CHEMIN DE SAINTETÉ

adveniat regnum tuum

Lettre XVI
Des trois communications dans le sein de Dieu.

Monsieur le Curé,

C'est avec une soumission entière que je viens soumettre à vos lumières ce que je vais écrire.

Ce ne sont point des paroles qui m’aient été adressées, ni des pensées qui m’aient été inspirées; ce sont des clartés brillantes, des vues, des connaissances que j’ai reçues dans l’oraison. Vous vous rappelez la différence que j’ai mise entre le tabernacle admirable, le sein et le cœur de Dieu. C'est dans le sein de Dieu que j’ai reçu ces communications. Je puis les réduire à trois points. Je ne sais si je pourrai bien me faire comprendre; je m’expliquerai le plus clairement que je pourrai.

Dans la première communication, il s’est agi de Dieu infiniment grand et infiniment incompréhensible dans son être et dans ses perfections.

Dans la seconde, il s'est agi des relations entre Dieu et l'âme élevée jusqu’à lui par l’union le plus intime.

Dans la troisième, il s’est agi de l’état d'une âme dépouillée de la grâce sanctifiante, de son retour à Dieu et de ses combats après sa conversion.

Enfin, comme conclusion, j'ai vu autant qu'elle peut être vue, la disproportion infinie qui existe entre Dieu et l'homme.

Voici la première.

La simple vue et la connaissance de Dieu offrent quelque chose de si grand, de si parfait, de si relevé, de si sublime, de si infini, de si fort au dessus de ce que l'esprit de l'homme est capable de comprendre, de concevoir ou d’imaginer, que toutes les facultés de son âme sont débordées, et que son cœur est ému par divers sentiments qu'il chercherait inutilement à contenir.

C'est en vain que l'esprit demande des expressions pour rendre les choses même telles qu'il les conçoit et les comprend. Quelque élevée que soit la conception ou l’intelligence qu'il a de Dieu, il est obligé de reconnaître qu'il ne peut rien dire de plus digne sur Dieu que d’avouer et de proclamer Dieu au dessus de tout ce que l’esprit de l'homme peut comprendre ou concevoir. Dieu est un tout qui ne peut être compris. Il remplit tout par son immensité. Tout vient de lui et retourne à lui. Dieu possède toutes les perfections qui de lui retombent sur les créatures, dans la mesure qu'il leur destine. Tout proclame les perfections de Dieu, tout publie sa gloire, tout annonce son existence. Dieu est le principe de tout bien. La source de la grâce est en Dieu; c'est de son sein qu'elle se répand sur les cœurs des hommes. Dieu est un fonds inépuisable de lumières, dans lequel se trouvent toute science et toute connaissance dans un degré infini.

En un mot, Dieu est un être infiniment grand, infiniment incompréhensible dans son être et ses perfections. Seul, il peut se comprendre lui-même.

Voici la deuxième.

Quand il plaît à Dieu d’élever une âme, il se communique à elle, il la fait participer à sa sainteté, à sa sagesse, à sa force; il l’éclaire de ses lumières, il la remplit de la vertu de son Esprit, il se découvre à elle, il la transporte et la fait monter jusque dans le cercle de l’adorable Trinité, et là, il répand sur cette âme l’abondance de ses biens et de ses grâces, pour lui faire goûter une félicité au dessus de toute félicité.

L'âme, se voyant comblée des bienfaits immenses du Très-Haut, les reçoit avec les sentiments de la plus profonde reconnaissance; mais, sachant sa faiblesse et sa misère, et craignant de faire mauvais usage des dons de Dieu, elle les jette dans le sein de la divinité vers qui elle les fait remonter, proclamant ainsi qu'elle regarde Dieu comme son principe et sa fin, proclamant surtout qu'elle se croit incapable de tout et qu'elle s’abandonne entièrement à Dieu. Ainsi dégagée et détachée de tout, l'âme se perd dans le sein de Dieu et repose en lui : mais elle n’oublie pas, à cette heure des bénédictions et des faveurs divines, ce qu'elle est, et, jusque dans sa plus haute élévation, elle conserve le sentiment de sa bassesse et de son néant.

Voici sur la troisième.

Quand l'âme est dans le péché, elle se trouve plongée dans un abîme profond. Elle est là, environnée de ténèbres et victime des démons, ses ennemis, qui la tiennent captive par les chaînes de ses passions. Cette âme, si belle et si noble par elle-même, est par son péché dans un état de noirceur et de laideur qui la rend hideuse aux yeux de Dieu, des anges et des saints. Elle est séparée de Dieu et éloignée de lui par une distance infinie. Cependant Dieu, toujours miséricordieux, ne veut point abandonner cette âme, malgré ses péchés. Il lance sur elle des traits de lumière et lui envoie des grâces pour qu'elle connaisse son état et gémisse sur ses iniquités. Il lui fait comprendre son malheur par la perte qu'elle a faite de son amitié. Il lui montre combien il a été bon envers elle, combien il use encore de miséricorde et de patience et combien il désire renouveler son alliance. Il ne néglige rien, il met tout en usage jusqu’à ce qu'il ait triomphé de cette âme.

L'âme ne peut point par elle-même sortir de son abîme, briser ses chaînes, arriver à Dieu; mais elle lève ses yeux vers lui et lui jette ses supplications. Dieu descend près de cette âme, lui donne le repentir qui brise ses liens et lui permet de sortir de l’abîme. Puis il la revêt de la robe blanche de l’innocence et de la pureté, par le pardon des échés qu'elle accuse au ministre du Sauveur Jésus.

L'âme est pourtant encore tout près de l’abîme qu'elle vient de quitter. Là, le démon et les passions lui livrent de rudes assauts pour l’enchaîner de nouveau s’il est possible. Elle rencontre mille obstacles, mille embarras qui l’empêchent d’avancer dans la route du bien; il lui faut à chaque pas un nouveau combat, une victoire nouvelle. Dieu ne lui manque pas, heureusement; Dieu la soutient, nourrit son courage, et peu à peu elle fuit loin de l’abîme en marchant plus commodément vers le ciel.

Conclusion. J’ai vu enfin la disproportion qu'il y a entre Dieu et l'homme. En Dieu tout est infini; en l'homme tout est borné. Dieu se suffit à lui-même, il n’a besoin de personne, il est sa propre gloire, sa propre félicité; il est, il a été, il sera au siècle des siècles. Le monde n’existait pas, l'homme n’avait point été créé, les anges ne peuplaient point les cieux, Dieu néanmoins n’avait rien à désirer pour son éternel bonheur, car il était infiniment bon, infiniment grand, infiniment parfait.

Mais l'homme ne s’est pas fait lui-même; il est l’ouvrage de Dieu, il a eu un commencement, il aura une fin; il tient tout de Dieu, et, quelque élevé que soit un homme en grâce, en mérite, en perfection, il n'est rien en comparaison de Dieu. On ne peut comprendre la différence qu'il y a entre eux. Quelque profonde que soit la science de l'homme, elle est bornée et très bornée; la science de Dieu ne connaît point de limites, elle est infinie. Qui peut donc s’abaisser assez devant vous, mon Dieu, qui êtes si saint, si parfait, si puissant, si incompréhensible!

Recevez, Monsieur le Curé, l’hommage de ma vénération la plus grande et de mon respect le plus profond.

Je suis votre très humble servante,

Marie.

Mimbaste, 30 août 1843.

   

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