CHAPITRE I
PRÉDESTINATION DE MARIE A LA DIGNITÉ AUGUSTE
DE MÈRE DU VERRE INCARNÉ
Dieu
le Père engendre son Fils en lui-même. Dans la contemplation de
soi-même qui le ravit, il voit naître son Fils, comme un miroir, où
il se trouve représenté substantiellement, comme l'enseigne l'Apôtre
(Épître aux Hébreux, I, 3). Ce miroir l'absorbe dans l'amour de
lui-même; et en cet amour du Père et du Fils est produit le divin
Esprit. Renfermé dans ce cercle éternel qui est sa vie et sa
béatitude, il est vivant et bienheureux en lui-même, et il eût pu
vivre ainsi éternellement, sans se communiquer au dehors et sans se
donner à nous. Mais de toute éternité, ayant eu dessein de nous
manifester son amour par l'Incarnation de son divin Fils, il s'est
premièrement pourvu d'une aide, la très-sainte Vierge Marie. Sans
doute, lui-même eût formé de ses mains l'humanité de son Fils, ce
chef-d'œuvre admirable, comme il devait former les anges, s'il eût
voulu l'envoyer au monde dans une chair immortelle et glorieuse ; et
dans cette génération temporelle, le Fils n'eût pas eu besoin de
mère, non plus qu'Adam dans sa création. Mais, prévoyant notre péché
et voulant qu'il fût expié par la mort de son propre Fils, il
résolut de l'envoyer au monde dans notre chair passible et mortelle,
afin que, dans cette même chair, il endurât la mort en faveur des
pécheurs. Pour l'engendrer donc de la sorte, Dieu le Père se
choisit, avec beaucoup de convenance, la très-sainte Vierge comme
aide ou comme épouse. Car Dieu le Père, qui seul peut envoyer la
personne de son Fils, veut que dans le mystère de l'Incarnation
Marie soit son Épouse, en ce sens que le Père, qui est le principe
de la génération de son Verbe selon sa divinité, destine la sainte
Vierge à devenir le principe de la génération du même Verbe selon
l'humanité
.
Le
mariage est l'expression sainte du Père éternel, qui engendre et
porte en soi son Verbe, et fait seul, par sa personne, ce que le
mari et la femme expriment au dehors, en produisant ensemble un fils
qui est le terme de leur génération. Mais parce que Dieu le Père
engendre son Verbe dans une féconde virginité, il veut exprimer dans
sa sainte épouse seule, et montrer au dehors cette fécondité vierge
et sans corruption. De plus, comme il engendre son Verbe de toute
éternité par sa connaissance, par retour, et par vue sur lui-même,
il veut que Marie, l'image très-parfaite et très-sainte de sa
fécondité vierge, l'engendre aussi avec connaissance; et pour cela
même il décrète qu'elle donnera à la génération du Verbe dans la
chair son consentement d'une manière expresse et solennelle, ce qui
présuppose la connaissance et la raison. Tandis que le reste des
mères ne sauront pas ce qui devra naître d'elles, il veut que Marie
connaisse auparavant quel sera le fils qu'elle concevra : un ange
lui apprendra que ce fils sera le propre Fils du Très-Haut, Dieu et
homme tout ensemble, le Rédempteur du monde, et que son règne n'aura
point de fin.
En
voulant avoir ainsi l'agrément de Marie, Dieu le Père montre, par
cette conduite si pleine de révérence envers sa sainte épouse,
l'estime qu'il fait d'elle et l'amour qu'il lui porte comme époux.
Je ne puis exprimer, et je dois dire que nulle créature ne le pourra
jamais, quelle est l'affection et la tendresse de Dieu le Père
envers la très-sainte Vierge
,
en cette qualité d'épouse. Il s'applique tout entier à la lui
témoigner; et cela est infini, immense, incompréhensible à tout
esprit créé.
L'épouse entre en possession de son époux, qui devient sien, et
ensuite en communauté de tous les biens qu'il possède. Elle entre en
unité de cœur et d'âme, en unité d'esprit, de pensées, de vouloir;
d'où il suit qu'elle a part à ses desseins, à ses ordres, à ses
œuvres. Ainsi Dieu le Père, comme un saint et fidèle époux, veut
mettre la très-sainte Vierge en union et en parfaite jouissance de
sa personne, de ses trésors, de sa gloire et de tous ses biens.
C'est une chose inconcevable comment Dieu eut cette divine épouse
présente à son, esprit avant la formation de toutes les créatures.
Pour lui, il n'y a ni futur ni passé; tout. est présent à ses yeux,
il voit distinctement toutes choses dans la lumière éternelle. De
toute éternité, il y avait donc en Dieu un caractère, une figure qui
représentait Jésus-Christ et sa mère, le Verbe incarné et tous ses
membres; dès lors Marie était aussi présente aux yeux de Dieu que si
déjà elle eût été formée, que si elle eût été 'effectivement au
monde. Ce consentement célèbre de Marie, nécessaire à l'Incarnation,
sur lequel reposait tout l'édifice de la religion qu'il préméditait,
toutes les figures et les prophéties, toute l'économie du salut, il
le prévoyait et le connaissait avant tous les temps. Il voyait déjà
au fond de l'âme de la très-sainte Vierge, remplie de foi, de
sagesse, de soumission, quels seraient sa pensée et son sentiment,
sachant la force et la vertu de la grâce dont il devait la remplir.
Connaissant donc sa volonté et la disposition de son cœur, et tirant
déjà d'elle son consentement, qu'il voyait aussi réellement que
quand elle le confirma à l'ange, il réglait là-dessus, de toute
éternité, le saint mystère de l'Incarnation.
Il
en usait de même dans la vocation de tous ses enfants adoptifs, qui
sont les membres de Jésus-Christ, l'achèvement de ce grand mystère,
et desquels Marie, mère du Verbe selon la chair, devait être
véritablement la mère selon l'esprit. Si, dans le dessein de Dieu,
l'épouse devait être donnée à l'époux, comme une aide semblable à
lui, ce n'était pas seulement pour qu'elle contribuât à la naissance
des enfants; mais encore pour qu'elle concourût par sa sollicitude
maternelle, par sa tendresse et sa bonté, par la sagesse de ses
conseils, à leur éducation et à leur établissement. Sans doute, en
nous prédestinant à devenir les membres de son Fils, Dieu le Père
nous a appelés, selon le décret de sa volonté et par un pur effet de
sa grâce, qu'il nous a donnée en Jésus-Christ, avant tous les
siècles: nous ayant déjà comme créés en lui, et ayant préparé les
œuvres saintes qu'il désirait que nous fissions pour sa gloire
.
Mais en appelant ainsi chacun de nous, en lui préparant, dès
l'éternité, la mesure des moyens intérieurs et extérieurs de
sanctification qu'il lui donne dans le temps, Dieu tenait sa sainte
épouse présente à son esprit. Il voyait ce qui lui eût agréé, ce
qu'elle aurait désiré pour chacun, si elle eût été au monde, et il
agissait selon les intentions, selon les désirs et les prières de
Marie qu'il prévoyait.
C'est pourquoi dans la plénitude des temps, lorsqu'il aura donné
l'être à sa sainte épouse, il lui montrera l'économie de ses
desseins sur chaque âme; et elle les agréera expressément. Quelque
vastes que soient ces desseins de Dieu, Marie, le chef-d'œuvre des
mains du Tout-Puissant, après l'humanité de son Fils, Marie, toute
remplie du Saint-Esprit, les. connaîtra clairement; car Dieu lui
fera voir la conduite admirable qu'il aura tenue et celle qu'il
tiendra dans la suite, et tirera d'elle son consentement et son
agrément sur toutes choses. C'est ce qu'il fera paraître, une fois
pour toutes, dans le moment de l'accomplissement de son œuvre par
excellence, l'Incarnation du Verbe, qui est comme la clef du
bâtiment universel de l'Église et du monde; puisque alors il exigera
d'elle. publiquement, à la face d'un archange et d'un témoin
irréprochable de sa cour, ce consentement solennel; faisant ainsi
paraître visiblement ce que de toute éternité il avait résolu
invisiblement de faire avec elle (et cette conduite de Dieu explique
comment il se fait que toutes les grâces ont été et seront données à
jamais par l'entremise de Marie)
.
Ainsi le Père éternel, l'ayant choisie pour son aide dans la
formation de sa famille, forme avec elle Jésus-Christ dans toute son
étendue, le chef et tous ses membres, sa postérité et tous ses
descendants
.
Il
en use de la même sorte avec elle pour le reste des circonstances du
grand œuvre de l'Incarnation, et spécialement pour la création de
l'univers qui en est la suite. En sa qualité d'homme, le Verbe
incarné avait besoin d'une demeure temporelle, et sa mère aussi.
Tous les membres de Jésus-Christ étaient pareillement dans cette
nécessité, et Dieu avait résolu de créer ce monde pour leur aider à
passer la vie, avant qu'ils allassent le glorifier dans le ciel
.
Car c'est pour le Verbe incarné que Dieu a fait ce monde; si bien
que, qui n'est à Jésus-Christ, qui ne subsiste en lui, qui n'est uni
à lui par son esprit et par sa grâce, n'est pas digne des créatures;
et s'il en use, c'est avec injustice, n'étant pas partie de celui
pour lequel principalement toutes choses ont été créées.
Dieu
avait fait ce grand ciel si magnifique, si auguste, cette terre si
admirable, à cause de la dignité de Jésus-Christ et de ses membres.
A proportion de la dignité des personnes, on leur donne des meubles
précieux; pour conduire un prince, un roi, on allume quantité de
flambeaux autour de sa personne; au lieu qu'un artisan sera content
d'une petite bougie ou d'une mèche trempée dans une goutte d'huile.
Destinant donc ce monde à servir d'hôtellerie à son Fils, Dieu avait
résolu de le créer dans cette grandeur si magnifique et cette beauté
si rare, afin qu'il fût un lieu sortable à la dignité auguste de
celui qui devait l'habiter. Ainsi il a fait le soleil si
merveilleux, et dans cette beauté et cette magnificence, parce qu'il
devait être le flambeau de son Fils; les cieux si vastes, si
resplendissants, parce qu'ils étaient destinés à être le toit et le
lambris de sa maison; il a créé la terre si belle, parce qu'elle
devait servir à le porter, à être l'escabeau de ses pieds. Voulant
enfin qu'elle fournît par ses productions à l'entretien de la vie de
son Fils et qu'elle fût le lieu de son séjour, il l'a remplie de
tant de rares beautés dans la variété de ses fleurs, dans la
diversité de ses fruits, et dans le reste des créatures, qu'il a
faites avec une perfection, un poids, un nombre et une mesure
proportionnés à l'excellence de celui à qui elles étaient destinées;
non pas pour qu'elles fussent l'objet de sa joie et de ses
complaisances, car tout cela n'est pas digne du Fils de Dieu; mais
seulement pour marquer sa dignité et la grandeur de sa condition et
de sa naissance.
La
terre était donc destinée aussi à servir de demeure passagère à la
très-sainte Vierge et à tous les membres de Jésus-Christ; à
l'Église, qui devait s'y répandre de toute part et y établir le
règne de Dieu. Or, dans la disposition qu'il donnait à l'univers,
Dieu le Père avait présente aussi l'aide qu'il s'était choisie pour
la formation de sa famille; il réglait la demeure temporelle de
cette même épouse, celle de son fils et de tous ses enfants
d'adoption
.
D'après cela, on ne peut avoir difficulté d'entendre ces paroles de
l'Écriture, dites de la Sagesse éternelle
,
appliquées par l'Église à la très-sainte Vierge : J'ai été formée
par le Très-Haut, j'ai été conçue avant toute créature. C'est moi
qui ai fait naître dans le ciel une lumière qui ne s'éteindra
jamais; et, semblable à une nuée, j'ai couvert toute la terre.
(Eccli., cap. XXIV.) De toute éternité, présente aux yeux du Père
éternel, mon époux, je portais en moi toutes les créatures, qui
paraissent maintenant dans le monde, comme une nuée féconde, qui
contient dans la douceur de ses eaux tous les fruits qui doivent
naître par elle. J'ai habité dans les lieux les plus sublimes, dans
les profondeurs de Dieu le Père.
J'ai fait seule le tour des cieux;
c'est moi qui, par la puissance de mon époux, donnais le tour à ces
grands cieux qui doivent être la demeure et la récompense des
justes; en mon époux, je descendais au fond des abîmes, où il
doit exercer sa justice. J'étais présente, en esprit, à
toute l'étendue des mers, et il n'y a pas un seul recoin de la terre
habitable où je n'aie posé le pied, où je n'aie été présente,
dans le dessein de Dieu le Père, qui n'a rien voulu faire ni
entreprendre sans communiquer à ma bassesse la grandeur de ses
miséricordes, la profondeur de ses jugements, l'étendue de ses
grâces et la fécondité de ses richesses. En union avec lui, je
suis devenue la reine de toutes les nations; et, par sa
puissance, les cœurs des grands, comme ceux des plus petits,
m'ont été également assujettis et soumis
.
Recherchant en tout cela ma paix et
mon repos, je n'ai rien pu trouver qui fît ma consolation
et ma joie, que ceux qui ont l'honneur d'appartenir à mon
auguste époux en qualité d'enfants, et qui doivent entrer en
possession de son saint héritage. Voyant donc mes inclinations,
connaissant tous mes dégoûts et mon aversion pour les choses
extérieures du monde, et sachant que je ne puis me complaire qu'en
son aimable Fils et en ses membres, le saint Époux de mon cœur
m'a dit et m'a commandé, par le droit absolu qu'il a sur mon
âme, me donnant les témoignages de son amour : Ma fille et mon
épouse, je veux vous rendre participante de mes plus douces et de
mes plus saintes opérations dans l'incarnation de mon Verbe je veux
pareillement conduire par vous mon Église et me reposer sur vous du
soin de mes enfants. Demeurez en Jacob, qui est l'image de ma
famille : assistez tous les membres de mon Église; que par vous la
grâce se dilate dans leur intérieur, pour que vous soyez en eux
aussi l'héritière de ma gloire. Jetez dans mes élus les racines
premières de leur béatitude; continuez encore tout le cours de
leur vie, et ne les quittez point que vous ne les consommiez dans ma
gloire.
En
ce même esprit, l'Église applique encore à la très-sainte Vierge une
partie du vine chapitre des Proverbes, qui sert de matière à
l'épître des fêtes de sa Conception et de sa Nativité. Le
Seigneur m'a possédée au commencement de ses voies, etc. Dieu,
qui désirait sortir de soi par les voies de son divin amour, paraît
ici occupé de la jouissance amoureuse et de la possession de sa
sainte épouse; et de même la très-sainte Vierge, sa divine amante,
nous y est montrée habitant en lui de toute éternité. C'est de quoi
elle se glorifie elle-même comme du plus grand bien et du plus
insigne honneur qui pussent lui arriver : Le Seigneur m'a
possédée au commencement de ses voies : comme, en effet, c'est
le principe et le fondement de tous ses autres biens et de ses
grâces magnifiques. Car de quelles richesses et de quels ornements
Dieu, qui surabonde en lui-même de beautés, de richesses et de
perfections divines, ne la revêt-il pas pour la rendre digne de
devenir l'objet de ses délices, et de lui être alliée en cette
auguste qualité d'épouse ! Il faut qu'il fasse hors de soi, dans une
pure créature, autant qu'il est possible, une expression parfaite de
sa divinité.
Le Seigneur, dit-elle, l'Époux
céleste, m'a possédée en soi et m'a tenue présente à ses
yeux, non-seulement dès le début de ses voies, quand il a
commencé son ouvrage, et qu'il a tiré du néant toutes ses créatures,
mais bien auparavant. Dans son éternité, méditant les ouvrages de
son divin amour, lui qui ordonne tout en sa sagesse et sa charité,
il s'est approprié son épouse; il a voulu qu'elle devînt la mère de
son Fils, et qu'elle contribuât à former son Église et toutes les
créatures qui en sont les dépendances.
Cette sainte épouse fait ici, comme dans le livre de
l'Ecclésiastique, le dénombrement magnifique des créatures que Dieu
forma dans son idée, lorsqu'il ordonna toutes choses; et dans ce
détail elle montre qu'elle était déjà conçue et présente dans
l'esprit de son Époux. Les abîmes n'étaient pas, et déjà j'étais
conçue. Les fontaines n'étaient point encore sorties de la terre; la
pesante masse des montagnes n'était pas encore formée, et j'étais
enfantée avant les collines dans le sein de Dieu. Il n'avait point
encore créé la terre ni les fleuves, ni affermi le monde sur ses
pôles, et déjà j'étais conçue. Quand, dans l'œuvre de la
création, il étendait les cieux, qu'il environnait les abîmes de
leurs bornes, et leur prescrivait une loi inviolable; lorsqu'il
suspendait les nuées au-dessus de la terre, et qu'il mettait dans
leur équilibre les eaux des fontaines; lorsqu'il renfermait la mer
dans ses limites, et qu'il imposait la loi aux eaux, afin qu'elles
ne passassent point leurs bornes; lorsqu'il posait les fondements de
la terre, j'étais avec lui.
Après avoir ainsi exposé, comme dans l'Ecclésiastique, la suite de
la formation des créatures et avoir dit qu'elle était présente à
l'esprit de son auguste Époux, la très-sainte Vierge ajoute :
J'étais avec lui, et avec lui je réglais toutes choses,
c'est-à-dire, j'ordonnais et je formais toutes les créatures par la
puissance, la sagesse et l'amour de mon divin Époux, par lequel
j'étais toute possédée. Il faisait ainsi en moi toutes ces œuvres
grandes et admirables : Fecit mihi magna qui potens est; mais
à chacun des six jours de la création, cette œuvre n'était que
comme un jeu et un amusement pour lui, comparée à la
génération de son Verbe, et à la participation qu'il doit donner de
sa divinité aux membres de l'Église. Aussi mes délices sont-elles
d'être avec les enfants des hommes : mon âme, qui éprouve en soi
les sentiments de mon Époux et les dispositions de son cœur à
l'égard de toutes choses, sentant que ses délices les plus douces et
les plus agréables sont de régner dans les âmes et de vivifier les
cœurs de ses enfants.
Maintenant donc, mes enfants,
qui êtes enfants du, Père, écoulez attentivement sa discipline
et ses conseils; et, après lui avoir prêté l'oreille, restez
attachés à la sagesse, conservez ses paroles en votre âme, et les
goûtez avec plaisir en votre intérieur. Prenez garde de ne vous
point lasser par quelque tentation que ce puisse être, ni par la
désolation qui se rencontre dans la croix. Bienheureux celui qui
m'écoute, qui trouve accès auprès de moi, qui a cet attrait
de rechercher avec soin et assiduité mon audience et ma conversation.
Il doit beaucoup attendre; car Dieu le Père, comme époux, use de ses
dons en moi et par moi, avec une libéralité (19) excessive. Celui
qui recevra cette grâce, qui viendra chercher dans mon sein
l'aliment de son âme, trouvera la vie, et avec elle le bonheur
éternel. C'est dans cette source qu'on puise les secrets des
plus profonds mystères et des vérités les plus sublimes. Par mon
Époux, qui est le conseil même et l'équité, qui est la prudence et
la force, je suis en possession de tous ces dons. Par moi, les
rois règnent, et les législateurs ordonnent et règlent, la justice,
Dieu voulant être en moi, pour le monde, la source de tous les biens
.
RÉFLEXIONS PRATIQUES
Ames
privilégiées, à qui l'esprit de Dieu fait goûter les mystères de la
sainte Vierge, considérez que s'il vous découvre quelque chose de
ces mystères, c'est pour aider à votre sanctification, en augmentant
en vous, à proportion des lumières qu'il vous donne, le respect, la
confiance et l'amour que vous devez à votre sainte Mère. Tâchez donc
de comprendre les obligations immenses que vous avez à cette vraie
mère des vivants, et par la considération de l'amour si constant, si
pur, si privilégié, si généreux, si magnifique, qu'elle a toujours
eu pour vous, concevez pour elle un amour vraiment filial, qui vous
la fasse aimer de tout votre cœur, de toute votre âme, de toutes vos
forces, et, par-dessus tout, après Dieu et Jésus-Christ son Fils.
Dès
qu'elle a connu le choix que Dieu a fait de vous pour vous amener à
sa connaissance et à son amour, elle vous a aimées comme ses
enfants; depuis ce moment, vous avez été toujours présentes à ses
yeux, toujours l'objet des affections de son cœur. Comme une mère
remplie de sagesse, de prévoyance, de sollicitude, elle. s'est
occupée de votre bonheur, avant que vous fussiez au monde. Dès
l'instant de votre naissance, elle n'a cessé de veiller sur vous,
elle vous a préparé de loin toutes sortes de secours, elle vous a
facilité de toutes manières l'accomplissement des desseins que, de
toute éternité, Dieu avait formés sur vous. Votre naissance de
parents chrétiens, et dans un pays qui avait été consacré longtemps
auparavant à Marie, dans un pays qui est comme son patrimoine, son
douaire, son royaume; votre éducation chrétienne, les soins que vous
avez reçus dès l'enfance; les touches secrètes du Saint-Esprit qui
vous ont déterminées à vous donner à Dieu; les sages conseils que
vous avez reçus pour votre conduite intérieure; votre première
communion, votre vocation à l'état que vous avez embrassé, et tant
d'autres secours particuliers et privilégiés, qui vous sont bien
connus tous ces moyens sont autant de grâces que vous avez reçues
par les mains de Marie, et autant de marques certaines de son amour.
Efforcez-vous donc de lui en témoigner, jusqu'au dernier soupir. de
votre vie, une juste et vive reconnaissance. Pour un cœur sensible
et généreux, la reconnaissance augmente en proportion des bienfaits;
la vôtre doit aller toujours croissant, puisque Marie ne cessera pas
de vous faire du bien, et qu'aux faveurs. dont elle vous a prévenues
jusqu'ici, elle ajoutera sans cesse des faveurs nouvelles : le
propre de cette excellente et tout aimable Mère étant de ne faire
que du bien à ses enfants.
Proposez-vous de lui témoigner votre reconnaissance, surtout les
jours de ses fêtes et de ses octaves. Lorsque vous récitez son saint
Office, lorsque vous assistez aux vêpres célébrées en son honneur,
la veille, ou le jour de ses fêtes, renouvelez vos sentiments de
gratitude envers elle, spécialement lorsque le prêtre chante ce beau
Capitule, que l'Église ne se lasse pas de répéter toute l'année :
Ab initio et ante soecula creata sum. Figurez-vous que Marie,
dans la personne du prêtre, adresse elle-même ces paroles à ses
enfants, pour les exciter à la reconnaissance et à la confiance
qu'ils lui doivent. Dans la voix du prêtre célébrant, l'Église,
toujours conduite par la foi, ne veut entendre, en effet, que la
voix de la très-sainte Vierge, qui prend plaisir à nous rappeler ses
bontés anciennes, et à nous donner de nouvelles assurances de sa
sollicitude et de son amour maternel. Dès le commencement et dès
avant les siècles, dit-elle, j'ai été créée dans la pensée de
Dieu le Père, pour concourir avec lui à la sanctification de ses
enfants, qui sont aussi les miens; et, dans toute la suite des
âges, je ne cesserai point d'avoir pour eux la même sollicitude
que j'ai fait paraître depuis qu'il m'a mise au monde, ayant dès ce
jour exercé constamment devant lui ce ministère
d'amour, dans sa sainte maison, qui est l'Église.
Lorsque le prêtre termine ce touchant Capitule, témoignez à Dieu le
Père votre reconnaissance pour une si aimable et si ravissante
invention de son amour; et dites-lui, dans un saint transport
d'action de grâces, avec toute l'Église, ces paroles : Deo gratias !
Vous
adressant ensuite avec humilité et vénération à Marie, et vous
agenouillant devant elle, avec l'Église, pour faire hommage .à sa
grandeur de tout ce que vous êtes, respectez et agréez la part que
Dieu lui a donnée dans sa royauté sur vous, protestez-lui qu'elle
est votre véritable reine et réjouissez-vous de lui appartenir.
Enfin chantez avec ferveur ses louanges, et demandez-lui, avec une
confiance pleine et entière, la continuation de ses faveurs pour
vous et pour tout le peuple chrétien, mêlant pour cela votre voix à
celle de l'Église dans le chant de l'Ave maris stella. Cette
hymne est comme la réponse de l'Église à l'invitation amoureuse que
Marie lui a faite, dans le Capitule, de recourir à elle pour tous
les besoins. Je vous salue, étoile de la mer, sainte Mère de Dieu
toujours vierge, porte bienheureuse du ciel. Vous qui avez reçu ce
salut de la bouche de l'archange Gabriel, établissez-nous
dans la paix, devenant pour nous, plus véritablement et plus
heureusement qu'Ève, la mère des vivants. Rompez les chaînes de
nos crimes, rendez la lumière à nos yeux aveuglés, éloignez tous les
maux, demandez tous les biens. Vous n'avez qu'à montrer à
Jésus le sein qui le porta, à lui rappeler que vous êtes sa Mère;
il exaucera vos prières, lui qui a bien voulu se mettre entre vos
mains, en naissant pour nous. Vierge incomparable, la plus douce
des vierges : après nous. avoir délivrés de nos fautes,
rendez-nous doux et chastes; faites que notre vie soit sans tache,
que nous marchions par la voie sûre qui conduit au ciel; afin
qu'ayant le bonheur de voir Jésus, nous nous conjouissions avec
vous éternellement.
M. Olier appelle génération temporelle du Verbe le
mystère de l'Incarnation; il attribue cette génération au
Père éternel, et il dit que dans ce mystère la sainte Vierge
est épouse du Père éternel.
Plusieurs saints
docteurs, parmi lesquels il suffit de citer saint Athanase,
saint Ambroise, saint Cyrille d'Alexandrie, interprètent du
mystère de l'Incarnation ces paroles du second psaume :
Le Seigneur m'a dit :: Vous êtes mon Fils; je vous ai
engendré aujourd'hui. Apposite additur es, quod
generationem ante saecula declarat, dit saint Athanase; erat
enim semper filius. Ad jecit autem illud : hodie genui te,
ut generationem secundum carnem commonstraret. Illud enim
hodie, tempus indicat, quare pro temporali generatione
adjiciunlur istaec hodie, genui te. (Biblioth.
veterum Patrum, t. V, p..195.) L'Église applique ces
mêmes paroles au mystère de la naissance de Jésus-Christ,
dans la messe de Noël, et saint Paul nous apprend qu'elles
s'entendent également de la résurrection de Jésus-Christ. (Actes
des Apôtres, XIII, 33.) Il est donc bien permis de dire
que le Père éternel engendre son Fils dans le mystère de
l'Incarnation; non pas sans doute dans ce sens que l'union
hypostatique du Verbe avec la nature humaine s'opère par
voie de génération, mais parce que le Verbe, éternellement
engendré du Père, et par conséquent engendré au moment où il
s'unit à la nature humaine, prend alors une vie nouvelle,
devient Homme-Dieu, fils naturel et non adoptif du Père
éternel, qui seul peut lui dire: Vous êtes mon Fils;
aujourd'hui je vous ai engendré. Le Fils de Dieu fait
homme n'est pas le fils de la sainte Trinité, ni le fils du
Saint-Esprit, mais le Fils unique du Père éternel.
Il n'est donc pas
contraire à la vérité que cette génération temporelle du
Verbe soit attribuée au Père. Toutes les oeuvres ad extra
sont communes aux trois personnes de la sainte Trinité,
ainsi que la foi nous l'enseigne. Unus solus Deus unum est
universorum principium, dit le grand concile de Latran. La
raison en est que, comme dit saint Thomas : « Creare
convinit Deo secundum suum esse quod est ejus essentia quoe
est communie tribus personis. (1re p. q., XLV,
a. 6 c.) Créer convient à Dieu selon son être, qui est son
essence, laquelle est commune aux trois personnes. » Donc
l'Incarnation, c'est-à-dire la création, la formation de là
nature humaine et son élévation à l'union hypostatique, est
l'effet des trois personnes de la sainte Trinité, et le même
concile de Latran a dit : Unigenitus Dei Filius a tota
Trinitate communiter est incarnatus. Mais le langage des
saintes Écritures et l'usage de l'Église nous autorisent à
attribuer par appropriation certaines oeuvres au Père,
d'autres au Fils, d'autres au Saint-Esprit, selon le point
de vue sous lequel on les considère et le rapport que nous
remarquons entre les oeuvres et les divines personnes. Les
divines Écritures, les symboles et les écrits des Pères
attribuent les grâces au Saint-Esprit, parce que ce sont
autant d'effets de la charité de Dieu à notre égard, et que
le Saint-Esprit procède comme amour du Père et du Fils. Pour
cela, la génération temporelle du Verbe étant principalement
une oeuvre de grâce et de sanctification, la manifestation
de l'amour de Dieu à l'égard des hommes, on l'attribue par
appropriation au Saint-Esprit, et nous disons dans le
Symbole . Incarnatus est de Spiritu sancto ex Maria
Virgine; c'est pourquoi la sainte Vierge est appelée
l'épouse du Saint-Esprit. Mais cette même génération
temporelle peut être considérée comme une mission temporelle
du Verbe dans le monde, et ainsi envisagée on peut
l'attribuer au Père, parée que les missions temporelles des
personnes divines du Fils et du Saint-Esprit sont en rapport
avec leur procession éternelle. De là M. Olier conclut que
la sainte Vierge a été admise en participation de la divine
fécondité du Père éternel, et comme le Fils unique de Dieu
le Père est en même temps le fils de la sainte Vierge, il
appelle celle-ci l'épouse du Père éternel. Ces deux
dénominations, épouse du Père éternel et épouse du
Saint-Esprit, sont consacrées par le langage des saints
docteurs. La première a été plus communément employée par
les anciens. Saint Thomas d'Aquin dit dans un sermon pour le
IVe dimanche de Carême : Fuit sponsa Patris,et
materFilii,et habitaculum Spiritus sancti; et saint
Bonaventure : Te matrem Dei laudamus, te aeterni Patris
sponsam omnis terra veneratur. Tu templum et sacrarium
Spiritus sancii, totius beatissimae Trinitatis nobile
triclinium sancta Maria a Deo Patre sponsa electa; Verbi Dei
Mater praeelecta, a Spiritu sancto protecta, ora pro nobis.
(Opuscul.
t. I, Parisiis, 164.)
Richard de
Saint-Laurent explique la doctrine que nous venons
d'exposer. Le Saint-Esprit, dit-il, vient en Marie pour
séparer dans sa chair sa plus pure substance, dont il forme
le corps que le Fils de Dieu devait prendre, et c'est pour
cela qu'il est dit que Marie a conçu par la vertu du
Saint-Esprit, et le Fils de Dieu peut dire au Saint-Esprit
cette parole de Job : Vous m'avez revêtu de peau et de
chair... Cependant toute la bienheureuse Trinité a opéré
l'Incarnation du Fils, parce que les oeuvres de la Trinité
sont inséparables, elles appartiennent aux trois divines
personnes. Ideo de Spiritu sancto dicitur Maria concepisse,
et potest dicere Filius Spiritui sancto illud Job : Pelle
et carnibus vestisti me; nihilominus tamen sancta
Trinitas operata est Filii incarnationem, nam inseparabilia
sunt opera Trinitatis. (De Laud. B. M., lib. III, cap. I.).
S.
Ephrem, groece.
Tom. III,
p. 532. Per te omnis gloria, honor et sanctitas ab ipso
primo Adam, et usque ad consummationem saeculi, Apostolis,
Prophetis, justis et humilibus corde, sola immaculatissima,
derivata est, derivatur, se derivabitur, atque in te gaudet,
gratia plena, omnis creatura.
D. Alb. Mag. sup.
Missus. Beata Virgo proprie dicitur Porta coeli: quia
per ipsam exivit quidquid gratiae unquam creatura vel
increatum in hunc mundum venit vel venturum fuit : omnium
enim bonorum Mater est, et Mater gratias, et Mater
misericordiae : et etiam ipsa gratia increata tanquam
aquœductu exivit ab ipsa et venit in mundum.
Item per ipsam
intravit quidquid unquam boni de cadis in terram descendit,
et e converso. Unde dicit Filius ejus : Venerunt mihi
omnia bons pariter cum illa.
(Quaest. CXLVII.)
Ces paroles et d'autres semblables ont, en effet, pour objet
le Verbe divin, en tant qu'il devait s'incarner, et qu'il
était déjà présent, comme tel dans la prescience divine.
Cela n'empêche pas qu'on ne les rapporte aussi
très-légitimement à la très-sainte Vierge, non-seulement
parce que nous avons été créés aussi nous-mêmes dans la
prescience divine, comme étant le corps de Jésus-Christ
notre chef, dont Marie est membre, mais à cause des
privilèges singuliers de cette auguste créature, destinée à
être le principe de Jésus-Christ selon l'humanité et sa
coopératrice dans l'oeuvre de la Rédemption. Aussi ces mêmes
paroles de l'Écriture, qui sont dites de la Sagesse
éternelle, sont-elles appliquées par les saints docteurs et
par l'Église elle-même à l'auguste Vierge Marie.
|