LA VOIE MYSTIQUE

adveniat regnum tuum


 

Jeanne Chézard de Matel
fondatrice de l’Ordre du Verbe Incarné
(1596-1670)

 

Autobiographie
1596-1641
 

Chapitre 24

Que le royaume du Saint Amour souffre violence ; des élévations et suspensions des puissances de l’âme où elle adore Dieu en esprit et en vérité.

A diebus autem Joannis Baptistæ usque nunc, regnum cælorum vim petitur, et violenti rapiunt illud. (Mt 11, 12) Depuis les jours de  Jean le Baptiste jusqu'à présent le Royaume des Cieux souffre  violence, et des violents s'en emparent. Devant que la grâce représentée par Saint Jean parut en terre, le ciel n’était point assailli, on n’en savait point les voies, les avenues ni les frontières. Il fallait que cet homme envoyé de Dieu les fît paraître qu’il vînt préparer vos voies en la terre, ô Verbe, Dieu Incarné pour notre amour. Il était le témoin de la vraie lumière. Il montrait aux hommes les voies qu’il fallait tenir pour arriver au ciel qu’il n’estimait pas imprenable, comme avaient fait tous les autres prophètes, et le plus éclairé de tous se contentait de dire : Rorate coeli desuper, et nubes pluant justum : aperiatur terra, et germinet salvatorem : et justitia oriatur simul : (Is 45, 8)  Cieux, épanchez-vous là-haut, et que les nuages déversent la justice, que la terre s'ouvre et produise le salut, qu'elle fasse germer en même temps la justice. C'est moi, Yahvé, qui a créé cela. Utinam dirumperes cælos, et descenderet. (Is 64, 1)  Ah ! Si tu déchirais les cieux et si tu descendais. Que le ciel d’en haut distille sa rosée sur nous, et que la nuée divine nous pleuve le juste, fécondant la terre par une divine puissance, faisant qu’une vierge conçoive, sans débris de sa virginité, et qu’elle nous enfante ce Sauveur qui converse familièrement avec nous. Il nous produira la lumière et la justice, nous sommes tous des criminels enfermés dans nos propres ténèbres. Nos entendements sont obscurcis, nous ne pouvons pas pénétrer ces cieux qui sont solides. Nous n’avons pas le courage d’élever nos esprits si haut que les Anges nous fassent la brèche ou que le Messie désiré descende pour se distiller sur nous et pour faire fondre nos montagnes, comme le baume qui peut guérir nos blessures ; qui nous nourrisse du lait de notre humanité unie au miel de sa Divinité.

Cher Amour, toutes ces demandes étaient des marques de leur peu de courage, votre sapience toute-puissante avait résolu dès l’éternité d’envoyer un homme céleste qui venait pour donner l’assaut au ciel et pour lui faire, si je peux ainsi parler, redoubler ses gardes. Il était votre précurseur. Vous êtes le Seigneur des Exercices et des Batailles. Je ne m’étonne pas si le ciel souffrait violence, vos yeux étaient des canons qui pouvaient percer ces murailles de pierres précieuses. Ils transpiraient cette mer de verre igné. Ils étaient tout de flamme : Oculi ejus tamquam flamma ignis, (Ap 1, 14) ses yeux étaient comme une flamme de feu;  nous dit votre secrétaire favorite. Les jours de Jean Baptiste précédèrent les vôtres de six mois. Il parut comme une lampe ardente et luisante qui étonne le ciel avec la terre. Gabriel avait bien dit qu’il serait grand devant Dieu et qu’il viendrait en la vertu et en l’esprit d’Elie ; mais je dis que son courage était plus généreux que celui d’Elie. S’il fermait les cieux et les ouvrait, ce n’était pas les plus sublimes ; ce n’était que ceux où vous avez logé la sphère du feu, et où vous soutenez les nuées car, pour le ciel empyrée, il n’en savait pas les portes. Il était abattu du courage quand une femme le menaçait de mort, il ne voulait plus vivre et, pour l’exciter à monter la montagne, il fallut un Ange et quand il vous plût de le ravir dans le paradis terrestre, vous lui envoyâtes un chariot et des chevaux de feu. Autrement il fut descendu languissant dans les Limbes. Il n’en est pas ainsi de Jean-Baptiste. S’il descendit aux Limbes, c’est glorieusement, pour réjouir tous les pères après avoir donné sa tête au martyre pour blâmer l’inceste d’Hérode, parlant hardiment aux grands de la terre, comme il assiégeait courageusement les sublimes intelligences du ciel qui étaient contraintes d’avouer que sa valeur méritait des lauriers immortels et de triompher dans leur Rome céleste. Vous l’avez, ô Verbe Divin, canonisé de votre propre bouche, disant : Non surrexit inter natos mulierem major Joanne Baptista. (Mt 11, 11) Parmi les enfants des femmes, il n’en a pas surgi de plus grand que Jean-Baptiste. Votre grâce l’a élevé jusqu’à la connaissance de votre divinité dès le ventre de sa mère, et puis, au Jourdain, en recevant de lui le baptême en l’élevant vous vous glorifiez en lui. L’Eglise lui attribue ces paroles de votre part : Servus meus es tu, Isreel, quia in te gloriabor. (Is 49, 3)  Et il m'a dit: Tu es mon serviteur, Israël en qui je me glorifierai.  Et plus bas : Ecce dedi te in lucem Gentium, ut sis salus mea usque ad extremum terrae. (Is 49,6) Je t'établis pour être la lumière des nations, pour porter mon salut jusqu'aux extrémités de la terre. Personne ne doit révoquer en doute que Saint Jean Baptiste, enfant d’oraison, n’ait été élevé ès plus sublimes degrés de la contemplation surnaturelle, depuis que vous l’eûtes sanctifié. Sa vie a été une élévation perpétuelle, surmontant en tout et partout la nature, vivant par les forces de la grâce. Il est encore le précurseur des âmes contemplatives. Qui doutera que ce grand saint ne m’ait obtenu de votre amoureuse bonté toutes les faveurs que j’ai dis, que je dirai ci-après et celles que je ne pourrais pas dire parce qu’elles me sont ineffables tant par leur sublimité, subtilité, délicatesse, comme par leur multiplicité ou quantité. Je vous ai souvent dit, après le Roi-Prophète : Domine probasti me, et cognovisti me : tu cognovisti sessionem meam, et resurrectionem meam. Intellexisti cogitationes meas de longe : semitam meam, et funiculum meum investigasti. Et omnes vias meas prævidisti : quia non est sermo in lingua mea. (Ps 138, 1-4) Yahvé ! Tu me sondes et tu me connais, tu sais quand je m'assieds et quand je me lève, tu pénètres de loin ma pensée; tu sais quand je marche et quand je me couche, et tu pénètres toutes mes voies. Car la parole n'est pas sur ma langue,

Seigneur, vous m’avez éprouvée par bonté ; vous avez connu quand votre Esprit me mettait dans un état passif, et puis quand il m’agissait, il me faisait agir en celui-là. J’étais passive recevant vos lumières dans l’entendement sans faire autre chose que pâtir ou recevoir les clartés que vous m’envoyez. En celui-ci j’étais poussée à agir avec vous discourant sur vos merveilles comme si après un état immobile, j’eu pris du mouvement. L’un se peut nommer cession, et l’autre résurrection. Vous connaissez mes pensées et les prévenez me montrant des sentiers dans la mer de vos immenses perfections, mais ce qui me faisait connaître votre inclination amoureuse pour moi, vous me liez et m’enfermiez dans votre même immensité en m’élevant en des suspensions que je nomme pendement des puissances, lequel vous prévoyiez, disposant mon chef pour pouvoir supporter ces violentes attractions, comme si la moitié de ma tête m’était élevée par une flotte de mes cheveux : quia non est sermo in lingua mea, (Ps 138, 4). Car la parole n'est pas sur ma langue,. Je ne peux point trouver comparaison plus propre pour exprimer ce pendement qu’en disant que vous éleviez les puissances de mon âme comme en façon de cheveux, la différence c’est que les cheveux ne sont pas la tête mais des choses qu’elle produit, qui le servait d’ornements. Or les puissances de mon âme ne sont pas une production superflue ou un ornement de l’âme ; l’âme ou l’esprit est indivisible en son essence quoiqu’il soit distinct en ses puissances, étant fait à votre image et semblance. Comme vous n’êtes qu’un Dieu en Trois Personnes, l’âme n’est qu’une âme en trois puissances : mémoire, entendement et volonté qui sont des puissances distinctes. Mais en votre très simple Déité votre entendement et votre volonté ne sont pas distincts, oui bien, les termes : Le Fils qui est votre géniture, ô divin Père, est le terme immense de l’entendement duquel il émane éternellement, et le Saint Esprit est le terme de l’unique et commune volonté qui le produit qui enserre avec immensité toute la divinité et qui arrête toutes les divines productions au dedans. Quand les puissances de l’âme sont élevées de la sorte, vous avez soin, comme j’ai dit, de conserver le chef qu’elles informent quand elles semblent se vouloir affranchir, parce qu’elles ne peuvent pas fournir à l’objet qui les attire à une vie surnaturelle, et au sujet qu’elle vivifie, par une vie naturelle, non est sermo in lingua mea, (Ps 138, 4)Car la parole n'est pas sur ma langue, pour déclarer ces suspensions comme il arrive pour l’ordinaire que pendant icelle il est très difficile de parler, la langue est interdite, en ces pendements d’esprit, l’âme dit mentalement : « Je ne connais pas ces voies spirituelles» : Omnes viam meas previdisti ; quia non est sermo in lingua mea, (Ps 138, 4) tu pénètres toutes mes voies. Car la parole n'est pas sur ma langue.

Si vous, ô Verbe Eternel, ne me faites parler, après que je serai descendue de ces élévations, je n’en pourrai rien dire car c’est une grâce d’être élevée, et ce en est une autre d’en pouvoir parler. Plusieurs âmes ont des recueillements, des écoulements, des blessures, des assauts, des unions et des suspensions d’esprit, mais elles n’ont pas toutes le pouvoir de les exprimer et celles qui, loin de vous, ne l’ont pas.

Toujours elles disent avec Saint Paul qu’elles ont ouï des paroles secrètes qui ne leur est pas permis de révéler aux hommes, parce qu’elles ne les peuvent rapporter avec la langue ni avec la plume, oui bien aux Anges qui sont de pures intelligences qui peuvent lire, voir et connaître les discours d’un entendement quand Dieu ne les leur cache pas ni les pensées qu’il produit dans icelui. Parfois il entretient l’âme par les Anges, et en la présence des Anges, il leur dit des merveilles, d’autres fois c’est par soi-même sans milieu unissant l’entendement à soi, l’éclairant de sa lumière, allumant lui-même sa flamme dans la volonté qu’il attire, après les admirables connaissances qu’il a données à l’entendement communication et opération admirables que la langue ne peut expliquer.  Non est sermo in lingua mea, (Ps 138, 4) Car la parole n'est pas sur ma langue, dit l’âme suspendue de la sorte. Ecce Domine tu cognovisti omnia novissima, et antiqua : tu formasti me, et posuisti super me manum tuam. (Ps 138, 5) Tu m'entoures par derrière et par devant, et tu mets ta main sur moi.

Voici, Seigneur, que vous connaissez toutes les fins et tous les commencements de mes cessations et opérations et vous m’avez faite et formée à votre image pour prendre vos délices en moi. Parce que vous êtes bon, comme tout-puissant, vous avez mis votre main sur moi, pour m’élever à vous, et pour me conserver la vie corporelle en me faisant voir comme vous êtes ma vie spirituelle, me donnant connaissance des grands mystères de votre divinité. En cela gît la vie éternelle, de connaître votre Père et vous, lequel vous envoyez comme Christ et Sauveur des hommes, qui êtes coégal et consubstantiel à votre principe. Qui vous voit en esprit voit votre Père qui est esprit de vérité et un Dieu avec vous et le Saint Esprit et vous apprenez à vos amantes de vous adorer en esprit et vérité en ces suspensions. Il n’est pas nécessaire d’être à genoux pour adorer en esprit. Votre Majesté divine n’ordonne pas à l’âme de se distraire de l’un nécessaire auquel elle est occupée avec ses puissances mais comme ferait-elle quand votre main les suspend, puisque vous portez avec trois doigts la pesanteur de la terre. Votre main est toute-puissante pour suspendre l’âme et pour lui faire plier les genoux corporels, si vous jugiez à propos, mais vous ne demandez pas toujours les cérémonies de la loi, quoique bonnes. Les affections et les actions de la foi vive animée de la charité vous plaisent plus. Comme l’âme vit de foi elle vous adore par la foi, sans laquelle vous ne l’auriez pas approchée de vos mystères, ni de vous, étant encore voyageur.

 

Chapitre 25

Du premier ravissement que j’eus auquel il fut besoin d’un grand courage ; en ce ravissement ; mon esprit fut gratifié des sept dons lumineux.

Saint Jean, le disciple bien-aimé, conserva la foi vive, animée de la charité. C’est ce qui le fit monter sur le Calvaire où il reçut de vous le gage le plus précieux que vous eussiez entre les pures créatures. C’est votre Sainte Mère laquelle vous fîtes la sienne après que vous l’eûtes ravie et élevée au ciel, en corps et en âme, votre providence permit que Saint Jean fut envoyé en Patmos pour ravir et élever son esprit auprès de vous, lui disant que vous étiez le principe et la fin de tout : Fui in spiritu in Dominica die, et audivi post me vocem magnam tamquam tubæ. (Ap 1, 10) Je fus ravi en esprit au jour du Seigneur, et j'entendis derrière moi une voix forte, comme le son d'une trompette. Voulant voir Celui qui parlait à lui avec cette puissante voix, il vit sept chandeliers d’or, au milieu desquels il vous aperçut revêtu d’une longue robe, ayant une ceinture d’or sur les mamelles, vos cheveux blancs comme la laine très nette et toute blanche, vos yeux étincelants comme la flamme du feu, vos pieds semblables à l’airain qui vient de la fournaise, votre voix comme celle d’un tonnerre, ayant sept étoiles à votre dextre, et de votre bouche procédait un glaive qui tranchait de toutes parts. Votre face éclatait comme le soleil en sa plus grande splendeur. Son esprit fut tellement surpris que son corps tomba comme mort, et quoique vous l’eussiez nommé fils du tonnerre, ce qu’il vit et ouït, en ce ravissement l’effraya tant que si vous n’eussiez mis votre main droite sur lui pour l’assurer, peut-être qu’il fût mort en ce ravissement qui fut bien différent du sommeil des puissances et de la quiétude de la Cène, lorsqu’il reposa sur votre poitrine, et de l’étonnement qu’il eut sur le Calvaire, quand il vit, en une suspension très sublime, l’eau et le sang qui coulaient de votre côté. Ses yeux et son esprit étaient attentifs en façon de pendement en vous contemplant pendu et attaché à la Croix. En cette suspension, il ne fut pas entièrement ravi, il ne tomba pas à vos pieds ; il s’y tint debout avec votre Sainte Mère. Il regarda d’un œil assuré tous les miracles qui se firent en la nature sans s’effrayer. Mais en ce ravissement de Patmos, il faut que votre dextre puissante le fortifie et que vous lui disiez efficacement : Noli timere.

Cher Amour, jusqu’ici, mon esprit avait pu supporter toutes les opérations du vôtre, sans être saisi d’appréhension, ni de crainte, mais un jour de St Thomas ayant été invitée par votre amour à l’oraison par un attrait tout-puissant, mon esprit fut ravi, mon corps se trouvait quasi en état d’être privé de la forme qui l’enfermait, vivifiait et échauffait, souffrait des grandes peines car il devint glacé et comme privé de sa vie, excepté au sommet de la tête, où je sentais une chaleur qui me montrait qu’il n’était pas hors de mon corps et que la partie supérieure de l’esprit est en le plus haut du chef. Votre dextre soutenait ce corps en terre,  en attirant en haut l’esprit sans lui faire connaître celui qui l’élevait, et où il le voulait conduire. Le combat de l’esprit et du corps fut très grand car le corps ne voulait pas laisser aller l’esprit et l’esprit avait de la peine à quitter le corps mais la force qui attirait l’esprit était si puissante qu’il ne pouvait ni devait résister. Il entendit qu’on lui dit, Courage ! Ce mot de courage lui fut efficace pour se résoudre à quitter le corps. Il dit : Infelix ego homo, quis me liberabit de corpore mortis hujus ? (Rm 7, 24) Misérable que je suis ! Qui me délivrera du corps de cette mort ?... Hé, mon Seigneur et mon Dieu, donnez-moi force pour monter à vous, et considérez que je suis misérable d’être attaché à cette masse, qui m’est un fâcheux contrepoids. J’en voudrais être délivrée quoi qu’il m’en coutât la dissolution d’avec lui me serait douce, si je pouvais être unie avec vous, ô mon Tout, mais à qui parle-je ? Je ne vous vois pas et vous me voyez ? Je sais bien que vous êtes appelé par le prophète un Dieu caché et Sauveur. Si votre esprit qui m’a attiré ne m’est favorable, je ne peux monter au ciel ni retourner en terre. Je suis ravie entre deux. Cet esprit de bonté ne me peut guère laisser en ces peines mais d’une divine façon il me mit en un repos et me communiquant ses sept dons avec tant de délices que je n’eus jamais voulu retourner de ce ravissement. Ces sept dons étaient sept lumières au milieu desquelles vous marchiez, ayant chacune sa forme, mais forme que je ne peux représenter par des choses que l’imagination et la vue corporelle aient vues ou puisse comprendre ; c’était des formes spirituelles que Saint Paul appelle : multiformis sapientia Dei, qui est un sacrement caché en vous, mon Dieu, que les Anges connaissent quand il vous plaît qu’ils soient spectateurs de vos amoureuses communications, ou que les âmes comme des miroirs les leur représentent ; eux-mêmes sont aussi des miroirs pour représenter vos clartés et vos desseins quand vous les envoyez aux âmes pour les instruire de vos volontés. Les sept étoiles que vous avez à votre main droite sont aussi des sacrements que vous déclarez aux âmes par le ministère des sept Anges qui assistent devant vous et qui fixent ces lumières en elles, si vous-même n’en voulez faire l’office car le Roi-Prophète dit que le firmament annonce l’œuvre de vos mains. Les Anges sont des cieux qui chantent et publient votre gloire, et le firmament annonce l’œuvre de vos mains. Cæli enarrant gloriam Dei, et opera manuum ejus annunciat firmamentum. (Ps 18, 2) Les cieux racontent la gloire de Dieu, et l'étendue manifeste l'oeuvre de ses mains. Et en un autre psaume, le même prophète avait dit : Opera digitorum tuorum : lunam et stellas, quæ tu fundasti. (Ps 8, 4) Quand je contemple les cieux, ouvrage de tes mains, la lune et les étoiles que tu as créées. Mon esprit pensait qu’il demeurerait en ce firmament où vous l’aviez fixé, comme un astre éclairé de vos clartés, mais il reçut ordre de votre Majesté d’éclairer la terre en rabaissant ces lumières, ce qui ne lui fut pas une mortification parce qu’il lui semble être mis en une triste prison extrêmement éloignée de la patrie où il pensait arriver par la force de votre dextre qui l’avait élevé par-dessus tout ce qui était sensible en la région où l’amour voilé fait connaître ses merveilles, le corps demeura brisé, vous pouvant dire : Quia elevans allisisti me, et bien m’en prît qu’il était environ la minuit que je me mis au lit pour le reposer car je ne sais si j’eus pu marcher. Il fallut du temps pour reprendre force et chaleur car il était froid et quasi impliable ; l’esprit avait une peine indicible de l’informer. Il semblait qu’il ne lui était plus rien qu’une charge insupportable ; il le haïssait comme le sujet qui l’arrêtait en ce bannissement et s’il n’eût su que votre Majesté l’ordonnait de la sorte il l’eût traité avec des rigueurs que le zèle indiscret lui eût fait inventer si votre sapience qui atteint d’une fin à l’autre n’en eût disposé autrement, lui faisant entendre que c’était vous qui vivifiez et mortifiez quand vous le jugez expédient pour votre gloire et pour la plus grande perfection de vos amantes.

 

Chapitre 26

Du grand changement que ce premier ravissement fit en moi. Dès ce jour mon esprit eut la vie en patience et la mort en déisr, et de plusieurs autres ravissements.

Ce ravissement fit un si grand changement en moi que je ne me connaissais plus celle que j’étais auparavant. Mon esprit ne pouvait plus regarder la terre qu’avec mépris disant après le Roi-Prophète : Ego dixi in excessu meo : omnis homo mendax. (Ps 115, 2) J'avais confiance, lorsque je disais : Je suis bien malheureux ! Je disais dans mon angoisse : Tout homme est trompeur. Tous ceux qui disent qu’il y a du plaisir en cette vie qui est commune aux hommes et aux bêtes mentent s’ils ne relèvent leur esprit à celui qui les a crées. Voir, ouïr, goûter, flairer, et toucher, c’est la vie des sensuels. Les animaux ont plus de contentement qu’eux. Ils ont l’avantage sur l’homme, en la vue, l’ouïe, le goût, l’odorat et le toucher. Si l’homme ne monte par les choses visibles aux invisibles, il ne mérite pas le nom d’homme. C’est pourquoi St Paul dit : Animalis autem homo non percipit ea quæ sunt spiritus Dei ; stultis enim est illi et non potest intelligere quia spiritualiter examinatur, spiritualis autem judicat omnia et ipse a nemine judicatur. (1Co 2, 14) Mais l'homme animal ne reçoit pas les choses de l'Esprit de Dieu, car elles sont une folie pour lui, et il ne peut les connaître, parce que c'est spirituellement qu'on en juge. Comment pourrait juger l’homme charnel des communications de l’esprit qu’il ne connait pas par étude, n’expérimente par dévotion. L’homme spirituel qui est élevé au-dessus de soi-même par l’Esprit de Dieu peut juger par ce même Esprit et discerner le bien d’avec le mal, et le meilleur d’avec le bon. Ceux qui ne connaissent pas la sagesse de Dieu l’estiment folie. Ils blasphèment souvent ce qu’ils ignorent ; la sagesse de la Croix est scandale aux Juifs et folie au Gentils, parce que ceux-ci ni ceux-là ne suivent pas l’Esprit de Dieu. Ils suivent les voies et les lois du monde, monde qui ne peut pas recevoir ce Divin Esprit parce qu’il ne le connait, ni ne le veut connaître mais pour parler de cet Esprit Divin il faut parler avec des hommes spirituels que le même Esprit remplit, instruit et gouverne. C’est l’Esprit de sapience : Sapientiam loquimur inter perfectos, sapientiam vero non hujus sæculi, neque principum huius sæculi, qui destruentur : sed loquimur Dei sapientiam in mysterio, quæ abscondita est, quam prædestinavit Deus ante sæcula in gloriam nostram. (1Co 2, 6-7) Cependant, c'est une sagesse que nous prêchons parmi les parfaits, sagesse qui n'est pas de ce siècle, ni des chefs de ce siècle, qui vont être anéantis ;  nous prêchons la sagesse de Dieu, mystérieuse et cachée, que Dieu, avant les siècles, avait destinée pour notre gloire.  Sapience qui est cachée aux princes qui vivant de toutes choses, c’est leur fin. La fin couronne l’œuvre selon la corruption du siècle, lesquels vous condamnent, ô mon Amour, à la Croix parce qu’ils ne connaissent pas votre bonté car s’ils la connaissaient, ils ne vous crucifieraient pas derechef. Leur connaissance est selon les sens, auxquels vous ne manifestez pas vos mystères, ni les délices de la gloire que vous avez préparée à ceux que vous aimez, et qui selon votre grâce et leur pouvoir, vous aiment réciproquement. Et oculus non vidit, nec auris audivit, nec in cor hominis ascendit, quæ præparavit Deus iis, qui diligunt illum : nobis autem revelavit Deus per spiritum suum : Spiritus enim omnia scrutatur, etiam profunda Dei, (1Co 2, 9-10) que l'œil n'a point vues, que l'oreille n'a point entendues, et qui ne sont point montées au coeur de l'homme, des choses que Dieu a préparées pour ceux qui l'aiment. Dieu nous les a révélées par l'Esprit. Car l'Esprit sonde tout, même les profondeurs de Dieu. dit cet Apôtre qui n’a pas reçu son Evangile des hommes et qui a été instruit par le Saint Esprit qui profonde toutes choses, même les mystères divins, et qui les déclare quand et à qui lui plaît, montrant à ceux qu’il élève dans ces sublimes intelligences que tout ce qui n’est pas Dieu ou pour Dieu n’est rien que tout ce qui est au-dessous du soleil n’est que vanité ou affliction d’esprit, puisque l’âme est crée pour le Créateur du soleil, lequel est son principe et veut être sa fin. Toute consommation voit sa fin ou la perfection de toutes choses, c’est leur fin. La fin couronne l’œuvre : Omnis consummationes vidi finem : (Ps 118, 96) Tes commandements n'ont point de limite : tous doivent être consommés en un, et voir leur fin qui est Dieu. C’est ce que votre lumière m’a fait souvent connaître en tous mes ravissements ; mon cœur, fait pour vous, ne peut avoir un parfait repos qu’il ne se perdre heureusement en vous. Il désire de se consommer pour vous qui êtes ma fin infinie. Mon esprit et ma vie est cachée en vous, très cher Epoux, dans Dieu. C’est ce que dit l’Apôtre à ceux de qui vous avez ravi la vie par leurs affections, leur ayant fait voir et goûter combien vous êtes aimable. Ils sont morts et leur vie est cachée en vous dans Dieu. Ils ne veulent paraître qu’au jour que vous vous manifesterez pour honorer votre glorieux triomphe. Cher Amour, m’ayant mise en cet état, vous me permîtes sans crime un désir amoureux de mourir, et me dites d’avoir la vie en patience, et pour me faire expérimenter que la résignation à vos ordonnances vous plaît, vous me visitiez souvent, et me ravissiez par diverses ravissements, tantôt en me faisant voir votre beauté en des admirables illustrations, puis en me remplissant de votre sapience, après redoublant en moi une abondante infusion de science, laquelle se rendait admirable au-dessus de mon esprit, lequel heureusement abîmé dans vos splendeurs vous disait : Mirabilis facta est scientia tua ex me : confortata est, et non potero ad eam. Quo ibo a spiritu tuo ? et quo a facie tua fugiam ? Si ascendero in cælum, tu illic es : si descendero in infernum, ades. Si sumpsero pennas meas diluculo, et habitavero in extremis maris. Etenim illuc manus tua deducet me : et tenebit me dextera tua. (Ps 138, 6-10) Une science aussi merveilleuse est au-dessus de ma portée, elle est trop élevée pour que je puisse la saisir. Où irais-je loin de ton esprit, et où fuirais-je loin de ta face ? Si je monte aux cieux, tu y es ; si je me couche au séjour des morts, t'y voilà. Si je prends les ailes de l'aurore, et que j'aille habiter à l'extrémité de la mer, là aussi ta main me conduira, et ta droite me saisira. Votre science, ô Dieu tout bon, est faite admirable en mon âme, elle surpasse toute science. Je ne suis pas capable de la comprendre parce qu’elle est si relevée et si redoublée en merveilles, que mon âme est absorbée en elle, et dans une amoureuse admiration elle vous dit : Votre Esprit est immense en bonté pour moi. Si je vous contemple glorieux dans le ciel, je vous y trouve ravissant toutes mes puissances par votre beauté, si je descends par pensée dans l’enfer, j’y vois votre juste vengeance et votre Majesté redoutable par une terreur équitable. Si je prends des ailes dès le matin pour voler sur la mer de votre éternité, je vous considère principe et fin de tout ce qui est créé. Je vous adore comme l’Etre Souverain et incréé qui est partout, qui voit tout et qui gouverne tout par votre très sage puissance. O Père, votre providence gouverne tout mon intérieur et mon extérieur, et votre dextre me supporte, et me conduit et m’élève divinement. Sileat omnis caro a facie Domini : quia consurrexit de habitaculo sancto suo. (Za 2, 13) Que toute chair fasse silence devant Yahvé ! Car il s'est réveillé de sa demeure sainte. Quand il vous plaît de ravir et d’emporter un esprit l’élevant par le vôtre, il faut que toute langue de chair se taise devant vous, qui vous plaisez de faire ces élévations des âmes dans lesquelles vous faites votre demeure et votre sainte habitation. Elles sont vos tabernacles comme vous êtes le leur.

 

Chapitre 27

Des extases amoureuses dont mon âme a été favaorisé ; des grandes caresses de la divinité et de l’humanité sainte.

Ayant ravi leur entendement par vos admirables lumières, cette connaissance engendre l’amour, et la volonté se trouve toute enflammée pour aimer votre beauté qui est bonté. Vous êtes le beau et le bon, le beau pour l’entendement et le bon pour la volonté. L’amour a cela de propre que de sortir l’âme de ce qu’elle anime, pour la porter ou attirer à ce qu’elle aime, l’amour est extatique ; l’âme qui connaît que vous l’aimez sort de soi-même pour entrer en vous qui êtes souverainement aimable. L’entendement ayant été ravi d’admirer voyant votre splendeur, la volonté est attirée par votre ardeur, la clarté a élevé l’entendement comme son objet lumineux et la chaleur attire à soi la volonté comme son objet amoureux. La chaleur a cela de propre qu’elle fait sortir l’âme volontairement et suavement, comme on peut connaître que la chaleur du soleil au printemps fait produire à la terre les fleurs et les fruits, si qu’elle semble sortir d’elle-même par ses productions qui réjouissent et nourrissent les hommes et les animaux. L’extase se fait plus en la volonté qui se trouve échauffée de votre amour, amour qui vous a fait venir à elle et comme vous dites : Sic enim Deus dilexit mundum, ut Filium suum unigenitum daret : ut omnis, qui credit in eum, non pereat, sed habeat vitam æternam. Non enim misit Deus Filium suum in mundum, et iudicet mundum, sed ut salvetur mundus per ipsum. (Jn 3, 16-17) Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle. Dieu, en effet, n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour qu'il juge le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. L’épouse bien-aimée croit en vous comme en la Souveraine Vérité qu’elle aime. L’amour la fait sortir d’elle-même pour entrer en vous ; vous trouvant immense, elle veut quitter sa demeure limitée pour avoir son extension dans votre immensité ; sachant que tel est votre plaisir, elle vous dit : Ego dilecto meo, et ad me conversio eius. (Ct 7, 10) Je suis à mon bien-aimé, et ses désirs se portent vers moi. Venez, mon Bien-Aimé, sortons aux champs et faisons notre demeure au village. Les villes sont trop limitées ; elles sont ennuyeuses à cause des compagnes dont il faut souffrir les entretiens qui sont fâcheux aux amants qui aiment être seuls sans être divertis de leur amour, qui n’a jamais son plaisir que quand il est en sa liberté que la solitude lui donne, parce que l’amour unit les amants et les convertit en soi, les éclairant et échauffant [81] d’une même lumière et d’une même flamme, elle les réduit en l’agréable unité qui est le but de leur prétention. C’est pourquoi, ô Souverain Amant, vous avez demandé à votre Père cette unité, disant que tout ainsi que vous êtes par amour sorti ou venu de lui aux hommes, les hommes sortent par amour d’eux-mêmes, et que cet amour les conduise à vous par des sacrées extases.

Cher Amour, ma vie a été plusieurs années une continuelle extase. Vous m’avez souvent dit que je ne vivais plus en moi, mais en vous et que vous vous plaisiez d’être ma vie, et de ce que j’agréais de mourir à moi et à tout ce qui est créé pour vivre en vous. Vous m’emmeniez aux champs de votre immense Divinité et, quand je semblais m’être perdue dans cette vastitude, par une bénignité à vous seul propre, vous me faisiez entrer dans le village de votre humanité où vous me faisiez un festin proportionné à ma nature, et pour montrer que vous vous accommodiez aux infirmités de celle que vous aimez par une amoureuse condescendance vous me disiez : Veni in hortum meum soror mea sponsa, messui myrrham meam cum aromatibus meis : comedi favum cum melle meo, bibi vinum meum cum lacte meo ; (Ct  5, 1) J'entre dans mon jardin, ma soeur, ma fiancée ; Je cueille ma myrrhe avec mes aromates, Je mange mon rayon de miel avec mon miel, Je bois mon vin avec mon lait... «Mange ma mie, et t’enivre, ma très chère». Etant saintement enivrée je m’endormais du sommeil extatique, disant : Ego dormio, et cor meum vigilat, (Ct 5, 2)  2 J'étais endormie, mais mon coeur veillait... sommeil duquel vous ne vouliez pas que les créatures m’éveillassent, disant : Adiuro vos filiæ Ierusalem, per capreas, cervosque camporum, ne suscitetis, neque evilare faciatis dilectam, quoadusque ipsa velit. (Ct 3, 5) Je vous en conjure, filles de Jérusalem, par les gazelles et les biches des champs, ne réveillez pas, ne réveillez pas l'amour, ― avant qu'elle le veuille. ― Conjurant vos Anges par les promptes corruscations que vous leur produisez, que pourraient transmettre de ne pas éveiller celle que vous aviez vous-même endormie, jusqu’à ce que je fus satisfaite de mon sommeil, ou que pour votre plus grande gloire je me voulus éveiller pour le salut du prochain, leur disant que vous-même seriez mon réveil. Aussi disais-je : Ego dormio, et cor meum vigilat. En m’endormant j’entendais amoureusement votre voix : Vox dilecti mei pulsantis : Aperi mihi soror mea, amica mea, columba mea, immaculata mea : quia caput meum plenum est rore, et cincinni mei guttis noctium, (Ct 5, 2) C'est la voix de mon bien-aimé, qui frappe : ― Ouvre-moi, ma soeur, mon amie ma colombe, ma parfaite ! Car ma tête est couverte de rosée, mes boucles sont pleines des gouttes de la nuit. ― me disant : ma Sœur, ma mie, ma colombe, mon immaculée, ouvre-moi, parce que mon chef est plein de rosée, et mes cheveux des gouttes de la nuit, souviens-toi que je me suis fait ton frère en prenant ta nature, connais par mes splendeurs que je suis ton ami, et comme un soleil je veux entrer en toi qui es mon aurore. Ressens par des ardeurs amoureuses que tu es ma colombe qui doit reposer dans mes plaies, lesquelles sont ouvertes pour toi afin que j’entende tes amours par tes propres gémissements ; ouvre-moi, mon immaculée, parce que mon Père, qui est le chef de Christ, ton Epoux, veut découler dans toi la rosée de l’éternelle génération, nous voulons continuer en toi les gouttes que nous produisons en la nuit de nos délices, nuit aux créatures qui n’ont pu voir la génération et naissance du Fils ni la production du Saint Esprit, parce que mon Père m’engendre devant le jour qu’elles furent créées, ante luciferum (Ps 109, 3) du sein de l’aurore ; à qui mon Père et moi produisons éternellement au dedans, notre amour unique qui est le Saint Esprit, gouttes et rosée qui sont aussi éternelles, immenses et stables que leur principe et que leur source, et parce que je t’ai purifiée par mon sang, je t’appelle mon immaculée. Je désire que tu relèves ton esprit et que tu ouvres ton cœur pour recevoir ces deux divines émanations dans toi, tu es sortie ou extasiée pour voir les champs immenses de notre divinité. Tu as demandé de demeurer au village de mon humanité, humanité qui m’a rendu ton frère. Je t’ai traitée comme ma sœur, je t’ai fait un festin selon ton goût et ton naturel, mais spirituellement je t’ai enivrée en suite de quoi tu t’es endormie, et n’ai pas permis que mes Anges t’aient éveillée. C’est moi, ma mie, qui jaloux de toi, comme soigneux de ton sommeil, t’ai voulu éveiller avec cet avantage que je te veux communiquer notre divinité en façon de rosée pour t’embellir et pour te rendre féconde.

Ce sont des preuves de l’union, voire de l’unité divine. Reçois ces joyaux qui ne sont rien moindre que l’Epoux qui bientôt veut faire avec toi. Celui qui a ravi ton entendement est le même qui a enflammé ta volonté et par l’ardeur de cette flamme tu es volontairement et librement sortie pour venir voir les biens immenses de Celui qui te veux épouser et qui te veux dotée de ses grâces et se donner à toi lui-même en te prenant à soi. Vous me disiez ces paroles et d’autres aussi charmantes et délectables.

Cher Amour, on peut voir par les discours ou narrés que j’ai fait autant véritables que je le peux connaître qu’ils sont les ravissements et qu’elles sont les extases que j’ai éprouvées de votre sage bonté, les ravissements se font pour l’ordinaire en l’entendement qui est ravi dans vos clartés admirables, et les extases en la volonté qui est embrasée de vos flammes très aimables, et ces distinctions que je fais des ravissements et des extases ne condamnent pas ceux qui diront que les extases peuvent être nommées ravissements et les ravissements extases. L’entendement peut s’élever et sortir au-dessous de lui-même et la volonté peut être ravie et attirée hors d’elle-même par la beauté. La beauté divine est également admirable et aimable, comme la bonté est pareillement aimable et admirable, le beau et le bon ravissent et extasient l’épouse en cette vie.

L’entendement ne peut connaître Dieu sans être élevé dans la lumière ni la volonté l’aimer sans être attirée par sa flamme. Par sa clarté, la lumière suspend l’entendement et la chaleur dilate la volonté qui sort volontairement après ses flammes, flammes qui en brûlant conservent souvent leur sujet, ou du moins le purifient mais comme le corps n’est pas le sujet principal de l’Amour divin, c’est l’âme, c’est pour cela que je dis que ce feu conserve et purifie son sujet. Il est vrai que par des privilèges que l’amour fait quand il le juge à propos le corps peut être fortifié en ces opérations, mais j’estime que c’est par une force surnaturelle car le corps est extrêmement affaibli par les ravissements et extases.

 

Chapitre 28

Des longues maladies et diverses douleurs que les ravissements, extases et le feu divin m’ont causées.

Vous savez, cher Amour, que les fréquents ravissements et les quasi continuelles extases que j’expérimentais me causaient les fréquentes et longues maladies l’espace de six années et quoique je ne disse pas aux médecins qui me traitaient que mes fièvres tierces, double tierces et continues venaient de ces ravissements et extases. Je prenais tous les remèdes qu’ils m’ordonnaient, et souffrais avec une joie très grande toutes les douleurs et toutes les ardeurs que ces fièvres me causaient si mes indiscrétions y aidaient c’était peu, car cher Epoux je ne voulais pas désobéir à mes confesseurs jeûnant ou faisant plus de pénitence qu’ils ne m’en permettaient quel désir que j’eusse d’en faire. Il a été un temps que mon désir était extrême, et quoique je sois bien éloignée des faveurs de Sainte Thérèse j’ai dit souvent après elle «ou pâtir ou mourir», vous demandant l’un ou l’autre par l’impétuosité de l’amour, et puis je me résignais à votre ordonnance par la soumission que je croyais devoir à vos volontés, auxquelles je tâchais de conformer mes inclinations, à quoi j’étais aidée par votre bénignité qui faisait comme une bonne mère laquelle sonde ou éprouve les forces de son enfant, pour le faire marcher, ou pour lui permettre le travail selon son pouvoir, ne l’envoyant en classe que quand il est capable des études. [85] Le feu que vous allumâtes en ma poitrine fut si ardent qu’il la rendit une fournaise continuellement embrasée, mon sang était tout brûlé au dire des médecins ; deux contraires les mettaient en peine en m’ordonnant des médicaments, car mon estomac était indigeste nonobstant cette continuelle ardeur que je ressentais à la poitrine, au cœur, aux entrailles et au foie. Quand ils m’ordonnaient des remèdes chauds, ils accroissaient mes flammes, et quand ils m’ordonnaient des froids, ils débilitaient encore plus mon estomac. Mais comme l’ardeur du sang surpassait la froideur de l’estomac, il me fallait et me faut toujours ordonner des remèdes rafraîchissants ce qui sont continués encore pour tempérer les flammes que votre bonté, ô Divin Amour, est venu allumer en mon cœur sans aucun mien mérite, et je peux dire avec vérité que j’ai fort peu contribué à ces ardeurs et que c’est votre charité qui est venu mettre ce feu dans moi, le faisant ardent selon son désir. Continuez, Seigneur, jusqu’à ma fin, et me faîtes, s’il vous plaît, un holocauste parfait, et que je puisse dire en vérité avec l’Apôtre, sachant que vous êtes mon avocat devant votre Père : « Qui me séparera de votre charité » : rien de tout ce qui est affligeant le corps et l’esprit : Certus sum enim quia neque mors, neque vita, neque angeli, neque principatus, neque virtutes, neque instantia, neque futura, neque fortitudo, neque altitudo, neque profundum, neque creatura alia poterit nos separare a charitate Dei, quæ est in Christo Iesu Domino nostro. (Rm 8, 38-39) Oui, j'en ai l'assurance, ni mort ni vie, ni anges ni principautés, ni présent ni avenir, ni puissances, ni hauteur ni profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus notre Seigneur. Que les maux de tête que j’ai soufferts vingt années de suite, que les maux des yeux que j’ai endurés environs dix années, que la pierre me travaille jusqu’à ma mort, que les coliques me tourmentent autant qu’il vous plaira, que le dégoût [86] de toutes viandes me dure jusqu’à la fin de ma vie, mais qu’il vous plaise de la bénir comme vous avez fait le commencement (je veux dire ma naissance). Tout cela ne m’est rien, ce qui me confond c’est que souvent je ne fais pas le bien que je veux, mais le mal que je hais. Non enim quod volo bonum, hoc ago : sed quod odi malum, illud facio. (Rm 7, 15) Je ne fais point ce que je veux, et je fais ce que je hais.

Ce n’est pas, cher Amour, que vous m’ayez jamais voulu éprouver par les tentations de la loi inférieure qui donne tant de peine à plusieurs personnes vertueuses, mais c’est le peu de fidélité que j’apporte à vos grâces qui sont toujours prêtes comme votre miséricorde à me faire voir vos bontés ; et la pensée que je ne mérite pas l’épreuve me doit servir d’une continuelle humiliation, voyant que je ne sais que c’est par expérience des tentations, où vous passez les autres, et quoique l’espérance de l’accomplissement de vos promesses soit différée, tout cela ne me touche que fort peu, et si j’étais fidèle à vous regarder promptement, soudain que les pensées de ce retardement me viennent, l’ennui qu’elles me pourraient causer serait évanoui au moment qu’elles naîtraient en moi. L’Apôtre dit que vous êtes fidèle, que vous ne permettez pas qu’une personne soit tentée par-dessus ses forces, et moi je dis que vous êtes tout bon pour moi, que votre bonté prévient toutes les afflictions que votre justice pourrait très justement m’envoyer : Similiter autem et Spiritus adiuvat infirmitatem nostram. (Rm 8, 26) De même aussi l'Esprit nous aide dans notre faiblesse,

Votre Esprit très pitoyable prend soin de me soulager en toutes mes infirmités, les adoucissant de sorte que je ne souffre presque rien ni en l’esprit, ni au corps, et quand je ne sais pas prier, Il prie en moi, pour moi : Gemitibus inenarrabilibus. Qui autem scrutatur corda, scit quid desideret Spiritus. (Rm 8, 26-27) Mais l'Esprit lui-même intercède par des soupirs inexprimables; et celui qui sonde les coeurs connaît quelle est la pensée de l'Esprit. Je le prie de demander en moi ce qui lui est comme à vous et au Divin Père le plus agréable : Scimus autem quoniam diligentibus Deum omnia cooperantur in bonum. (Rm 8, 28) Nous savons, du reste, que toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu. Mon désir est que je sois par grâce et par votre providente bonté rendue semblable à vous, mon cher Epoux, qui êtes dès l’éternité l’image de votre Divin Père et qui serez à jamais en notre humanité celle de votre très chère Mère, images qui ne font qu’un Jésus-Christ, qu’un Verbe Incarné, mon prototype, et mon adorable archétype.

 

Chapitre 29

Des grandes joies que le Divin Amourproduisait dans mon âme, laquelle jouissait du paradis, tandis que mon corps était comme en un purgatoire.

Si l’obéissance arrête ma plume quand elle semble glisser pour dire mes péchés et infidélités, les insignes obligations que j’ai à votre miséricordieuse charité lui donne le vol pour raconter, s’il se pouvait, les innombrables faveurs que j’ai reçues et que je reçois de votre infinie bonté. Il y en a tant de toutes sortes, que, quand je dis qu’elles me sont inexplicables, je ne pense point user d’exagération, ni en leur qualité, ni en leur quantité, ce que vous m’avez souvent fait connaître avec plus de vérité que je ne le peux exprimer. Je peux adorer et admirer vos profusions en moi mais n’ont pas les exprimer ni par mes sentiments, ni par mes paroles, ni par mes écrits, et comme l’Ecclésiaste dit parlant de vos excellences : Multa dicemus, et deficiemus in verbis ; consummatio autem sermonum, ipse est in omnibus. (Si 43, 29) Les grandes grâces que vous me faisiez pendant mes maladies élevaient si haut mon esprit qu’en moi paraissaient le purgatoire et le paradis, le purgatoire par les ardentes fièvres et cuisantes douleurs du corps, le paradis par les joies et jubilations d’esprit me pouvant servir des paroles de l’Apôtre : Cum enim infirmor, tunc potens sum. (2Co, 12, 10) car, quand je suis faible, c'est alors que je suis fort. Quand j’entendais dire qu’en vos voies il avait des afflictions, je m’en étonnais parce que je n’en sentais point, si ce n’est celle qui provenait des péchés que vous haïssez comme étant contraires à vous et à votre amour : c’est pourquoi, quand je les considérais, je vous disais avec amertume très grande : Quid faciam tibi o custos hominum ? Quare posuisti me contrarium tibi, et factus sum mihimetipsi gravis ? Cur non tollis peccatum meum, et quare non aufers iniquitatem meam ? (Jb 7, 20-21) Si j'ai péché, qu'ai-je pu te faire, gardien des hommes ? Pourquoi me mettre en butte à tes traits ? Pourquoi me rendre à charge à moi-même ? Que ne pardonnes-tu mon péché, et que n'oublies-tu mon iniquité ? Votre amour vous a constitué gardien de votre épouse, pourquoi permettez-vous qu’elle commette des fautes que vous haïssez ? Puisque vous êtes l’Agneau qui portez et ôtez tous les péchés des hommes, ôtez-moi les miens, qui me sont une charge insupportable.

Votre charité divine et votre courtoisie humaine et amoureuse, peut-elle bien voir en moi ce qui lui déplaît tant sans me l’ôter ? Jacob ôta bien la pierre qui empêchait de boire les brebis de Rachel qu’il aimait. Votre bonté voyant mon désir l’exauçait, précipitant mes péchés dans l’abîme d’amour. Je ne trouvais ès croix, que des joies et des bontés ; et avec Saint André, je les saluais comme des moyens qui me faisaient jouir de vous avec plus d’assurance. J’entendais avec délectation ces paroles de l’Apôtre : Deponentes omne pondus, et circumstans nos peccatum, per patientiam curramus ad propositum nobis certamen : aspicientes in Auctorem fidei, et consummatorem Iesum, qui proposito sibi gaudio sustinuit crucem, confusione contempta, atque in dextera sedis Dei sedet. (He 12, 1-2)  rejetons tout fardeau, et le péché qui nous enveloppe si facilement, et courons avec persévérance dans la carrière qui nous est ouverte, ayant les regards sur Jésus, le chef et le consommateur de la foi, qui, en vue de la joie qui lui était réservée, a souffert la croix, méprisé l'ignominie, et s'est assis à la droite du trône de Dieu.

Considérant les grandes contradictions que vous avez souffertes des pécheurs pour lesquels vous vous étiez incarné et venu en terre pour les sauver par vous-même choisissant la mort et la confusion temporelle et la Croix pour leur donner la vie, et la joie et la gloire éternelle. Toutes ces vues empêchaient mon esprit de s’ennuyer dans les souffrances, plusieurs en voyant mes continuelles maladies, en avaient grande compassion, mais moi qui avais plus de joie, par l’onction, que ces croix ne me causaient d’affliction, je me riais de ces douleurs que votre Amour charmait. Je pensais que ces maladies me serviraient d’échelle pour arriver plus tôt au ciel où, par votre grande miséricorde, je vous louerai avec vos fidèles qui sont continuellement dans cet exercice de louanges délivrée du péché et des embarras qui détournent les âmes en cette vie de l’amour et des louanges actuelles qu’elles vous voudraient rendre, et quoique je ne fusse pas encore avec ces fortunés amants desquels David admire le repos et la gloire et la délectation, disant : Exultabunt sancti in gloria : lætabuntur in cubilibus suis. (Ps 149, 5) Que les fidèles triomphent dans la gloire, qu'ils poussent des cris de joie sur leur couche !  Je ressentais dans mon lit de patience, la joie, la paix et la jubilation de leur couche de sainte réjouissance.

 

Chapitre 30

Que le désir de louer parfaitement la divibe bonté dans l’empirée m’a mis plusieures fois au point d’expirer.

Le désir de vous louer continuellement fut si violent en moi que plusieurs fois j’en ai été au point d’expirer. Un soir après avoir conjuré toutes les créatures de le faire avec moi, disant le dernier Psaume : Omnes spiritus laudet Dominum, (Ps 150,6) Que tout ce qui respire loue le Seigneur ; je sentis mon âme sur le bord de mes lèvres pour finir ma vie avec ce Psaume. Revenue que je fus de cette excès je vous disais, je vis sans vivre, pourquoi ne mourrai-je pas ? Je ne vous demande que le coup de grâce pour toute faveur. Si je ne vous offensais point en demeurant en terre et que j’eusse assez de force pour persévérer sans interruption en cet exercice amoureux de vous louer dans ce val de misère comme font ceux qui sont dans le séjour de la félicité cette demeure terrestre par patience me serait tolérable, mais quand je considère ceux qui habitent dans votre maison céleste, je dis avec le Roi-Prophète : Beati, qui habitant in domo tua Domine : in sæcula sæculorum laudabunt te. (Ps 83, 5) Heureux ceux qui habitent ta maison ! Ils peuvent te célébrer encore. Quand je pense à la beauté de ce tabernacle de gloire je m’écrie : Quam dilecta tabernacula tua Domine virtutum : concupiscit, et deficit anima mea in atria Domini. (Ps 83, 2)  Que tes demeures sont aimables, Yahvé des armées. Mon âme soupire et languit après les parvis de Yahvé. L’on dit qu’il y a des personnes qui sont mortes, qui meurent, et peuvent mourir de tristesse. On ne nie pas qu’il n’y en ait qui sont mortes, qui meurent et peuvent mourir de joie. C’est chose trop avérée pour me mettre en peine de le prouver.

Cher Amour, vous savez combien de fois je me suis vue en défaillance amoureuse par l’extrême joie dont vous remplissiez mon âme, et quel sentiment d’amour mon cœur a reçu de votre bonté. Ils me sont innombrables ; plusieurs fois je vous ai dit : Seigneur, c’est assez ; je meurs de délice, mon cœur est prêt d’éclater de joie, ces bondissements semblent vouloir fondre ma poitrine, et ses dilatations continuelles le font défaillir ce cœur ; toutes les puissances de mon âme qui sont des montagnes éprouvent le dire du psalmiste : Simul montes exultabunt (Ps 97, 8) Les montagnes crient de joie ; par une commune union que dure assez longuement sans discontinuer. D’autre fois les mêmes puissances sont émues de joie et d’exultation en manière de tressaillement par des sauts que ce Royal Prophète exprime en ces termes : Montes exultaverunt ut arietes, (Ps 113, 4)  Les montagnes sautèrent comme des béliers, et le Sage dit : Tamquam agni exultaverunt (Sg 19, 9) comme des agneaux, ils bondissaient ; ce sont des tressaillements qui paraissent à l’extérieur qui font dire à l’esprit : Cor meum et caro mea exultaverunt in Deum vivum. (Ps 83, 3)  Mon coeur et ma chair poussent des cris vers le Dieu vivant.

Tout mon intérieur et tout mon extérieur semblaient être convertis en louanges ; mes pensées étaient continuellement élevées à vous louer. Mes paroles ne sonnaient quasi autre chose que vos bénédictions ; mes moelles semblaient se fondre par le désir que j’avais de vous louer sans cesse ; toutes mes affections invitaient mon âme à vous bénir : Benedic anima mea Domino et non oblivisci omnes retributiones eius. Qui propitiatur omnibus iniquitatibus tuis : qui sanat omnes infirmitates tuas. Qui redimet de interitu vitam tuam : qui coronat te in misericordia et miserationibus. Qui replet in bonis desiderium : renovabitur et aquilæ inventus tua. (Ps 102, 2-5) Mon âme, bénis Yahvé, et n'oublie aucun de ses bienfaits ! C'est lui qui pardonne toutes tes iniquités, qui guérit toutes tes maladies ; c'est lui qui délivre ta vie de la fosse, qui te couronne de bonté et de miséricorde ; c'est lui qui rassasie de biens ta vieillesse, qui te fait rajeunir comme l'aigle. Soudain que je disais ou que je pensais à ces paroles que l’Eglise dit au Graduel de la messe le jour de Saint Michel, Benedic anima mea Domino et omnia, quæ interiora mea : nomen sanctum eius, (Ps 102, 1) Mon âme, bénis Yahvé ! Que tout ce qui est en moi bénisse son saint nom ! Il me semblait que toutes mes entrailles et toutes mes moelles se fondaient dans moi et qu’elles se coulaient dans votre amour comme du baume que la chaleur fait dissoudre, ou comme l’encens qui est mis sur la braise. Mon âme s’offrait à vous pour tout ce que vous lui donniez, avec l’amour qu’elle ressentait en elle-même par un don que vous lui en faisiez. Elle vous disait : Est-ce ainsi que vous donnez ce que vous commandez ?

Votre loi m’ordonne que je vous aime de tout mon cœur, de toute mon âme et de toutes mes forces ; vous les attirez, excitez et perdez heureusement en vous. Recevez ce qui est à vous, pour rétribution. Je ne suis plus à moi ; mon vivre c’est de mourir pour vous, et ma mort sera mon gain, si vous le voulez ainsi, mais si vous me voulez voir languir d’amour sans mourir puisque votre amour est fort comme la mort, qu’il vous plaise donc de soutenir celle qui se meurt d’amour pour vous. Je n’ai presque plus de pouls ; vous êtes Médecin du corps, comme de l’esprit, de votre amante : Qui propitiatur omnibus iniquitatibus tuis : qui sanat omnes infimitates tuas. (102, 3) C'est lui qui pardonne toutes tes iniquités, qui guérit toutes tes maladies.

« C’est moi, ma mie, qui te pardonne tes péchés et qui veut guérir toutes tes infirmités. » Qui redimit de interitu vitam tuam : qui coronat te in misericordia et miserationibus. (Ps 102, 4) C'est lui qui délivre ta vie de la fosse, qui te couronne de bonté et de miséricorde. Je te retire de l’extrémité où les maladies te réduisent. Je te donne la santé quand on appréhende de te voir mourir, te couronnant de mes miséricordes et de mes misérations. Je te donne une indulgence plénière de tes coulpes par miséricorde ; j’ai encore pitié de tes peines par misérations. Je compatis à toutes tes souffrances. Je viens moi-même pour te servir et par ma miséricorde comme à David et par mon amour comme à mon épouse. Tu désires de me voir dans la maison de ta mère, la Jérusalem céleste, ou mieux dans le sein de la divine charité. Amoureuse de toi, elle t’a enfanté comme un enfant d’amour qui désire toujours d’être sur le sein de sa mère. C’est pourquoi tu me dis tes désirs par les paroles du Cantique d’Amour : Quis mihi det te fratrem meum sugentem ubera matris meæ, ut inveniam te foris, et deosculer te, et iam me nemo despiciat ? Apprehendam te, et ducam in domum matris meæ : ibi me docebis, et dabo tibi poculum ex vino condito, et mustum malorum granatorum meorum.   (Ct 8, 1-2)  Oh ! Que n'es-tu mon frère, allaité des mamelles de ma mère !    Je te rencontrerais dehors, je t'embrasserais, et l'on ne me mépriserait pas. Je veux te conduire, t'amener à la maison de ma mère ; tu me donneras tes instructions, et je te ferai boire du vin parfumé, du moût de mes grenades.

S’il vous plaisait de me faire la faveur que je vous ai tant de fois demandée, de vous voir dans votre maison qui est celle de ma mère, c’est dans le sein de Celui qui vous engendre dans les splendeurs éternelles, qui veut que je sois votre sœur. Je vous trouverais là, hors de toutes les envies des créatures. Je vous baiserais du baiser d’épouse aussi bien que de sœur, personne ne soupçonnerait plus de nos amours. Nul ne me mépriserait de ces saintes libertés que je prendrais par votre agrément. Je serais comme une grenade qui est ouverte à la délectation et qui vous offre ce que vous lui avez donné, étant ma gloire et ma joie. Je serais votre délectable puisque vous vous plaisez à ces communications délectables, comme le Bien Souverain se plaît à faire des profusions d’elle-même, et de verser un fleuve et un torrent de joie, enivrant vos bien-aimées dans ce cellier à vin où vous les introduisez, arborant en leur cœur l’étendard d’amour ; et si vous n’ordonniez en elle la charité, elle mourrait dans ces délices. C’est pourquoi l’épouse dit : Leva eius sub capite meo, et dextera illius amplexabitur me. (Ct 2, 6)  Que sa main gauche soit sous ma tête, et que sa droite m'embrasse !

Mon Bien-Aimé, voyant que mon corps était près d’être privé de l’âme qui l’anime, vous vîntes mettre votre main senestre afin que ma vie languissante me fût prolongée et de votre dextre, vous voulûtes embrasser mon âme, en l’élevant dans une extase plus admirable que les précédentes. Il vous plut de l’appuyer vous-même et la conduisant dans le désert amoureux, ce que les Anges admirant s’écriant : Quæ est ista, quae ascendit de deserto, deliciis affluens, innixa super dilectum suum ? (Ct 8, 5) Qui est celle qui monte du désert, appuyée sur son bien-aimé ?

 Le même privilège me fut souvent réitéré, ma conversation était plus au ciel qu’en terre. J’étais quasi continuellement dans ces transports. Mon âme ne pouvait plus animer un corps languissant et être élevée avec toutes ses affections et toutes ses puissances en des plaisirs si ravissants. Quand mon esprit n’était revenu de ces longs ravissements et de ces persévérantes extases, il était si souvent emporté par un vol amoureux, qu’il passait la vitesse d’un trait, qu’il semblait être une sagette décochée d’un archer qui se pouvait nommer Sagittaire. C’est votre amour divin auquel on peut donner ce nom. Mon esprit ainsi emporté par l’amour avait plus d’amour pour s’efforcer que de force pour aimer. Il n’en pouvait fournir, et pour animer et pour aimer vous pouviez bien faire un continuel miracle atteignant d’une fin à l’autre fortifiant le corps, et élevant l’esprit : Iste in excelsis habitabit, munimenta saxorum sublimitas eius : panis ei datus est, aquæ eius fideles sunt. Regem in decore suo videbunt oculi eius, cernent terram de longe. (Is 33, 16-17) Celui-là habitera dans des lieux élevés ; des rochers fortifiés seront sa retraite ; du pain lui sera donné, de l'eau lui sera assurée. Les yeux verront le roi dans sa magnificence, ils contempleront le pays dans toute son étendue.

 

Chapitre 31

Comme l’amour divin fit division de l’esprit avec l’âme, ce qui est expliqué para la division des eaux supérieures d’avec les eaux inférieures, et par Saint Paul, Hébreux 4, et de la demeure de toute la Trinité dans moi. 

Mais comme vous vous plaisez d’être médiateur entre Dieu et les hommes, vous voulûtes faire cet office entre mon corps et mon âme et entre la partie inférieure et la supérieure, ce que je ne peux exprimer qu’en disant que vous séparez l’âme d’avec l’esprit. Je dis l’âme qui a du rapport à celle des animaux d’avec l’esprit qui raisonne avec les Anges et qui est faite à votre image et semblance. Pour m’expliquer je me servirai des paroles ce que Moïse dit en Genèse : Fiat firmamentum in medio aquarum : et dividat aquas ab aquis. Et fecit Deus firmamentum, divisitque acquas, quæ erant sub firmamento, ab his, quæ erant super firmamentum. Et factum est ita. (Gn 1, 6-7) Qu'il y ait une étendue entre les eaux, et qu'elle sépare les eaux d'avec les eaux. Et Dieu fit l'étendue, et il sépara les eaux qui sont au-dessous de l'étendue d'avec les eaux qui sont au-dessus de l'étendue. Et cela fut ainsi.

Il vous plut, un dimanche après les Rois, de m’inviter amoureusement de monter en mon oratoire par le signe que mon cœur avait de vos bontés, m’ayant fait ce signe en bien vous me fîtes paraître comme vous étiez le monarque souverain pour faire voir que vous êtes venu pour dominer sur les esprits que vous avez choisis, et que cette domination est pour leur avantage que vous combattez et faites la guerre pour donner la paix. Vous permettez que toutes les puissances de mon esprit et de mon âme supérieure et inférieure fussent assaillies comme d’une surprise, sans savoir le sujet de ce trouble, ni quels étaient les assaillants ni les assaillis. Cette guerre imprévue donnait un étonnement à mon esprit qui disait : « Qu’est ceci, d’où vient ce trouble et ces alarmes ? » La volonté dit tout haut : « Mon Roi et mon Dieu, je me mets avec ceux qui combattent pour la justice. Je ne contribue rien aux révoltés contre votre obéissance. Je proteste de ma fidélité et si je ne peux connaître les puissances qui sont de votre parti, d’avec celles qui sont parti du contraire, je déclare que je ne suis pas consentante de leur rébellion. » A cette protestation l’amour donna ordre de mettre les puissances supérieures de l’esprit dans le donjon de sa protection où l’ennemi ne pouvait approcher ; cependant le combat se donna sans que je pus voir les combattants, mais j’entendis ces paroles du grand Généralissime de vos armées, ô mon Roi, St. Michel qui dit : « Quis ut Deus ? » Qui est comme Dieu pour s’égaler à Lui ? Qui peut avoir part à son trône, à sa couronne et à son sceptre ? A ces paroles vos ennemis furent abattus, vaincus et chassés dehors, les puissances inférieures de mon âme humiliées et mises en leur bas étage. Les puissances supérieures de mon esprit exaltées. L’Amour tout courtois vous s’adressant à ma volonté, vous lui offrîtes la couronne, la nommant Reine, pendant que Saint Michel avec tous ces Anges chantaient par un ravissant silence : Sanctus, Sanctus, Sanctus.

On s’étonnera que j’exprime ce Trisagion par un silence. C’est que les Anges parlent par la pensée, et d’une façon spirituelle qui n’à point en terre de terme propre pour l’expliquer, que l’esprit entend fort bien, étant relevé par la puissance de Celui auquel rien n’est impossible. C’est vous, mon divin Empereur qui persistant en vos bontés et divines courtoisies me présentiez la couronne, faisant entendre à votre bien-aimé Saint Michel, que vous preniez plaisir au zèle qu’il avait de ma gloire, que vous estimiez la vôtre.

Ce Séraphin tout ardent me dit que votre Majesté amoureuse avait suscité ce combat pour faire voir à tout le ciel que j’étais sa bien-aimée, et que son cœur royal me donnait cordialement la couronne du Royaume, que mon refus procédant d’une humble modestie et véritable sentiment ne lui déplaisait pas, mais que l’acceptation de ses conquêtes amoureuses (auxquelles j’avais contribué, mon consentement en protestant de ma fidélité) lui plaisait comme à celui qui estimait sa gloire de me donner son triomphe.

Entendant que tel était votre plaisir d’honorer de votre honneur celle qui n’était que ce que vous la faisiez être, je reçus humblement et amoureusement toute la grâce, toute la joie, et toute la gloire que votre Amour munifique et magnifique me voulait élargir. Après mille caresses et mille et mille témoignages d’amour, vous me dîtes : « Ma bien-aimée, ce que j’ai fait ce soir est la séparation de l’esprit qui se peut nommer séparation des puissances supérieures d’avec l’âme qui se peut dire les puissances inférieures. J’ai séparé les eaux supérieures d’avec les eaux inférieures. J’ai fait un firmament en ton esprit, parce que je suis tout-puissant ; en disant : Fiat firmamentum in medio aquarum, (Gn 1, 6) Qu'il y ait une étendue entre les eaux, et qu'elle sépare les eaux d'avec les eaux. Divisant les eaux supérieures d’avec les eaux inférieures. Dès à présent tu expérimenteras cette merveilleuse séparation qui se peut encore nommer distinction, ton esprit sera libre, avec toutes tes occupations externes. Il ne laissera pas de traiter avec moi et de recevoir mes infusions, mes irradiations, et mes locutions sans être diverti de l’attention que je désire de lui. C’est ce que le Révérend Père Coton dit être une participation de l’économie de mon âme très sainte lorsqu’elle était dans mon corps passible quand j’étais voyageur et compréhenseur. Tu me pourras voir et jouir de moi, sans être extasiée, ni dans les peines que les ravissements causent au corps. Tu ne seras plus dans ces extrêmes langueurs et dans ces grands désirs du ciel ».

Après que vous m’eûtes entretenue par des discours si charmants, je me voulu retirer de mon oratoire pour aller dans la chambre de ma mère, craignant qu’elle attendit trop tard de se coucher, si je retardais plus longuement, (car elle me faisait coucher avec elle pendant que mon père était absent parce qu’elle m’aimait plus que toutes mes sœurs) ; ce qui me mortifiait beaucoup, parce que je retenais mes élans : O Miracle de Bonté, pendant que je vous demandais congé de sortir de mon oratoire, vous me dîtes : « Inclinavit caelos, (Ps 17, 10) Il inclina les cieux ma fille, j’ai incliné les cieux pour toi puisque ma sagesse n’a pas jugé à propos de loger entièrement ton esprit dans la gloire de l’empyrée. L’amour que toute la Trinité a pour toi l’incline à loger dans toi d’une manière adorablement admirable et admirablement adorable pour notre gloire et pour ton avantage, afin que jouissant de notre compagnie, tu ne t’ennuis en cette vallée de misère, où tu vivais en des souffrantes langueurs. Ma fille, qui a Dieu a tout ». Dès ce moment, je me trouvais divinement accompagnée de vos Trois Divines Personnes lesquelles ne m’ont point quittée depuis, et s’il y a vingt-trois ans, si elles se sont voilées quelque jour c’est pour me faire, par cette privation de leurs splendeurs, connaître la félicité de laquelle je jouis en la possédant. Vous me dîtes : « Nous n’avons pas fait une semblable faveur à toutes les nations comme le Roi-Prophète dit que Dieu était connu en Judée et que son nom était grand en Israël, de même chez toi, ma fille, la divinité s’est voulu faire connaître, et rendre son nom magnifique en une petite fille : Et factus est in pace locus eius : et habitatio eius in Sion. Ibi confregit potentias arcuum, scutum, gladium, et bellum. (Ps 75, 3-4) Sa tente est à Salem, et sa demeure à Sion. C'est là qu'il a brisé les flèches, le bouclier, l'épée et les armes de guerre. Tu éprouves la paix que notre Société divine confère à toutes les puissances de ton âme résidant à la suprême pointe de l’esprit. Tu jouis de la joie, dans le centre de ton âme, et ton cœur est l’habitation du Dieu qui t’aime. Il est dit que le juste l’offre et le donne de grand matin à Celui qui l’a créé mais nous sommes venus faire notre demeure en toi pour te posséder sans intermission. Nous ôtons de toi tous tes troubles et toutes les guerres arrêtant tes ennemis par notre puissance, afin qu’ils n’approchent pas de toi. Tu éprouves comme nous t’illuminons par nous-mêmes : Illuminans tu mirabiliter a montibus æternis. (Ps 75, 5) Tu es plus majestueux, plus puissant que les montagnes des ravisseurs. Nos trois Divines Hypostases distinctes te font des caresses amoureuses par diverses communications parce que tel est notre bon plaisir et quoique nos opérations au dehors soient communes par des merveilles d’Amour, il nous plaît de te favoriser en te faisant connaître que le Père qui m’envoie à toi a une délectation incompréhensible aux Anges et aux hommes, de te communiquer d’une manière admirable sa paternité, te rendant mère de son propre Fils. C’est moi, ma bien-aimée, qui prend plaisir de te faire le miroir de mes splendeurs où j’exprime ma beauté, et le Saint Esprit fait en toi un extrait de sa bonté amoureuse. Mon Père solide ta mémoire afin qu’elle ne soit point confuse et moi j’éclaire ton entendement lequel représente les éclats que je lui envoyai comme une glace de cristal. Le Saint Esprit embrase ta volonté d’une flamme que brûle sans le consommer, comme si lui était ce buisson autant qui attira Moïse dans les admirations de ma sapience divine, méprisant celles qu’il avait apprises des Egyptiens, sapience qui le rendait non seulement admirable à Pharaon, et à tous les devins et sages d’Egypte selon le monde mais à toutes les nations qui ont su et sauront que je parlais à lui, bouche à bouche, et que je l’ai fait mon législateur. Je le choisis pour rendre fidèlement mes oracles, à tous ceux auxquels je l’envoyais.

 

Chapitre 32

Que la première vision que j’eus fut une courone d’épines portée par un soleil, ce qui me figura le Verbe abrégé ; et d’une autre vision. Dieu me fit son tabernacle d’alliance et son propitiatoire, couronnant mon chef de lumière.

« Si j’ai fait montre de la douceur de mon amour dans la loi de rigueur à Moïse, mon ami, quel excès de bonté ce même amour n’a-t-il pas fait voir pour toi souventes fois, chère fille, que la première vision que je t’ai fait admirer a été ma couronne d’épines suspendue divinement par des rayons lumineux comme ceux du soleil, rayons qui, en la supportant, s’arrêtaient aux épines. Par là tu connus comme je m’étais fait par amour le Verbe abrégé, et que ma divine hypostase supportait la nature humaine, sans autre subsistance l’appuyant sur mon divin support. Tu admiras la communication des idiomes ; tu vis en quelque façon l’infinie distance qu’il y a d’un soleil et ses rayons, d’avec un buisson façonné en couronne, et ses pointes épineuses. Ayant vu cette grande vision, tu t’approchas avec la hardiesse que l’amour te donnait, amour qui ne te dit pas de prendre la peine de déchausser tes souliers, comme à Moïse, mais il te mit des ailes pour voler à lui et se rendit ton écuyer. Quand il jugea à propos de te faire monter où il t’attendait avec un zèle que ta plume ne peut exprimer, mais ton esprit le put admirer et adorer. Je te dis que je te voulais faire une nouvelle législatrice des lois de mon amour, que tu porterais mon nom par toute la terre, ne te disant pas comme cela ce ferait, l’heure n’étant pas venue de te déclarer ce que je voulais faire de toi ». Très cher Amour, il me souvient [100] vous me dîtes que vous me vouliez faire votre porte-enseigne, que beaucoup de personnes en me voyant, combattraient pour votre gloire, que vous étiez inconnu à plusieurs à cause de la stupidité de leurs esprits, que vous aviez subtilisé le mien par votre bonté, non par mes mérites. En me disant cela, vous embrasiez ma poitrine d’un feu céleste et divin. Je ne sais si ce feu était l’étendard et l’oriflamme que vous me donniez en me parlant de cette grâce. L’amour me fermait la bouche pour m’ouvrir le cœur, au milieu duquel il arbora son étendard sans me faire voir ses couleurs. Mon courage surpassait mes forces. Je ne refusais point cette charge, espérant que vous porteriez celle qui la voulait porter par votre ordonnance. Quelques temps après, vous me fîtes voir une colonne, couverte de divers rouleaux lesquels étaient écrites en des caractères admirables les merveilles de la loi du Divin Amour de laquelle j’entendais les mystères sans les pouvoir déclarer. Vous me dîtes qu’en iceux était écrit votre nom ineffable, et qu’au temps que vous aviez destiné, j’en entendrai la gloire. Vous me fîtes voir des compas, comme pour mesurer ou arpenter la terre où vous vouliez faire éclater votre nom. Vous m’éleviez en des colloques ravissants, retirant mon esprit et toutes mes puissances de la servitude des sens, pour vous offrir le sacrifice de louange, faisant un heureux passage de l’Egypte, de la conversation des créatures, qui m’était insupportable et ennuyeuse, dans l’amoureuse solitude où il fut mis en liberté par la force de votre dextre, et je chantais avec joie le cantique de mon heureuse délivrance. Je ne parlais que rarement à ceux du logis de mon père ; mes oraisons étaient continuelles. Vous me dîtes que vous prenez plaisir à m’élever sur les eaux de réfection et à me rassasier du Pain céleste en diverses façons, me donnant toutes sortes de jouirs spirituels.

Vous me promîtes de me donner tous les jours mon pain super substantiel, comme vous aviez donné la manne à votre peuple au désert. Vous environniez mon chef de lumière comme d’une couronne, et souvent je paraissais lumineuse à ceux qui me voyaient sortant de l’oraison, ce qui a été vu de plusieurs. Marie Figent, une fille dévote, en a rendu des témoignages à plusieurs de mes confesseurs ; elle est encore vivante. Vous me disiez que, comme Moïse était l’ambassadeur de vos volontés au peuple Juif, j’étais destinée de votre sapience pour déclarer vos intentions à ceux qui les devaient apprendre de moi ; vous me dîtes que vous me vouliez faire votre tabernacle d’alliance et votre propitiatoire, que par moi vous rendriez vos oracles, que j’étais couverte des ailes des Chérubins, que vous m’infusiez la science comme à ces esprits savants que Saint Paul nomme Chérubins de gloire [102] lesquels, à comparaison de votre splendeur, sont des ombres merveilleuses qui tempéraient vos clartés et multrésseillaient, si je peux ainsi parler, vos rayons trop éclatants. Je me plaisais extrêmement de demeurer sur la montagne de la contemplation, mais j’étais indiciblement mortifiée quand il fallait que je me divertisse de vos colloques. Il me semblait que l’état religieux me tiendrait plus liée à vous. Je désirais avec désir, surtout quand j’avais communié, de me voir dans un cloître, parce que ce m’était une peine incomparable de marcher par les rues après la Communion, laquelle était ma vie cachée en vous. Je vivais pour communier, et je communiais pour vivre de votre vie. La pensée de ce pain divin était quasi perpétuelle en moi. Je vous disais : « Si je communiais tous les jours, il me semble que je souffrirais aisément le bannissement de cette terre étrangère ». J’étais en esprit continuellement dans vos tabernacles amoureux, vous disant : Etenim passer invenit sibi domum : et turtur nidum sibi, ubi ponat pullos suos. Altaria tua Domine virtutum : rex meus, et Deus meus. Beati, qui habitant in domo tua Domine : in sæcula sæculorum laudabunt te. Beatus vir, cuius est auxilium abs te : ascensiones in corde suo disposuit, in valle lacrymarum in loco, quem posuit. (Ps 83, 4-7) Le passereau même trouve une maison, et l'hirondelle un nid où elle dépose ses petits. Tes autels, Yahvé des armées ! Mon roi et mon Dieu ! Heureux ceux qui habitent ta maison ! Ils peuvent te célébrer encore. Heureux ceux qui placent en toi leur appui ! Ils trouvent dans leur coeur des chemins tout tracés. Lorsqu'ils traversent la vallée de Baca.

 

Chapitre 33

Comme Dieu me dit que je passerai par l’examen de diverses personnes et qu’il se farait voir à moi pour m’ôter toute crainte ; que disse avec naïveté tout ce qu’il me dirait et d’un commendement que Notre-Dame me fit.

Cette année mille six cent dix neuf, le jour de l’Octave de la Conception Immaculée de votre Sainte Mère, étant dans l’église du Collège de Roanne, vous m’élevâtes par un ravissement très sublime pendant lequel vous me dîtes que je devais passer par l’examen de plusieurs docteurs et de grands prélats de la terre mais que je n’eusse point d’appréhension, que je vous discernerais et reconnaîtrais, que vous me paraîtriez plus blanc que la neige. Vous m’expliquâtes ces versets du Psaume : Si dormiatis inter medios cleros, pennæ columbæ deargentatæ, et posteriora dorsi eius in pallore auri. (Ps 64, 14) Tandis que vous reposez au milieu des étables, les ailes de la colombe sont couvertes d'argent, et son plumage est d'un jaune d'or. « Ma fille, sois dormante et en repos au milieu de tous les bruits mal gracieux assez mortifiants qu’on fera des merveilles qui se passent et se passeront en toi. Aie toujours des ailes de colombe, dis avec simplicité toutes mes paroles qui sont claires comme l’argent sonnant, soit candide à tes directeurs. Conserve avec moi cet or de charité qui est caché entre toi et moi, c’est un reclinatoire où je me plais de demeurer ; dis à ton confesseur que je désire que tu me reçoives tous les jours ».

Etant revenue en mes sens, je voulus parler à mon confesseur mais je perdis derechef la parole par une grande appréhension d’être fanfarée et passée par des examens si divers, je me plaisais d’être inconnue aux créatures, et avais une grande mortification d’apprendre qu’il fallait être manifestée de la sorte ; mais comme je ne voulais pas résister à vos ordres, je me conformais à toutes vos volontés, quittant la mienne que vous fîtes admirablement mourir. Mon confesseur, qui était le R. P. Jean de Villards, patienta jusqu’à ce vous me rendîtes la parole, quand je pus marcher il me dit de me retirer de l’église et de m’occuper manuellement pour me divertir mais comme je me fus mise à faire un lit, je fus arrêtée subitement en une suspension sans pouvoir passer outre.

Je connus que votre Sainte Mère était à mon côté droit, avec une douce majesté, laquelle me dit : « Ma fille, offre-toi pour rétablir ma maison que les ursules ont quittée ». A ces paroles, je dis : « Comment pourrais-je faire cela, Madame, sans moyens et sans capacités ? » « Offre-toi, ma fille, Celui qui fecit mirabilia solus Qui fait des merveilles tout seul, le fera ; mande-le au Père Coton. » Je promis à votre Sainte Mère que j’obéirais, ce que je fis, pensant que je ferais tout mon possible pour mettre des filles en cette maison. Je n’entendais pas d’entrer moi-même. Je fis tout ce que je puis pour y en mettre de l’Ordre de Sainte Ursule, mais tous nos soins ne réussirent pas.

 

Chapitre 34

Comme on me fit communier tous les jours, vérifiant la promesse que notre Seigneur m’avait faite de me donner journellement ce Pain Supersubstantiel.

Je m’estimais déchargée de cette commission, ayant fait mes diligences. Le R. P. Barthélémy Jacquinot, étant venu faire la visite au Collège de Roanne comme provincial, fut instruit par mon confesseur des grâces et grandes lumières que vous me daigniez communiquer, ô mon Divin Amour. Il me manda de le venir trouver à l’église et m’interrogea des voies par lesquelles vous m’aviez conduite, et me conduisiez en ce temps. Il fut dans une admiration très grande des excès de bonté que vous faisiez paraître en moi. Il me dit que je ne devais point douter que ce ne fut votre Esprit, que le mien ne pouvait arriver jusqu’à ces merveilles, me recommandant de vous être fidèle. Il me dit : « Je me sens inspiré de vous faire communier tous les jours » à quoi je répondis : « Mon désir de communier est très grand mais, mon Père, cela fera parler le monde et peut-être l’on ne trouvera pas bon. Ce sera comme un scandale ». « Ma fille, il y en [sic] d’actif et de passif. C’est un bien que s’en scandalisera et quand il serait un scandale passif nous ne sommes pas obligés en rigueur de justice de nous en priver. Communiez sans crainte. Ma fille, je vous ouïrai en confession tous les jours que je demeurerai en ce Collège. Vous ne deviez rien appréhender, ô ma fille, que vous êtes obligée d’aimer Celui qui fait tant de grâce ». Très cher Amour, vous confirmâtes la permission qu’il me donna, inspiré de votre Esprit, me disant : « Ma fille, tu ne seras plus si souvent alitée de ces grandes maladies, si tu communies tous les jours ; cette viande te sera santé au corps et en l’esprit ». Le jour que je commençais à communier journellement fut le 22 août, jour de l’Octave de la glorieuse Assomption de Notre-Dame, votre Sainte Mère, laquelle me dit : « Ma fille, je t’ai obtenu cette grâce de celui qui est tout amour pour toi ; c’est la meilleure part. C’est une plus grande bénédiction que celle que Rébecca fit avoir à Jacob ; elle contient le Dieu de toute bénédiction. »

 

Chapitre 35

Des grandes grâces que le Verbe Incarné me fit la veille et le jour de Saint Bathélemy, me disant qu’il m’avait destinée pour instituer son Ordre et du grand amour qu’il me dit avoir pour moi le jour de Saint Louis.

Le lendemain jour de la fête de cet Apôtre, ayant communié, il vous plut me revêtir d’une robe blanche, lavée et blanchie comme si j’eusse été de nouveau baptisée dans votre précieux sang. J’admirais ce grand Saint Barthélémy dépouillé, non seulement de ses habits, mais de sa propre peau, lequel comme un divin athlète s’était dépouillé de tout ce qui n’était pas vous. Qui in agone contendit, ab omnibus se abstinet. (1Co 9, 25) Tous ceux qui combattent s'imposent toute espèce d'abstinences.

Son dépouillement et son martyre lui firent gagner la couronne incorruptible. Etant l’Apôtre de l’oraison, il vous imitait, passant les nuits en l’oraison de Dieu. L’onction de votre Esprit lui faisait plier et fléchir les genoux cent fois le jour et cent fois la nuit, nuit qui était son illumination en ses délices.

Le soir, environ les neuf heures, étant retirée en mon oratoire, il vous plût d’élever mon entendement en une suspension très sublime pendant laquelle vous me dîtes : « Ma fille, tu penses que tu dois jouir du repos et quiétude et de la contemplation en la maison de ton père, possédant la bénédiction céleste et divine du Pain Super substantiel ; tu aimes ta récollection, mais ma divine sapience en ordonne autrement, t’ayant destinée pour instituer un Ordre sous mon nom, qui honorera ma Personne Incarnée, pour l’amour des hommes. Tout ainsi que j’ai choisi le bienheureux Père Ignace pour instituer une Compagnie d’hommes qui honore mon nom, je t’ai choisie pour me dresser une Congrégation de filles ; souviens-toi qu’un jour de Pâques, je voulus que tu portes la croix, suivie de plusieurs filles vêtues de blanc, pour me venir adorer sur l’autel où je reposais. Durant heures, tu portais la croix, mais je te portais et te suspendais délicieusement, te caressant avec plus de douceur qu’Assuérus envers Esther, te disant que les ignominies de ma Croix étaient pour toi changées en gloire ; ce portement de croix était une figure de ce que je voulais faire de toi en t’appelant pour ce dessein que je te déclare ce soir. Courage, ma fille, résous-toi de quitter la maison de ton père, toute la récollection que tu chéris tant, pour suivre mes intentions ».

Soumettant mon esprit à vos lois, je consentis à toutes vos volontés, ô mon Divin Amour. Qu’il m’est bon de vous adorer, mettant en vous toutes mes espérances. Le lendemain, jour de St Louis-Roi, à ma communion, vous m’invitâtes à entrer dans votre côté, que vous me dîtes être l’hôpital des pauvres dénuées, me disant : « Ma fille, viens dans la plaie de mon côté ouvert, mais prends garde qu’un corps navré ne peut souffrir des choses rudes sans des surcroîts de douleurs n’apporte point de couture ou disjonction des affections créées. Sois simple en tous tes désirs, et dénuée de tout ce qui n’est pas mon pur amour, et ainsi tu me soulageras en mes souffrances, et me seras un doux appareil sur ma plaie. Tant plus une âme est simplifiée en ses intentions, tant plus j’ai de délices de la recevoir dans mon cœur amoureux ».

Le soir à huit heures, étant dans mon oratoire, votre Majesté me caressant d’une divine façon me dit par trois diverses fois : « O ma fille, que je t’aime ; que désires-tu de moi ? Demande avec toute liberté, je te le donnerai. Mon Amour me presse de t’accorder toutes les requêtes que tu me présenteras ». A ces paroles réitérées par trois fois : « Ma fille, que je t’aime », mon esprit fut surpris d’étonnement et mon cœur si rempli de délices, qu’il fut sur le point de se fondre ou d’éclater de joie, bondissant de liesse. Il semblait qu’il allait sortir de ma poitrine. Je ne vous pus dire autre chose, Amour, je ne désire rien. Vous ayant, j’ai tout, mais puisqu’il vous plaît que je vous fasse une requête, je demande en tout, et par tout, votre plus grande gloire, et le salut des âmes rachetées de votre précieux sang. Je ne désire que cela.

 

Chapitre 36

Comme le Verbe Incarné m’introduisit en ses entrailles adorables, et des noces qu’il daigna faire avec moi. Son cœur divin fut notre li sacro-saint.

Le 26 dudit étant proche de communier je connus que votre Majesté venait à moi avec un amour très ardent. Vous ayant reçu, vous m’ouvrîtes votre côté, et derechef me dites d’y entrer, me sollicitant amoureusement d’outrepasser votre cœur et de parvenir jusqu’en vos entrailles lesquelles m’apparurent ainsi que des voûtes adorables en façon de galerie comme d’un rouge transparent le plus beau que j’aie jamais vu. Elles me représentaient la mer que votre disciple bien-aimé décrit dans son Apocalypse : Et vidi tamquam mare vitreum mistum igne (Ap 15, 2) Et je vis comme une mer de verre, mêlée de feu : sur laquelle se tenaient debout, ceux qui étaient victorieux de la bête : Habentes citharas Dei. (Ap 15, 2) ayant des harpes de Dieu. Cette cithare est votre cœur qui est le cœur d’un Dieu, lequel vous me donnâtes pour ma délectation et pour chanter le cantique du Divin Amour à votre Père par le Saint Esprit qui m’instruisait, cœur que vous reproduisez par des diverses affections, en le donnant à ceux que vous aimez. Il semble se multiplier amoureusement en eux, demeurant unique en vous. Vous me fîtes voir par cette admirable vision que les corps glorieux sont transparents, que le vôtre a dans soi, et en soi l’amour tout enflammé : que votre précieux sang le fait paraître un corps royalement empourpré.

De dire les délices que mon esprit reçut, je ne le peux. Vous me dîtes que plusieurs avaient bien été admis jusqu’à votre cœur, mais qu’ils ne s’étaient point promenés dans cette galerie et qu’ils n’avaient pas su tous les secrets de cette couche impériale et divine, que votre amour vous pressait de me les déclarer, comme à celle que vous aimiez en qualité d’épouse. Les sens, comme des vierges folles, n’entrèrent pas dans cette chambre nuptiale. Votre cœur sacro-saint fut notre lit adorable et florissant de pureté où je fus unie à vous d’une union très pure et virginale, vous pouvant dire avec sainte Agnès : Amo Christum, in cujus thalamum introibo, cujus mater virgo est, cujus pater feminam nescit, cujus mihi organa modulatis vocibus cantant : quem cum amavero casta sum, cum tetigero, munda sum, cum accepero, virgo sum. Anulo fidei suæ subarrhavit me, et immensis monilibus ornavit me, mel et lac ex ejus ore suscepi, et sanguis ejus ornavit genas meas,  posuit signum in faciem meam, ut nullum præter eum amatorem admittam. Dexteram meam et collum meum cinxit lapidibus pretiosis ; tradidit auribus meis inestimabiles margaritas, et circumdedit inestimabiles margaritas, et circumdedit me vernantibus atque coruscantibus gemmis. Jam corpus ejus corpori meo sociatum est : ipsi sum desponsata, cui Angeli serviunt, cujus pulchritudinem sol et luna mirantur ; ipsi soli servo fidem, ipsi me tota devotione committo. (BR Sainte Agnès 21 janvier) J’aime le Christ, je serai l’épouse de celui dont la mère, son Père l’a produit  sans mère, et lui-même fait retentir à mes oreilles d’harmonieux accords : Quand je l’aime, je suis chaste ; quand je le touche, je suis pure ; quand je le possède, je suis vierge. Il m’a donné un anneau pour gage de sa foi, et il m’a parée d’un riche collier. Le miel et le lait je les ai recueillis sur ses lèvres et son sang colore mes joues. Il mit un signe sur ma face, pour que je n’admette point d’autre amant que lui. Il a orné ma main droite et entouré mon cou de pierres précieuses, et il a mis à mes oreilles des perles d’un prix inestimable. Le Seigneur m’revêtue du vêtement du salut, je suis fiancée à celui que servent les Anges, à celui dont le soleil et la lune admirent sa beauté, c’est à lui-même, à lui seul, que je garde ma foi, c’est à lui que je me livre sans aucune réserve.

D’exprimer les délices de vos noces, ô Divin Agneau, il faut que ce soit vous-même. Votre paranymphe Saint Jean Baptiste y assistant faisait porter des flambeaux par des esprits célestes. Je ne sais point le nom. Ils gardaient tous un silence admirable, adorant votre Majesté en esprit et vérité la servant avec un respect inexplicable à moi qui étais ravie et heureusement abîmée en vous. Je ne voulais pas être la scrutatrice de votre Majesté, je savais bien que l’amour passait au delà de la science. Je ne craignais point d’être opprimée de votre gloire. J’expérimentais ce que vous m’aviez promis quelques années devant cette grande faveur : promesse qui fut d’être à mon âme un mur de feu et de me faire expérimenter en la voie les délices du terme. Votre amour libéral en ce ravissement qui dura deux heures, m’en fit jouir avec abondance. Et ego ero ei, ait Dominus, murus ignis in circuitu : et in gloria ero in medio eius. (ZA 2, 5) Je serai pour elle, dit Yahvé, une muraille de feu tout autour, et je serai sa gloire au milieu d'elle. Vous me dîtes que je vous étais chère comme la prunelle de vos yeux : Lauda, et lætare filia Sion : quia ecce ego venio, et habitabo in medio tui, ait Dominus. Et possidebit Dominus Judam partem suam in terra sanctificata : et eliget adhuc Jerusalem. (Za 2, 10,12) Pousse des cris d'allégresse et réjouis-toi, Fille de Sion ! Car voici, je viens, et j'habiterai au milieu de toi, dit Yahvé. Yahvé possédera Juda comme sa part dans la terre sainte, et il choisira encore Jérusalem.

Ce mur de feu était cette mer de verre ignée ; cette gloire était la gloire d’un Epoux royal et divin qui était mon lit et ma chambre nuptiale, mon palais et mon Louvre ; vous m’étiez toutes choses, m’unissant à vous après la sainte Communion en ces noces divines. J’étais en vous, et vous en moi. Par une amoureuse transformation et auguste déification en vous aimant, je suis chaste. En vous baisant, je suis pure ; en me livrant entièrement à votre amour, je suis vierge. Vous me faisiez divinement chanter un cantique nouveau ; vous étiez mes orgues mélodieuses ; vous me donnâtes l’anneau de la foi, qui fut celle que votre Père donna à Saint Pierre, que la chair et le sang ne peut révéler, que tout l’enfer ne peut ôter à l’âme.

 

Chapitre 37

Des délices, des clartés, des flammes que l’époux divin communique à ses épouses, et de joyaux dont il les orne, et comme il les rend l’admiration de sa cour céleste.

Comment pourrais-je exprimer les entretiens ravissants que votre amour me faisait en m’instruisant de vos bontés amoureuses ? O que vos épouses sont heureuses d’être par vous-même conduites dans le temple sacré où elles voient votre volupté qui est votre cœur, qui déborde ses délices sur elles, selon les oracles du Roi-Prophète : Inebriabuntur ab ubertate domus tuæ : et torrente vouptatis tuæ potabis eos. Quoniam apud te est fons vitae : et in lumine tuo videbimus lumen. Prætende misericordiam tuam scientibus te, et justitiam tuam his, qui recto sunt corde. (Ps 35, 9-11) Ils se rassasient de l'abondance de ta maison, et tu les abreuves au torrent de tes délices. Car auprès de toi est la source de la vie ; Par ta lumière nous voyons la lumière. Étends ta bonté sur ceux qui te connaissent, et ta justice sur ceux dont le coeur est droit ! Vos épouses, ô Divin Epoux, vous contemplent dans votre source de vie et d’origine qui est votre Divin Père. Elles voient comme vous êtes lumière, et Dieu de Dieu, comme vous vivez de votre vie naturelle par votre Père. Elles voient par vous par une admirable communication ou participation de cette vie divine. Vous voyant, elles voient votre Père. Elles ne vous disent plus : « Montrez-nous votre Père, et il nous suffira ». Elles voient comme vous êtes dans votre Père, et votre Père dans vous. C’est le secret de la couche ; elles voient vos mystères comme à découvert. S’il y a quelques crêpes, c’est pour empêcher que ces grandes clartés ne les aveuglent de trop de lumière, modifiant vos splendeurs afin que leur entendement le puisse contempler, et tempèrent vos ardeurs, à dessein que le siège de la volonté, qui est le cœur, les puisse supporter, parce qu’il est, s’il semble en danger d’éclater par ces ardeurs amoureuses, voir un bien infini qui ne l’aimerait extrêmement ? Il faut une divine puissance qui soutienne et maintienne la vie au cœur que l’amour divin embrase de la sorte. Vous êtes un soleil autant chaleureux que lumineux ; ces âmes sont vos tabernacles.

O Divin Epoux, vous m’avez plusieurs fois fait entendre ces paroles du Roi-Prophète : In sole posuit tabernaculum suum : et ipse tamquam sponsus procedens de thalamo suo : Exultavit ut gigas ad currendam viam, a summo cælo egressio ejus : Et occursus ejus usque ad summum eius : nec est qui se abscondat a calore eius, (Ps 18, 6-7) Et le soleil, semblable à un époux qui sort de sa chambre, s'élance dans la carrière avec la joie d'un héros ; Il se lève à une extrémité des cieux, et achève sa course à l'autre extrémité : rien ne se dérobe à sa chaleur ;  me disant : « Ma fille, je suis le Divin Epoux qui suis venu à toi, comme un soleil dans sa couche nuptiale, avec jubilation et tressaillement. Je viens à pas de géant, du sein de mon Père, sans le quitter dans le tien, t’apportant des grâces. C’est mon Divin Père qui t’attire à moi par le Saint Esprit ; tu sais, ma bien-aimée, que personne ne vient à moi que par l’attrait de mon Père, et que nul ne connaît le Père, que ceux auxquels il me plaît de leur révéler sa paternité. Je te loge dans mon sein, pour te faire entrer au sien avec moi, lui présentant tes oraisons. Je fais pour toi toutes choses. Je fais l’office que les Anges faisaient pour Jacob ; aussi suis-je l’Ange du Grand Conseil et l’Ange du Testament d’Amour, et j’en veux moi-même être l’exécuteur. Comment te pourrait-tu cacher à ma flamme qui te découvre mes secrets et qui te fait connaître au ciel et à terre, comme mon épouse bien-aimée, ornée de ton Divin Epoux ainsi qu’une nouvelle Jérusalem, si que mon favori peut dire en te voyant : Vidi civitatem Jerusalem novam descendentem de cælo a Deo, paratam, sicut sponsam ornatum viro suo, (Ap 21, 2) Et je vis descendre du ciel, d'auprès de Dieu, la ville sainte, la nouvelle Jérusalem, préparée comme une épouse qui s'est parée pour son époux ; et moi, ton Époux, il me plaît de dire de toi : Ecce tabernaculum Dei cum hominibus, (Ap 21, 3) Voici le tabernacle de Dieu avec les hommes ! : M’adressant à mes courtisans célestes afin qu’ils louent celle que j’aime, à laquelle j’ai donné pour arrhes l’anneau d’épouse en signe de ma foi. Ma fille, les arrhes ne se rendent pas ; on les garde perpétuellement oui bien les gages, cette lumière que je te nomme du nom de foi ne te sera jamais ôtée. Elle s’accroîtra jusqu’au midi de la gloire ; elle te fait voir comme une aurore éclairée du Divin Soleil qui te rend lumineuse. C’est ce qui ravit d’admiration les esprits bienheureux qui s’écrient : Quæ est ista, quæ progreditur quasi aurora consurgens, pulchra ut luna, electa ut sol, terribilis ut castrorum acies ordinata ? (Ct 6, 9) Qui est celle qui apparaît comme l'aurore, belle comme la lune, pure comme le soleil, mais terrible comme des troupes sous leurs bannières ? Qui est cette petite fille dans la voie, comme voyageure, laquelle a le privilège d’être éclairée par grâce, du même soleil qui nous illumine dans la gloire qui est le terme ?

Elle est une aurore accroissant en mérites comme en clartés ; elle est consorte de la Divine Nature, étant l’épouse de notre Roi ; nous l’admirons comme une belle lune auprès de son soleil, entre lesquels la terre ne cause point d’éclipse ; parce qu’elle est un ciel, éclairée des divines splendeurs, elle est élevée par ce Divin Epoux au-dessus des créatures ; elle est en lui, et lui en elle, c’est ce qui la rend majestueuse comme une reine couronnée de lumière par le Roi, son soleil, lequel la fait paraître éclatante et glorieuse ; vous lui avez donné les bracelets d’espérance, espérance qui n’est point confondue, et le collier de charité que Sainte Agnès exprime par ces paroles : Dexteram meam et collum meum cinxit lapidibus pretiosis, tradidit auribus meis inæstimabiles margaritas. Et circumdedit me vernantibus atque coruscantibus gemmis. (BR Sainte Agnès 21 janvier) Nous l’honorons comme la compagne de votre royaume et l’épouse de votre lit, à laquelle vous avez donné votre sacré corps informé de votre belle âme, l’un et l’autre supportés par la seconde hypostase de la très adorable Trinité. C’est ce qui la rende participante de la divine nature. Ces pendants d’oreilles sont vos divines paroles qui sont plus précieuses que toutes les perles orientales, paroles qui contiennent des secrets qui ne sont déclarés qu’aux épouses sacrées et consacrées par votre divin amour. Bénédiction, clarté, et action de grâces à votre divine Majesté ».

 

Chapitre 38

Vision figurant l’Ordre que Dieu m’avait révélé et comme il devait être une nouvelle introduction du Verbe Incarné au monde, lequel les anges avaient commendement d’adorer, et des faveurs très grandes que la divine bonté m’apromis.

La nuit suivante, il me sembla être conduite dans une chambre, laquelle fut dédiée en chapelle, on y mit une table pour servir d’autel, sur le milieu duquel je vis une statue élevée en bosse, laquelle me parut d’abord être du bienheureux Père Ignace, fondateur de votre Compagnie, mais elle changea soudain de figure, paraissant la vôtre. Aux deux côtés d’icelle, je vis deux Chérubins qui se regardaient l’un l’autre, en regardant la statue, et s’ils regardaient encore par toute la chambre ; je les vis attentifs en même temps à contempler une petite fille qui était seule dans cette chambre dédiée en chapelle, adorant à genoux la Majesté qui était cachée sous cette statue. Sur cet autel était un chandelier travaillé si artificieusement qu’il ne paraissait pas un ouvrage d’ici bas. Ce chandelier allumait sans huile et sans cire ; sa matière et substance m’étaient inconnues, mais non pas sa clarté. Le matin après ayant communié, vous me fîtes entendre les grands mystères que vous m’aviez fait voir, et que ce changement de figure montrait que les ombres précèdent les vérités, lesquelles sont parfaites et que je n’entendais pas d’abord tous les mystères de votre Institut, que vous m’aviez voulu instruire par la figure de Saint Ignace devant m’instruire par la vôtre comme Saint Paul dit que votre Divin Père nous a parlé par les prophètes, puis par vous, son Fils, qui êtes la splendeur de sa gloire, et la figure de sa substance, portant toute la parole de sa vertu : Multifariam, multisque modis olim Deus loquens patribus in Prophetis : novissime, diebus istis locutus est nobis in Filio, quem constituit heredem universorum, per quem fecit et sæcula : qui cum sit splendor gloriæ, et figura substantiæ ejus, portansque omnia verbo virtutis suæ. (He 1,1-3) Après avoir autrefois, à plusieurs reprises et de plusieurs manières, parlé à nos pères par les prophètes, Dieu, dans ces derniers temps, nous a parlé par le Fils, qu'il a établi héritier de toutes choses, par lequel il a aussi créé le monde, et qui, étant le reflet de sa gloire et l'empreinte de sa personne, et soutenant toutes choses par sa parole puissante.

Après cette vision admirable, il me ressouvînt, comme votre Sainte Mère m’avait dit, de m’offrir au dessein que votre sapience cachait en elle, m’assurant que vous qui faites les merveilles tout seul, étiez aussi bon que puissant pour le faire réussir au temps par vous ordonné. Ces deux Chérubins admiraient l’amour que votre Majesté avait pour une petite fille, laquelle a été éclairée par une lumière qui n’est point commune à ceux qui vivent en terre, la choisissant, quoiqu’un néant, pour établir un dessein si auguste, lui communiquant d’une divine manière les faveurs que votre Divin Père avait communiquées à Abraham, la voulant faire mère d’une multitude de filles, comme des étoiles brillantes dans cet Ordre amoureux, introduisant derechef son premier-né au monde par cet Institut qui serait une extension de l’admirable Incarnation. Et cum iterum introducit primogenitum in orbem terræ, dicit : Et adorent cum omnes Angeli Dei. (He 1, 6) Et lorsqu'il introduit de nouveau dans le monde le premier-né, il dit : Que tous les anges de Dieu l'adorent !

 Vous leur ordonnâtes à tous, ô Divin Père, d’adorer votre enfant qui voulait derechef être introduit au monde par cet Institut. Vous me dîtes que vous me donneriez en icelui le germe de David, Roi que votre miséricorde et votre vérité précéderont votre œuvre, laquelle était toujours devant votre face, et que mon âme éprouverait la jubilation dont parle ce Roi-Prophète : Misericordia et veritas præcedent faciem tuam : beatus populus, qui scit jubilationem. (Ps 88, 15-16)  La bonté et la fidélité sont devant ta face. Heureux le peuple qui connaît le son de la trompette.

 Vous me dîtes qu’en votre lumière de votre face je marcherai dans vos voies ; lumière qui ne m’abandonne point puisque ce rayon m’éclaire par votre pure bonté depuis tant d’années, élevant mon esprit duquel vous êtes l’assomption. Toutes mes puissances vous disent : Quia Domini est assumptio nostra : et sancti Israel regis nostri. Tunc locutus es in visione sanctis tuis et dixisti : Posui adjutorium in potente. (Ps 88, 19-20) Car Yahvé est notre bouclier, le Saint d'Israël est notre roi. Alors tu parlas dans une vision à ton bien-aimé, et tu dis : J'ai prêté mon secours à un héros,

J’ai entendu comme vous disiez à vos saints, que vous aviez d’inclination à m’aimer, et qu’en moi, vous vouliez faire un miracle d’amour. Par ce mot de miracle, vous m’humiliez me faisant connaître de quelle puissante grâce vous me souteniez et en m’agissant, me montrant que de moi je ne faisais rien et que je n’avais point de vertu ; c’est pourquoi votre charité prenait le soin de tout ce qu’elle désirait qui se fit, me versant divinement l’onction qui m’adoucit toutes les répugnances que je pourrais avoir, que votre main m’aiderait, et que votre bras me fortifierait, que mes jours seraient bénis comme les jours du ciel, parce qu’ils seraient les vôtres, et que tel était votre bon plaisir de me faire miséricorde parce que vous me vouliez faire miséricorde ; que cet Institut serait établi avec de grandes contradictions, comme le règne de David, parce qu’il devait être éternel en vous, que vous ne le compariez pas au règne de Salomon qui fut divisé en son fils : l’un et l’autre ne l’avaient pas acquis avec les armes et la suite de tous vos ordres, que David quoiqu’il eût offensé, avait toujours eu une inclination cordiale à votre loi, faisant toutes vos volontés, et s’il avait péché, sa contrition marquait quel était le repentir qu’il en avait. Voyant que votre bonté m’était si favorable, je demeurais confuse et abîmée dans la considération d’icelle.

Je fis récit au R. Père Jacquinot de tout ce que vous m’aviez dit. Ce père me répondit qu’il ne doutait pas que votre Majesté n’établit cet Ordre, mais que je devais attendre le temps que votre sagesse monterait propre et que je demeurasse en la maison de mon père, en persévérant mes exercices de dévotion, me communiant tous les jours selon son conseil et sa permission. Ledit R. Père Jacquinot me dit de lui envoyer par des missives les grâces qu’il vous plairait me faire, ce que je fis pendant qu’il fut Provincial de Lyon, et encore lorsqu’il était à Toulouse, supérieur de la maison professe, provincial de la Province de Toulouse. On peut voir dans les lettres que je lui ai écrites la continuation de vos bontés sur moi, s’il les a gardées.

Votre Majesté semblait n’avoir que moi en terre à caresser, et quoique je lui dis souvent : «C’est assez, si je ne savais que vous êtes la sapience et la sagesse éternelle, je dirais que vous ignorez l’indignité de celle que vous aimez sans aucun sien mérite. Votre amour envers moi fait voir à tous vos saints que votre bonté n’a point d’autres motifs qu’elle-même pour se communiquer à moi. Vous renouvelez en mon âme quasi tous les mystères que l’Eglise nous représente de votre vie, pendant le cours de l’année». Vous me répondiez : «Ma fille, tu es un signal devant ma face, ainsi que Zorobabel, comme j’avais dit à Noé que voyant l’arc au ciel, je me souviendrais de l’alliance de paix que j’avais faite, et de ne plus envoyer le déluge, de même, te voyant, je me souviens de ma bonté qui est de soi communicative. C’est mon essence que je ne peux ignorer : elle est la même que ma science et mon être, c’est ma nature». Cher Amour, depuis que vous me dîtes qu’en vos mains sont mes sorts, je me suis toujours vue riche en vous. J’aurais tort de mépriser les richesses et les trésors de votre bénignité. Je me contriste de voir ceux qui les méprisent en se faisant un trésor d’ire au jour de votre juste vengeance.

 

Chapitre 39

Pourquoi Dieu choisit Roanne pour la naissance de cet Ordre, et des grandes contradictions qu’il me prédit, m’assurant de ses puissantes faveurs, et comme je fus présentée à ce Dieu de bonté.

De temps en temps, vous me faisiez voir que le jour s’approchait de donner commencement à l’établissement de votre Ordre. Un jour de Saint Ignace, vous me dîtes que de Roanne qui est un petit lieu, naîtrait derechef le duc qui régit le ciel et la terre et principalement le peuple d’Israël, les âmes élevées à vous voir par la contemplation, me disant : Et tu Bethlehem terra Juda, nequaquam minima es in principibus Juda : ex te enim exiet dux, qui regat populum meum Israel. (Mt 2, 6) Et toi, Bethlehem, terre de Juda, tu n'es certes pas la moindre entre les principales villes de Juda, car de toi sortira un chef qui paîtra Israël, mon peuple. «Ma fille, comme ma première naissance fit de grands remuements dans les esprits des grands, si fera celle-ci. Dispose-toi à des grandes contradictions. Les grands arbres étendent leurs racines plus loin quand ils sont agités des plus grands vents. Sois toujours ma Sulamite toute pacifique, que les chariots d’Aminadab ne t’ôtent point le courage. Quand, comme fille, tu te verras troublée, écoute mon Divin Père, moi et le Saint Esprit qui t’appellerons à nous. Entends mon humanité qui t’appellera pour la quatrième fois, en te disant de te venir réfugier dans mes plaies. Je sais, chère épouse, que tu me diras souvent : Quid videbis in Sulamite, nisi choros castrorum, et moi, je te répondrai : Quam pulchri sunt gressus tui in calceamentis, filia principis ! Juncturæ femorum tuorum, sicut monilia, quæ fabricata sunt manu artificis. (Ct 7, 1) Pourquoi regardez-vous la Sulamite, dansant comme en un double chœur ? Que tes pieds sont beaux dans tes sandales, fille de prince ! La courbe de tes flancs est comme un collier, oeuvre des mains d'un artiste. Ma bien-aimée, les progrès que mon amour te fera, me seront agréables, considérant toutes les démarches de tes pieds, dans les termes de ma crainte. Tes affections, ma fille, ne s’étendront point aux créatures. Je te serais un signe en bien, pour confondre tous les démons, nommément celui qui tenta Arius et celui qui tenta Pharaon, lesquels s’opposèrent longtemps à ma gloire. Ne les crains point, ma fille. Ils seront vaincus. Michel les surmontera comme il fit le dragon. « Tu souffriras comme cette femme de l’Apocalypse des grandes transes pour me produire par cet établissement dans l’Église. Quoi que tu sois faible, je montrerai par toi ma force. Je te jure par moi-même et par mon salut, moi qui suis le premier des prédestinés, que j’établirai mon dessein. Je suis le Père des siècles futurs, le Prince de paix, l’admirable Conseiller, le Dieu très fort ; ma principauté est sur mes épaules, ma fille. Je me charge de cet établissement. Je te promets de te donner de quoi l’établir. En mes mains sont tes sorts, en mes yeux, tes ressorts ; en mon sein, tes trésors. Ce Roi qui dit que de sa pauvreté il m’a bâti un temple, lequel était la merveille du monde, me fait plaisir. Mais, ma fille, j’ai bien plus de contentement quand je vois ceux que tu me bâtiras. Tout m’est présent ; le passé et l’avenir sont pour les vues des créatures. La mienne connaît tout. Elle est éternelle, immense et infinie. Je contemple avec délices les maisons de mon Ordre où je serai adoré en esprit et vérité. N’en doute pas, ma fille ; ma providence veille sur toi, et ma miséricorde te servira tous les jours de ta vie. Je suis le Seigneur qui te régit. Rien ne te manquera ; délecte-toi en ce Seigneur tout amour pour toi, et il te donnera la pétition de ton cœur ; voire, il exaucera les désirs de celui et plus que tu ne pourras penser ».

Très cher Amour, je dis beaucoup, mais je ne dis pas la millième partie de ce que vous m’avez dit, mon très cher Epoux. Quand j’écrivis ma vie pour la première fois, je ne savais comment exprimer les faveurs que vous m’aviez faites, et si je n’étais qu’à l’année 1629, vous ne m’aviez pas épousée avec les magnificences royales et divines. Vous m’aviez demandée, et je vous avais dit que j’étais toute vôtre ; ma confusion était inexplicable, alors, mais où en suis-je à présent ? Si je ne craignais de désobéir, je m’arrêterais dans l’abîme des pensées que vos libéralités produisent en mon âme, et dirais à mon éminentissime Prélat, ce que je vous ai dit plusieurs fois : A, a, a, Domine, ecce nescio loqui, quia puer ego sum. (Jr 1, 6) Ah ! Seigneur Yahvé ! Voici, je ne sais point parler, car je suis un enfant. Peut-être qu’il ne me dispenserait pas, non plus que vous qui m’avez dit, et me dites : Noli dicere : puer sum : quoniam ad omnia, quæ mittam te, ibis : et universa, quæcumque mandavero tibi, loqueris. (Jr 1, 7) Ne dis pas: Je suis un enfant. Car tu iras vers tous ceux auprès de qui je t'enverrai, et tu diras tout ce que je t'ordonnerai. «Ne crains point, ma fille, je suis avec toi ; j’ai mis ma main sur toi. Mon esprit t’a donné une langue, et mon Père t’a donné une bouche, et son Verbe même. Il te dit : Ecce dedi verba mea in ore tuo. (Jr 1, 9) Voici, je mets mes paroles dans ta bouche. Ma fille, je ne t’envoie pas pour pleurer les malheurs de la vieille Jérusalem : Lætamini cum Ierusalem et exultate in ea omnes qui diligitis eam (Is 66, 10) Réjouissez-vous avec Jérusalem, faites d'elle le sujet de votre allégresse, vous tous qui l'aimez.

Cher Amour, je me suis toujours réjouie d’être fille de votre Eglise. Je vous prie que toutes les filles de votre Ordre se réjouissent de cette heureuse filiation, que votre miséricorde nous a destinées devant que nous fussions nées. Comme votre Sainte Mère vous a donné au monde par l’Incarnation, vous voulûtes qu’elle me présenta à la Divinité, laquelle me reçut favorablement des mains de cette Dame exaltée au-dessus de toutes pures créatures. Je vis à la dextre divine un feu en figure d’un soleil, lequel brûlait sans consumer. Il couvrait sa splendeur, s’accommodant à la faiblesse. J’entendais que c’était le nom de Dieu admirable que je devais porter partout, et que le bras tout-puissant de votre dextre abattrait tous mes ennemis, faisant voir sa grande vertu.

   

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