SECONDE PARTIE
Les trois voies
CHAPITRE V
Lutte contre les tentations
900. Malgré les efforts
que nous faisons pour déraciner nos vices, nous pouvons et devons nous attendre
à la tentation. Nous avons en effet des ennemis spirituels, la concupiscence, le
monde et le démon, n° 193-227, qui ne cessent de nous tendre des pièges. Il faut
donc nous occuper de la tentation, soit de la tentation en général soit des
tentations principales des commençants.
ART. I.
DE LA TENTATION EN GÉNÉRAL
901. La tentation est une
sollicitation au mal provenant de nos ennemis spirituels. Nous exposerons : 1°
les fins providentielles de la tentation ; 2° la psychologie de la tentation ;
3° l'attitude que nous devons avoir à l'égard de la tentation.
I. Les
fins providentielles de la tentation
902. Dieu ne nous tente
pas directement : « Que nul, lorsqu'il est tenté, ne dise : c'est Dieu qui me
tente ; car Dieu ne saurait être tenté de mal, et lui-même ne tente personne ».
Mais il permet que nous soyons tentés par nos ennemis spirituels, tout en nous
donnant les grâces nécessaires pour résister : « Fidelis est Deus qui non
patietur vos tentari supra id quod potestis, sed faciet etiam cum tentatione
Proventum » (I Cor., X, 13). Il a pour cela d'excellentes raisons.
1° Il veut nous faire mériter le ciel. Sans doute il aurait pu nous octroyer le
ciel comme un don ; mais il a voulu sagement que nous le méritions comme une
récompense. Il veut même que la récompense soit proportionnée au mérite, par
conséquent à la difficulté vaincue. Or il est certain que l'une des difficultés
les plus pénibles, c'est la tentation qui met en péril notre fragile vertu. La
combattre énergiquement est l'un des actes les plus méritoires ; et, quand avec
la grâce de Dieu, nous en avons triomphé, nous pouvons dire avec S. Paul que
nous avons combattu le bon combat, et qu'il ne nous reste plus qu'à recevoir la
couronne de justice que Dieu nous a préparée. Il y a d'autant plus d'honneur et
de joie à la posséder que nous avons plus fait pour la mériter.
903. 2° C'est aussi un moyen de purification. 1) Elle nous rappelle en effet
qu'autrefois, par manque de vigilance et d'énergie, nous avons succombé, et nous
est ainsi une occasion de renouveler des actes de contrition, de confusion et
d'humiliation, qui contribuent à purifier notre âme ; 2) elle nous oblige en
même temps à faire des efforts énergiques et soutenus pour ne pas succomber ;
ainsi elle nous fait expier nos lâchetés et nos capitulations par des actes
contraires, et tout cela rend notre âme plus pure. Voilà pourquoi quand Dieu
veut purifier une âme plus parfaitement pour l’élever à la contemplation, il
permet qu'elle subisse d'horribles tentations, comme nous le dirons en traitant
de la voie unitive.
904. 3° C'est enfin un moyen de progrès spirituel. a) La tentation est comme un
coup de fouet qui nous réveille au moment où nous allions nous endormir et nous
relâcher ; elle nous fait comprendre la nécessité de ne pas nous arrêter à
mi-chemin, mais de viser plus haut, afin d'écarter plus sûrement tout danger. b)
C'est aussi une école d'humilité, de défiance de soi-même : on comprend mieux sa
faiblesse, son impuissance, on sent davantage le besoin de la grâce, et l'on
prie avec plus de ferveur. On voit mieux la nécessité de mortifier l'amour du
plaisir, source de nos tentations, et on embrasse avec plus de générosité les
petites croix de chaque jour, afin d'amortir l'ardeur de la concupiscence. c)
C'est une école d'amour de Dieu : car, pour résister avec plus de sécurité, on
se jette entre les bras de Dieu pour y trouver force et protection ; on lui est
reconnaissant des grâces qu'il ne manque pas d'accorder; on se comporte avec lui
comme un fils qui, en toutes ses difficultés, a recours au plus aimant des
pères.
La tentation a donc de multiples avantages, et c'est pour cela que Dieu permet
que ses amis soient tentés : « parce que tu étais agréable à Dieu, dit l'ange à
Tobie, il a fallu que la tentation t'éprouvât (Tob., XII, 13).
II. La
psychologie de la tentation
Nous décrirons : 1° la
fréquence de la tentation ; 2° ses diverses phases ; 3° les marques et les
degrés de consentement.
905. 1° Fréquence des tentations. La fréquence et la violence des tentations
varient extrêmement : il est des âmes souvent et violemment tentées ; il en est
d'autres qui ne le sont que rarement et sans se sentir profondément ébranlées.
Bien des causes expliquent cette diversité. a) Tout d'abord le tempérament et le
caractère : il y a des personnes extrêmement passionnées et en même temps
faibles de volonté, souvent tentées et que la tentation bouleverse ; il en est
d'autres bien équilibrées et énergiques qui ne sont que rarement tentées, et qui
gardent le calme au milieu de la tentation. b) L'éducation amène d'autres
différences : il y a des âmes élevées dans la crainte et l'amour de Dieu, dans
la pratique habituelle du devoir austère, et qui n'ont guère reçu que de bons
exemples ; d'autres au contraire ont été élevées dans l'amour du plaisir et la
peur de toute souffrance, et ont vu trop d'exemples de vie mondaine et
sensuelle. Il est évident que les secondes seront plus violemment tentées que
les premières. c) Il faut tenir compte aussi des desseins providentiels de Dieu
: il est des âmes qu'il appelle à une vocation sainte et dont il préserve la
pureté avec un soin jaloux ; d'autres qu'il destine aussi à la sainteté, mais
qu'il veut faire passer par de rudes épreuves, afin d'affermir leur vertu ;
d'autres enfin qu'il n'appelle pas à une vocation aussi élevée, et qui seront
plus souvent tentées, quoique jamais au-dessus de leurs forces.
906. 2° Les trois phases de la tentation. D'après la doctrine traditionnelle,
qu'expose déjà S. Augustin, il y a trois phases dans la tentation : la
suggestion, la délectation et le consentement. a) La suggestion consiste dans la
proposition de quelque mal : l'imagination ou l'esprit se représente, d'une
façon plus ou moins vive, les attraits du fruit défendu ; parfois cette
représentation est très séduisante, s'impose avec ténacité et devient une sorte
d'obsession. Si dangereuse que soit cette suggestion, elle n'est pas un péché,
pourvu qu'on ne l'ait pas provoquée ou qu'on n'y consente pas librement : il n'y
a faute que lorsque la volonté y donne son consentement. b) A la suggestion se
joint la délectation : instinctivement la partie inférieure de l'âme se porte
vers le mal suggéré, et on éprouve un certain plaisir. « Il arrive maintes fois,
dit S. François de Sales, que la partie inférieure se plaît en la tentation,
sans le consentement, ains contre le gré de la supérieure : c'est la guerre que
l'apôtre S. Paul décrit quand il dit que sa chair convoite contre son esprit »
(Vie dévote, Ive Part., ch. III). Cette délectation de la partie inférieure,
tant que la volonté n'y adhère pas, n'est pas une faute ; mais c'est un danger,
parce que la volonté se trouve ainsi sollicitée de donner son adhésion ; alors
se pose l'alternative : la volonté va-t-elle consentir, oui ou non ? c) Si la
volonté refuse son acquiescement, combat la tentation et la repousse, elle est
victorieuse et fait un acte très méritoire. Si au contraire elle se complaît
dans la délectation, y prend plaisir volontairement, et y consent, le péché
intérieur est commis. Tout dépend donc du libre consentement de la volonté, et
c'est pourquoi nous allons, pour plus de clarté, indiquer les signes auxquels on
peut reconnaître si et dans quelle mesure on a consenti.
907. 3° Signes de consentement. Pour mieux expliquer ce point important, voyons
les signes de non-consentement, de consentement imparfait, de plein
consentement. a) On peut considérer qu'on n'a pas consenti, si, malgré la
suggestion et le plaisir instinctif qui l'accompagne, on éprouve du
mécontentement, de l'ennui de se voir ainsi tenté, si on lutte pour ne pas
succomber, si on a une vive horreur, dans la partie supérieure de l'âme, pour le
mal proposé . b) On peut être coupable de la tentation dans la cause, lorsqu'on
prévoit que telle ou telle action, que nous pouvons éviter, nous est une source
de tentations : « Si je sais, dit S. François de Sales, que quelque conversation
m'apporte de la tentation et de la chute, et j'y vais volontairement, je suis
indubitablement coupable de toutes les tentations que j'y recevrai » (ch. VI).
Mais alors on n'est coupable que dans la mesure où l'on a prévu, et si la
prévision n'a été que vague et confuse, la culpabilité est diminuée d'autant.
908. c) On peut considérer que le consentement est imparfait : 1) Quand on ne
repousse pas la tentation aussi promptement qu'on en perçoit le caractère
dangereux ; il y a là une faute d'imprudence, qui sans être grave, expose au
danger de consentir à la tentation. 2) Quand on hésite un instant : on voudrait
bien goûter un peu du plaisir défendu, mais on ne voudrait pas offenser Dieu ;
bref, après un moment d'hésitation, on repousse la tentation ; ici encore faute
vénielle d'imprudence.
3) Si on ne repousse la tentation qu'à demi : on résiste, mais d'une façon
molle, incomplète ; or une demi résistance est un demi consentement : faute
vénielle.
909. d) Le consentement est plein et entier quand la volonté, affaiblie par les
premières concessions, se laisse entraîner à goûter volontairement le plaisir
mauvais, malgré les protestations de la conscience qui reconnaît que c'est mal ;
alors, si la matière est grave, le péché est mortel : c'est un péché de pensée
ou de délectation morose, comme disent les théologiens. Si à la pensée s'ajoute
le désir consenti, c'est une faute plus grave encore. Enfin si du désir on passe
à l'exécution, ou du moins à la recherche et poursuite des moyens propres à
l'exécution de son dessein, c'est un péché d'action.
910. Dans les divers cas que nous avons exposés, il y a parfois des doutes qui
s'élèvent sur le consentement ou le demi consentement donné. Il faut alors
distinguer entre les consciences délicates et les consciences relâchées ; dans
le premier cas, on juge qu'il n'y a pas eu consentement, parce que la personne
en question a l'habitude de ne pas consentir, tandis que dans le second on
formera un jugement tout contraire.
III.
Notre attitude à l'égard de la tentation
Pour triompher des
tentations et les faire servir au bien spirituel de notre âme, il y a trois
choses principales à faire : 1° prévenir la tentation ; 2° la combattre
vigoureusement ; 3° remercier Dieu après la victoire ou se relever après la
chute.
911. 1° Prévenir la tentation. Nous connaissons le proverbe : mieux vaut
prévenir que guérir ; c'est aussi ce que conseille la sagesse chrétienne. Quand
Notre Seigneur emmène les trois apôtres au jardin des Oliviers, il leur dit : «
Veillez et priez, de peur que vous n'entriez en tentation » (Matth., XXVI, 41) ;
voilà donc les deux grands moyens de prévenir la tentation.
912. A) Veiller, c'est monter la garde autour de son âme pour ne pas se laisser
surprendre : car il est si facile de succomber dans un moment de surprise !
Cette vigilance implique deux dispositions principales : la défiance de soi et
la confiance en Dieu. a) Il faut donc éviter cette présomption orgueilleuse qui
nous jette au milieu des périls, sous prétexte que nous sommes assez forts pour
en triompher. Ce fut le péché de S. Pierre, qui, au moment où Jésus prédisait
l'abandon des apôtres, s'écria : « Quand vous seriez pour tous une occasion de
chute, vous ne le seriez jamais pour moi » (Marc, XIV, 29). Qu'on se rappelle au
contraire que celui qui croit être debout doit prendre garde de tomber (I Cor.,
X, 12) ; car, si l'esprit est prompt, la chair est faible, et la sécurité ne se
trouve que dans l'humble défiance de sa faiblesse. b) Mais il faut aussi éviter
ces vaines terreurs qui ne font qu'accroître le danger ; il est bien vrai que
nous sommes faibles par nous-mêmes, mais invincibles en Celui qui nous fortifie
: « Dieu qui est fidèle ne permettra pas que vous soyez tentés au-dessus de vos
forces ; mais avec la tentation il ménagera aussi une heureuse issue en vous
donnant le pouvoir de la vaincre » (I Cor., X, 13). c) Cette juste défiance de
nous-mêmes nous fait éviter les occasions dangereuses, telle compagnie, tel
amusement, etc., où notre expérience nous a montré que nous étions exposés à
succomber. Elle combat l'oisiveté, qui est l'une des occasions les plus
dangereuses, n° 885, comme aussi cette mollesse habituelle qui détend les
ressorts de la volonté et la prépare à toutes les capitulations . Elle a
horreur de ces vaines rêveries qui peuplent l'âme de fantômes qui ne tardent pas
à devenir dangereux. En un mot, elle pratique la mortification sous les
différentes formes que nous avons signalées, n° 767-817 et l'application aux
devoirs d'état, à la vie intérieure et à l'apostolat. Alors il reste peu de
place pour les tentations dans cette vie intense. d) La vigilance doit s'exercer
spécialement sur le point faible de l'âme, puisque c'est généralement de ce côté
que vient l'attaque. Pour fortifier ce point vulnérable, on se sert de l'examen
particulier, qui concentre notre attention pendant un temps notable sur ce
défaut, ou mieux encore sur la vertu contraire (n° 468).
913. B) A la vigilance s'ajoute la prière, qui, en mettant Dieu de notre côté,
nous rend invincibles. Au fond, Dieu est intéressé à notre victoire : c'est à
lui en effet que s'attaque le démon en notre personne, c'est son œuvre qu'il
veut détruire en nous ; nous pouvons donc l'invoquer avec une sainte confiance,
sûrs qu'il ne demande qu'à nous secourir. Toute prière est bonne contre la
tentation, vocale ou mentale, privée ou publique, sous forme d'adoration ou sous
forme de demande. On peut tout particulièrement, dans les moments de calme,
prier pour le temps de la tentation. Au moment où celle-ci se présente, on n'a
plus alors qu'à faire une courte élévation de cœur pour résister avec plus de
succès.
914. 2° Résister à la tentation. Cette résistance sera différente selon la
nature des tentations. Il en est qui. Sont fréquentes, mais peu graves : il faut
les traiter par le mépris, comme l'explique si bien S. François de Sales : «
Quant à ces menues tentations de vanité, de soupçon, de chagrin, de jalousie,
d'envie, d'amourettes, et semblables tricheries, qui, comme mouches et
moucherons, viennent passer devant nos yeux et tantôt nous piquer sur la joue,
tantôt sur le nez... la meilleure résistance qu'on leur puisse faire, c'est de
ne s'en point tourmenter ; car tout cela ne peut nuire, quoiqu'il puisse faire
de l'ennui, pourvu que l'on soit bien résolu de vouloir servir Dieu. Méprisez
donc ces menues attaques et ne daignez pas seulement penser à ce qu'elles
veulent dire, mais laissez-les bourdonner autour de vos oreilles tant qu'elles
voudront... comme l'on fait des mouches ». (Vie dévote, Ive P., ch. IX).
Ici nous nous occupons surtout des tentations graves, il faut les combattre
promptement, énergiquement, avec constance et humilité.
A) Promptement, sans discuter avec l'ennemi, sans aucune hésitation : au début,
la tentation n'ayant pas encore pris pied solidement dans notre âme, il est
assez facile de la rejeter ; si nous attendons qu'elle y ait pris racine, ce
sera beaucoup plus difficile. Donc ne parlementons pas ; associons l'idée de
plaisir illicite à tout ce qu'il y a de plus répugnant, à un serpent, à un
traître qui veut nous surprendre, et rappelons-nous la parole de nos SS. Livres
: « Fuis devant le péché comme devant un serpent ; car si tu en approches, il te
mordra » (Eccli., XXI, 2). On fuit en priant et en appliquant fortement son
esprit à tout autre sujet.
915. B) Energiquement, non pas avec mollesse et comme à regret : ce qui
semblerait inviter la tentation à revenir ; mais avec force et vigueur,
témoignant l'horreur qu'on a pour une telle proposition : « arrière, Satan, vade
retro Satana » (Marc, VIII, 33). Mais il y a une tactique différente à employer
suivant le genre de tentations : s'il s'agit de plaisirs attrayants, il faut se
détourner et fuir en appliquant fortement son attention à un sujet différent qui
puisse absorber notre esprit : la résistance directe ne ferait généralement
qu'augmenter le danger. S'il s'agit d'une répugnance à faire son devoir,
d'antipathie, de haine, de respect humain, le mieux est souvent d'affronter la
tentation, de considérer franchement la difficulté en face et de faire appel aux
principes de la foi pour en triompher.
916. C) Avec constance : parfois en effet la tentation, un moment vaincue,
revient avec un nouvel acharnement, et le démon ramène du désert sept esprits
plus méchants que lui. A cette opiniâtreté de l'ennemi il faut opposer une
résistance non moins tenace : c'est celui qui combat jusqu'à la fin qui remporte
la victoire. Mais alors, pour être plub sûr de triompher, il importe de faire
connaître la tentation à son directeur. C'est le conseil que donnent les Saints,
en particuliei S. Ignace et S. François de Sales : « car notez, dit ce dernier
que la première condition que le malin fait avec l'âme qu'il veut séduire, c'est
du silence, comme font ceux qui veulent séduire les femmes et les filles, qui de
prime abord défendent qu’elles ne communiquent point les propositions aux pères
ni aux maris : ou au contraire Dieu, en ses inspirations, demande sur toutes
choses que nous les fassions reconnaître par nos supérieurs et conducteurs »
(Vie dévote, IVe P., ch. VII). Il semble en effet qu'une grâce spéciale soit
attachée à cette ouverture de cœur : une tentation découverte est à moitié
vaincue.
917. D) Avec humilité : c'est elle en effet qui attire la grâce, et c'est la
grâce qui nous donne la victoire. Le démon, qui a péché par orgueil, s'enfuit
devant un acte sincère d'humilité, et la triple concupiscence, qui tient sa
force de la superbe, est facilement vaincue, lorsque par l'humilité nous l'avons
pour ainsi dire décapitée.
918. 3° Après la tentation, il faut bien se garder d'examiner minutieusement si
on a consenti ou non : cette imprudence pourrait ramener la tentation et créer
un nouveau péril. D'ailleurs il est facile de voir, par le témoignage de la
conscience, sans examen approfondi, si on a été victorieux. A) Si on a eu le
bonheur de triompher, qu'on remercie de grand cœur Celui qui nous a donné la
victoire : c'est un devoir de reconnaissance, et c'est le meilleur moyen
d'obtenir de nouvelles grâces en temps opportun. Malheur aux ingrats qui,
s'attribuant à eux-mêmes la victoire, me songeraient pas à en remercier Dieu !
Ils ne tarderaient pas à expérimenter leur faiblesse.
919. B) Si au contraire on avait eu le malheur de succomber, qu'on ne se
décourage pas; qu'on se souvienne de l'accueil fait au prodigue, et que, comme
lui, on aille se jeter aux pieds du représentant de Dieu, avec ce cri du cœur :
Père, j'ai péché contre le ciel et contre vous : je ne mérite plus d'être appelé
votre fils ( Luc, XV, 21). Et Dieu, plus miséricordieux encore que le père du
prodigue, lui donnera le baiser de paix et lui rendra son amitié.
Mais, pour éviter des rechutes, le pécheur repentant profitera de sa faute pour
s'humilier profondément devant Dieu, reconnaître son impuissance à faire le
bien, mettre toute sa confiance en Dieu, devenir plus circonspect en évitant
soigneusement les occasions de péché, et revenir à la pratique de la pénitence.
Une faute ainsi réparée ne sera pas un obstacle sérieux à la perfection. Comme
le remarque avec raison S. Augustin, ceux qui se relèvent ainsi en deviennent
plus humbles, plus prudents et plus fervents : ex casu humiliores, cautiores,
ferventiores » (De corrept. et gracia, cap. 1).
ART. II
DES PRINCIPALES TENTATIONS DES COMMENÇANTS
Les commençants sont
sujets à toutes sortes de tentations, venant des sources que nous avons
indiquées. Mais il en est cependant quelques-unes qui semblent plus
particulièrement les concerner; ce sont : 1° les illusions venant des
consolations et des sécheresses ; 2° l'inconstance ; 3° l'empressement ; 4°
parfois les scrupules.
§ I.
Illusions des commençants sur les consolations
920. Généralement le Bon
Dieu accorde des consolations sensibles aux débutants, afin de les attirer à son
service ; puis il les en prive pour un temps, afin d'éprouver et d'affermir leur
vertu. Or il en est qui se croient arrivés déjà à un certain degré de sainteté,
quand ils ont beaucoup de consolations ; si elles viennent à disparaître et font
place aux sécheresses ou aridités, ils se croient perdus. Il importe donc, pour
prévenir à la fois la présomption et le découragement, de leur expliquer la
vraie doctrine sur les consolations et les sécheresses.
1. Les
consolations
921. 1° Nature et
provenance. a) Les consolations sensibles sont des émotions douces qui affectent
la sensibilité et font goûter une joie spirituelle sentie. Alors le cœur se
dilate et bat avec plus d'animation, le sang circule avec plus de rapidité, le
visage est rayonnant, la voix est émue, et parfois, cette joie se manifeste par
des larmes. Elles se distinguent des consolations spirituelles, accordées
généralement aux âmes en progrès, consolations d'un ordre supérieur qui agissent
sur l'intelligence en l'éclairant, et sur la volonté en l'attirant à la prière
et à la vertu. Souvent du reste il y a un certain mélange des deux, et ce que
nous allons dire peut s'appliquer aux unes et aux autres.
b) Ces consolations
peuvent provenir d'une triple source : 1) de Dieu, qui agit à notre égard comme
une mère à l'égard de son enfant, et nous attire à lui par les douceurs qu'il
nous fait trouver à son service, afin de nous détacher plus facilement des faux
plaisirs du monde ; 2) du démon, qui, en agissant sur le système nerveux,
l'imagination et la sensibilité, peut produire certaines émotions sensibles,
dont il se servira ensuite pour pousser à des austérités indiscrètes, à la
vanité, à la présomption suivie bientôt de découragernent ; 3) de la nature
elle-même : il y a des tempéraments imaginatifs, émotifs, optimistes, qui,
lorsqu'ils s'adonnent à la piété, y trouvent naturellement un aliment à leur
sensibilité.
922. 2° Avantages. Les consolations ont assurément leur utilité : a) Elles
facilitent la connaissance de Dieu : l'imagination, aidée de la grâce, aime à se
représenter les amabilités divines, le cœur les goûte ; alors on se plaît à
prier, à méditer longuement, et l'âme comprend mieux la bonté de Dieu. b) Elles
contribuent à fortifier la volonté : celle-ci ne trouvant plus, dans les
facultés inférieures, d'obstacles, mais au contraire des auxiliaires précieux,
se détache plus facilement des créatures, aime Dieu plus ardemment, et prend
d'énergiques résolutions qu'elle garde plus facilement grâce aux secours obtenus
par la prière : aimant Dieu d'une façon sensible, elle supporte vaillamment les
petits sacrifices de chaque jour, et s'impose même volontiers quelques
mortifications. c) Elles nous aident à former des habitudes de recueillement, de
prière, d'obéissance, d'amour de Dieu, qui persévéreront dans une certaine
mesure après que les consolations auront disparu.
923. 3° Dangers. Cependant ces consolations ont aussi leurs dangers :
a) Elles provoquent une sorte de gourmandise spirituelle qui fait qu'on
s'attache plus aux consolations de Dieu qu'au Dieu des consolations, si bien
que, lorsqu'elles disparaissent, on néglige ses exercices spirituels et ses
devoirs d'état ; même au moment où nous en jouissons, notre dévotion est loin
d'être solide : car, tout en pleurant sur la Passion du Sauveur, nous lui
refusons le sacrifice de telle amitié sensible, de telle privation ! Or il n'y a
de vertu solide que lorsque l'amour de Dieu va jusqu'au sacrifice inclusivement,
n° 321 : « Il y a beaucoup d'âmes qui ont de ces tendretés et consolations, qui
néanmoins ne laissent pas d'être fort vicieuses, et par conséquent n'ont aucun
vrai amour de Dieu, et, beaucoup moins, aucune vraie dévotion » (Vie dévote, IVe
P., ch XIII).
b) Elles favorisent souvent la superbe sous une forme ou sous une autre : 1) la
vaine complaisance en soi-même : quand on est consolé, et que la prière est
facile, on se croit si facilement un saint, alors qu’on n'est encore qu'un
novice en perfection ! 2) la vanité : on désire parler aux autres de ces
consolations, pour se faire valoir; et alors on est souvent sevré pour un temps
notable ; 3) la présomption : on se croit fort, invincible, et parfois on
s’expose au danger, ou du moins on commence à se reposer, alors qu'il faudrait
redoubler d'efforts et progresser.
924. 4° Attitude à l'égard des consolations. Afin de bien profiter des
consolations divines, et d'échapper aux dangers que nous venons de signaler,
voici les règles à suivre.
a) On peut sans doute désirer ces consolations d'une façon conditionnelle, avec
l'intention de s'en servir pour aimer Dieu et accomplir sa sainte volonté. C'est
ainsi que l'Eglise nous fait demander, le jour de la Pentecôte, dans la Collecte
la grâce de la consolation spirituelle : « et de ejus semper consolatione
gaudere ». C'est en effet un don de Dieu qui a pour but de nous aider dans
l'œuvre de notre sanctification ; il faut donc l'estimer beaucoup, et on peut le
demander, pourvu qu’on se soumette à la sainte volonté de Dieu.
b) Quand ces consolations nous sont données, recevons-les avec reconnaissance et
humilité, nous en reconnaissant indignes, et en attribuant tout le mérite à Dieu
; s'il lui plaît de nous traiter en enfants gâtés, qu'il en soit béni, mais
avouons que nous sommes encore bien imparfaits, puisque nous avons besoin du
lait des enfants. Surtout ne nous en vantons pas : ce serait le meilleur moyen
de les perdre.
c) Les ayant reçues humblement, employons-les soigneusement selon l'intention de
Celui qui nous les donne. Or il nous les accorde, dit S. François de Sales, «
pour nous rendre doux envers un chacun et amoureux envers lui. La mère donne la
dragée à l'enfant afin qu'il la baise ; baisons donc ce Sauveur qui nous donne
tant de douceurs. Or baiser le Sauveur, c'est lui obéir, garder ses
commandements, faire ses volontés, suivre ses désirs, bref l'embrasser
tendrement avec obéissance et humilité » (Vie dévote, IVe P., ch. XIII).
d) Enfin il faut se persuader que ces consolations ne dureront pas toujours, et
demander humblement à Dieu la grâce de le servir dans la sécheresse, quand il
daignera nous l'envoyer. En attendant, au lieu de vouloir prolonger par des
efforts de tête ces consolations, il faut les modérer et s'attacher fortement au
Dieu des consolations.
II. Des
sécheresses
Pour nous affermir dans la
vertu, Dieu est obligé de nous envoyer de temps en temps des sécheresses ;
exposons 1° leur nature; 2° leur but providentiel ; 3° la conduite à tenir à
leur égard.
925. 1° Nature. Les sécheresses sont une privation des consolations sensibles et
spirituelles qui facilitaient la prière et la pratique des vertus. Malgré des
efforts souvent renouvelés, on n'a pas de goût pour la prière, on y éprouve même
de l'ennui, de la lassitude, et le temps paraît très long; la foi et la
confiance semblent endormies, et l'âme, au lieu d'être alerte et joyeuse, vit
dans une espèce de torpeur : on n'agit plus qu'à coups de volonté. C'est
assurément un état très pénible ; mais il a aussi ses avantages.
926. 2o But providentiel. a) Ouand Dieu nous envoie des sécheresses, c'est pour
nous détacher de tout ce qui est créé, même du bonheur qu'on trouve dans la
piété, afin que nous apprenions à aimer Dieu seul, et pour lui-même. b) Il veut
aussi nous humilier, en nous montrant que les consolations ne nous sont pas
dues, mais sont des faveurs essentiellement gratuites. c) Par là aussi il nous
purifle davantage soit de nos fautes passées soit de nos attaches présentes et
de toute recherche égoïste : quand il faut servir Dieu sans goût, par conviction
et volonté, on souffre beaucoup, et cette souffrance est expiatrice et
réparatrice. d) Enfin il nous affermit dans la vertu : car il faut, pour
continuer à prier et à faire le bien, exercer avec énergie et constance sa
volonté, et c'est par cet exercice que s'affermit la vertu.
927. 3° Conduite à tenir. a) Comme les sécheresses viennent parfois de nos
fautes, il faut tout d'abord examiner sérieusement, mais sans inquiétude
excessive, si nous n'en sommes point responsables : 1) par des mouvements plus
ou moins consentis de vaine complaisance et d'orgueil ; 2) par une sorte de
paresse spirituelle, ou au contraire par une contention intempestive ; 3) par la
recherche des consolations humaines, d'amitiés trop sensibles, de plaisirs
mondains, Dieu ne voulant pas d'un cœurpartagé ; 4) par le manque de loyauté
avec le directeur : « car, puisque vous mentez au Saint Esprit, dit S. François
de Sales, ce n'est pas merveille qu'il vous refuse sa consolation » (Vie dévote,
IVe P., ch. XIV). Quand on a trouvé la cause de ces sécheresses, on s'en
humilie, et on s'efforce de la supprimer.
928. b) Si nous n'en sommes pas la cause, il importe de bien utiliser cette
épreuve. 1) Le grand moyen, pour y réussir, est de nous persuader que servir
Dieu sans goût et sans sentiment est plus méritoire que de le faire avec
beaucoup de consolation ; qu'il suffit de vouloir aimer Dieu pour l'aimer, et
que d'ailleurs l'acte le plus parfait d'amour est de conformer sa volonté à
celle de Dieu. 2) Pour rendre cet acte plus méritoire encore, il n'est rien de
meilleur que de s'unir à Jésus qui, au jardin des Oliviers, a consenti à
s'ennuyer et à s'attrister par amour pour nous, et de redire comme lui : «
verumtamen non mea voluntas sed tua fiat » (Luc, XXII, 42). 3) Surtout il ne
faut jamais se décourager, ni rien retrancher de ses exercices, de ses efforts,
de ses résolutions ; mais imiter Notre Seigneur qui, plongé dans l'agonie, n'en
priait que plus longuement.
929. Conseil au directeur. Pour que cette doctrine sur les consolations et les
sécheresses soit bien comprise des dirigés, il faut y revenir souvent ; car,
malgré tout, ils croient qu'ils font bien mieux quand tout va au gré de leurs
désirs que quand il faut ramer, contre le courant; mais peu à peu la lumière se
fait, et, quand ils savent ne pas s'enorgueillir au moment de la consolation et
ne pas se décourager au temps de la sécheresse, leurs progrès sont beaucoup plus
rapides et plus soutenus.
§ II.
L'inconstance des commençants
930. 1° Le mal. Quand une
âme se donne à Dieu et commence à progresser dans les voies spirituelles, elle
est soutenue par la grâce de Dieu, par l'attrait de la nouveauté et un certain
élan vers la vertu qui aplanit bien des difficultés. Mais le moment vient où la
grâce de Dieu nous est donnée sous une forme moins sensible, où nous nous
fatiguons d'avoir toujours à recommencer les mêmes efforts, où notre élan semble
brisé par la continuité des mêmes obstacles. C'est alors qu'on est exposé à
l'inconstance et au relâchement.
Cette disposition se manifeste : 1) dans les exercices spirituels qu’on fait
avec moins d'application, qu'on écourte ou qu’on néglige ; 2) dans la pratique
des vertus : on était entré de grand cœur dans la voie de la pénitence et de la
mortification, mais on trouve que c'est pénible, ennuyeux, et on ralentit ses
efforts ; 3) dans la sanctification habituelle de ses actions : on s'était
accoutumé à renouveler souvent l'offrande de ses actions, pour être sûr de les
faire avec pureté d'intention ; on se fatigue de cette pratique, on la néglige,
et le résultat c'est que bientôt la routine, la curiosité, la vanité, la
sensualité inspirent beaucoup de nos actions. Impossible d'avancer avec de
telles dispositions : car on n'arrive à rien sans un effort soutenu.
931. 2° Le remède. A) Il faut se convaincre que l'œuvre de la perfection est une
oeuvre de longue haleine, qui demande beaucoup de constance, et que ceux-là
seuls réussissent qui se remettent sans cesse à l'œuvre avec une nouvelle
ardeur, malgré les échecs partiels qu'ils éprouvent. C'est ce que font les
hommes d'affaires quand ils veulent réussir ; c'est ce que doit faire toute âme
qui veut progresser. Chaque matin elle se demande si elle ne peut pas faire un
peu plus et surtout un peu mieux pour Dieu ; et chaque soir elle examine avec
soin si elle a réalisé au moins en partie le programme du matin. B) Rien ne sert
plus à assurer la constance que la pratique fidèle de l'examen particulier, n°
468 ; en concentrant son attention sur un point, une vertu, et en rendant compte
à son confesseur des progrès accomplis, on est sûr de progresser, alors même
qu'on n'en aurait pas conscience. Ce que nous avons dit sur l'éducation de la
volonté, n° 812, est aussi un excellent moyen de triompher de l'inconstance.
§ III.
L’empressement excessif des commençants
Plusieurs commençants,
pleins de bonne volonté, mettent une ardeur, un empressement excessif à
travailler à leur perfection, et finissent par se fatiguer, s'épuiser en efforts
inutiles.
932. 1° Les causes. a) La
cause principale de ce défaut, c'est qu'on substitue son activité à celle de
Dieu : au lieu de réfléchir avant d'agir, de demander au Saint Esprit ses
lumières et de les suivre, on se précipite dans l'action avec une ardeur fébrile
; au lieu de consulter son directeur, on agit d'abord, et on le met ensuite en
face du fait accompli ; de là beaucoup d'imprudences, beaucoup d'efforts perdus.
b) Souvent aussi on y met de la présomption : on voudrait brûler les étapes,
sortir promptement des exercices de la pénitence, et arriver vite à l'union avec
Dieu ; mais hélas ! bien des obstacles imprévus se dressent, on se décourage, on
recule, et parfois on tombe en des fautes graves. b) D'autres fois c'est la
curiosité qui domine : on cherche sans cesse de nouveaux moyens de perfection,
on les essaie quelque temps, et bientôt on les laisse de côté, avant même qu'ils
n'aient pu produire leurs effets. Sans cesse on fait de nouveaux projets de
réforme pour soi et pour les autres, et on oublie de les exécuter. Le résultat
le plus net de cette activité excessive, c'est la perte du recueillement
intérieur, c’est l'agitation et le trouble, sans aucun résultat sérieux.
933. 2° Les remèdes. a) Le remède principal, c'est de se soumettre avec une
entière dépendance à l'action de Dieu, de réfléchir mûrement avant d’agir, de
prier pour obtenir la divine lumière, de consulter son directeur et de s'en
tenir à sa décision. De même que, dans l'ordre de la nature, ce ne sont pas les
forces violentes qui obtiennent les meilleurs résultats, mais les forces bien
disciplinées, ainsi, dans la vie surnaturelle, ce ne sont pas les efforts
fébriles, mais les efforts calmes et bien réglés, qui nous font progresser : qui
va lentement, va sûrement. b) Mais, pour se soumettre ainsi à l'action de Dieu,
il est nécessaire de combattre les causes de l'empressement : 1) cette vivacité
de caractère qui pousse aux décisions trop promptes ; 2) cette présomption, qui
vient d'une trop grande estime de soi ; 3) cette curiosité qui est toujours en
quête de quelque chose de nouveau. On attaquera donc successivement ces défauts
par l'examen particulier, et alors Dieu reprendra sa place dans l'âme et la
guidera avec calme et douceur dans les sentiers de la perfection.
§ IV.
Les scrupules
934. Le scrupule est une
maladie physique et morale, qui produit une sorte d'affolement dans la
conscience, et lui fait craindre, pour des motifs futiles, d'avoir offensé Dieu.
Cette maladie n'est pas particulière aux commençants ; mais elle se rencontre
chez eux aussi bien que chez des âmes plus avancées. Il faut donc en dire un
mot, et exposer : 1° sa nature ; 2° son objet ; 3° ses inconvénients et
avantages ; 4° ses remèdes.
I.
Nature du scrupule
935. Le mot scrupule (du
latin scrupulus, petit caillou) a désigné pendant longtemps un poids minuscule
sous lequel ne s'inclinaient que les balances les plus sensibles. Au moral il
désigne une raison minutieuse dont seules se préoccupent les consciences les
plus délicates. De là il en est venu à exprimer l'inquiétude excessive
qu'éprouvent certaines consciences, sur les motifs les plus futiles, d'avoir
offensé Dieu. Pour mieux en connaître la nature, expliquons sa provenance, ses
degrés, sa distinction d'avec la conscience délicate.
936. 1° Provenance. Le scrupule provient tantôt d'une cause purement naturelle,
tantôt d'une intervention surnaturelle.
a) Au point de vue naturel, le scrupule est souvent une maladie physique et
morale. 1) La maladie physique qui contribue à produire ce désordre, est une
sorte de dépression nerveuse, qui rend plus difficile une sage appréciation des
choses morales, et tend à produire la pensée obsédante qu'on a commis un péché,
et cela sans raison sérieuse. 2) Mais il y a aussi des causes morales qui
produisent le même résultat : un esprit méticuleux, qui se noie dans les plus
petits détails, qui voudrait avoir une certitude absolue en toutes choses ; un
esprit mal éclairé, qui se représente Dieu comme un juge non seulement sévère,
mais impitoyable ; qui, dans les actes humains, confond l'impression avec le
consentement et s'imagine avoir péché parce que l'imagination a été fortement et
longuement impressionnée ; un esprit entêté, qui préfère son propre jugement à
celui de son confesseur, précisément parce qu'il se laisse guider par ses
impressions beaucoup plus que par la raison. Quand ces deux causes, physique et
morale, sont réunies, le mal est plus profond, plus difficile à guérir.
937. b) Le scrupule peut provenir aussi d'une intervention préternaturelle de
Dieu ou du démon. 1) Dieu permet que nous soyons ainsi obsédés tantôt pour nous
châtier, surtout de notre superbe, de nos mouvements de vaine complaisance ;
tantôt pour nous éprouver, nous faire expier les fautes passées, nous détacher
des consolations spirituelles, et nous amener à un plus haut degré de sainteté ;
c'est ce qui arrive particulièrement aux âmes que Dieu veut préparer à la
contemplation, comme nous l’exposerons en traitant de la voie unitive. 2) Le
démon vient aussi, parfois greffer son action sur une prédisposition morbide de
notre système nerveux pour jeter le trouble dans notre âme : il nous persuade
que nous sommes en état de péché mortel pour nous empêcher de communier, ou pour
nous gêner dans l’accomplissement de nos devoirs d'état ; surtout il essaie de
nous tromper sur la gravité de telle ou telle action, afin de nous faire pécher
formellement, alors même qu'il n'y a pas matière à péché et surtout à péché
grave.
938. 2° Degrés. Il y a évidemment bien des degrés dans le scrupule : a) au
début, ce n'est qu'une conscience méticuleuse, craintive à l'excès, qui voit le
péché là où il n'est pas ; b) puis ce sont des scrupules passagers qu'on soumet
au directeur, mais en acceptant immédiatement la solution qu'il donne ; c) enfin
le scrupule proprement dit, tenace, accompagné d'entêtement.
939. 3° Différence d'avec la conscience délicate. Il importe de bien distinguer
la conscience scrupuleuse de la conscience délicate ou timorée. a) Le point de
départ n'est pas le même : la conscience délicate aime Dieu avec ferveur et,
pour lui plaire, veut éviter les moindres fautes, les moindres imperfections
volontaires ; le scrupuleux est guidé par un certain égoïsme qui lui fait
désirer trop ardemment d'être sûr de posséder l'état de grâce. b) La conscience
délicate, ayant horreur du péché et connaissant sa faiblesse, a une crainte
fondée, mais non troublante, de déplaire à Dieu ; le scrupuleux entretient des
craintes futiles de pécher en toute circonstance. c) La conscience timorée sait
maintenir la distinction entre le péché mortel et véniel, et, en cas de doute,
se soumet immédiatement au jugement de son directeur ; le scrupuleux discute
âprement avec son directeur et ne se soumet que difficilement à ses décisions.
S'il faut éviter avec soin le scrupule, il n'est rien de plus précieux au
contraire qu'une conscience délicate.
II.
Objet du scrupule
940. 1° Parfois le
scrupule est universel et se porte sur toutes sortes de sujets ; avant l’action,
il grossit démesurément les dangers qui peuvent se rencontrer en telle ou telle
occasion d'ailleurs fort innocente ; après l'action, il peuple l'âme
d'inquiétudes mal fondées et persuade aisément à la conscience qu'elle s'est
rendue gravement coupable.
941. 2° Plus souvent il porte sur un certain nombre de sujets particuliers : a)
Sur les confessions passées : même après avoir fait plusieurs confessions
générales, on n'est pas satisfait, on craint de n’avoir pas tout accusé, ou
d'avoir manqué de contrition, et on veut toujours recommencer ; b) sur les
mauvaises pensées : l'imagination est remplie d'images dangereuses ou obscènes,
et, comme elles produisent une certaine impression, on craint d'y avoir
consenti, on en est même certain, bien qu'elles déplaisent infiniment ; c) sur
des pensées de blasphème : parce que ces idées traversent l'esprit, on est
persuadé qu'on y a consenti, malgré toute l'horreur qu’on en éprouve ; d) sur la
charité : on a entendu des médisances sans protester énergiquement, on a manqué
au devoir de la correction fraternelle par respect humain, on a scandalisé le
prochain par des paroles indiscrètes, on a vu un attroupement et on n'est pas
allé voir s'il n'y avait pas quelque accident de personne nécessitant
l'intervention d'un prêtre pour donner l'absolution, et en tout cela on voit de
gros péchés mortels ; e) sur les espèces consacrées qu'on craint d'avoir touché
indûment, et on veut purifier ses mains, ses vêtements ; f) sur les paroles de
la consécration, sur la récitation intégrale de l'office divin, etc...
III.
Inconvénients et avantages du scrupule
942. 1° Quand on a le
malheur de se laisser dominer par les scrupules, ils produisent sur le corps et
l'âme des effets déplorables : a) Ils amènent graduellement un affaiblissement
et un certain déséquilibre du système nerveux : les craintes, les angoisses
incessantes exercent une action déprimante sur la santé du corps ; elles peuvent
devenir une véritable obsession et amener une sorte de monoidéisme, voisin de la
folie. b) Ils aveuglent l'esprit et faussent le jugement : on perd peu à peu la
faculté de discerner ce qui est péché de ce qui ne l'est pas, ce qui est grave
de ce qui est léger ; l'âme devient un navire sans gouvernail. c) L'indévotion
du cœur en est souvent la suite à force de vivre dans l'agitation et le trouble,
on devient terriblement égoïste, on se défie de tout le monde, de Dieu lui-même
qu'on estime trop sévère ; on se plaint de ce qu'il nous laisse en ce malheureux
état, on l'accuse injustement; il est évident que la vraie dévotion est alors
impossible. d) Enfin viennent les défaillances et les chutes. 1) Quand on est
scrupuleux, on use ses forces en efforts inutiles sur des minuties, et on n'en a
plus assez pour lutter sur des points de grande importance : car l'attention ne
peut se porter avec intensité sur toute la ligne. De là des surprises, des
défaillances et parfois des fautes graves. 2) D'ailleurs on cherche
instinctivement un soulagement à ses peines, et, comme on n'en trouve pas dans
la piété, on va le chercher ailleurs, dans des lectures, des liaisons
dangereuses : c'est parfois l'occasion de fautes déplorables, qui jettent dans
un profond découragement.
943. 2° Mais si on sait accepter les scrupules comme une épreuve, et s'en
corriger peu à peu, avec l'aide d'un sage directeur, ils ont au contraire des
avantages précieux. a) Ils servent à purifier l'âme : on s'applique en effet à
éviter les moindres péchés, les moindres imperfections volontaires, et ainsi on
acquiert une grande pureté de cœur. b) Ils nous aident à pratiquer l'humilité et
l'obéissance, en nous obligeant à soumettre nos doutes à notre directeur en
toute simplicité, et à suivre ses avis avec une pleine docilité non seulement de
la volonté mais du jugement. c) Ils contribuent à nous donner une pureté
d'intention plus grande, en nous détachant des consolations spirituelles pour
nous attacher uniquement à Dieu qu'on aime d'autant plus qu'il nous éprouve
davantage.
IV.
Remèdes du scrupule
944. C'est dès le début
qu'il faut combattre le scrupule, avant qu'il ne soit profondément enraciné dans
l'âme. Or le grand et, à vrai dire, l'unique remède, c'est l'obéissance pleine
et absolue à un sage directeur : la lumière de la conscience s'étant obscurcie,
il faut avoir recours à une autre lumière ; un scrupuleux, c'est un navire sans
gouvernail ni boussole : il faut le prendre en remorque. Le directeur doit donc
gagner la confiance du scrupuleux et savoir exercer son autorité sur lui pour le
guérir.
945. 1° Avant tout il faut gagner sa confiance : car on obéit facilement à celui
en qui on a mis sa confiance. Mais ce n'est pas toujours chose facile : sans
doute les scrupuleux sentent instinctivement le besoin d'un guide ; mais
quelques-uns n'osent pas s'abandonner complètement à lui : ils veulent bien le
consulter, mais aussi discuter les raisons. Or il ne faut pas discuter avec un
scrupuleux, il faut lui parler avec autorité, en lui disant nettement ce qu'il
doit faire. Pour inspirer cette confiance, il doit la mériter par sa compétence
et par son dévouement.
a) Il laissera d'abord parler le pénitent, en intercalant seulement quelques
remarques pour montrer qu'il a bien compris ; il posera ensuite quelques
questions, auxquelles le scrupuleux n'aura qu'à répondre oui ou non, et dirigera
ainsi lui-même l'examen méthodique de sa conscience. Puis il ajoutera : je
comprends votre cas, vous souffrez de telle ou telle manière. C'est déjà un
immense soulagement pour le pénitent de voir qu'il est bien compris, et parfois
c'en est assez pour qu'il donne complètement sa confiance.
b) A la compétence il faut joindre le dévouement. Le directeur se montrera donc
patient, écoutant sans sourciller les longues explications du scrupuleux, au
début du moins ; bon, s'intéressant à cette âme et manifestant le désir et
l'espoir de la guérir ; doux, ne parlant pas d'un ton sévère et âpre, mais avec
bonté, même lorsqu'il est obligé d'employer le langage impératif. Rien ne gagne
plus la confiance que ce mélange de fermeté et de bonté.
946. 2° Quand on a gagné la confiance, il faut exercer son autorité et exiger
l'obéissance, en disant au scrupuleux : si vous voulez guérir, il faut obéir
aveuglement : en obéissant, vous êtes en toute sécurité, même si votre directeur
se trompe, car Dieu ne vous demande en ce moment qu'une chose, obéir. C'est
tellement vrai que si vous croyez ne pas pouvoir m'obéir, il faut aller trouver
un autre directeur : seule l'obéissance aveugle vous guérira, mais elle vous
guérira certainement.
a) En donnant ses ordres, le confesseur doit parler net, avec clarté et
précision, en évitant toute équivoque; d'une façon catégorique, non pas au
conditionnel : si cela vous inquiète, ne le faites pas ; mais d'une façon
absolue faites ceci, évitez cela, méprisez telle tentation.
b) La plupart du temps il ne faut pas motiver les décisions, surtout, au début ;
plus tard, quand le scrupuleux pourra en comprendre, en sentir la force, on
donnera brièvement la raison, pour lui former, peu à peu, la conscience. Mais
surtout pas de discussion sur le fond même de la décision : si un obstacle
s’opposait pour le moment à son exécution, on en tient compte ; mais la décision
demeure.
c) Il ne faut donc pas se déjuger : avant la décision, on réfléchit bien, et on
ne donne pas d’ordres qu’on ne puisse maintenir ; mais l'ordre donné, on ne le
révoque pas, tant qu'il n'y a pas un fait nouveau qui nécessite un changement.
d) Pour s'assurer si l'ordre est bien compris, on le fait répéter, et alors il
ne reste plus qu'à le faire exécuter. C'est difficile, le scrupuleux reculant
parfois devant l'exécution comme le condamné devant le supplice. Mais on lui
déclare nettement qu'il devra en rendre compte ; s'il n'a pas suivi l'avis, on
ne l'écoutera que lorsqu'il l'aura exécuté. Il y a donc lieu de répéter
plusieurs fois la même prescription, jusqu'à ce qu'elle soit bien exécutée ; on
le fait, sans impatience, mais avec une fermeté croissante, et le scrupuleux
finit par obéir.
947. 3° Le moment venu, le directeur inculque le principe général qui permettra
au scrupuleux de mépriser tous les doutes ; au besoin il le dictera sous cette
forme ou toute autre analogue : « Pour moi, en fait d'obligation de conscience,
il n'y a que l'évidence qui compte, c'est-à-dire une certitude excluant tout
doute, une certitude calme et pleine, aussi claire que deux et deux font quatre
; je ne puis donc commettre un péché mortel ou véniel que si j'ai la certitude
absolue que l'action que je vais faire est pour moi défendue sous peine de péché
mortel ou véniel, et que, le sachant bien, je veuille cependant la faire quand
même. Je ne ferai donc aucune attention aux probabilités, si fortes
soient-elles, je ne me croirai lié que par l'évidence claire et certaine ; en
dehors de là, point de péché. Quand le scrupuleux se présentera en affirmant
qu'il a commis une faute vénielle ou mortelle, le confesseur lui dira :
Pouvez-vous affirmer, sur la foi du serment, que vous avez vu clairement avant
d'agir que cette action était un péché, et que, l'ayant vu clairement, vous y
avez donné un plein consentement ? Cette question précisera la règle et la fera
mieux comprendre.
948. 4° Il faut enfin appliquer ce principe général aux difficultés
particulières qui se présentent.
a) Par rapport aux confessions générales, après en avoir permis une, on ne
permettra plus d'y revenir que s'il y a évidence sur ces deux points : 1) un
péché mortel certainement commis, et 2) la certitude que ce péché n'a jamais été
accusé dans aucune confession valide. Du reste, au bout de quelque temps, le
confesseur dira qu'il ne faut plus du tout revenir sur le passé, et que si
quelque péché avait été omis, il se trouve pardonné avec les autres.
b) En ce qui concerne les péchés intérieurs de pensées et de désirs, on donnera
cette règle : pendant la crise, détournez votre attention en pensant à autre
chose ; après la crise, ne pas s'examiner pour voir si on a péché (ce qui
ramènerait la tentation), mais poursuivre son chemin en vaquant à ses devoirs
d'état, et communier, tant qu'on n'a pas l'évidence d'avoir donné un plein
consentement (n° 909).
949. c) La communion est souvent une torture pour les scrupuleux : ils craignent
de n'être pas en état de grâce ou de n'être pas à jeun. Or 1) la peur de n'être
pas en état de grâce prouve qu'ils n'ont pas de certitude là-dessus ; donc ils
doivent communier, et la communion les mettra en état de grâce s'ils n'y sont
pas ; 2) le jeûne eucharistique ne doit empêcher les scrupuleux de communier que
lorsqu'ils sont absolument certains de l'avoir rompu.
d) La confession est encore pour eux une plus grande torture ; il importe donc
de la leur simplifier. On leur dira donc : 1) vous n'êtes tenu que d'accuser les
fautes certainement mortelles ; 2) pour les fautes vénielles, ne mentionnez que
celles qui vous viendront à l'esprit après cinq minutes d'examen ; 3) pour la
contrition, vous consacrerez sept minutes à la demander à Dieu et à vous y
exciter, et vous l'aurez ; - mais je ne la sens pas : - ce n'est pas nécessaire,
la contrition étant un acte de la volonté qui ne tombe pas sous la sensibilité.
- En certains cas même, quand le scrupule est très intense, on prescrira aux
pénitents de se contenter de cette accusation générique : je m'accuse de tous
les péchés commis depuis ma dernière confession et de tous ceux de ma vie
passée.
950. 5° Réponse aux difficultés. Parfois le pénitent dira au confesseur : vous
me traitez en scrupuleux ; or je ne le suis pas. On répondra : Ce n'est pas à
vous d'en juger, c’est à moi. Etes-vous bien sûr de n'être pas scrupuleux ? Etes-vous
comme tout le monde, calme, tranquille après vos confessions ? N'avez-vous pas
des doutes, des angoisses que la plupart des gens n'ont pas ? Vous n'êtes donc
pas dans un état d'âme normal ; il y a en vous un certain déséquilibre, au point
de vue physique et moral ; vous avez donc besoin d'un traitement spécial ;
obéissez donc sans discuter, et vous guérirez ; sinon, votre état ne peut que
s’aggraver. C'est par ces moyens et d'autres analogues qu'on finit, avec la
grâce de Dieu, à guérir cette désolante maladie du scrupule.
APPENDICE SUR LE DISCERNEMENT DES ESPRITS
951. Des divers esprits
qui agissent en nous. Au cours des pages précédentes, nous avons parlé plusieurs
fois des mouvements divers qui nous poussent au bien ou au mal. Il importe
évidemment de reconnaître quelle est la source de ces mouvements. Or ils peuvent
venir théoriquement de six principes différents :
a) de nous-mêmes, de l'esprit qui nous pousse vers le bien, de la chair qui nous
pousse vers le mal.
b) du monde, en tant qu'il agit, par nos sens, sur nos facultés intérieures,
pour les porter vers le mal, n° 212.
c) des bons anges, qui suscitent en nous de bonnes pensées ;
d) des démons, qui au contraire agissent sur nos sens extérieurs ou intérieurs
pour nous pousser au mal ;
e) de Dieu, qui seul peut pénétrer jusqu'au plus intime de l'âme et ne nous
porte jamais qu'au bien.
962. Mais en pratique, il suffit de savoir si ces mouvements viennent du bon ou
du mauvais principe : du bon principe, Dieu, les bons anges ou l'esprit aidé de
la grâce ; du mauvais principe, le démon, le monde ou la chair. Les règles qui
nous permettent de distinguer l'un de l'autre s'appellent règles sur le
discernement des esprits. Déjà S. Paul en avait jeté les fondements, en
distinguant dans l'homme la chair et l'esprit, et, en dehors de lui, l'Esprit de
Dieu qui nous porte au bien et les anges déchus qui nous sollicitent au mal.
Depuis lors, les auteurs spirituels, comme Cassien, S. Bernard, S. Thomas,
l'auteur de l'Imitation (l. III, c. 54-55), S. Ignace, ont tracé des règles pour
discerner les mouvements contraires de la nature et de la grâce.
953. Règles de S. Ignace qui conviennent particulièrement aux commençants.
Les deux premières règles se rapportent à la conduite différente que tiennent le
bon et le malin esprit à l'égard des pécheurs et des personnes ferventes.
1° Première règle. Aux pécheurs qui ne mettent aucun frein à leurs passions, le
démon propose des plaisirs apparents et des voluptés pour les retenir et les
plonger plus avant dans le vice ; le bon esprit au contraire excite en leur
conscience le trouble et le remords pour les faire sortir de leur triste état.
Deuxième règle. Quand il s'agit des personnes sincèrement converties, le démon
leur suscite de la tristesse et des tourments de conscience, des obstacles de
toutes sortes, pour les décourager et arrêter leurs progrès. Au contraire le bon
esprit leur donne du courage, des forces, de bonnes inspirations, pour les faire
avancer dans la vertu. On jugera donc de l'arbre à ses fruits : tout ce qui
enraye le progrès vient du démon, tout ce qui le favorise vient de Dieu.
954. 2° La troisième règle concerne les consolations spirituelles. Elles
viennent de l'esprit bon : 1) lorsqu'elles produisent des mouvements intérieurs
de ferveur : d’abord une étincelle, puis une flamme, enfin un brasier ardent
d'amour divin ; 2) quand elles font répandre des larmes qui sont vraiment
l'expression de la componction intérieure ou de l'amour de Notre Seigneur ; 3)
quand elles augmentent la foi, l'espérance, la charité, ou pacifient et
tranquillisent l'âme.
955. 3° Les règles suivantes (4e-9e) se rapportent aux désolations spirituelles
: 1) les désolations sont des ténèbres dans l'esprit, ou des inclinations de la
volonté aux choses basses et terrestres qui rendent l'âme triste, tiède et
paresseuse ; 2) alors il ne faut rien changer aux résolutions qu’on a prises
auparavant, comme le suggère le malin esprit, mais demeurer ferme dans les
décisions antérieures ; 3) il faut même en profiter pour devenir plus fervent,
donner plus de temps à la prière, à l’examen de conscience, à la pénitence ; 4)
avoir confiance au secours divin, qui, bien que non senti, nous est donné
réellement pour aider nos facultés naturelles à faire le bien ; 5) être patient
et espérer que la consolation reviendra ; se dire que la désolation peut être un
châtiment de notre tiédeur ; une épreuve, Dieu voulant nous faire toucher du
doigt ce que nous pouvons quand nous sommes privés de consolations ; une leçon,
Dieu voulant nous montrer que nous sommes incapables de nous procurer des
consolations, et nous guérir ainsi de notre orgueil.
956. 4° La règle onzième revient sur les consolations pour nous avertir qu’il
faut alors faire provision de courage pour se bien comporter au temps de la
désolation ; et pour nous avertir que nous devons nous humilier en voyant le peu
que nous pouvons quand nous sommes privés de la consolation sensible, et au
contraire que nous pouvons beaucoup au temps de la désolation, si nous nous
appuyons sur Dieu.
957. Les trois dernières règles (12e-14e) exposent en vue de les dévoiler, les
ruses du démon pour nous séduire : a). il agit comme une femme méchante, qui est
faible quand on lui résiste, mais ardente et cruelle quand on lui cède ; il faut
donc résister vigoureusement au démon ; b) il se conduit comme un séducteur qui
demande le secret à la personne qu’il sollicite au mal ; donc le meilleur moyen
de le vaincre est de tout découvrir à son directeur ; c) il imite un capitaine,
qui, pour emporter une place, l'attaque du côté le plus faible ; il importe donc
de surveiller ce point faible dans son examen de conscience.
SYNTHÈSE
DE CE PREMIER LIVRE
Le but poursuivi par les
commençants, c'est la purification de l'âme, pour que, dégagés des restes et des
occasions du péché, ils puissent s'unir à Dieu.
958. Pour réaliser ce but, ils ont recours à la prière ; en rendant à Dieu leurs
devoirs de religion, ils l'inclinent à leur pardonner toutes leurs fautes
passées ; en l'invoquant avec confiance, en union avec le Verbe Incarné, ils
obtiennent des grâces de contrition et de bon propos qui purifient de plus en
plus leur âme et les préservent contre les rechutes de l'avenir. Ce résultat est
obtenu d'une façon encore plus assurée par la méditation : les convictions
inébranlables qu'on y acquiert par de longues et sérieuses réflexions, les
retours sur soi-même qui nous montrent mieux nos misères et notre pauvreté, les
prières ardentes qui jaillissent alors du fond de ce pauvre cœur, les
résolutions qu'on y prend et qu'on essaie de pratiquer, tout cela purifie l'âme,
lui inspire l'horreur du péché et de ses occasions et la rend plus forte contre
les tentations, plus généreuse dans la pratique de la pénitence.
959. Car, comprenant mieux la grandeur de l'offense faite à Dieu par le péché,
et le devoir strict de la réparation, elle entre courageusement dans les voies
de la pénitence ; en union avec Jésus, qui a voulu être pénitent pour nous, elle
entretient en son cœur des sentiments de confusion, de contrition et
d'humiliation, et se reproche sans cesse son péché. Dans ces sentiments, elle se
livre aux austérités de la pénitence, accepte généreusement les croix
providentielles que Dieu lui envoie, s'impose quelques privations, pratique
l'aumône, et ainsi répare le passé.
Afin d'éviter le péché à l'avenir, elle pratique la mortification, disciplinant
ses sens extérieurs et intérieurs, son intelligence et sa volonté, en un mot,
toutes ses facultés pour les soumettre à Dieu et ne rien faire qu'en conformité
à sa sainte volonté.
Sans doute il y a en elle des tendances mauvaises profondes qui s'appellent les
sept péchés capitaux ; mais, appuyée sur la grâce divine, elle entreprend de les
déraciner ou du moins de les affaiblir ; elle lutte vaillamment contre chacun
d'eux en particulier, et le moment vient où elle les a suffisamment maîtrisés.
Malgré tout, des tentations, parfois terribles, s'élèveront des bas-fonds de
l'âme, et seront excitées par le démon et par le monde. Mais sans se décourager,
appuyée sur Celui qui a vaincu le monde et la chair, elle luttera dès le début
et aussi longtemps qu'il le faudra contre ces assauts de l'ennemi ; et, avec la
grâce de Dieu, la plupart du temps ces attaques ne seront que l'occasion d'une
victoire ; si une chute malheureuse survenait, l'âme, humiliée mais confiante,
se jetterait aussitôt dans les bras de la miséricorde divine pour implorer son
pardon. Une chute ainsi réparée ne serait pas un obstacle à son avancement
spirituel.
960. Nous devons toutefois ajouter que les purifications actives que nous avons
décrites en ce premier livre ne suffisent pas à rendre une âme parfaitement
pure. Aussi ce travail de purification continuera pendant la voie illuminative
par la pratique positive des vertus morales et théologales. Il ne sera complet
que lorsque viendront, dans la voie unitive, ces purifications passives, si bien
décrites par S. jean de la Croix, qui donnent à l’âme la pureté de cœur parfaite
normalement nécessaire à la contemplation. Nous en parlerons au troisième livre.
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