Monsieur le Curé,
C'est avec une
soumission entière que je viens soumettre à vos lumières ce que je
vais écrire.
Ce ne sont point des
paroles qui m’aient été adressées, ni des pensées qui m’aient été
inspirées; ce sont des clartés brillantes, des vues, des
connaissances que j’ai reçues dans l’oraison. Vous vous rappelez la
différence que j’ai mise entre le tabernacle admirable, le sein et
le cœur de Dieu. C'est dans le sein de Dieu que j’ai reçu ces
communications. Je puis les réduire à trois points. Je ne sais si je
pourrai bien me faire comprendre; je m’expliquerai le plus
clairement que je pourrai.
Dans la première
communication, il s’est agi de Dieu infiniment grand et infiniment
incompréhensible dans son être et dans ses perfections.
Dans la seconde, il
s'est agi des relations entre Dieu et l'âme élevée jusqu’à lui par
l’union le plus intime.
Dans la troisième, il
s’est agi de l’état d'une âme dépouillée de la grâce sanctifiante,
de son retour à Dieu et de ses combats après sa conversion.
Enfin, comme
conclusion, j'ai vu autant qu'elle peut être vue, la disproportion
infinie qui existe entre Dieu et l'homme.
Voici la première.
La simple vue et la
connaissance de Dieu offrent quelque chose de si grand, de si
parfait, de si relevé, de si sublime, de si infini, de si fort au
dessus de ce que l'esprit de l'homme est capable de comprendre, de
concevoir ou d’imaginer, que toutes les facultés de son âme sont
débordées, et que son cœur est ému par divers sentiments qu'il
chercherait inutilement à contenir.
C'est en vain que
l'esprit demande des expressions pour rendre les choses même telles
qu'il les conçoit et les comprend. Quelque élevée que soit la
conception ou l’intelligence qu'il a de Dieu, il est obligé de
reconnaître qu'il ne peut rien dire de plus digne sur Dieu que
d’avouer et de proclamer Dieu au dessus de tout ce que l’esprit de
l'homme peut comprendre ou concevoir. Dieu est un tout qui ne peut
être compris. Il remplit tout par son immensité. Tout vient de lui
et retourne à lui. Dieu possède toutes les perfections qui de lui
retombent sur les créatures, dans la mesure qu'il leur destine. Tout
proclame les perfections de Dieu, tout publie sa gloire, tout
annonce son existence. Dieu est le principe de tout bien. La source
de la grâce est en Dieu; c'est de son sein qu'elle se répand sur les
cœurs des hommes. Dieu est un fonds inépuisable de lumières, dans
lequel se trouvent toute science et toute connaissance dans un degré
infini.
En un mot, Dieu est un
être infiniment grand, infiniment incompréhensible dans son être et
ses perfections. Seul, il peut se comprendre lui-même.
Voici la deuxième.
Quand il plaît à Dieu
d’élever une âme, il se communique à elle, il la fait participer à
sa sainteté, à sa sagesse, à sa force; il l’éclaire de ses lumières,
il la remplit de la vertu de son Esprit, il se découvre à elle, il
la transporte et la fait monter jusque dans le cercle de l’adorable
Trinité, et là, il répand sur cette âme l’abondance de ses biens et
de ses grâces, pour lui faire goûter une félicité au dessus de toute
félicité.
L'âme, se voyant
comblée des bienfaits immenses du Très-Haut, les reçoit avec les
sentiments de la plus profonde reconnaissance; mais, sachant sa
faiblesse et sa misère, et craignant de faire mauvais usage des dons
de Dieu, elle les jette dans le sein de la divinité vers qui elle
les fait remonter, proclamant ainsi qu'elle regarde Dieu comme son
principe et sa fin, proclamant surtout qu'elle se croit incapable de
tout et qu'elle s’abandonne entièrement à Dieu. Ainsi dégagée et
détachée de tout, l'âme se perd dans le sein de Dieu et repose en
lui : mais elle n’oublie pas, à cette heure des bénédictions et des
faveurs divines, ce qu'elle est, et, jusque dans sa plus haute
élévation, elle conserve le sentiment de sa bassesse et de son
néant.
Voici sur la troisième.
Quand l'âme est dans le
péché, elle se trouve plongée dans un abîme profond. Elle est là,
environnée de ténèbres et victime des démons, ses ennemis, qui la
tiennent captive par les chaînes de ses passions. Cette âme, si
belle et si noble par elle-même, est par son péché dans un état de
noirceur et de laideur qui la rend hideuse aux yeux de Dieu, des
anges et des saints. Elle est séparée de Dieu et éloignée de lui par
une distance infinie. Cependant Dieu, toujours miséricordieux, ne
veut point abandonner cette âme, malgré ses péchés. Il lance sur
elle des traits de lumière et lui envoie des grâces pour qu'elle
connaisse son état et gémisse sur ses iniquités. Il lui fait
comprendre son malheur par la perte qu'elle a faite de son amitié.
Il lui montre combien il a été bon envers elle, combien il use
encore de miséricorde et de patience et combien il désire renouveler
son alliance. Il ne néglige rien, il met tout en usage jusqu’à ce
qu'il ait triomphé de cette âme.
L'âme ne peut point par
elle-même sortir de son abîme, briser ses chaînes, arriver à Dieu;
mais elle lève ses yeux vers lui et lui jette ses supplications.
Dieu descend près de cette âme, lui donne le repentir qui brise ses
liens et lui permet de sortir de l’abîme. Puis il la revêt de la
robe blanche de l’innocence et de la pureté, par le pardon des échés
qu'elle accuse au ministre du Sauveur Jésus.
L'âme est pourtant
encore tout près de l’abîme qu'elle vient de quitter. Là, le démon
et les passions lui livrent de rudes assauts pour l’enchaîner de
nouveau s’il est possible. Elle rencontre mille obstacles, mille
embarras qui l’empêchent d’avancer dans la route du bien; il lui
faut à chaque pas un nouveau combat, une victoire nouvelle. Dieu ne
lui manque pas, heureusement; Dieu la soutient, nourrit son courage,
et peu à peu elle fuit loin de l’abîme en marchant plus commodément
vers le ciel.
Conclusion. J’ai vu
enfin la disproportion qu'il y a entre Dieu et l'homme. En Dieu tout
est infini; en l'homme tout est borné. Dieu se suffit à lui-même, il
n’a besoin de personne, il est sa propre gloire, sa propre félicité;
il est, il a été, il sera au siècle des siècles. Le monde n’existait
pas, l'homme n’avait point été créé, les anges ne peuplaient point
les cieux, Dieu néanmoins n’avait rien à désirer pour son éternel
bonheur, car il était infiniment bon, infiniment grand, infiniment
parfait.
Mais l'homme ne s’est
pas fait lui-même; il est l’ouvrage de Dieu, il a eu un
commencement, il aura une fin; il tient tout de Dieu, et, quelque
élevé que soit un homme en grâce, en mérite, en perfection, il n'est
rien en comparaison de Dieu. On ne peut comprendre la différence
qu'il y a entre eux. Quelque profonde que soit la science de
l'homme, elle est bornée et très bornée; la science de Dieu ne
connaît point de limites, elle est infinie. Qui peut donc s’abaisser
assez devant vous, mon Dieu, qui êtes si saint, si parfait, si
puissant, si incompréhensible!
Recevez, Monsieur le
Curé, l’hommage de ma vénération la plus grande et de mon respect le
plus profond.
Je suis votre très
humble servante,
Marie.
Mimbaste, 30 août 1843. |