Monsieur Dupont fut
profondément touché par la mort de sœur Marie de Saint-Pierre.
Il en ressentit, non pas de la tristesse, mais plutôt de la
joie, car « à ses yeux une sainte mort était un jour de joie, un
commencement de gloire pour l’humble vierge et pour son œuvre de
prédilection. Il avait assisté aux obsèques le visage rayonnant,
et conduit comme en triomphe sa dépouille mortelle au cimetière
de Saint-Jean-des-Coups — ancien cimetière, ainsi nommé à cause
de la défaite sanglante que subirent les Normands au IX siècle à
l’aspect des reliques de saint Martin —, lieu qui lui était déjà
bien cher, puisqu’il y avait conduit six mois auparavant le
corps d’Henriette, sa fille unique et bien-aimée. Quand il reçut
du Carmel la notice nécrologique, il la lut avec un véritable
transport d’admiration.
“Sit Nomen
Domini benedictum !
Nous touchons,
je crois, à la réalisation des vœux de la vénérable sœur, apôtre
de l’œuvre réparatrice. Il est impossible que la circulaire ne
produise pas un grand effet dans le monde chrétien, et le monde
chrétien s’occupera à demander grâce et miséricorde. Que Dieu en
soit bénit, et son saint Nom glorifié à jamais !”
Dès lors une de ses
pratiques fut d’aller souvent prier sur la tombe de cette sœur
vénéré et de veiller à son entretien. Il se rendait de la tombe
de sa fille à la tombe de la carmélite, et lui recommandait
toutes les affaires qui l’intéressaient. Outre qu’il avait au
plus haut degré le culte des morts, il professait une très
grande confiance dans le crédit qu’il croyait que Marie de
Saint-Pierre devait avoir au ciel. Il envoyait fréquemment prier
au cimetière Saint-Jean les personnes qui venaient de loin lui
confier leurs besoins. En y allant un jour lui-même, il disait à
un prêtre qui l’accompagnait : “C’est là un de mes secrets,
de m’adresser à cette sainte âme pour obtenir quelque grâce de
Dieu.” Sous son impulsion, le sépulcre de la fille du Carmel
recevait de nombreuses visites.
Afin de perpétuer
cette sorte de pèlerinage et témoigner de plus en plus sa
vénération pour la mémoire de la défunte, il se chargea
d’acheter en son nom et à ses frais, une concession trentenaire
dont il remit à la communauté l’acte daté du 27 septembre 1854.
Mais,
disait-il, Dieu peut faire plus encore pour glorifier sa
fidèle servante. Il faudrait, dans une circonstance que lui seul
connaît, une translation du cimetière au Carmel.” Ce pieux
désir ne tarda pas à se réaliser. Trois ans après, à la suite de
la grande inondation de la Loire en 1856, le cimetière ayant été
transféré hors la ville, Monsieur Dupont saisit cette occasion
de faire exhumer les restes de Marie de Saint-Pierre pour les
restituer à son monastère. Le 13 novembre 1857, anniversaire du
jour où la sœur était entrée en religion, dès grand matin, il
accompagnait l’inspecteur des cimetières pour procéder à
l’ouverture du tombeau. Un coffre en bois de noyer doublé de
zinc avait été préparé. Monsieur Dupont, avec les soins les plus
minutieux et un religieux respect, y déposa les ossements,
faisant recueillir jusqu’aux moindres débris; et à la grande
joie de la Mère prieure et de toutes ses religieuses, il obtint
de l’autorité compétente que ces précieux restes fussent déposés
à l’intérieur du monastère dans la salle du chapitre, où ils
sont encore. L’endroit correspond à la partie de la chapelle qui
est à droite en entrant. Une pierre fixée dans la muraille,
auprès du bénitier, porte cette simple inscription :
ICI REPOSE
SŒUR MARIE DE SAINT-PIERRE DE LA SAINTE FAMILLE
PROFESSE DE CE MONASTÈRE
DÉCÉDÉE LE 8 JUILLET 1848
ÂGÉE DE TRENTE ET UN ANS ET NEUF MOIS
AYANT DE RELIGION NEUF ANS ET HUIT MOIS
Seigneur, vous la cacherez dans les secrets de votre Face »
« Dès que la
servante de Dieu eut rendu le dernier soupir, la conviction de
son bonheur remplit tous les cœurs affligés de sa perte; on se
sentait porté à l’invoquer plutôt qu’à prier pour elle; chacune
se rappelait ses vertus et disait hautement qu’elle était une
sainte ; cependant elles ignoraient encore les rares faveurs et
les communications dont le Seigneur avait comblé son épouse.
Elle devint dans la communauté l’objet de la vénération
générale ; on ambitionnait les moindres objets dont elle s’était
servie ; on approchait d’elle avec respect, et on lui faisait
toucher des objets de piété ; on eût désiré ne pas se séparer de
ses restes précieux. Sa figure respirait un air de paix et de
bonheur ; ses membres, qui pendant sa maladie étaient raides par
l’excès de sa maigreur et de ses souffrances, devinrent souples
et flexibles aussitôt après son décès. Une sœur qui couchait
près de l’infirmerie, ressentit d’abord un peu de la frayeur
naturelle qu’inspire la mort; mais tout d’un coup elle se trouva
changée par une persuasion intime que la défunte était au ciel,
ce qui la rassura pleinement et produisit en son âme un
encouragement à la vertu.
Cependant il y eut
une qui, en quelque sorte malgré elle, ne partageait pas cette
opinion de sainteté qu’avaient sur Marie de Saint-Pierre ses
autres compagnes. Elle ne lui avait point vu sans doute
commettre de fautes ; mais sa vie si simple, si commune, ne lui
paraissait pas mériter tant d’éloges. Préoccupée néanmoins du
désaccord où elle se sentait avec tout le monde, elle avait un
mois environ avant la mort de la sœur, adressé à Dieu du fond du
cœur cette prière: “Mon Dieu, si Marie de Saint-Pierre est
aussi sainte qu’on le dit, faites-le-moi connaître en me donnant
du soulagement — cette religieuse était malade —, de
manière que je puisse prendre part aux exercices de la
communauté.” Elle fut aussitôt
exaucée, et put suivre immédiatement les exercices du chœur à la
surprise de toutes. Pourtant elle ne se rendit pas à cette
première faveur ; elle ne changea d’opinion qu’au trépas de la
sœur, et voici comment. Pendant la nuit, elle eut un songe dont
les circonstances lui donnèrent fort à penser. Il lui semblait
être avec les autres autour du lit de la mourante, qui expirait
sous ses yeux; et aussitôt elle la vit ressusciter sous la forme
d’un enfant, le plus beau qu’elle eût jamais vu, qui descendit
de son lit, vint embrasser toutes les sœurs, excepté elle, et
disparut pour ne plus revenir. Le lendemain à la communion, elle
se trouva complètement changée. La vie de sa pieuse compagne se
présenta à son esprit avec des caractères de sainteté qu’elle
n’avait pas remarqués, et elle regretta de ne connaître la
valeur d’un si précieux trésor qu’après l’avoir perdu.
Pendant que notre
chère sœur fut exposée au chœur, sur son lit funèbre, un grand
nombre de personnes du dehors vinrent la visiter ; on la
regardait avec bonheur et plusieurs répétaient : “Elle est
comme un ange! ah! qu’elle prie pour nous !” Une affluence
considérable assista à son convoi; tous, et particulièrement
ceux qui l’avaient davantage connue, donnaient des larmes et des
bénédictions à sa mémoire.
On remarqua,
pendant la cérémonie des funérailles, qui dura environ une heure
et demie, que les quatre cierges, placés aux angles du cercueil,
brûlaient sans se consumer. Ils restèrent cependant si bien
allumés qu’on eut de la peine à les éteindre, et il y avait un
courant d’air si fort que ceux des sœurs diminuèrent beaucoup.
Ce fait, que nous nous abstenons de qualifier, se vérifia à
l’aide d’un cinquième cierge qui n’avait point servi parce qu’il
était plus court que les quatre autres: la même différence entre
eux fut trouvée lorsqu’on les mesura après la cérémonie.
Le ciel donna
d’autres témoignages en faveur de l’humble carmélite: plusieurs
personnes eurent recours à son intercession et ont assuré en
avoir ressenti les effets d’une manière extraordinaire. Dès que
la nouvelle de sa mort fut répandue, on demanda de toutes parts
des choses qui avaient été à son usage
;
et, en divers endroits fort éloignés les uns des autres, on
s’aperçut que les petites parcelles de ses vêtements exhalaient
une odeur balsamique très prononcée, qui ne ressemblait à aucun
autre parfum connu : c’était un baume céleste qui pénétrait
jusqu’aux âmes, dans lesquelles il excitait l’amour de Dieu et
de la vertu. Des personnes de grande considération, religieuses
et séculières, ont attesté le fait ; et l’une d’elles assure
même qu’en ouvrant une boite qui avait contenu quelque temps ces
petits morceaux d’étoffe, il en sortait une émanation si suave,
qu’on eût dit d’un bouquet de fleurs.
Une dame d’Igouville,
au diocèse de Rouen, était prise d’une fièvre d’une nature
pernicieuse à laquelle les médecins ne voyaient point de remède.
On envoya à la malade un morceau du voile de la sœur
Saint-Pierre ; à peine lui fut-il appliqué qu’elle sentit un
grand travail intérieur s’accomplir en elle, et cela pendant
quatre heures ; la crise fatale, dont les premiers symptômes
s’étaient déjà annoncés, ne survint pas; la nuit fut bonne, et
le lendemain cette dame était hors de danger. »
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