Monsieur le Curé,
Je viens vous
soumettre, avec le même abandon et la même confiance, ce que vous
m’avez demandé de mes méditations sur la passion du Sauveur Jésus.
Je ne sais trop comment
je pourrai m’exprimer et dire des choses que j’ai entendues sans
qu’on proférât une parole, et qui étaient bien plus l’effet d’un
éclat de lumière que de voix clairement et distinctement articulées.
Pour ces méditations,
je ne me suis point servie de livres; je ne les ai non plus jamais
préparées. J’avais déjà plusieurs fois médité sur la passion de la
manière que je vous ai dite ailleurs; la passion est le sujet le
plus ordinaire de mes méditations. C'est une source inépuisable vers
laquelle me porte un attrait irrésistible, et dans laquelle mon âme
prend force, courage et vertu pour faire le bien et éviter le mal.
Or, un jour, je me mis
à genoux pour faire ma méditation selon l’attrait qui me serait
donné. Quand je ne prépare point ma méditation, ne c'est point que
je veuille tenter Dieu ainsi; mais c'est que je suis obligée de
suivre l’attrait qui me porte ailleurs, et qui m’oblige même à
laisser la méditation que j’aurais préparée pour en suivre une
autre. Quelquefois Dieu m’envoie des occupations qui m'empêchent la
veille de me préparer à ma méditation du lendemain. C'est là pour
moi l’indice que le Sauveur se charge de ma méditation ou bien que
je devrai me tenir humblement à ses pieds, quelquefois sans aucun
sentiment d’amour, jusqu’à ce qu'il lui plaise d’avoir pitié de moi.
Après m’être
agenouillée aux pieds du Sauveur, je sentis aussitôt en mon âme un
attrait qui la portait presque avec violence à considérer Jésus
attaché à la croix.
Ah! Monsieur, je ne
sais comment je devins alors. Pendant que mon corps me semblait d'un
poids et d'une lourdeur accablants, mon âme semblait avoir une
nouvelle vie. Elle se trouva dans le centre de la lumière et des
connaissances du tabernacle admirable. Mon Dieu, que de lumières et
que de connaissances! Je les vis toutes immédiatement dans leur
ensemble, mais je ne pus les supporter ensuite dans leur détail;
elles débordèrent mon âme, qui dut nécessairement se retirer et
attendre jusqu’au lendemain; ce qui me fait supposer que le Sauveur
avait d’abord voulu me montrer comme un plan général des méditations
qu'il voulait que je fisse ensuite séparément et chaque jour. C'est
du moins ce qui est arrivé.
Voici le plan général
tel que je l’aperçu : 1° Jésus en croix nous fait comprendre la
grandeur et l’énormité du péché; 2° Jésus en croix est pour nous le
modèle de toutes les vertus; 3° Jésus en croix fait connaître la
justice et la miséricorde de son Père.
Le premier jour, je pus
méditer sur la première partie, qui est : Jésus en croix nous fait
comprendre la grandeur et l’énormité du péché.
Dans une première vue,
je considérai le péché en lui-même et dans sa nature intime; dans
une seconde considération, je vis l’injure et l’outrage qu'il fait à
Dieu; enfin je compris quel est la cause de tous nos maux, tant
spirituels que temporels. Quelles connaissances profondes! quelles
lumières éclatantes environnèrent mon âme en cet heureux moment! Ce
n’était point une parole parlée que j’entendais, mais je comprenais
mieux qu'en entendant l’homme le plus savant et le prédicateur le
plus distingué. C'était une parole sans voix et une voix sans
parole, et je n’ai point de parole pour exprimer cette voix, ni de
voix pour rendre cette parole. J’ai vu, j’ai entendu, j’ai compris;
j’essaierais en vain de le rappeler, je ne le pourrais pas. C'était
plus fort, plus tendre, plus sensible, plus doux, plus pénible, plus
douloureux, plus intelligible, plus saisissant pour moi que toute
chose au monde. C'est aujourd'hui si profondément gravé dans mon
cœur, que je ne puis même l’extérioriser par écrit ou par parole. O
Jésus en croix, salut de mon âme! O croix de Jésus, salut du monde!
O Jésus en croix, Dieu mort pour mes péchés! O croix de Jésus,
délivrance de mes iniquités! O Jésus en croix, réparateur de
l’injure faite à Dieu! O croix de Jésus, témoin éclatant et glorieux
du pardon de Dieu le Père! O Jésus en croix, libérateur du genre
humain! O croix de Jésus, bouclier contre Satan, le monde et les
passions! O Jésus en croix, félicité dans nos souffrances et nos
peines! O croix de Jésus, arc-en-ciel de la miséricorde de Dieu! O
Jésus en croix, ce sont mes péchés qui vous ont fait mourir! O croix
de Jésus, ce sont mes péchés qui vous ont rougie du sang de mon
Sauveur! O Jésus en croix, que je sois à jamais près de vous, avec
vous, en vous! O croix de Jésus, que je vous embrasse à jamais et
meure en vous pressant sur mon cœur.
Je ne pouvais plus
rester dans le tabernacle admirable dont la lumière éclatante me
repoussait au loin. Avant de sortir, j’entendis, forte comme un
tonnerre, une voix prononçant ces paroles, qu'elle m’adressait et
que j'ai conservées : « Ma fille, dites chaque jour cette prière :
Mon Dieu, souvenez-vous de ce moment où vous avez fait couler pour
la première fois votre grâce dans mon cœur, en me lavant du péché
originel pour me recevoir au nombre de vos enfants. O Dieu, qui êtes
mon Père, accordez-moi, par votre infinie miséricorde, par les
mérites et le sang de Jésus-Christ, les peines et les douleurs de la
sainte Vierge, les grâces que vous désirez que je reçoive en ce jour
pour votre plus grande gloire et mon salut. »
Voilà, Monsieur le
Curé, ce que j’éprouvai en ce jour. Je continuerai à écrire le reste
dans mes moments de loisir.
Je vous prie d’agréer
l’hommage de ma vénération et de mon plus profond respect avec
lequel je suis,
Monsieur le Curé,
Votre très humble
servante,
Marie.
Mimbaste, 7 août 1843. |