : quand on a
soin de découvrir avec candeur et humilité ses tentations à son directeur, on
est averti à temps des dangers auxquels on s'expose, on prend les moyens
suggérés par lui, et une tentation découverte est une tentation vaincue. Mais
si, confiant en ses propres lumières, on n'en dit rien, sous prétexte que ce
n'est pas un péché, on tombe facilement dans les pièges du séducteur.
2° La
mortification, gardienne de la chasteté
Nous avons déjà exposé la
nécessité et les pratiques principales de la mortification, n° 755-790.
Rappelons ici ce qui se rapporte plus directement à notre sujet. Comme le poison
de l'impureté s'insinue à travers toutes les fissures, il faut savoir mortifier
les sens extérieurs, les sens intérieurs et les affections du cœur.
1114. A) Le corps, avons-nous dit, n° 771 ss., a besoin d'être discipliné et au
besoin châtié pour demeurer soumis à l'âme. C'est de ce principe que découle la
nécessité de la sobriété, parfois du jeûne, ou de quelques pratiques extérieures
de pénitence ; comme aussi la nécessité, en certaines occasions, surtout au
printemps, d'un régime émollient, pour apaiser l'ébullition du sang et les
ardeurs de la concupiscence. Rien n'est à négliger pour assurer la maîtrise de
l'âme sur le corps. Pas de sommeil trop prolongé ; en général il ne faut pas
rester au lit le matin quand on est éveillé et qu'on ne peut se rendormir. Dans
le corps, chacun des sens a besoin d'être mortifié.
1115. a) Le saint homme Job avait fait un pacte avec ses yeux pour ne pas les
laisser s'égarer sur des personnes qui auraient pu être pour lui un sujet de
tentation : « Pepigi fædus cum oculis meis, ut ne cogitarem quidem de virgine »
(Job, XXXI, 1). L'Ecclésiastique recommande avec soin de ne pas arrêter ses
regards sur une jeune fille, de détourner les yeux de la femme élégante : « car
beaucoup sont séduits par sa beauté, et la passion s'y allume comme un feu » (Eccli.,
IX, 5, 8, 9). Tous ces conseils sont très psychologiques : le regard excite
l'imagination, allume le désir, le désir sollicite la volonté, et si celle-ci
consent, le péché entre dans l'âme.
1116. b) La langue et l'ouïe se mortifient par la réserve dans les
conversations. Or cette réserve n'existe pas toujours, même parmi les personnes
chrétiennes : l'habitude de lire des romans et d'aller au théâtre, fait qu'on
parle trop librement de beaucoup de choses qu'on devrait passer sous silence ;
on aime aussi à se tenir au courant des petits scandales mondains ; d'autrefois
on plaisante agréablement sur des choses plus ou moins scabreuses. Une certaine
curiosité malsaine fait qu'on se complaît en ces histoires ou plaisanteries ;
l'imagination s'en repaît, se représente par le menu les scènes décrites, les
sens s'émeuvent, et souvent la volonté finit par y prendre un plaisir coupable.
C'est donc avec raison que S. Paul blâme les mauvaises compagnies comme une
source de dépravation : « corrumpunt mores bonos colloquia prava » (I Cor., XV,
33). Et il ajoute : « Point de paroles déshonnêtes, ni de bouffonneries, ni de
plaisanteries grossières, toutes choses qui sont malséantes» (Ephes., V, 4).
L'expérience montre en effet que des âmes pures ont été perverties par la
curiosité malsaine excitée par des conversations imprudentes.
1117. c) Le toucher est tout particulièrement dangereux, n° 879. L'abbé Perreyve
l'avait bien compris, lui qui écrivait : « Plus que jamais, Seigneur, je vous
consacre mes mains ; je vous les consacre jusqu’au scrupule. Ces mains vont
recevoir dans trois jours la consécration sacerdotale. Dans quatre jours, elles
auront touché, tenu, porté votre corps et votre sang. Je veux les respecter, les
vénérer comme des instruments sacrés de votre service et de vos autels »
(Méditation sur les SS Ordres, p. 105). Quand on se rappelle en effet que le
matin on a tenu entre ses mains le Dieu de toute sainteté, on est plus enclin à
s'abstenir de tout ce qui pourrait en ternir la pureté. Donc grande réserve à
l'égard de soi-même ; à l'égard des autres, qu'on donne les marques ordinaires
de courtoisie, mais qu'on se garde d'y faire passer un sentiment passionné qui
trahirait une affection déréglée. A un prêtre qui demandait s'il était expédient
de tâter le pouls d'une mourante, S. Vincent répond : « Il faut bien se garder
d'user de cette pratique, et le malin esprit se peut bien servir de ce prétexte
pour tenter le mourant et la mourante même. Le diable, en ce passage, fait
flèche de tout bois pour attraper une âme... Ne vous hasardez jamais de toucher
ni fille ni femme, sous quelque prétexte que ce soit ».
1118. B) Les sens intérieurs ne sont pas moins dangereux que les sens
extérieurs, et, alors même que nous baissons les yeux, des souvenirs importuns
et des images obsédantes ne cessent de nous poursuivre. S. Jérôme s'en plaignait
dans sa solitude, où malgré l'ardeur du soleil et la pauvreté de sa cellule, il
se voyait transporté par l'imagination au milieu des délices de Rome. Aussi
recommande-t-il instamment de chasser immédiatement ces images. Il faut étouffer
l'ennemi avant qu'il ne grandisse et arracher l'ivraie avant qu'elle ne croisse
; autrement l'âme est envahie, obsédée par la tentation, et le temple du Saint
Esprit devient un repaire de démons.
1119. Pour éviter ces images dangereuses, il importe de ne pas lire ces romans
et pièces de théâtre, où sont décrites d'une façon vive et réaliste les passions
humaines, et surtout la passion de l'amour. Ces descriptions ne peuvent que
troubler l'imagination et les sens ; elles reviennent avec persistance dans les
moments de rêveries, donnent à la tentation une forme plus vive et plus
séduisante, et parfois entraînent le consentement. Or, comme le remarque S.
Jérôme, la virginité se perd non pas seulement par les actes extérieurs, mais
encore par les actes intérieurs. De plus les Saints nous exhortent à mortifier
les imaginations et rêveries inutiles. L'expérience montre en effet que
celles-ci sont bientôt suivies d'images sensuelles et dangereuses, et que par
conséquent, si on veut prévenir ces dernières, il faut ne pas s'arrêter
volontairement aux premières. Alors, peu à peu, on finit par mettre
l'imagination au service de la volonté. Ceci est particulièrement nécessaire au
prêtre, qui, en vertu même de sa profession, reçoit des confidences sur des
matières délicates. Sans doute il a grâce d'état pour ne point s'y complaire,
mais à la condition qu'au sortir du confessionnal, il ne revienne pas
volontairement sur ce qu'il a entendu ; autrement, sa vertu serait soumise à une
rude épreuve, et Dieu ne s'est pas engagé à secourir les imprudents qui vont
au-devant du péril.
1120. C) Le cœur n'a pas moins besoin d'être mortifié que l'imagination. C'est
une des plus nobles, mais aussi des plus dangereuses facultés. Par les vœux ou
par le sacerdoce, nous consacrons notre cœur à Dieu et renonçons aux joies du
foyer domestique. Mais ce cœur demeure ouvert aux affections, et si nous avons
des grâces spéciales pour le discipliner, ce sont des grâces de combat, qui
demandent de notre part beaucoup de vigilance et d'efforts. Outre les dangers
communs, le prêtre en trouve de particuliers dans l'exercice du ministère. On
s'attache inconsciemment aux personnes auxquelles on fait du bien ; et celles-ci
se sentent portées de leur côté à nous exprimer leur reconnaissance. De là des
affections mutuelles, surnaturelles d'abord, mais qui, si nous n'y prenons
garde, deviennent facilement naturelles, sensibles, absorbantes. Car il est aisé
de se faire illusion : « Souvent, dit S. François de Sales, nous pensons aimer
une personne pour Dieu, et nous l'aimons pour nous-même; nous disons que c'est
pour Dieu que nous l'aimons, mais en réalité nous l'aimons pour la consolation
que nous trouvons dans nos rapports avec elle ». Un texte célèbre, attribué à S.
Augustin, nous montre les degrés successifs par lesquels on passe de l'amour
spirituel à l'amour charnel : « Amor spiritalis generat affectuosum, affectuosus
obsequiosum, obsequiosus familiarem, familiaris carnalem ».
1121. Pour éviter un tel malheur, il faut se demander de temps en temps si on ne
reconnaît pas en soi quelques-uns des signes caractéristiques d'une amitié trop
naturelle et sensible. Le P. de Valuy les résume ainsi : « Lorsque la figure
d'une personne commence à captiver les yeux ou, que son humeur sympathique remue
et fait palpiter le cœur. Des saluts tendres, des paroles tendres, des regards
tendres, de petits présents redoublés... je ne sais quels sourires échangés plus
éloquents que les paroles, un certain laisser aller qui tend peu à peu à la
familiarité, des complaisances et des attentions étudiées, des offres de
service, etc. Se ménager des entretiens secrets où nul œil, nulle oreille
n'incommode ; les prolonger sans fin, les renouveler sans motif. Parler peu des
choses de Dieu, mais beaucoup de soi et de l'amitié qu’on a l'un pour l'autre.
Se louer, se flatter, s'excuser réciproquement. Se plaindre amèrement des
avertissements des supérieurs, des obstacles qu'ils mettent aux entrevues, des
soupçons. qu'ils paraissent former... Dans l'absence de la personne, éprouver de
l'inquiétude et de la tristesse. Etre distrait dans ses prières par son
souvenir, la recommander quelquefois à Dieu avec une ferveur extraordinaire,
avoir son image profondément gravée dans l'âme, en être préoccupé le jour, la
nuit, en songe même. Demander avec grand soin où elle est, ce qu'elle fait,
quand elle reviendra, si elle n’a point d'affection pour un autre. Entrer à son
retour dans les transports d'une joie inaccoutumée. Souffrir une sorte de
martyre, quand il faut de nouveau s'en séparer. Avoir recours à mille expédients
pour faire naître l'occasion de se rapprocher » (Vertus religieuses, p. 73-74).
Qu'on ne se rassure pas sur la piété des personnes avec lesquelles on se lie :
car plus elles sont saintes, plus elles sont attrayantes. Par ailleurs ces
personnes s'imaginent que l'affection qu'on a pour un prêtre n'a rien de
dangereux, et elles s'y laissent aller sans crainte ; il faut donc que le prêtre
sache les tenir à une distance respectueuse.
3°
L'Application aux études et devoirs d’état
1122. L'une des
mortifications les plus utiles est de fuir l'oisiveté, en s'appliquant avec
ardeur aux études ecclésiastiques et à l'accomplissement fidèle des devoirs
d'état. Par là on écarte les dangers de l'oisiveté : « multam malitiam docuit
otiositas » (Eccli., XXXIII, 29). Pour un démon qui tente une personne occupée,
il y en a cent qui tentent une personne oisive. Que faire en effet lorsqu'on ne
s'occupe pas d'une façon utile ? On rêve, on lit de la littérature légère, on
fait des visites longues, on entretient des conversations plus ou moins
dangereuses, l'imagination se remplit de vains fantômes, le cœur se laisse aller
à des affections sensibles, et l'âme, ouverte à toutes les tentations, finit par
succomber. Au contraire, quand on s'absorbe dans l'étude ou les œuvres du
ministère, l'esprit se remplit de bonnes et salutaires pensées, le cœur se porte
vers de nobles et chastes affections ; on ne pense qu'aux âmes ; et la
multiplicité même des occupations nous met dans l'heureuse nécessité de n'avoir
aucune intimité avec telle ou telle personne. Si, à un moment donné, la
tentation se présente, la maîtrise qu'on a acquise sur soi-même par un travail
assidu, permet de faire diversion beaucoup plus rapidement : l'étude, les œuvres
nous réclament, et on s'arrache vite aux rêveries pour s'occuper des réalités
qui absorbent le meilleur de notre vie.
1123. C'est donc rendre un grand service aux séminaristes et aux prêtres que de
leur apprendre à aimer l'étude, à fuir l'oisiveté, même en vacances, à savoir
utiliser tous les moments de leur vie. Quand on peut les aider à se faire un
plan d'études pour leur ministère, à préparer un cours suivi d'instructions, à
s'intéresser à quelque question spéciale, on leur rend un grand service. Si on
n'a aucun programme tracé d'avance, on est exposé à gaspiller son temps ; avec
un programme, on se met à l'œuvre avec beaucoup plus d'ardeur et de suite.
4°
L’amour ardent pour Jésus et sa Sainte Mère
1124. Si le travail
préserve notre esprit des pensées dangereuses, l'amour de Dieu préserve notre
cœur des affections sensibles, et nous évite ainsi bien des tentations. Le cœur
de l'homme est fait pour aimer ; le sacerdoce ou l'état religieux ne nous
enlève pas ce côté affectif de notre nature, mais nous aide à le surnaturaliser.
Si nous aimons Dieu de toute notre âme, si nous aimons Jésus par dessus tout,
nous sentirons beaucoup moins le désir de nous épancher sur les créatures. C'est
la remarque de S. J. Climaque : « Celui-là est vertueux qui a tellement les
beautés célestes gravées dans l'esprit qu'il ne daigne pas jeter les yeux sur
les beautés de la terre et ainsi ne ressent pas l'ardeur de ce feu qui embrase
le cœur des autres » (L’Echelle, Degré XV, 7).
1125. Mais pour produire ce résultat, l'amour de Jésus doit être ardent,
généreux, absorbant. Alors en effet il produit un triple avantage : 1) il
remplit tellement l'esprit et le cœur qu'on ne songe guère aux affections
humaines ; si parfois elles s'insinuent en nous, on les éconduit en redisant ces
paroles de Ste Agnès : « Ipsi sum desponsata cui Angeli serviunt, cujus
pulchritudinem sol et luna mirantur ». Il est clair que, en face de Celui qui
possède la plénitude de la beauté, de la bonté et de la puissance, toutes les
créatures disparaissent et n'ont plus d'attraits. 2) Mais de plus, Jésus, qui ne
peut souffrir d'idoles dans notre cœur, nous reprochera vivement nos affections
naturelles, si nous avons le malheur d'y tomber, et, sous le coup de ses
reproches, nous serons plus forts pour les combattre. 3) Enfin, lui-même protège
avec un soin jaloux le cœur de ceux qui se donnent à lui ; il nous viendra donc
en aide au moment de la tentation, et nous fortifiera contre les séductions des
créatures. Cet amour généreux pour Jésus, on le puise dans l'oraison, dans de
ferventes communions et visites au St Sacrement ; on le rend habituel et
permanent par cette vie d'union intime avec Notre Seigneur, que nous avons
décrite, n° 153.
1126. On y ajoute une grande dévotion à la Vierge immaculée ; son nom respire la
pureté, et il semble que l'invoquer avec confiance, c'est déjà mettre la
tentation en fuite. Mais si surtout on se consacre totalement à cette Bonne Mère
(n° 170-176), elle veille sur nous comme sur son bien, sa propriété, et nous
aide à repousser victorieusement les tentations les plus troublantes. Aimons
donc à réciter la prière O Domina si efficace contre les suggestions impures,
l’Ave maris stella, surtout la strophe :
Virgo singularis Inter omnes mitis Nos culpis solutos Mites fac et castos.
Et si jamais nous étions vaincus dans la lutte, n'oublions pas que le Cœur
Immaculé de Marie est en même temps le refuge assuré des pécheurs, que nous
trouverons, en l'invoquant, la grâce du repentir, suivie de la grâce de
l'absolution ; et que personne ne peut mieux que la Vierge fidèle assurer notre
persévérance.
§ II.
L'Humilité
Cette vertu pourrait, sous
certains aspects, se rattacher à la justice, puisqu'elle nous incline à nous
traiter comme nous le méritons. Cependant on la rattache généralement à la vertu
de tempérance, parce qu'elle modère le sentiment que nous avons de notre propre
excellence. Nous exposerons : 1° sa nature ; 2° ses degrés ; 3° son excellence ;
4° les moyens de la pratiquer.
I. Sa
nature
1127. 1° L'humilité est
une vertu que les païens n'ont pas connue : pour eux, l'humilité désignait
quelque chose de vil, d'abject, de servile ou d'ignoble. Il n'en était pas de
même chez les Juifs : éclairés par la foi, les meilleurs d'entre eux, les
justes, conscients de leur néant et de leur misère, acceptaient avec patience
l'épreuve comme un moyen d'expiation ; Dieu alors s'inclinait vers eux pour les
secourir; il aimait à exaucer les prières des humbles, et pardonnait au pécheur
contrit et humilié. Quand donc N. Seigneur vint prêcher l'humilité et la
douceur, les Juifs purent comprendre son langage. Pour nous, nous le comprenons
mieux encore, après avoir médité sur les exemples d’humilité qu'il nous a donnés
dans sa vie cachée, publique et souffrante, et qu'il ne cesse de nous donner
dans sa vie eucharistique.
On peut définir l'humilité : une vertu surnaturelle, qui, par la connaissance
qu'elle nous donne de nous-mêmes, nous incline à nous estimer à notre juste
valeur, et à rechercher l'effacement et le mépris. Plus brièvement S. Bernard la
définit : « virtus qua homo verissima sui agnitione, sibi ipsi vilescit » (De
gradibus humil., c.I, n.2). Cette définition se comprendra mieux, quand nous
aurons exposé le fondement de l'humilité.
1128. 2° Fondement. L'humilité a un double fondement, la vérité et la justice :
la vérité, qui fait que nous nous connaissons nous-mêmes tels que nous sommes ;
la justice, qui nous incline à nous traiter conformément à cette connaissance.
A) Pour se connaître soi-même, dit S. Thomas, il faut voir ce qui en nous
appartient à Dieu et ce qui nous appartient en propre ; or tout ce qu’il y a de
bien vient de Dieu et lui appartient, tout ce qu'il y a de mal ou de défectueux,
vient de nous. La justice demande donc impérieusement que l’on rende à Dieu, et
à Dieu seul, tout honneur et toute gloire : « Regi sæculorum immortali,
invisibili, soli Deo honor et gloria » (I Tim., I, 17) ; « Benedictio, et
claritas, et sapientia, et gratiarum actio, honor et virtus et fortitudo Deo
nostro » (Apoc., VII, 12). Sans doute, il y a quelque chose de bon en nous,
notre être naturel et surtout nos privilèges surnaturels ; l'humilité ne nous
empêche pas de les voir, de les admirer ; mais, de même que quand on admire un
tableau, c'est à l'artiste qui l'a peint que va notre hommage et non à la toile,
ainsi, quand nous admirons les dons et les grâces de Dieu en nous, c'est à lui
et non à nous-mêmes que doit aller notre admiration.
1129. B) Par ailleurs notre qualité de pécheurs nous condamne à l'humiliation.
En un certain sens nous ne sommes de nous-mêmes que péché, parce que nés dans le
péché, nous conservons en nous la concupiscence qui nous porte au péché. a)
Quand nous entrons dans le monde, nous sommes déjà souillés par la tache
originelle, dont seule la miséricorde divine peut nous purifier. b) Et que de
fautes actuelles nous avons commises depuis le premier éveil de notre raison ?
Si nous avons commis un seul péché mortel, nous méritons de ce chef d'éternelles
humiliations. Mais même si nous n'avons commis que des fautes vénielles, nous
devons nous rappeler que la moindre d'entre elles est une offense de Dieu, une
désobéissance volontaire à sa loi, un acte de révolte par lequel nous avons
préféré notre volonté à la sienne : une vie tout entière passée dans la
pénitence et l'humiliation ne suffirait pas à l'expier. c) Mais de plus nous
conservons en nous, même lorsque nous sommes régénérés, des tendances profondes
au péché, à toutes sortes de péchés, si bien que, selon le témoignage de saint
Augustin, si nous n'avons pas commis tous les péchés du monde, nous le devons à
la grâce de Dieu. Nous devons donc en justice aimer les humiliations, accepter
tous les reproches : si on nous dit que nous sommes avares, déshonnêtes,
orgueilleux, nous devons en convenir, parce que nous conservons en nous la
tendance à tous ces défauts. « Ainsi, conclut M. Olier, en toute maladie,
persécution, mépris et autre affliction, il faut nous mettre du parti de Dieu
contre nous-mêmes, et dire que nous les méritons justement et davantage, qu'il a
droit d'user de toute créature pour nous punir, et que nous adorons la grande
miséricorde qu’il exerce maintenant sur nous, sachant bien qu'au temps de sa
justice il nous traitera plus rigoureusement » (Catéch. chrétien, Ire Part.,
lect. XVIII).
Voilà donc le double fondement de l'humilité : n'étant de nous-mêmes que néant,
nous devons aimer l'oubli et l'effacement ; pécheurs, nous méritons tous les
mépris et toutes les humiliations.
II. Les
divers degrés d'humilité
Il y a différentes
classifications, suivant les divers points de vue auxquels on se place. Nous
n'indiquerons que les principales, qui peuvent se ramener à trois : celles de S.
Benoît, de S. Ignace et de M. Olier.
1130. 1° Les douze degrés de S. Benoît. Cassien avait distingué dix degrés dans
la pratique de l'humilité. S. Benoît complète cette division, en y ajoutant deux
autres degrés. Pour en saisir l'ordonnance, il faut se rappeler que S. Benoît
envisage cette vertu comme une attitude d'âme habituelle qui règle l'ensemble
des relations du moine avec Dieu dans la vérité de sa double qualité de créature
pécheresse et d'enfant adoptif. Elle est basée sur la révérence envers Dieu, et
comprend, outre l'humilité proprement dite, l'obéissance, la patience et la
modestie. Parmi ces douze degrés, sept se rapportent aux actes intérieurs et,
cinq aux actes extérieurs.
1131. Parmi les actes intérieurs il rangé :
1) La crainte de Dieu sans
cesse présente aux yeux de notre esprit, et nous faisant pratiquer les
commandements : crainte des châtiments d'abord, puis crainte révérentielle, qui
s'achève dans l'adoration : « timor Domini sanctus, permanens in sæculum sæculi
» (Ps. XVIII, 10).
2) L'obéissance, ou la soumission de notre volonté à celle de Dieu : si nous
avons en effet la révérence et la crainte de Dieu, nous ferons sa volonté en
tout : cette obéissance est bien un acte d'humilité puisque c'est l'expression
de notre dépendance à l'égard de Dieu.
3) L'obéissance aux Supérieurs pour l'amour de Dieu, pro amore Dei ; il est plus
difficile de se soumettre aux Supérieurs qu'à Dieu lui-même : il y faut un plus
grand esprit de foi pour voir Dieu dans ses supérieurs, et une abnégation plus
parfaite, parce que cette obéissance s'applique à un plus grand nombre de
choses.
4) L'obéissance patiente même dans les choses les plus difficiles, en supportant
les injures sans se plaindre, même et surtout quand l'humiliation vient des
Supérieurs : pour y réussir, on pense à la récompense céleste et aux souffrances
et humiliations de Jésus.
5) L'aveu des fautes secrètes, y compris les pensées, au Supérieur, en dehors de
la confession sacramentelle ; c'est un acte d'humilité qui est un frein
puissant : la pensée qu'il faudra manifester ses fautes les plus secrètes
retient souvent sur la pente de l'abîme.
6) L'acceptation cordiale de toutes les privations, occupations viles, en se
regardant comme au-dessous de sa tâche.
7) Se croire sincèrement, du fond du cœur, le dernier de tous les hommes. C'est
un degré rare ; les saints y arrivent, en se disant que si les autres avaient eu
autant de grâces que nous, ils seraient meilleurs.
1132. Ces actes intérieurs se manifestent évidemment par des actes extérieurs,
dont les principaux sont :
8) La fuite de la singularité : ne rien faire d'extraordinaire, mais se
contenter de ce qui est autorisé par la règle commune, les exemples des anciens
et les coutumes légitimes ; vouloir se singulariser est en effet une marque
d'orgueil ou de vanité.
9) Le silence : savoir se taire tant qu'on n'est pas interrogé, ou qu'il n'y a
pas une bonne raison de parier, et donner aux autres l'occasion de parler : dans
l'empressement à prendre la parole il y a en effet beaucoup de vanité.
10) La retenue dans le rire : S. Benoît ne condamne pas le rire, en tant qu'il
est l'expression de la joie spirituelle, mais seulement le rire de mauvais aloi,
le gros rire ou le rire railleur, ou la disposition habituelle à rire
promptement et bruyamment, qui montre peu de respect pour la présence de Dieu et
peu d'humilité.
11) La réserve dans les paroles : quand on parle, le faire doucement et
humblement, sans éclats de voix, avec la gravité et la sobriété du sage.
12) La modestie dans le maintien : marcher, s'asseoir, se tenir debout, regarder
modestement, sans affectation, la tête légèrement inclinée, en pensant à Dieu,
et en se disant qu'on est indigne de lever les yeux vers le ciel.
Après avoir expliqué les différents degrés d'humilité, S. Benoît ajoute qu'ils
mènent à l'amour de Dieu, cet amour parfait qui exclut la crainte : l'amour de
Dieu, voilà donc le terme où conduit l'humilité : la voie est rude, mais les
sommets où elle conduit sont les hauteurs de l'amour divin.
1133. 2° Les trois degrés
de S. Ignace. Vers la fin de la seconde semaine des Exercices, avant les règles
sur l'élection, S. Ignace propose à son retraitant trois degrés d'humilité, qui
sont au fond trois degrés d'abnégation.
1) Le premier « consiste à
m'abaisser et à m'humilier autant qu'il me sera possible et qu'il m'est
nécessaire pour obéir en tout à la loi de Dieu, notre Seigneur : de sorte que
quand on m'offrirait le domaine de l'univers, quand on me menacerait de m'ôter
la vie, je ne mette même pas en délibération la possibilité de transgresser un
commandement de Dieu ou des hommes, qui m'oblige sous peine de péché mortel ».
Ce degré est essentiel à tout chrétien qui veut garder l'état de grâce.
2) Le second degré d'humilité est plus parfait que le premier. « Il consiste à
me trouver dans une entière indifférence de volonté et d'affection entre les
richesses et la pauvreté, les honneurs et les mépris, le désir d'une longue vie
ou d'une vie courte, pourvu qu'il en revienne à Dieu une gloire égale et un égal
avantage au salut de mon âme. De plus, quand il s'agirait de gagner le monde
entier, ou de sauver ma propre vie, je ne balancerais pas à rejeter toute pensée
de commettre à cette fin un seul péché véniel ». C'est une disposition déjà bien
parfaite, et à laquelle n'arrivent que fort peu d'âmes.
3) « Le troisième degré d'humilité est très parfait. Il renferme les deux
premiers, et veut de plus, supposé que la louange et la gloire de la Majesté
divine soient égales, que pour imiter plus parfaitement Jésus-Christ, notre
Seigneur, et me rendre de fait plus semblable à lui, je préfère, j'embrasse la
pauvreté avec Jésus-Christ pauvre, plutôt que les richesses ; les opprobres avec
Jésus-Christ rassasié d'opprobres plutôt que les honneurs ; le désir d'être
regardé comme un homme inutile et insensé, par amour pour Jésus-Christ, qui le
premier a été regardé comme tel, plutôt que de passer pour un homme sage et
prudent aux yeux du monde ». C'est le degré des parfaits, c'est l'amour de la
croix et de l'humiliation, en union avec Jésus-Christ et par amour pour lui ;
quand on en arrive là, on est dans la voie de la sainteté.
1134. 3° Les trois degrés
d'humilité, d'après M. Olier. Après avoir exposé, dans le Catéchisme chrétien,
la nécessité de l'humilité et la façon de combattre l'orgueil, M. Olier
explique, dans l'Introduction, les trois degrés d'humilité intérieure qui
conviennent aux âmes déjà ferventes.
a) Le premier, c'est de se plaire dans la connaissance de soi-même, de sa
vileté, de sa bassesse, de ses défauts et de ses péchés. La connaissance seule
de ses misères n'est pas l'humilité ; il en est qui remarquent leurs défauts,
mais s'en attristent, et cherchent en eux quelque perfection qui les mettent à
couvert de la confusion qu'ils éprouvent : c'est un effet de la superbe. Mais
quand on se complaît dans la connaissance de ses misères, quand on aime sa
propre vileté et abjection on est vraiment humble. Si on a en le malheur de
commettre un péché, on doit le détester sans doute, mais en même temps aimer la
vileté où l'on est réduit par le péché. Pour se complaire en ses misères, il
faut se rappeler que ce sentiment honore Dieu, précisément parce que notre
petitesse fait ressortir sa grandeur, et nos péchés sa sainteté. L'âme proteste
ainsi qu'elle n'est rien qui vaille, qu'elle est incapable par elle-même de
faire le bien, mais que tout vient de Dieu, que tout dépend de lui, et que tout
doit être opéré par lui en nous.
b) Le second degré c'est d'aimer d'être connu pour vil, pour abject, pour néant
et péché, et de passer pour tel dans l'esprit de tout le monde. Si en effet,
connaissant et aimant notre misère, nous voulions être estimés des hommes, nous
serions des hypocrites, désirant de paraître meilleurs que nous ne sommes. C'est
hélas ! notre tendance : de là naît le chagrin que nous avons lorsqu'on découvre
nos imperfections, le souci que nous avons de réussir dans nos œuvres, et
d'acquérir l'estime des hommes. Or désirer cette estime, c'est être un voleur et
un larron, désirant s'approprier ce qui n'appartient qu'à l'Etre souverain.
L'âme humble au contraire ne se soucie pas de ce qu'on pense d'elle ; elle
souffre quand on la loue, et aimerait mieux souffrir mille affronts qu'une seule
louange, l'un étant fondé sur la vérité, et l'autre sur le mensonge.
c) Le troisième degré est de vouloir être non seulement connu, mais traité pour
vil, abject et méprisable ; c'est de recevoir avec joie tous les mépris et
toutes les confusions possibles ; en un mot, c'est de désirer d'être traité
selon ce qu'on mérite. Or quel mépris n'est pas dû au néant, qui n'a rien en soi
de recommandable, et surtout quel mépris n'est pas dû au péché, qui nous éloigne
du véritable bien qui est Dieu ? Aussi, quand Dieu nous envoie des sécheresses,
des délaissements intérieurs et des rebuts, nous devons prendre le parti de Dieu
contre nous, et avouer qu'il a raison de rebuter nos œuvres et nos personnes. De
même si nous sommes maltraités par nos supérieurs, nos égaux et même nos
inférieurs, nous devons nous en réjouir comme de la chose la plus juste, la plus
avantageuse pour nous et la plus conforme au désir de Jésus-Christ. Il ne faut
même pas par superbe aspirer à une haute place dans le ciel ; sans doute il faut
vouloir aimer Dieu autant qu'il le désire, et nous rendre fidèles pour parvenir
au point de gloire et de félicité qu'il nous prépare ; mais, pour la place que
nous occuperons dans le ciel, il faut s'abandonner entre les mains de Dieu. «
Alors on est en anéantissement véritable, et on n'a plus que Dieu vivant et
régnant en soi-même ».
1135. Conclusion. Chacun des points de vue que nous avons exposés d'après S.
Benoît, S. Ignace et M. Olier, a sa raison d'être ; il appartient au directeur
de conseiller celui qui correspond le mieux à l'état d'âme de son pénitent.
III.
L'excellence de l'humilité
Pour comprendre le langage
des Saints à ce sujet, il faut distinguer entre l'humilité en soi et l'humilité
comme fondement des autres vertus.
1136. 1° Considérée en soi, l'humilité, nous dit S. Thomas, est inférieure aux
vertus théologales, qui ont Dieu pour objet direct, inférieure même à certaines
vertus morales, comme la prudence, la religion, et la justice légale qui regarde
le bien commun ; mais elle est supérieure aux autres vertus morales (sauf
peut-être l'obéissance), à cause de son caractère universel, et parce qu'elle
nous soumet à l'ordre divin en toutes choses.
1137. 2° Mais si on considère l'humilité en tant qu'elle est la clé qui ouvre
les trésors de la grâce et le fondement des vertus, elle est, au dire des
Saints, l'une des vertus les plus excellentes. A) Elle est la clé qui ouvre les
trésors de la grâce : « humilibus autem dat gratiam » (I Petr., V, 5). a) Dieu
sait en effet que l'âme humble ne se complaît pas dans les grâces qu'il lui
donne, qu'elle n'en tire pas vanité, mais au contraire qu'elle en renvoie à Dieu
toute la gloire ; il peut donc faire affluer en elle l'abondance de ses
faveurs, puisque par là sa gloire en sera augmentée. Il se voit obligé au
contraire de retirer sa grâce aux superbes : « Deus superbis resistit » (I
Petr., V, 5), parce que ceux-ci l'accaparent à leur profit et s'en font un titre
de gloire ; ce que Dieu ne peut supporter : « Gloriam meam alteri non dabo » (II
Cor., X, 5). b) D'ailleurs l'humilité vide notre âme d'amour propre et de vaine
gloire, et y prépare ainsi pour la grâce une vaste capacité, que Dieu ne demande
qu'à remplir ; car, comme le dit S. Bernard, il y a une affinité étroite entre
la grâce et l'humilité : « Semper solet esse gratiæ divinæ familiaris virtus
humilitas » (Super Missus est, homil. IV, 9).
1138. B) Elle est aussi le fondement de toutes les vertus ; elle en est sinon la
mère, du moins la nourrice : et cela à un double point de vue, en ce sens que
sans elle il n'est point de vertu solide, et qu'avec elle toutes les vertus
deviennent plus profondes et plus parfaites.
1) Comme l'orgueil est le grand obstacle à la foi, il est certain que l'humilité
rend notre foi plus prompte, plus facile, plus ferme, et même plus éclairée.
Comme il est plus facile de captiver son intelligence sous l'autorité de la foi,
quand on a conscience de la dépendance où nous sommes de Dieu ! Et
réciproquement, la foi, en nous montrant l'infinie perfection de Dieu et notre
néant, nous affermit dans l'humilité.
2) Il en est de même de l'espérance : l'orgueilleux se confie en lui-même et
présume trop de ses forces ; il ne songe guère à implorer le secours divin ;
l'humble au contraire met tout son espoir en Dieu, parce qu'il se défie de
lui-même. L'espérance, à son tour, nous rend plus humbles, parce qu'elle nous
montre que les biens célestes sont tellement au-dessus de nos forces que, sans
le secours tout-puissant de la grâce, nous ne pourrions les atteindre.
3) La charité a pour ennemie l'égoïsme ; c'est donc dans le vide de soi que
s'augmente l'amour de Dieu; et celui-ci à son tour rend plus profonde
l'humilité, parce que nous sommes heureux de nous effacer devant Celui que nous
aimons. Aussi S. Augustin dit avec raison qu'il n'est rien de plus sublime que
la charité mais que ceux-là seuls la pratiquent qui sont humbles. De même, pour
pratiquer la charité envers le prochain, il n'est pas de moyen plus sûr que
l'humilité, qui jette un voile sur ses défauts, et nous fait compatir à ses
misères au lieu de nous indigner contre lui.
1139. 4) La religion est d'autant mieux pratiquée qu'on voit plus clairement que
tout doit s’anéantir et se sacrifier pour Dieu.
5) La prudence l'exige : les humbles aiment à réfléchir et à consulter avant
d'agir.
6) La justice ne peut se pratiquer sans l'humilité, car l’orgueilleux exagère
ses droits au détriment de ceux du prochain.
7) La force du chrétien venant non de lui-même, mais de Dieu, n'existe vraiment
que chez ceux qui, conscients de leur faiblesse, s'appuient sur Celui qui seul
peut les fortifier.
8) La tempérance et la chasteté, nous l'avons vu, supposent l'humilité. La
douceur et la patience ne se pratiquent bien que lorsqu’on sait accepter les
humiliations.
Ainsi donc on peut dire que sans l'humilité il n’est point de vertu solide et
durable, et que par elle au contraire toutes les vertus croissent et
s'enracinent plus profondément dans l'âme. Nous pouvons conclure avec S.
Augustin : « Désires-tu t'élever? Commence par t'abaisser. Tu rêves de
construire un édifice qui s'élève jusqu'au ciel ? Etablis d'abord le fondement
sur l'humilité. Et plus la construction doit être élevée, plus profondes doivent
être les fondations » (Sermo 10 de Verbis Domini).
IV. La
pratique de l'humilité
1140. Les commençants
combattent surtout l'orgueil, comme nous l'avons indiqué, n° 838-844. Les
progressants s'efforcent d'imiter l'humilité de Notre Seigneur.
1141. 1° Ils s'efforcent d'attirer en eux les sentiments de Jésus humble. C'est
bien ce que nous dit S. Paul : « Hoc enim sentite in vobis quod et in Christo
Jesu : qui, cum in forma Dei esset... exinanivit semetipsum... » (Philip., II,
5-7). Il faut donc méditer souvent, admirer et s'efforcer de reproduire les
exemples d'humilité que Jésus nous a donnés dans sa vie cachée, dans sa vie
publique et sa vie souffrante et qu'il ne cesse de nous donner dans sa vie
eucharistique.
A) Dans sa vie cachée, ce qu'il pratique surtout c'est l'humilité d'effacement.
a) Il la pratique avant de naître en s'enfermant pendant neuf mois dans le sein
de Marie, où il voile ses attributs divins de la façon la plus complète ; en se
soumettant à un édit de César (Luc, II, 1) ; en souffrant sans se plaindre les
rebuts dont sa mère est victime (Luc, II, 7) ; en souffrant surtout de
l'ingratitude des hommes, qui ne songent guère à lui préparer une place dans
leurs cœurs (Joan., I, 11). b) Il la pratique dans sa naissance, où il nous
apparaît comme un enfant pauvre, emmailloté, placé dans une mangeoire, sur un
peu de paille (Luc, II, 12). Et ce petit enfant est le Fils de Dieu, l'Égal du
Père, la Sagesse incréée ! c) Il la pratique dans toutes les circonstances qui
suivent cette naissance : comme un enfant du commun, il est circoncis, racheté
au prix de deux tourterelles ; il est obligé de fuir en Egypte pour échapper à
la persécution d'Hérode, lui qui d'un mot pouvait réduire en poussière ce cruel
tyran ! d) Et quel effacement dans la vie de Nazareth ? Caché dans un petit
village de Galilée, aidant sa mère dans les soins du ménage, apprenti et
ouvrier, il passe trente ans à obéir, lui le Maître du monde (Luc, II, 51). On
comprend alors l'exclamation de Bossuet : « Ô Dieu, je me pâme, encore un coup !
Orgueil, viens crever à ce spectacle ! Jésus, fils d'un charpentier, charpentier
lui-même, connu par cet exercice sans qu’on parle d’aucun autre emploi, ni
d’aucune autre action » (Elévations, XXe sem., 8e)
1142. B) Dans sa vie publique, Jésus ne cesse de pratiquer l'oubli de soi dans
la mesure compatible avec sa mission. Il est obligé sans doute de proclamer par
ses paroles et par ses actes qu'il est le Fils de Dieu ; mais il le fait d'une
façon discrète, mesurée, assez clairement pour que les hommes de bonne volonté
puissent comprendre, sans toutefois cet éclat qui force l'assentiment. Son
humilité apparaît dans toute sa conduite. a) il s'entoure d'apôtres ignorants,
peu cultivés, et par là même peu estimés : des pêcheurs et un publicain ! Il
montre une préférence marquée pour ceux que le monde méprise : les pauvres, les
pécheurs, les affligés, les enfants, les déshérités de ce monde. Il vit
d'aumônes et n'a pas de maison à lui. b) Son enseignement est simple, à la
portée de tous, et ses comparaisons comme ses paraboles, sont empruntées à la
vie ordinaire ; il cherche non à se faire admirer, mais à instruire et à toucher
les cœurs. c) Ce n'est que rarement qu'il opère des miracles, et encore
recommande-t-il souvent à ceux qu’il guérit de n'en rien dire à personne. Pas
d'austérité affectée : il prend ses repas comme tout le monde, assiste aux noces
de Cana et à quelques banquets auxquels il est invité. Il fuit la popularité, ne
craint pas de déplaire à ses disciples : « durus est hic sermo » (Joan.,
VI, 61) ; et quand on veut le faire roi, il s'enfuit. d) Si nous pénétrons ses
sentiments les plus intimes, nous voyons comment il veut vivre en dépendance de
son Père et des hommes : il ne juge rien de lui-même, mais il prend l'avis de
son Père : « Ego non judico quemquam » (Joan., VIII, 15) ; il ne parle
que pour exprimer la doctrine de Celui qui l'a envoyé : « A meipso non loquor
» (Joan., XIV, 10 ; « Mea doctrina non est mea, sed ejus qui missit me »
(Joan., VII, 16) ; il ne fait rien de lui-même, mais uniquement par déférence
pour son Père : « Non possum a meipso facere quidquam... Pater autem in me
manens ipse facit opera » (Joan., V, 30 ; XIV, 10). Aussi ce n'est pas sa
propre gloire qu'il cherche, c'est celle du Père ; il n'a vécu sur terre que
pour le glorifier : « Ego… non quaero gloriam meam » (Joan., VIII, 50),
« Ego te clarificavi super terram » (Joan., XVII, 4). Bien Plus, lui le
Maître du monde se fait le serviteur des hommes : « Non venit ministrari, sed
ministrare » (Matth., XX, 28). En un mot, oublieux de lui-même, il se
sacrifie constamment pour Dieu et pour les hommes.
1143. C) C'est ce qui paraît encore plus dans sa vie souffrante, où il pratique
l'humilité d'abjection. Lui, la sainteté même, a voulu se charger du poids de
nos iniquités, et en subir la peine, comme s'il eût été coupable (II Cor., V,
21). a) De là ces sentiments de tristesse, d’abattement, d'ennui qu'il éprouve
au jardin des Oliviers, en se voyant couvert de nos péchés : «cæpit pavere,
tædere, mæstus esse... Tristis est anima mea usque ad mortem » (Marc, XIV,
33, 34). b) De là les avanies dont il a été comblé : trahi par Judas, il n'a
pour lui que des paroles d'amitié : « Amice, ad quid huc venisti »
(Matth., XXVI, 50) ; abandonné de ses apôtres, il ne cesse de les aimer ;
arrêté, garrotté comme un malfaiteur, il guérit Malchus blessé par Pierre. Livré
à la valetaille, il en subit les affronts sans se plaindre ; injustement
calomnié, il ne se justifie pas, et ne parle que pour répondre à l'adjuration du
grand prêtre, en qui il respecte l’autorité de Dieu ; il sait que sa réponse lui
vaudra la peine de mort, mais il dit la vérité quand même. Traité comme un fou
par Hérode, il ne dira pas un mot, il ne fera pas un miracle pour venger son
honneur. Le peuple, auquel il avait fait tant de bien, lui préfère Barabbas, et
Jésus ne cesse de souffrir pour sa conversion ! Injustement condamné par Pilate,
il se tait, se laisse flageller, couronner d'épines, vilipender comme un roi de
théâtre ; il accepte sans murmure la lourde croix dont on charge ses épaules, se
laisse crucifier sans mot dire. Insulté ironiquement par ses ennemis, il prie
pour eux et les excuse auprès de son Père. Privé des consolations célestes,
abandonné de ses disciples, blessé dans sa dignité d'homme, dans sa réputation,
dans son honneur, il a subi, ce semble, tous les genres d'humiliation qu'on
puisse imaginer, et peut redire avec plus de raison que le psalmiste : « Sum
vermis et non homo, opprobrium hominum et abjectio plebis » (Ps. XXI, 7). Et
c'est pour nous, pécheurs, à notre place, qu'il a enduré si héroïquement toutes
ces insultes, sans un mot de plainte (I Petr., II, 23). Pourrions-nous donc
jamais nous plaindre, nous qui sommes si coupables, même si en quelques
circonstances nous étions injustement accusés ?
1144. D) Sa vie eucharistique reproduit ces différents exemples d'humilité. a)
Jésus y est caché, plus encore que dans la crèche, plus qu'au Calvaire. Et
cependant, du fond de son tabernacle, c'est lui qui est la cause première et
principale de tout le bien qui se fait dans le monde, lui qui inspire, fortifie,
console tous les missionnaires, les martyrs, les vierges… Et il veut être caché,
nesciri, pro nihilo reputari. b) Et que d'avanies, que d'insultes ne reçoit-il
pas dans son sacrement d'amour, non seulement de la part des incroyants qui
refusent de croire à sa présence, des impies qui profanent son corps sacré, mais
encore des chrétiens qui, par faiblesse et lâcheté, font des communions
sacrilèges, des âmes même qui lui sont consacrées et parfois l'oublient et le
laissent seul dans son tabernacle (Matth., XXVI, 40). Et au lieu de se plaindre,
il ne cesse de nous dire : « Venite ad me omnes qui laboratis et onerati estis
et ego reficiam vos » (Matth., XI, 28). Oui, vraiment il y a là pour nous tous
les exemples dont nous avons besoin pour nous soutenir, nous fortifier dans la
pratique de tous les genres d'humilité ; et, quand nous réfléchissons qu'il nous
a en même temps mérité la grâce de l'imiter, comment hésiter à le suivre ?
1145. 2° Voyons donc comment nous pouvons à son exemple pratiquer l'humilité
envers Dieu, le prochain et nous-mêmes.
A) Envers Dieu, l'humilité se manifeste surtout de trois façons : a) Par
l'esprit de religion, qui honore en Dieu la plénitude de l'être et de la
perfection. Ce que nous faisons en reconnaissant affectueusement et joyeusement
notre néant et notre péché, heureux, de proclamer ainsi la plénitude et la
sainteté de l'être divin. De là naissent ces sentiments d'adoration, de louange,
de crainte filiale et d'amour ; de là ce cri du cœur : Tu solus Sanctus, tu
solus Dominus, tu solus Altissimus. Ces sentiments jaillissent de notre cœur non
seulement quand nous sommes en prière, mais encore quand nous contemplons les
œuvres de Dieu, œuvres naturelles, où se reflètent les perfections du Créateur,
œuvres surnaturelles, où l'œil de la foi nous découvre une véritable similitude,
une participation à la vie divine.
1146. b) Par l'esprit de reconnaissance, qui voit en Dieu la source de tous les
dons naturels et surnaturels que nous admirons en nous et dans les autres.
Alors, comme l'humble Vierge, et avec elle, nous glorifions Dieu de tout le bien
qu'il a mis en nous : « Magnificat anima mea Dominum... Fecit mihi magna qui
potens est, et sanctum nomen ejus ». Ainsi, au lieu de nous enorgueillir de ces
dons, nous en renvoyons à Dieu tout l’honneur, et connaissons que souvent nous
les avons bien mal utilisés.
1147. c) Par l'esprit de dépendance, qui nous fait confesser notre incapacité à
rien faire de bon par nous-mêmes. Dans cette conviction nous ne commençons
jamais une action sans nous mettre sous l'influence et la direction du Saint
Esprit, et sans implorer sa grâce qui seule peut remédier à notre incapacité.
C'est ce que font en particulier les directeurs d'âmes, qui, dans l'exercice de
leurs délicates fonctions, au lieu de se prévaloir de la confiance que leur
témoignent leurs dirigés, avouent ingénument leur incapacité, et prennent
conseil de Dieu avant de donner des avis aux autres.
1148. B) Envers le prochain, le principe qui doit nous guider est celui-ci :
voir en lui ce que Dieu y a mis de bon, au double point de vue naturel et
surnaturel, l'admirer sans envie, ni jalousie ; jeter au contraire un voile sur
ses défauts, et les excuser dans la mesure où c'est possible, chaque fois du
moins qu'on n'est pas chargé par devoir d'état de les réformer. En vertu de ce
principe : a) on se réjouit des vertus, des succès du prochain, puisque tout
cela glorifie Dieu, « dum omni modo... Christus annuntietur » (Phil., I, 18). On
peut sans doute désirer leurs vertus, mais alors on s'adresse au Saint Esprit
pour qu'il daigne nous en donner une participation ; ainsi s'établit une noble
émulation (Hebr., X, 24). b) Si on voit le prochain tomber en quelque faute, au
lieu de s'en indigner, on prie pour sa conversion; et on se dit sincèrement que,
sans la grâce de Dieu, on serait tombé dans des fautes beaucoup plus graves
encore, n° 1129.
1149. c) C'est ce qui permet de se regarder comme inférieurs aux autres (Phil.,
II, 3). On peut en effet considérer surtout, sinon exclusivement, ce qu'il y a
de bon dans les autres et ce qu'il y a de mal en nous. Voici le conseil que
donnait S. Vincent de Paul à ses disciples : « Si nous nous étudions à nous bien
connaître, nous trouverons qu'en tout ce que nous pensons, disons et faisons,
soit dans la substance ou les circonstances, nous sommes pleins et environnés de
sujets de confusions et de mépris ; et si nous ne voulons point nous flatter,
nous nous verrons non seulement plus méchants que les autres hommes, mais pires
en quelque façon que les démons de l'enfer ; car si ces malheureux esprits
avaient en leur disposition les grâces et les moyens qui nous sont donnés pour
devenir meilleurs, ils en feraient mille et mille fois plus d'usage que nous
n'en faisons ».
On s'est demandé comment il se peut faire qu'on arrive à cette persuasion, qui
en soi, objectivement, n'est pas toujours conforme à la vérité. Notons d'abord
qu'elle existe chez tous les Saints, et que par conséquent elle doit avoir un
fondement solide. Ce fondement, le voici. En face de soi-même l'homme est juge,
et, quand il se connaît à fond, il voit clairement qu'il est bien coupable et
que de plus il y a en lui beaucoup de tendances mauvaises ; il en conclut qu'il
doit se mépriser. Mais pour les autres il n’est point juge, et il ne peut
l'être, ne connaissant pas leurs intentions, qui sont un des éléments les plus
essentiels pour juger leur conduite ; il ne connaît pas non plus la mesure de
grâce que Dieu leur départit, et dont il faut tenir compte dans l'appréciation
de leur conduite. Se jugeant donc sévèrement, et ne jugeant les autres qu'avec
bénignité, on en arrive à la persuasion pratique que, somme toute, nous devons
nous mettre au-dessous de tous les autres.
1150. C) Envers soi-même, voici le principe à suivre : tout en reconnaissant le
bien qui est en nous, pour en remercier Dieu, nous devons surtout considérer ce
qu'il y a de défectueux, notre néant, notre incapacité, notre péché, afin de
nous tenir habituellement dans des sentiments d'humiliation et de confusion. A
l'aide de ce principe, on pratiquera plus facilement l'humilité qui doit
s'étendre à l'homme tout entier : à son esprit, à son cœur, à son extérieur.
a) L'humilité d’esprit, qui comprend principalement quatre choses : 1) Une juste
défiance de soi, qui nous porte à ne pas exagérer nos talents, mais à nous
humilier de ce que nous avons si mal utilisé ceux que le Bon Dieu nous a donnés.
C'est le conseil du Sage : « Ne cherche pas ce qui est trop difficile pour toi,
et ne scrute pas ce qui dépasse tes forces » (Eccli., III, 22) ; c'est ce que S.
Paul recommandait aux Romains : « En vertu de la grâce qui m'a été donnée, je
dis à chacun de vous de ne pas s'estimer plus qu'il ne faut ; mais d'avoir des
sentiments modestes, chacun selon la mesure de la foi que Dieu lui a départie »
(Rom., XII, 3). 2) Dans l'usage qu'on fait de ses talents, ne pas chercher à
briller, à se faire estimer, mais à être utile, à faire du bien. C'est ce que
recommandait S. Vincent de Paul à ses missionnaires, et il ajoutait : « En user
autrement, c'est se prêcher soi-même et non pas Jésus-Christ ; et une personne
qui prêche pour se faire applaudir, louer, estimer, faire parler de soi,
qu'est-ce que fait cette personne ?... Un sacrilège, oui, un sacrilège ! Quoi,
se servir de la parole de Dieu et des choses divines pour acquérir de l'honneur
et de la réputation ! oui c'est un sacrilège ! ».
1151. 3) Pratiquer la docilité intellectuelle, non seulement en se soumettant
aux décisions officielles de l'Eglise, mais encore en acceptant cordialement les
directions pontificales, même quand elles ne sont pas infaillibles, en se disant
qu'il y a plus de sagesse dans ces décisions que dans nos propres jugements. 4)
Cette docilité fera éviter l'obstination dans ses propres idées sur les points
controversés. Assurément on a le droit d'embrasser, dans les choses librement
discutées, le système qui nous semble le mieux fondé ; mais n'est-il pas juste
de laisser la même liberté aux autres ?
1152. b) L'humilité de cœur demande qu'au lieu de désirer et de rechercher la
gloire ou les honneurs, on se contente de la condition où l’on est, et qu'on
préfère la vie cachée aux fonctions éclatantes. Elle va plus loin encore : elle
cache tout ce qui peut nous faire aimer et estimer, et désire le dernier lieu
non seulement dans les rangs du monde, mais dans leur estime (Luc, XIV, 10).
Elle désire même que notre mémoire périsse entièrement sur la terre. Ecoutons S.
Vincent de Paul : « Nous ne devons jamais jeter les yeux ni les arrêter sur ce
qu'il y a de bien en nous, mais nous étudier à connaître ce qu'il y a de mal et
de défectueux, et c'est là un grand moyen pour conserver l'humilité. Ni le don
de convertir les âmes, ni tous les autres talents extérieurs qui sont en nous,
n'étant pour nous, nous n'en sommes que les portefaix, et avec tout cela nous
pouvons parfaitement nous damner. C'est pourquoi personne ne doit se flatter, ni
se complaire en soi-même, ni en concevoir aucune propre estime, voyant que Dieu
opère de grandes choses par son moyen ; mais il doit d'autant plus s'humilier et
se reconnaître pour un chétif instrument dont Dieu daigne se servir ».
1153. c) L'humilité extérieure ne doit être que la manifestation des sentiments
intérieurs ; mais on peut dire aussi que les actes extérieurs d'humilité
réagissent sur nos dispositions pour les affermir et les intensifier. Il ne faut
donc pas les t-ié.-kIliger, mais les accompagner de véritables sentiments
d'humilité, et par conséquent abaisser son âme en même temps que son corps. 1)
Un logement pauvre, des vêtements modestes, à moitié usés et rap ilécés, pourvu
qu'ils demeurent propres, inclinent à l'humilité; un logement et des vêtements
riches suggèrent facilement des sentiments contraires à cette vertu. 2) Une
tenue, une démarche, une physionomie, une manière d'a.lir modeste et humble,
sans affectation, aident à pratiquer l'humilité '; les occupations humbles,
comme le travail manuel, raccommoder ses habits, produisent le même résultat. 3)
Il en est de même de la condescendance qu'on montre à l'égard des autres, des
marques de déférence et de courtoisie. 4) Dans les conversations, l'humilité
nous porte à faire parler les autres sur les choses qui les intéressent, et à
parler peu soi-même. Surtout elle empêche de parler de soi et de tout ce qui se
rapporte au moi : il faut être un saint pour pouvoir parler de soi en mal, sans
arrière-pensée 1, et parler de soi en bien n'est que de la vantardise. De même
il ne faut pas, sous prétexte d'humilité, faire des extravagances. Comme le dit
S. François de Sales 3, "si quelques grands serviteurs de Dieu ont fait semblant
d'être fous, pour se
C'est ce qu'explique bien
MGR. GAY, Vie et vertus, t. 1, de l'humilité, P. 357-358- " Il y a une habitude
d'humilité extérieure oil l'âme sincèrement humble maintient toujours le corps.
C'est quelque chose de contenu, de réservé, de calme, qui donne à la physionomie
entière et à toutes les démarches cette beauté ineffable, cette liai monie, ce
charme qu'exprime le mot de modestie. Modeste est le regard, modeste la voix,
modeste le rire, modestes sont tous les mouvements... Rien n'est Plus loin de
l'apprêt que la vraie modestie. Saint Paul (lisait (Phil. IV, 5) : Que votre
modestie se montre à toits, car le Seigneur est proche! Là en effet est le
secret de cette ravissance et sainte attitude. Dieu est proche de cette âme, et
cette âme ne l'oublie jamais : elle vit ci, si, présence et agit sous ses yeux,
en la compagnie des bons anges ",
- " Nous disons maintes
fois que tiens ne sommes rien, que nous sommes la misère même et l'ordure dit
monde : mais nous serions bien marris qu'on nous prist au mot, et que l'on nous
publiast tels que nous disons; ait contraire nous faisons semblant de fuit et de
nous cacher, afin qu'on nous coure après et qu'on nous cherche : nous faisons
contenance de vouloir être les derniers, et assis au bas bout de la table, mais
c'est afin de passer plus avantageusement au haut bout. La vraye humilité rie
fait pas semblant de l'être, et ne dit guère de paroles d'humilité ". (S. FR. DE
SALES, Vie dévoie, III Part_ ch. V.)
us abjects devant le monde, il les faut admirer, et rendre plo . non pas imiter
; car ils ont eu des motifs pour passer à ces excès qui leur ont été si
particuliers et extraordinaires que personne n'en doit tirer aucune conséquence
pour soi ".
L'humilité est donc une vertu très pratique et très sanctifiante, qui embrasse
l'homme tout entier; elle nous aide à pratiquer les autres vertus, et surtout la
douceur.
§ III.
La douceur
1154. Notre Seigneur
associe justement la douceur à l'humilité, parce qu'elle ne peut guère se
pratiquer sans celle-ci. Nous traiterons : 1° de sa nature ; 2° de son
excellence ; 3° de sa pratique.
I.
Nature de la vertu de douceur
1155. 1. Ses éléments. La
douceur est une vertu complexe, qui comprend trois éléments principaux : a) une
certaine maîtrise (le soi qui prévient et modère les mouvements de la colère :
c'est à ce point de vue qu'elle se rattache à la tempérance -, b) le support
tics défauts du prochain, qui demande la patience et par là même la vertu de
force ; C) le pardon des injures et la bienveillance à l'égard de tous, même des
ennemis : sous ce rapport, elle inclut la charité. Comme on le voit, c'est un
ensemble de vertus, plutôt qu'une vertu unique.
1156. 2P 011 peut donc la définir : une vertu morale surnaturelle qui prévient
et modère la colère, supporte le prochain ses défauts et le traite avec
bénignité. La douceur n'est donc pas cette faiblesse de caractère qui dissimule,
sous des dehors doucereux, un profond ressentiment. C'est une vertu intérieure
qui réside à la fois dans la volonté et dans la sensibilité pour y faire régner
le calme et la paix, mais qui se manifeste au dehors, dans les paroles et dans
les gestes, par des manières affables. Elle se pratique à l'égard du prochain,
mais aussi envers soi-même, comme aussi envers les êtres animés ou inanimés.
II. Son
excellence
La douceur est une
vertu excellente en soi et dans ses effets.
1157. 1- En soi, elle est, dit M. Olier 2, " la cousommation du chrétien ;
car elle présuppose en lui l'an éantissein ent de tout le propre, et la mort
à tout intérêt ". Aussi, ajoute-t-il, " la vraie douceur ne se rencontre
presque jamais que dans les ânes innocentes ' dans lesquelles JésusChrist a
fait un séjour continuel depuis la ré,,énération sainte ". Pour les
on ne l'y trouve en perfection que rarement, parce que bien peu travaillent
avec assez d'énergie et de constance à détruire les défauts qu'ils ont
contractés. Aussi Bossuet nous dit que " la vraie marque de l'innocence ou
conservée, ou recouvrée, c'est la douceur " 3.
1158. 2- Le -rai-id avaizta,-e de la douceur est de faire régner la paix
dans l'âme, paix avec Dicii, avec leprochain, avec soi-iizëine. a) Avec
Dieu, parce qu'elle nous fait accepter tous les événements, même les plus
fâcheux, avec calme et sérénité, comme des moyens de progresser dans les
vertus, et surtout dans l'amour de Dieu : (C nous savons en effet, dit S.
Paul, que toutes choses
Saint Jérûnie la décrit fort bien dans son CominentairesiérZes Gaïales, V.
22 : " La bénignitê, dit S. JéiÔme, est une vertu suavc, aimable,
tranquille, an parler doux, aux moeurs affables, alliage heureux de toutes
les bonues qualités. La bonté en est assez voisine, car elle aussi cherche à
faire plaisir; mais elle s'en distingue en ceci qu'elle est moins avenante
et d'aspect plus sévère; qu'elle est prompte à faire du bien et à rendre
service, mais sans cette ainénitê, cette suavité qui gagne les coeurs ".
1 1nîroduction, ch. X.
3 Médit. sur l'Evangile,
Sermon, 11l~ Jour.
concourent an bien de
ceux qui aiment Dieu
di1~,~,ciziîbus Dezim omnia in bonum " 1.
b) Avec le : car, cri
prévenant et réprimant les mouvements de colère, elle nous fait supporter
les défauts du prochain, et nous permet de maintenir avec lui de bons
rapports, ou du moins de ne pas être troublé intérieurement si d'autres
s'irritent contre nous.
c) A l'égard (le soz-ilzêi;ie .- quand on a- commis une faute ou une bévue,
on ne s'impatiente ni tic s'irrite; mais on se reprend avec tranquillité,
avec compassion, sans s'étonner de ses fautes, en profitant (le l'expérience
acquise pour être plus vigilant. Ainsi on évit(~ le défaut (le ceux qui "
s'étant mis en colère, se courroucent de s'être courroucés, entrent en
cha-rin de s'être chagrinés et ont dépit de s'être dépites " 2 . Ainsi on
conserve la paix, qui est l'un des biens les plus précieux.
Ill. Prati'que & iez
vel-tu de doléceli1%
1159. io Les
commençants la pratiquent en combattant la colère et le désir de la
vengeance, ainsi que tous les mouvements passionnés de l'âme, 11. 861-863.
1160. 2- Les âmes
avancées s'efforcent d'attirer en elles la douceur de Jésus, douceur qu'il
nous enseigne admirablement par ses paroles et par ses exemples 3.
A) Il attache tant
d'importance à cette vertu qu'il a voulu qu'elle fût annoncée par les
prophètes comme un des caractères du Messie, et que l'accomplissement de
cette prophétie fût marqué par les EvangéliStes 4.
' lefflU., VIII, 28.
'S. FR. DL' SALES, Vie dévote, II1~ P., eh. IX.
3 Il. CHEVRIER, le disciple, P- 345-354-
4 ISATE, XLII, 1-4; Ajat , î~1., XII, 17-21.
1161. B) Il s'offre à nous
comme un modèle de cette douceur, et nous invite à être - ses disciples, parce
qu'il est doux et humble de cœur1.
a) Il réalise parfaitement
l'idéal de douceur tracé par les Prophètes. Quand il prêche l'Evangile, ce n'est
pas avec contention, animosité, aigreur, mais calme et sérénité.
Pas d'éclats de voix, de cris inutiles, de paroles de colère le bruit passe et
ne fait pas de bien. Ses manières seront si douces qu'il ne rompra pas le roseau
à demi brisé et n'éteindra pas la mèche qui fume encore, c'est-à-dire la petite
étincelle de foi et d'amour qui reste dans l'âme du pécheur. Pour attirer les
hommes, il ne sera ni triste ni turbulent : tout en lui respirera l'amabilité,
et il invitera ceux qui sont chargés de labeurs à venir chercher le repas en
lui.
1162. b) A l'égard des ap~tres : i) sa conduite est pleine de douceur : il
supporte leurs défauts, leur ignorance, leur rudesse; il procède avec
ménageinents, ne leur révélant la vérité que par degrés, dans la mesure où ils
peuvent la supporter, et laisse au Saint Esprit le soin de compléter son oeuvre.
Il les défend contre les accusations injustes des Pharisiens qui leur reprochent
de ne pas jeûner; mais il les réprimande quand ils manquent de douceur à l'égard
des enfants qui se pressent autour de lui, ou quand ils veulent attirer le feu
du ciel sur un bourg de Samarie. Quand Pierre frappe -I\Ialclius de l'épée,
Jésus le lui reproche ; mais en même temps il lui pardonne son triple reniement
et le lui fait expier par une triple profession d'amour.
2) De plus il conscitle la douceur aux ouvriers apostoliques ils auront la
simplicité de la colombe et non,l'astuce du serpent; ils seront comme des
agneaux au milieu des loups, ne résisteront pas au mal, mais présenteront la
joue gauche à celui qui les frappe sur la joue droite; ils donneront leur
manteau, leur tunique, plutôt que d'aller en justice, et prieront pour ceux qui
les persécutent.
1163. c) Aux pécheurs, même les plus coupables, il pardonne volontiers aussitôt
qu'il voit en eux la, moindre trace de repentir.
C'est avec beaucoup de délicatesse qu'il obtient les aveux de la Samaritaine et
sa conversion, qu'il pardonne à la femme pécheresse et au bon larron : car il
est venu appeler, non les justes, mais les pécheurs, à la pénitence. Comme un
bon pasteur, il va chercher la brebis égarée et la ramène au bercail sur ses
épaules; il donne même sa vie pour ses brebis. -- Si parfois il parle rudement
aux Pharisiens et aux Scribes, c'est parce qu'ils imposent aux autres un joug
insupportable, et les empêchent ainsi d'entrer dans le royaume de Dieu.
d) Il n'est pas jusqu'à ses ennemis qu'il lie traite avec douceur : judas, qui
le trahit, reçoit encore le doux nom d'ami, et jésus sur la croix prie pour ses
bourreaux, et demande à son Père de leur pardonner à cause de leur ignorance.
1164. C) Pour iiniter Notre Sez~-neur : a) nous éviterons les disputes, les
éclats de voix, les paroles ou actions blessantes ou brusques, pour lie pas éloi~ner
les timides. Nous nous efforcerons de lie jamais rendre le mal pour le mal ; de
lie rien briser ou casser par brusquerie; clé ne pas parler, quand nous sommes
en colère. b) Nous essaierons au contraire de traiter avec ménagement tous ceux
qui nous abordent; de conserver pour tous un visage gai et affable, même s'ils
nous fatiguent et nous ennuient; d'accueillir avec une bonté particulière les
pauvres, les affligés, les malades, les pécheurs, les timides, les enfants;
d'adoucir par quelques bonnes paroles les réprimandes que nous sommes obligés de
faire; de rendre service avec un saint empressement, faisant même quelquefois
plus que ce qu'on nous demande, et surtout le faisant gracieusement. Nous serons
prêts, s'il le faut, à supporter un soufflet sans le rendre, et à présenter la
joue gauche à qui nous frappe sur la droite.
1165. 3o Les parfaits s'efforcent d'imiter la douceur inûme de Dieu, selon la
remarque de M. Olier 1 : " Il est la douceur par essence, et lorsqu'il en veut
rendre l'âme participante, il s'établit tellement en elle, qu'elle n'a plus rien
de la chair ni d'elle-même; mais elle est toute perdue en Dieu, en son être, cri
sa vie, en sa substance, en ses perfections : en sorte que tout ce qu'elle opère
est en douceur; et quand même elle opère avec zèle, c'est toujours avec douceur,
à cause que l'amertume et l'aigreur n'a plus de part en elle, lion plus qu'elle
n'en peut avoir en Dieu ".
1166. Conclusion. Nous terminons ici, pour n'être pas trop long, l'exposé des
vertus cardinales. a) Elles disciplinent, assouplissent et perfectionnent toutes
nos facultés, en les soumettant à l'empire de la raison et de la volonté. Ainsi
se rétablit peu à peu dans notre âme l'ordre primitif, la soumission du corps à
l'âme, des facultés inférieures à la volonté. b) Elles font plus encore : non
seulement elles suppriment les obstacles à l'union divine, mais déjà elles
commencent cette union. Car la prudence que nous acquérons est déjà une
participation à la sagesse de Dieu, notre justice une participation à sa
justice; notre force vient de Dieu et nous unit à lui; notre tempérance nous
fait participer au bel équilibre, à l'harmonie qui existe en lui. Quand nous
obéissons à nos Supérieurs, c'est à lui que nous obéissons; la chasteté n'est
qu'un moyen de nous rapprocher de sa pureté parfaite; l'humilité ne fait le vide
dans notre âme que pour la remplir de Dieu; et notre douceur n'est qu'une
participation à la douceur même de Dieu.
Ainsi préparée par les vertus morales, cette union avec Dieu va se perfectionner
par les vertus théologales, qui ont Dieu lui-même pour objet.

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