LA VOIE MYSTIQUE

adveniat regnum tuum

SECONDE PARTIE
Les trois voies

CHAPITRE I
La prière des commençants

643. Nous avons déjà exposé (n° 499-521) la nature et l’efficacité de la prière. Après avoir rappelé ces notions aux débutants, il faudra : 1° leur inculquer la nécessité et les conditions de la prière ; 2° les former peu à peu aux exercices spirituels qui leur conviennent ; 3° leur apprendre à méditer.

Art. I. De la prière en général  Nécessité et conditions.
Art. II. Des principaux exercices spirituels.
Art. III De la méditation  Notions générales.
Avantages et nécessité.
De la méditation des commençants.
Méthodes principales.
 

ART. I. NÉCESSITÉ ET CONDITIONS DE LA PRIÈRE

§ I. Nécessité de la prière

644. Ce que nous avons dit du double but de la prière, l'adoration et la demande (n° 503-509) nous montre bien sa nécessité. Il est évident en effet que, comme créatures et comme chrétiens, nous sommes tenus de glorifier Dieu par l'adoration, la reconnaissance et l'amour, et que, comme pécheurs, nous devons lui offrir nos devoirs de réparation (n° 506). Mais il s'agit ici surtout de la prière comme demande, et de sa nécessité absolue comme moyen de salut et de perfection.
645. La nécessité de la prière est fondée sur la nécessité de la grâce actuelle. C'est une vérité de foi que, sans cette grâce, nous sommes dans une impuissance radicale de nous sauver, et, à plus forte raison, d'arriver à la perfection, n° 126. De nous-mêmes, quelque bon  usage que nous fassions de notre liberté, nous ne pouvons ni nous disposer positivement à la conversion, ni persévérer pendant un temps notable, ni surtout persévérer jusqu'à la mort : « Sans moi, dit Jésus à ses disciples, vous ne pouvez rien faire ; pas même avoir une bonne pensée, ajoute S. Paul, car c'est Dieu qui opère en nous le vouloir et le faire (Joan., XV, 5 ; II Cor., III, 5 ; Phil., II, 13).
Or, à part la première grâce qui nous est accordée gratuitement, sans que nous priions, puisqu'elle est le principe même de la prière, c'est une vérité constante que la prière est le moyen normal efficace et universel par lequel Dieu veut que nous obtenions toutes les grâces actuelles. Voilà pourquoi Notre Seigneur nous inculque si souvent la nécessité de la prière pour obtenir la grâce : « Demandez, dit-il, et vous recevrez, cherchez et vous trouverez, frappez et l'on vous ouvrira ; car quiconque demande reçoit, qui cherche trouve, et l'on ouvrira à celui qui frappe » (Matth., VII, 7-8).
C'est comme s'il disait, ajoutent presque tous les commentateurs : si vous ne demandez pas, vous ne recevrez point, si vous ne cherchez pas, vous ne trouverez point. Cette nécessité de la prière, il la rappelle surtout quand il s'agit de résister à la tentation : « Veillez et priez, afin que vous n'entriez pas en tentation ; l'esprit est prompt, mais la chair est faible : vigitate et orate ut non intretis in tentationem : spiritus quidem promptus est, caro autem infirma » (Matth., XXVI, 41). S. Thomas en conclut que toute confiance qui n'est pas fondée sur la prière est présomptueuse ; car Dieu, qui ne nous doit point sa grâce en justice, ne s'est engagé à nous la donner que dépendamment de la prière. Sans doute il connaît nos besoins spirituels sans que nous les lui exposions ; mais il veut que nos prières soient le ressort qui remue sa miséricorde, afin que nous le reconnaissions comme l'auteur des biens qu'il nous accorde.
646. C'est bien ainsi que l'a compris la Tradition, le concile de Trente, faisant sienne la doctrine de S. Augustin, nous dit que Dieu ne nous commande rien d'impossible : car il nous commande de faire ce que nous pouvons, et de demander ce que nous ne pouvons pas faire, et il nous aide par sa grâce à le demander (Sess., VI, ch. 11) ; il suppose donc manifestement qu'il y a des choses impossibles sans la prière; et c'est la conclusion qu'en tire le Catéchisme, romain : « la prière nous a été donnée comme l'instrument nécessaire pour obtenir ce que nous désirons ; il est des choses en effet que nous ne pouvons obtenir qu'avec son secours » (Catech. Trident., P. IV, c. I, n° 3).
647. Avis au directeur. Il importe d'insister sur cette vérité pour les commençants ; beaucoup, imprégnés, sans le savoir, de pélagianisme ou de semi-pélagianisme, s'imaginent qu'avec de la volonté et de l'énergie ils peuvent arriver à tout. Bientôt, il est vrai, l'expérience vient leur montrer que les meilleures résolutions demeurent souvent inaccomplies, malgré leurs efforts ; le directeur en profitera pour leur rappeler, sans jamais se lasser, que ce n'est que par la grâce et la prière qu'ils pourront arriver à les observer; cette démonstration expérimentale confirmera singulièrement leurs convictions sur la nécessité de la prière ; il leur exposera aussi les conditions de son efficacité.

§ II. Conditions essentielles de la prière

648. Ayant déjà prouvé la nécessité de la grâce actuelle pour tous les actes nécessaires au salut, n° 126, nous en pouvons conclure que cette grâce est nécessaire pour bien prier. C'est ce que déclare nettement S. Paul : « L'Esprit vient en aide à notre faiblesse, car nous ne savons pas ce que nous devons demander dans nos prières ; mais l'Esprit lui-même prie pour nous par des gémissements ineffables : quid oremus sicut oportet, nescimus, sed ipse spiritus postulat pro nobis jemitibus inenarrabilibus » (Rom., VIII, 26). Ajoutons que cette grâce est offerte à tous, même aux pécheurs, et qu'ainsi tous peuvent prier.
Bien que l'état de grâce ne soit point nécessaire pour prier, il augmente singulièrement la valeur de nos prières, puisqu'il fait de nous les amis de Dieu et les membres vivants de Jésus Christ.
Nous allons examiner les conditions que requiert la prière : 1° du côté de l'objet ; 2° du côté de celui qui prie.

I. Du côté de l'objet

649. La condition la plus importante du côté de l'objet est de ne demander que les biens qui nous conduisent à la vie éternelle, avant tout les grâces surnaturelles, et secondairement, dans la mesure ou ils sont utiles à notre salut, les biens de l'ordre temporel. Telle est la règle posée par Notre Seigneur lui-même : « Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné par surcroît : Quærite primum regnum Dei et justitiam ejus, et hæc omnia adjicientur vobis » (Matth., VI, 33). Nous l'avons dit en effet, n° 307-308, le bonheur, comme la perfection de l'homme, consiste dans la possession de Dieu, et par là même dans les grâces nécessaires à cette fin. Nous ne devons donc rien demander qu'en rapport avec cette fin.
1° Les biens temporels en eux-mêmes sont trop au-dessous de nous, trop incapables de satisfaire les aspirations de notre cœur, et de nous rendre heureux pour qu'ils puissent être l'objet principal de nos prières. Cependant, comme nous avons besoin d'une certaine mesure de ces biens pour vivre et assurer notre salut, il nous est permis de demander le pain quotidien, celui du corps comme celui de l'âme, en subordonnant le premier au second. Il arrive parfois en effet que tel bien particulier, qui nous paraît désirable, comme la richesse, serait dangereux pour notre salut; on ne peut donc le demander que par subordination aux biens éternels.
650. 2° Même quand il s'agit de telle ou telle grâce particulière, il importe de ne la demander qu'en conformité à la volonté divine. Dieu sait mieux que nous, dans son infinie sagesse, ce qui convient à chaque âme, selon sa condition et son degré de perfection. Comme le fait remarquer avec raison S.François de Sales, nous devons vouloir notre salut comme Dieu le veut, et, par suite, vouloir et embrasser d'une résolution absolue les grâces qu'il nous départit : car il faut que notre volonté corresponde à la sienne ; mais lorsqu'il s'agit de grâces particulières, comme de telle ou telle forme d'oraison, de consolations ou de sécheresses, etc, il ne faut rien demander d'une façon absolue, il faut tout subordonner au bon plaisir de Dieu. Il distribue les grâces de consolation ou de sécheresse, de repos ou de combat, selon les desseins de son infinie sagesse et les besoins de notre âme. Nous n'avons donc qu'à nous abandonner à lui pour le choix des grâces qui nous sont les plus utiles. Sans doute il nous est bien permis de formuler un désir, mais avec une humble soumission à la volonté de notre Père céleste : il nous exaucera toujours, si nous prions comme il faut ; mais parfois il nous accordera plus et mieux que nous ne demandons, et, loin de nous en plaindre, nous ne pouvons que le bénir.

II. Conditions du côté du sujet

Les conditions les plus essentielles pour assurer l'efficacité de nos prières sont : l'humilité, la confiance et l'attention, ou du moins l'effort sérieux pour être attentif.
651. 1° L'humilité découle de la nature même de la prière. Puisque la grâce est essentiellement gratuite, que nous n'y avons aucun droit, nous sommes, dit S. Augustin, des mendiants par rapport à Dieu, et nous devons implorer de sa miséricorde ce que nous ne pouvons obtenir en justice. C'est bien ainsi que priait Abraham, qui en présence de la majesté divine, se regardait comme un peu de poussière et de cendre : « Loquar ad Dominum Deum, cum sim pulvis et cinis » (Gen., XVIII, 27) ; ainsi que priait Daniel, quand il demandait la délivrance du peuple juif en s'appuyant, non sur ses mérites et vertus, mais sur l'abondance des miséricordes divines : « Neque enim in justificationibus nostris prosternimus preces ante faciem tuam, sed in miserationibus tuis multis » (Dan., IX, 18) ; c'est ainsi que priait le publicain, qui fut exaucé : « Deus, propitius esto mihi peccatori » (Luc, XVIII, 13), tandis que l'orgueilleux pharisien vit sa prière repoussée. Jésus lui-même nous en donne la raison : « Quiconque s'exalte sera humilié, et qui s’humilie sera exalté : quia omnis qui se exaltat humiliabitur, et qui se humiliat exaltabitur ». Ses disciples l’ont bien compris, et S.Jacques nous dit avec insistance : « Dieu résiste aux superbes, et donne sa grâce aux humbles : Deus superbis resistit, humilibus autem dat gratiam » (Jac., IV, 6). Ce n'est que justice : le superbe s'attribue à lui-même l'efficacité de sa prière, tandis que l'humble l'attribue à Dieu. Or voulons-nous que Dieu nous exauce aux dépens de sa propre gloire, pour nourrir et entretenir notre vanité ? L'humble au contraire avoue sincèrement qu'il tient tout de Dieu : en l'exauçant, Dieu travaille donc pour sa gloire en même temps que pour le bien du suppliant.
652. 2° Aussi la vraie humilité engendre la confiance, cette confiance qui se base non sur nos mérites, mais sur l'infinie bonté de Dieu et sur les mérites de Jésus-Christ.
a) La foi nous enseigne que Dieu est miséricorde, et qu'à ce titre il s'incline avec d'autant plus d'amour vers nous que nous reconnaissons davantage nos misères : car la misère appelle la miséricorde. L'invoquer avec confiance, c'est au fond l'honorer, c'est proclamer qu'il est la source de tous les biens, et ne désire rien tant que de nous les accorder. Aussi, dans la Sainte Ecriture, il nous déclare maintes et maintes fois qu'il exauce ceux qui espèrent en lui : « Quoniam in me speravit, liberabo eum : clamabit ad me, et ego exaudiam eum » (Ps., XC, 14-15). Notre Seigneur nous invite à prier avec confiance, et, pour inculquer cette disposition, a recours non seulement aux exhortations les plus pressantes mais encore aux paraboles les plus touchantes. Après avoir affirmé que qui demande reçoit, il ajoute : « Qui de vous, si son fils lui demande du pain, lui donnera une pierre ?... Si donc vous, tout méchants que vous êtes, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père qui est dans les cieux donnera-t-il ce qui est bon à ceux qui le prient ? » (Matth., VII, 7-11). Il y revient à la dernière Cène : « En vérité, en vérité, je vous le dis... tout ce que vous demanderez à mon Père en mon nom je le ferai, afin que le Père soit glorifié dans le Fils. Si vous me demandez quelque chose en mon nom, je vous le ferai » (Joan., XIV, 13-14)... « En ce jour-là, vous demanderez en mon nom, et je ne vous dis point que je prierai le Père pour vous. Car le Père lui-même vous aime, parce que vous m'avez aimé » (Joan., XVI, 26-27). Ce serait donc se défier de Dieu et de ses promesses, ce serait mésestimer les mérites infinis de Jésus et sa toute puissante médiation que de ne pas avoir une absolue confiance en la prière.
653. b) Sans doute le Bon Dieu semble parfois faire la sourde oreille à nos prières, parce qu'il veut que notre confiance soit persévérante, afin que nous sentions mieux la profondeur de notre  misère et le prix de la grâce ; mais il nous montre, par l'exemple de la Chananéenne (Matth., XV, 24-28), que, même lorsqu'il semble nous rebuter, il aime à se laisser faire une douce violence. Une femme de Chanaan vient supplier Jésus de guérir sa fille tourmentée par le démon. Le Maître ne lui répond pas ; elle s'adresse alors aux disciples, et les importune de ses cris, si bien que ceux-ci le prient d'intervenir. Il répond que sa mission ne s'étend qu'aux fils d'Israël. Sans se décourager, la pauvre femme se prosterne à ses pieds, en disant : « Seigneur, secourez-moi ». Jésus réplique, avec une apparente dureté, qu'il n'est pas bien de prendre le pain des enfants pour le jeter aux petits chiens. - Il est vrai, Seigneur, dit-elle, mais les petits chiens mangent au moins les miettes qui tombent de la table de leur maître. – Vaincu par une confiance si constante et si humble, Jésus accorde enfin la faveur demandée, et guérit à l'heure même sa fille. Pouvait-il mieux nous faire comprendre que, si, malgré nos insuccès, nous persévérons dans une humble confiance, nous sommes sûrs d'être exaucés ?

654. 3° Mais à cette confiance persévérante il faut joindre l'attention, ou du moins un effort sérieux pour penser à ce que nous disons à Dieu. Les distractions involontaires, quand nous essayons de les repousser et d'en diminuer le nombre, ne sont pas un obstacle à la prière, parce que notre âme, en vertu même des efforts que nous faisons, demeure orientée vers Dieu. Mais les distractions volontaires, que nous acceptons de propos délibéré, ou que nous ne repoussons que mollement, ou dont nous ne voulons pas supprimer les causes, sont, dans les prières de précepte, des fautes vénielles, et, dans les autres, des négligences, des manques de respect envers Dieu, qui ne le prédisposent guère à nous exaucer. La prière est une audience que notre Créateur veut bien nous accorder, une conversation avec notre Père du ciel, où nous le supplions de vouloir bien écouter nos paroles, et faire attention à nos requêtes : « Verba mea auribus percipe, Domine... intende voci orationis meæ » (Ps. V, 2-3) ; et, au moment même où nous lui demandons de nous écouter et de nous parler, nous ne ferions pas un effort sérieux pour comprendre ce que nous disons et pour être attentifs aux suggestions divines ! Ne serait-ce pas là une inconséquence en même temps qu'un manque de religion ? Ne mériterions-nous pas le reproche que Notre Seigneur adressait aux Pharisiens : « Ce peuple m'honore du bout des lèvres, mais son cœur est loin de moi : Populus hic labiis me honorat, cor autem eorum longe est a me » (Matth., XV, 8).
655. Il faut donc faire des efforts sérieux pour repousser promptement et énergiquement les distractions qui se présentent à nous, savoir nous en humilier, et en profiter pour renouveler notre union avec Jésus et prier avec lui ; il faut aussi diminuer le nombre de nos distractions, en combattant vigoureusement contre leurs causes, la dissipation habituelle de l'esprit, l'habitude de la rêverie, les préoccupations, et attaches qui captivent l’esprit et le cœur, et s'accoutumer peu à peu au souvenir fréquemment renouvelé de la présence de Dieu par l'offrande de ses actions et de pieuses oraisons jaculatoires. Quand nous avons pris ces moyens, il n'y a pas lieu de s'inquiéter des distractions involontaires qui traversent notre esprit ou troublent notre imagination : ce sont des épreuves, non des fautes, et, quand nous savons en profiter, elles augmentent nos mérites et la valeur de nos prières.
656. L’attention que nous pouvons apporter à nos prières, est triple : 1) quand nous nous appliquons à bien prononcer les paroles, l'attention est verbale et suppose déjà un certain effort pour penser à ce qu'on dit ; 2) si on s'applique de préférence à bien comprendre le sens des paroles, l'attention s'appelle littérale ou intellectuelle ; 3) si, laissant de côté le sens littéral, l'âme s'élève vers Dieu pour l'adorer, le bénir, s'unir à lui, ou pour entrer dans l'esprit du mystère qu'on honore, ou pour demander à Dieu tout ce que l'Eglise, tout ce que Jésus lui demande, l'attention est spirituelle ou mystique. Cette dernière ne convient guère aux débutants, mais plutôt aux âmes avancées. Ce qu'il faut donc recommander à ceux qui commencent à goûter la prière c'est l'un ou l'autre des deux premiers genres d'attention, selon le caractère de chacun, ses attraits, et les circonstances où il se trouve.

ART. II. DES EXERCICES DE PIÉTÉ DES COMMENÇANTS

657. La prière étant un des grands moyens de salut, le directeur initiera peu à peu les débutants à la pratique de ces exercices spirituels qui forment la trame d'une vie sérieusement chrétienne, en tenant compte de leur âge, de leur vocation, de leurs devoirs d'état, de leur caractère, de leurs attraits surnaturels et de leurs progrès.
658. 1° Le but à poursuivre, c’est d’arriver progressivement à former les âmes à l’habitude, ou pratique habituelle de la prière, de telle sorte que leur vie soit, dans une certaine mesure, une vie de prière (n°522). Mais il est évident qu’il faut un temps notable et des efforts prolongés pour se rapprocher de cet idéal qui n’est pas à la portée des commençants, mais que le directeur doit connaître pour mieux guider ses pénitents.
659. 2° Les principaux exercices qui servent à transformer notre vie en une prière habituelle, sont, outre les prières du matin et du soir, que ne manquent pas de faire les bons chrétiens :
A) La méditation du matin, sur laquelle nous allons bientôt revenir, et la sainte messe, avec la sainte communion qui nous montrent l'idéal à poursuivre et nous aident à le réaliser (n° 524). Mais il est des personnes qui, à cause de leurs devoirs d'état, ne peuvent assister à la messe chaque jour ; elles y suppléeront par une communion spirituelle qui pourra se faire à la fin de la méditation, ou même en vaquant à des occupations manuelles. En tout cas, il faudra leur apprendre à bien profiter de la messe et de la communion, quand elles pourront y assister, en adaptant à leur capacité ce que nous avons dit (n° 271-289), et surtout à suivre avec intelligence les offices liturgiques des dimanches et des fêtes : la sainte liturgie bien comprise est une des meilleures écoles de perfection.
660. B) Dans le courant de la journée, il faudra conseiller, outre l'offrande fréquemment renouvelée des actions principales, quelques oraisons jaculatoires, quelques bonnes lectures en rapport avec leur état d'âme, sur les vérités fondamentales, la fin de l'homme, le péché, la mortification, la confession et les examens de conscience, en y ajoutant quelques biographies de saints, célèbres par la pratique de la vertu de pénitence : ce sera une lumière pour l'intelligence, un stimulant pour la volonté et un excellent moyen de faciliter la méditation.  La récitation de quelques dizaines de chapelet, en méditant sur les mystères du Rosaire, augmentera la dévotion à la Ste Vierge et l'habitude de s'unir à Notre Seigneur. La visite au S. Sacrement, dont la durée variera avec les occupations, ranimera l'esprit de piété : on pourra se servir avec profit de l'Imitation, surtout du quatrième livre, et des Visites au S. Sacrement de S. Alphonse de Liguori.
661. C) Le soir, un bon examen de conscience, complété par l'examen particulier, aidera les débutants à constater leurs défaillances, à prévoir les remèdes, à remettre la volonté dans la ferme résolution de mieux faire, et les empêchera ainsi de tomber dans le relâchement ou la tiédeur. Ici encore il sera nécessaire de se rappeler ce que nous avons dit sur les examens, n° 460-476, et sur la confession, n° 262-269, en se souvenant que les commençants doivent s’examiner principalement sur les fautes vénielles de propos délibéré, cette vigilance étant le meilleur moyen d'éviter ou de réparer immédiatement les fautes mortelles qui pourraient leur échapper dans un moment de surprise.
662. 3° Conseils au directeur. A) Le directeur veillera à ce que ses pénitents ne se chargent point d'exercices de piété trop nombreux, qui nuiraient à l'accomplissement de leurs devoirs d'état, ou qui seraient un obstacle à la vraie dévotion. Mieux vaut assurément réciter moins de prières et y mettre plus d'attention et de piété. C'est ce que nous dit N. Seigneur lui-même : « Dans vos prières, ne multipliez pas les paroles, comme font les païens qui s'imaginent être exaucés à force de paroles. Ne leur ressemblez pas, car votre Père sait de quoi vous avez besoin, avant que vous ne le lui demandiez » (Matth., VI, 7-8). Et c'est alors qu'il leur enseigne cette courte et substantielle prière du Pater, qui contient tout ce que nous pouvons demander, n° 515-516. Or il y a des commençants qui s'imaginent volontiers que plus ils font de prières vocales et plus ils sont pieux ; leur rappeler la parole du Maître, et leur montrer qu'une prière attentive de dix minutes vaut mieux que celle qui en dure vingt, quand elle est parsemée de distractions plus ou moins volontaires, sera leur rendre un grand service. Et pour les aider à fixer leur attention, on leur rappellera que quelques secondes employées à se mettre sous le regard de Dieu et à s'unir à Notre Seigneur, assureront singulièrement l'efficacité de la prière.
663. B) Quand les mêmes prières sont souvent répétées, il est utile, pour éviter la routine, d'enseigner une méthode simple et facile pour fixer plus parfaitement l'attention. Ainsi en est-il, par exemple, pour le Rosaire ; si on a soin de méditer sur les mystères, avec la double intention d'honorer la Ste Vierge et d'attirer en nous la vertu spéciale qui correspond au mystère, on en profite beaucoup mieux ; la récitation devient alors une petite méditation. Mais alors il ne sera pas inutile de faire remarquer qu'on ne peut à la fois, généralement du moins, faire attention au sens littéral de l'Ave Maria et à l'esprit du mystère, et qu'il suffit d'avoir en vue l'un ou l'autre.

ART. III. DE LA MÉDITATION

Nous exposerons : 1° Les notions générales sur la méditation ; 2° ses avantages et sa nécessité ; 3° les caractères distinctifs de la méditation des commençants ; 4° les méthodes principales.

§ I. Notions générales

664. 1° Notion et éléments constitutifs. Nous avons dit, n° 510, qu'il y a deux sortes de prière : la prière vocale, qui s'exprime par des paroles ou des gestes, et la prière mentale, qui se fait dans l'intérieur de l'âme. Celle-ci se définit : une élévation et une application de notre âme à Dieu, pour lui rendre nos devoirs et en devenir meilleurs pour sa gloire.
Elle comprend cinq éléments principaux : 1) les devoirs de religion qu'on rend à Dieu, ou à Notre Seigneur Jésus Christ ou aux Saints ; 2) des considérations sur Dieu et nos rapports avec lui, pour nourrir et fortifier nos convictions sur les vertus chrétiennes ; 3) des retours sur soi-même pour constater où nous en sommes dans la pratique des vertus ; 4) des prières proprement dites pour demander la grâce nécessaire pour mieux pratiquer telle ou telle vertu ; 5) des résolutions pour mieux faire à l'avenir. Il n'est pas nécessaire que ces actes se suivent dans l'ordre que nous venons d'indiquer, ni que tous ces actes se rencontrent dans la même oraison ; mais, pour que la prière mérite le nom de méditation, il faut qu'elle se prolonge un certain temps, et se distingue ainsi des oraisons jaculatoires.
Quand les âmes avancent en perfection, et ont acquis des convictions qu'il leur suffit de renouveler rapidement, leur oraison se simplifie et consiste parfois en un simple regard affectueux, comme nous l'expliquerons plus tard.
665. 2° Origine. Il faut bien distinguer entre l'oraison elle-même et les méthodes d'oraison.
A) La méditation, sous une forme ou sous une autre, a existé de tout temps : les livres des prophètes, les Psaumes, les livres Sapientiaux sont remplis de méditations qui alimentaient la piété des Israélites ; et Notre Seigneur, en insistant sur le culte en esprit et en vérité, en passant des nuits en prières, en faisant une longue oraison au jardin des Oliviers et sur le Calvaire, préparait la voie à ces âmes intérieures qui devaient, à travers les âges, se retirer dans la cellule de leur cœur pour y prier Dieu en secret. Les livres de Cassien et de S. Jean Climaque, sans parler des ouvrages des Pères, traitent explicitement de la méditation ou de l'oraison, et même des formes les plus élevées, comme la contemplation. On peut dire que le traité de S. Bernard De Consideratione est au fond un traité sur la nécessité de la réflexion et de la méditation. L'Ecole de S. Victor insiste beaucoup sur la pratique de la méditation pour arriver à la contemplation. On sait combien S. Thomas recommande la méditation comme un moyen de croître dans l'amour de Dieu et de se donner à lui.
666. B) Quant à la méditation ou oraison méthodique, elle date du quinzième siècle ; on la trouve exposée dans le Rosetum de Jean Mauburnus et dans les auteurs bénédictins de la même époque. S. Ignace, dans ses Exercices spirituels, donne plusieurs méthodes de méditation très précises et très variées ; Ste Thérèse décrit mieux que personne les divers genres d'oraison ; et ses disciples tracent les règles d'une oraison méthodique ; S. François de Sales ne manque pas de tracer une méthode d'oraison à sa Philothée, et l'Ecole française du XVIIe siècle aura bientôt la sienne, que M. Olier et M. Tronson perfectionneront, et qui aujourd'hui s'appelle la méthode de S. Sulpice.
667. Différence entre la méditation et l'oraison. Les mots de méditation et d'oraison se prennent souvent l'un pour l'autre ; quand on les distingue, le premier nom est réservé à cette forme de prière mentale où domine la considération ou le raisonnement, et qui, pour cette raison, s'appelle méditation discursive ; la seconde appellation s'applique surtout à ces formes de prière mentale où dominent les pieuses affections ou les actes de volonté. Mais la méditation discursive elle-même contient déjà des affections et l'oraison affective est généralement précédée ou accompagnée de quelques considérations, sauf quand l'âme est saisie par la lumière de la contemplation.
668. Le genre d'oraison qui convient généralement aux débutants est celui de la méditation discursive, qui leur est nécessaire pour acquérir ou fortifier leurs convictions. Toutefois il est des âmes affectives qui, presque dès le début, font une large part aux affections ; et tous doivent être avertis que la meilleure partie de l'oraison consiste dans les actes de volonté.

§ II. Avantages et nécessité de l’oraison

I. Avantages

669. La méditation telle que nous l'avons décrite, est très utile au salut et à la perfection.
1° Elle nous détache du péché et de ses causes. Si nous péchons en effet, c'est par irréflexion et faiblesse de volonté. Or la méditation corrige ce double défaut.
a) Elle nous éclaire en effet sur la malice du péché et ses redoutables effets, en nous les montrant à la lumière de Dieu, de l'éternité et de ce qu'a fait Jésus pour expier le péché. « C'est elle, nous dit le P. Crasset, qui nous conduit (par la pensée) dans ces sacrés déserts, où l'on trouve Dieu seul, dans la paix, dans le repos, dans le silence et dans le recueillement. C’est elle qui nous mène spirituellement en enfer pour y voir notre place ; au cimetière pour y voir notre demeure ; au ciel, pour y voir notre trône, à la vallée de Josaphat, pour y voir notre juge ; en Bethléem, pour y voir notre Sauveur ; au Thabor, pour y voir notre amour ; au Calvaire, pour y voir notre exemple » (Instructions sur l'oraison, Méthode d'oraison, ch. I., p. 253-254). Elle nous détache aussi du monde et de ses faux plaisirs : elle nous rappelle la fragilité des biens temporels, les soucis qu'ils nous apportent, le vide et le dégoût qu'ils laissent dans l'âme ; elle nous prémunit contre la perfidie et la corruption du monde, et nous fait comprendre que Dieu seul peut faire notre bonheur. Elle nous détache surtout de nous-mêmes, de notre orgueil, de notre sensualité, en nous mettant en face de Dieu, qui est la plénitude de l’être, et de notre néant, et en nous montrant que les plaisirs sensuels nous abaissent au-dessous de la brute, tandis que les joies divines nous ennoblissent et nous élèvent jusqu'à Dieu.
b) Elle fortifie notre volonté non seulement en nous donnant des convictions, comme nous venons de le dire, mais en guérissant peu à peu notre inertie, notre lâcheté et notre inconstance : seule en effet la grâce de Dieu, aidée de notre coopération, peut guérir ces faiblesses. Or l'oraison nous fait solliciter cette grâce avec d'autant plus d'ardeur que par la réflexion nous avons mieux senti notre impuissance ; et les actes de regret, de contrition et de ferme propos que nous formons pendant l'oraison, avec les résolutions que nous y prenons, sont déjà une coopération active à la grâce.
670. 2° Elle nous fait aussi pratiquer toutes les grandes vertus chrétiennes : 1) elle éclaire notre foi, en nous remettant sous les yeux les vérités éternelles, soutient notre espérance en nous donnant accès auprès de Dieu pour obtenir son secours, stimule notre charité, en nous manifestant la beauté et la bonté de Dieu ; 2) elle nous rend prudents par les considérations qu'elle nous suggère avant d'agir, justes en conformant notre volonté à celle de Dieu, forts en nous faisant participer à la puissance divine, tempérants en calmant l’ardeur de nos désirs et de nos passions. Il n'est donc pas de vertu chrétienne que nous ne puissions acquérir avec l'oraison quotidienne : par elle nous adhérons à la vérité, et la vérité, en nous délivrant de nos vices, nous fait pratiquer la vertu : « cognoscetis veritatem, et veritas liberabit vos » (Joan., VIII, 32).
671. 3° Ainsi elle prépare notre union et même notre transformation en Dieu. C'est en effet une conversation avec Dieu, qui devient chaque jour plus intime, plus affectueuse et plus prolongée : car elle se continue, au milieu même de l'action tout le long du jour, n° 522. Or, à force de fréquenter l'auteur de toutes les perfections, on s'en imbibe, on s'en pénètre, comme l'éponge se remplit du liquide dans lequel elle est plongée, comme le fer placé dans la fournaise s'embrase, s'assouplit et prend les qualités du feu.

II. De la nécessité de l'oraison

672. 1° Pour les simples chrétiens. A) La méditation méthodique est un moyen de sanctification très efficace, mais n'est pas cependant nécessaire au salut pour l’ensemble des chrétiens. Ce qui est nécessaire, c'est de prier pour rendre ses devoirs à Dieu et en recevoir des grâces : ce qui ne peut se faire évidemment sans une certaine attention de l'esprit et un désir du cœur. Sans doute il faut ajouter à la prière des réflexions sur les grandes vérités et les principaux devoirs chrétiens, et les accompagner de retours sur soi-même ; mais tout ceci peut se faire sans méditation méthodique, en écoutant les instructions paroissiales, en faisant de bonnes lectures, et en examinant sa conscience.
673. B) Elle est cependant très utile et salutaire à tous ceux qui veulent progresser et sauver leur âme, aux débutants comme aux âmes plus avancées ; on peut même dire que c'est le moyen le plus efficace d’assurer son salut, n° 669. C'est l'enseignement de S. Alphonse ; et il en donne cette raison : avec les autres exercices de piété, comme le rosaire, le petit office de la Ste Vierge, le jeûne, on peut malheureusement continuer de vivre dans le péché mortel ; mais avec l'oraison on ne peut demeurer longtemps dans le péché grave : ou l'on abandonnera l'oraison ou on renoncera au péché. Comment en effet se présenter chaque jour devant Dieu, auteur de toute sainteté, avec la conscience nette qu'on est en état de péché mortel, sans prendre, avec le secours de la grâce, la ferme résolution de détester son péché et d'aller se jeter aux pieds d'un confesseur pour obtenir le pardon dont on voit l'absolue nécessité ? Si au contraire on n'a pas un moment fixe et une méthode déterminée pour réfléchir sur les grandes vérités, on se laisse entraîner par la dissipation, les exemples du monde, et on glisse insensiblement dans le péché.
674. 2° Nécessité morale de l'oraison pour les prêtres du ministère. Nous ne parlons pas ici des prêtres qui, étant religieux, et récitant l'office divin lentement et pieusement, peuvent trouver dans cette récitation et dans les lectures et prières qu'ils font un équivalent à l'oraison. Toutefois nous remarquons que, même dans les Ordres où l'on psalmodie l'office, la règle prescrit au moins une demi-heure d'oraison, précisément parce qu'on est persuadé que la prière mentale est l'âme des prières vocales et en assure la fervente récitation. Nous ajoutons que les Congrégations fondées depuis le XVIe siècle insistent plus encore sur l'oraison, et que le Code de Droit Canon prescrit aux Supérieurs de veiller à ce que tous les religieux, non légitimement empêchés, consacrent chaque jour un certain temps à l'oraison mentale (Can. 595).
Mais nous parlons des prêtres du ministère, absorbés dans les travaux apostoliques, et nous disons que la pratique habituelle de l'oraison, à une heure réglée, est moralement nécessaire à leur persévérance et à leur sanctification. Ils ont en effet des devoirs nombreux et importants à remplir sous peine de faute grave, et par ailleurs ils sont parfois soumis à des tentations obsédantes au milieu même de l'exercice de leur ministère.
675. A) Or, pour résister à ces tentations et accomplir fidèlement et surnaturellement tous leurs devoirs, il faut qu'ils aient des convictions profondes et des grâces de choix qui soutiennent leur volonté chancelante ; et de l'aveu de tous, c'est dans l'oraison quotidienne que l'on acquiert les unes et les autres.
Et qu'on ne dise pas qu'eux aussi peuvent trouver dans la sainte messe et l'office divin des équivalents à l'oraison. Assurément la messe et le bréviaire dits avec attention et dévotion sont des moyens efficaces de persévérance et de progrès. Mais l'expérience montre qu'un prêtre, absorbé dans les travaux du ministère, ne s'acquitte bien de ces deux devoirs si importants qu'à la condition de puiser dans l'oraison habituelle l'esprit de recueillement et de prière. S'il néglige ce saint exercice, comment trouvera-t-il au milieu des occupations et des tracas qui l'assiègent, le temps de se recueillir sérieusement et de se retremper dans l'esprit surnaturel ? Et s'il ne le fait pas, il est bientôt envahi par des distractions nombreuses, même au milieu des occupations les plus saintes, ses convictions s'affaiblissent, son énergie diminue, ses négligences et ses défaillances augmentent, la tiédeur survient ; et quand la tentation se présente, grave, persistante, obsédante, il n'a plus présentes à l’esprit les fortes convictions nécessaires pour repousser l'ennemi, et il est exposé à succomber. « Si je fais oraison, dit Dom Chautard, je suis comme revêtu d'une armure d'acier, et invulnérable aux flèches ennemies. Sans l'oraison, elles m'atteindront sûrement... Oraison ou très grand risque de damnation pour le prêtre en contact avec le monde, déclarait sans hésiter le pieux, docte et prudent P. Desurmont, l'un des plus expérimentés prédicateurs de retraites ecclésiastiques. Pour l'apôtre, pas de milieu entre la sainteté sinon acquise, du moins désirée et poursuivie (surtout par l'oraison quotidienne), et la perversion progressive, dit à son tour le Card. Lavigerie »  .
676. B). Il ne lui suffit pas d'ailleurs d'éviter le péché ; pour accomplir ses devoirs de religieux de Dieu et de sauveur d'âmes, il faut qu'il soit habituellement uni à Jésus le Souverain Prêtre, qui seul glorifie Dieu et sauve les âmes. Or comment s'unira-t-il à lui, au milieu des occupations et préoccupations du ministère, s'il n'a pas un temps réglé et suffisamment prolongé pour se retremper dans cette union, pour penser longuement et affectueusement à ce divin Modèle, et par la prière attirer en lui son esprit, ses dispositions, sa grâce ? Par cette union ses énergies sont centuplées, sa confiance considérablement augmentée, et la fécondité de son ministère assurée : ce n'est pas lui qui parle, c'est Jésus qui parle par sa bouche, tanquam Deo exhortante per nos ; ce n'est pas lui qui agit, il n'est qu'un instrument entre les mains de Dieu ; et parce qu’il s’efforce d'imiter les vertus de Notre Seigneur, son exemple entraîne les âmes encore plus que ses paroles. Qu'il cesse de faire oraison, il perdra l'habitude du recueillement et de la prière, et ne sera plus qu'un airain sonore et une cymbale retentissante.
677. Aussi le Pape Pie X, de sainte mémoire, a proclamé nettement la nécessité de l'oraison pour le prêtre (Exhortatio ad clerum catholicum, 4 août 1908) ; et le Code de Droit Canon prescrit aux Evêques de veiller à ce que les prêtres consacrent chaque jour quelque temps à l'oraison mentale « ut iidem quotidie orationi mentali per aliquod tempus incumbant » (can. 125, 2°) ; et que les élèves du Séminaire fassent de même : « ut alumni Seminarii singulis diebus... per aliquod tempus mentali orationi vacent » (can. 1367, 1°). N'est-ce pas là proclamer équivalemment la nécessité morale de l'oraison pour les ecclésiastiques ?
C'est donc manquer de psychologie que de conseiller aux prêtres, absorbés dans la vie paroissiale, de laisser de côté la méditation pour dire plus pieusement la messe et le bréviaire. L'expérience montre que, quand on ne fait plus oraison, la récitation pieuse de l'office divin est presque impossible et on le dit quand on le peut et comme on le peut, avec de nombreuses interruptions, l'esprit tout occupé de ce qu'on a entendu ou de ce qu'on va dire. En réalité c'est l'oraison du matin qui assure la pieuse célébration de la messe et qui permet de se recueillir avant de commencer le bréviaire.
678. Ce que nous disons des prêtres, ne peut-on pas le dire aussi, dans une certaine mesure, de ces généreux laïques qui consacrent une partie de leur temps à l'apostolat ? S'ils veulent que cet apostolat soit fécond, il faut qu'il soit vivifié par l'esprit intérieur et l'oraison. Qu'on ne dise pas que le temps donné à cet exercice est retranché aux œuvres de zèle. Ce serait friser l'erreur pélagienne, en s'imaginant que l'action est plus nécessaire que la grâce et la prière, tandis qu'en réalité l'apostolat est d'autant plus fécond qu'il est inspiré par une vie intérieure plus profonde, alimentée elle-même par l'oraison.

§ III. Caractères généraux de la méditation des commençants

Nous avons déjà dit que la méditation des débutants est surtout discursive, et que le raisonnement y domine, tout en laissant une certaine place aux affections de la volonté. Il nous reste à exposer : 1° sur quels sujets ils méditent ordinairement ; 2° quelles difficultés ils rencontrent.

I. Sur quels sujets méditent les commençants

679. Ils doivent méditer, d'une façon générale, sur tout ce qui peut leur inspirer une horreur croissante du péché, sur les causes de leurs fautes, sur la mortification qui y porte remède, sur leurs principaux devoirs d'état, sur le bon usage et l'abus de la grâce, sur Jésus modèle des pénitents.
680. 1° Afin de concevoir une horreur croissante pour le péché, ils méditeront : a) sur la fin de l'homme et du chrétien, par conséquent sur la création et l'élévation de l'homme à l'état surnaturel, la chute et la rédemption (n° 59-87) ; sur les droits de Dieu, créateur, sanctificateur et rédempteur ; sur certains attributs divins qui peuvent les éloigner du péché, comme son immensité qui le rend présent à toute créature et surtout à l'âme en état de grâce, sa sainteté qui l'oblige à haïr le péché ; sa justice qui le châtie ; sa miséricorde qui l'incline à pardonner. Toutes ces vérités en effet tendent à nous faire fuir le péché, le seul obstacle à notre fin, l'ennemi de Dieu, le destructeur de la vie surnaturelle que Dieu nous a donnée comme la grande marque de son amour, et que le Rédempteur nous a restituée au prix de son sang.
b) Sur le péché lui-même : son origine, son châtiment, sa malice, ses redoutables effets, n° 711-735 ; sur les causes qui nous portent au péché, la concupiscence, le monde et le démon, n° 193-227.
c) Sur les moyens d'expier et de prévenir le péché, la pénitence, n° 705, et la mortification de nos diverses facultés, de nos tendances vicieuses, et surtout des sept péchés capitaux, en tirant cette conclusion pratique qu'on n'est pas en sûreté, tant qu’on n'a pas extirpé ou du moins maîtrisé toutes ces inclinations vicieuses : nous traiterons bientôt de toutes ces questions.
681. 2° Il faut aussi méditer successivement sur tous les devoirs positifs du chrétien : 1) devoirs généraux de religion envers Dieu, de charité à l'égard du prochain, de légitime défiance de soi-même, à cause de notre impuissance et de nos misères : ce qui frappera les débutants, ce sera surtout le côté extérieur de ces vertus, mais ce sera une préparation aux vertus plus solides qu'il pratiquera dans la voie illuminative ; 2) devoirs particuliers, en rapport avec l'âge, la condition, le sexe, l'état de vie : la pratique de ces devoirs est en effet la meilleure des pénitences.
682. 3° Comme le rôle de la grâce est capital dans la vie chrétienne, il sera nécessaire d'initier peu à peu les commençants à ce qu'il y a de fondamental dans la vie chrétienne, en transposant pour eux ce que nous avons dit de l'habitation du Saint Esprit dans notre âme, de notre incorporation au Christ, de la grâce habituelle, des vertus et des dons. Sans doute, ils ne saisiront d'abord que les premiers éléments de ces grandes vérités, mais le peu qu'ils en comprendront aura une très grande influence sur leur formation et leur progrès spirituel ; c'est quand on médite sur ce que Dieu a fait et ne cesse de faire pour nous qu'on se sent porté à être plus généreux à son service. N'oublions pas que saint Paul et saint Jean prêchaient, ces vérités aux païens convertis, qui eux aussi ne faisaient que débuter dans la vie spirituelle.
683. 4° C'est alors qu'on pourra plus facilement leur proposer Jésus comme modèle des vrais pénitents : Jésus se condamnant à la pauvreté, à l'obéissance, au travail pour nous donner l'exemple de ces vertus ; Jésus, faisant pénitence pour nous dans le désert, au jardin des Oliviers, dans sa douloureuse passion ; Jésus mourant pour nous sur la croix. Cette série de méditations, que l'Eglise nous présente chaque année dans sa liturgie, aura l'avantage de faire pratiquer la pénitence en union avec Jésus-Christ avec plus de générosité et d'amour, et par là même avec plus d'efficacité.

III. Des difficultés que rencontrent les débutants

Les difficultés spéciales que les commençants trouvent dans la méditation viennent de leur inexpérience, de leur manque de générosité et surtout des nombreuses distractions auxquelles ils sont sujets.
684. A) A cause de leur inexpérience, ils sont exposés à transformer leur méditation en une sorte de thèse philosophique ou théologique, ou en une sorte de sermon qu'ils se font à eux-mêmes. Sans doute ce n'est pas là du temps perdu, puisque malgré tout cette façon de méditer les fait penser aux grandes vérités et affermit leurs convictions. Toutefois ils en retireraient plus de profit, s'ils procédaient d'une façon plus pratique et plus surnaturelle.
C'est ce que leur enseignera un bon directeur. Il leur fera remarquer : a) que ces considérations, pour être pratiques, doivent être plus personnelles, s'appliquer à eux-mêmes, être suivies d'un examen pour voir où ils en sont de la pratique de ces vérités, et ce qu'ils peuvent faire pour en vivre dans le courant de la journée ; b) que ce qu'il y a de plus important dans l'oraison, ce sont les actes de la volonté, actes d'adoration, de reconnaissance et d'amour à l'égard de Dieu, actes d'humiliation, de contrition et de bon propos par rapport à leurs péchés, actes de demande pour obtenir la grâce de se réformer, résolutions fermes et fréquemment renouvelées de mieux faire pendant toute la journée.
685. B) Leur manque de générosité les expose à se décourager quand ils ne sont plus soutenus par les consolations sensibles que Dieu leur avait gracieusement octroyées pour les attirer à lui au début; les difficultés, les premières sécheresses les rebutent, et, se croyant abandonnés par Dieu, ils se laissent aller au relâchement. Il faut donc leur montrer que ce que Dieu nous demande, c'est l'effort et non pas le succès, qu'il y a d'autant plus de mérite à prier qu'on persévère dans la prière, malgré les difficultés qu'on y éprouve, et que Dieu, se montrant si généreux à notre égard, c'est une lâcheté que de reculer devant l'effort. Ce langage sera tempéré par beaucoup de douceur dans la manière dont on rappellera ces vérités, par des encouragements très paternels.
686. C) Mais le plus grand obstacle vient des distractions : comme au début, l'imagination, la sensibilité, et les attaches sont  loin d'être maîtrisées, les images profanés et parfois dangereuses, les pensées inutiles, et les divers mouvements du cœur envahissent l'âme au moment de la méditation. Ici encore le rôle du directeur est capital.
a) Il rappellera tout d'abord la distinction entre les distractions volontaires   et celles qui ne le sont pas, et invitera son dirigé à ne s'occuper que des premières, pour en diminuer le nombre. Pour y réussir : 1) il faut repousser promptement, énergiquement et constamment les distractions, dès qu'on en a conscience ; quand même elles seraient nombreuses ou dangereuses, elles ne sont coupables que si on s'y arrête volontairement ; faire effort pour les repousser est un acte très méritoire : si vingt fois elles reviennent à l'assaut et si vingt fois nous les repoussons, ce sera une excellente oraison, beaucoup plus méritoire que celle où, soutenus par la grâce de Dieu, nous en avons eu fort peu.
687. 2) Pour les mieux repousser, il importe d'avouer humblement son impuissance, de s'unir positivement à Notre Seigneur et d'offrir à Dieu ses adorations et ses prières. Au besoin on utilisera un livre pour mieux fixer son attention.
b) Ce n'est pas assez de repousser les distractions; pour en diminuer le nombre, il importe de s'attaquer à la cause. Or beaucoup de distractions viennent du manque de préparation ou de la dissipation habituelle. 1) On les invitera donc à mieux préparer leur oraison la veille au soir, à ne pas se contenter d'une simple lecture, mais à y ajouter un élément personnel en voyant comment le sujet est pratique pour eux en particulier, et en pensant au sujet avant de s'endormir, au lieu de se laisser aller à des rêveries inutiles ou malsaines. 2) Mais surtout on leur indiquera ces moyens de discipliner l'imagination et la mémoire, dont nous parlerons bientôt. Plus en effet l'âme avance dans la pratique du recueillement et du détachement habituel, et plus les distractions diminuent. C'est du reste ce que nous fera mieux comprendre l’étude des méthodes d'oraison.

§ IV. Des principales méthodes d'oraison

688. L'oraison étant un art difficile, les Saints se sont toujours plu à donner divers conseils sur les moyens d'y réussir : on en trouve d'excellents dans Cassien, S. Jean Climaque et les principaux écrivains spirituels. Toutefois ce n'est que vers le XVe siècle qu'ont été élaborées les méthodes proprement dites qui depuis lors ont guidé les âmes dans les voies de l'oraison.
Comme ces méthodes paraissent un peu complexes de prime abord, il est bon d'y préparer les commençants par ce qu'on peut appeler la lecture méditée. On leur conseille de lire quelque livre de piété, comme le premier livre de l'Imitation, le Combat spirituel, ou un livre de méditations courtes et substantielles ; et on leur suggère de se poser, après la lecture, les trois questions suivantes : 1° Suis-je bien convaincu que ce que je viens de lire est utile, nécessaire au bien de mon âme, et comment puis-je fortifier cette conviction ? 2° Ai-je bien pratiqué jusqu'ici ce point si important ? 3° Comment ferai-je pour le mieux pratiquer aujourd'hui ? Si on y ajoute une prière ardente pour bien pratiquer la résolution qu'on a prise, on aura tous les éléments essentiels d'une véritable oraison.

I. Points communs à toutes les méthodes

Dans les diverses méthodes, on retrouve un certain nombre de traits communs, qu'il importe de signaler, parce qu'ils sont évidemment les plus importants.
689. 1° Il y a toujours une préparation éloignée, une préparation prochaine et une préparation immédiate. a) La préparation éloignée n'est autre chose qu'un effort pour mettre sa vie habituelle en harmonie avec l'oraison. Elle comprend trois choses : 1) la mortification des sens et des passions ; 2) le recueillement habituel ; 3) l'humilité. Ce sont là en effet d'excellentes dispositions pour bien prier : au début, elles n'existent qu'imparfaitement, mais cela suffit pour qu'on puisse méditer avec quelque fruit ; plus tard elles se perfectionneront au fur et à mesure qu'on fera des progrès dans l'oraison.
b) La préparation prochaine comprend trois actes principaux : 1) lire ou écouter le sujet de méditation la veille au soir ; 2) y penser à son réveil et exciter dans son cœur des sentiments qui y soient conformes ; 3) se mettre à la méditation avec ardeur, confiance et humilité, avec le désir de glorifier Dieu et de devenir meilleur. Ainsi l'âme se trouve toute disposée à converser avec Dieu.
c) La préparation immédiate, qui n'est au fond que le commencement de l'oraison, consiste à se mettre en la présence de Dieu, présent, partout et surtout en notre cœur, à se reconnaître indigne et incapable de méditer, et à implorer le secours du Saint Esprit pour suppléer à notre insuffisance.
690. 2° Dans le corps de l'oraison, les diverses méthodes contiennent aussi, plus ou moins explicitement, les mêmes actes fondamentaux :
a) Des actes pour rendre à la divine majesté les devoirs de religion qui lui sont dus ;
b) des considérations pour se convaincre de la nécessité ou de la très grande utilité de la vertu qu'on veut acquérir, afin de prier avec plus de ferveur pour obtenir la grâce de la pratiquer et de déterminer la volonté à faire les efforts nécessaires pour coopérer à la grâce ;
c) des examens ou retours sur soi-même pour constater ses défaillances sur ce point ; et le chemin qui reste à parcourir ;
d) des prières ou demandes pour obtenir la grâce de progresser en cette vertu et de prendre les moyens nécessaires à cet effet ;
e) des résolutions, par lesquelles on se détermine à pratiquer, dès le jour même, la vertu sur laquelle on a médité.
691. 3° La conclusion, qui termine la méditation, embrasse à la fois : 1) une action de grâces pour les bienfaits reçus ; 2) une revue de la manière dont on a fait sa méditation, en vue de la perfectionner le jour suivant ; 3) une dernière prière pour demander la bénédiction de notre Père céleste ; 4) et le choix d'une pensée ou maxime frappante qui nous rappelle pendant la journée l'idée maîtresse de notre méditation, et qu'on appelle le bouquet spirituel.
Les différentes méthodes se ramènent aux deux types principaux qu'on appelle : méthode de S. Ignace et méthode de S. Sulpice.

II. La méthode de S. Ignace

692. Dans les Exercices spirituels, S. Ignace propose successivement plusieurs méthodes d'oraison, selon les sujets sur lesquels on médite et les résultats qu'on veut obtenir. La méthode qui généralement convient le mieux aux commençants est celle qui est dite des trois puissances, parce qu'on y exerce les trois principales facultés, la mémoire, l'entendement et la volonté. Elle se trouve exposée dans la première semaine, à propos de la méditation sur le péché.
693. 1° Commencement de la méditation. Elle débute par une oraison préparatoire, où l'on demande à Dieu que toutes nos intentions et actions soient dirigées uniquement au service et à la louange de sa Divine Majesté : excellente direction d'intention.
Viennent ensuite deux préludes : a) le premier, qui est la composition de lieu, a pour but de fixer l'imagination et l'esprit sur le sujet de la méditation, pour écarter plus facilement les distractions : 1) si l'objet est sensible, comme un mystère de Notre Seigneur, on se le représente aussi vivement que possible non pas comme un fait accompli depuis longtemps, mais comme si on était soi-même témoin des faits, comme si on y prenait part : ce qui est évidemment de nature à saisir davantage ; 2) si l'objet est invisible, comme le péché, « la composition de lieu sera de voir des yeux de l'imagination et de considérer mon âme emprisonnée dans ce corps mortel, et moi-même c'est-à-dire mon corps et mon âme, dans cette vallée de larmes, comme exilé parmi les animaux privés de raison » ; en d'autres termes, on considère le péché dans quelques-uns de ses effets, pour en concevoir déjà l'horreur.
b) Le second prélude consiste à demander à Dieu ce que je veux et ce que je désire, par exemple, la honte et la confusion de moi-même à la vue de mes péchés. Comme on le voit, le but pratique, la résolution s'affirme nettement dès le début : in omnibus respice finem.
694. 2° Le corps de la méditation consiste dans l'application des trois puissances de l'âme (la mémoire, l'entendement et la volonté) à chacun des points de l'oraison. On applique successivement chacune des puissance à chacun des points, à moins qu'un seul ne fournisse une matière suffisante pour toute la méditation. Mais il n'est pas nécessaire de faire dans chaque méditation tous les actes indiqués : il est bon de s'arrêter aux affections et sentiments suggérés par le sujet.
a) L'exercice de la mémoire se fait en se rappelant le premier point à méditer, non pas en détail, mais dans son ensemble ; ainsi, dit S. Ignace, « cet exercice de la mémoire sur le péché des anges consiste à se remettre dans la pensée comment ils furent créés dans l'état d’innocence ; comment ils refusèrent de se servir de leur liberté pour rendre à leur Créateur et Seigneur l'hommage et l'obéissance qui lui étaient dus ; comment l'orgueil venant à s'emparer de leur esprit, ils passèrent de l'état de grâce à un état de malice, et furent précipités du ciel en enfer ».
b) L'exercice de l’entendement consiste à réfléchir plus en détail sur le même sujet. S. Ignace n'entre pas dans plus de développements ; mais le P. Roothaan y supplée, en expliquant que le devoir de l’entendement est de faire des réflexions sur les vérités que la mémoire a proposées, de les appliquer à l'âme et à ses besoins, d'en tirer des conséquences pratiques, de peser les motifs de nos résolutions, de considérer comment jusqu'ici nous avons conformé notre conduite aux vérités que nous méditons, et comment nous devons le faire dans la suite.
c) La volonté a deux devoirs à remplir : s'exciter à de pieuses affections et former de bonnes résolutions. 1) Les affections doivent sans doute être répandues dans toute la méditation ; elles doivent du moins être très fréquentes, puisque ce sont elles qui font de la méditation une vraie prière ; mais c'est surtout vers la fin de la méditation qu'il faut les multiplier. On ne doit pas se mettre en peine de la manière de les exprimer : les façons les plus simples sont encore les meilleures. Lorsqu'un bon sentiment s'impose à nous, il est bon de le nourrir le plus longtemps possible jusqu'à ce que notre dévotion soit satisfaite. 2) Les résolutions seront pratiques, propres à perfectionner notre vie, et par là même particulières, appropriées à notre état présent, susceptibles d'être mise à exécution le jour même, fondées sur des motifs solides, humbles et par conséquent accompagnées de prières pour obtenir la grâce de les mettre en pratique.
695. 3° Vient enfin la conclusion, qui comprend trois choses : la récapitulation des diverses résolutions déjà prises ; de pieux colloques avec Dieu le Père, Notre Seigneur, la Ste Vierge ou quelque saint ; enfin la revue de la méditation ou l'examen sur la manière dont on a médité, pour constater ses imperfections et y remédier.
Pour mieux faire comprendre la méthode, nous donnons le tableau synoptique des préludes, du corps de l'oraison et de la conclusion.

I. Préludes :

1° Souvenir rapide de la vérité à méditer.
2° Construction du lieu par l'imagination.
3° Demander une grâce spéciale conforme au sujet.

II. Corps de la méditation, on exerce :

1° la mémoire :  on se représente en gros le sujet à son esprit avec les principales circonstances.
2° l’entendement :

1° ce que je dois considérer dans ce sujet.

     J’examine :

2° quelles conclusions pratiques je dois en tirer.
3° quels en sont les motifs ?
4° comment ai-je observé ce point ?
5° que dois-je faire pour le mieux observer ?
6° quels obstacles dois-je écarter ?
7° quels moyens employer ?

3° la volonté 1° par des affections produites dans tout le cours de la méditation, surtout à la fin.
2° par des résolutions prises à la fin de chaque point : pratiques personnelles, solides, humbles, confiantes.

III. Conclusion :

1° colloques   avec Dieu, Jésus-Christ, la Ste Vierge, les Saints.
2° revue

1° comment ai-je fait la méditation ?
2° en quoi et pourquoi l'ai-je bien ou mal faite ?

3° quelles conclusions pratiques en ai-je tirées, quelles demandes faites, quelles résolutions prises, quelles lumières reçues ?
4° recueillir une pensée pour bouquet spirituel.

696. Utilité de cette méthode. Comme on le voit, cette méthode est très psychologique et très pratique. a) Elle saisit toutes les facultés, y compris l'imagination, les applique successivement au sujet de la méditation, et introduit ainsi un élément de variété qui permet de considérer la même vérité sous ses aspects divers, de la tourner et de la retourner dans notre esprit, pour nous en pénétrer, acquérir des convictions et surtout en tirer des conclusions pratiques pour le jour même.
b) Tout en insistant sur le rôle important de la volonté, qui se détermine à bon escient, après avoir longuement considéré les motifs, elle ne néglige pas le rôle de la grâce : on la demande avec instance dès le début, et on y revient dans les colloques.
c) Elle est tout particulièrement adaptée aux commençants ; car elle précise jusque dans les moindres détails ce qu'il faut faire depuis la préparation jusqu'à la conclusion, et sert de fil conducteur qui empêche nos facultés de s'égarer. Par ailleurs elle ne suppose pas une connaissance approfondie du dogme, mais seulement celle que le catéchisme nous en donne, et s'adapte ainsi aux simples fidèles.
d) Cependant elle convient aussi, quand on la simplifie, aux âmes plus avancées ; si on se contente en effet des grandes lignes tracées par S. Ignace, sans entrer dans tous les détails ajoutés par le P. Roothaan, on peut facilement la transformer en une oraison affective qui laissera une large part aux inspirations de la grâce. Le tout est de savoir s'en servir d'une façon intelligente, sous la sage conduite d'un directeur expérimenté.
e) On lui a parfois reproché de ne pas faire la place assez large à N. S. Jésus-Christ. Sans doute il n'en est question qu'incidemment dans la méthode des trois puissances ; mais il est d'autres méthodes enseignées par S. Ignace, en particulier la contemplation des mystères et l'application des sens ou Notre Seigneur devient l'objet principal de la méditation.
Or rien n'empêche les débutants d'utiliser l'une et l'autre. L'objection n'est donc pas fondée quand on suit les méthodes ignatiennes jusqu'au bout.

III. La méthode de S. Sulpice

697. A) Origine. Cette méthode, venue après plusieurs autres, s'en est inspirée pour le détail ; mais l'idée-mère et les grandes lignes viennent du Cardinal de Bérulle, du P. de Condren et de M. Olier ; les détails complémentaires de M. Tronson.
a) L'idée-mère, c'est l'union, l'adhérence au Verbe Incarné pour rendre à Dieu les actes de religion qui lui sont dus, et reproduire en soi les vertus de J.-C.
b) Les trois actes essentiels sont : 1) l'adoration, par laquelle nous considérons un attribut ou une perfection de Dieu, ou une vertu de N. S. Jésus-Christ comme le modèle de la vertu que nous devons pratiquer, et rendons ensuite nos devoirs de religion (adoration, admiration, louange, remerciement, amour, joie ou compassion) à l'un ou à l'autre, ou à Dieu par Jésus-Christ : en rendant ainsi nos hommages à l'auteur de la grâce, nous le disposons à nous écouter favorablement ; 2) la communion, par laquelle nous attirons en nous, grâce à la prière, la perfection ou la vertu que nous avons adorée et admirée en Dieu ou en Notre Seigneur ; 3) la coopération, où, sous l’influence de la grâce, nous nous déterminons à pratiquer cette vertu, en prenant au moins une résolution que nous nous efforçons de mettre à exécution pendant la journée.
Telles sont les grandes lignes qu'on retrouve dans Bérulle, Condren et Olier.
698. B) Les compléments de M. Tronson. Mais il est évident que ces grandes lignes qui suffisent aux âmes avancées, eussent été insuffisantes pour des débutants. On s'en aperçut vite au Séminaire de S. Sulpice, et, tout en conservant l'esprit, et les éléments essentiels de la méthode primitive, M. Tronson ajouta au deuxième point (communion) les considérations et les retours sur soi-même si indispensables à ceux qui commencent ; quand on est convaincu de l'importance et de la nécessité d'une vertu, et quand on voit clairement qu'elle nous manque, on la demande, avec beaucoup plus de ferveur, d’humilité et de constance. Il reste donc que, dans cette méthode, on insiste, même pour les débutants, sur la prière comme sur l'élément principal. C'est pour cela que le troisième point s'appelle coopération, afin de nous rappeler que nos résolutions sont l'effet de la grâce encore plus que de notre volonté, mais que par ailleurs la grâce ne fait rien en nous sans notre coopération, et que, tout le long du jour, nous devons collaborer avec Jésus-Christ en faisant des efforts pour reproduire la vertu sur laquelle nous avons médité.
699. C) Résumé de la méthode. Le tableau synoptique suivant donnera une idée suffisante de la méthode. Nous laissons de côté la préparation éloignée, qui est la même que celle que nous avons exposée, n°  689.

I. Préparation

Prochaine:
1° La veille au soir, faire le choix du sujet d'oraison et déterminer d'une façon précise ce qu'il faudra considérer en N.-S.,

- les considérations et les demandes qu'il faudra faire,
- les résolutions qu'il faudra prendre ;

2° Se tenir ensuite dans un grand recueillement et s'endormir en pensant au sujet d'oraison ;
3° Après son lever, prendre le premier moment libre pour vaquer à ce saint exercice.

Immédiate:
1° Se mettre en la présence de Dieu qui est partout, et surtout en notre cœur ;
2° S'humilier devant Dieu au souvenir de ses péchés. Contrition. Récitation du Confiteor ;
3°  Se reconnaître incapable de prier comme il faut. Invocation au Saint-Esprit : récitation du Veni, Sancte Spiritus.

II. Corps de l’oraison

1er point : Adoration : Jésus devant les yeux
1° Considérer en Dieu, en N.-S. ou en quelque Saint le   sujet que l’on va méditer : les sentiments de son cœur, ses paroles, ses actions ;
2° Lui rendre nos devoirs : adoration, admiration, louanges, actions de grâces, amour, joie ou compassion.
2e point : Communion : Jésus attiré dans le cœur
1° Se convaincre de la nécessité ou utilité de la vertu considérée, par des motifs de foi, par raisonnement ou par simple analyse.
2° Faire réflexion sur soi avec des sentiments de contrition pour le passé, de confusion pour le présent, de  désir pour l’avenir ;
3° Demander à Dieu la vertu sur laquelle on médite (c’est surtout par cette demande que nous entrons en participation des vertus de Notre-Seigneur). Demander aussi tous nos autres besoins, ceux de l’Eglise et des personnes pour lesquelles nous devons prier.
3e point : Coopération : Jésus dans les mains
1° Prendre une résolution particulière, présente, efficace, humble.
2° Renouveler la résolution de son examen particulier.

III. Conclusion

1° Remercier Dieu de nous avoir accordé tant de grâces dans l’oraison ;
2° Lui demander pardon de nos fautes et de nos négligences dans ce saint exercice ;
3° Le prier de bénir nos résolutions, la journée présente, notre vie, notre mort ;
4° Former un bouquet spirituel, c’est à dire choisir une des pensées qui nous ont frappé davantage, pour nous en souvenir dans la journée et rappeler les résolutions ;
5° Confier le tout à la Très Sainte Vierge.
Sub tuum præsidium.

700. D) Caractéristiques de cette méthode. a) Elle s'appuie sur la doctrine de notre incorporation au Christ (n° 142-149) et sur l'obligation qui en résulte, de reproduire en nous ses dispositions intérieures et ses vertus. Pour y réussir, nous devons, selon l'expression de M. Olier, avoir Jésus devant les yeux pour l'admirer comme modèle et lui rendre nos devoirs (adoration), l’avoir dans le cœur, en attirant en nous ses dispositions et ses vertus par la prière (communion), l'avoir dans les mains, en collaborant avec lui à l'imitation de ses vertus (coopération). L'union intime avec Jésus est donc l'âme de cette méthode.
b) Elle fait passer le devoir de la religion (révérence et amour envers Dieu) avant celui de la demande ; Dieu premier servi ! Et le Dieu qu'elle nous propose, ce n'est pas le Dieu abstrait des philosophes, c'est le Dieu concret et vivant de l'Evangile ; c'est la Sainte Trinité vivant en nous.
c) En proclamant la nécessité de la grâce et de la volonté humaine dans notre sanctification, elle met l'accent sur la grâce, et par conséquent sur la prière, mais demande aussi l'effort énergique et constant de la volonté, des résolutions particulières, présentes, fréquemment renouvelées, sur lesquelles on s'examine le soir.
701. d) C'est une méthode affective appuyée sur des considérations : elle débute par des affections de religion au premier point ; si, au second, on y fait des considérations, c'est en vue de faire jaillir du cœur des actes de foi aux Vérités surnaturelles qu'on médite, des actes d'espérance en la miséricorde divine, des actes d'amour à l'égard de son infinie bonté ; si, on fait un retour sur soi-même, il doit être accompagné de regret pour le passé, de confusion pour le présent, de ferme propos pour l'avenir ; et ces actes ont pour but de préparer une demande humble, confiante et persévérante. Pour prolonger cette demande, la méthode fournit divers motifs, longuement exposés, et suggère de prier en outre pour l'Eglise tout entière et certaines âmes en particulier. Les résolutions elles-mêmes doivent être accompagnées de défiance de soi-même, de confiance en Jésus-Christ, de prières pour les accomplir. Enfin la conclusion n'est qu'une série d'actes de reconnaissance, d'humilité, et de nouvelles prières.
C'est ainsi qu'on évite de donner une tournure trop philosophique aux raisonnements ou aux considérations, et qu'on prépare la voie à l'oraison affective ordinaire, et plus tard à l'oraison simplifiée : car on nous fait remarquer qu'il n'est pas nécessaire d'exprimer toujours et en cet ordre tous nos devoirs, mais qu'il est bon « de s'abandonner aux affections que Dieu donne et de répéter souvent celles où l'on trouve attrait du Saint Esprit ». Sans doute les commençants consacrent généralement plus de temps aux raisonnements qu'aux autres actes ; mais sans cesse la méthode leur rappelle que les affections sont préférables, et peu à peu ils arrivent à en faire un plus grand nombre.
e) Elle est tout particulièrement adaptée aux séminaristes et aux prêtres : elle leur rappelle sans cesse que le prêtre étant un autre Jésus-Christ par le caractère et les pouvoirs, doit l'être aussi par les dispositions et les vertus, et que toute leur perfection consiste à faire vivre et grandir Jésus en eux : « ita ut interiora ejus intima cordis nostri penetrent ».
702. Ces deux méthodes sont donc excellentes, chacune en son genre, et étant donné le but spécial qu'elles ont en vue ; et on peut dire la même chose de toutes les autres qui se rapprochent plus ou moins de ce double type  . Il est opportun qu'il y en ait plusieurs, afin que chaque âme puisse choisir, selon l'avis de son directeur et ses attraits surnaturels, celle qui lui convient le mieux.
Ajoutons, avec le P. Poulain (Etudes, 20 mars 1898, p. 782, note 2), qu'il en est de ces méthodes comme des règles si nombreuses de la rhétorique et de la logique ; il est bon d'y rompre les commençants, mais, quand une fois on s'y est assujetti de manière à bien en posséder l'esprit et les éléments principaux, on ne suit plus la méthode que dans les grandes lignes, et l'âme, sans cesser d'être active, devient plus attentive aux mouvements du Saint Esprit.

Conclusion : Efficacité de la prière pour la purification de l’âme

703. De ce que nous venons de dire il est facile de conclure combien la prière est utile, nécessaire à la purification de l'âme. a) Dans la prière-adoration, on rend à Dieu les devoirs qui lui sont dus, on admire, on loue, on bénit ses infinies perfections, sa sainteté, sa justice, sa bonté, sa miséricorde ; alors Dieu s'incline vers nous avec amour pour nous pardonner, nous faire concevoir une profonde horreur pour le péché qui l'offense, et nous prémunir ainsi contre de nouvelles fautes. b) Dans la prière-méditation, nous acquérons, sous l'influence de la lumière divine et de nos propres réflexions, des convictions profondes sur la malice du péché, ses redoutables effets en cette vie et en l'autre, sur les moyens de le réparer et de l'éviter : alors notre âme se remplit de sentiments de confusion, d'humiliation, de haine du péché, de bon propos pour l'éviter, d'amour de Dieu : par là même nos fautes passées sont expiées de plus en plus dans les larmes de la pénitence et dans le sang de Jésus ; notre volonté s'affermit contre les moindres capitulations, et embrasse avec générosité la pratique de la pénitence et du renoncement. c) La prière-demande, appuyée sur les mérites de Notre Seigneur, nous obtient des grâces abondantes d'humilité, de pénitence, de confiance et d'amour, qui achèvent la purification de notre âme, la fortifient contre les tentations de l'avenir, et l'affermissent, dans la vertu, surtout dans les vertus de pénitence et de mortification, qui complètent les heureux effets de la prière.
704. Avis aux directeurs. On ne saurait donc trop recommander la méditation à tous ceux qui veulent progresser, et le directeur doit leur en enseigner la pratique le plus tôt possible, se faire rendre compte des difficultés qu'ils y trouvent, les aider à les surmonter, leur montrer comment ils peuvent perfectionner leur méthode, et surtout comment ils peuvent s'en servir pour se corriger de leurs défauts, pratiquer les vertus contraires, et acquérir peu à peu l'esprit de prière, qui, avec la pénitence, transformera leur âme.

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