Monsieur le Curé,
L’état où je me
trouvais depuis quelque temps me causait un peu de peine. Pendant
mes prières, pendant la sainte messe ou dans mes communions, j’étais
pour ainsi dire sans sentiment. J'étais complètement absorbée par
une douceur ineffable qui remplissait toute mon âme et m'empêchait
de lire et de prier pour m’obliger à suivre l’attrait de cette
douceur. J’en ai parlé au Sauveur Jésus, et lui ai dit : Seigneur,
je ne sais ce que je sens, ni comment je me trouve; vous qui le
savez, daignez m’éclairer, m’instruire et me faire connaître de
quelle manière je dois agir.
« Ma chère fille, me
répondit le Sauveur Jésus, oui, je vous connais, je sais ce que vous
éprouvez, je sais ce que vous êtes. Vous n’êtes encore qu'une
apprentie, qu'une jeune novice, qui ne sait encore de quelle manière
elle doit se conduire dans la voie nouvelle où je veux vous faire
entrer. Cette douceur qui remplit votre âme, et, comme un doux
sommeil, l’endort pour la laisser reposer en Dieu, tandis que votre
corps est sans mouvement et votre cœur sans action sous le poids de
cette béatitude qui vous pénètre en vous attachant à moi, est une
grâce que je me plais à vous accorder, et qui, loin de vous
attrister ou de vous faire de la peine, doit exciter votre plus vive
reconnaissance envers votre Sauveur.
Goûtez cette douceur
quand vous l’éprouverez; suivez l’attrait qu'elle vous donnera et
qui l’aura produite.
Voici, ma fille,
comment vous devez recevoir cette douceur et cet attrait; comment
vous devez le suivre et agir quand vous l’éprouverez.
Je vous ai déjà parlé
de l’oraison. Elle est un entretien, une communication de l'âme avec
Dieu par des paroles, des sentiments, des pensées et des affections;
en un mot, c'est une élévation de l'âme vers Dieu. Cette élévation
doit être opérante, c'est-à-dire qu'elle doit offrir à Dieu les
devoirs de l'âme et lui demander sa grâce, car c'est là le but de
l'oraison.
Quand vous vous y
trouvez sans sentiments, sans attraits, tâchez d’en exciter de bons
en vous par quelque lecture ou quelque pensée pieuse. Si vous ne
pouvez lire ni vous arrêter à quelque bonne pensée, mais que vous
ressentiez immédiatement cette douceur et cet attrait qui fait
goûter Dieu, bien que vous n’ayez ni sentiments ni pensées
sensibles, demeurez en cet état, cet état est le degré de la
perfection dans l’oraison, et cette oraison est encore plus ou moins
parfaite, selon que ce degré de repos est aussi plus ou moins
parfait. C'est là l’état des bienheureux dans le ciel, le repos dans
la vue et l’amour de Dieu.
Or, ma fille, vous
devez grandir et croître en cette nouvelle voie dont vous n’avez pas
encore franchi le premier degré. Armez-vous donc de vigilance et
d’humilité; sans cela, vous descendrez au lieu de monter, et vous
deviendrez semblable à ces âmes qui, après s’être élevées comme des
aigles dans le ciel, tombent à terre pour être comparées aux plus
vils animaux. Soyez vigilante et soyez humble : vigilante pour
marcher en avant; humble pour demeurer amie de Dieu et rester dans
la vérité, qui vous dira que vous n’êtes rien par vous-même; soyez
circonspecte aussi, afin de ne point vous laisser séduire et de ne
point vous laisser entraîner dans les choses vaines, inutiles ou
mauvaises; car il n'y a que les choses saintes qui mènent à Dieu.
Cette voie est
non-seulement inconnue, mais elle est encore aussi périlleuse que
toutes les autres.
Elle est périlleuse :
on peut donc faire dans cette voie des chutes déplorables; par
conséquent, il faut y prendre garde, et ne s'y reposer qu'en Dieu et
sur Dieu.
Elle est inconnue :
Dieu seul peut en donner la connaissance. Il est impossible à l'âme
de la trouver par elle-même et d’y marcher, si elle n'est éclairée
et conduite par l’Esprit-Saint. Or, L’Esprit-Saint n’en instruit et
n'y mène que quelques âmes privilégiées.
Puisque cette voie est
ouverte devant vous, ma fille, suivez avec humilité et
circonspection l’attrait qui vous y porte. Je vous soutiendrai et
vous éclairerai; lorsque vous en aurez besoin, appelez-moi à votre
aide, je me hâterai d’accourir.
Que ce soit pendant la
sainte messe ou après la communion, pendant la prière ou la
méditation, suivez toujours l’attrait qui vous sera donné; mais
suivez-le comme je vous ai appris à le faire, c'est-à-dire en vous
occupant de Dieu ou de ce qui est à Dieu, et vous reposant en lui.
Si vous faites ainsi, soyez tranquille, vous agirez selon le bien.
Ma fille, dans votre
conduite, cherchez plutôt à faire la volonté de Dieu que votre
volonté. Cherchez plutôt le bon plaisir de Dieu que le vôtre. Qu’il
vous conduise d’une manière ou d'une autre, que vous importe, pourvu
que vous fassiez sa volonté !
O Marie ! Ma chère
fille, vous êtes petite sur la terre; mais je vous donnerai une
place élevée dans mon royaume.
Communiquez tout ce qui
se passe en vous à votre directeur, et suivez ensuite ses conseils.
Quelque chose que vous éprouviez, dites-lui tout, et puis demeurez
calme et tranquille. »
Voilà, Monsieur, ce que
je désirais vous soumettre pour vous supplier de m’accorder le
secours de vos prières. J’en ai ressenti et j’en ressentirai
toujours les salutaires effets, parce que je crois qu'elles vous
sont inspirées par la charité que vous avez pour moi.
Je ne puis vous en
témoigner toute ma reconnaissance; mais vous savez que Dieu ne
laissera pas sans rémunération ce que vous faites pour la plus
humble de ses servantes.
Je vous prie de
recevoir, Monsieur le Curé, l’hommage de la plus haute considération
avec laquelle j’ai l’honneur d'être
Votre très humble et
très soumise servante,
Marie.
Mimbaste, 25 juillet
1843. |