CHEMIN DE SAINTETÉ

adveniat regnum tuum

Lettre X
Comment une âme doit agir
dans les faveurs extraordinaires qu'elle reçoit de Dieu.

Monsieur le Curé,

L’état où je me trouvais depuis quelque temps me causait un peu de peine. Pendant mes prières, pendant la sainte messe ou dans mes communions, j’étais pour ainsi dire sans sentiment. J'étais complètement absorbée par une douceur ineffable qui remplissait toute mon âme et m'empêchait de lire et de prier pour m’obliger à suivre l’attrait de cette douceur. J’en ai parlé au Sauveur Jésus, et lui ai dit : Seigneur, je ne sais ce que je sens, ni comment je me trouve; vous qui le savez, daignez m’éclairer, m’instruire et me faire connaître de quelle manière je dois agir.

« Ma chère fille, me répondit le Sauveur Jésus, oui, je vous connais, je sais ce que vous éprouvez, je sais ce que vous êtes. Vous n’êtes encore qu'une apprentie, qu'une jeune novice, qui ne sait encore de quelle manière elle doit se conduire dans la voie nouvelle où je veux vous faire entrer. Cette douceur qui remplit votre âme, et, comme un doux sommeil, l’endort pour la laisser reposer en Dieu, tandis que votre corps est sans mouvement et votre cœur sans action sous le poids de cette béatitude qui vous pénètre en vous attachant à moi, est une grâce que je me plais à vous accorder, et qui, loin de vous attrister ou de vous faire de la peine, doit exciter votre plus vive reconnaissance envers votre Sauveur.

Goûtez cette douceur quand vous l’éprouverez; suivez l’attrait qu'elle vous donnera et qui l’aura produite.

Voici, ma fille, comment vous devez recevoir cette douceur et cet attrait; comment vous devez le suivre et agir quand vous l’éprouverez.

Je vous ai déjà parlé de l’oraison. Elle est un entretien, une communication de l'âme avec Dieu par des paroles, des sentiments, des pensées et des affections; en un mot, c'est une élévation de l'âme vers Dieu. Cette élévation doit être opérante, c'est-à-dire qu'elle doit offrir à Dieu les devoirs de l'âme et lui demander sa grâce, car c'est là le but de l'oraison.

Quand vous vous y trouvez sans sentiments, sans attraits, tâchez d’en exciter de bons en vous par quelque lecture ou quelque pensée pieuse. Si vous ne pouvez lire ni vous arrêter à quelque bonne pensée, mais que vous ressentiez immédiatement cette douceur et cet attrait qui fait goûter Dieu, bien que vous n’ayez ni sentiments ni pensées sensibles, demeurez en cet état, cet état est le degré de la perfection dans l’oraison, et cette oraison est encore plus ou moins parfaite, selon que ce degré de repos est aussi plus ou moins parfait. C'est là l’état des bienheureux dans le ciel, le repos dans la vue et l’amour de Dieu.

Or, ma fille, vous devez grandir et croître en cette nouvelle voie dont vous n’avez pas encore franchi le premier degré. Armez-vous donc de vigilance et d’humilité; sans cela, vous descendrez au lieu de monter, et vous deviendrez semblable à ces âmes qui, après s’être élevées comme des aigles dans le ciel, tombent à terre pour être comparées aux plus vils animaux. Soyez vigilante et soyez humble : vigilante pour marcher en avant; humble pour demeurer amie de Dieu et rester dans la vérité, qui vous dira que vous n’êtes rien par vous-même; soyez circonspecte aussi, afin de ne point vous laisser séduire et de ne point vous laisser entraîner dans les choses vaines, inutiles ou mauvaises; car il n'y a que les choses saintes qui mènent à Dieu.

Cette voie est non-seulement inconnue, mais elle est encore aussi périlleuse que toutes les autres.

Elle est périlleuse : on peut donc faire dans cette voie des chutes déplorables; par conséquent, il faut y prendre garde, et ne s'y reposer qu'en Dieu et sur Dieu.

Elle est inconnue : Dieu seul peut en donner la connaissance. Il est impossible à l'âme de la trouver par elle-même et d’y marcher, si elle n'est éclairée et conduite par l’Esprit-Saint. Or, L’Esprit-Saint n’en instruit et n'y mène que quelques âmes privilégiées.

Puisque cette voie est ouverte devant vous, ma fille, suivez avec humilité et circonspection l’attrait qui vous y porte. Je vous soutiendrai et vous éclairerai; lorsque vous en aurez besoin, appelez-moi à votre aide, je me hâterai d’accourir.

Que ce soit pendant la sainte messe ou après la communion, pendant la prière ou la méditation, suivez toujours l’attrait qui vous sera donné; mais suivez-le comme je vous ai appris à le faire, c'est-à-dire en vous occupant de Dieu ou de ce qui est à Dieu, et vous reposant en lui. Si vous faites ainsi, soyez tranquille, vous agirez selon le bien.

Ma fille, dans votre conduite, cherchez plutôt à faire la volonté de Dieu que votre volonté. Cherchez plutôt le bon plaisir de Dieu que le vôtre. Qu’il vous conduise d’une manière ou d'une autre, que vous importe, pourvu que vous fassiez sa volonté !

O Marie ! Ma chère fille, vous êtes petite sur la terre; mais je vous donnerai une place élevée dans mon royaume.

Communiquez tout ce qui se passe en vous à votre directeur, et suivez ensuite ses conseils. Quelque chose que vous éprouviez, dites-lui tout, et puis demeurez calme et tranquille. »

Voilà, Monsieur, ce que je désirais vous soumettre pour vous supplier de m’accorder le secours de vos prières. J’en ai ressenti et j’en ressentirai toujours les salutaires effets, parce que je crois qu'elles vous sont inspirées par la charité que vous avez pour moi.

Je ne puis vous en témoigner toute ma reconnaissance; mais vous savez que Dieu ne laissera pas sans rémunération ce que vous faites pour la plus humble de ses servantes.

Je vous prie de recevoir, Monsieur le Curé, l’hommage de la plus haute considération avec laquelle j’ai l’honneur d'être

Votre très humble et très soumise servante,

Marie.

Mimbaste, 25 juillet 1843.

   

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