CHAPITRE II
CONCEPTION ET NATIVITÉ DE LA TRÈS-SAINTE VIERGE
Par
l'amour singulier qu'il portait à Marie, Dieu Pavait figurée de
mille manières dans l'ancienne loi; et s'il y eut des ombres
infinies pour représenter Notre-Seigneur, il y, eut aussi des
figures sans nombre pour exprimer la très-sainte Vierge, cette tige
bénie, qui devait le produire : Dieu se plaisant à voir sans cesse
présentes ces saintes images, pour apaiser sa colère et attendre la
venue de son cher Fils. Pour retirer les hommes de l'état malheureux
où le péché les avait réduits, le Fils devait mourir pour eux; et
Dieu voulait, comme nous l'avons déjà dit, qu'il s'unît à la chair
d'Adam, devenue passible et mortelle, sans en prendre la malignité;
c'est-à-dire, qu'il portât, quoique pur et innocent, toutes les
marques et les peines du péché compatibles avec la sainteté de sa
personne divine, comme d'être sujet à la faim, à la soif, à la
douleur, à la mort. Pour cela, il avait décrété que son Fils
prendrait chair dans une fille d'Adam, la bienheureuse Marie, en
apparence pécheresse et semblable aux pécheurs, et pourtant pure et
sans tache; car cette Vierge admirable est à la fois, selon le
langage mystérieux de l'Écriture, noire et belle : noire dans
l'apparence du péché; belle dans l'innocence et la pureté de
sa nature, quoique de la descendance d'Adam.
Dieu
voulant donc produire la mère de son Fils dans l'état de sainteté le
plus parfait où ait été élevée une créature, se répand en elle, au
moment même où elle est conçue, et, par un privilège spécial, la
préserve de la malignité de la chair et du crime d'origine. Ainsi,
dès sa conception, Marie est pour les personnes de la très-sainte
Trinité le premier objet de solide contentement qu'elles aient
encore aperçu au monde, l'unique sujet de leur amoureuse
complaisance depuis Adam, puisque toutes les autres créatures
étaient souillées par le péché, et qu'elle seule a paru sans
offense. Il n'y a, en effet, selon la foi, que la très-sainte
Vierge, qui, naissant d'Adam par la voie commune, n'ait point été
comprise dans sa malédiction. Car Notre-Seigneur n'était point
compris dans le nombre de ceux qui naissent d'Adam, selon la
génération ordinaire, devant naître par l'opération du Saint-Esprit,
et être redevable de sa conception au même Esprit qui régénère les
âmes par le baptême.
La
corruption d'Adam, que le corps communique à l'âme, dès qu'il est
uni à elle, est un certain venin répandu dans tous nos membres,, qui
nous , incline et nous sollicite au péché, en nous éloignant de Dieu
et nous appliquant à l'amour de nous-mêmes. De là l'amour des
créatures qu'Adam innocent avait reçu, afin de les rapporter à Dieu,
mais qui, étant demeuré en nous après la perte de la grâce et ayant
perdu sa rectitude, s'est changé en amour-propre détestable,
abominable, sacrilège qui rapporte tout à soi, qui fait que les
mouvements de l'âme appelés passions ne s'agitent d'ordinaire que
pour nous-mêmes, et qui nous incline à tout péché. Au moment de la
conception de Marie, Dieu la préserve de cette malignité. Il
sanctifie sa chair, afin que tous ses sens et ses mouvements, ou
passions, ne tendent directement qu'à Dieu seul et ne regardent que
lui en toutes choses. En vertu de cette sanctification, sa haine
aura pour objet tout péché; son désir, la gloire de Dieu; sa
crainte, tout ce qui peut déplaire à Dieu et contredire à ses
desseins; sa joie sera de posséder Dieu et de le voir honoré; son
espérance, de se voir un jour pleinement consommée dans sa gloire.
Mais, outre qu'elle est préservée du crime d'origine, Marie est
toute remplie du Saint-Esprit et de ses grâces, dès le premier
instant de sa conception; et quel autre que Dieu peut comprendre
l'étendue des perfections dont elle fut alors douée ?
Si
dans la création d'Adam, destiné à appartenir à Dieu en qualité de
simple serviteur, les trois divines personnes dirent : Faisons
l'homme à notre image et à notre ressemblance, que n'ont-elles
point dit et quel conseil n'ont-elles pas tenu pour produire cet.
admirable ouvrage qui allait leur appartenir comme la chose la plus
chère, la plus aimable, la plus tendre que Dieu pût avoir hors de
lui-même? L'épouse étant donnée à l'époux comme une aide
semblable à lui, quels trésors de grâces, quels dons
magnifiques, Dieu le Père, qui a choisi cette âme pour son épouse,
ne verse-t-il pas en elle, afin de se la rendre semblable, en ses
beautés et ses excellences divines, autant qu'elle peut l'être? Il
met en elle tout ce qu'il sait, tout ce qu'il voit contribuer à
rendre une âme parfaite. Il la rend tellement digne de porter son
Fils unique, que ce même Fils, en sortant de son sein éternel,
trouve hors de lui une demeure en rapport avec la grandeur de sa
divine personne. Le Fils de Dieu lui-même, la considérant déjà comme
sa mère, la prépare à cette sainte et auguste dignité, et enfin le
Saint-Esprit, la regardant comme son sanctuaire le plus parfait,
après la sainte humanité du Sauveur, comme le lieu de ses plus
saintes et de ses plus pures opérations, se plait à l'enrichir de
tous ses trésors. La puissance du Père la rend plus forte que
Judith; la sagesse du Fils la rend plus belle mille fois que Rachel;
l'amour du Saint-Esprit, plus aimable qu'Esther. Tout ce qui avait
été épars et répandu dans les âmes justes, elle le contient elle
seule; non-seulement les perfections de ces femmes fortes et saintes
qui l'avaient figurée, mais encore celles de tous les saints.
Dans
ce moment, Dieu réunit et renferme en elle toutes les perfections
qu'il avait répandues dans les âmes justes de l'ancienne loi, ou
plutôt elle a seule plus de l'esprit de Jésus-Christ que n'en
avaient possédé tous les prêtres, les patriarches, les juges, les
prophètes, les rois, que tous les saints de l'ancien Testament et
les justes de la gentilité tous ensemble.
L'Esprit, dont le Verbe fait chair devait être rempli, et qui
subsistait avant l'incarnation, puisque c'est la troisième personne
de la très-sainte Trinité; cette divine personne, sachant quelles
seraient les inclinations du Verbe incarné, les communiquait par
avance aux patriarches. Il distribuait déjà aux membres les mêmes
sentiments qu'il devait, quelques siècles après, répandre en
plénitude dans le chef; et ainsi il faisait vivre, à la manière du
Fils de Dieu, ceux qui lui appartenaient, et qui, de toute éternité,
avaient été choisis pour être du corps de Jésus-Christ. C'était ce
même esprit qui, selon le Symbole, parlait par la bouche des
prophètes, se servant de leurs personnes comme d'un extérieur
emprunté pour se faire voir, et de leurs paroles comme d'un organe
pour se faire entendre à son peuple.
Notre-Seigneur avait paru dans ses élus dès le commencement du
monde, et l'Écriture remarque même que ce divin agneau avait
commencé de mourir en la personne d'Abel, dans lequel il était né et
vivait par sa grâce. Ainsi vivait-il dans les autres justes de la
loi ancienne, et même dans les saints de la gentilité, comme dans un
Noé, un Melchisédech, un Job, un Jéthro et autres, dont l'Écriture
fait mention et qui n'appartenaient pas au peuple juif. A chacun
d'eux, Dieu avait donné quelqu'une des perfections de son Fils: il
avait donné sa lumière à Abraham, sa force à Isaac, son amour à
Jacob, sa chasteté et sa sainteté à Joseph, et toutes ces qualités
étaient autant de crayons de quelque perfection de Jésus-Christ,
dont ils étaient les images et les figures. Mais ce n'étaient là que
de petits effets du soleil de justice répandus sur eux. La
conception de Marie est une renaissance universelle de Jésus-Christ;
qui renouvelle toutes les nativités précédentes dans lesquelles il
s'était montré sous sa justice, sa force, sa piété, sa douceur; sa
lumière, et sous toutes ses autres perfections pendant quatre mille
ans. Combien donc de nativités du Verbe incarné sont renfermées et
renouvelées en celle-ci? Aussi, le jour de la fête de la Conception,
lit-on l'évangile des patriarches et des aïeux de Jésus-Christ, à la
fin desquels on nomme la très-sainte Vierge comme réunissant elle
seule, en qualité de mère du Sauveur, toutes leurs perfections et
toutes leurs grâces.
Bien
plus, ce divin Esprit, communiqué aux patriarches, devait être donné
à tous les autres membres de Jésus-Christ, après comme avant
l'Incarnation, et imprimer dans tous les mêmes sentiments, les mêmes
mouvements intérieurs pour Dieu et pour toutes choses; ce qui fait
dire à saint Paul que Jésus-Christ, vivant ainsi par son
esprit dans les cœurs des saints, était hier, c'est-à-dire
avant sa venue en terre; qu'il est aujourd'hui, pour exprimer
le temps de l'Église présente; et qu'il sera dans les siècles,
c'est-à-dire dans l'éternité. Or, dès le premier instant de la
conception de Marie, ce même Esprit verse en elle seule et lui
communique plus de grâces que n'en possédèrent et n'en posséderont
jamais toutes les âmes les plus parfaites et les plus éminentes
réunies. Et ce qui est particulier à Marie, il l'associe à
Jésus-Christ, prêtre de l'auguste sacrifice qu'elle doit offrir avec
lui sur le Calvaire, sans qu'elle le sache encore, et lui communique
dès lors l'esprit sacerdotal en éminence, avec toutes les grâces des
œuvres qu'elle doit opérer dans la suite de sa vie.
Les
lumières que Dieu lui donne ne sont pas compréhensibles aux autres
pures créatures. Elle voit Dieu considéré en lui-même, plus
clairement que ne le virent les anges au moment de leur formation,
étant encore dans l'épreuve. Elle le voit plus parfaitement dans les
œuvres de la création que ne le vit jamais Adam dans l'état
d'innocence, ni Salomon au plus haut point de ses lumières divines.
Elle voit Dieu plus clairement dans là trinité de ses personnes,
dans la génération de son Verbe, dans la procession de son Esprit,
dans les mystères de Jésus-Christ et de son Église, que ne le virent
jamais Abraham, David et les autres prophètes dans toutes leurs
visions, plus parfaitement enfin que ne le verront les apôtres et
les plus grands saints de l'Église chrétienne, ni tous les plus
célèbres docteurs qui seront jamais.
A
cette étendue prodigieuse de lumières répond un amour de Dieu, qui
surpasse tout ce qu'il y aura jamais d'amour dans les saints au
moment de leur mort; dans les apôtres, lorsqu'ils seront parvenus à
l'achèvement et à la consommation de leur sainteté; plus qu'il n'en
sera jamais donné à tous les hommes ensemble jusqu'à la fin du
monde. Enfin elle renferme en elle seule tous les divers degrés
d'amour de Dieu répandus dans les anges et même incomparablement
plus qu'il n'y en a dans les séraphins et dans toutes les
hiérarchies
;
ce qui fit dire plus tard à Gabriel, parlant à la divine Vierge,
qu'elle était pleine de grâce : Ave, gratia plena. Les
fleuves entrent dans la mer, et la mer ne déborde pas; ainsi toutes
les grâces des saints entrent en Marie, sans qu'elle déborde, tant
est vaste sa capacité.
Mais
comme son esprit n'est pas capable naturellement de recevoir ces
manifestations et ces vues, ni son cœur de rendre à Dieu tous les
devoirs et toutes les louanges que demandent des choses si
augustes et si divines
,
elle est fortifiée, élevée et dilatée par le Saint-Esprit, qui,
trouvant dans son cœur un fonds d'obéissance immense, l'ouvre et
l'étend autant qu'il lui plait. C'est sans doute une chose admirable
de voir un Dieu infiniment sage et infiniment puissant se plaire si
fort dans un sujet créé et y mettre ses délices. Mais c'est le chef
d'œuvre de son amour; c'est ce que Dieu a su faire de plus parfait
dans une pure créature, ayant réuni en elle tout ce qu'il a pu
mettre dans un sujet qui ne fût pas un Dieu comme son Fils
;c'est
l'abrégé de tout l'intérieur de Jésus-Christ, qui commence à opérer
en son âme autant qu'il peut être communiqué. Le Saint-Esprit agit
en Marie dans toute la plénitude avec laquelle il peut agir en une
créature qui n'est pas unie hypostatiquement à la divinité. Quel
ravissant, quel délicieux spectacle de voir toutes les louanges,
toutes les adorations que rend à Dieu cette âme divinement éclairée;
de voir tous les amours de ce cœur; de voir enfin réuni dans cette
âme seule, dès ses commencements, tout ce que l'Esprit de Dieu
répandra un jour dans toute l'Église ! O prémices admirables ! ô
ineffables amours! ô adorations, ô louanges plus parfaites que
toutes celles des hommes et des anges, et qui ne sont surpassées que
parcelles de Jésus-Christ ! Il y a soixante reines, dit le Cantique,
exprimant ainsi la société des âmes bienheureuses; il y a
quatre-vingts jeunes filles, c'est-à-dire le corps des esprits
angéliques; enfin il y a de jeunes vierges sans nombre, qui sont les
âmes pures et saintes; mais il n'y a qu'une seule colombe, une seule
parfaite, une seule choisie pour être l'épouse du Père et la mère de
Jésus-Christ.
A
voir cette magnificence et cette sainteté dans l'âme de Marie, il
est bien aisé de concevoir que Dieu la prépare pour faire naître
d'elle son Fils unique et avec lui l’Église dans toute son étendue.
Oui, s'il se complaît si fort dans cette âme, c'est qu'il voit en
elle son Église tout entière. Elle comprend Jésus-Christ, comme
devant être sa mère, et le reste des membres de Jésus-Christ, comme
ses propres enfants. Si bien que Dieu, considérant en elle la
semence de toute son Église, commence dans ce jour à goûter les
délices qu'il attend de cette même Église, son épouse bien-aimée; il
regarde en elle ce beau royaume, dont il veut bien être appelé le
roi.
Mais, par un conseil secret de sa sagesse, il ne lui fait pas
connaître encore tous ses desseins sur elle. Si dans sa conception
elle voit à découvert les mystères de Jésus-Christ, elle pense
qu'elle y aura part en qualité de servante, non en qualité de mère;
et comme le Verbe divin en s'incarnant doit se consacrer à son Père
à titre de serviteur et d'hostie à sa gloire, la très-sainte Vierge,
dans sa conception, remplie des mêmes dispositions qui doivent être
un jour dans Jésus-Christ, dont elle est la parfaite image, s'offre
et se consacre à Dieu en qualité d'hostie et de servante,
dispositions qu'elle conservera toujours dans son cœur, et dont elle
rendra témoignage à l'ange, par ces paroles: Voici la servante du
Seigneur. Voyant néanmoins déjà par avance qu'elle portera tout
le monde à lui, et qu'elle le fera connaître et aimer plus que ne le
feront ensemble tous les apôtres et tous les prédicateurs, cette
sainte âme, qui doit être la mère de l'Église, rend à Dieu, au
moment de sa formation, tous les devoirs possibles : elle s'offre à
lui en tout ce qu'elle est et ce qu'elle sera jamais; de sorte
qu'elle présente avec elle toute l'étendue des nations qui doivent
un jour le servir. Dans l'offrande qu'elle fait d'elle-même, et dans
cette volonté de se consacrer en tout ce qu'elle est et en tout ce
qu'elle sera dans la suite, nous avons donc été compris, sanctifiés
et dédiés à Dieu, qui a accepté dès lors cette consécration
universelle et a reçu à soi toutes ces nations, comme il l'a fait
dans la suite des siècles, lorsqu'elles sont venues extérieurement à
lui et ont ratifié cette même offrande.
Aussi nous ne doutons pas que les anges de tous les ordres, à qui
Dieu la donna dès lors pour reine, ne soient venus auprès de cette
arche de grâce pour admirer toute l'étendue des grandeurs et des
perfections de Dieu qui y étaient renfermées. Le berceau de Marie
est donc l'école de ces esprits célestes; en un instant, ils
apprennent plus par elle de la sagesse et de la perfection de
Jésus-Christ qu'ils ne feront par saint Paul pendant toute la vie de
cet apôtre. Les anges étaient là tous en admiration, de voir la
sainteté de cette âme et son élévation incompréhensible dans les
devoirs qu'elle offrait à Dieu : elle seule lui rendant plus
d'honneur qu'ils ne lui en procurent en leurs trois hiérarchies et
leur neuf ordres ensemble; ce qui les oblige de la prendre pour leur
interprète et pour leur louange. Dès ce moment, tout le ciel est
comme abaissé sur la terre. Si la sainte Vierge réjouit ainsi les
hiérarchies célestes, elle remplit de terreur les mauvais anges,
tout l'enfer commençant de trembler à l'aspect de cette lumière
divine et de cette sainte splendeur. Si une âme de pur amour fait
fuir et trembler le démon, que sera-ce de Marie ? Elle est terrible
elle seule à ces esprits malins, autant que le furent pour eux les
légions des bons anges, qui reçurent ordre de les précipiter dans
les enfers. Elle est terrible comme une armée entière, dit
l'Église : terribilis ut castrorum acies ordinata; parce
qu'elle contient réellement, elle seule, tout l'éclat et toute la
splendeur de chacun des particuliers de la milice du ciel; ou plutôt
elle inspire plus de terreur encore à l'enfer, ayant reçu de Dieu,
elle seule, l'ordre et le commandement d'écraser la tête du démon :
Ipsa conteret caput tuum.
Enfin, dans sa conception, elle est un sujet d'allégresse pour les
hommes, parce qu'elle peut tout pour la réconciliation des pécheurs.
Elle est, en effet, si aimable et si désirable aux yeux de Dieu, que
quiconque la connaîtra et invoquera sa puissance, quelque pécheur et
maudit qu'il. soit, doit attendre miséricorde. Quand ce serait une
âme perdue, comme était Rahab, quand ce serait une idolâtre publique
, comme était Babylone , son péché serait oublié. Il est vrai que la
conception de Marie était ignorée des hommes au temps où elle eut
lieu. Mais Dieu se réservait de la manifester plus tard à tous les
peuples; et de remplir leurs cœurs de sentiments de respect,
d'honneur et de reconnaissance pour Marie, dans ce premier instant
de sa vie. Il voulait que tous les fidèles, qu'elle offrit alors
avec elle, comprissent un jour et conservassent gravée au fond
d'eux-mêmes, jusqu'à la fin des temps, l'obligation qu'ils lui
avaient pour son amoureuse et maternelle sollicitude, et que ce jour
heureux fût à jamais un sujet de joie publique et universelle pour
tous les chrétiens.
C'est ce que nous voyons aux anniversaires des deux entrées de la
très-sainte Vierge dans le monde, sa sainte Conception et sa
Nativité, que l'Église célèbre tous les ans, et qu'elle aime à
considérer comme l'aurore du bonheur que l'Incarnation lui a
procuré. L'aurore commençant à paraître dans le monde délivre les
hommes des horreurs de la nuit, et leur donne l'espérance certaine
de la venue du soleil, dont elle porte les premiers effets. Par sa
Conception et sa Nativité, Marie fut donc comme l'aurore de
Jésus-Christ; elle annonça la plénitude de sa lumière et notre
délivrance des ombres de la mort et du péché. C'est pourquoi
l'Église, qui s'estime heureuse d'avoir été offerte à Dieu par cette
divine Vierge, ne se lasse pas, en ces saints jours, de répéter dans
ses chants de jubilation ces paroles de louanges, de bénédiction et
d'action de grâces : O sainte mère de Dieu, votre Conception
ou votre Nativité, le principe de la vie de Jésus-Christ et
de tous ses membres, est un sujet de. joie pour tout
l'univers; votre Conception est la lumière de toutes les Églises,
qui, contenues en vous, ont fait partie de votre offrande et' ont
été agréées avec vous du Seigneur. C'est à chacun de ratifier
maintenant cette offrande, surtout dans l'anniversaire de ces saints
jours, et de se vouer et consacrer à Dieu aussi fidèlement et aussi
inviolablement que Marie l'a fait pour elle et pour tous en entrant
dans le monde.
Me
conformant à la pratique de l'Église, qui vénère le saint mystère de
l'enfance de Notre-Seigneur pendant six semaines, je prendrai, pour
honorer celle de la très-sainte Vierge, tout 1e temps qui sépare sa
nativité de sa présentation au temple.
Il
est vrai que ce mystère est passé, quant à l'extérieur; mais
l'intérieur subsiste toujours : tout ce que Marie a jamais eu de
vertus, de grâces, de sentiments de Dieu et e dispositions saintes,
étant permanent en elle; en sorte que nous l'y trouvons toujours le
même, comme jésus porte toujours dans son intérieur l'esprit et les
dispositions intérieures de tous les mystères de sa vie. Pendant cet
espace de temps, je rendrai mes hommages à cette bénie enfant. Je
respecterai ce saint tabernacle, cet intérieur caché à la plupart
des hommes, quoiqu'il soit mille fois plus cher à Dieu, que ne le
furent l'arche d'alliance et le temple de Salomon, qui n'en étaient
que des figures mortes et sans vie.
L'esprit de sainte enfance si nécessaire, d'après l'Évangile, pour
entrer au. royaume de Dieu, est bien rare dans l'Église. Peut-être
cela vient-il du défaut d'amour et de respect envers l'enfance de
Jésus et de Marie. C'est une bénédiction non pareille, quand une
fois la miséricorde de Dieu nous y applique, et nous y donne une
spéciale dévotion. Il me semble que la vie non-seulement d'un homme,
mais de tous les chrétiens, serait bien employée dans la vénération
du mystère de la nativité de Marie. Pour moi, j'y consacre la mienne
: je m'estimerais heureux que tous mes jours y rendissent un
continuel hommage; et je me voue à Dieu pour employer tous mes
instants à le faire honorer.
1°
Pour entrer dans cette dévotion, vous pourriez avoir chez vous un
oratoire, où vous mettriez, non une crèche, comme on fait au temps
de la nativité de Notre-Seigneur, mais un petit berceau, dans lequel
serait une figure de la très-sainte Vierge, nouvellement née, ayant
d'un côté sainte Anne, de l'autre saint Joachim : sa couche serait
environnée d'Anges, dans l'expression du, respect, de la joie, de
l'admiration: Vous iriez là tous les jours, pendant le temps de ce
mystère, rendre vos devoirs à Marie enfant. Il me semble que c'est
une bien douce visite que celle que l'on peut faire en esprit à
sainte Anne et à saint Joachim, pour leur demander l'entrée de leur
sainte demeure, et l'accès au berceau de leur sainte enfant, dont
ils sont les gardiens et les anges visibles. Après les avoir salués
par l'oraison composée en leur honneur, on ira se mettre à genoux
auprès du berceau; et là, en tout recueillement et piété, on s'unira
aux saints anges, pour respecter et louer avec eux les grandeurs
inconnues de Marie; et par la foi on se répandra dans l'intérieur de
tous ces esprits célestes, afin de prendre part à tous les respects
et les sentiments amoureux qu'ils offrent à ce chef - d'œuvre de
l'amour et de la sagesse divine.
2°
On remerciera la très-sainte Trinité de tous les bienfaits dont elle
a comblé le genre humain, en le tirant du néant, en le rachetant par
Jésus-Christ, et en le sanctifiant par son divin Esprit. Surtout, on
la bénira d'avoir choisi, de préférence à tant d'autres créatures
possibles, la fille de sainte Anne et de saint Joachim, pour être
l'épouse bien-aimée ; du Père, la digne mère du Fils, le temple le
plus auguste du Saint-Esprit, enfin la mère la plus aimable et la
plus miséricordieuse de tous les hommes.
3°
Honorant ensuite le saint mystère de la nativité de Marie, on
adorera le Saint-Esprit qui porte cette incomparable créature, dès
qu'elle commence à faire usage de ses facultés, non-seulement à
s'offrir elle-même, pour jamais, à la gloire de Dieu, en tout ce
qu'elle est et en tout ce qu'elle pourra faire et souffrir, mais
aussi à lui consacrer toute la sainte Église, comme une portion
d'elle-même; enfin â ne cesser plus, depuis ce moment, de la lui
offrir; cette divine Vierge sanctifiant ainsi incessamment l'Église
entière, pour n'être avec elle qu'une même hostie à la gloire de
Dieu. En vue de ratifier cette offrande, on s'abandonnera à l'esprit
saint de Jésus-Christ, afin qu'en Marie il prenne possession de
nous, comme étant quelque chose d'elle-même, et qui lui appartient
par un million de titres : lui offrant tout ce que nous sommes, tout
ce qui nous appartient ou peut dépendre de nous, comme nos pensées,
nos désirs, nos paroles et nos œuvres; condamnant et détestant,
comme indigne d'un enfant dé Dieu, toute notre vie passée, qui n'a
pas été employée à son service, et ne voulant plus avoir de vie que
pour la lui consacrer entièrement. Nous le supplierons, pour cela,
qu'il fasse de nous tel usage qu'il lui plaira, tous les jours de
notre vie; qu'il use de telle puissance qu'il voudra sur notre
intérieur et sur notre extérieur; qu'il en soit le, seul et unique
directeur : nous détachant totalement de nous-mêmes, vivifiant notre
esprit de sa foi, notre cœur de sa charité, et toutes nos facultés
de sa sainte vertu, pour être d'autres Jésus-Christ en sa mère et
par sa mère : étant ravis d'être redevables à Marie de tout ce que
nous recevrons de grâces à l'avenir, comme jusqu'ici nous avons tout
reçu par elle.
4°
On invoquera le même Esprit pour entrer soi-même en participation de
la vie et des sentiments de Jésus-Christ répandus en Marie : entre
autres, de ce profond anéantissement devant Dieu, dont elle n'est
jamais sortie; de sa pénitence intérieure pour tous les hommes,
qu'elle n'a jamais interrompue, par l'amour qu'elle portait à Dieu
et au genre humain; de son abnégation totale d'elle-même; demandant
à Dieu, en la très-sainte Vierge, qu'il lui plaise nous faire la
grâce de passer cette journée, et tous les jours de notre vie, dans
ces mêmes dispositions et en union parfaite à l'esprit de son fils,
pour marcher dans la perfection de ses voies. Nous trouvons tout, en
effet, dans le saint mystère de la nativité de Marie: nous y
trouvons la force et la puissance que nous pouvons souhaiter dans
nos infirmités; la lumière désirable dans nos obscurités et nos
erreurs; toute bonté pour nous soulager dans nos misères; toute
sainteté pour nous purifier et pour nous guérir de nos mauvaises
habitudes. Dans les douces larmes et les cris de Marie enfant, on
voit reluire la pénitence dont son âme innocente offre à Dieu les
plus purs sentiments en faveur des pécheurs; on voit en elle une
modestie religieuse envers Dieu et une occupation intérieure
continuelles; et, quoique toute pleine de la sagesse divine, elle
garde un silence admirable. On voit en elle la douceur, la pauvreté,
la patience; et dans peu on admirera son obéissance à ses parents,
et son respect pour Dieu, dans leurs personnes. Enfin, on y peut
imiter mille vertus, et en admirer un million d'autres que les anges
honorent et admirent continuellement, et auxquels nous pouvons et
nous devons nous unir par la foi, pour la glorifier en tout ce que
Dieu la fait être, par participation de ses adorables perfections.
Plusieurs docteurs supposent que Marie avait déjà la
plénitude de toutes les grâces, lorsque l'Ange lui dit ces
paroles Ave, gratia plena ; et d'autres semblent dire
qu'elle allait la
recevoir, par la
descente du Verbe de Dieu dans son sein. Il n'y a aucune
contradiction dans ces différentes manières de parler. Car
en Marie il faut distinguer deux sortes de plénitudes de
grâces : l'une qu'elle reçut dans sa Conception, et l'autre
au moment de l'Incarnation, comme nous le verrons dans la
suite. Au reste, ce n'est pas seulement sur ces paroles de
l'Ange que les saints docteurs se sont fondés pour
reconnaître en Marie la plénitude universelle de toutes les
grâces qu'elle possédait déjà avant l'Incarnation, mais
encore sur la croyance de l'Église touchant les augustes
prérogatives de la divine maternité: Nous ajouterons ici que
si Luther, Calvin et les premiers protestants ont rejeté le
sens que les docteurs catholiques avaient constamment donné
à ces paroles : Pleine de grâces; Luther les ayant
ainsi rendues: Ave, gratiosa; Calvin : Gratiam
consecuta; Bèze : Gratis dilecta; une étude plus
approfondie de la langue grecque, et de la force du terme
employé par S. Luc, a obligé des protestants modernes de
convenir que l'Église catholique avait le vrai sens de ce
passage; et, semblant même
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