LA VOIE MYSTIQUE

adveniat regnum tuum

PREMIERE PARTIE
Les Principes

 CHAPITRE V
Des moyens généraux de perfection

407. Après avoir acquis la conviction profonde que nous devons tendre à la perfection, il n'y a plus qu'à rechercher et mettre en pratique les moyens qui nous rapprochent du but à atteindre. Il s'agit ici des moyens généraux, communs à toutes les âmes qui veulent progresser ; dans la seconde partie nous traiterons des moyens spéciaux qui conviennent aux différents degrés de la vie spirituelle.
Ces moyens sont intérieurs ou extérieurs : les premiers sont des dispositions ou des actes de l'âme elle-même qui l'élèvent graduellement vers Dieu ; les seconds comprennent, outre ces actes, des secours extérieurs qui aident l'âme dans cette ascension. Il importe d'en donner une vue synthétique.
408. I. Parmi les moyens intérieurs quatre s'imposent à notre attention :
1° Le désir de la perfection, qui est le premier pas en avant et nous donne l'élan nécessaire pour triompher des obstacles ;
2° La connaissance de Dieu et de soi-même : puisqu'il s'agit d'unir l'âme à Dieu, mieux on connaîtra ces deux termes et plus il sera facile de les rapprocher : noverim te, Domine, ut amem te, noverim me ut despiciam me !
3° La conformité à la volonté divine, qui, en soumettant notre volonté à celle de Dieu, est la marque la plus authentique d'amour et le moyen le plus efficace de nous unir à la source de toute perfection : unum velle, unum nolle.
4° La prière, considérée au sens le plus large comme adoration et demande, mentale ou vocale, privée ou publique, ascensio mentis in Deum ; par elle nous unissons à Dieu toutes nos facultés intérieures, mémoire et imagination, entendement, volonté, et même nos actes extérieurs, en tant qu'ils sont l'expression de notre esprit de prière.
II. Les moyens extérieurs peuvent aussi se ramener à quatre principaux :
1° La direction : de même en effet que Dieu a institué une autorité visible pour gouverner extérieurement son Eglise, de même il a voulu que les âmes au for interne fussent conduites par un guide spirituel expérimenté, qui puisse leur faire éviter les écueils, activer et diriger leurs efforts ;
2° Un règlement de vie, qui, approuvé par le directeur, prolonge son action dans les âmes ;
3° Les conférences, exhortations ou lectures spirituelles qui, bien choisies, nous mettent en contact avec la doctrine et les exemples des Saints et nous entraînent à leur suite ;
4° La sanctification des relations sociales de parenté, d'amitié ou d'affaires, qui nous permet d'orienter vers Dieu non seulement nos exercices de piété, mais toutes nos actions et surtout nos devoirs d'état.

I. Moyens intérieurs  Désir de la perfection.
Connaissance de Dieu et de soi-même.
Conformité à la volonté divine.
Prière.

II. Moyens extérieurs Direction.
Règlement de vie.
Lectures et conférences spirituelles.
Sanctification des relations sociales.

ART. I. DES MOYENS INTÉRIEURS DE PERFECTION

§ I. Le désir de la perfection

409. Le premier pas vers la perfection, c'est de la désirer sincèrement, ardemment et constamment. Pour nous en rendre compte, étudions : 1° sa nature ; 2° sa nécessité et son efficacité ; 3° ses qualités ; 4° les moyens de l'entretenir.

I. Nature de ce désir

410. 1° Le désir en général est un mouvement de l'âme vers le bien absent ; il diffère donc de la joie, qui est la satisfaction de posséder le bien présent. Il en est de deux sortes : le désir sensible, ou élan passionné vers le bien sensible absent ; le désir rationnel, qui est un acte de la volonté se portant avec ardeur vers un bien spirituel. Parfois ce désir réagit sur la sensibilité et se mêle ainsi de sentiment. Dans l'ordre surnaturel, nos bons désirs sont influencés par la grâce divine, ainsi que nous l'avons lit plus haut.
411. 2° On peut dont définir le désir de la perfection : un acte de la volonté qui, sous l'influence de la grâce, aspire sans cesse au progrès spirituel. Cet acte est parfois accompagné d'émotions, de pieux sentiments qui intensifient le désir ; mais cet élément n'est pas nécessaire.
412. 3° Ce désir naît de l'action combinée de la grâce et de la volonté. De toute éternité Dieu nous aime, et par là même désire s’unir à nous : « Et in caritate perpetua dilexi te ; ideo attraxi te, miserans. » (Jerem., XXXI, 3). Avec un amour inlassable il nous recherche, nous poursuit, comme s'il ne pouvait être heureux sans nous. D'un autre côté, quand notre âme éclairée par la foi se replie sur elle-même, elle sent un vide immense que rien ne peut combler, rien sauf l'infini, Dieu lui-même. Elle soupire donc après Dieu, après l’amour divin, après la perfection, comme le cerf altéré soupire après la source d'eau vive : « Quemadmodum desiderat cervus ad fontes aquarum, ita desiderat anima mea post te... Sitivit in te anima mea… » (Ps. XLI, 2, LXII, 2). Et, comme sur terre ce désir n'est jamais assouvi, parce qu'il nous reste toujours à progresser vers l'union divine, il en résulte que, si nous n'y mettons pas d'obstacles, il grandira sans cesse.
413. 4° Malheureusement bien des obstacles tendent à l'étouffer, ou du moins à l'amoindrir : c'est la triple concupiscence, que nous avons déjà décrite n° 193, c'est l'horreur des difficultés à vaincre, des efforts à renouveler pour correspondre à la grâce et progresser. Il faut donc se bien convaincre de sa nécessité, et prendre les moyens de le ranimer.

II. Sa nécessité et son efficacité

414. 1° Nécessité. Le désir est le premier pas vers la perfection, la condition sine qua non pour y parvenir. Le chemin de la perfection est ardu et suppose des efforts énergiques et constants, puisque, comme nous l'avons dit, on ne peut progresser dans J'amour de Dieu sans sacrifices, sans lutter contre la triple concupiscence et la loi du moindre effort. Or on n'entre pas dans un chemin difficile, escarpé, si on n'a pas le désir ardent d'arriver au but ; y fût-on entré, on l'abandonnerait vite, si on n'était soutenu dans ses efforts par l'élan de l'âme vers la perfection.
A) Aussi tout, dans nos Saints Livres, tend exciter en nous ce désir. Dans les Evangiles comme dans les Epitres, on nous exhorte sans cesse à la perfection. Nous l'avons déjà montré en parlant de l'obligation de tendre à la perfection : les textes qui établissent cette nécessité ont pour but de stimuler notre désir du progrès. Si on nous donne comme idéal l'imitation des perfections divines et comme modèle Jésus lui-même, si on raconte ses vertus, si on nous presse de l'imiter, n'est-ce pas pour exciter en nous le désir de la perfection ?
415. B) La Sainte Liturgie ne procède pas autrement. En reproduisant dans le cours de l'année les différentes phases de la vie de Notre Seigneur, elle nous fait exprimer les désirs les plus ardents pour l'avènement du règne de Jésus dans les âmes pendant le temps de l’Avent ; pour sa croissance dans nos cœurs au temps de Noël et de l'Epiphanie ; pour les exercices de la pénitence, en tant qu'ils nous préparent aux grâces de la Résurrection, dans la période de la Septuagésime à Pâques ; pour l'union intime avec Dieu, au temps pascal ; pour les dons du Saint Esprit à partir de la Pentecôte. Ainsi, pendant toute l'année liturgique, elle ne fait que stimuler notre désir du progrès spirituel, tantôt sous une forme et tantôt sous une autre.
416. C) L'expérience qu'on acquiert en lisant la vie des Saints ou en dirigeant les âmes, nous montre que, sans le désir de la perfection fréquemment renouvelé, les âmes n'avancent pas dans les voies spirituelles. C'est bien ce que nous dit Sainte Thérèse : « Ne rétrécissons pas nos désirs, c'est d'une haute importance. Croyons fermement qu'avec le secours divin et des efforts, nous pourrons par succession de temps acquérir nous aussi ce que tant de saints, aidés par Dieu, sont parvenus à obtenir. Si jamais ils n'avaient conçu de semblables désirs, et si peu à peu ils n'en étaient venus à l'exécution, jamais ils ne seraient montés si haut... Ah ! combien il importe dans la vie spirituelle de s'animer aux grandes choses ! » (Vie par elle-même, ch. XIII, p. 164). La Sainte en est elle-même un exemple frappant ; tant qu'elle n'eut pas résolu de briser tous les liens qui retardaient son élan vers les sommets de la perfection, elle se traîna péniblement dans la médiocrité ; du jour où elle résolut de se donner entièrement à Dieu, elle progressa merveilleusement.
417. La pratique de la direction confirme l'enseignement des saints. Quand on rencontre des âmes généreuses qui ont le désir humble et soutenu de progresser dans les voies spirituelles, elles goûtent et pratiquent les moyens de perfection qu'on leur suggère. Si au contraire ce désir est absent ou faible, on s'aperçoit vite que les plus pressantes exhortations n'ont que peu d'effet ; la nourriture de l'âme, comme celle du corps, ne profite bien qu'à ceux qui en ont faim et soif : Dieu comble de ses biens ceux qui s'en montrent affamés, mais ne les distribue qu'avec parcimonie à ceux qui n'en ont cure (Luc, I, 53).
C'est ce qui ressort aussi de l'efficacité du désir.
418. 2° Efficacité du désir de la perfection. Ce désir est une véritable force qui nous fait avancer vers une vie meilleure.
a). La psychologie montre en effet que l'idée, quand elle est profonde, tend à provoquer l'acte correspondant. C'est encore plus vrai lorsque la pensée est accompagnée du désir : car le désir est déjà un acte de la volonté qui met en branle nos facultés exécutrices. Ainsi donc désirer la perfection, c'est y tendre ; et y tendre est un commencement de réalisation. Désirer aimer Dieu, c'est déjà l'aimer, puisque Dieu voit le fond de nos cœurs et nous tient compte de toutes nos intentions. De là ce mot profond de Pascal : « Tu ne me chercherais pas, si tu ne m'avais pas trouvé ». Or désirer, c'est chercher, et qui cherche, trouve : « Omnis enim qui quærit, invenit » (Matth., VII, 8).
419. b) De plus, dans l'ordre surnaturel, le désir est une prière, une ascension de l'âme vers Dieu, une sorte de communion spirituelle avec Lui, qui élève notre âme vers Lui et l'attire à nous. Or Dieu se plaît à exaucer nos prières, surtout quand elles ont pour but notre sanctification, qui est le désir le plus ardent de son cœur : « hæc est enim voluntas Dei, sanctificatio vestra » (I Thess., IV, 3). C'est ainsi que, dans l'Ancien Testament, Dieu nous presse de chercher, de poursuivre la sagesse, c'est-à-dire la vertu, fait les plus belles promesses à ceux qui écoutent sa voix, et l'octroie généreusement à ceux qui le désirent (Sap., VII, 7). Et, dans l'Evangile, Notre Seigneur nous invite à étancher en Lui notre soif spirituelle : « Si quis sitit, veniat ad me et bibat » (Joan., VII, 37). Plus donc nos désirs sont ardents, et plus nous recevons de grâces : car la source d'eau vive est intarissable.
420. c) Enfin le désir, en dilatant notre âme, la rend plus apte aux communications divines. Du côté de Dieu, il y a une telle plénitude de bonté et de grâces que la mesure qui nous est octroyée est proportionnée dans une large mesure à notre capacité de recevoir. Plus donc nous dilatons notre âme par de sincères et ardents désirs, et plus elle est apte à recevoir de la plénitude divine (Ps. CXVIII, 131 ; LXXX, 11).

III. Qualités que doit avoir le désir de la perfection

Pour produire ces heureux résultats, le désir de la perfection doit être surnaturel, prédominant, progressif et pratique.
421. 1° Il doit être surnaturel dans son motif, comme dans son principe :
a) Dans son motif, c'est-à-dire, s'appuyer sur les raisons que la foi nous fournit, et que nous avons déjà exposées : la nature et l'excellence de la vie chrétienne et de la perfection, la gloire de Dieu, l'édification du prochain, le bien de notre âme, etc.
b) Dans son principe, en ce sens qu'il doit se produire sous l'action de la grâce, qui seule peut nous donner la lumière pour comprendre et goûter ces motifs, et la force nécessaire pour agir en conformité avec nos convictions. Et, comme la grâce s'obtient par la prière, il faut demander avec instance que Dieu augmente en nous ce désir de la perfection.
422. 2° Il doit être prédominant, en d'autres termes, plus intense que tout autre désir. Puisque la perfection est en effet le trésor caché, la perle précieuse qu'il faut acheter à tout prix, et qu'à chaque degré de perfection chrétienne correspond un degré de gloire, de vision béatifique et d'amour, il faut la désirer et la rechercher plus que toute autre chose (Matth., VI, 33).
423. 3° Constant et progressif : la perfection étant une œuvre de longue haleine, qui demande de la persévérance et du progrès, il faut constamment renouveler son désir de mieux faire. C'est pour cela que Notre Seigneur nous dit de ne pas regarder en arrière, pour voir le chemin déjà parcouru, et s'arrêter avec complaisance sur les efforts déjà réalisés : « Nemo mittens manum ad aratrum et respiciens retro, aptus est regno Dei » (Luc, IX, 62). Il faut au contraire, nous dit Saint Paul, regarder en avant pour voir le chemin qui reste à parcourir et tendre ses énergies comme le coureur qui tend le bras en avant pour mieux saisir le but (Philip., II, 14). Plus tard, Saint Augustin insistera beaucoup sur cette même vérité : car, dit-il, s'arrêter, c'est reculer ; s'attarder pour contempler le chemin parcouru, c'est perdre son ardeur. Toujours viser à mieux faire, toujours aller de l'avant, telle est la devise de la perfection.
Il faut donc contempler non pas le bien qu'on a fait, mais celui qui reste à faire ; regarder non ceux qui font moins bien que nous, mais ceux qui font mieux, les fervents, les saints, et surtout le Saint par excellence, Jésus lui-même, notre vrai modèle. Alors plus on avance, et plus on se sent éloigné du but, précisément parce qu'on voit mieux combien le but est élevé  .
Cependant il ne doit y avoir dans nos désirs rien de trop empressé, de fiévreux, et surtout rien de présomptueux; les efforts violents ne durent pas, et les présomptueux sont vite découragés après les premiers échecs. Ce qui nous fait avancer, c'est un désir calme, réfléchi, basé sur des convictions, appuyé sur la toute-puissance de la grâce, et souvent renouvelé.
424. 4° Alors il devient pratique et efficace, parce qu'il porte non sur un idéal impossible à réaliser, mais sur les moyens qui sont à notre portée. Il est des âmes qui ont un magnifique idéal, mais purement spéculatif, qui aspirent à une haute sainteté mais négligent les moyens d'y arriver. Il y a là un double danger : on peut croire qu'on est déjà parfait, parce qu'on rêve de perfection, et s'en enorgueillir ; on peut s'arrêter, et déchoir. Il faut au contraire se rappeler l'adage : qui veut la fin, veut les moyens ; et se dire que c'est la fidélité aux petites choses qui assure la fidélité aux grandes, et que par conséquent il faut immédiatement appliquer son désir de perfection à l'action présente quelque minime qu'elle soit; car c'est la fidélité dans les petites choses qui assure la fidélité dans les grandes (Luc, XVI, 10). Désirer la perfection, et remettre l'effort au lendemain, vouloir se sanctifier dans les grandes occasions et négliger les petites, c'est une double illusion qui dénote un manque de sincérité, ou du moins un manque de psychologie. Il faut sans doute un idéal élevé, mais aussi des réalisations immédiates et progressives.

IV. Moyens pour exciter ce désir de perfection

425. 1° Le désir de la perfection étant basé sur des convictions surnaturelles, c'est surtout par la méditation et la prière qu'on peut l'acquérir et l'augmenter. Il faut donc avant tout réfléchir sur les grandes vérités que nous avons exposées dans les chapitres précédents, la nature et l'excellence de cette vie que Dieu vient lui-même nous communiquer, la beauté, les richesses d'une âme qui cultive cette vie, les délices que Dieu lui réserve dans le ciel ; méditer la vie des Saints qui ont d'autant plus progressé qu'ils avaient un désir plus ardent et plus constant de se rapprocher chaque jour de la perfection. Pour que cette méditation soit plus profitable, il faut y joindre la prière, qui, en attirant la grâce, fait pénétrer ces convictions jusqu'au plus intime de l'âme.
426. 2° Mais il est des circonstances plus favorables où l'action de la grâce se fait plus vivement sentir. Un directeur spirituel avisé saura en profiter pour exciter en ses pénitents des désirs de perfection.
a) Ainsi, dès le premier éveil de la raison, Dieu sollicite l'enfant à se donner à lui ; combien il importe que parents et confesseurs en profitent pour stimuler et diriger l'élan de ces jeunes cœurs ! Il en est de même du moment de la première communion, privée ou solennelle, du moment où se dessine la vocation, où se fait le choix d'un état de vie, quand on entre au collège, au Séminaire ou au noviciat ; ou bien quand on reçoit le sacrement de mariage. En toutes ces circonstances Dieu accorde des grâces spéciales, et il importe d'y répondre généreusement.
427. b) Il y a aussi le temps des retraites. Le recueillement prolongé qu'elles entraînent, les instructions qu'on y entend, les lectures qu'on y fait, accompagnées d'examens de conscience et de prières, et surtout les grâces plus abondantes qu'on y reçoit, contribuent à fortifier nos convictions, nous font mieux connaître l'état de notre conscience et détester plus cordialement nos péchés et leurs causes, suggèrent des résolutions plus pratiques et plus généreuses, et nous donnent un nouvel élan vers la perfection. C'est ainsi que, depuis quelques années, l'usage plus fréquent des retraites fermées a servi à former, dans le clergé et parmi les laïques, des hommes d'élite qui n'ont qu'une ambition, celle de progresser dans la vie spirituelle. Les directeurs de Séminaires savent aussi quels effets merveilleux produisent dans la jeunesse cléricale les retraites qui se font au début de chaque année et au moment des ordinations ; c'est alors que se forment, se renouvellent ou s'intensifient de généreux désirs pour une vie meilleure. Il importe donc de profiter de ces occasions pour répondre à l'appel de Dieu et commencer ou perfectionner la réforme de soi-même.
428. C) Les épreuves providentielles, physiques ou morales, comme la maladie, les deuils de famille, les angoisses morales, les revers de fortune, sont souvent accompagnées de grâces intérieures qui nous stimulent vers une vie plus parfaite. Elles nous détachent de ce qui n'est pas Dieu, purifient l'âme par la souffrance, nous font désirer le ciel et la perfection qui en est le chemin, pourvu que l’âme profite de ces épreuves pour se tourner vers Dieu.
429. d) Enfin il est des moments où le Saint-Esprit produit dans les âmes des mouvements intérieurs qui les inclinent vers une vie plus parfaite : il les éclaire sur la vanité des choses humaines, sur le bonheur de se donner plus complètement à Dieu, et les presse de faire des efforts plus énergiques. Il faut évidemment profiter de ces grâces intérieures pour accentuer sa marche en avant.
430. 3° Il est enfin des exercices spirituels qui tendent de leur nature à stimuler notre désir de perfection ; ce sont :
a) L'examen particulier, qui nous oblige chaque jour à rentrer en nous-même sur un point spécial, non seulement pour constater nos défaillances ou nos progrès, mais encore et surtout pour renouveler notre volonté d'avancer dans la pratique de telle ou telle vertu. (n° 468).
b) La confession bien faite, en vue de nous corriger de tel ou tel défaut (n° 262).
c) La retraite du mois et les retraites annuelles qui viennent périodiquement nous retremper dans le désir de mieux faire.

Conclusion

431. En utilisant ces divers moyens, nous maintenons notre volonté constamment ou du moins habituellement orientée vers le progrès spirituel. Alors, soutenus par la grâce de Dieu, nous triomphons plus aisément des obstacles ; nous avons sans doute parfois de légères défaillances, mais, stimulés par le désir du progrès, nous reprenons courageusement notre marche en avant, et nos défaites partielles, en nous exerçant à l'humilité, ne servent qu'à nous rapprocher de Dieu.

§ II. De la connaissance de Dieu et de soi-même

432. Puisque la perfection consiste dans l'union de notre âme à Dieu, il est évident que, pour y arriver, il faut tout d'abord connaître les deux termes de l'union, Dieu et l'âme : la connaissance de Dieu nous mènera directement à l'amour : noverim te ut amem te ! la connaissance de soi, en nous faisant apprécier ce que Dieu a mis de bon en nous, nous excitera à la reconnaissance, et la vue de nos misères et de nos défauts, en nous faisant concevoir un juste mépris de nous-même, produira directement l'humilité : noverim me, ut despiciam me, et, par voie de conséquence, l'amour divin, puisque c'est dans le vide de soi que s'opère l'union avec Dieu.

I. De la connaissance de Dieu

433. Pour aimer Dieu, il faut avant tout le connaître : nil volitum quin præcognitum. Plus donc nous nous appliquons à étudier ses perfections, et plus notre cœur s'embrase d'amour pour lui, car tout en lui est aimable : il est la plénitude de l'être, plénitude de beauté, de bonté et d'amour : Deus caritas est. Cela est évident. Reste donc à déterminer : 1° ce qu'il nous faut connaître de Dieu pour l'aimer; 2° et comment arriver à cette connaissance affectueuse.

1° Ce qu’il nous faut connaître de Dieu

Il nous faut connaître sur Dieu tout ce qui peut nous le faire admirer et aimer, par conséquent son existence, sa nature, ses attributs, ses œuvres, surtout sa vie intime et ses relations avec nous. Rien de ce qui touche à la divinité n'est étranger à la dévotion : les vérités les plus abstraites elles-mêmes ont un côté affectif qui aide singulièrement la piété. Montrons-le par quelques exemples tirés de la philosophie et de la théologie.
434. A) Vérités philosophiques. a) Les preuves métaphysiques de l'existence de Dieu semblent bien abstraites ; et cependant elles sont une mine de précieuses réflexions qui mènent à l'amour divin. Dieu premier moteur immobile, acte pur, est la source de tout mouvement ; donc je ne puis me mouvoir qu'en Lui et par Lui ; c'est Lui qui doit être le premier principe de toutes nos actions ; et s'Il en est le premier principe, il doit en être la fin : Ego sum principium et finis. Dieu est la cause première de tous les êtres, de tout ce qu’il y a de bon en moi, de nos facultés, de nos actes : donc à Lui seul tout honneur et toute gloire !, Dieu est l'Etre nécessaire, le seul nécessaire « unum necessarium » ; par conséquent le seul bien à poursuivre ; tout le reste n'est que du contingent, de l'accessoire, du transitoire, et ne peut être utile qu'autant qu'il nous conduit à cet unique nécessaire. Dieu est l'infinie perfection, et les créatures ne sont qu'un pâle reflet de sa beauté, c'est donc Lui l'idéal à poursuivre : « Estote Perfecti sicut et Pater vester cælestis perfectus est » (Matth., V, 48) ; nous ne devons donc mettre aucunes bornes à notre perfection : « Moi qui suis infini, disait Dieu à Ste Catherine de Sienne, je suis en quête d'œuvres infinies, c'est à dire d'un sentiment infini d'amour » (Dialog. I, p. 40).
435. b) Si de là nous passons à la nature divine, le peu que nous en connaissons nous détache des créatures et de nous-même pour nous élever à Dieu. Il est la plénitude de l’être « Ego sum qui sum » ; donc mon être n'est qu'un être d'emprunt, incapable de subsister par lui-même, et doit reconnaître son absolue dépendance de l'Etre divin. C'est ce que Dieu voulait inculquer à Ste Catherine de Sienne, lorsqu'il lui disait : «  Sais-tu, ma fille, ce que tu es, ce que je suis… Tu es celle qui n'est pas, et moi je suis Celui qui est » (Vie, t. I, p. 71) Quelle leçon d'humilité et d'amour !
436. c) Il en est de même des attributs divins : il n'en est aucun qui, bien médité, ne serve à stimuler notre amour sous une forme ou sous une autre : la simplicité divine nous excite à pratiquer cette simplicité ou pureté d'intention qui nous fait tendre directement à Dieu, sans aucun retour désordonné sur nous-même ; son immensité, qui nous enveloppe et nous pénètre, est le fondement de cet exercice de la présence de Dieu si cher et si profitable aux âmes pieuses ; son éternité nous détache de tout ce qui passe, en nous rappelant que ce qui n'est pas éternel n'est rien : « quod æternum non est nihil est » ; son immutabilité nous aide à pratiquer, au milieu des vicissitudes humaines, ce calme si nécessaire à l'union intime et durable ; son infinie activité stimule la nôtre et nous empêche de tomber dans la nonchalance ou dans une sorte de quiétisme dangereux ; sa toute-puissance, mise au service de son infinie sagesse et de sa miséricordieuse bonté nous inspire une confiance filiale qui nous facilite singulièrement la prière et le saint abandon ; sa sainteté nous fait haïr le péché et aimer cette pureté de cœur qui mène à l'union intime avec Dieu : « Beati mundo corde, quoniam ipsi Deum videbunt » ; son infaillible vérité est le fondement le plus solide de notre foi ; sa beauté, sa bonté, son amour ravissent notre cœur et y suscitent des élans d'amour et de reconnaissance. Aussi les âmes saintes aiment à se perdre dans la contemplation des divins attributs : en admirant et en adorant les perfections de Dieu, elles en attirent quelque chose dans leur âme.
437. B) Elles se plaisent surtout à contempler les vérités révélées, qui toutes se ramènent à l'histoire de la vie divine ; sa source dans la Sainte Trinité ; ses premières communications par la création et la sanctification de l'homme ; sa restauration par l'Incarnation ; sa diffusion actuelle par l'Eglise et les Sacrements ; sa consommation finale dans la gloire. Chacun de ces mystères les ravit et les enflamme d'amour pour Dieu, pour Jésus, pour les âmes, pour toutes les choses divines.
438. a) La vie divine dans sa source, c’est la Sainte Trinité : Dieu, qui est la plénitude de l'être et de la charité, se contemple de toute éternité ; en se contemplant, il produit son Verbe, et ce Verbe est son Fils, distinct de lui et cependant parfaitement égal à lui, sa vivante et substantielle image. Il aime ce Fils et en est aimé ; de cet amour mutuel jaillit le Saint-Esprit, distinct du Père et du Fils, dont il procède, et parfaitement égal à l'un et à l'autre. Et c'est cette vie à laquelle nous participons !
439. b) Parce qu'il est infiniment bon, Dieu veut se communiquer à d'autres êtres : il le fait par la création et surtout par la sanctification. Par la création nous sommes les serviteurs de Dieu, et c'est déjà pour nous un grand honneur ; car que Dieu ait pensé à moi de toute éternité, qu'il m'ait choisi entre des milliards de possibles pour me donner l'existence, la vie, l'intelligence, quel sujet d'admiration, de reconnaissance et d'amour ! Mais qu'il m'ait appelé à participer à sa vie divine, qu'il m'ait adopté pour enfant, qu'il me destine à la claire vision de son essence et à un amour sans partage, n'est-ce pas là le comble de la charité ? Et n'est-ce pas un puissant motif de l'aimer sans réserve ?
440. c) Nous avions perdu, par la faute de notre premier père, nos droits à la vie divine et étions incapables de les recouvrer par nous-mêmes. Mais voici que le Fils de Dieu voit notre détresse, se fait homme comme nous, devient ainsi la tête d'un corps mystique dont nous sommes les membres, expie nos péchés par sa douloureuse Passion, et sa mort sur la Croix, nous réconcilie avec Dieu, et fait de nouveau couler dans nos âmes une participation à cette vie qu'il a puisée dans le sein du Père, Est-il rien de plus propre à nous faire aimer le Verbe Incarné, à nous unir étroitement à Lui, et par Lui au Père ?
441. d) Pour faciliter cette union, Jésus demeure parmi nous ; il y demeure par son Eglise, qui nous transmet et nous explique ses enseignements. Il y demeure par ses Sacrements, canaux mystérieux de la grâce qui nous communiquent la vie divine. Il y demeure surtout par l'Eucharistie, où il perpétue à la fois sa présence, son action bienfaisante et son sacrifice : son sacrifice, par la Sainte Messe, où il renouvelle d'une façon mystérieuse son immolation ; son action bienfaisante, par la Communion, où il vient avec tous ses trésors de grâce, perfectionner notre âme et lui communiquer ses vertus ; sa présence permanente, en s'emprisonnant volontairement, jour et nuit, dans le tabernacle, où nous pouvons le visiter, converser avec lui, glorifier avec lui l'adorable Trinité, trouver en lui la guérison de nos blessures spirituelles, et la consolation dans nos tristesses et nos abattements : Venite ad me omnes qui laboratis et onerati estis, et ego reficiam vos » (Matth., XI, 28).
442. 6) Et ceci n'est que le prélude de cette vie consommée en Dieu dont nous jouirons pendant l'éternité ; nous le verrons face à face, tel qu'il se voit lui-même, et l'aimerons d'un amour parfait ; en lui nous verrons et aimerons tout ce qu'il y a de grand et de noble. Sortis de Dieu par la création nous revenons à lui par la glorification, et, en le glorifiant nous trouvons le bonheur parfait.
Le dogme est donc la source de la vraie dévotion, son aliment ; et il nous reste à dire comment nous devons l'utiliser à ce point de vue.

2° Moyens pour acquérir cette connaissance de Dieu

443. Pour acquérir cette connaissance affectueuse de Dieu, trois moyens principaux se présentent à nous : 1° l'étude pieuse de la philosophie et de la théologie ; 2° la méditation ou l'oraison ; 3° l'habitude de voir Dieu en toutes choses.
A) L'étude pieuse de la théologie. On peut étudier la philosophie et la théologie de deux façons : avec l'esprit seulement, comme on étudie toute autre science, ou avec l'esprit et le cœur tout à la fois. C'est cette dernière façon qui engendre la piété. Lorsque Saint Thomas se plongeait dans l'étude approfondie des grandes questions philosophiques et théologiques, il le faisait, non pas comme un sage de la Grèce, mais comme un disciple, un amant du Christ ; c'est ainsi que, selon son expression, la théologie traite des choses divines et des actes humains, en tant qu'ils nous conduisent à la connaissance parfaite de Dieu, et par suite à l'amour. Aussi sa piété surpassait encore sa science. Ainsi en était-il de Saint Bonaventure et des grands théologiens. Sans doute la plupart d'entre eux n'ont pas fait de pieuses réflexions sur les grands mystères de notre foi qu'ils se bornent à exposer et à prouver ; mais c'est du fond même de ces vérités, que jaillit la piété : et quiconque étudie avec esprit de foi, ne peut s'empêcher d'admirer et d'aimer Celui dont la théologie nous révèle la grandeur et la bonté. Cela est vrai surtout de ceux qui savent utiliser les dons de science et d'intelligence : le premier nous fait monter des créatures à Dieu, en nous dévoilant leurs rapports avec la divinité ; le second nous fait pénétrer au dedans des vérités révélées, pour en saisir les merveilleuses harmonies.
A l'aide de ces lumières, le pieux théologien saura s'élever des vérités les plus spéculatives aux actes d'adoration, d'admiration, de reconnaissance et d'amour qui jaillissent spontanément de l'étude des dogmes chrétiens. Ces actes, loin de paralyser son activité intellectuelle, ne feront que l'affiner et la stimuler : on étudie mieux, avec plus d'activité et de constance, ce que l'on aime ; on y découvre des profondeurs que l'intelligence seule ne pénétrerait pas ; on en déduit des conséquences qui agrandissent le champ de la théologie en nourrissant la piété.
444. B) Mais à l'étude il faut joindre la méditation. On ne médite pas assez les dogmes chrétiens, ou du moins on ne les médite souvent que par leurs côtés accessoires. Il ne faut pas craindre de les prendre directement, et en leur fond, comme sujet principal de nos oraisons. C'est alors qu'à la lumière de la foi, sous l'action du Saint-Esprit, l'âme atteint à des hauteurs et pénètre à des profondeurs que l'intelligence seule ne saurait percevoir. Nous en trouvons la preuve dans les écrits d'âmes simples, élevées à la contemplation, qui nous ont laissé sur Dieu, Jésus-Christ, sa doctrine, ses sacrements, des aperçus qui rivalisent avec ceux des meilleurs théologiens. D'ailleurs Saint Thomas n'a-t-il pas dit qu'il avait plus appris à l'école de son crucifix que dans les livres des Docteurs ? La raison en est que, dans le silence et le calme de l'oraison, Dieu parle plus facilement au cœur, et que sa parole, mieux comprise, éclaire l'intelligence, réchauffe le cœur et met en branle la volonté. C'est alors aussi que le Saint-Esprit daigne communiquer, outre les dons de science et d'intelligence, celui de sagesse, qui fait goûter les vérités de la foi, les fait aimer et pratiquer, établissant ainsi une union très étroite entre l'âme et Dieu. C'est ce qu'a si bien décrit l'auteur de l'Imitation : « Heureuse l'âme qui entend le Seigneur lui parler intérieurement et qui reçoit de sa bouche la parole de consolation » (l. III, c. I).
Le souvenir fréquent et affectueux de Dieu pendant la journée prolonge et complète les heureux effets de l'oraison : en pensant à lui, on l'aime davantage, et l'amour affine notre connaissance.
445. C) Alors se contracte plus facilement l'habitude de s'élever des créatures au Créateur, et de voir Dieu dans toutes ses œuvres : les choses, les personnes, les événements.
La base de cette pratique, c'est l'exemplarisme divin, enseigné par Platon, perfectionné par Saint Augustin et Saint Thomas, que l'Ecole de Saint Victor a mis en lumière, et qu'a repris l'Ecole de spiritualité française du XVIIe siècle. Tous les êtres ont existé dans la pensée de Dieu avant d'être créés : il les a conçus dans son intelligence avant de les produire au dehors, et il a voulu que tous fussent, à des degrés divers, un reflet de ses divines perfections. Si donc nous contemplons les choses créées non pas seulement des yeux du corps, mais des yeux de l'âme, à l'aide des lumières de la foi, nous y verrons :
a) que toutes les créatures, selon leur degré de perfection, sont un vestige, ou une image, ou une similitude de Dieu ; que toutes nous disent qu'elles ont Dieu pour auteur et nous invitent à le louer, tout l'être qui est en elles, toute leur beauté et leur bonté, n'étant qu’une participation créée et finie de l'être divin ;
b) que les créatures intellectuelles en particulier, élevées à l'ordre surnaturel, sont des images, des similitudes vivantes de Dieu, participant, quoique d'une façon finie, à sa vie intellectuelle; que tous les baptisés étant membres du Christ, c'est Lui que nous devons voir en eux.
c) que tous les événements, heureux ou malheureux, sont destinés, dans la pensée divine, à perfectionner la vie surnaturelle qu'il leur a donnée, et à faciliter le recrutement des élus, si bien que nous pouvons profiter de tout pour sanctifier notre âme.
Ajoutons toutefois que, dans l'ordre chronologique, les âmes vont d'abord à Jésus-Christ, que c'est par lui qu'elles vont au Père, et que, arrivées à Dieu, elles ne cessent pas de se tenir étroitement unies à Jésus.

Conclusion : l’exercice de la présence de Dieu

446. La connaissance affectueuse de Dieu nous conduit au saint exercice de la présence de Dieu, dont nous allons brièvement indiquer la base, la pratique et les avantages.
A) La base, c'est la doctrine de l'omniprésence de Dieu. Il est partout non seulement par son regard et son opération, mais aussi par sa substance. Comme le disait S. Paul aux Athéniens, « c'est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l'être : in ipso enim vivimus, movemur et sumus » (Act., XVII, 28) ; ce qui est vrai au point de vue naturel comme au point de vue surnaturel. Comme Créateur, c'est lui qui, après nous avoir donné l'être et la vie, nous les conserve, et met en branle nos facultés par son concours ; comme Père, il nous engendre à la vie surnaturelle, qui est une participation à sa propre vie, collabore avec nous, comme cause principale, à sa conservation et à sa croissance, et se trouve ainsi intimement présent en nous, jusqu'au centre de notre âme, sans cesser cependant d'être distinct de nous. Et, comme nous l'avons dit, n° 92, c'est le Dieu de la Trinité qui vit en nous, le Père qui nous aime comme ses enfants, le Fils qui nous traite comme ses frères, et le Saint Esprit qui nous donne et ses dons et sa personne.
B) La pratique. Pour trouver Dieu, nous n'avons donc pas à le chercher jusque dans son ciel, nous le trouvons : a) tout près de nous dans les créatures qui nous entourent; c'est là qu'au début nous allons le chercher : toutes nous rappellent quelqu'une des perfections divines, mais surtout celles qui, douées d'intelligence, possèdent en elles le Dieu vivant (n° 92) ; elles nous servent comme d'échelons pour aller jusqu'à lui ; b) nous nous rappelons ensuite qu'il est tout près de ceux qui le prient avec confiance : « Prope est Dominus omnibus invocantibus eum » (Ps. CXLIV, 18) ; et notre âme se plaît à l'invoquer tantôt par de simples oraisons jaculatoires et tantôt par des prières plus longues.
C) Mais surtout nous nous souvenons que les trois divines personnes habitent en nous et que notre cœur est un tabernacle vivant, un ciel où elles se donnent déjà à nous. Il nous suffit donc de rentrer en nous-mêmes, dans la cellule intérieure, comme l'appelle Ste Catherine de Sienne, et de fixer, avec l'œil de la foi, l'hôte divin qui daigne y habiter. Alors nous vivrons sous son regard, sous son action, nous l'adorerons, et nous collaborerons avec lui à la sanctification de notre âme.
447. C) Il est facile de voir quels sont les avantages de cette pratique au point de vue de notre sanctification.
a) Elle nous fait éviter avec soin le péché. Qui donc oserait offenser la majesté divine au moment même où il sait que Dieu habite en lui, avec sa sainteté infinie qui ne peut souffrir la moindre tache, avec sa justice qui l'oblige à châtier les plus petites fautes, avec sa puissance qui arme son bras contre le coupable, et surtout avec sa bonté qui sollicite notre amour et notre fidélité ?
b) Elle stimule notre ardeur pour la perfection. Si un soldat, qui combat sous les yeux de son général, se sent porté à multiplier ses prouesses, comment ne pas se sentir prêts aux plus rudes labeurs, aux efforts les plus généreux, lorsque nous savons que nous combattons non pas seulement sous le regard de Dieu, mais avec sa collaboration toujours victorieuse, et encouragés par la couronne immortelle qu'il nous promet, surtout par le surcroît d'amour qu'il nous donne comme récompense ?
c) Et quelle confiance nous donne cette pensée ? Quelles que soient nos épreuves, nos tentations, nos fatigues, nos faiblesses, ne sommes-nous pas sûrs de la victoire finale, lorsque nous nous rappelons que Celui qui est la toute-puissance, et à qui rien ne résiste, vit en nous et met à notre service ses divines énergies ? Sans doute nous pouvons éprouver des échecs partiels, passer par des angoisses douloureuses ; mais nous sommes sûrs qu'appuyés sur lui nous triompherons, et que nos croix elles-mêmes ne servent qu'à nous faire aimer Dieu davantage et à multiplier nos mérites.
d) Enfin quelle joie pour nous de penser que Celui qui fait le bonheur des élus, et que nous verrons un jour, est déjà en notre possession, et que nous pouvons jouir de sa présence et converser avec lui tout le long du jour ?
La connaissance et la pensée, fréquente de Dieu sont donc très sanctifiantes ; il en est de même de la connaissance de soi-même.

II. De la connaissance de soi-même

La connaissance de Dieu nous porte directement à l'aimer, puisqu'il est infiniment aimable ; la connaissance de nous-mêmes nous y porte indirectement, en nous montrant le besoin absolu que nous avons de lui pour perfectionner les qualités qu'il nous a données et pour remédier à nos misères profondes. Nous allons donc exposer : 1° la nécessité de cette connaissance ; 2° son objet ; 3° les moyens d'y arriver.

1° La nécessité de la connaissance de soi-même

Quelques mots suffiront à nous en convaincre.
448. A) Si on ne se connaît pas soi-même, il est moralement impossible de se perfectionner. Car alors on se fait illusion sur son état, tombant, selon son caractère ou l'inspiration du moment, tantôt dans un optimisme présomptueux, qui nous fait croire que nous sommes déjà parfaits, tantôt dans le découragement, qui nous fait exagérer nos défauts et nos fautes ; dans l'un et l'autre cas, le résultat est presque le même, c'est l'inaction, ou du moins l'absence d'efforts énergiques et soutenus, le relâchement. Comment d'ailleurs corriger des défauts qu'on ne connaît pas ou qu'on connaît mal, cultiver des vertus, des qualités dont on n'a qu'une notion vague et confuse ?
449. B) Au contraire la connaissance claire et sincère de notre âme nous stimule à la perfection : nos qualités nous portent à remercier Dieu en correspondant plus généreusement à la grâce ; nos défauts et la conscience de notre impuissance nous montrent que nous avons encore beaucoup à faire et qu'il importe de ne perdre aucune occasion de progresser. Alors on profite de toutes les occasions pour déraciner ou du moins affaiblir, mortifier, dominer ses vices, pour cultiver et faire grandir ses qualités. Et parce qu’on a conscience de son incapacité, on demande humblement à Dieu la grâce d'avancer chaque jour, et, appuyé sur la confiance, on a l'espoir et le désir du succès : ce qui donne de l’élan et de la constance dans l'effort.

2° Objet de la connaissance de soi-même

450. Remarques générales. Pour que cette connaissance soit plus efficace, il faut qu'elle embrasse tout ce qui se trouve en nous, qualités et défauts, dons naturels et dons surnaturels, attraits et répugnances, avec l'histoire de notre vie, nos fautes, nos efforts, nos progrès ; le tout étudié sans pessimisme, mais avec impartialité avec une conscience droite éclairée par la foi.
a) Il faut donc constater sincèrement, sans fausse humilité, toutes les qualités que le Bon Dieu a mises en nous, non pas certes pour nous en glorifier, mais pour en exprimer notre reconnaissance à leur auteur, et pour les cultiver avec soin : ce sont des talents qu'il nous a confiés et il nous en demandera compte. Le terrain à explorer est donc très vaste, puisqu'il comprend et les dons naturels et les dons surnaturels : ce que nous tenons plus directement de Dieu, ce que nous avons reçu de nos parents, de l'éducation, ce que nous devons à nos propres efforts soutenus par la grâce.
451. b) Mais il faut aussi se mettre courageusement en face de ses misères et de ses fautes. Tirés du néant, nous y tendons sans cesse ; nous ne subsistons ni ne pouvons agir que par le concours incessant de Dieu. Attirés au mal par la triple concupiscence (n° 193 ss.), nous avons augmenté cette tendance par nos péchés actuels et les habitudes qui en sont le résultat ; il faut humblement le reconnaître, et, sans découragement, se mettre à l'œuvre, avec la grâce divine, pour guérir ces blessures par la pratique des vertus chrétiennes, afin de nous rapprocher ainsi de la perfection de notre Père céleste.
452. Applications. Pour nous guider dans cet examen, nous pouvons parcourir successivement nos dons naturels et surnaturels, en suivant une sorte de questionnaire qui facilitera la tâche de chacun d'entre nous.
A) Pour ce qui est des dons naturels, nous pouvons nous demander, sous le regard de Dieu, quelles sont les tendances principales qui semblent caractériser nos facultés, en suivant non un ordre strictement philosophique, mais simplement pratique
453. a) Par rapport à la sensibilité : est-ce elle qui domine chez nous ou est-ce la raison et la volonté ? Il y a en nous tous un mélange des deux, mais il n'est pas dosé chez tous de la même façon. Aimons-nous plus par sentiment que par volonté ou dévouement ?
Sommes-nous maître de nos sens extérieurs, ou leur esclave ? Quel empire exerçons-nous sur l'imagination et la mémoire ? Est-ce que ces facultés ne sont pas excessivement volages, souvent occupées en de vaines rêveries ? Sur nos passions ? Sont-elles bien orientées, modérées ? Est-ce la sensualité qui domine ou l'orgueil, la vanité ?
Sommes-nous apathiques, mous, nonchalants, paresseux ? Si nous sommes lents, sommes-nous du moins constants dans nos efforts ?
454. b) L'intelligence : de quelle nature est-elle, vive et claire, mais superficielle, ou lente et pénétrante ? Sommes-nous des intellectuels, des spéculatifs ou des hommes pratiques, étudiant en vue d'aimer et d'agir ? Comment cultivons-nous notre intelligence ? Avec nonchalance ou énergie ? Avec constance ou d'une façon intermittente ? A quels résultats aboutissons-nous ? Quelles sont nos méthodes de travail ? Ne pourrait-on pas les perfectionner ?
Sommes-nous passionnés dans nos jugements, obstinés dans nos opinions ? Savons-nous écouter ceux qui ne pensent pas comme nous, acquiescer à ce qu'ils disent de raisonnable ?
455. c) La volonté : est-elle faible, inconstante, ou forte et persévérante ? Que faisons-nous pour la cultiver ? Elle doit être la reine des facultés, mais elle ne peut l'être qu'en usant de beaucoup de tact et d'énergie. Que faisons-nous pour assurer sa maîtrise sur nos sens extérieurs et intérieurs, sur l'exercice de nos facultés intellectuelles, pour lui donner à elle-même plus d'énergie et de constance ? Avons-nous des convictions ? Souvent renouvelées ?  Exerçons-nous notre volonté dans les petites choses, les petits sacrifices de chaque jour ?
456. d) Le caractère a une importance capitale dans nos relations avec le prochain : un bon caractère, qui sait s'adapter au caractère des autres est un puissant levier pour l'apostolat ; un mauvais caractère est l'un des plus grands obstacles au bien. Or un homme de caractère, c'est celui qui, ayant de fortes convictions, s'efforce avec fermeté et persévérance d'y conformer sa conduite. Le bon caractère c'est ce mélange de bonté et de fermeté, de douceur et de force, de franchise et de tact, qui fait que l'on est estimé et aimé de ceux avec qui on a des relations. Le mauvais caractère, c'est celui qui, manquant de franchise, de bonté, de tact ou de fermeté, ou qui, laissant prédominer l'égoïsme, est rude dans ses manières, se rend désagréable et parfois odieux au prochain. Il y a donc là un élément capital à étudier.
457. e) Les habitudes : elles naissent de la répétition des mêmes actes, et donnent une certaine facilité à reproduire des actes analogues avec promptitude et délectation. Il importe donc qu'on étudie celles que l'on a déjà contractées, pour les fortifier si elles sont bonnes, pour les déraciner si elles sont mauvaises. Ce que nous dirons, dans la seconde partie, des péchés capitaux et des vertus, nous aidera dans cette recherche.
458. B) Nos dons surnaturels. Nos facultés étant tout imprégnées de surnaturel, nous ne nous connaîtrions pas complètement, si nous ne faisions attention aux dons surnaturels que Dieu met en nous. Nous les avons décrits plus haut (n° 119 ss.) ; mais la grâce de Dieu est très variée dans son mode d'opération ; il importe donc d'étudier son action spéciale dans notre âme.
a) Les attraits qu'elle nous donne pour telle ou telle vocation, pour telle ou telle vertu : c'est en effet de la docilité à suivre ces mouvements de la grâce que dépend notre sanctification.
1) Il est des moments décisifs dans la vie où la voix de Dieu se fait plus forte et plus pressante : l'écouter alors et la suivre est de première importance.
2) Il faut nous demander si, parmi ces attraits, il n'en est pas un qui soit dominant, qui revienne plus fréquemment, plus fortement, vers tel ou tel genre de vie, telle ou telle façon de faire oraison, telle ou telle vertu : c'est alors la voie spéciale où Dieu veut que nons marchions ; il importe d'y entrer pour être dans le courant de la grâce.
459. b) Outre les attraits, il faut aussi nous rendre compte de nos résistances à la grâce, de nos défaillances, de nos péchés, pour les regretter sincèrement, les réparer et les éviter à l'avenir. C'est une étude pénible, humiliante, surtout si on la fait loyalement et dans le détail, mais une étude très profitable, puisque d'un côté elle nous aide à pratiquer l'humilité, et que de l'autre elle nous jette avec confiance dans le sein de. Dieu, qui seul peut guérir nos faiblesses.

3° Des moyens propres à obtenir cette connaissance

460. Remarquons d'abord que la connaissance parfaite de soi-même est chose difficile. a) Attirés comme nous le sommes par les choses du dehors, nous n'aimons guère à rentrer dans notre intérieur, pour y examine ce petit monde invisible ; orgueilleux, nous aimons encore moins à constater nos défauts.
Ces actes intérieurs sont très complexes : il y a en nous deux hommes, comme le dit Saint Paul, et souvent conflit tumultueux entre les deux. Pour démêler ce qui vient de la nature et ce qui vient de la grâce, ce qui est volontaire et ce qui ne l'est pas, il faut beaucoup d'attention, de perspicacité, de loyauté, de courage, de persévérance. Ce n'est que peu à. peu que la lumière se fait : une connaissance en amène une autre, et celle-ci prépare la voie à une connaissance plus approfondie encore.
461. Puisque c'est par les examens de conscience qu'on arrive à se connaître soi-même, nous allons, pour en faciliter la pratique, donner quelques règles générales, proposer une méthode, et indiquer les sentiments qui doivent accompagner ces examens.
462. A) Règles générales. a), Pour bien s'examiner, il faut avant tout invoquer les lumières du Saint Esprit, qui scrute les reins et les cœurs, et le prier de nous montrer les plis et les replis de notre âme, en nous communiquant ce don de science, dont l’une des fonctions est de nous aider à nous connaître nous-mêmes pour nous conduire à Dieu.
b) Il faut ensuite se mettre en face de Jésus, le modèle parfait dont nous devons nous rapprocher chaque jour, adorer et admirer non seulement ses actes extérieurs, mais encore et surtout ses dispositions intérieures. Alors nos défauts et nos imperfections apparaîtront beaucoup plus clairement par le contraste que nous remarquerons entre nous et ce divin modèle. Mais nous n'en serons pas découragés, puisque Jésus est en même temps le médecin des âmes, qui ne demande qu'à panser nos plaies et à les guérir. Lui faire, pour ainsi dire, sa confession, en lui demandant humblement pardon, est une excellente pratique.
463. c) C'est alors que nous rentrerons au plus intime de notre âme : des actes extérieurs nous remonterons aux dispositions intérieures qui les inspirent, à leur cause profonde. Ainsi, lorsque nous avons manqué à la charité, nous nous demanderons si c'est par légèreté, par envie ou jalousie, ou pour faire de l'esprit, ou par loquacité.
Afin d'en apprécier le caractère moral, la responsabilité, il faudra se demander si l'acte est volontaire en soi ou dans sa cause, fait avec une pleine conscience de sa malice ou avec une demi-advertance, avec un plein consentement ou un demi-consentement. Au début, tout cela est obscur, mais s'éclaircit peu à peu.
Pour être plus impartial dans ses jugements, il est bon de se mettre en face du Souverain juge, de l'entendre nous dire avec bonté sans doute, mais aussi avec autorité : redde rationem villicationis tuæ. Alors nous essaierons de répondre avec autant de sincérité que nous voudrions l'avoir fait au dernier jour.
464. d) Il est parfois utile, surtout aux débutants, de faire cet examen par écrit, afin de mieux fixer leur attention et de pouvoir mieux comparer les résultats de chaque jour et de chaque semaine. Mais si on le fait, il y faut éviter toute recherche de soi-même, toute prétention littéraire, et prendre les précautions nécessaires pour que ces notes ne tombent pas sous les yeux des profanes. Si on use d'un tableau avec des signes conventionnels, il importe de se prémunir contre la routine ou un examen superficiel. En tout cas, le moment vient généralement où il vaut mieux se passer de ce moyen, et s'accoutumer à s'examiner en toute simplicité, sous le regard de Dieu, à la suite de ses principales actions, pour faire ensuite la récapitulation à la fin de la journée.
465. En cela, comme en tout le reste, on suivra les conseils d'un sage directeur, et on le priera de nous aider à nous mieux connaître nous-mêmes : observateur désintéressé et expérimenté, il voit généralement mieux que nous le fond de notre conscience, et apprécie plus impartialement la vraie valeur de nos actes.
466. B) Méthodes pour examiner sa conscience. Tout le monde reconnaît que S. Ignace les a beaucoup perfectionnées. Dans ses Exercices spirituels, il distingue avec soin l'examen général de l'examen particulier : le premier porte sur toutes les actions de la journée, le second sur un point spécial, un défaut à corriger, une vertu à cultiver. Mais on peut faire l'un et l'autre au même moment : dans ce cas, on se contente, pour l'examen général, d'un coup d'œil d'ensemble sur les actions de la journée, pour découvrir ses fautes principales ; et aussitôt on passe à l'examen particulier, qui a beaucoup plus d'importance que le premier.
467. a) Pour l'examen général, que tout bon chrétien doit faire, pour se connaître et se réformer, il renferme cinq points, nous dit Saint Ignace :

1) « Le premier point est de rendre grâces à Dieu, notre Seigneur, des bienfaits que nous avons reçus ». C'est là une pratique excellente, à la fois consolante et sanctifiante, puisqu'elle prépare la contrition en faisant ressortir notre ingratitude, et soutient notre confiance en Dieu.

2) « Le deuxième, de demander la grâce de connaître nos péchés et de les bannir de notre cœur ». Si donc on veut se connaître, c'est pour se réformer, et on ne fait l'un et l’autre qu'avec l'aide de la grâce de Dieu.

3) « Le troisième, de demander à notre âme un compte exact de notre conduite depuis l'heure du lever jusqu'au moment de l'examen, en parcourant successivement les heures de la journée, ou certains espaces déterminés par l'ordre de nos actions. On s'examinera premièrement sur les pensées, puis sur les paroles, puis sur les actions, selon l'ordre indiqué dans l'examen particulier ».

4) « Le quatrième, de demander pardon de nos fautes à Dieu, notre Seigneur ». Il ne faut pas oublier en effet que la contrition est l'élément principal de l'examen, et que cette contrition est surtout l'œuvre de la grâce.

5) « Le cinquième, de former la résolution de nous corriger avec le secours de sa grâce. Terminer par l’oraison dominicale ». Cette résolution, pour être pratique, portera sur les moyens de réforme : car qui veut la fin veut les moyens. La récitation du Pater, en nous remettant devant les yeux la gloire de Dieu que nous devons procurer, et en nous unissant à Jésus Christ pour demander le pardon de nos fautes et la grâce de les éviter à l'avenir, termine fort bien cet examen.

468. b) L'examen particulier est, au jugement de Saint Ignace, plus important encore que l'examen général, et même que l'oraison, parce qu'il nous permet de prendre corps à corps nos défauts les uns après les autres et de les vaincre ainsi plus facilement. D'ailleurs, en nous examinant à fond sur une vertu importante, nous acquérons non seulement celle-ci, mais toutes les autres qui s'y rattachent : ainsi progresser dans l'obéissance, c'est en même temps faire acte d'humilité, de mortification et d'esprit de foi ; et de même acquérir l'humilité, c'est du même coup se perfectionner dans l'obéissance, dans l'amour de Dieu, dans la charité, l'orgueil étant l'obstacle principal à la pratique de ces vertus. Mais pour cela, il y a des règles à suivre pour le choix du sujet et la manière de le faire.
469. Choix du sujet. 1) En général, il faut s'attaquer au défaut dominant en s'efforçant de pratiquer la vertu contraire : ce défaut est en effet le grand obstacle, le général en chef de l'armée ennemie ; lui vaincu, toute l'armée est en déroute.
2) Le sujet choisi, on s’attaque d'abord aux manifestations extérieures de ce défaut, afin de supprimer ce qui offusque ou scandalise le prochain ; ainsi, pour la charité, on commencera par diminuer et supprimer les paroles ou actes contraires à cette vertu.
3) Mais de là il faut remonter, sans trop de retard, à la cause intérieure de nos fautes, par exemple, aux sentiments d'envie, au désir de briller en conversation, etc. qui peuvent en être la source.
4) Il importe de ne pas se borner au côté négatif des vertus ou à la lutte contre les défauts, mais de cultiver avec soin la vertu qui leur est opposée : on ne supprime que ce qu'on remplace.
5) Enfin, pour avancer plus sûrement, on divisera avec soin le sujet de son examen selon les degrés des vertus, de manière à ne pas embrasser toute l'étendue d'une vertu, mais seulement quelques actes correspondant mieux à nos besoins particuliers. Ainsi, pour l'humilité, on pratiquera d'abord ce qu'on peut appeler l'effacement ou l'oubli de soi, parlant peu, donnant aux autres, par des questions discrètes, l’occasion de parler, aimant l'obscurité, la vie cachée, etc.
470. Manière de le faire. Il comprend, nous dit Saint Ignace, trois temps et deux examens de conscience, chaque jour.
1) « Le premier temps est le matin. Aussitôt qu'on se lève, on doit se proposer de se tenir soigneusement en garde contre le péché ou défaut particulier dont on veut se corriger ». Ce temps est court : c'est l'affaire de deux ou trois minutes en s'habillant.
2) « Le second temps est après le dîner ; le troisième, après le souper. On commencera par demander à Dieu, notre Seigneur, ce que l'on désire, c'est à dire la grâce de se souvenir combien de fois on est tombé dans ce péché ou défaut particulier, et celle de s'en corriger à l'avenir ; puis on fera le premier examen, en se demandant à soi-même un compte exact de ce point spécial, sur lequel on a résolu de se corriger et de se réformer. On parcourra donc chacune des heures de la matinée que l'on peut aussi diviser en certains espaces de temps, selon l'ordre des actions, en commençant depuis le moment du lever jusqu'à celui de l'examen présent ; puis on marquera sur la première ligne de la lettre J (du tableau où l'on marque ses fautes) autant de points que l'on est tombé de fois dans ce péché ou ce défaut particulier. Enfin on prendra de nouveau la résolution de s'amender du premier au second examen ». Le temps généralement consacré par les âmes ferventes à cet examen est d’un quart d'heure.
471. On s'examine selon le procédé qui a été expliqué pour l'examen général. Mais de plus on inscrit ses manquements pour s'en souvenir plus facilement et faire ensuite les comparaisons dont parle S. Ignace dans les notes qui suivent : « Comme la première ligne de la lettre J indique le premier examen, et la seconde le second, on observera le soir, en comparant la première et la seconde ligne, s’il y a amendement du premier au second examen. Comparer le second jour avec le premier, c'est-à-dire les deux examens du jour présent avec les deux du jour précédent, et voir si d'un jour à l'autre on s’est corrigé. Comparer également une semaine avec l'autre, et voir, si dans la semaine qui vient de s'écouler, le progrès a été plus notable que dans la semaine précédente ». L’utilité de ces comparaisons, c'est de stimuler notre ardeur : en comparant les pertes et les gains, on se sent porté à redoubler d'efforts pour augmenter ceux-ci et diminuer celles-là.
C'est aussi pour arriver au même résultat que S. Ignace conseille, chaque fois que l'on tombe dans une faute se rapportant à l'examen particulier, de porter la main sur la poitrine en s'excitant intérieurement à la contrition. Il est évident en effet que cette vigilance à réparer immédiatement les moindres fautes ne peut que hâter la réforme de notre vie.
472. Si cette méthode paraît un peu complexe de prime abord, elle l'est moins en pratique ; et si on ne peut y consacrer un temps aussi notable, on peut condenser ce qu'il y a d'essentiel dans ces actes en un temps plus réduit, par exemple, en dix minutes le soir. Si on prévoit qu'on ne pourra le faire le soir, on pourrait y consacrer une partie de la visite au Saint Sacrement.
473. C) Dispositions qui doivent accompagner cet examen. Pour que l'examen de conscience, général ou particulier, puisse nous unir à Dieu plus étroitement, il doit être accompagné de sentiments ou dispositions, qui sont pour ainsi dire l'âme de cet examen. Nous indiquerons les principales : reconnaissance, contrition, bon propos et prière.
a) Tout d'abord un sentiment de vive reconnaissance à l'égard de Dieu, qui, pendant tout le jour, nous a enveloppés de sa providence paternelle, protégés contre les tentations, et préservés de beaucoup de péchés, car, sans le secours de sa grâce, nous serions tombés dans des fautes nombreuses. Nous ne saurions donc trop le remercier, et cela d'une façon pratique en faisant un meilleur usage des dons divins.
474. b) Ce sentiment produira en nous une contrition loyale, d'autant plus profonde qu'ayant reçu tant de bienfaits, nous en avons abusé pour offenser un Père si bon et si miséricordieux. De là naîtra une humilité sincère, qui nous fera constater, par notre propre expérience, notre fragilité, notre impuissance, notre indignité ; et nous accepterons avec joie la confusion que nous éprouvons à la vue de nos défaillances sans cesse renouvelées, heureux de pouvoir par-là proclamer l'infinie miséricorde d'un Père toujours enclin à pardonner, et nous réjouissant de ce que notre misère fait ressortir l'infinie perfection de Dieu. Ces dispositions ne seront pas passagères, mais se maintiendront par l'esprit de pénitence qui nous remettra souvent nos fautes devant les yeux : « Peccatum meum contra me est semper ! ».
475. c) De là naîtra la volonté ferme d'expier et de nous réformer : d’expier par les œuvres  de pénitence, ayant soin de nous en imposer quelqu'une pour nos transgressions, afin d'amortir l’amour du plaisir, source de nos péchés ; de nous réformer, en précisant les moyens à employer pour diminuer le nombre de nos fautes. Cette volonté exclura soigneusement la présomption, qui, nous faisant trop compter sur notre bonne volonté et notre énergie, nous priverait de beaucoup de grâces et nous exposerait à de nouvelles imprudences et à de nouvelles chutes. Mais elle s'appuiera avec confiance sur la toute puissance et l'infinie bonté de Dieu, toujours prêt à nous venir en aide quand nous avons conscience de notre incapacité.
476. d) Et c'est pour implorer ce secours divin que nous terminerons par une prière d'autant plus humble et plus pressante que la vue de nos péchés nous a rendus plus défiants de nous-mêmes. Sachant que nous sommes incapables d'éviter le péché par nous-mêmes, et à plus forte raison, de nous élever à Dieu par la pratique des vertus, nous supplierons Dieu, du fond de notre misère, et en nous appuyant sur les mérites infinis de Jésus, de venir jusqu'à nous, de nous soulever du bourbier où nous nous enfonçons, de nous détacher du péché et de ses causes, et de nous élever jusqu'à lui.
C'est par ces dispositions, encore plus que par la recherche minutieuse de nos fautes, que peu à peu notre âme se transforme sous l'action de la grâce.

Conclusion

477. Ainsi donc la connaissance de soi, jointe à la connaissance de Dieu, ne peut que favoriser l'union intime et affectueuse entre notre âme et Dieu. Il est l'infinie perfection et nous l'extrême indigence ; entre les deux il y a donc connaturalité, proportion : nous trouvons en Lui tout ce qui nous manque. Lui s'incline vers nous pour nous envelopper de son amour et de ses bienfaits ; nous, nous tendons vers Lui, comme vers le seul Etre qui puisse combler notre déficit, le seul qui puisse corriger notre irrémédiable faiblesse. Assoiffés de bonheur et d'amour, nous ne trouvons l'un et l'autre qu'en Celui qui, par son amour, comble tous les désirs de notre cœur, et nous donne à la fois la perfection et le bonheur. Donc redisons la parole si connue : Noverim te, Domine, ut amem te, noverim me ut despiciam me.

§ III. De la conformité à la volonté divine

478. La connaissance de Dieu n'unit pas seulement notre intelligence à la pensée divine : elle tend à l'amour, parce que tout en Dieu est aimable ; la connaissance de soi, en nous montrant le besoin que nous avons de Dieu, nous fait soupirer ardemment après lui et nous jette entre ses bras. Mais la conformité à la volonté divine nous unit encore plus directement et plus intimement à Celui qui est la source de toute perfection ; elle soumet en effet et unit à Dieu notre volonté, qui étant la reine de nos facultés, les met toutes au service du Souverain Maître. On peut donc dire que notre degré de perfection dépend de notre degré de conformité à la volonté divine. Pour le mieux faire comprendre, nous exposerons : 1° la nature de cette conformité ; 2° son rôle sanctificateur.

I. Nature de la conformité à la volonté de Dieu

479. Sous ce nom de conformité à la volonté divine nous comprenons la soumission complète et affectueuse de notre volonté à celle de Dieu, soit à la volonté signifiée, soit à la volonté de bon plaisir.
La volonté de Dieu se présente à nous en effet sous un double aspect : a) elle est la règle morale de nos actions, nous signifiant clairement ce que nous devons faire par ses commandements ou ses conseils ; b) elle gouverne toutes choses avec sagesse, en dirigeant les événements pour les faire converger à sa gloire et au salut des hommes, et nous est donc manifestée par les événements providentiels qui se passent en nous et en dehors de nous.
La première s'appelle volonté signifiée, parce qu'elle nous marque clairement ce que nous devons faire. La seconde s'appelle volonté de bon plaisir, en ce sens que les événements providentiels nous disent quel est le bon plaisir de Dieu.
Nous exposerons donc : 1° ce qu’est la volonté signifiée de Dieu ; 2° ce qu'est sa volonté de bon plaisir ; 3° quels sont les degrés de soumission à cette dernière.

1° La volonté signifiée de Dieu

480. La conformité à la volonté signifiée de Dieu consiste à vouloir tout ce que Dieu nous signifie être de son intention. Or, dit S. François de Sales (Traité de l’Amour de Dieu, l. VIII, c. 3), « la doctrine chrétienne nous propose clairement les vérités que Dieu veut que nous croyions, les biens qu'il veut que nous espérions, les peines qu'il veut que nous craignions, ce qu'il veut que nous aimions, les commandements qu'il veut que nous fassions et les conseils qu'il désire que nous suivions. Et tout cela s'appelle la volonté signifiée de Dieu, parce qu'il nous a signifié et manifesté qu'il veut et entend que tout cela soit cru, espéré, craint, aimé et pratiqué ».
 La volonté signifiée comprend donc, selon le même Docteur (Entretien XV), quatre choses : les commandements de Dieu et de l'Eglise, les conseils, les inspirations de la grâce, et, pour les communautés, les Constitutions et les Règles.
481. a) Dieu, étant notre Souverain Maître, a le droit de nous commander ; et, comme il est infiniment sage et bon, il ne nous commande rien qui ne soit à la fois utile à sa gloire et à notre bonheur ; nous devons donc, en toute simplicité et docilité, nous soumettre à ses lois, loi naturelle ou loi divine, positive, loi ecclésiastique ou loi civile juste ; car, comme le dit S. Paul, toute autorité légitime vient de Dieu, et obéir aux Supérieurs qui commandent dans les limites de l'autorité qui leur a été départie, c'est obéir à Dieu, comme leur résister, c'est résister à Dieu même (Rom., XIII, 1-2). Nous n'examinons pas ici en quels cas la désobéissance aux différentes lois est grave ou légère ; nous l'avons fait dans notre Théologie morale. Qu'il nous suffise de dire, au point de vue de la perfection, que plus fidèlement et plus chrétiennement nous observons les lois, et plus nous nous rapprochons de Dieu, puisque la loi est l'expression de sa volonté. Ajoutons seulement que les devoirs d'état rentrent dans la catégorie des commandements : ce sont comme des préceptes particuliers qui incombent aux chrétiens en raison de la vocation spéciale et des fonctions que le Bon Dieu nous assigne.
On ne peut donc se sanctifier sans observer les commandements et les devoirs d'état ; les négliger sous prétexte de faire des œuvres de surérogation est une illusion dangereuse, une véritable aberration ; il est clair que le précepte passe avant le conseil.
482. b) L'observation des conseils n'est pas de soi nécessaire au salut et ne tombe pas sous un commandement direct et explicite. Mais nous avons déjà dit, en parlant de l'obligation de la perfection (n° 353) que, pour conserver l'état de grâce, il est nécessaire parfois de faire quelques œuvres de surérogation, par conséquent de pratiquer quelques conseils : c'est une obligation indirecte basée sur ce principe que qui veut la fin veut les moyens.
Mais, quand il s'agit de perfection, nous avons prouvé, n° 338, qu'on ne peut y tendre sincèrement et efficacement sans pratiquer quelques conseils, ceux qui s'harmonisent avec notre condition. Ainsi une personne mariée ne peut pas pratiquer les conseils qui s’opposeraient à l'accomplissement de ses devoirs à l'égard de son mari ou de ses enfants ; un prêtre du ministère ne peut vivre en chartreux. Mais, quand on vise à la perfection, il faut bien se résoudre à faire plus que ce qui est strictement commandé : plus généreusement on s'adonne à la pratique des conseils compatibles avec ses devoirs d'état, et plus on s’approche de Notre Seigneur et de la perfection divine, puisque ces conseils sont une expression de ses désirs sur nous.
483. c) Il en faut dire autant des inspirations de la grâce, quand elles sont clairement exprimées et soumises au contrôle du directeur ; on peut dire en effet que ce sont des conseils particuliers s'adressant à telle ou telle âme.
Sans doute il faut avoir soin de les soumettre, dans leur ensemble, au jugement du directeur ; autrement on tomberait facilement dans l'illusion. Ainsi des âmes ardentes et passionnées, douées d'une vive imagination, se persuadent aisément que Dieu leur parle, tandis que ce sont au contraire leurs passions qui leur suggèrent telle ou telle pratique fort dangereuse. Des âmes méticuleuses ou scrupuleuses prendraient pour inspirations divines ce qui ne serait que l'expression d'une imagination exaltée ou suggestion diabolique faite en vue de produire le découragement. Cassien en donne plusieurs exemples dans ses Conférences sur la discrétion (Seconde Confér., c. 5-8) ; et les directeurs expérimentés savent que l'imagination ou le démon suggère parfois des pratiques moralement impossibles, contraires aux devoirs d'état, en les colorant de l'apparence d'inspirations divines. Ces suggestions produisent le trouble : si on y obéit, on se rend ridicule, on perd ou on fait perdre un temps précieux; si on y résiste, on se croit en révolte contre Dieu, on se décourage, et on finit par tomber dans le relâchement. Il faut donc un certain contrôle, et la règle qu'on peut donner est celle-ci : s'il s'agit de choses ordinaires, que font généralement les personnes ferventes de même condition, et qui ne troublent pas l'âme, qu'on les fasse généreusement, quitte à en parler ensuite à son directeur ; s'il s'agit au contraire de choses tant soit peu extraordinaires, que ne font point généralement les bonnes âmes, qu'on s'en abstienne jusqu'à ce qu'on ait consulté son directeur, et qu'en attendant on se tienne dans le calme, accomplissant généreusement ses devoirs d'état.
484. Cette restriction une fois posée, il est évident que celui qui tend à la perfection doit prêter l'oreille avec soin à la voix du Saint-Esprit parlant au dedans de lui-même : « Audiam quid loquatur in me Dominus Deus » (Ps., LXXXIV, 9) ; et exécuter promptement, généreusement ce qu'il demande de nous : « Ecce venio ut faciam, Deus, voluntatem tuam » (Hebr., X, 9). Ceci en effet n'est autre chose que correspondre à la grâce, et cette correspondance docile et constante est précisément ce qui nous rend parfaits : « Adjuvantes exhortamur ne in vacuum gratiam Dei recipiatis » (II Cor. VI, 1). Le caractère distinctif des âmes parfaites, c'est précisément d'écouter et de mettre en pratique ces inspirations divines :  « Quæ placita sunt ei facio semper » (Joan., VIII, 29).
485. d) Quant aux personnes vivant en communauté, elles sont d'autant plus parfaites, toutes choses égales d'ailleurs, qu'elles obéissent plus généreusement à leurs règles et constitutions : ce sont en effet des moyens de perfection approuvés d'une façon explicite ou implicite par l'Eglise, et que l'on s'engage à observer quand on entre dans une communauté. Sans doute, comme nous l'avons expliqué, n° 375, manquer à quelques règles de détail par faiblesse n'est pas en soi un péché ; mais, outre que souvent il se glisse dans ces négligences volontaires un motif plus ou moins peccamineux, il est certain qu'en ne les observant pas, même par faiblesse, on se prive d'une occasion précieuse d'acquérir des mérites. Il reste toujours vrai qu'accomplir sa règle est un des moyens les plus sûrs de faire la volonté de Dieu et de vivre pour lui : « Qui regulæ vivit Deo vivit » ; et qu'y manquer volontairement et sans raison est un abus de la grâce.
Ainsi donc l'obéissance à la volonté de Dieu signifiée est le moyen normal d'arriver à la perfection.

2° De la conformité à la volonté du bon plaisir

486. Cette conformité consiste à se soumettre à tous les événements providentiels voulus ou permis de Dieu pour notre plus grand bien, et surtout pour notre sanctification.
a) Elle s'appuie sur ce fondement que rien n'arrive sans la volonté ou la permission de Dieu, et que Dieu étant infiniment sage et infiniment bon, ne veut et ne permet rien que pour le bien des âmes, même alors qu'on ne le voit pas. C'est ce que disait Tobie au milieu de ses afflictions et des reproches de sa femme : « Justus es, Domine... et omnis viæ tuæ misericordia et veritas et judicium » (Tob., III, 2) ; c'est ce que proclamait la Sagesse : « Tua autem, Pater, Providentia gubernat... Attingit ergo a fine usque ad finem fortiter, et disponit omnia suaviter » (Sap. XIV, 3).
C'est surtout ce que nous inculque Saint Paul : « Diligentibus Deum omnia cooperantur in bonum » (Rom., VIII, 28).
Mais, pour comprendre cette doctrine, il faut se placer au point de vue de la foi et de l'éternité, de la gloire de Dieu et du salut des hommes. Si on ne voit que la vie présente et le bonheur terrestre, on ne peut comprendre les desseins de Dieu, qui a voulu nous soumettre à l'épreuve ici-bas pour nous récompenser dans le ciel. Tout est subordonné à cette fin, les maux présents n'étant qu'un moyen de purifier notre âme, de l'affermir dans la vertu et de nous faire acquérir des mérites, le tout en vue de la gloire de Dieu qui reste la fin dernière de la création.
487. b) C'est donc un devoir pour nous de nous soumettre à Dieu dans tous les événements heureux ou malheureux, dans les calamités publiques ou les malheurs privés, dans les intempéries des saisons, dans la pauvreté et la souffrance, dans les deuils qui viennent nous frapper aussi bien que dans les joies, dans l'inégale répartition des dons naturels ou surnaturels, dans la pauvreté aussi bien que dans la richesse, dans les revers comme dans les succès, dans les sécheresses comme dans les consolations, dans la maladie aussi bien que dans la santé, dans la mort et les souffrances et incertitudes qui l'accompagnent. Comme le disait le saint homme Job : « Si nous recevons le bien de la main de Dieu, pourquoi n'en recevrions-nous pas aussi le mal : Si bona suscepimus de manu Dei, mala quare non suscipiamus ? » (Job. II, 10). Commentant ces paroles, Saint-François de Sales en admire la beauté : « 0 Dieu, que cette parole est de très grand amour ! Il pense, Théotime, que c'est de la main de Dieu qu'il a reçu les biens, témoignant qu'il n'avait pas tant estimé les biens, parce qu'ils étaient biens, comme parce qu'ils provenaient de la main du Seigneur. Ce qu'étant ainsi, il conclut que donc il faut supporter amoureusement les adversités, parce qu'elles procèdent de la même main du Seigneur, également aimable lorsqu'elle distribue les afflictions, comme quand elle donne les consolations » (Amour de Dieu, l. IX, c. 2). Et c'est qu'en effet les afflictions nous donnent l'occasion de mieux témoigner notre amour à Dieu ; l'aimer, quand il nous comble de biens, est chose facile, mais il n'appartient qu'à l'amour parfait de recevoir les maux de sa main, puisqu'ils ne sont aimables qu'à cause de celui qui les donne.
488. Ce devoir de soumission au bon plaisir de Dieu dans les événements malheureux est un devoir de justice et d'obéissance, puisque Dieu est notre Souverain Maître qui a toute autorité sur nous ; un devoir de sagesse puisque ce serait folie de vouloir échapper à l'action de la Providence, tandis que dans l'humble résignation nous trouvons la paix ; devoir d'intérêt, puisque la volonté de Dieu ne nous éprouve que pour notre bien, pour nous exercer à la vertu et nous faire acquérir des mérites ; mais c'est surtout un devoir d'amour, puisque l'amour, c'est le don de soi jusqu'à l'immolation.
489. C) Toutefois, pour faciliter aux âmes éprouvées la soumission à la volonté divine, il est bon, lorsqu'elles ne sont pas encore parvenues à l’amour de la croix, de leur suggérer quelques moyens pour adoucir leurs souffrances. Deux remèdes peuvent les alléger, l'un négatif et l'autre positif. 1) Le premier, c'est de ne pas les aggraver par une fausse tactique : il en est qui collectionnent leurs maux passés, présents et à venir, et en forment comme un bloc qui leur paraît insupportable. C'est le contraire qu'il faut faire : « sufficit diei malitia sua » (Matth. VI, 34). Au lieu de raviver les blessures du passé, déjà cicatrisées, il faut ou n'y plus penser, ou n'y penser que pour voir les avantages qu'on en a retirés : les mérites acquis, l'accroissement de vertu produit par la patience, l'accoutumance à la douleur. Ainsi s'atténue la douleur : car un mal ne nous affecte que lorsque nous y faisons attention ; une médisance, une calomnie, une insulte ne nous chagrine que lorsque nous la ruminons avec amertume.
Pour l'avenir, c'est folie que de s'en préoccuper. Sans doute il est sage de le prévoir pour s'y préparer dans la mesure où nous le pouvons ; mais penser à l'avance aux maux qui peuvent nous arriver et s'en attrister, c'est gaspiller son temps et ses énergies en pure perte ; car enfin ces maux peuvent ne pas arriver ; s'ils fondent sur nous, il sera temps de les supporter avec l'aide de la grâce qui nous sera donnée pour les adoucir : en ce moment, nous ne l'avons pas, et, livrés à nos propres forces, nous ne pouvons que succomber sous le poids du fardeau que nous nous imposons nous-mêmes. N'est-il pas plus sage de s'abandonner entre les mains de notre Père céleste, et de bannir impitoyablement comme malfaisantes et mauvaises les pensées ou images qui nous représentent des souffrances passées ou à venir ?
490. 2) Le remède positif, c'est de penser, au moment où l'on souffre, aux grands avantages de la souffrance. La souffrance est une éducatrice, une source de mérites. C'est une éducatrice, c'est-à-dire, une source de lumière et de force ; elle nous rappelle que nous sommes ici-bas des exilés, en marche vers la patrie, et qu'il ne faut pas nous amuser à cueillir les fleurs des consolations, le vrai bonheur n'étant qu'au ciel. Or, comme l'a dit le poète : « Quand l'exil est trop doux, on en fait sa patrie ! » C’est aussi une force : l'habitude du plaisir détend l'activité, amollit les courages et prépare de honteuses capitulations ; la souffrance au contraire, non par elle-même, mais par la réaction qu'elle provoque, tend et accroît nos énergies et nous rend aptes aux plus mâles vertus, comme on l'a vu au cours de la grande guerre.
491. C'est aussi une source de mérites pour soi et pour les autres. Patiemment supportée, pour Dieu et en union avec Jésus-Christ, la souffrance nous mérite un poids éternel de gloire, et comme S. Paul le rappelle sans cesse aux premiers chrétiens : « J'estime que les souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire à venir... Car notre légère affliction du moment présent produit pour nous... un poids éternel de gloire » (Rom., VIII, 18 ; II Cor., IV, 17). Et, pour les âmes généreuses, il ajoute qu'en souffrant avec Jésus, elles complètent sa passion et contribuent avec lui au bien de l'Eglise (Colos., I, 24). C'est en effet ce qui résulte de la doctrine de notre incorporation au Christ, n° 142 ss. Ces pensées n'enlèvent pas la souffrance sans doute, mais elles en atténuent singulièrement l'amertume, en nous faisant toucher du doigt sa fécondité.
Tout donc nous invite à conformer notre volonté à celle de Dieu, même au milieu des épreuves ; voyons quels sont ses degrés.

3° Degrés de conformité à la volonté de Dieu

492. Saint Bernard distingue trois degrés de cette vertu qui, correspondent aux trois degrés de la perfection chrétienne : « Le débutant, mû par la crainte, endure la croix du Christ patiemment ; le progressant, mû par l'espérance, la porte avec une certaine joie, le parfait, consommé en charité, l’embrasse avec ardeur » (I Serm. S. Andreæ, 5).
A) Les débutants soutenus par la crainte de Dieu, n'aiment pas la souffrance et cherchent plutôt à l'éviter ; cependant ils aiment mieux encore souffrir que d'offenser Dieu, et, tout en gémissant sous le poids de la croix, la subissent avec patience : ce sont des résignés.
B) Les progressants, soutenus par l'espérance et le désir des biens célestes, et sachant que chaque souffrance nous vaut un poids éternel de gloire, ne recherchent pas encore la croix, mais la portent volontiers, avec une certaine joie (Ps. CXXV, 6).
C) Les parfaits, guidés par l'amour, vont plus loin : pour glorifier Dieu qu'ils aiment, pour se conformer plus parfaitement à Jésus Christ, ils vont au devant des croix, les désirent, les embrassent avec ardeur, non pas qu'elles soient aimables en elles-mêmes, mais parce qu'elles nous sont un moyen de témoigner notre amour à Dieu et à Jésus Christ. Comme les Apôtres, ils se réjouissent d'avoir été jugés dignes d'être outragés pour le nom de Jésus ; comme Saint Paul, ils débordent de joie au milieu de leurs tribulations (De Imit. Christi, l. III, c.17). Ce dernier degré s'appelle le saint abandon : nous y reviendrons plus tard en parlant de l'amour de Dieu.

II. Rôle sanctificateur de la conformité à la volonté de Dieu

493. De ce que nous avons dit il résulte évidemment que cette conformité à la volonté de Dieu ne peut que nous sanctifier, puisqu'elle unit notre volonté, et par là même nos autres facultés à Celui qui est la source de toute sainteté. Pour le mieux réaliser, voyons comment elle nous purifie, nous réforme et nous conforme à Jésus-Christ.
494. 1° Cette conformité nous purifie. Déjà dans l'Ancienne Loi, Dieu fait souvent remarquer qu'il est prêt à pardonner tous les péchés, et à rendre à l'âme l'éclatante blancheur de sa pureté primitive, si elle change de cœur ou de volonté (Isa., I, 16-18). Or conformer sa volonté à celle de Dieu, c'est assurément changer de cœur, cesser de faire le mal, apprendre à faire le bien. Et n'est-ce pas aussi ce que veut dire ce texte plusieurs fois répété : « Melior est enim obedientia quam victimæ ? » (I Reg., XV, 22 ; Osee, VI, 6 ; Matth., IX, 13 ; XII, 7). Dans le Nouveau Testament, N. S. déclare, dès son entrée dans le monde, que c'est par l'obéissance qu'il remplacera tous les sacrifices de l'Ancienne Loi (Hebr., X, 6, 7). Et en fait il nous a rachetés par l'obéissance poussée jusqu'à l'immolation de soi pendant sa vie et surtout au Calvaire : « factus obediens usque ad mortem, mortem autem Crucis » (Phil., II, 8). C'est donc aussi par l’obéissance et l'acceptation des épreuves providentielles qu'en union avec Jésus nous expierons nos péchés et purifierons notre âme.
495. 2c) Elle nous réforme. Ce qui nous a déformés c'est l'amour désordonné du plaisir, auquel nous avons cédé par malice ou par faiblesse. Or la conformité à la volonté divine nous guérit de cette double cause de rechutes.
a) Elle nous guérit de la malice, qui résulte elle-même de nos attaches aux créatures et surtout de l'attache à notre jugement et à notre volonté propres. Car, en conformant notre volonté à celle de Dieu, nous acceptons ses jugements comme la règle des nôtres, ses commandements et ses conseils comme la règle de notre volonté ; nous nous détachons ainsi des créatures et de nous-mêmes, et de la malice qui venait de ces attaches.
b) Elle remédie à notre faiblesse, source de tant de défaillances ; au lieu de nous appuyer sur nous-mêmes qui sommes si fragiles, nous nous appuyons par l'obéissance sur Dieu, qui étant tout puissant, nous fait participer à sa force et résister aux plus graves tentations : « Omnia possum in eo qui me confortat » (Phil. IV, 13). Quand nous faisons sa volonté, il se plaît à faire la nôtre, en exauçant nos prières et en soutenant notre faiblesse.
Ainsi débarrassés de notre malice et de notre faiblesse, nous cessons d'offenser Dieu de propos délibéré, et graduellement nous réformons notre vie.
496. 3° Nous la rendons par là même conforme à celle de Notre Seigneur Jésus Christ. a) La conformité la plus réelle, la plus intime, la plus profonde, c'est celle qui existe entre deux volontés. Or, par la conformité à la volonté de Dieu, nous soumettons et unissons notre volonté à celle de Jésus dont la nourriture était de faire la volonté de son Père ; comme lui et avec lui, nous ne voulons que ce qu'il veut, et cela tout le long du jour ; c'est donc la fusion de deux volontés en une seule, unum velle, unum nolle ; nous ne faisons plus qu'un avec lui, nous épousons ses pensées, ses sentiments, ses volitions : « Hoc enim sentite in vobis quod et in Christo Jesu » (Philip., II, 5) et bientôt nous pouvons redire la parole de Saint Paul : « Vivo autem, jam non ego, vivit vero in me Christus : je vis, mais ce n'est pas moi qui vis, c'est Jésus qui vit en moi » (Galat. II, 20).
497. b) En soumettant notre volonté, nous soumettons et unissons à Dieu toutes nos autres facultés, qui sont sous son empire, et par conséquent l'âme tout entière, qui peu à peu se conforme aux sentiments, aux volontés et désirs de Notre-Seigneur ; par là elle acquiert successivement toutes les vertus de son divin Maître. Ce que nous avons dit de la charité, n° 318, peut se dire de la conformité à la volonté divine, qui en est l'expression la plus authentique ; elle contient donc, comme elle, toutes les vertus, au dire de S. François de Sales : « L'abandonnement est la vertu des vertus ; c'est la crème de la charité, l'odeur de l'humilité, le mérite, ce semble, de la patience, et le fruit de la persévérance » (Entretien XI). Aussi Notre-Seigneur appelle des doux noms de frère, de sœur et de mère ceux qui font la volonté de son Père : « Quicumque enim fecerit voluntatem Patris mei, qui in cælis est, ipse meus frater et soror et mater est » (Matth., XII, 50).

Conclusion

498. La conformité à la volonté divine est donc un des plus grands moyens de sanctification ; aussi nous ne pouvons mieux terminer que par ces paroles de Ste Thérèse : « L'unique ambition de celui qui commence à faire oraison, n'oubliez pas ceci, c'est très important, doit être de travailler avec courage à rendre sa volonté conforme à celle de Dieu... en cela consiste tout entière la perfection la plus haute qu'on puisse atteindre dans le chemin spirituel. Plus cette conformité est parfaite, plus on reçoit du Seigneur, et plus on est avancé dans ce chemin » (Château intérieur, 2e demeure, p. 71). Elle ajoute qu'elle eût désiré elle-même vivre dans cette voie de conformité, sans être élevée aux ravissements et aux extases, tant elle est convaincue que cette voie suffit à la plus haute perfection.

§ IV. La prière

499. La prière résume et complète tous les actes précédents : elle est un désir de perfection, car on ne prierait pas sincèrement si on ne voulait devenir meilleur ; elle suppose une certaine connaissance de Dieu et de soi-même, puisqu'elle établit des rapports entre les deux ; elle conforme notre volonté à celle de Dieu, puisque toute bonne prière contient explicitement ou implicitement un acte de soumission à notre Souverain Maître. Mais elle perfectionne tous ces actes, en nous prosternant devant la Majesté divine pour l'adorer, et pour implorer de nouvelles grâces qui nous permettent d'avancer vers la perfection. Nous allons donc exposer : 1° la nature de la prière ; 2° son efflcacité comme moyen, de perfection ; 3° la manière de transformer notre vie en une prière habituelle.

I. Nature de la prière

500. Nous prenons ici le mot de prière dans son sens le plus général, en tant qu'elle est une ascension de notre âme vers Dieu. Nous exposerons : 1° sa notion ; 2° ses formes diverses ; 3° la prière parfaite ou le Pater.

1° Ce qu’est la prière

501. Nous trouvons chez les Pères trois définitions de la prière qui se complètent mutuellement. Dans son sens le plus général, 1) c'est, nous dit S. jean Damascène, une ascension de l'âme vers Dieu, « ascensus mentis in Deum » ; et, avant lui S. Augustin avait écrit qu'elle est un effort affectueux vers Dieu : « Oratio namque est mentis ad Deum affectuosa intentio » (Serm. IX, n° 3). Dans un sens plus limité, on la définit la demande à Dieu de choses convenables. Pour exprimer les rapports mutuels que la prière établit entre Dieu et l'âme, on nous la représente comme une conversation avec Dieu. Tous ces aspects sont vrais, et, en les réunissant, on peut définir la prière : une élévation de notre âme vers Dieu, en vue de lui rendre nos devoirs et de demander ses grâces pour en devenir meilleurs pour sa gloire.
502. Le mot d'élévation n'est qu'une métaphore indiquant l'effort que nous faisons pour nous détacher des créatures et de nous-mêmes, et pour penser à Dieu, qui non-seulement nous enveloppe de tous côtés, mais réside au plus intime de notre âme. Comme nous ne sommes que trop enclins à disperser nos facultés sur une foule d'objets, il faut un effort pour les arracher à ces biens futiles et séduisants, pour recueillir nos facultés et les concentrer sur Dieu. Cette élévation s'appelle un colloque, parce que la prière, qu'elle soit une adoration ou une demande, appelle une réponse de Dieu, et suppose ainsi une sorte d'entretien avec lui, alors même qu'il serait fort court.
Dans cet entretien, notre premier acte doit être évidemment de rendre à Dieu nos devoirs de religion, comme on commence par saluer la personne avec laquelle on s'entretient; ce n'est qu'après s'être acquitté de ce devoir élémentaire qu'on peut exposer ses requêtes. Beaucoup l'oublient, et c'est une des raisons pour lesquelles leurs demandes sont moins bien exaucées. Et même, lorsque nous demandons des grâces de sanctification ou de salut, il ne faut pas oublier que le but principal doit être la gloire de Dieu ; de là les derniers mots de notre définition « pour en devenir meilleurs pour sa gloire ».

2° Les formes diverses de la prière

503. A) Au point de vue du double but que poursuit la prière, on distingue l'adoration et la demande.
a) L'adoration. L'adoration proprement dite s'adresse au Souverain Maître ; mais comme Dieu est aussi notre bienfaiteur, nous le devons remercier ; et, parce que nous l'avons offensé, nous sommes tenus de réparer cet outrage.
1) Le premier sentiment qui s'impose quand on s'élève vers Dieu, c'est l'adoration, c'est-à-dire, « une reconnaissance en Dieu de sa plus haute souveraineté, et en nous de la plus profonde dépendance » (Bossuet, Sermon sur le culte de Dieu, t. V, p. 106. Toute la nature adore Dieu à sa façon ; mais celle qui est privée de sentiment et de raison n'a point de cœur pour l'aimer ni d'intelligence pour le comprendre. Elle se contente donc d'étaler à nos yeux son ordre, ses diverses opérations et ses ornements : « elle ne peut voir, elle se montre ; elle ne peut adorer, elle nous y porte ; et ce Dieu qu'elle n'entend pas, elle ne nous permet pas de l'ignorer... Mais l'homme, animal divin, plein de raison et d'intelligence, et capable de connaître Dieu par lui-même et par toutes les créatures, est aussi pressé par lui-même et par toutes les créatures, à lui rendre ses adorations. C'est pourquoi il est mis au milieu du monde, mystérieux abrégé du monde, afin que contemplant l'univers entier et le ramassant en soi-même, il rapporte uniquement à Dieu et soi-même et toutes choses ; si bien qu'il n'est le contemplateur de la nature visible, qu'afin d'être l'adorateur de la nature invisible qui a tout tiré du néant par sa toute-puissance » (Bossuet, p. 105). En d'autres termes, l'homme est le pontife de la création, chargé de glorifier Dieu et en son nom et au nom de toutes les créatures. Il le fait en reconnaissant « que Dieu est une nature parfaite et dès là incompréhensible ; que Dieu est une nature souveraine ; que Dieu est une nature bienfaisante... nous sommes portés naturellement à révérer ce qui est parfait, ... à dépendre de ce qui est souverain... à adhérer à ce qui est bon » (p. 108).
504. Aussi les mystiques se plaisent-ils à adorer dans les créatures la puissance, la majesté, la beauté, l'activité, la fécondité de Dieu caché sous ces créatures : « Mon Dieu, je vous adore en toutes vos créatures ; je vous adore véritable et unique soutien de tout le monde ; sans vous rien ne serait, et rien ne subsiste qu'en vous. Je vous aime, ô mon Dieu, et je loue votre majesté paraissant sous l'extérieur de toutes les créatures. Tout ce que je vois, ô mon Dieu, ne sert qu'à exprimer votre beauté secrète et inconnue aux yeux des hommes... J'adore votre splendeur et votre majesté, plus belle mille fois que celle du soleil. J'adore votre fécondité, mille fois plus admirable que celle qui paraît dans les astres... » (Olier, Journée chrétienne, IIe partie).
505. 2) L'adoration est suivie de la reconnaissance ; car Dieu est non-seulement notre Souverain Maître, mais encore un insigne bienfaiteur, à qui nous devons tout ce que nous sommes et tout ce que nous avons, dans l'ordre de la nature comme dans l'ordre de la grâce. Voilà pourquoi il a droit à une reconnaissance perpétuelle, puisque constamment nous recevons de lui de nouveaux bienfaits. Aussi chaque jour l'Eglise nous invite, avant le moment solennel du Canon, à remercier Dieu de tous ses bienfaits, et surtout de celui qui les résume tous, du bienfait eucharistique : « Gratias agamus Domino Deo nostro. Vere dignum et justum est, æquum et satutare gratias agere »... Voilà pourquoi elle nous suggère de sublimes formules d'action de grâces : « Gratias agimus tibi propter magnam gloriam tuam » (Gloria in excelcis Deo). Et, en cela, elle ne fait que suivre les exemples de Jésus, qui souvent rendait grâces à son Père, et les leçons de S. Paul qui nous invite à remercier Dieu de tous ses bienfaits : « In omnibus gratias agite, hæc est voluntas Dei (I Thess., V, 18)... Gratias Deo super inenarrabili dono ejus » (II Cor., IX, 15). Du reste les hommes de cœur n'ont pas besoin qu'on leur rappelle ce devoir ; ils se sentent pressés par le souvenir des bienfaits divins d'exprimer sans cesse la reconnaissance dont leur cœur déborde.
506. 3) Mais, dans l'état de nature déchue, un troisième devoir s'impose, celui de l'expiation et de la réparation. Trop souvent en effet nous avons, par nos péchés, offensé l'infinie majesté divine, nous servant même de ses dons pour l'outrager. C'est là une injustice qui exige une réparation aussi parfaite que nous pouvons l'offrir ; elle consiste en trois actes principaux : l'humble aveu de nos fautes : Confiteor Deo omnipotenti ; une contrition sincère : cor contritum et humiliatum non despicies ; l'acceptation courageuse des épreuves que le Bon Dieu voudra bien nous envoyer ; et, si nous voulons être généreux, nous y joindrons l'offrande de nous-mêmes comme victimes d'expiation, en union avec la victime du Calvaire. Alors nous pourrons humblement implorer et espérer le pardon : Misereatur... Indulgentiam. Nous pourrons aussi demander de nouvelles grâces.
507. b) La demande, petitio decentium a Deo, est elle-même un hommage rendu à Dieu, à sa puissance, à sa bonté, à l'efficacité de la grâce ; c'est un acte de confiance qui honore celui auquel il s'adresse.
Le fondement de la prière, c'est d'un côté l'amour de Dieu pour ses créatures et ses enfants, et de l'autre le besoin urgent que nous avons de son secours. Source intarissable de tous les biens, il aspire à les répandre dans les âmes : bonum est sui diffusivum. Etant notre Père, il ne désire rien tant que de communiquer sa vie et de l'augmenter en nous. C'est pour y mieux réussir qu'il envoie son Fils sur terre, ce Fils unique qui apparaît plein de grâce et de vérité, précisément pour nous remplir de ses trésors. Bien plus, il nous invite à demander ses grâces, et nous promet de les accorder : « Petite et dabitur vobis, quærite et invenietis, pulsate et aperietur vobis » (Matth., VII, 7). Nous sommes donc sûrs d'être agréables à Dieu en lui proposant nos requêtes.
508. Par ailleurs, nous en avons un besoin urgent. Dans l'ordre de la nature comme dans l'ordre de la grâce, nous sommes pauvres, mendici Dei sumus ; nous sommes d'une indigence extrême. Essentiellement dépendants de Dieu, même dans l'ordre de la nature, nous ne pouvons même pas conserver l'existence qu'il nous a donnée ; nous dépendons pour cela des causes physiques, qui elles-mêmes obéissent à Dieu. En vain dirons-nous que nous avons un cerveau, des bras, et que nous pouvons, par notre énergie, tirer des entrailles de la terre ce qui est nécessaire à notre subsistance ; ce cerveau et ces bras nous sont conservés par Dieu, ne sont mis en œuvre qu'avec l'aide de son concours ; la terre ne produit de fruits que si Dieu l'arrose de ses pluies et la féconde par les rayons de son soleil ; et que d'accidents imprévus peuvent détruire les récoltes déjà mûres ? Mais combien plus nous dépendons de Dieu dans l'ordre surnaturel ! Nous avons besoin de lumière pour nous guider, et qui nous la donnera, sinon le Père des lumières ? nous avons besoin de courage et de force pour suivre la lumière, et qui nous la donnera sinon le Tout Puissant ? Que reste-t-il donc à faire sinon d'implorer le secours de Celui qui ne demande qu'à nous venir en aide ?
509. Qu'on ne dise pas que, par sa science, il connaît tout ce qui nous est nécessaire et utile. Sans doute, répond Saint Thomas, il nous accorde par pure libéralité beaucoup de choses sans que nous les demandions, mais il en est qu'il ne veut accorder qu'à la prière, et cela pour notre bien, pour que nous mettions notre confiance en lui et le reconnaissions comme l'auteur de nos biens. D'un côté, quand nous prions, nous avons plus de confiance d'être exaucés ; et de l'autre nous sommes moins exposés à oublier Dieu. Déjà nous ne l'oublions que trop ; mais que serait-ce, si nous ne sentions pas le besoin de recourir à  lui dans notre détresse ?
C'est donc à bon droit que Dieu exige de nous la prière sous forme de demande.
510. B) Si nous nous plaçons au point de vue des formes ou variétés de la prière, on peut distinguer la prière mentale et la prière vocale, la prière privée et la prière publique.
a) Au point de vue de l’expression, la prière est mentale ou vocale, selon qu'elle s'achève dans l'intérieur de l'âme ou s'exprime au dehors.
1) La prière mentale est donc une sorte de conversation intérieure avec Dieu, qui ne se manifeste pas au dehors : « Orabo spiritu, orabo et mente » (I Cor., XIV, 15). Tout acte intérieur qui a pour but de nous unir à Dieu par la connaissance et par l'amour, recueillement, considération, raisonnement, examen, regard affectueux, contemplation, élan du cœur vers Dieu, peut s'appeler prière mentale. Tous ces actes en effet nous élèvent vers Dieu, y compris les retours sur nous-mêmes qui ont pour but de rendre notre âme moins indigne de Celui qui l'habite. Tous servent à augmenter nos convictions, à nous faire pratiquer les vertus et sont comme un apprentissage de cette vie du ciel qui n'est qu'une affectueuse et éternelle vision de Dieu. C'est aussi cette prière qui est l'aliment et l'âme de la prière vocale.
511. 2) Celle-ci s'exprime par des paroles et par des gestes. Elle est souvent mentionnée dans nos saints Livres qui nous invitent à user de notre voix, de notre bouche, de nos lèvres pour proclamer les louanges de Dieu : « Voce mea ad Dominum clamavi... Domine labia mea aperies et os meum annuntiabit laudem tuam » (Ps. III, 17 ; L, 5). Mais pourquoi exprimer ainsi nos sentiments, puisque Dieu les lit au plus profond de nos cœurs ? C'est pour offrir à Dieu l'hommage non seulement de nôtre âme, mais aussi de notre corps et surtout de ce verbe qu’il nous a donné pour exprimer notre pensée. C'est au fond l'enseignement de Saint Paul, quand, après avoir exposé que Jésus est mort pour nous en dehors de la ville de Jérusalem, il nous invite à sortir de nous-mêmes, et à nous unir à notre Médiateur de religion pour offrir à Dieu une hostie de louange, l'hommage de nos lèvres : « Que ce soit donc par lui que nous offrions sans cesse à Dieu un sacrifice de louanges c'est-à-dire, le fruit de lèvres qui célèbrent son nom » (Hebr., XIII, 15). C'est aussi pour stimuler notre dévotion par le son même de notre voix ; la psychologie en effet montre que le geste intensifie le sentiment intérieur. C’est enfin pour l'édification du prochain ; car voir ou entendre les autres prier avec ferveur, augmente notre propre dévotion.
512. b) La prière vocale elle-même est privée ou publique selon qu'elle se fait au nom d'un individu ou d'une société. Nous avons prouvé ailleurs que la société, comme telle, doit à Dieu des hommages sociaux, puisqu'elle aussi doit le reconnaître comme Maître Souverain et bienfaiteur. Voilà pourquoi Saint Paul exhortait les premiers chrétiens à s'unir ensemble non seulement dans un même cœur, mais encore dans une même voix pour glorifier Dieu avec Jésus-Christ : « Ut unanimes uno ore honorificetis Deum et patrem Domini nostri Jesu Christi » (Rom., XV, 6). Déjà Notre Seigneur avait invité ses disciples à s'unir ensemble pour prier, leur promettant de venir au milieu d'eux pour appuyer leurs requêtes : « Ubi enim sunt duo vel tres congregati in nomine meo, ibi sum in medio eorum » (Matth., XVIII, 20). Si cela est vrai d'une réunion de deux ou trois personnes, combien plus lorsqu'un grand nombre s'assemblent pour rendre gloire à Dieu officiellement ? Saint Thomas nous dit qu'alors l'efficacité de la prière est irrésistible : «  Impossibile est preces multorum non exaudiri, si ex multis orationibus fiat quasi una » (Commentar. In Matth., c. XVIII). De même en effet qu'un père, qui résisterait aux sollicitations d'un de ses fils, s'attendrit quand il les voit tous unis dans la même demande, ainsi notre Père du Ciel ne sait pas résister à la douce violence que lui fait la prière commune d'un grand nombre de ses enfants.
513. Il est donc important que les chrétiens se réunissent souvent pour adorer et prier en commun ; c'est pour cela que l'Eglise les convoque, aux jours de dimanche et de fêtes, au saint sacrifice de la messe, qui est la prière publique par excellence, et aux offices religieux.
514. Mais, comme elle ne peut les convoquer tous les jours, et que chaque jour cependant, Dieu mérite d'être glorifié, elle charge ses prêtres et ses religieux de remplir plusieurs fois le jour ce grand devoir de la prière publique. C'est ce qu'ils font par l'office divin, qu'ils récitent non en leur nom particulier, mais au nom de toute l'Eglise et pour tous les hommes. Aussi il importe qu'alors ils s'unissent plus particulièrement au Grand Religieux de Dieu, au Verbe Incarné, pour glorifier Dieu avec lui et par lui, per ipsum, et cum ipso et in ipso, et pour demander en même temps toutes les grâces dont a besoin le peuple chrétien.

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