PREMIERE PARTIE
Les Principes
CHAPITRE V
Des moyens généraux de perfection
(suite)
3° Le Pater
Noster ou Notre Père
515. Parmi les prières que nous
récitons en particulier ou en public, il n'en est pas de plus belle que celle
que Notre Seigneur lui-même nous a apprise, le Pater. A) Nous y trouvons tout
d'abord un exorde insinuant qui nous met sous le regard de Dieu et stimule notre
confiance : « Pater noster, qui es in cælis ». Le premier pas à faire quand on
prie, c'est de s'approcher de Dieu ; or le mot de Père nous met immédiatement en
présence de Celui qui est le Père par excellence, le Père du Verbe par
génération, notre père par adoption : c'est donc le Dieu de la Trinité qui nous
apparaît, nous enveloppant de ce même amour dont il enveloppe son Fils ; et,
comme ce Père est dans les cieux, c'est-à-dire tout-puissant et la source de
toutes les grâces, nous nous sentons portés à l'invoquer avec une confiance
filiale absolue, puisque nous sommes de la famille de Dieu, tous frères, puisque
tous enfants de Dieu : Pater noster.
516. B) Vient ensuite l'objet de la prière : nous demandons tout ce que nous
pouvons désirer et dans l'ordre où nous devons le désirer : a) avant tout, la
fin principale, la gloire de Dieu : « Que votre nom soit sanctifié »,
c'est-à-dire reconnu, proclamé saint ; b) puis la fin secondaire,
l'accroissement du règne de Dieu en nous qui prépare notre entrée dans le
royaume du ciel, « que votre règne arrive » ; c) le moyen essentiel pour obtenir
cette double fin, qui est la conformité à la volonté divine : « que votre
volonté soit faite sur la terre comme au ciel ». Viennent ensuite les moyens
secondaires, qui forment la seconde partie du Pater ; d) le moyen positif, le
pain de chaque jour, pain du corps et pain de l'âme, qui l'un et l'autre nous
sont nécessaires pour subsister et progresser ; e) enfin les moyens négatifs,
qui comprennent : 1) la rémission du péché, le seul mal véritable, péché qui
nous est pardonné dans la mesure où nous pardonnons nous-mêmes : «
pardonnez-nous nos péchés comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés » ;
2) l'éloignement des épreuves et tentations où nous pourrions succomber ; 3) et
enfin l'éloignement des maux physiques, des misères de la vie, en tant qu’elles
sont un obstacle à notre sanctification : « mais délivrez-nous du mal. Ainsi
soit-il ! ».
Prière sublime, puisque tout s'y rapporte à la gloire de Dieu, et cependant
simple et à la portée de tous, puisque, tout en glorifiant Dieu, nous demandons
tout ce qu'il y a de plus utile pour nous. Aussi les Pères et les Saints se sont
plu à la commenter, et le Catéchisme du Concile de Trente en donne une longue et
très solide explication.
II. Efficacité de la prière comme
moyen de perfection
517. La prière a tant d'efficacité
pour nous sanctifier que les Saints ont répété à l'envi cet adage : « Celui-là
sait bien vivre qui sait bien prier : Ille recte novit vivere qui recte novit
orare ». Elle produit en effet trois effets merveilleux : 1) elle nous détache
des créatures ; 2) elle nous unit totalement à Dieu ; 3) elle nous transforme
progressivement en lui.
518. 1° Elle nous détache des créatures en tant qu'elles sont un obstacle à
notre union avec Dieu. C'est ce qui découle de sa notion ; pour nous élever vers
Dieu, il faut tout d'abord nous dégager de l'étreinte des créatures. Attirés par
elles, par les plaisirs séduisants qu'elles nous offrent, dominés aussi par
l'égoïsme, nous ne pouvons échapper à cette double emprise qu'en brisant les
liens qui nous attachent à la terre. Or rien ne produit mieux cet heureux
résultat que l'élévation de l'âme vers Dieu par la prière : pour penser à lui et
à sa gloire, pour l'aimer, nous sommes obligés de sortir de nous-mêmes et
d'oublier les créatures et leurs perfides attraits. Et quand une fois nous
sommes près de lui, unis à lui par une intime conversation, ses infinies
perfections, ses amabilités, et la vue des biens célestes achèvent de détacher
notre âme. Nous haïssons de plus en plus le péché mortel, qui nous détournerait
complètement de Dieu ; le péché véniel, qui nous retarderait dans notre
ascension vers lui, et même peu à peu les imperfections volontaires qui
diminuent notre intimité avec lui. Nous apprenons aussi à combattre plus
vigoureusement les inclinations déréglées qui subsistent au fond de notre
nature, parce que nous comprenons mieux qu'elles tendent à nous éloigner de
Dieu.
519. 2° Ainsi se perfectionne notre union à Dieu, qui devient chaque jour plus
totale et plus parfaite.
A) Plus totale : la prière saisit en effet, pour les unir à Dieu, toutes nos
facultés , a) la partie supérieure de l'âme, l'intelligence en l'absorbant dans
la pensée des choses divines ; la volonté en l'orientant vers la gloire de Dieu
et les intérêts des âmes ; le cœur, en lui permettant de s'épancher dans un cœur
toujours ouvert, toujours aimant et compatissant, et de produire des affections
qui ne peuvent être que sanctifiantes ; b) les facultés sensibles, en nous
aidant à fixer sur Dieu et Notre-Seigneur notre imagination, notre mémoire, nos
émotions et nos passions en ce qu'elles ont de bon ; c) le corps lui-même, en
nous aidant à mortifier les sens extérieurs, sources de tant de divagations, et
à régler notre attitude selon les règles de la modestie.
B) Plus parfaite : la prière, telle que nous l'avons expliquée, produit en effet
dans l'âme des actes de religion, inspirés par la foi, soutenus par l'espérance
et vivifiés par la charité. Or qu'y a t-il de plus noble et de plus sanctifiant
que ces actes des vertus théologales ? Il faut y joindre aussi les actes
d'humilité, d'obéissance, de force, de constance que suppose la prière ; et par
là il est facile de voir que c'est d'une façon très parfaite que notre âme
s'unit à Dieu par ce saint exercice.
520. 3° Il n'est donc pas étonnant que par là elle se transforme progressivement
en Dieu. La prière nous fait communier pour ainsi dire avec lui : pendant que
nous lui offrons humblement nos hommages et nos demandes, il s'incline vers nous
et nous communique ses grâces qui produisent cette heureuse transformation.
A) Le seul fait de considérer ses divines perfections, de les admirer, d'y
prendre une légitime complaisance, les attire déjà en nous par le désir qu'il
fait naître d'y avoir quelque part : peu à peu notre âme, plongée dans cette
affectueuse contemplation, se sent comme tout imprégnée et pénétrée de cette
simplicité, de cette bonté, de cette sainteté, de cette sérénité qui ne demande
qu'à se communiquer à nous.
521. B) Alors Dieu s'incline vers nous pour exaucer nos prières et nous accorder
des grâces abondantes : plus nous lui rendons nos devoirs, et plus il s'occupe
de sanctifier une âme qui travaille à sa gloire. Nous pouvons demander beaucoup,
pourvu que nous le fassions avec humilité et confiance ; il ne peut rien refuser
aux âmes humbles qui se préoccupent plus de ses intérêts que des leurs : il les
éclaire de sa lumière pour leur montrer le vide, le néant des choses humaines ;
il les attire à lui, en se dévoilant à leurs regards comme le Bien suprême,
source de tous les biens ; il donne à leur volonté la force et la constance dont
elle a besoin pour ne vouloir et n'aimer que ce qui est digne de l'être. Et nous
ne pouvons mieux conclure qu'avec S. François de Sales : « Par icelle
(l'oraison) nous parlons à Dieu et Dieu réciproquement parle à nous, nous
aspirons à luy et respirons en luy, et mutuellement il inspire en nous et
respire sur nous » (Amour de Dieu, l. IV, chap. 1). Heureux échange qui sera
tout entier à notre avantage, puisqu'il ne tend à rien moins qu'à nous
transformer en Dieu, en nous faisant participer à ses pensées et ses perfections
! Voyons donc comment toutes nos actions peuvent être transformées en prière.
III. Comment transformer nos
actions en prière
522. La prière étant un moyen de
perfection si efficace, nous devons prier souvent, avec instance, nous dit Notre
Seigneur , « Oportet semper orare et non deficere » (Luc, XVIII, 1) ; ce que
confirme S. Paul par ses conseils comme par ses exemples : « Sine intermissione
orate... Memoriam vestri facientes in orationibus nostris sine intermissione »
(I Thess., V, 17 ; I, 2). Mais comment prier sans cesse tout en vaquant à ses
devoirs d'état ? N'y a t-il pas là une impossibilité ? Nous verrons qu'il n'en
est rien, quand on sait bien ordonner sa vie. Pour y réussir, il faut : 1°
pratiquer un certain nombre d'exercices spirituels en rapport avec ses devoirs
d'état ; 2° transformer en prières les actions communes.
523. 1° Des exercices de piété. Pour alimenter la vie de prière, il faut d'abord
faire certains exercices spirituels, dont le nombre et la longueur varient avec
les devoirs d'état. Ici nous parlerons des exercices qui conviennent aux prêtres
et aux religieux, laissant aux directeurs le soin d'adapter ce programme aux
fidèles.
Trois catégories d'exercices façonnent l'âme sacerdotale à la prière : l'oraison
du matin, avec la sainte messe, nous trace l'idéal à poursuivre et nous aide à
le réaliser ; l'office divin, les pieuses lectures et les dévotions essentielles
entretiennent l'âme dans l'habitude de la prière ; les examens du soir nous
feront constater et réparer nos manquements.
524. A) Les exercices du matin sont quelque chose de sacré, dont on ne peut se
dispenser, quand on est prêtre ou religieux, sans abdiquer le soin de sa
perfection. a) C'est avant tout l'oraison, affectueux entretien avec Dieu pour
nous rappeler l'idéal que nous devons sans cesse avoir devant les yeux, et vers
lequel nous devons tendre énergiquement. Cet idéal n'est autre que celui que
nous a tracé le divin Maître : « Estote ergo vos perfecti sicut et Pater vester
cælestis perfectus est » (Matth., V, 48). Nous devons donc nous mettre en face
de Dieu, source et modèle de toute perfection, et, pour concrétiser, en face de
N. S.Jésus-Christ qui a réalisé sur terre cette idéale perfection, et, nous a
mérité la grâce d’imiter ses vertus. Après lui avoir rendu nos hommages, nous
l'attirons en nous, en communiant à ses pensées par des convictions profondes
sur la vertu spéciale que nous voulons pratiquer, et par d'ardentes prières, qui
nous obtiennent la grâce de pratiquer cette vertu ; et humblement, mais
vigoureusement, nous coopérons à cette grâce en prenant une résolution généreuse
sur cette vertu que nous nous efforcerons de mettre en pratique tout le long du
jour. b) La sainte messe nous confirme dans cette disposition en nous mettant
devant les yeux, dans les mains, à notre disposition, la victime sainte que nous
devons imiter ; et la communion fait passer dans notre âme ses pensées, ses
sentiments, ses dispositions intérieures, ses grâces, et son divin esprit qui
demeurera avec nous pendant toute la journée. Nous sommes donc prêts pour
l'action, cette action qui, vivifiée par son influence, ne sera qu'une prière
continuée.
525. B) Mais, pour qu'il en soit ainsi, il faut de temps en temps des exercices
qui renouvellent et stimulent notre union à Dieu. a) Ce sera avant tout la
récitation de l'office divin, que S. Benoît appelle si bien l'opus divinum, et
où, en union avec le grand Religieux du Père, nous le glorifierons, et
demanderons des grâces pour nous et toute l'Eglise ; c'est, après la sainte
messe, l'acte le plus important de toute la journée. b) Puis ce seront de
pieuses lectures, lectures d'Ecriture Sainte, lectures des ouvrages et des vies
des saints qui nous mettront de nouveau en rapports intimes avec Dieu et ses
saints. c) Viendront enfin les dévotions essentielles qui doivent nourrir notre
piété, la visite au Saint Sacrement, qui n'est au fond qu'un tête-à-tête avec
Jésus, et la récitation du chapelet, qui nous permet de nous entretenir avec
Marie et de repasser dans notre cœur ses mystères et ses vertus.
526. C) Quand viendra le soir,
l'examen général et particulier, que nous transformerons en une sorte d'humble
et sincère confession au Souverain Prêtre, nous montrera comment dans la journée
nous avons réalisé l'idéal conçu le matin. Hélas ! il y aura toujours une
certaine différence entre nos résolutions et leur réalisation ; mais, sans nous
décourager, nous nous remettrons courageusement à l'œuvre ; et c'est dans un
sentiment de confiance et d'abandon que nous prendrons un peu de repos pour
mieux travailler le lendemain.
La confession chaque semaine ou, au plus tard, chaque quinzaine, et la retraite
du mois, en nous faisant jeter un coup d'œil synthétique sur une portion plus
étendue de notre vie, achèveront ce contrôle et seront l'occasion d'un
renouvellement spirituel.
527. 2° Tel est l'ensemble des exercices spirituels qui nous empêcheront de
perdre de vue pendant un temps notable la présence de Dieu. Mais que faire pour
combler le vide entre ces divers exercices et transformer en prières toutes nos
actions ? S. Augustin et S. Thomas nous donnent le principe de solution. Le
premier, nous dit de faire de notre vie, de nos actions, de notre négoce, de nos
repas, de notre sommeil lui-même une hymne de louange à la gloire de Dieu. Le
second condense ainsi la pensée du premier : « Tamdiu homo orat, quamdiu totam
vitam suam in Deum ordinat » (Comment. in Rom., c. I, lect. 5)
C'est la charité qui oriente toute notre vie vers Dieu. Le moyen pratique pour
faire ainsi toutes nos actions, c'est de les offrir, avant de les commencer, à
la T. Ste Trinité, en union avec Jésus vivant en nous, et selon ses intentions
(n° 248).
528. Combien il importe de faire nos actions en union avec Jésus, c'est ce
qu'explique fort bien M. Olier; il montre d'abord comment il est en nous pour
nous sanctifier : « Il n'habite pas seulement en nous comme Verbe, par son
immensité... mais il habite aussi en nous comme Christ, par sa grâce, pour nous
rendre participants de son onction et de sa vie divine... Jésus-Christ est en
nous pour nous sanctifier, et en nous-mêmes, et en nos œuvres, et pour remplir
de lui toutes nos facultés : il veut être la lumière de nos esprits, l'amour et
la ferveur de nos cœurs, la force et la vertu de toutes nos puissances, afin
qu'en lui nous puissions connaître, aimer et accomplir les volontés de Dieu son
Père, soit pour agir en son honneur, soit pour souffrir et endurer toutes choses
à sa gloire » (Catéch. Chrét., IIe P., leç. V). Il explique ensuite comment les
actions que nous faisons en nous-mêmes et pour nous-mêmes sont défectueuses : «
nos intentions et nos pensées tendent au péché par la corruption de notre nature
; et si nous venons à agir en nous-mêmes et à suivre la pente de nos sentiments,
nous opérerons en péché » (Catéch., leç. VI). La conclusion, c'est donc qu'il
faut renoncer à ses propres intentions pour s'unir à celles de Jésus : « Vous
voyez par là combien il faut être soigneux, au commencement de vos œuvres, de
renoncer à tous vos sentiments, à tous vos désirs, à toutes vos propres pensées,
à toutes vos volontés, pour entrer, selon S. Paul, dans les sentiments et les
intentions de Jésus-Christ (Philip., II, 5).
Quand les actions sont longues, il est utile de renouveler cette offrande par un
regard affectueux sur son crucifix, et, mieux encore, sur Jésus vivant en nous ;
et de laisser aller son âme en de fréquentes oraisons jaculatoires qui élèveront
notre cœur vers Dieu.
Ainsi nos actions, même les plus communes, seront une prière, une ascension de
l'âme vers Dieu, et nous réaliserons le désir que Jésus a exprimé : « oportet
semper orare et non deficere » (Luc, XVIII, 1).
529. Voilà donc les quatre moyens intérieurs de perfection, qui tous tendent à
la fois à glorifier Dieu et à perfectionner notre âme. Le désir de la
perfection, c'est en effet un premier élan vers Dieu, un premier pas vers la
sainteté ; la connaissance de Dieu, c'est Dieu attiré en nous et nous aidant à
nous donner à lui par l'amour ; la connaissance de soi nous montre mieux le
besoin que nous avons de Dieu, et stimule notre désir de le recevoir pour
combler le vide qui est en nous ; la conformité à sa volonté nous transforme en
lui ; la prière nous élève à lui, en même temps qu'elle attire en nous ses
perfections, et nous y fait participer pour nous rendre plus semblables à lui ;
tout donc nous porte à Dieu, parce que tout vient de lui.
Nous allons voir maintenant comment les moyens extérieurs tendent au même but.
ART. II. LES MOYENS EXTÉRIEURS DE
PERFECTION
530. Ces moyens peuvent se ramener
à quatre principaux : la direction, qui nous donne un guide sûr ; le règlement
de vie, qui continue et complète son action ; les lectures et exhortations
spirituelles, qui nous tracent un idéal à réaliser ; et la sanctification des
relations sociales, qui nous permet de surnaturaliser tous nos rapports avec le
prochain.
§ 1. De la direction spirituelle
Nous essaierons de mettre en
lumière deux choses : 1° la nécessité morale de la direction ; 2° les moyens
d'en assurer le succès.
I. Nécessité morale de la direction
La direction, sans être absolument
nécessaire à la sanctification des âmes, est pour elles le moyen normal du
progrès spirituel. C'est ce que montrent à la fois l'autorité et la raison basée
sur l'expérience
1° Preuve d’autorité
531. A) Dieu, ayant constitué l'Eglise comme une société hiérarchique, a voulu
que les âmes fussent sanctifiées par la soumission au Pape et aux Evêques pour
le for externe, aux confesseurs pour le for interne. Aussi, quand Saul se
convertit, Jésus, au lieu de lui révéler lui-même ses desseins, l'envoie à
Ananie pour apprendre de sa bouche ce qu'il doit faire. C'est en s'appuyant sur
ce fait que Cassien, S. Francois de Sales et Léon XIII montrent la nécessité de
la direction : « Nous trouvons, dit celui-ci, aux origines mêmes de l'Eglise
une manifestation célèbre de cette loi : bien que Saul, respirant la menace et
le carnage, eût entendu la voix du Christ lui-même, et lui eût demandé :
Seigneur, que voulez-vous que je fasse ? c'est à Damas, vers Ananie qu'il fut
envoyé : Entre dans la ville, et là on te dira ce que tu dois faire ». Et il
ajoute : « C'est ce que l'on a constamment pratiqué dans l'Eglise ; c'est la
doctrine qu'ont professée unanimement tous ceux qui, dans le cours des siècles,
ont brillé par leur science et leur sainteté » (Epist. Testem benevolentiæ, 22
jan. 1899).
532. B) Ne pouvant citer toutes les autorités traditionnelles, nous allons
passer en revue quelques témoins qu'on peut considérer comme les représentants
authentiques de la théologie ascétique. Cassien, qui avait passé de longues
années au milieu des moines de Palestine, de Syrie et d'Egypte, a consigné leur
doctrine et la sienne dans deux ouvrages. Or, dans le premier, le livre des
Institutions, il presse vivement les jeunes cénobites d'ouvrir leur cœur au
vieillard chargé de leur conduite, de lui manifester sans fausse honte leurs
pensées les plus secrètes, et de s'en remettre complètement à sa décision pour
le discernement de ce qui est bon et de ce qui est mauvais. Il revient sur ce
point dans ses Conférences, et après avoir exposé les dangers auxquels
s'exposent ceux qui ne consultent pas les anciens, il conclut que le meilleur
moyen de triompher des tentations les plus dangereuses, c'est de les manifester
à un sage conseiller, ce qu'il appuie sur l'autorité de Saint Antoine et de
l'abbé Sérapion.
Ce que Cassien enseigne aux moines d'Occident, S. Jean Climaque l'inculque aux
moines d'Orient, dans l'Echelle du Paradis. Aux débutants, il fait remarquer que
ceux qui veulent sortir d'Egypte et dompter leurs passions déréglées, ont besoin
d'un Moïse qui leur serve de guide. Aux âmes qui progressent il déclare que,
pour suivre Jésus-Christ et jouir de la sainte liberté des enfants de Dieu, il
faut confier avec humilité le soin de son âme à un homme qui soit le
représentant du divin Maître, et le bien choisir, parce qu'il faudra lui obéir
avec simplicité, malgré les petits défauts qu'on remarquerait en lui, la seule
chose à redouter étant de suivre son propre jugement.
533. Pour le Moyen-Age, deux autorités nous suffiront. Saint Bernard veut que
les novices dans la vie religieuse aient un guide, un père nourricier qui les
instruise, les conduise, les console et les encourage. Aux personnes plus
avancées, par exemple, au chanoine régulier Ogier, il déclare que celui qui se
constitue son propre maître ou directeur, se fait le disciple d'un sot ; et il
ajoute : « j'ignore ce que les autres pensent d'eux-mêmes à ce sujet ; pour moi,
je parle d'expérience, et je déclare qu'il m'est plus facile et plus sûr de
commander à beaucoup d'autres que de me conduire moi seul » (Epist. LXXXVII, 7).
Au XIVe siècle, Saint Vincent Ferrier, l'éloquent prédicateur dominicain, après
avoir affirmé que la direction a toujours été pratiquée par les âmes qui veulent
progresser, en donne cette raison : celui qui a un directeur auquel il obéit
sans réserve et en toutes choses, parviendra bien plus facilement et plus vite
qu'il ne pourrait le faire tout seul, même avec une intelligence très vive et
des livres savants en matière spirituelle.
534. Ce n'était pas seulement dans les communautés, mais aussi dans le monde
qu'on sentait le besoin d'un guide spirituel : les lettrés de Saint Jérôme, de
Saint Augustin et de plusieurs autres Pères à des veuves, à des vierges, à des
séculiers, suffisent à le prouver. C'est donc avec raison que S. Alphonse, en
expliquant les devoirs du confesseur, déclare que l'un des principaux est de
diriger les âmes pieuses.
Du reste la raison elle-même, éclairée par la foi et l'expérience, nous montre
la nécessité d'un directeur pour progresser dans la perfection.
2° Preuve de raison basée sur la
nature du progrès spirituel
535. A) Le progrès spirituel est une longue et pénible ascension le long d'un
sentier escarpé, bordé de précipices. S'y aventurer sans un guide expérimenté
serait une grave imprudence. Il est si facile en effet de se faire illusion sur
son propre état ! Nous ne pouvons être parfaitement clairvoyants sur nous-mêmes,
dit Saint François de Sales, nous ne pouvons pas être des juges impartiaux dans
notre propre cause, en raison d'une certaine complaisance « si secrette et
imperceptible que si on n'a bonne vue on ne la peut pas découvrir, et ceux mêmes
qui en sont atteints ne la connaissent pas si on ne la leur monstre » (Vie
dévote, IIIe Part. ch. 28). D'où il conclut que nous avons besoin d'un médecin
spirituel pour porter un diagnostic impartial sur notre état d'âme et prescrire
les remèdes les plus efficaces.
536. B) Pour mieux comprendre cette nécessité, il suffit d'exposer brièvement
les écueils principaux qu'on rencontre dans chacune des trois voies qui
conduisent à la perfection.
Les débutants ont à craindre les
rechutes, et, pour les éviter, doivent faire une longue et laborieuse pénitence,
proportionnée au nombre et à la gravité de leurs fautes. Or les uns, oubliant
vite le passé, veulent entrer immédiatement dans la voie d'amour, et cette
présomption est bientôt suivie du retrait des consolations sensibles, de
découragement et de nouvelles chutes ; les autres se livrent avec excès aux
mortifications extérieures, y prennent une vaine complaisance, compromettent
leur santé, et, en voulant se soigner, tombent dans le relâchement. Il importe
donc qu'un directeur expérimenté maintienne les uns dans l'esprit et la pratique
de la pénitence, et calme l'ardeur intempestive des autres.
Un autre écueil, c'est la sécheresse spirituelle succédant aux consolations
sensibles : on craint d'être abandonné de Dieu, on omet des exercices de piété
qui semblent stériles, et on tombe dans la tiédeur. Qui donc fera éviter ce
péril sinon un sage directeur, qui, au temps des consolations annoncera qu'elles
ne dureront pas toujours, et, au moment où viendra la sécheresse, consolera,
rassurera et fortifiera ces âmes, en leur montrant qu'il n'est rien de meilleur
pour nous affermir dans la vertu et purifier notre amour ?
537. b) Quand on entre dans la voie illuminative, ne faut-il pas encore un guide
pour discerner les vertus principales qui conviennent à telle ou telle personne,
les moyens de s'y exercer, la méthode à suivre pour s'examiner avec fruit sur
ses progrès et ses défaillances ? Et, lorsque se manifeste ce sentiment de
lassitude qu'on éprouve un jour ou l'autre en découvrant que la voie de la
perfection est plus longue et plus pénible qu'on ne l'imaginait, qui empêchera
cette impression de dégénérer en tiédeur sinon l'affection paternelle d'un
directeur qui saura deviner l'obstacle, prévenir le découragement, consoler le
pénitent, le stimuler à de nouveaux efforts, et faire entrevoir les fruits de
cette épreuve, vaillamment supportée ?
538. c) Plus nécessaire encore est la direction dans la voie unitive. Pour y
entrer, il faut cultiver les dons du Saint Esprit par une docilité généreuse et
constante aux inspirations de la grâce. Or, pour discerner les inspirations
divines de celles qui viennent de la nature ou du démon, on a souvent besoin des
avis d'un conseiller sage et désintéressé. C'est encore plus indispensable quand
on subit les premières épreuves passives, quand les sécheresses, les ennuis, les
craintes de la justice divine, les tentations obsédantes, l'impossibilité de
méditer d'une façon discursive, et les contradictions du dehors, viennent fondre
sur une pauvre âme et la jeter dans un trouble profond ; il est évident qu'un
guide s'impose pour prendre à la remorque ce navire désemparé. Il en est de même
lorsqu'on jouit des douceurs de la contemplation : cet état suppose tant de
discrétion, d'humilité, de docilité, et surtout tant de prudence pour savoir
harmoniser la passivité avec l'activité qu'il est moralement impossible de ne
pas s'égarer sans les conseils d'un guide très averti. Voilà pourquoi Sainte
Thérèse ouvrait son âme avec tant de simplicité à ses directeurs, voilà pourquoi
Saint Jean de la Croix revient souvent sur la nécessité de tout découvrir au
directeur : « Dieu, dit-il, aime tellement que l'homme se soumette à la
direction d'un autre homme qu'il ne veut absolument pas nous voir donner pleine
créance aux vérités surnaturelles qu'il communique lui-même, avant qu'elles
aient passé par le canal d'une bouche humaine » (Sentences et avis spirituels,
n°229, p. 372).
539. Pour tout résumer, nous ne pouvons mieux faire que de citer les paroles du
P. Godinez : « Sur mille personnes que Dieu appelle à la perfection, dix à peine
correspondent, et sur cent que Dieu appelle à la contemplation, quatre vingt
dix-neuf manquent à l'appel... Il faut reconnaître que l'une des principales
causes est le manque de maîtres spirituels... Ils sont, après la grâce de Dieu,
les pilotes qui guident les âmes par cette mer inconnue de la vie spirituelle.
Et si nulle science, nul art, si simple soit-il, ne se peut bien apprendre sans
un maître qui l'enseigne, beaucoup moins pourra-t-on apprendre cette haute
sagesse de la perfection évangélique où se rencontrent des mystères si
profonds... C'est pourquoi je tiens pour chose moralement impossible que, sans
miracle ou sans maître, une âme puisse pendant de longues années traverser ce
qu'il y a de plus élevé et de plus ardu dans la vie spirituelle sans courir le
risque de se perdre ».
540. On peut donc dire que la voie normale pour progresser dans la vie
spirituelle est de suivre les conseils d'un sage directeur. En fait la plupart
des âmes ferventes le comprennent et pratiquent la direction au saint tribunal
de la pénitence. Quand, dans ces dernières années, on a voulu former une élite,
on n'a pas trouvé de meilleur moyen que la direction pratiquée d'une façon
intense soit dans les patronages, ou les colonies de vacances, soit surtout dans
les retraites fermées. Rien donc de plus efficace pour sanctifier les âmes,
pourvu qu'on y observe les règles que nous allons rappeler.
II. Règles pour assurer le succès
de la direction
Pour que la direction soit
profitable, il faut : 1° en bien préciser l'objet ; 2° assurer la collaboration
du directeur et du dirigé.
1° Objet de la direction
541. A) Principe général. L'objet de la direction, c'est tout ce qui intéresse
la formation spirituelle des âmes. La confession se borne à l'accusation des
fautes ; la direction va beaucoup plus loin. Elle remonte aux causes de nos
péchés, aux inclinations profondes, au tempérament, au caractère, aux habitudes
contractées, aux tentations, aux imprudences ; et cela, afin de pouvoir
découvrir les vrais remèdes, ceux qui s'attaquent à la racine même du mal. Pour
mieux combattre les défauts, elle s'occupe des vertus qui leur sont opposées,
vertus communes à tous les chrétiens et vertus spéciales à chaque catégorie de
personnes ; des moyens pour les mieux pratiquer, des exercices spirituels qui,
comme l'oraison, l'examen particulier, la dévotion au Saint Sacrement, au
Sacré-Coeur, à la Sainte Vierge, nous donnent des armes spirituelles pour
avancer dans la pratique des vertus. Elle traite de la vocation, et, quand cette
question est réglée, des devoirs particuliers de chaque état. On voit donc que
son objet est très étendu.
542. B) Applications. a) Pour bien conduire une âme, le directeur doit connaître
ce qu'il y a de principal dans sa vie passée, ses fautes les plus habituelles,
les efforts déjà tentés pour s'en corriger, les résultats obtenus, afin de bien
voir ce qui reste à faire ; puis les dispositions présentes, les attraits, les
répugnances, le genre de vie qu'on mène, les tentations qu'on éprouve et la
tactique qu'on emploie pour les vaincre, les vertus dont on sent davantage le
besoin et les moyens employés pour les acquérir, le tout en vue de donner des
conseils plus précis. b) C'est alors qu'on peut plus facilement dresser un
programme de direction, programme souple qui s'adapte à l'état actuel du
pénitent pour le rendre meilleur. On ne peut en effet conduire toutes les âmes
de la même façon ; il faut les prendre au degré où elles sont, pour les aider à
monter graduellement, sans brûler trop d'étapes, le sentier escarpé de la
perfection. De plus, les unes sont plus ardentes et généreuses et les autres
plus calmes et plus lentes ; toutes ne sont pas non plus appelées au même degré
de perfection.
543. Cependant, il y a un ordre progressif à suivre et qui permet d'avoir une
certaine unité de direction. Donnons quelques exemples.
1) Dès le début il importe d’apprendre aux âmes à bien sanctifier toutes leurs
actions ordinaires, en les offrant à Dieu, en union avec Notre Seigneur (n°
248). C'est une pratique à garder toute sa vie, et sur laquelle il faut revenir
assez souvent en la rattachant à l'esprit de foi si nécessaire en ce temps de
naturalisme.
2) La purification de l'âme par la
pratique de la pénitence et de la mortification ne doit jamais cesser
complètement, et il y faut souvent ramener les dirigés, en tenant compte de leur
état d'âme pour varier les pratiques de ces vertus.
3) L'humilité étant une vertu fondamentale, doit être inculquée presque dès le
début et souvent rappelée à toutes les étapes de la vie spirituelle.
4) La charité à l'égard du prochain étant fréquemment violée, même par les
personnes dévotes, on y insistera beaucoup dans les examens de conscience et les
confessions.
5) L'union habituelle avec Notre Seigneur, modèle et collaborateur, étant un des
moyens de sanctification les plus efficaces, on ne doit pas craindre d’y revenir
souvent.
6) La force de caractère, basée sur des convictions profondes, étant
particulièrement nécessaire à notre époque, il faut la cultiver avec soin, et y
joindre l'honnêteté et la loyauté qui en sont inséparables.
> 7) L'apostolat s'impose plus particulièrement dans un siècle de prosélytisme
comme le nôtre, et le directeur doit viser à former des élites qui puissent
aider le prêtre dans les mille détails nécessaires à l'évangélisation des âmes.
Pour le reste, il n'y aura qu'à tenir compte de ce que nous dirons dans
l'explication des trois voies.
2° Devoirs du directeur et du
dirigé
La direction n'aboutira à des résultats sérieux que si le directeur et. le
dirigé collaborent ensemble à cette œuvre commune avec bonne volonté.
1) Les devoirs du directeur
544. S. François de Sales déclare que le directeur doit posséder trois qualités
principales : « il le faut plein de charité, de science et de prudence : si
l'une de ces trois parties lui manque, il y a du danger » (Introduction à la vie
dévote, p. 1, ch., IV).
A) La charité qui lui est nécessaire, c'est une affection surnaturelle et
paternelle, qui lui fait voir dans ses dirigés des fils spirituels qui lui sont
confiés par Dieu lui-même, pour qu'il fasse grandir en eux Jésus-Christ et ses
vertus : « Filioli mei quos iterum parturio donec formetur Chtisius in vobis »
(Gal., IV, 19).
a) Aussi il les enveloppe tous de la même sollicitude et du même dévouement, se
faisant tout à tous pour les sanctifier tous, dépensant son temps, ses soins, et
se dépensant lui-même pour former en eux les vertus chrétiennes. Sans doute,
malgré tous ses efforts, il se sentira parfois plus attiré vers les uns que vers
les autres ; mais par la volonté il réagira contre ses sympathies ou ses
antipathies naturelles ; et il évitera avec le plus grand soin ces affections
sensibles qui tendraient à créer des attaches, innocentes au début, puis
absorbantes, dangereuses pour sa réputation comme pour sa vertu. Désirer
s'attacher des cœurs faits pour aimer Dieu, est une sorte de trahison, dit avec
raison M. Olier : « Notre Seigneur les ayant choisis (il s'agit des directeurs
d'âmes) pour aller conquérir des royaumes, c'est-à-dire les cœurs des hommes qui
lui appartiennent, qu'il a acquis par l'effusion de son sang, et dans lesquels
il veut établir son empire ; au lieu de lui donner ces cœurs comme à leur
légitime souverain, ils les prennent pour eux, ils s'en rendent les maîtres et
les propriétaires... Oh ! quelle ingratitude, quelle infidélité, quel outrage,
quelle perfidie ! » (L’esprit d’un directeur des âmes, p. 60-61). Ce serait
aussi mettre un obstacle presque insurmontable au progrès spirituel de ses
dirigés comme à son propre avancement, Dieu ne voulant pas d'un cœur partagé.
545. b) Cette bonté ne sera pas non plus de la faiblesse, mais accompagnée de
fermeté et de franchise, le directeur aura le courage de faire des monitions
paternelles, de signaler et de combattre les défauts de ses pénitents, de ne
point se laisser diriger par eux. Il est des personnes très habiles, très
doucereuses, qui veulent bien un directeur, mais à la condition que celui-ci
s'accommode à leurs goûts et à leurs fantaisies ; ce qu'elles cherchent, c'est
moins une direction qu'une approbation de leur conduite. Pour se tenir en garde
contre un abus de ce genre, qui pourrait engager sa conscience, le directeur ne
se laissera pas envelopper par les manœuvres de ces pénitents ou de ces
pénitentes ; mais, se souvenant qu'il représente Jésus-Christ lui-même, il
donnera une décision ferme en conformité avec les règles de la perfection et non
avec les désirs de ses dirigés.
546. c) C'est surtout dans la direction des femmes qu’il faut user de réserve et
de fermeté. Un homme de grande expérience, le P. Desurmont, écrit à ce sujet : «
Pas de paroles affectueuses, pas d'appellations tendres, pas de tête-à-tête non
indispensable, rien d'expressif ni dans le regard ni dans le geste, pas l'ombre
même de la familiarité ; en fait de conversation, pas plus que le nécessaire ;
en fait de rapports autres que les relations de pure conscience, seulement ceux
qui ont une sérieuse utilité ; autant que possible, pas de direction hors du
confessionnal et pas de commerce épistolaire » (La charité sacerdotale, t. II, §
196). Aussi tout en montrant l'intérêt qu'on porte à leur âme, il faut cacher
celui qu'on porte à leur personne : « elles doivent ne pas pouvoir même
soupçonner qu'on est occupé ou préoccupé de leur personne. Leur moral est ainsi
fait que, si elles peuvent penser ou sentir qu'il y a estime particulière ou
affection, presque irrésistiblement elles versent dans le naturel, soit par
vanité, soit par attache ». Et il ajoute : « Généralement, il est bon qu'elles
ignorent presque qu'on les dirige. La femme a le défaut de sa qualité : elle est
instinctivement pieuse, mais instinctivement aussi elle est fière de sa piété.
La toilette de l'âme l'impressionne autant que celle du corps. Savoir qu'on veut
l'orner de vertus est ordinairement un danger pour elle ». On les dirige donc
sans le leur dire et, en leur donnant des conseils de perfection, on le fait
comme s'il s'agissait de choses communes à bien des âmes.
547. B) Au dévouement il joindra la science, c'est-à-dire la connaissance de la
théologie ascétique, si nécessaire au confesseur, comme nous l'avons prouvé, n°
36. Il ne cessera donc de lire et de relire les auteurs spirituels, redressant
ses propres jugements par ceux de ces auteurs, et comparant sa conduite avec
celle des Saints.
548. C) Mais surtout il a besoin de beaucoup de prudence et de sagacité pour
diriger les âmes non pas d'après ses propres idées, mais selon les mouvements de
la grâce, le tempérament et le caractère des pénitents, et leurs attraits
surnaturels.
a) Le P. Libermann faisait remarquer avec raison que le directeur n'est qu'un
instrument au service de l'Esprit Saint (La direction spirituelle, p. 10-22) ;
il doit donc s'appliquer tout d'abord à connaître, par des questions discrètes,
l'action de ce divin Esprit dans une âme : « je regarde comme un point capital
en direction, écrivait-il, de discerner dans chaque âme les dispositions qui s'y
trouvent..., ce que l'état intérieur de cette âme peut porter ; de laisser agir
la grâce avec une grande liberté, de distinguer les faux attraits des vrais, et
d'empêcher les âmes de s'écarter ou d’excéder dans ses attraits ». Dans une
autre lettre il ajoute : « Le directeur, ayant une fois vu et discerné Dieu
agissant dans une âme, n'a d'autre fonction que de guider cette âme, pour
qu'elle suive la grâce et y soit fidèle... jamais il ne doit vouloir inspirer à
une âme ses propres goûts et ses propres attraits, ni la conduire d'après sa
manière d'agir ou sa manière de voir les choses. Un directeur qui agirait ainsi
détournerait souvent les âmes de la conduite de Dieu, et contrarierait souvent
la divine grâce en elles ».
Il ajoutait cependant que ceci s'applique aux âmes qui vont droit dans la
perfection. Pour celles qui sont lâches et tièdes, l'initiative appartient au
directeur, qui, par ses exhortations, ses conseils, ses réprimandes, par toutes
les industries de son zèle, doit s'efforcer de les arracher à leur léthargie
spirituelle.
549. b) La prudence dont il s'agit, est donc une prudence surnaturelle,
fortifiée par le don de conseil qu'un directeur doit sans cesse demander au
Saint Esprit. Il l'invoquera donc en particulier dans les cas difficiles,
récitant en son cœur un Venite Sancte Spiritus avant de donner une décision
importante ; et, après l'avoir consulté, il aura soin d'écouter la réponse
intérieure avec une docilité d'enfant pour la transmettre à son dirigé : « Sicut
audio, judico, et judicium meum justum est » (Joan., V, 30). Alors il sera
vraiment l'instrument du Saint Esprit, instrumentum Deo conjunctum, et son
ministère sera fructueux.
Toutefois cette attention à prendre conseil de Dieu ne l’empêchera pas d'
utiliser tous les moyens que suggère la prudence. Pour bien connaître son
dirigé, il ne se contentera pas de ses affirmations ; il observera sa conduite,
il écoutera ceux qui le connaissent, et, sans souscrire à tous leurs jugements,
et il en tiendra compte selon les règles de la discrétion.
550. C) La prudence le guidera non pas seulement dans les conseils qu'il
donnera, mais aussi dans toutes les circonstances qui se rapportent à la
direction. 1) Ainsi il ne consacrera que le temps nécessaire à cette fonction de
son ministère, si importante soit-elle : pas de longues conversations, pas de
bavardage inutile, pas de questions indiscrètes ; se borner à l'essentiel, à ce
qui est vraiment utile au bien des âmes : un conseil précis, une pratique bien
clairement exposée suffit à occuper une âme pendant une quinzaine ou un mois.
Bien plus, sa direction sera virile, il s'efforcera de conduire ses dirigés de
telle sorte qu'ils puissent, au bout de quelque temps, non pas se suffire
complètement à eux-mêmes, mais du moins se contenter d'une direction plus brève
et résoudre les difficultés ordinaires par le moyen des principes généraux qu'il
leur a inculqués.
2) Si pour les jeunes gens et les hommes on peut faire la direction en tout
lieu, même en se promenant ou dans une cour de récréation, il faut être beaucoup
plus réservé pour les femmes, ne les recevoir communément qu'au confessionnal,
et ne les diriger qu'en confession, brièvement, sans, les laisser entrer dans
des détails inutiles. Nous appartenons à tous, et, comme notre temps est très
limité, il importe de ne pas le gaspiller. Sans doute il faut être patient et
donner à chaque âme tout le temps nécessaire, mais en se souvenant qu'il est
d'autres âmes qui ont besoin de notre ministère.
2) Les devoirs du dirigé
551. Le dirigé verra Notre Seigneur lui-même dans la personne de son directeur :
s'il est vrai en effet que toute autorité vient de Dieu, cela est plus vrai
encore quand il s'agit de l'autorité que le prêtre exerce sur les consciences :
le pouvoir de lier et de délier, d'ouvrir et de fermer les portes du ciel, de
guider les âmes dans les voies de la perfection est le plus divin de tous les
pouvoirs, et ne peut donc exister qu'en celui qui est le représentant attitré,
l'ambassadeur du Christ. De ce principe découlent tous les devoirs à l'égard du
directeur : respect, confiance, docilité.
552. A) Il faut le respecter comme le représentant de Dieu, revêtu de son
autorité en ce qu'elle a de plus intime et de plus honorable. Si donc il a
quelques défauts, on n’y arrête point sa pensée, on ne voit que son autorité et
sa mission. On évitera donc avec soin ces critiques acerbes qui font perdre ou
atténuent le respect filial qu'on doit avoir pour lui. On évitera aussi cette
familiarité excessive qui est difficilement compatible avec le vrai respect. Ce
respect sera tempéré par l'affection, l'affection simple et cordiale, mais
respectueuse, d'un fils pour son père ; affection qui exclut le désir d'être
aimé particulièrement, et les petites jalousies qui parfois en sont la suite. «
Bref, cette amitié doit être forte et douce, toute sainte, toute sacrée, toute
divine et toute spirituelle » (Vie dévote, Part. I, ch. IV).
553. B) Il sera accompagné aussi d'une confiance toute filiale et d'une grande
ouverture de cœur. « Traitez avec luy (le directeur) à cœur ouvert, dit S.
François de Sales, en toute sincérité et fidélité, luy manifestant clairement
vostre bien et vostre mal, sans feintise ni dissimulation : et par ce moyen
vostre bien sera examiné et plus assuré, et vostre mal sera corrigé et
remédié... Ayez en luy une extrême confiance meslée d'une sacrée révérence, en
sorte que la révérence ne diminue point la confiance, et que la confiance
n'empêche point la révérence ». C'est donc avec une confiance entière qu'il faut
lui ouvrir notre cœur, lui confier nos tentations et nos faiblesses pour qu'il
nous aide à les surmonter ou à les guérir, nos désirs et nos résolutions, pour
les soumettre à son approbation, le bien que nous essayons de faire pour qu'il
l'affermisse, nos desseins pour l'avenir afin qu'il les examine et nous suggère
les moyens de les réaliser, en un mot tout ce qui se rapporte au bien de notre
âme. Mieux il nous connaîtra, et plus il sera en mesure de nous donner de sages
conseils, de nous encourager, de nous consoler, de nous fortifier, si bien qu'au
sortir de la direction, nous nous redirons les paroles des disciples d’Emmaüs :
« N'est-il pas vrai que notre cœur était tout brûlant au dedans de nous,
lorsqu'il nous parlait... ? » (Luc, XXIV, 32).
554. Il est des personnes qui voudraient bien avoir cette parfaite ouverture,
mais qui, par une certaine timidité ou réserve, ne savent comment exposer l’état
de leur âme. Qu'elles en disent un mot à leur directeur, et celui-ci les aidera
par quelques questions opportunes, au besoin en leur prêtant un livre pour leur
permettre de se mieux connaître et analyser ; une fois la glace brisée, les
communications deviendront faciles.
D'autres sont exposées au contraire à trop causer, et à transformer la direction
en pieux bavardage ; elles doivent se souvenir que le temps du prêtre est
limité, que d'autres personnes attendent leur tour et pourraient s'impatienter
de ces longueurs. Il faut donc se borner et réserver quelque chose pour la
séance suivante.
555. C) La franchise doit être accompagnée d'une grande docilité à écouter et à
suivre les conseils du directeur. Rien de moins surnaturel que de vouloir le
faire entrer dans nos sentiments et nos idées ; rien aussi de plus nuisible au
bien de l'âme ; car ce n'est pas alors la volonté de Dieu qu'on cherche, mais la
sienne propre, avec cette circonstance aggravante qu'on abuse d'un moyen divin
pour une fin égoïste. Notre unique désir doit être de connaître la volonté
divine par l'intermédiaire de notre directeur, et non de lui extorquer une
approbation par des procédés plus ou moins habiles : on peut tromper son
directeur, on ne trompe pas celui qu'il représente.
Sans doute notre devoir est de lui faire connaître nos goûts et nos répugnances,
et si nous voyons des difficultés, une sorte d'impossibilité à mettre en
pratique tel conseil, nous devons le dire en toute simplicité ; mais, quand nous
l'avons fait, il ne reste plus qu'à se soumettre. Notre directeur peut à la
rigueur se tromper ; nous ne nous trompons point en lui obéissant, sauf
naturellement s'il nous conseillait quelque chose de contraire à la foi ou aux
mœurs ; dans ce cas, il faudrait changer de directeur.
556. D) Ce n'est pas sans une raison grave et sans avoir mûrement réfléchi qu'il
faut choisir un autre directeur. Il doit y avoir en effet une certaine
continuité dans la direction, et celle-ci ne peut exister lorsqu'on change
fréquemment de guide spirituel.
a) Il est des personnes tentées de changer de confesseur, par curiosité, pour
savoir quelle sera la conduite d'un autre : on se fatigue d'entendre souvent les
mêmes conseils, surtout s'ils portent sur des choses désagréables à la nature ;
par inconstance, parce qu'on ne peut jamais s'en tenir longtemps aux mêmes
pratiques ; par orgueil, voulant aller au directeur qui a le plus de réputation
ou de vogue, ou désirant en trouver un qui nous flatte davantage ; par une
sorte. d'inquiétude, qui fait qu'on n'est jamais content de ce que l’on a et
qu'on rêve toujours de perfection imaginaire ; par un désir mal réglé de faire
connaître leur intérieur à divers confesseurs, pour qu'ils s'y intéressent ou
nous rassurent; par fausse honte, pour cacher au directeur ordinaire certaines
faiblesses humiliantes. Ce sont là évidemment des motifs insuffisants qu'il faut
savoir écarter, si on veut avancer d'une façon soutenue dans la vie spirituelle.
557. b) Il faut par contre se rappeler que l’Eglise insiste de plus en plus sur
la liberté dont on doit jouir dans le choix d'un confesseur ; si donc on a de
bonnes raisons pour s'adresser à un autre, il ne faut pas hésiter à le faire.
Quelles sont ces raisons principales ? 1) Si, malgré tous ses efforts, on ne
peut avoir pour son directeur le respect, la confiance et l'ouverture dont nous
avons parlé, il faut en changer, même si ces sentiments étaient peu ou mal
fondés : on ne pourrait alors en effet profiter de ses conseils. 2) Il en
serait de même à plus forte raison si on craignait avec fondement qu'il ne nous
détournât de la perfection, à cause de vues trop naturelles, ou d'une affection
trop vive et trop sensible qu'il témoigne en certaines occasions. 3) Ce serait
encore le cas, si on s'apercevait qu'il n'a manifestement ni la science, ni la
prudence ni la discrétion nécessaires.
Ces cas sont rares sans doute ; mais quand ils se présentent, il faut se
souvenir que la direction ne fait de bien qu'autant que le directeur et le
dirigé collaborent ensemble avec une confiance mutuelle.
§ II. Le Règlement de vie
558. La raison d'être de ce
règlement, c'est de prolonger l'action du directeur, en donnant à son pénitent
des principes et des règles, qui permettent à ce dernier de sanctifier toutes
ses actions par l'obéissance, et d'avoir une ligne de conduite sage et sûre.
Exposons : 1° son utilité ; 2° ses qualités ; 3° la manière de l'observer.
I. Utilité d'une règle de vie
Utile même aux simples fidèles qui
veulent se sanctifier dans le monde, cette règle s'impose plus particulièrement
aux membres des communautés et aux prêtres vivant dans le ministère. Elle n'est
pas moins utile à notre sanctification personnelle qu'à la sanctification du
prochain.
559. 1° Utilité pour la sanctification personnelle. Pour se sanctifier, il faut
bien utiliser son temps, surnaturaliser ses actions et suivre un certain
programme de perfection. Or une règle de vie bien concertée avec le directeur
nous procure ce triple avantage.
A) Elle nous permet de mieux utiliser notre temps. Comparons en effet la vie
d'une personne qui suit une règle de vie, et celle d'une autre qui n'en a point.
a) Sans règlement on gaspille fatalement beaucoup de temps : 1) alors en effet
il y a des hésitations sur ce qu'il y a de mieux à faire ; on met du temps à
délibérer, à peser le pour et le contre, et, comme pour beaucoup de choses il
n'y a pas de raison bien décisive, on peut demeurer incertain ; et, la nature
prenant le dessus, on est exposé à se laisser entraîner par la curiosité, le
plaisir ou la vanité. 2) C'est alors qu'on néglige un certain nombre de devoirs
n'ayant ni prévu ni déterminé le moment et le lieu favorables à
l'accomplissement de ces différents devoirs, on en omet quelques-uns, parce
qu'on ne trouve plus le temps de les faire.
3) Ces négligences amènent de l'inconstance tantôt on fait un effort vigoureux
pour se ressaisir, et tantôt on se laisse aller à l'indolence naturelle,
précisément parce qu'on n'a pas une règle fixe pour corriger les inconstances de
notre nature.
560. b) Au contraire, avec un règlement bien tracé, on épargne beaucoup de temps
: 1) Plus d'hésitations : on sait exactement ce qu'on a à faire, et à quel
moment ; si l'horaire n'a pu être tracé d'une façon mathématique, on a du moins
posé des jalons, fixé des principes sur les exercices de piété, le travail, les
récréations, etc. 2) Plus d'imprévu, ou du moins il y en a peu, car, même pour
les circonstances un peu extraordinaires qui peuvent se présenter, on a
déterminé quels exercices on peut abréger, et comment on y peut suppléer par
d'autres pratiques ; en tout cas, l'imprévu disparaissant, on est immédiatement.
ressaisi par la règle. 3) Plus d'inconstance, puisque le règlement vient nous
solliciter à faire sans cesse ce qui nous est prescrit, et cela chaque jour et
aux principales heures du jour. Ainsi se forment des habitudes qui donnent de la
continuité à notre vie et assurent notre persévérance ; nos jours sont des jours
pleins, pleins de bonnes œuvres et de mérites.
561. B) Elle nous permet de surnaturaliser toutes nos actions. a) Toutes en
effet se font par obéissance, et cette vertu ajoute son mérite spécial au mérite
propre à chacun de nos actes vertueux. C'est dans ce sens qu'on a dit que vivre
de la règle, c'est vivre pour Dieu, puisque c'est accomplir constamment sa
sainte volonté. Il y a en outre, dans cette fidélité à la règle, une valeur
éducatrice incontestable : au lieu du caprice et du désordre qui tendent à
prévaloir dans une vie mal réglée, c'est la volonté et le devoir qui prennent le
dessus, et par conséquent l'ordre et l'organisation : la volonté est soumise à
Dieu, et les facultés inférieures s'assouplissent pour obéir à la volonté :
c'est un retour progressif à l'état de justice originelle.
b) Il est alors facile d'avoir, en toutes ses actions, des intentions
surnaturelles : le seul fait de vaincre nos goûts et nos caprices met déjà de
l’ordre dans notre vie, et oriente nos actions vers Dieu ; mais de plus un bon
règlement de vie prescrit un moment de recueillement avant chaque action
principale, et nous suggère les intentions les plus surnaturelles pour les bien
accomplir ; chacune se trouve ainsi explicitement sanctifiée et devient un acte
d'amour de Dieu. Qui dira le nombre de mérites accumulés ainsi chaque jour !
562. C) Elle nous trace un programme de perfection. a) C'est déjà un programme
que celui que nous venons de décrire, et le suivre est une marche en avant vers
la perfection : c'est la voie de conformité à la volonté de Dieu si prônée par
les Saints.
b) Mais de plus il n'est pas de règle de vie complète qui n'indique les
principales vertus à pratiquer en rapport avec la condition du pénitent et son
état d'âme. Sans doute il y aura lieu de modifier parfois ce petit programme en
raison des besoins nouveaux qui pourront se produire ; mais tout ceci se fera
d'accord avec le directeur et viendra s'insérer dans la règle de vie pour nous
servir de guide.
563. 2° La sanctification du prochain ne pourra évidemment qu'y gagner. Pour
sanctifier les autres, il faut unir la prière à l'action, bien utiliser le temps
consacré à l'apostolat, et donner le bon exemple. Or c'est bien ce que fait
celui qui est fidèle à sa règle.
A) Il trouve, dans une vie bien réglée, le moyen pratique d'harmoniser la prière
avec l'action. Persuadé que l'âme de tout apostolat est la vie intérieure, il se
ménage dans sa règle un certain nombre d'heures pour l'oraison, la sainte messe,
l'action de grâces et tous les exercices nécessaires à l'alimentation
spirituelle de son âme (n° 523).
Ce qui ne l'empêche pas de consacrer un temps notable à l'apostolat ; il sait en
effet ménager ses instants (n° 56o), et par là il en trouve pour tout faire,
avec ordre et méthode ; il a des heures fixées pour les diverses œuvres
paroissiales, pour les confessions, l'administration des sacrements ; les
fidèles en sont avertis, et, pourvu qu'on leur consacre le temps vraiment
nécessaire, ils sont eux-mêmes contents de savoir à quel moment précis ils
peuvent trouver le prêtre.
564. B) Ils sont édifiés aussi par les exemples de ponctualité et de régularité
que leur donne le prêtre : ils ne peuvent s'empêcher de penser et de dire qu'il
est un homme de devoir, constamment fidèle aux règlements tracés par l'autorité
ecclésiastique. Quand donc ils l'entendent proclamer en chaire ou au
confessionnal l'obligation d'obéir aux lois de Dieu et de l’Eglise, ils se
sentent entraînés par son exemple, plus encore que par ses paroles, et observent
plus fidèlement les commandements.
C'est ainsi qu'un prêtre, qui pratique sa règle de vie, se sanctifie et
sanctifie les autres ; ce qui est vrai aussi des laïques qui se consacrent à
l'apostolat.
II. Qualités d'une Règle de vie
Pour produire ces heureux effets,
une régie doit être concertée avec le directeur, à la fois souple et ferme, et
hiérarchiser les devoirs selon leur importance relative.
565. 1° Elle doit être concertée avec le directeur. C'est ce que demandent la
prudence et l'obéissance : a) la prudence, car, pour tracer une règle de vie
pratique, il faut beaucoup de discrétion et d'expérience, voir non seulement ce
qui est bien en soi, mais ce qui l'est pour telle personne déterminée ; ce qui
est possible pour elle et ce qui dépasse ses forces ; ce qui est opportun, en
tenant compte du milieu où elle vit, et ce qui ne le serait pas. Or il est bien
peu de personnes qui puissent sagement régler ces choses. b) Par ailleurs, l'un
des avantages du règlement, c'est de donner l'occasion de pratiquer l'obéissance
: ce qui ne serait pas si on le traçait soi-même sans le soumettre à une
autorité légitime.
566. 2° Elle doit être assez ferme pour soutenir la volonté, mais assez souple
pour s'adapter aux diverses circonstances qui se présentent dans la vie réelle
et déconcertent parfois nos prévisions.
a) Elle sera ferme, si elle contient tout ce qui est nécessaire pour fixer, en
principe du moins, le temps et la manière de faire nos exercices spirituels,
d'accomplir nos devoirs d'état, de pratiquer les vertus qui conviennent à notre
genre de vie.
567. b) Elle sera souple, si, tout en déterminant ces points, elle laisse une
certaine latitude pour modifier l'horaire, pour substituer à une pratique, qui
d'ailleurs n'est pas essentielle, une autre qui est équivalente et convient
mieux aux circonstances, et même pour abréger tel exercice lorsque la charité ou
un devoir impérieux l'exige, quitte à le compléter à un autre moment.
Cette souplesse doit s'appliquer surtout aux formules de prières ou d'offrandes
des actions, selon cette sage remarque du B. P. Eudes : « Car je vous prie de
bien remarquer que la pratique des pratiques, le secret des secrets, la dévotion
des dévotions, c'est de n'avoir point d'attache à aucune pratique ou exercice
particulier de dévotion ; mais avoir un grand soin, dans tous vos exercices et
actions, de vous donner au Saint Esprit de Jésus, et de vous y donner avec
humilité, confiance et détachement de toutes choses, afin que vous trouvant sans
attache à votre propre esprit, et à vos propres dévotions et dispositions, il
ait plein pouvoir et liberté d'agir en vous selon ses désirs, de mettre en vous
telles dispositions et tels sentiments de dévotion qu'il voudra, et de vous
conduire par les voies qu'il lui plaira » (Le Royaume de Jésus, p. 452).
568. 3° Elle donnera enfin à chaque devoir son importance relative. Il y a en
effet une hiérarchie des devoirs : a) Dieu doit y occuper évidemment la première
place, puis le salut de notre âme et enfin la sanctification du prochain.
Assurément il n'y a pas de conflit réel entre ces devoirs ; ils doivent au
contraire s'harmoniser fort bien, si nous le voulons : glorifier Dieu, c'est au
fond le connaître et l'aimer, c'est-à-dire, se sanctifier, et c'est aussi le
faire connaître et le faire aimer par le prochain. Mais si on voulait donner
tout son temps à l'apostolat, en négligeant le grand devoir de la prière, il est
évident qu'on négligerait par là même le moyen le plus efficace de zèle ; il est
parfaitement clair aussi que si on laisse de côté le soin de sa sanctification,
on n'aura bientôt plus de zèle véritable pour sanctifier les autres. Donc, en
ayant soin de ménager à Dieu sa part, qui est la première, et de se réserver le
temps de travailler, par les exercices les plus essentiels, à sa propre
sanctification, on est sûr d'exercer l'apostolat d'une façon plus féconde. Ainsi
donc les premiers moments de la journée comme les derniers seront pour Dieu et
pour nous ; nous pourrons alors nous donner à l'action, tout en l'interrompant
par quelques retours vers Dieu. Ainsi notre vie se partagera entre la prière et
l'apostolat.
b) Toutefois, en certaines circonstances urgentes, un autre principe doit
intervenir, qui est celui-ci : il faut aller au plus pressé. C'est le cas
lorsqu'on vient appeler un prêtre auprès d'un mourant : on quitte tout pour y
aller ; mais le long du chemin, on tâche de s'occuper pieusement, et ceci
remplace l'exercice spirituel qu'on devait faire à ce moment.
III. De la manière d'observer sa
règle
569. Pour que la règle soit
sanctifiante, il faut l'observer intégralement et chrétiennement.
1° Intégralement, c'est-à-dire en toutes ses parties, en y comprenant la
ponctualité. Si en effet nous faisons un choix entre les différents points, et
cela sans motif raisonnable, nous observerons ceux qui nous gênent le moins et
omettrons ceux qui,sont plus crucifiants. Ainsi nous perdrons les principaux
avantages attachés à son exacte observance; car, même dans les points que nous
pratiquons, nous serons exposés à nous laisser guider par le caprice ou du moins
la volonté propre. Il faut donc pratiquer sa règle tout entière et. à la lettre,
si c'est possible; et si, pour une raison grave, on ne le peut, il faut se
rapprocher de l'esprit de la règle, en faisant tout ce que l'on peut moralement
parlant.
570. Il y a deux défauts à éviter, le scrupu1e et le relâchement. 1) Pas de
scrupule : si on a une raison grave de se dispenser d'un point, de le différer,
ou de le remplacer par quelque équivalent, qu'on le fasse sans inquiétude. Ainsi
un devoir d'état urgent, la visite d'un malade par exemple, nous dispense de la
visite au Saint Sacrement, si nous revenons trop tard ; nous y suppléons alors
en pensant à Notre Seigneur le long de la route ; de même le soin des enfants
dispense une mère de famille d'une communion de règle, s'il n'est pas possible
de concilier ces deux devoirs : la communion spirituelle remplace alors la
communion sacramentelle. 2) Pas de relâchement non plus : l'immortification, le
désir de causer longuement, sans nécessité, la curiosité, etc., ne sont pas des
raisons suffisantes pour différer un exercice, au risque de l'omettre
complètement. De même si on ne peut accomplir tel devoir sous la forme
accoutumée, on doit s'efforcer de le faire d'une autre façon ; ainsi, un prêtre
obligé de porter le viatique au temps de son oraison, s'efforcera de transformer
en une sorte d'oraison affective l'accomplissement de ce devoir, en rendant ses
hommages au Dieu de l'Eucharistie qu'il porte sur son cœur.
571. La ponctualité fait partie de l'observation intégrale de la règle : ne pas
commencer un exercice juste au temps marqué, et cela sans raison, c'est déjà
résister à la grâce qui ne connaît pas de retard, c'est s'exposer à n'avoir plus
le temps de le faire en son intégrité, ou, s'il s'agit d'un exercice public, de
faire attendre indûment les fidèles, si on est dans le ministère, ou les élèves,
si on est professeur, en leur donnant un mauvais exemple qu'ils seront trop
enclins à suivre.
572. 2° Chrétiennement, c'est-à-dire, avec des intentions surnaturelles, pour
faire la volonté de Dieu et lui témoigner ainsi son amour de la façon la plus
authentique. C'est cette pureté d'intention qui est l'âme de la règle : c'est
elle qui donne à chacune de nos actions sa vraie valeur, en les transformant en
actes d'obéissance et d'amour. Pour la pratiquer, on se recueillera avant
d'agir, pour se demander ce qu'exige notre règle en ce moment, et y conformer sa
conduite, en vue de plaire à Dieu. Ainsi, en pratiquant sa règle, on vivra
constamment pour Dieu.
§ III. Les lectures et exhortations
spirituelles
573. Ces lectures ou exhortations
complètent et prolongent la direction : un livre spirituel, c'est au fond une
direction écrite ; et une exhortation, c'est une direction orale adressée à
plusieurs âmes à la fois. Nous exposerons : 1° leur utilité ; 2° les
dispositions nécessaires pour en profiter.
I. Utilité des lectures et
entretiens spirituels
574. A) De l'Ecriture Sainte. Au
premier rang se place évidemment la lecture des Saints Livres et surtout du
Nouveau Testament.
a) Les âmes vraiment pieuses font leurs délices des Saints Evangiles ; elles y
retrouvent :
1) les enseignements et les exemples de Notre Seigneur Jésus-Christ, et rien ne
les forme mieux à la solide piété, rien ne les entraîne plus efficacement à
l'imitation du divin Maître. Aurions-nous jamais compris ce que c'est que
l'humilité, la douceur, la patience, le support des injures, la virginité, la
charité fraternelle poussée jusqu'à l'immolation de soi, si nous n'avions lu et
médité les exemples aussi bien que les leçons de Notre Seigneur sur ces vertus ?
Sans doute les philosophes païens, en particulier les stoïciens, avaient écrit
de belles pages sur quelques-unes de ces vertus ; mais quelle différence entre
leurs essais littéraires et l'accent persuasif et entraînant du divin Maître ?
On sent chez les premiers l'art du littérateur et souvent l'orgueil du
moraliste, qui se met au-dessus du vulgaire ; en Notre Seigneur on remarque une
simplicité parfaite, qui sait s'abaisser au niveau des foules ; en outre il
pratique ce qu'il enseigne, et cherche, non sa gloire, mais la gloire de Celui
qui l'a envoyé.
2) Mais de plus les âmes croyantes se disent que chaque parole, que chaque
action du Maître contient une grâce spéciale qui nous facilite la pratique des
vertus dont elles lisent le récit ; elles adorent le Verbe de Dieu caché sous
l'écorce des lettres, elles le supplient de les éclairer, de leur faire
comprendre, goûter et pratiquer ses enseignements. Cette lecture est une
méditation, un pieux colloque avec Jésus, et elles sortent de cet entretien plus
déterminées que jamais à suivre Celui qu'elles admirent et qu'elles aiment.
b) Les Actes des Apôtres et les Epîtres fournissent aussi un aliment à la piété
: ce sont les enseignements de Jésus vécus par ses disciples, exposés,
commentés, adaptés aux besoins des fidèles par ceux auxquels il a confié le soin
de continuer son œuvre : rien de plus touchant, de plus entraînant que ce
premier commentaire de l'Evangile.
575. e) Dans l’Ancien Testament : 1) il est des parties qui doivent se trouver
entre toutes les mains, comme les Psaumes. « Le Psautier, écrit Lacordaire,
était le manuel de la piété de nos pères ; on le voyait sur la table du pauvre
comme sur le prie-Dieu des rois. Il est encore aujourd'hui, dans la main du
prêtre, le trésor où il puise les aspirations qui le conduisent à l'autel,
l'arche qui l'accompagne aux périls du monde, comme au désert de la méditation »
(Lettres à un jeune homme sur la vie chrétienne, 2e lettre, p. 191). C'est le
livre de la prière par excellente, où se trouvent exprimés, en un langage plein
de vie et d'actualité, les plus beaux sentiments d'admiration, d'adoration, de
crainte filiale, de reconnaissance et d'amour, avec les supplications les plus
ardentes au milieu des situations les plus variées et les plus angoissantes, les
appels à la justice divine du juste persécuté, les cris de repentir du pécheur
contrit et humilié, les espérances d'un miséricordieux pardon et les promesses
d'une vie meilleure. Les lire, les relire, les méditer et y conformer ses
propres sentiments est évidemment une occupation très sanctifiante.
2) Les livres sapientiaux peuvent aussi être lus avec profit par les âmes
pieuses : elles y trouveront, avec les invitations pressantes de la Sagesse
incréée à une vie meilleure, la description des principales vertus à pratiquer
dans les rapports avec Dieu, avec le prochain et avec soi-même.
3) Quant aux livres historiques et prophétiques, il faut, pour profiter de leur
lecture, une certaine initiation, et y voir surtout l’action providentielle de
Dieu sur le peuple choisi, pour le préserver de l'idolâtrie et le ramener sans
cesse, malgré ses égarements, au culte du vrai Dieu, à l'espoir du Libérateur, à
la pratique de la justice, de l'équité, de la charité, surtout à l'égard des
petits et des opprimés. Quand on a reçu cette initiation, on y trouve des pages
ravissantes ; et si les faiblesses des serviteurs de Dieu y sont mentionnées
aussi bien que leurs bonnes œuvres, c'est pour nous rappeler la fragilité
humaine et nous faire admirer la miséricorde divine qui pardonne aux pécheurs
repentants .
576. B) Des auteurs spirituels. Si on sait les choisir parmi les meilleurs,
surtout parmi les saints, ils sont à la fois des maîtres et des moniteurs.
a) Ce sont des maîtres, qui possédant la science des saints et l'ayant
pratiquée, nous font comprendre et goûter les principes et les règles de la
perfection ; fortifient nos convictions sur l'obligation de tendre à la sainteté
; nous en indiquent les moyens, moyens d'autant plus efficaces qu'ils les ont
eux-mêmes pratiqués ; nous exhortent, nous encouragent, nous entraînent à leur
suite.
Ce sont des maîtres d'autant plus utiles qu'ils sont sans cesse à notre
disposition ; que nous pouvons choisir, avec l'aide de notre directeur, ceux qui
conviennent le mieux à notre état d'âme, nous entretenir avec eux aussi
longtemps que nous le voulons. Il y a en effet d'excellents auteurs pour tous
les états d'âme, et répondant à tous les besoins du moment ; le tout est de les
bien choisir, et de les lire avec le désir d'en profiter.
577. b) Ce sont aussi des moniteurs très bienveillants, qui nous révèlent nos
défauts avec beaucoup de discrétion et de douceur. Ils se bornent à nous montrer
l'idéal à poursuivre, et nous invitent à nous étudier nous-mêmes, à l'aide de ce
miroir spirituel, pour constater loyalement nos qualités et nos défauts, les
étapes déjà parcourues et celles que nous avons à franchir pour nous rapprocher
de la perfection. Ainsi se trouvent facilités les retours sur soi-même et les
résolutions généreuses.
Il ne faut donc pas s'étonner que la lecture des livres spirituels, y compris
les vies de Saints, aient produit des conversions comme celles d'Augustin et
d'Ignace, et conduit aux plus hauts degrés de perfection des âmes qui sans cela
auraient vécu dans la médiocrité.
578. C) Des entretiens spirituels. Ces entretiens ont sur les lectures un double
avantage : a) ils s'adaptent mieux aux besoins spéciaux des auditeurs, ayant été
composés tout exprès pour eux ; b) ils sont plus vivants et, toutes choses
égales d'ailleurs, plus émouvants que les livres, plus aptes à faire passer la
conviction dans les âmes : le regard, le ton de la voix, le geste, en un mot
l'action oratoire, font mieux ressortir la valeur des choses dites. Mais, pour
qu'il en soit ainsi, il faut évidemment que celui qui parle ait nourri son âme
aux meilleures sources, soit profondément convaincu de ce qu'il dit, et demande
à Dieu de bénir et de vivifier ses paroles. Il faut aussi que les auditeurs
soient bien disposés.
II. Dispositions pour profiter des
lectures et entretiens
579. La lecture spirituelle est au
fond destinée à entretenir l'esprit de prière, et est une manière de faire
oraison, de s'entretenir avec Dieu, dont l'auteur spirituel est l'interprète.
580. 1° Un grand esprit de foi, qui nous fait voir Dieu lui-même dans l'auteur
et le prédicateur, « tanquam Deo exhortante per nos » (II Cor., V, 20). Cette
tâche sera rendue plus facile si celui qui écrit ou parle s'est pénétré lui-même
de la doctrine évangélique, et peut dire en toute vérité que son enseignement
n'est pas le sien, mais celui de Jésus Christ : « Mea doctrina non est mea, sed
ejus qui misit me » (Joan., VII, 16).
En tout cas les lecteurs ou auditeurs réciteront une prière aussi fervente que
possible, où ils demanderont à Notre Seigneur la grâce de vouloir bien leur
parler au cœur par son divin Esprit. Puis ils se mettront en garde contre la
curiosité qui cherche plus à savoir du nouveau qu'à s'édifier ; contre la
vanité, qui veut connaître les choses spirituelles pour pouvoir en parler et se
faire valoir ; contre l'esprit critique, qui, au lieu de profiter de ce qui est
enseigné, l'écoute pour en critiquer le fond ou la forme littéraire. Ils
n'auront qu'un but, celui d'en bien profiter.
581. 2° Le désir sincère de se sanctifier : on ne profite en effet des lectures
ou entretiens que dans la mesure où on y cherche sa sanctification. Il faut donc
:
a) Avoir faim et soif de perfection, et écouter ou lire avec cette attention
active, qui cherche avidement la parole de Dieu, qui s'applique à soi-même, et
non aux autres, ce qu'on lit ou entend, en le ruminant pour le mieux digérer, et
le mettre en pratique. Alors on y trouve une nourriture abondante, quel que soit
le sujet traité ; car tout se tient dans la vie spirituelle : ce qui s'applique
directement aux commençants se transpose facilement à l'usage de ceux qui sont
plus avancés ; ce qu'on dit pour ceux-ci sert d'idéal à ceux-là ; ce qui se
rapporte à l'avenir permet de prendre des résolutions dans le présent, puisque
c'est par là qu'on se dispose à bien remplir les devoirs qui ne s'imposeront que
plus tard ; ainsi la lutte victorieuse contre les tentations à venir se prépare
par la vigilance dans le présent. On peut donc toujours tirer parti pour le
présent de tout ce qui est dit, surtout si on prête l'oreille au prédicateur
intérieur qui parle au plus intime de l'âme, quand on sait l'écouter : « Audiam
quid loquatur in me Dominus Deus » (Ps. LXXXIV, 9).
582. b) Voilà pourquoi il faut lire lentement, « vous arrêtant, dit le B. J.
Eudes, à considérer, ruminer, peser et goûter les vérités qui vous touchent le
plus, afin de les imprimer dans votre esprit, et à en tirer actes et affections
» (Royaume de Jésus, p. II, § XV, p. 196). C'est alors que la lecture ou
l'exhortation devient une oraison : on se pénètre en effet peu à peu des pensées
et des sentiments qu'on lit ou qu'on entend, on désire les mettre en pratique,
et intérieurement on en demande la grâce.
583. 3° L'effort sérieux pour commencer à mettre en pratique ce qu'on lit ou
entend. C'est là ce que Saint Paul recommandait à ses lecteurs, en leur écrivant
que ce ne sont pas ceux qui écoutent une loi qui sont justes mais, ceux qui la
mettent en pratique : « Non enim auditores legis justi sunt apud Deum, sed
factores legis justificabuntur » (Rom., II, 13). En cela du reste il ne fait que
commenter la parole du Maître, qui, dans la parabole de la semence, déclare que
ceux-là profitent de la parole de Dieu qui « ayant entendu la parole avec un
cœur bon et excellent, la gardent et portent du fruit par la constance » (Luc,
VIII, 15).
Nous devons donc ressembler à S. Ephrem, qui reproduisait en ses actes ce qu'il
avait lu. La lumière ne nous est donnée que pour l'action, et notre premier acte
doit être un effort pour vivre conformément à l'enseignement reçu : « Estote
factores verbi et non auditores tantum » (Jac., I, 22).
§ IV. La sanctification des
relations sociales
584. Jusqu'ici nous avons parlé des
rapports entre l'âme et Dieu, sous la conduite du directeur. Mais il est évident
que nous sommes obligés d'avoir des relations nombreuses avec beaucoup d'autres
personnes, relations de famille et d'amitié, relations professionnelles,
relations d'apostolat. Toutes peuvent et doivent être sanctifiées, et contribuer
à nous affermir dans la vie intérieure. Pour faciliter cette sanctification,
nous exposerons les principes généraux qui doivent présider à ces relations, et
en ferons ensuite l'application aux principales de ces relations.
I. Principes généraux
585. 1° Dans le plan primitif, les
créatures étaient destinées à nous porter à Dieu, en nous rappelant qu'il est
l’auteur et la cause exemplaire de toutes choses. Mais depuis la chute, elles
nous attirent de telle sorte que, si nous n'y prenons garde, elles nous
détournent de Dieu ou du moins nous retardent dans notre marche vers lui. Il
faut donc réagir contre cette tendance, et, par l'esprit de foi et de sacrifice,
ne nous servir des personnes et des choses que comme de moyens pour aller à
Dieu.
586. 2° Or, parmi les relations que nous avons avec les personnes il en est qui
sont voulues par Dieu, comme les relations de famille ou celles qui sont
commandées par nos devoirs d'état. Ces relations doivent être entretenues et
surnaturalisées. On n'est pas en effet dégagé de ses devoirs par le fait qu'on
aspire à la perfection ; on est au contraire obligé de les remplir d'une façon
plus parfaite que les autres. Mais il faut les surnaturaliser, en les ramenant à
notre fin dernière qui est Dieu. Le meilleur moyen de le faite, c'est évidemment
de considérer les personnes avec lesquelles nous entrons en rapport, comme des
enfants de Dieu, des frères en Jésus-Christ, de les respecter et de les aimer en
tant qu'elles possèdent des qualités qui sont un reflet des perfections divines,
et sont destinées à participer à sa vie et à sa gloire. Ainsi, c'est Dieu que
nous estimons et aimons en elles.
587. 3° Il y a au contraire des relations dangereuses ou mauvaises qui tendent à
nous faire tomber dans le péché, soit en réveillant en nous l'esprit mondain,
soit en nous attachant aux créatures, à cause du plaisir sensible ou sensuel que
nous trouvons en leur compagnie, et auquel nous sommes exposés à consentir.
C'est un devoir de fuir ces occasions, dans la mesure où cela est possible ; et,
si on ne peut éviter l'occasion elle-même, c'est un devoir de l'éloigner
moralement en fortifiant notre volonté contre l'attache déréglée à ces
personnes. Agir autrement, c'est compromettre sa sanctification et son salut :
car celui qui aime le danger y succombe : « Qui amat periculum, in illo peribit
» (Eccli., III, 27). Plus donc on veut être parfait, et plus il faut fuir les
occasions dangereuses, comme nous l'expliquerons plus tard, en parlant de la
foi, de la charité et des autres vertus.
588. 4° Enfin il y a des relations qui, par elles-mêmes, ne sont ni bonnes ni
mauvaises, mais simplement indifférentes, qui peuvent donc, en vertu des
circonstances et de l'intention, être utiles ou nuisibles : telles sont, par
exemple, les visites, les conversations, les récréations. Une âme qui vise à la
perfection rendra ces relations bonnes par la pureté d'intention et par la
modération qu'elle apportera en toutes choses. Tout d'abord elle ne recherchera
que celles qui sont vraiment utiles à la gloire de Dieu, au bien des âmes ou à
cette détente nécessaire que réclame la santé du corps ou le bien de l'âme.
Puis, dans l'usage de ces choses utiles, elle pratiquera cette prudence, cette
modestie, cette tempérance qui ramène tout à l'ordre voulu de Dieu. Donc point
de ces longues conversations oiseuses, qui sont une perte de temps, et une
occasion de blesser l'humilité et la charité ; point de ces amusements
prolongés, immodérés qui fatiguent le corps et dépriment l'âme. En un mot, qu'on
ait sans cesse devant soi la règle posée par l'Apôtre : « Omne quodcumque
facitis in verbo aut in opere, omnia in nomine Domini Jesu Christi, gratias
agentes Deo et Patri per ipsum » (Col., III, 17).
II. Sanctification des relations de
famille
589. La grâce ne détruit pas la
nature, mais la perfectionne. Or les relations de famille ont été instituées par
Dieu lui-même : il a voulu que l'espèce humaine se propageât par l'union
légitime et indissoluble de l'homme et de la femme, et que cette union fût
encore resserrée par les enfants qui en naîtraient. De là des relations très
intimes, très affectueuses entre mari et femme, entre parents et enfants, que la
grâce du sacrement de mariage aide à surnaturaliser.
1° Des relations entre époux
chrétiens
690. En assistant aux noces de Cana, et en élevant le mariage chrétien à la
dignité d'un sacrement, Notre Seigneur a montré aux époux que leur union peut
être sanctifiée, et leur en a mérité la grâce.
A) Avant le mariage, l'amour chrétien, un amour tendre et ardent, chaste et
surnaturel, vient unir leurs cœurs, et les prépare à supporter plus vaillamment
les charges de famille. Sans doute la nature et le démon essaieront de glisser
dans cette affection un élément sensuel qui pourrait être dangereux pour la
vertu ; mais les fiancés chrétiens, soutenus par la pratique des sacrements,
sauront dominer cet élément, et surnaturaliseront leur amour mutuel, en se
rappelant que tous les nobles sentiments viennent de Dieu et doivent se
rapporter à lui.
591. B) La grâce du sacrement, en unissant leurs cœurs par un lien indissoluble,
affinera et purifiera leur amour. Ils auront sans cesse devant les yeux les
paroles de S. Paul leur rappelant que leur union est à l’image de cette union
mystérieuse qui existe entre le Christ et son Eglise. « Que les femmes soient
soumises à leurs maris, comme au Seigneur ; car le mari est le chef de la femme,
comme le Christ est le chef de l'Eglise, son corps, dont il est le Sauveur. Or,
de même que l'Eglise est soumise au Christ, les femmes doivent être soumises à
leurs maris en toutes choses. Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé
l'Eglise et s'est livré lui-même pour elle, afin de la sanctifier après l'avoir
purifiée dans l'eau baptismale, avec la parole, pour la faire paraître devant
lui, cette Eglise glorieuse, sans tache, sans ride, ni rien de semblable, mais
sainte et immaculée. C'est ainsi que les maris doivent aimer leurs femmes, comme
leurs propres corps... Au reste que chacun de vous aime sa femme comme soi-même,
et que la femme révère son mari » (Ephes., V, 22-23). Ainsi donc respect et
amour mutuel, se rapprochant le plus possible de l'amour du Christ pour l'Eglise
; obéissance de la femme au mari, en tout ce qui est légitime ; dévouement et
protection du mari à l'égard de sa femme : tels sont les devoirs que l'Apôtre
trace aux époux chrétiens.
592. C) Quand Dieu leur a donné des enfants, ils les reçoivent de sa main comme
un dépôt sacré, les aiment non seulement comme une portion d'eux-mêmes, mais
comme des enfants de Dieu, des membres du Christ Jésus, de futurs citoyens du
ciel ; ils les entourent d'un dévouement, d'une sollicitude de chaque instant ;
leur donnent une éducation chrétienne, s'attachant à former en eux les vertus
mêmes de Notre Seigneur ; en cette vue, ils exercent l'autorité que Dieu leur a
donnée, avec tact, délicatesse, force et douceur. Ils n’oublient pas qu'étant
les représentants de Dieu, ils doivent éviter cette faiblesse qui tend à gâter
les enfants, cet égoïsme qui voudrait en jouir sans les former au travail et à
la vertu. Avec l'aide de Dieu et des éducateurs qu'ils choisissent avec le plus
grand soin, ils en font des hommes et des chrétiens, et exercent ainsi une sorte
de sacerdoce au sein de la famille; aussi pourront-ils compter sur la
bénédiction de Dieu et la reconnaissance de leurs enfants.
2° Des devoirs des enfants à
l’égard de leurs parents
593. A) La grâce, qui sanctifie les relations entre époux, perfectionne aussi et
surnaturalise les devoirs de respect, d'affection et d'obéissance que les
enfants doivent à leurs parents.
a) Elle nous montre dans nos parents les représentants de Dieu et de son
autorité ; c'est à eux, après lui, que nous devons la vie, la conservation et la
bonne direction de cette vie. Aussi notre respect pour eux va jusqu'à la
vénération : nous admirons en eux une participation à la paternité divine, « ex
quo omnis paternitas in cælis et in terra » (Ephes., III, 15), à son autorité, à
ses perfections, et c'est Dieu lui-même que nous vénérons en eux.
b) Leur dévouement, leur bonté, leur sollicitude à notre égard nous apparaissent
comme un reflet de la providence et de la bonté divine, et notre amour filial en
devient plus pur et plus intense ; il va jusqu'au dévouement le plus absolu, si
bien que nous nous sentons prêts à nous sacrifier pour eux, et, au besoin, à
donner notre vie pour sauver la leur ; nous leur prêtons donc toute l'assistance
corporelle et spirituelle dont ils ont besoin, selon toute l'étendue de nos
ressources.
c) Voyant en eux les représentants de l'autorité divine, nous n’hésitons pas à
leur obéir en toutes choses, à l'exemple de Notre Seigneur qui, pendant trente
ans, fut soumis à Marie et à Joseph , « et erat subditus illis » (Luc, II, 51).
Cette obéissance n'a d'autres limites que celles que Dieu a lui-même tracées :
nous devons obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes, et, par conséquent, en ce qui
concerne le bien de notre âme, et en particulier la question de la vocation,
c'est à notre confesseur que nous devons obéir, après lui avoir soumis notre
situation de famille. En cela, nous imitons encore Notre Seigneur, qui, au
moment où sa mère lui demande pourquoi il les a quittés, répond : « Ne
savez-vous pas qu'il faut que je sois aux choses de mon Père ? » (Luc, II, 49).
Ainsi tous les droits et les devoirs respectifs se trouvent sauvegardés.
594. B) En entrant dans la cléricature, nous quittons le monde, et, dans une
certaine mesure, la famille, pour entrer dans la grande famille ecclésiastique,
et nous occuper désormais avant tout de la gloire de Dieu, du bien de l'Eglise
et des âmes. Assurément nos sentiments intérieurs de respect et d'affection par
rapport à nos parents ne changent pas, ou ne font que s'affiner; mais leur
manifestation extérieure sera désormais soumise à nos devoirs d'état : nous ne
devons rien faire, pour plaire à nos parents, qui puisse gêner l'exercice de
notre ministère. Notre premier devoir est de nous occuper des choses de Dieu ;
si donc leurs vues, leurs conseils, leurs exigences se trouvent en opposition
avec ce que réclame de nous le service des âmes, doucement et affectueusement,
mais fermement, nous leur ferons comprendre que, dans nos devoirs d'état, nous
ne dépendons que de Dieu et de nos supérieurs ecclésiastiques. Mais nous
continuerons de les honorer, de les aimer et de leur rendre assistance dans
toute la mesure compatible avec les devoirs de notre charge.
Cette même règle s'applique, et à plus forte raison, à ceux qui entrent dans une
congrégation ou un ordre religieux.
III. Sanctification des relations
d'amitié
L'amitié peut être un moyen de
sanctification ou un obstacle sérieux à la perfection, selon qu'elle est
surnaturelle ou naturelle et sensible. Nous parlerons donc : 1° des vraies
amitiés ; 2° des fausses amitiés ; 3° des amitiés où il y a un mélange de
surnaturel et de sensible.
1° Des vraies amitiés
Nous dirons leur nature et leurs avantages.
595. A) Nature. a) L'amitié étant une communication mutuelle entre deux
personnes, se spécifie avant tout selon la diversité des communications et la
différence des biens qu'on se communique. C'est ce qu'explique fort bien S.
François de Sales : « Plus les vertus que vous mettez en votre commerce seront
exquises, plus votre amitié sera parfaite. Si vous communiquez ès-sciences,
votre amitié est certes fort louable ; plus encore si vous communiquez aux
vertus, en la prudence, discrétion, force et justice. Mais si votre mutuelle et
réciproque communication se fait de la charité, de la dévotion, de la perfection
chrestienne, ô Dieu que votre amitié sera précieuse ! Elle sera excellente parce
qu'elle vient de Dieu, excellente parce qu'elle tend à Dieu, excellente parce
que son lien c'est Dieu, excellente parce qu'elle durera éternellement en Dieu !
Oh ! qu'il fait bon aymer en terre comme l'on ayme au Ciel et apprendre à
s'entrechérir en ce monde comme nous ferons éternellement en l'autre ! » (Vie
dévote, 3e part., ch. 19)
L'amitié vraie en général est donc un commerce intime entre deux âmes pour se
faire mutuellement du bien. Elle peut demeurer simplement honnête, si les biens
qu'on se communique sont de l'ordre naturel. Mais l'amitié surnaturelle est d'un
ordre bien supérieur. C'est un commerce intime entre deux âmes qui s'aiment en
Dieu et pour Dieu, en vue de s'entr'aider à perfectionner la vie divine qu'elles
possèdent. La gloire de Dieu en est la fin dernière, le progrès spirituel en est
le but immédiat, et Jésus est le trait d'union entre les deux amis ; c'est la
pensée du Bienheureux Ethelrède : « Ecce ego et tu et spero quod tertius inter
nos Christus sit ; » ce que Lacordaire traduit de cette façon : « je ne puis
plus aimer quelqu'un sans que l'âme se glisse derrière le cœur et que Jésus
Christ soit de moitié entre nous » (P. Chocarne, Vie de Lacordaire, t. II, ch.
XV).
596. b) Aussi cette amitié, au lieu d'être passionnée, absorbante et exclusive
comme l'amitié sensible, se caractérise par le calme, la retenue, la confiance
mutuelle. C'est une affection calme, modérée, précisément parce qu'elle est
basée sur l'amour de Dieu et participe à sa vertu ; c'est par là même une
affection constante, qui va en croissant, au rebours de l'amour passionné qui
tend à s'affaiblir. Elle est accompagnée d'une sage retenue : au lieu de
rechercher les familiarités et les caresses, comme l'amitié sensible, elle est
pleine de respect et de réserve, parce qu'elle ne désire que des communications
spirituelles. Cette réserve n'empêche pas la confiance ; parce qu'on s'estime
mutuellement, et qu'on voit dans la personne aimée un reflet des perfections
divines, on éprouve pour elle une confiance très grande qui du reste est
réciproque; ce qui amène des communications intimes, puisqu'on aspire à
communier aux qualités surnaturelles de son ami. On se communique donc ses
pensées, ses desseins, ses désirs de perfection. Et parce qu'on veut se
perfectionner mutuellement, on ne craint pas de s'avertir de ses défauts et de
s'entr'aider à les réformer. La confiance mutuelle qui règne entre deux amis
empêche l'amitié d'être inquiète, absorbante et exclusive ; on ne trouve pas
mauvais que notre ami ait d'autres amis ; on s'en réjouit même pour son bien et
celui du prochain.
597. B) Il est évident qu'une telle amitié offre de grands avantages. a)
L'Ecriture la loue fréquemment : « Un ami fidèle est une protection puissante ;
celui qui le trouve a trouvé un trésor... un ami fidèle est un remède de vie »
(Eccli., VI, 14-16). Notre Seigneur nous en a donné l'exemple dans son amitié
pour S. Jean : celui-ci était connu comme « celui que Jésus aimait, quem
diligebat Jesus » (Joan, XIII, 23). S. Paul a des amis auxquels il est
profondément attaché ; il souffre de leur absence, et n'a pas de plus douce
consolation que de les retrouver ; ainsi il est inconsolable, parce qu'il n'a
pas trouvé Tite au rendez-vous (II Cor., II, 13) ; il se réjouit quand il l'a
retrouvé (II Cor., VII, 6, 13). On voit aussi quelle affection il avait pour
Timothée et combien sa présence lui faisait de bien et l'aidait à en faire aux
autres ; aussi il l'appelle son collaborateur, son fils, son cher fils, son
frère (Rom., XVI, 21 ; I Cor., IV, 17 ; II Cor, I, 1 ; I Tim., I, 2).
L'antiquité chrétienne nous donne aussi d'illustres exemples du même genre :
l'un des plus célèbres est celui de S. Basile et de S. Grégoire de Nazianze.
598. b) De ces exemples se dégagent trois raisons qui nous montrent combien
utile est l'amitié chrétienne, surtout pour le prêtre du ministère.
1) Un ami est une sauvegarde au point de vue de la vertu, protectio fortis. Nous
avons besoin d'ouvrir notre cœur à un confident intime ; parfois notre directeur
répond à ce besoin, mais pas toujours : son amitié paternelle est d'un autre
genre que l'amitié fraternelle que nous recherchons. Nous avons besoin d'un égal
avec lequel nous puissions causer en toute liberté. Si nous ne le trouvons pas,
nous serons exposés à faire des confidences regrettables à des personnes qui ne
méritent pas notre confiance, et ces confidences ne seront pas toujours sans
danger pour nous et pour elles.
2) C'est aussi un conseiller intime, à qui nous soumettons volontiers nos doutes
et nos difficultés et qui nous aide à les résoudre ; un moniteur sage et
affectueux qui, nous voyant agir et sachant ce qu'on dit de nous, nous dira la
vérité et nous empêchera parfois de commettre bien des imprudences.
3) C'est enfin un consolateur, qui écoutera avec sympathie le récit de nos
peines, et trouvera dans son cœur les paroles nécessaires pour les adoucir et
nous réconforter.
599. On s'est demandé si ces
amitiés sont à encourager dans les communautés : on peut craindre en effet
qu'elles ne nuisent à l'affection qui doit unir tous les membres et qu'elles ne
créent quelques jalousies. Assurément il faut veiller à ce que ces amitiés ne
nuisent pas à la charité commune, et soient non seulement surnaturelles,
renfermées dans de justes limites fixées par Supérieurs. Mais, avec ces
réserves, elles ont aussi leurs avantages, les religieux ayant besoin eux aussi
d'un conseiller, d'un consolateur, d'un moniteur qui soit en même temps un ami.
Toutefois, dans les communautés autant et plus qu’ailleurs, il faut éviter avec
un soin jaloux tout ce qui ressemble aux fausses amitiés.
2° Des fausses amitiés
Nous dirons leur nature, leurs dangers, leurs remèdes.
600. A) Leur nature. a) Les fausses amitiés sont celles qui sont fondées sur des
qualités sensibles ou frivoles, en vue de jouir de la présence et des agréments
de la personne aimée. C’est donc au fond une sorte d’égoïsme déguisé, puisqu’on
aime quelqu'un à cause du plaisir qu'on trouve en sa compagnie. Sans doute on
est prêt à lui rendre service, mais c'est en vue du plaisir qu’on éprouve à se
l'attacher davantage.
b) S. François de Sales en distingue de trois sortes : les amitiés charnelles,
qui recherchent les plaisirs voluptueux ; les amitiés sensuelles, qui
s'attachent principalement aux qualités extérieures et sensibles, « comme le
plaisir de voir la beauté, d'ouyr une douce voix, de toucher, et semblables »
(Op. cit., ch. 17) ; les amitiés frivoles, basées sur certaines qualités vaines
que les faibles esprits appellent vertus et perfections, comme de bien danser,
de bien jouer, de bien chanter, de se bien habiller, de sourire agréablement,
d'avoir une physionomie aimable.
601. c) Ces sortes d'amitiés commencent généralement à l’âge de puberté ; elles
naissent du besoin instinctif qu’on éprouve alors d'aimer et d'être aimé.
Souvent c’est une sorte de déviation de l'amour sexuel : en dehors des
communautés, ces amitiés se forment entre jeunes gens et jeunes filles, et,
lorsqu'elles vont trop loin, portent le nom d'amourettes. Dans les communautés
fermées, elles existent entre personnes du même sexe et s'appellent amitiés
particulières. Elles se prolongent parfois jusqu'à un âge plus avancé ; ainsi
des hommes éprouveront des affections sensibles à l'égard de jeunes gens qui ont
une physionomie jeune et attrayante, un caractère ouvert, des manières aimables.
602. d) Les signes caractéristiques auxquels on reconnaît les amitiés sensibles
se tirent de leur origine, de leur développement, de leurs effets.
1) Au point de vue de leur origine, elles commencent soudainement et fortement
parce qu'elles résultent d'une sympathie naturelle et instinctive ; elles sont
basées sur des qualités extérieures et brillantes, ou du moins qui paraissent
telles ; elles sont accompagnées d'émotions vives, parfois passionnées.
2) Dans leur développement, elles s'alimentent par des conversations parfois
insignifiantes mais affectueuses, parfois trop intimes et dangereuses ; par des
regards fréquents, qui, dans certaines communautés, suppléent aux conversations
particulières ; par des caresses, des serrements de main expressifs, etc.
3) Quant à leurs effets, elles sont empressées, absorbantes et exclusives ; on
s'imagine qu'elles seront éternelles ; mais une séparation suivie d'autres
attachements, y met souvent une fin assez brusque.
603. B) Les dangers de ces sortes d'amitiés sont évidents.
a) C'est un des plus grands
obstacles au progrès spirituel. Dieu, qui ne veut pas d'un cœur partagé,
commence par faire des reproches intérieurs, et, si on n'écoute pas sa voix, se
retire peu à peu de l'âme, la prive de lumière et de consolations intérieures.
Au fur et à mesure que les attaches grandissent, on perd le recueillement
intérieur, la paix de l'âme, le goût des exercices spirituels et du travail.
b) De là des pertes de temps considérables : la pensée se porte trop souvent
vers l'ami absent, et empêche l'application de l’esprit et du cœur aux choses
sérieuses et à la piété.
c) Tout cela finit par dégoûter, décourager; la sensibilité prend le dessus sur
la volonté qui devient faible et languissante.
d) C'est alors que surgissent des dangers au point de vue de la pureté. On
voudrait bien se maintenir dans les limites de l'honnêteté ; mais on s'imagine
que l'amitié confère certains droits, et on se permet des familiarités de plus
en plus suspectes. Or la pente est glissante, et celui qui s'expose au péril
finit y succomber.
604. Le remède, c'est de combattre ces fausses amitiés dès le début,
vigoureusement et par des moyens positifs.
a) Dès le début : c'est plus facile alors, parce que le cœur n'est pas encore
profondément attaché ; avec quelques efforts énergiques, on en vient à bout,
surtout si on a le courage d'en parler à son confesseur et de s'accuser des
moindres défaillances. Si on attend, le détachement sera beaucoup plus
laborieux.
b) Mais, pour triompher, il faut des mesures radicales : « Taillez, tranchez,
rompez ; il ne faut pas s’arrêter à découdre ces folles amitiés, il les faut
déchirer ; il n'en faut pas dénouer les liaisons, il les faut rompre ou couper »
(Vie dévote, ch. XXI). Ainsi, il faut éviter non seulement de rechercher celui
qu'on aime de la sorte, mais éviter même de penser volontairement à lui; et si
on ne peut éviter d'être quelquefois avec lui, qu'on le traite avec politesse et
charité, mais sans jamais lui faire de confidences ou lui donner des marques
spéciales d'affection.
c) Pour y mieux réussir, on emploie des moyens positifs ; on s'absorbe aussi
activement que possible dans la pratique de ses devoirs d'état ; et quand,
malgré tout, se présente à l'esprit la pensée de celui qu'on aime, on en profite
pour faire un acte d'amour envers Notre Seigneur, en disant par exemple : «
C'est vous seul, ô Jésus, que je veux aimer, unus est dilectus meus, unus est
sponsus meus in æternum ». Par là on profite de la tentation elle-même pour
aimer davantage Celui qui seul mérite de fixer notre cœur.
3° Des amitiés à la fois
surnaturelles et sensibles
605. Il arrive parfois que dans nos amitiés il y a un mélange de naturel et de
surnaturel. On veut réellement le bien surnaturel de son ami, mais en même
temps, on désire jouir de sa présence, de sa conversation, et on souffre trop de
son absence. C'est ce que décrit fort bien S. François de Sales : « On commence
par l'amour vertueux, mais si on n'est fort sage, l'amour frivole s'y mêlera,
puis l'amour sensuel, puis l'amour charnel ; ouy, même il y a danger en l'amour
spirituel, si on n'est fort sur sa garde, bien qu'en cestuy-ci il soit plus
difficile de prendre le change, parce que sa pureté et blancheur rendent plus
connaissables les souillures que Satan y veut mesler ; c'est pourquoi quand il
l'entreprend, il fait cela plus finement, et essaye de glisser les impuretés
presque insensiblement » (Vie dévote, l.c., ch. XX).
606. Ici encore il faut donc surveiller son cœur et prendre des moyens efficaces
pour ne pas glisser sur la pente dangereuse.
a) Si c'est l'élément surnaturel qui domine, on peut conserver et entretenir
cette amitié en l'épurant. Pour cela, il faut tout d'abord se sevrer de ce qui
favorise l’élément trop sensible, conversations fréquentes et affectueuses,
familiarités, etc. ; il faut de temps en temps se priver d'une rencontre, qui
serait d'ailleurs légitime, et savoir abréger une conversation qui cesse d'être
utile. Par là on acquiert une certaine maîtrise sur sa sensibilité, et on évite
les écarts dangereux.
b) Si c'est l'élément sensible qui prédomine, il faut, pendant un temps notable,
renoncer à toute relation particulière avec cet ami, en dehors des rencontres
nécessaires ; et, en ces rencontres, supprimer toute parole affectueuse. On
laisse ainsi la sensibilité se refroidir, et on attend, pour reprendre les
relations, que le calme règne dans l'âme. Les relations nouvelles prennent alors
un tout autre caractère ; s'il en était autrement, il les faudrait supprimer
pour toujours.
c) En toute hypothèse, il faut profiter de ces constatations pour fortifier son
amour pour Jésus, protester qu'on ne veut aimer qu'en lui et pour lui, et relire
souvent les deux chapitres VII et VIII du second livre de l'Imitation de Notre
Seigneur. C'est ainsi que les tentations nous sont une occasion de victoire.
IV. Sanctification des relations
professionnelles
607. Les relations professionnelles
sont un moyen de sanctification ou un obstacle au progrès selon la manière dont
on envisage et accomplit ses devoirs d'état. Au fond les devoirs que nous impose
notre profession sont en soi conformes à la volonté de Dieu ; si nous les
accomplissons comme tels, avec l'intention d'obéir à Dieu, et de nous régler
selon les lois de la prudence, de la justice et de la charité, ils contribuent à
nous sanctifier. Si, au contraire, nous n'avons d'autre but, en nos relations
professionnelles, que de nous procurer des honneurs et des richesses, au mépris
des lois de la conscience, ces relations deviennent une source de péché et de
scandale.
A) Le premier devoir c'est donc d'accepter la profession où la Providence nous a
conduits comme l'expression de la volonté de Dieu sur nous, et d'y persévérer,
tant que nous n'avons pas de raisons légitimes d'en changer. Dieu a voulu en
effet qu'il y eût différents arts et métiers, différentes professions, et, si on
se trouve en l'une d'elles par une série d'événements providentiels, on peut
croire que c'est là pour nous la volonté de Dieu. Nous exceptons le cas où, pour
des raisons sages et légitimes, nous croyons devoir changer de situation ; tout
ce qui est conforme à la droite raison rentre en effet dans le plan
providentiel. Ainsi donc qu'on soit patron ou ouvrier, industriel ou commerçant,
agriculteur ou financier, le devoir c'est d'exercer sa profession pour se
soumettre à la volonté divine, et de le faire selon les règles de la justice, de
l'équité et de la charité. Alors rien n'empêche de sanctifier chacune de ses
actions en les rapportant à la fin dernière ; ce qui n'exclut nullement le but
secondaire de gagner l'argent nécessaire à sa subsistance et à celle de sa
famille. En fait, il y a eu des Saints dans toutes les conditions.
608. B) Mais, comme les multiples occupations et relations sont de leur nature
absorbantes, et tendent ainsi à écarter notre pensée de Dieu, il est nécessaire
de faire des efforts souvent renouvelés pour offrir à Dieu et surnaturaliser des
actions qui sont profanes de leur nature, comme nous l'avons indiqué plus haut,
n° 248.
609. C). De plus, comme nous vivons dans un monde peu honnête, où l'on se
dispute avec âpreté les honneurs et les gains, sans souci des lois de l'équité,
il importe de se rappeler qu'il faut avant tout chercher le royaume de Dieu et
sa justice, en n'employant pour arriver à ses fins que des moyens légitimes. Le
meilleur critère pour discerner ce qui est permis et ce qui ne l'est pas, c'est
de voir comment se comportent les hommes honorables et chrétiens de la même
profession : il est en effet des usages reçus qu'on ne peut changer, et auxquels
on ne peut se soustraire sans s'imposer à soi-même et aux autres des pertes
considérables.
Quand ils sont communément suivis par les bons chrétiens de la même profession,
on peut y conformer sa conduite jusqu'à ce que, par une commune entente, on
puisse les réformer sans compromettre ses légitimes intérêts. Mais, par contre,
il faut bien se garder d'imiter les pratiques et les conseils des commerçants ou
industriels dépourvus de conscience qui veulent s'enrichir à tout prix, même au
détriment de la justice : la malhonnêteté de ces derniers, leurs succès ne
justifient point l'emploi des moyens illicites : il faut chercher avant tout le
royaume de Dieu et sa justice ; tout le reste viendra par surcroît (Matth., VI,
33.
610. D) Les devoirs professionnels, ainsi entendus et pratiqués, contribuent
beaucoup à notre progrès spirituel. Ce sont eux en effet qui composent la trame
de nos journées, et Notre Seigneur nous a montré, par son exemple, que les
occupations les plus communes, comme le travail manuel, peuvent contribuer à la
fois à notre sanctification personnelle et au salut de nos frères. Si donc un
ouvrier ou un homme d'affaires observe les règles de la prudence, de la justice,
de la force, de la tempérance, de l'équité et de la charité, il a chaque jour de
multiples occasions de pratiquer toutes les vertus chrétiennes, d'acquérir de
nombreux mérites, et, s'il le veut, d'édifier ses frères et de les aider, par
ses exemples et ses conseils, à faire leur salut. C'est ce qu'ont fait dans le
passé et ce que font dans le présent des pères et mères de famille, des patrons
et des ouvriers, des jeunes gens et des hommes mûrs, qui, par la façon dont ils
travaillent et traitent les affaires, font estimer la religion qu'ils
pratiquent, et usent ensuite de leur influence pour exercer l'apostolat.
V. Sanctification des relations
d'apostolat
611. Que les œuvres d'apostolat
puissent et doivent être pour nous un moyen de sanctification, c'est ce que l'on
comprend aisément. Et cependant il en est qui y trouvent indirectement une
source de dissipation, d'affaiblissement spirituel, et même des occasions de
péché et une source de damnation. Qu'on se rappelle la parole d'un homme
d'œuvres disant à Dom Chautard: « C'est le dévouement qui m'a perdu » (L’âme de
tout apostolat, 1915, p. 73). Il en est en effet qui se laissent tellement
absorber par les œuvres extérieures qu'ils ne trouvent plus le temps de faire
les exercices de piété les plus essentiels ; de là un affaissement moral, qui
permet aux passions de revivre, et prépare la voie à de tristes capitulations :
à l'amour surnaturel pour les âmes se mêle insensiblement un élément naturel et
sensible : on se rassure mutuellement, sous prétexte que ce qui domine c'est le
désir de faire du bien ou d'en recevoir, on commet des imprudences, on se permet
des familiarités et le résultat est désastreux. En tout cas, là où manque la vie
intérieure, on n'acquiert que peu de mérites pour soi, et l'action extérieure
n'obtient que de maigres résultats, parce que la grâce de Dieu ne vient pas
féconder un ministère où la prière n'a presque point de place. Il importe donc
de vivifier les œuvres extérieures par l'esprit de prière. Pour y mieux réussir,
voici les principaux moyens.
612. A) Tout d'abord il faut se rappeler qu'il y a une hiérarchie dans les
moyens de zèle, et que les plus efficaces sont la prière et le sacrifice,
l'exemple et en dernier lieu la parole et l'action. Pour s'en convaincre, qu'on
se rappelle les exemples de Notre Seigneur, dont la vie tout entière a été une
prière et un sacrifice perpétuel, et qui a commencé par pratiquer ce qu'il a
enseigné aux autres, passant trente ans dans la vie cachée avant de se livrer à
ses trois années de ministère public. Qu'on n'oublie pas la conduite des apôtres
se déchargeant de certaines œuvres de charité sur les diacres, afin de pouvoir
vaquer plus librement à la prière aussi bien qu'à la prédication de l'Evangile :
« Nos vero orationi et ministerio verbi instantes erimus » (Act., VI, 4). Qu'on
entende sans cesse retentir à ses oreilles la parole de S. Paul nous disant que
ce n'est ni celui qui plante ni celui qui arrose qui fait le bien, mais Dieu qui
seul fait croître la semence : « Neque qui plantat est aliquid, neque qui rigat,
sed qui incrementum dat, Deus » (I Cor., III, 7).
On donnera donc la première place à la prière (n° 470) : on ne sacrifiera pas
les exercices essentiels, comme l'oraison, l'action de grâces, la pieuse
récitation de l'office divin, l'examen de conscience, l'offrande explicite des
actions principales, bien persuadé que par là on rend plus service aux âmes que
si on consacrait toute sa vie à l'action. Le pasteur d'âmes sera, comme le dit
S. Bernard, un réservoir et non pas un simple canal : le canal laisse passer
tout ce qu'il a, à mesure qu'il le reçoit ; le réservoir se remplit d'abord, et
donne alors de son trop plein sans dommage pour lui-même : « Si sapis, concham
te exhibebis et non canalem » (S. Bernardus, In Cantica, sermo XVIII, 3).
613. B) Un second moyen de ne pas oublier la vie intérieure, c'est de viser à
former une élite, sans cependant négliger les masses. Pour y réussir, on sent
mieux la nécessité d'être un homme intérieur ; les études ascétiques que l'on
fait, les conseils qu'on donne aux autres, les pratiques de vertu qu'on leur
inculque nous ramènent forcément à la vie de prière et de sacrifice. Mais pour
cela, il faut qu'on soit dans la disposition généreuse de faire ce qu'on
conseille aux autres ; alors on n'a pas à craindre le relâchement et la tiédeur.
En fait, plusieurs prêtres ont été ramenés à la vie intérieure par ce souci de
former une élite.
614. C) Dans l'enseignement qu'on donne aux fidèles, dogmatique ou moral, qu'on
suive un plan défini qui permettra d'exposer l'ensemble des dogmes et des vertus
chrétiennes : en préparant ses instructions, on nourrit sa dévotion, car on
veut mettre en pratique ce qu'on conseille aux autres.
615. D) Enfin, dans l'exercice ordinaire du ministère paroissial, à l'occasion
des baptêmes, mariages, funérailles, visites des malades, visites de
condoléances, ou même de simple courtoisie, se rappeler qu'on est prêtre et
apôtre, c'est-à-dire serviteur des âmes. Donc, après quelques paroles
bienveillantes, ne pas craindre d'élever les esprits et les cœurs vers Dieu ;
une conversation sacerdotale doit toujours suggérer un Sursum corda.
Par ces divers moyens, nous conservons et augmentons notre vie intérieure ;
notre ministère, vivifié par la grâce, produit des fruits au centuple : « Qui
Manet in me et ego in eo, hic fert fructum multum » (Joan., XV, 5).
Ainsi donc toutes nos relations avec le prochain peuvent et doivent être
surnaturalisées ; toutes deviennent alors une occasion de progresser dans la
vertu, et d'augmenter en nous cette vie divine dont nous avons reçu une
abondante participation.
Synthèse générale
616. Ainsi se termine notre
première partie : les Principes de la vie surnaturelle. Tout ce que nous avons
dit découle logiquement des dogmes de notre foi ; tout se ramène à l'unité,
c'est-à-dire à Dieu, notre fin, et à Jésus-Christ notre médiateur ; et la vie
chrétienne nous apparaît comme le don de Dieu à l’âme et le don de l’âme à Dieu.
1° C'est le don de Dieu à l'âme. De toute éternité la Sainte Trinité nous a
aimés, et nous a prédestinés à cette vie surnaturelle qui est une participation
à la vie divine. C'est cette adorable Trinité, vivant en notre âme, qui est à la
fois la cause efficiente et exemplaire de cette vie ; l'organisme surnaturel,
qui nous permet de faire des actes déiformes, est son œuvre.
Mais c'est le Verbe Incarné qui en est la cause méritoire, comme aussi le modèle
le plus parfait, modèle adapté à notre faiblesse, puisque tout en étant Dieu, il
est homme comme nous, notre ami, notre frère, bien plus, la tête d'un corps
mystique dont nous sommes les membres. Et, parce que Marie associée à l'œuvre
rédemptrice, ne peut pas être séparée de son Fils, elle nous apparaît comme un
premier échelon pour aller à Jésus, de même que Jésus est le médiateur
nécessaire pour aller au Père. Les Anges et les Saints, qui font eux aussi
partie de la grande famille de Dieu, nous aident de leurs prières et de leurs
exemples.
617. 2° Pour répondre aux prévenances divines, l'âme se donne tout entière à
Dieu en cultivant la vie qui lui est si libéralement octroyée. Nous la cultivons
en luttant contre la concupiscence qui demeure en nous ; en faisant des actes
surnaturels qui, outre qu'ils méritent une augmentation de vie divine, nous font
acquérir de bonnes habitudes ou des vertus ; en recevant les sacrements, qui
ajoutent à nos mérites, une vertu sanctificatrice venant de Dieu lui même.
L'essence même de la perfection, c'est l'amour de Dieu poussé jusqu'à
l'immolation de soi : combattre et diminuer en nous le vieil homme pour y faire
vivre Jésus-Christ, voilà la tâche qui nous incombé. En la poursuivant,
c'est-à-dire, en utilisant les moyens de perfection, nous ne cessons de tendre à
Dieu par Jésus- Christ.
Le désir de la perfection n'est au fond que l'élan de notre âme essayant de
répondre à l'amour prévenant de Dieu ; il nous porte à connaître et à aimer
Celui qui est tout amour, « Deus caritas est » ; à nous connaître nous-mêmes
pour mieux sentir le besoin de Dieu et nous jeter entre ses bras miséricordieux
; cet amour se traduit par une conformité aussi parfaite que possible à la
volonté de Dieu, manifestée par ses lois et ses conseils comme aussi par les
événements heureux ou malheureux qui tous servent à nous le faire aimer
davantage ; et par la prière qui, en devenant habituelle, élève constamment
notre âme vers Dieu. Les moyens extérieurs eux-mêmes nous ramènent à Dieu,
puisque la direction, le règlement de vie et les lectures de piété nous
soumettent à sa volonté sainte ; les relations que nous avons avec nos
semblables en qui nous voyons un reflet des perfections divines nous ramènent
encore à Celui qui est le centre de tout. Et, comme dans l'usage de ces moyens,
nous avons sans cesse devant les yeux Jésus notre modèle, notre collaborateur,
notre vie, nous nous transformons en lui : Christianus alter Christus.
Ainsi se réalise peu à peu l'idéal de perfection tracé à ses disciples par M.
Olier en tête du « Pietas Seminarii » : « Vivere summe Deo in Christo Jesu
Domino nostro ; ita ut interiora Filii ejus intima cordis nostri penetrent :
vivre pour Dieu et pour Dieu seul, au suprême degré, en s'incorporant au Christ
Jésus, de telle sorte que ses dispositions intérieures pénètrent au plus intime
de notre âme et deviennent, les nôtres ».
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