CHEMIN DE SAINTETÉ

adveniat regnum tuum

Lettre XII
Jésus en croix nous montre l’énormité du péché.

Monsieur le Curé,

Je viens vous soumettre, avec le même abandon et la même confiance, ce que vous m’avez demandé de mes méditations sur la passion du Sauveur Jésus.

Je ne sais trop comment je pourrai m’exprimer et dire des choses que j’ai entendues sans qu’on proférât une parole, et qui étaient bien plus l’effet d’un éclat de lumière que de voix clairement et distinctement articulées.

Pour ces méditations, je ne me suis point servie de livres; je ne les ai non plus jamais préparées. J’avais déjà plusieurs fois médité sur la passion de la manière que je vous ai dite ailleurs; la passion est le sujet le plus ordinaire de mes méditations. C'est une source inépuisable vers laquelle me porte un attrait irrésistible, et dans laquelle mon âme prend force, courage et vertu pour faire le bien et éviter le mal.

Or, un jour, je me mis à genoux pour faire ma méditation selon l’attrait qui me serait donné. Quand je ne prépare point ma méditation, ne c'est point que je veuille tenter Dieu ainsi; mais c'est que je suis obligée de suivre l’attrait qui me porte ailleurs, et qui m’oblige même à laisser la méditation que j’aurais préparée pour en suivre une autre. Quelquefois Dieu m’envoie des occupations qui m'empêchent la veille de me préparer à ma méditation du lendemain. C'est là pour moi l’indice que le Sauveur se charge de ma méditation ou bien que je devrai me tenir humblement à ses pieds, quelquefois sans aucun sentiment d’amour, jusqu’à ce qu'il lui plaise d’avoir pitié de moi.

Après m’être agenouillée aux pieds du Sauveur, je sentis aussitôt en mon âme un attrait qui la portait presque avec violence à considérer Jésus attaché à la croix.

Ah! Monsieur, je ne sais comment je devins alors. Pendant que mon corps me semblait d'un poids et d'une lourdeur accablants, mon âme semblait avoir une nouvelle vie. Elle se trouva dans le centre de la lumière et des connaissances du tabernacle admirable. Mon Dieu, que de lumières et que de connaissances! Je les vis toutes immédiatement dans leur ensemble, mais je ne pus les supporter ensuite dans leur détail; elles débordèrent mon âme, qui dut nécessairement se retirer et attendre jusqu’au lendemain; ce qui me fait supposer que le Sauveur avait d’abord voulu me montrer comme un plan général des méditations qu'il voulait que je fisse ensuite séparément et chaque jour. C'est du moins ce qui est arrivé.

Voici le plan général tel que je l’aperçu : 1° Jésus en croix nous fait comprendre la grandeur et l’énormité du péché; 2° Jésus en croix est pour nous le modèle de toutes les vertus; 3° Jésus en croix fait connaître la justice et la miséricorde de son Père.

Le premier jour, je pus méditer sur la première partie, qui est : Jésus en croix nous fait comprendre la grandeur et l’énormité du péché.

Dans une première vue, je considérai le péché en lui-même et dans sa nature intime; dans une seconde considération, je vis l’injure et l’outrage qu'il fait à Dieu; enfin je compris quel est la cause de tous nos maux, tant spirituels que temporels. Quelles connaissances profondes! quelles lumières éclatantes environnèrent mon âme en cet heureux moment! Ce n’était point une parole parlée que j’entendais, mais je comprenais mieux qu'en entendant l’homme le plus savant et le prédicateur le plus distingué. C'était une parole sans voix et une voix sans parole, et je n’ai point de parole pour exprimer cette voix, ni de voix pour rendre cette parole. J’ai vu, j’ai entendu, j’ai compris; j’essaierais en vain de le rappeler, je ne le pourrais pas. C'était plus fort, plus tendre, plus sensible, plus doux, plus pénible, plus douloureux, plus intelligible, plus saisissant pour moi que toute chose au monde. C'est aujourd'hui si profondément gravé dans mon cœur, que je ne puis même l’extérioriser par écrit ou par parole. O Jésus en croix, salut de mon âme! O croix de Jésus, salut du monde! O Jésus en croix, Dieu mort pour mes péchés! O croix de Jésus, délivrance de mes iniquités! O Jésus en croix, réparateur de l’injure faite à Dieu! O croix de Jésus, témoin éclatant et glorieux du pardon de Dieu le Père! O Jésus en croix, libérateur du genre humain! O croix de Jésus, bouclier contre Satan, le monde et les passions! O Jésus en croix, félicité dans nos souffrances et nos peines! O croix de Jésus, arc-en-ciel de la miséricorde de Dieu! O Jésus en croix, ce sont mes péchés qui vous ont fait mourir! O croix de Jésus, ce sont mes péchés qui vous ont rougie du sang de mon Sauveur! O Jésus en croix, que je sois à jamais près de vous, avec vous, en vous! O croix de Jésus, que je vous embrasse à jamais et meure en vous pressant sur mon cœur.

Je ne pouvais plus rester dans le tabernacle admirable dont la lumière éclatante me repoussait au loin. Avant de sortir, j’entendis, forte comme un tonnerre, une voix prononçant ces paroles, qu'elle m’adressait et que j'ai conservées : « Ma fille, dites chaque jour cette prière : Mon Dieu, souvenez-vous de ce moment où vous avez fait couler pour la première fois votre grâce dans mon cœur, en me lavant du péché originel pour me recevoir au nombre de vos enfants. O Dieu, qui êtes mon Père, accordez-moi, par votre infinie miséricorde, par les mérites et le sang de Jésus-Christ, les peines et les douleurs de la sainte Vierge, les grâces que vous désirez que je reçoive en ce jour pour votre plus grande gloire et mon salut. »

Voilà, Monsieur le Curé, ce que j’éprouvai en ce jour. Je continuerai à écrire le reste dans mes moments de loisir.

Je vous prie d’agréer l’hommage de ma vénération et de mon plus profond respect avec lequel je suis,

Monsieur le Curé,

Votre très humble servante,

Marie.

Mimbaste, 7 août 1843.

   

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