PRÉSENTATION ET SÉJOUR DE MARIE AU TEMPLE
L'offrande que Marie avait faite d'elle-même à Dieu, dès le moment
de sa conception immaculée, avait été secrète; mais comme la vertu
de religion, outre les devoirs intérieurs et cachés, comprend les
devoirs extérieurs et publics, Dieu voulut qu'elle renouvelât son
offrande dans le temple de Jérusalem, le seul sanctuaire de toute la
vraie religion qu'il y eût alors dans le monde. Il lui inspira donc
lui-même la pensée d'aller s'offrir à lui dans ce saint lieu. Cette
bénie enfant, sanctifiée en sa chair, et toute pénétrée et remplie
de la divinité dans son âme, était dirigée en tout par
l'Esprit-Saint : ne laissant en elle aucune entrée à la sagesse
humaine, elle ne pouvait agir que selon Dieu, qu'en Dieu, pour Dieu,
et par la direction même de Dieu.
A
peine lui a-t-il imprimé le mouvement de se séparer de la maison de
ses parents, qu'elle quitte ce monde grossier et corrompu sans
regarder derrière elle. Elle n'examine point si, au service de Dieu,
elle aura quelque besoin; si ce grand Dieu lui est suffisant en
toutes choses ou non. Elle ne pense point à sa maison, à ses parents
: elle s'abandonne toute à lui mec une confiance merveilleuse, sans
retour quelconque sur elle, ni sur quoi que ce puisse être. Possédée
de l'Esprit de Dieu, tout-puissant, tout ardent, tout amour, elle
est amenée au temple par ce divin Esprit, qui l'élève lui-même
au-dessus de son âge et des forces de la nature. Quoique âgée
seulement de trois ans, elle monte seule les degrés du temple; et
Dieu veut qu'elle marche ainsi seule, sans s'appuyer sur sa mère,
pour montrer que l'Esprit divin tout seul la dirigeait; et aussi
pour nous apprendre qu'opérant dans nos âmes par sa puissance, il
est le vrai supplément de nos infirmités. Pourtant elle était en la
compagnie de sainte Anne sa mère, parce que, si rempli qu'on soit du
Saint-Esprit, on doit toujours vivre sous la conduite extérieure de
ceux qu'il nous a donnés pour nous tenir sa place, et qui sont les
approbateurs de ses voies : lui-même, sous l'extérieur de ces
personnes, nous assurant de sa direction.
Séparée ainsi de la maison de ses parents, dans un :âge si tendre,
cette très-sainte enfant s'abandonne à Dieu, dans un oubli du monde
et une mort d'elle-même, une ferveur et un zèle qui ne peuvent être
compris. Elle renouvelle ses vœux d'hostie et de servante, avec un
amour plus grand encore, plus pur, plus excellent, plus admirable
qu'elle ne l'avait fait dans, le temple sacré des entrailles de
sainte Anne :cet amour allant toujours croissant de moment à moment,
et n'ayant en elle ni interruption ni relâche; ce qui la rendait
comme immense. Toute consumée par cet amour, elle ne veut avoir de
vie, de mouvement, de liberté, d'esprit, de corps, rien absolument
qu'en Dieu. La donation qu'elle fait d'elle-même est si vive, si
ardente et si pressante, que son âme est dans la disposition
actuelle et perpétuelle de se livrer sans cesse à Dieu, et d'être
toujours de plus en plus à lui, croyant, pour ainsi dire, n'y être
jamais assez et voulant y être davantage encore, s'il lui était
possible. Enfin, s'offrant comme une hostie vivante, toute consacrée
à Dieu en elle-même et dans tout ce qu'elle serait un jour, elle
renouvelle la consécration qu'elle lui avait déjà faite de toute
l'Église, dans sa conception; spécialement celle des âmes qui; à son
exemple, se consacreraient à son divin service dans tant de saintes
communautés. En ce jour, la loi ancienne voit se réaliser quelque
chose de ce qu'elle figurait : le temple de Jérusalem voit
s'accomplir l'une de ses attentes : il reçoit dans son enceinte l'un
des temples dont il était l'image, la très-sainte Vierge Marie,
temple vivant de Jésus-Christ, comme Jésus-Christ devait être le
temple parfait et véritable de la Divinité.
La
religion envers Dieu et envers Jésus-Christ étant toute l'occupation
intérieure de son cœur en terre, Marie ne pouvait, avant la venue du
Sauveur, vivre ailleurs que dans le temple que Dieu avait choisi,
entre tous les autres lieux, pour se faire voir, adorer et
contempler avec Jésus-Christ, son Fils. Donc, après avoir appliqué
les trois premières années de sa vie aux devoirs de la religion
envers la très-sainte Trinité, et à honorer tous ses desseins sur
l'Église, Dieu veut l'appliquer plus particulièrement dans le temple
à rendre aux mystères de Jésus-Christ, figurés dans toute la loi et
les sacrifices, l'honneur qui lui était dû, et que personne ne leur
avait rendu jusqu'alors. A peine est-elle en état de marcher et
d'user de la vie, il la conduit dans ce temple, non pour être
sanctifiée par ce lieu, mais pour le sanctifier lui-même. Il la
conduit pour qu'elle serve avec les prêtres aux sacrifices de la
loi, et qu'elle supplée à l'imperfection de leur culte. Car c'est
pour l'exercice parfait de la religion qu'il l'y conduit.
Pour
mieux apprécier ce dessein, il est nécessaire de considérer ici les
motifs qui avaient dirigé la sagesse divine dans l'institution des
anciens sacrifices. Après le péché, les hommes ne pouvaient arriver
au salut que par le sacrifice sanglant de Jésus- Christ sur la
croix; et pour qu'ils pussent jouir, en partie par avance, des
fruits de cet auguste sacrifice, ils avaient quatre devoirs de
religion à remplir envers Jésus-Christ. Ils devaient : 1° l'avoir
présent à l'esprit, et mettre en lui seul leur confiance; 2°
présenter déjà à Dieu, pour l'expiation de leurs péchés, le
sacrifice qu'il offrirait un jour de sa propre personne; 3° unir le
sacrifice d'eux-mêmes à celui de Jésus-Christ, et vivre en esprit de
victimes, toujours prêts à être immolés; 4° enfin désirer sa venue
en terre et l'appeler par leurs vœux. C'est ainsi qu'Adam, Abel,
Hénoch, Noé et les autres justes de la loi de nature et de la loi
écrite, reçurent miséricorde en vue de Jésus-Christ. Mais comme les
peuples sont aveugles aux mystères de Dieu, et oublieux de leurs
devoirs, s'ils ne sont aidés par des signes extérieurs et sensibles,
Dieu, par une invention amoureuse de sa sagesse, avait ordonné aux
Hébreux de lui offrir des sacrifices matériels comme autant d'images
et de figures extérieures, très-propres à leur mettre sous les yeux
la victime adorable qu'ils devaient avoir sans cesse présente à leur
esprit. Ces offrandes et ces sacrifices ne purifiaient les âmes que
quand on les regardait comme figures du Sauveur, et qu'on offrait à
Dieu son Fils sous ces images; car, dans l'ancienne loi, tout ce qui
n'était pas accompagné de la foi implicitement en Jésus-Christ était
vain et inutile.
Les
prêtres surtout, comme chargés de l'exercice public de la religion,
devaient être remplis de foi. Dieu voulait être adouci et apaisé par
ces offrandes et ces hosties, qui, devant ses yeux , tenaient la
place de Jésus-Christ. Mais sur la fin de la loi mosaïque, et au
temps où la très sainte Vierge fut donnée au monde, les prêtres
d'Aaron, ignorants et vicieux, n'accomplissaient plus leur ministère
dans cet esprit. Bien plus, le culte tout matériel qu'ils lui
offraient était corrompu par l'avarice et l'intérêt sordide, tel que
l'avait été celui de l'impie Caïn , figure du peuple juif. Ne
craignant de déplaire qu'aux hommes, les prêtres d'Aaron n'avaient
que les dehors de la justice : ils étaient souillés au dedans de
toute sorte de crimes abominables, semblables à des sépulcres
blanchis, tout pleins d'ossements et d'ordures.
D'ailleurs, quand ils auraient offert leurs sacrifices en esprit de
foi, ils n'auraient pas su adorer le Sauveur dans toutes les figures
qui le représentaient et dont la multitude était presque infinie,
faute de lumières pour l'y découvrir. Personne alors n'y avait vu
encore dans toute son étendue le mystère de Jésus-Christ qu'elles
exprimaient, et personne aussi ne lui avait rendu par avance tous
les devoirs que méritait sa grandeur La très-sainte Vierge seule
était capable de rendre ces devoirs, parce que, seule, elle avait
reçu en plénitude la science des mystères du Fils de Dieu. Dans
toutes ces ombres, si différentes et si multipliées, dans les
cérémonies, les sacrifices, le temple, dans l'histoire même du
peuple de Dieu, elle le voyait représenté nettement et
universellement, tant à cause de l'éminence de sa foi qu'elle avait
reçue plus grande que le reste de tous les saints de l'ancien
Testament, qu'à cause des privilèges attachés à sa dignité auguste
de mère de Jésus-Christ. Les figures de la loi devaient, en effet,
être découvertes à Marie, qui appartenait de si près au Fils de
Dieu, et qui devait être présente à tous ses mystères. D'ailleurs
Dieu, qui lui avait donné toutes les grâces et tous les privilèges
possibles, l'avait gratifiée de celui-là, afin qu'adorant et
honorant le Verbe incarné universellement sous tous ses symboles,
elle fût le digne supplément des prêtres et de toute la loi, et la
parfaite adoratrice de Jésus-Christ.
Voyant donc que ses pères avaient manqué à honorer et à glorifier la
majesté du Verbe incarné, objet de leur religion, Marie veut
suppléer à leur devoir par charité fraternelle aussi bien que par
religion envers Dieu. Plus éclairée que tous les prêtres, et ayant
autant de lumières de l'esprit de Dieu que ceux-ci en avaient de
celui de la chair, elle voyait, adorait et contemplait Jésus-Christ
dans toutes ses figures. Après avoir vu tant de fois cette beauté
adorable représentée à son esprit, par sa présence , intérieure,
elle la reconnaissait dépeinte grossièrement dans ces images
sensibles. Elle était comme environnée de Jésus-Christ; elle le
voyait partout, et, dans un sens, elle était la plénitude de la loi,
faisant sur le déclin de cette loi ce qui ne s'était point fait
encore avec perfection depuis son institution primitive.
Pour
offrir utilement leurs sacrifices à Dieu, les prêtres étaient
obligés de les unir en esprit à celui de Jésus-Christ, et Marie
était encore en cela leur digne supplément. Sachant que le Sauveur
devait venir, et que, semblable à une brebis muette ou à un agneau
qu'on égorge, il souffrirait avec patience, douceur et amour son
immolation et sa mort, Marie, à la vue des hosties du temple,
soupirait après la venue de la victime annoncée par les prophètes,
dont la mort devait sauver tout le monde, et qui devait être à la
fois le prêtre, la victime et le temple de son propre sacrifice.
Elle faisait déjà, sans le savoir, les fonctions saintes du
sacerdoce qu'elle aurait à exercer sur le Calvaire : et offrant à
Dieu par les mains des prêtres les victimes de la loi, elle lui
présentait le sacrifice de son divin Fils.
Dieu
exigeait, dans la loi, que celui qui offrait une victime s'offrît
lui-même en esprit avec elle; ou plutôt qu'il unît le sacrifice de
soi-même à celui de Jésus-Christ, et qu'il sacrifiât avec lui tout
le reste dal monde. C'est ce que faisait excellemment la très-sainte
Vierge. Elle vivait comme une hostie, prête à être immolée à tout
moment, ne voyant jamais de victime égorgée qu'elle ne s'unît
intérieurement à Jésus-Christ et ne soupirât d'être immolée avec lui
à la gloire de Dieu le Père. Elle passa ainsi son enfance dans le
temple, adorant incessamment Jésus-Christ sous la figure de toutes
les victimes, ayant jour et nuit devant les yeux celui qui était
l'objet de ses désirs, unissant sans cesse son propre sacrifice à
celui du Sauveur, sans être jamais distraite de cette application
par les occupations extérieures auxquelles elle vaquait.
Enfin la loi appelait le Messie; elle criait et soupirait après lui.
C'est encore ce que la très-sainte Vierge a fait dans le temple avec
bien plus de force et de vertu que n'avaient pu faire tous les
patriarches et tous les prophètes; et cela à cause de sa sainteté
incomparable, de ses qualités augustes, de l'ardeur de sa charité
pour les hommes, enfin de son amour très-ardent et très-véhément
pour le Verbe incarné, dont elle contemplait déjà intérieurement les
ravissantes beautés.
A ce
spectacle, Marie était dans des attentes très grandes et des désirs
très-violents de voir le Verbe s'incarner réellement, et s'unir à la
nature humaine et à l'Église. Elle soupirait alors ces cantiques
d'amour, que nul ne peut encore concevoir si la majesté de Dieu ne
daigne les manifester. Ce sont les Cantiques des cantiques. Ils
expriment les sentiments de l'âme de la très-sainte Vierge,
s'adressant, au nom de l'Église future ou de la gentilité, au Verbe
incarné, promis au monde sous l'image d'un époux, et les sentiments
du Verbe incarné s'adressant à Marie ou à l'Église. Car le
Cantique des cantiques est proprement le colloque de
Jésus-Christ avec l'Église dans la personne de Marie. Immédiatement
après le péché, en promettant son Fils à la nature humaine dans la
personne d'Adam et d'Ève, Dieu le Père le lui avait comme fiancé
dans le paradis terrestre. Il différa néanmoins les noces,
c'est-à-dire l'Incarnation, afin que dans l'intervalle l'épouse
conçût des sentiments d'affection pour l'époux, qu'elle n'aimait
point encore. Mais au lieu de soupirer après lui, elle l'oublia
bientôt, et enfin, devenant idolâtre, elle fit alliance avec le
démon et s'abandonna à lui, Ce maudit singe du Verbe incarné, se
faisait offrir des sacrifices et traiter de Dieu; il avait même ses
oracles, comme Dieu prenait plaisir à rendre les siens, et il tenait
le genre humain dans le plus affreux esclavage. Lorsque la
très-sainte Vierge parut au monde, c'était le temps des plus grands
dérèglements de la gentilité. Il n'y avait plus de religion que dans
ce petit coin de la Judée; hors de là, plus de vraie connaissance de
Dieu; tout était plein d'abominations : et si la gentilité pouvait
comprendre le besoin qu'elle avait d'un Rédempteur, c'était par
l’excès même de la dégradation où elle était réduite, malgré les
arts et les sciences qui brillèrent alors de leur plus grand éclat.
Dans
cet état, incapable d'appeler le Sauveur par ses vœux, l’Église
future a trouvé son supplément auprès de lui, dans la charité de
Marie, qui était la partie la plus parfaite de cette même Église, ou
plutôt qui la comprenait tout entière en sa personne, la Synagogue
aussi bien que la gentilité. Dans son séjour au temple, elle était
sans doute bien éloignée de penser que le mystère de l'Incarnation
dût s'opérer en elle, et qu'elle fût le sujet où s'accomplirait
cette promesse de l'union du Verbe avec l'Église : Ils seront
deux dans une seule chair. Néanmoins, voyant par avance que,
comme membre de l'Église, elle devait être épouse du Verbe incarné,
elle soupirait après sa venue. Elle éprouvait ces amours si
violents, qui blessent l'âme et l'obligent à se plaindre; ces amours
si impatients exprimés dans le Cantique des cantiques, et que
la gentilité aussi bien que la Synagogue aurait dû ressentir à
l'approche des noces qui lui étaient promises avec le Verbe incarné.
Le
considérant dans l'état de ses grandeurs divines, Marie s'écrie
donc, au nom de toute l'Église : « Que le Verbe divin, mon époux
bien-aimé, cet époux si beau, si adorable, veuille me donner un
baiser de sa bouche, en s'unissant à moi. O mon unique, mon
bien-aimé, que les délices du paradis et les caresses divines sont
bien plus douces que les plaisirs du monde et les satisfactions de
la chair ! Tout ce que les parfums ont d'agréable, tout ce que le
nectar a de doux n'est pas à comparer avec les douceurs et les
plaisirs que je ressens à contempler votre beauté et à goûter votre
sagesse. Votre nom seul m'embaume et votre souvenir me ravit: tout
le monde est transporté à la pensée de votre personne. O Verbe divin
attirez-moi après vous; que je ne vous abandonne point, même en
voire retraite au ciel ! Oh ! qu'aisément et que doucement nous vous
suivrons partout où vous irez parler de Dieu, partout où vous irez
répandre les parfums de votre sagesse.
Enfin après avoir longtemps gémi et soupiré, en demandant qu'il plût
à votre amour de me conduire dans la douceur de votre jouissance et
de votre union, que ne vous plaît-il de me découvrir votre beauté?
Enfin, ô mon amour, c'est à ce coup que j'ai vu tous vos trésors de
richesses immenses; j'ai goûté l'abondance infinie de vos douceurs;
j'ai savouré le bonheur de l'union de votre sainte personne. La
grâce, ô mon Sauveur, est si grande, et la faveur si abondante, que
le seul souvenir m'en réjouira pour jamais; le souvenir de ces deux
mamelles divines, les lumières et les suavités qui nourrissent les
deux parties de l'âme; l'entendement et la volonté. Seigneur, tous
ceux qui veulent aller droit à Dieu et à la vérité, tous ceux qui
désirent marcher dans la justice sont forcés de vous aimer. Il n'y a
que les mondains et ceux qui suivent l'injustice qui ne vous
goûtent pas.
Seigneur, mon maître, quand je vous vois auprès de moi, je me trouve
si noire que je n'ose penser à m'approcher de vous; mais, toutefois,
je n'ai rien dans mon cœur qui s'oppose à votre beauté, qui
contredise votre grâce. Je suis semblable à ces lieux où repose
Salomon, qui n'ont rien de beau près de lui, et qui pourtant
reçoivent leur beauté de son lustre. Filles de Jérusalem,
imitez-moi, et vous aurez part à ses bonnes grâces; séparez-vous de
tout péché, et vous serez aimées de lui ».
Ainsi occupée dans son séjour au temple à considérer les mystères du
Fils de Dieu, Marie priait pour tous les hommes et s'acquittait de
tous les devoirs de l'Église. Voyant les ravages du péché qui
abîmait le monde, affligée de tant de crimes et de désordres dont la
terre était remplie, elle souhaitait incessamment l'arrivée du
Messie.
En
célébrant chaque année la fête de la Présentation, l'Église
renouvelle la consécration qui fut faite d'elle-même à Dieu, à
pareil jour, par Marie dans le temple de Jérusalem; elle demande par
l'intercession puissante de cette divine Vierge d'avoir le bonheur
d'être également présentée un jour par elle dans le temple de la
gloire, qui est le ciel. C'est ce qui arrivera lorsque, après la
résurrection, tous les fidèles qui auront participé sur la terre à
l'état de victime de Jésus-Christ, s'élèveront avec lui dans les
cieux pour ne former qu'une seule hostie de louange à la gloire de
la très-sainte Trinité. Vous mériterez ce bonheur, si vous entrez
avec une bonne volonté dans les sentiments exprimés par les victimes
du temple, qui étaient des figures non-seulement du sacrifice
sanglant de Notre-Seigneur, mais encore du sacrifice intérieur de
tous ses membres, qui sont les chrétiens.
Les
victimes qu'on amenait dans ce saint lieu, étant encore profanes
comme faisant partie du monde, assujetti au démon par le péché,
étaient d'abord séparées du siècle par une cérémonie religieuse,
appelée l'oblation, qui les appropriait à Dieu et les
consacrait à son culte. Dès ce moment, elles étaient censées n'avoir
plus de vie que pour Dieu; et, en attendant le jour de leur
immolation, elles étaient gardées dans le temple. Si on les
nourrissait encore, c'était non pas en vue de les fortifier pour le
travail, mais seulement de conserver leur vie jusqu'au temps du
sacrifice. Il n'était plus permis de les faire travailler, de s'en
servir pour labourer la terre ou pour quelque autre usage profane;
et l'on n'aurait pu, sans sacrilège, employer la toison des agneaux
aux besoins des hommes, les hosties, par leur oblation, étant
rendues entièrement propres à Dieu seul. Cela figurait les
dispositions de dévouement total à Dieu, que la très-sainte Vierge
possédait en éminence, et qu'elle a offertes pour vous en vous
consacrant avec elle à Dieu dans sa sainte Présentation:
dispositions dans lesquelles vous devez vous renouveler aujourd'hui,
et que demande d'ailleurs dans les vrais chrétiens leur consécration
ou leur oblation à Dieu par le saint baptême. C'est pourquoi
l'Église veut que les personnes qui entrent dans quelque société
religieuse, pour y remplir avec plus de facilité et de perfection
cette obligation commune, portent un habit particulier, qui; les
séparant extérieurement du siècle, leur rappelle sans cesse
qu'elles, sont toutes consacrées à Dieu, comme autant de saintes
victimes.
Depuis votre baptême, votre vie et vos sens sont consacrés à Dieu.
Vous en profaneriez l'usage, si vous vous en serviez pour plaire aux
créatures, pour vous attirer leur estime ou leur affection. Pour
répondre à votre vocation, vous ne devez plus user de la vue, de
l'ouïe, du toucher, de l'odorat, du goût que pour Dieu ou
conformément aux intentions de Dieu, sans jamais chercher à
satisfaire votre sensualité, ce qui serait un acheminement au péché.
Pour agir dans cet esprit, renoncez à toute complaisance naturelle
au commencement de vos actions : par exemple, en buvant, en
mangeant, renoncez à tout le plaisir qui s'y rencontre
ordinairement; en vous habillant, renoncez à tout désir de paraître;
en étudiant, renoncez à toute curiosité; en conversant, renoncez à
tout désir d'être aimé ou de plaire; en priant, renoncez à votre
propre satisfaction et à tous vos goûts; en communiant, renoncez à
toute recherche de consolations sensibles; dans l'exercice de la
vertu, renoncez à toute complaisance en votre propre perfection.
Enfin renoncez au soin trop empressé de votre corps, à l'amour
inquiet de votre santé, à l'attache à la vie.
C'est dans cet esprit que la très-sainte Vierge a vécu; et c'est ce
même esprit qu'elle a demandé pour vous à Dieu, dans sa présentation
au Temple, offrant ses propres dispositions, pour qu'elles
servissent de (58) supplément aux vôtres. Donc, afin de renouveler
aujourd'hui la consécration qu'elle a faite alors de vous-même,
offrez à Dieu avec foi ces dispositions très-saintes, qui sont
toujours vivantes dans l'âme de Marie, par l'opération du
Saint-Esprit en elle. Elle vous les abandonne avec amour, comme un
bien qu'elle a acquis pour vous; proposez-vous de vivre désormais en
union avec elle, comme une parfaite hostie, entièrement et
universellement consacrée à Dieu seul. Voilà ce que demande de vous
l'oblation, qui est, la première partie de votre sacrifice.
Après qu'on avait égorgé les victimes, et qu'on en avait répandu
tout le sang, on les plaçait sur l'autel, où elles étaient consumées
par le feu des sacrifices, figure de Dieu lui-même. Ce feu sacré, en
s'attachant à la victime et en la consumant, semblait la transformer
en lui, la faire passer dans sa propre nature et l'élever au ciel.
Mais n'oubliez pas que la vie qu'elle avait perdue par l'effusion de
tout son sang, était la figure de la vie du vieil homme, qui ne peut
entrer au ciel, et qui doit périr en vous, par le glaive de la
mortification intérieure : car vous n'arriverez jamais à la parfaite
union avec Dieu par son saint amour, que vous n'ayez été ainsi
immolé. Proposez-vous donc de recevoir avec soumission d'esprit et
de cœur tous les coups que l'amour divin voudra bien porter à sa
victime, quels que soient les instruments dont il se serve pour
l'immoler.
Il
avait ordonné que, dans certains sacrifices de l'ancienne Loi, on
mit la victime en pièces; qu'on en séparât la graisse, les
intestins, qu'on en coupât les pieds, la tête,. l'épaule droite,
sans excepter même de ce carnage les colombes qu'on lui offrait.
C'était une figure grossière de l'immolation spirituelle des
chrétiens, qui doivent vivre dans le monde comme des victimes
destinées au sacrifice de tout elles-mêmes.
Pour
entrer dans ces dispositions, unissez sans cesse votre sacrifice à
celui de Jésus-Christ. Marie dans le temple ne le perdait jamais de
vue, elle l'avait toujours présent; elle savait que si les hosties
matérielles qu'elle voyait offrir avaient devant Dieu une si grande
valeur, c'était uniquement à cause de Jésus-Christ, l'hostie par
excellence: que ce soit aussi votre occupation habituelle dans
l'oblation de votre sacrifice intérieur. Vous aurez chaque jour, et
à chaque heure du jour, à faire à Dieu quelque offrande de vos
goûts, de vos inclinations, de votre délicatesse, de votre
amour-propre, de votre susceptibilité, de votre volonté, de votre
jugement : unissez-vous alors, par Marie, à Jésus, et ce que
l'immolation pourrait avoir pour vous d'amertume se changera en
douceur; du moins l'amertume que vous ressentirez sera tempérée par
la suavité de l'onction intérieure que cette union répandra dans
votre cœur.
Marie dans le temple adorait sans cesse Jésus-Christ, qui devait
être immolé pour vous. Le sacrifice a été offert, et cette même
victime est toujours dans son état d'immolation au très-saint
Sacrement pensez fréquemment à elle, adorez-la, unissez-vous à elle,
et offrez-lui tout ce que vous êtes, et tout ce qui est à vous. Dans
le temple, Marie l'appelait par des vœux continuels, par des désirs
si ardents, si puissants, que le Verbe de Dieu, touché et attiré par
de si vives instances, se communiquait à elle spirituellement, avant
qu'elle le possédât corporellement par l'Incarnation. Jésus vous
offre une semblable faveur, et si vous l'appelez à vous avec une foi
vive et une charité ardente, vous pouvez recevoir, en proportion de
l'ardeur de vos désirs, les mêmes effets que vous recevriez de sa
part dans la sainte eucharistie.
Les
communions spirituelles vous serviront d'ailleurs d'une très digne
préparation pour la communion sacramentelle. Que l'attente du divin
Époux, qui veut se donner à vous si fréquemment dans le banquet
eucharistique, ranime donc votre ferveur, et vous fasse soupirer
après lui, ou plutôt qu'elle vous porte à recourir à Marie, votre
supplément auprès de son fils. Offrez à Jésus les sentiments si
parfaits, les désirs si purs, les vœux si ardents dont elle était
embrasée dans son séjour au Temple. Vous ne pouvez vous disposer
plus dignement à la sainte communion qu'en puisant dans le cœur de
celle que l'Église appelle par excellence le vase insigne de la
dévotion. |