CHEMIN DE SAINTETÉ

adveniat regnum tuum

Lettre XV
Souffrances du corps et de l'âme de Jésus
dans la Passion.

Monsieur le Curé,

Je viens vous soumettre encore ce que j’ai éprouvé un autre jour dans le tabernacle admirable à la vue de Jésus en croix.

Je vis dans le Sauveur deux sortes de souffrances : les souffrances du corps et les souffrances de l'âme, et cette vue me montra combien je devais prendre avec patience et soumission toutes les douleurs que je pourrais éprouver moi-même dans mon corps et dans mon âme.

Le corps de Jésus me paru affligé de tous les maux, de toutes les douleurs les plus aiguës qu'il soit possible d’imaginer. Il souffrait non-seulement toutes les souffrances des hommes à cause de leurs péchés, mais encore infiniment plus que tous les fils d’Adam ensemble. Son corps était comme un océan de souffrances. Sa chair était déchirée par la flagellation; ses nerfs, contractés et disloqués par le crucifiement; mais rien ne me paraissait comparable à la soif qui le brûlait. Mon cœur était brisé, en le voyant en cet état, mes yeux ne pouvaient se détacher de lui, et je souffrais mille morts en le voyant souffrir. J’aurais voulu le détacher de la croix pour mourir à sa place, pour souffrir ce qu'il souffrait; car, je ne pouvais me faire illusion, Jésus est innocent et je ne suis qu'une misérable pécheresse; c'est pour moi qu'il est en croix; c'est moi qui l’ai attaché en croix. O péché de mon âme! quelle est ton œuvre?

En ce moment, la lumière qui entourait le crucifix du tabernacle admirable devint plus éclatante que jamais. Le corps de Jésus m’apparut comme un océan immense, sans bornes et sans limites, d’où s’échappaient dans tous les temps passés, présents et à venir, sur toutes les épreuves des hommes, sur tous les maux, sur toutes les douleurs, sur toutes les peines, sur toutes les tribulations qu'ils endurent une fécondité nouvelle, une vertu divine qui changeait ces tribulations en une joie éternelle, ces maux en un bien éternel, ces épreuves en un repos éternel. Son corps m’apparut en même temps comme un océan immense où affluaient toutes les peines de l'humanité entière pour l’accabler lui seul, et des souffrances encore plus grandes qui eussent suffi et au delà pour affaisser toute l'humanité et l’empêcher de se relever jamais; mais il était Dieu et sa force divine contenait tous ces maux dans le corps et l'âme qu'il avait pris. La voix de Jésus se fit entendre, ou plutôt je compris sans qu'il parlât, ce que je puis à peu près rendre par ces paroles qui sont l’expression de ce que je compris : « Je suis le roi de la douleur, le maître des souffrances, le distributeur des tribulations. J'ai conquis ma couronne sur la croix, ma domination par ma mort et mon autorité par ma résurrection. Ceux qui veulent être couronnés avec moi doivent porter ma couronne d’épines; ceux qui veulent régner avec moi doivent mourir de la mort que je leur destine chaque jour de la vie; ceux qui veulent participer à mon autorité ne la recevront que par la voie douloureuse des tribulations. C'est moi qui envoie à chacun ses épreuves, qui en règle la durée comme l’intensité, et qui donne à tous l’exemple de la conquête de la gloire du paradis. Je n’avais point besoin de souffrir pour moi. C'est par amour pour les hommes que j'ai souffert. Tous les hommes ont péché; ils doivent souffrir pour expier leurs péchés, souffrir en union avec mes souffrances, souffrir par reconnaissance de ce que j'ai moi-même souffert pour eux. »

Ah ! Monsieur, peut-on se plaindre quand on souffre, si l'on regarde un seul moment Jésus en croix? Ne trouve-t-on point là consolation, force, courage, et même désir de sa souffrance, puisqu'elle fait ressembler à Jésus et mérite le ciel?

Je vis aussi et je compris, autant que je pouvais la voir et la comprendre, la douleur de l'âme de Jésus. La plus grande douleur d'une âme, c'est l’abandon de tous ceux qu'elle aime. S'il en est ainsi, comment représenter la douleur de l'âme du Sauveur? Ah! je crois que si cette douleur était une chose sensible, ni la distance qu'il y a entre le ciel et la terre, ni la profondeur, ni l’immensité du monde, ne serait capable de la contenir.

Jésus était abandonné de tous, même de son Père. Si Dieu avait jeté en l'âme du Sauveur un regard miséricordieux, elle eût été consolée. Mais non, en ce moment, la divinité de Jésus seule trouvait en son Père l’amour éternel qu'il a eu et qu'il aura toujours pour elle; mais l'âme de Jésus ne trouvait qu'une rigueur extrême et inflexible en Dieu, qui réclamait tous les droits de sa justice. L’abandon de l’Homme-Dieu! Jésus seul peut comprendre et comprit tout ce qu'il y avait de pénible en cet état de son humanité abandonnée par Dieu son Père.

Jésus était abandonné de toutes les créatures. Les unes le torturaient, exerçaient sur lui toutes leurs cruautés, toutes leurs railleries et tous leurs affronts; les autres demeuraient dans la plus complète indifférence.

Il voyait pourtant quelques personnes debout près de lui, qui prenaient part à ses douleurs; mais leurs peines l’affligeaient bien plus qu'elles ne le consolaient. Leur impuissance à diminuer ses peines, comme leur présence qui les augmentait, n’étaient-elles donc pas encore plus pénibles que si elles l’eussent abandonné? Il voyait là Marie, sa Mère qui, en union avec lui, offrait à Dieu son sacrifice, et dont l'âme était véritablement traversée par un glaive de douleur. Il voyait là l’apôtre bien-aimé, le disciple seul demeuré fidèle, et cette vue pouvait-elle ne point le faire souffrir plus que tous les autres tourments?

Quelles douleurs en Jésus! Quel calme cependant en sa douleur! Il garde le plus profond silence : silence de miséricorde pour ses bourreaux, silence de soumission pour son Père. S’il le rompt, c'est par charité pour sa mère et son disciple bien-aimé; s’il le rompt, c'est par pitié pour le larron pénitent; s’il le rompt, c'est pour accomplir les prophéties; s'il le rompt, c'est pour remettre son âme entre les mains de son Père; s'il le rompt enfin, c'est pour témoigner que la vie lui appartient et que nul ne pourrait la lui ravir. O clameur dernière du Sauveur au moment de son trépas, jetée au monde comme un mystère qu'il ne comprendra jamais, combien vous avez saisi mon âme! Ne m’avez-vous point dit et montré comment Dieu use de plus de miséricorde envers nous, ses enfants adoptifs, qu’envers Celui qui est son fils par nature? Ne m’avez-vous point fait comprendre qu’au milieu de mes souffrances j’avais toujours les grâces de Dieu comme un appui, un soutien, une consolation, et la parole d’un ami, pour me donner courage et faire lever mes yeux au ciel, la parole du Sauveur? Ne m’avez-vous point fait sentir la nécessité de souffrir pour fuir le péché, de souffrir et de me soumettre à la volonté de Dieu, de souffrir et de ne désirer qu’une seule chose, la pureté du cœur?

Ah ! Monsieur, je sens combien je ferais injure au Sauveur Jésus de me plaindre de mes souffrances. Il m’a montré la nécessité, l’avantage et la manière de souffrir. Je saurai mieux le faire que le dire, pourvu que Dieu m’assiste de sa grâce dans les tribulations.

Je suis, avec le plus profond respect, Monsieur le Curé,

Votre très humble servante,

Marie

Mimbaste, 19 août 1843.

   

Pour toute suggestion, toute observation ou renseignement sur ce site,
adressez vos messages à :

 voiemystique@free.fr