CHEMIN DE SAINTETÉ

adveniat regnum tuum

Sœur Marie de Saint-Pierre
(Perrine Éluère)
1816-1848

JOURNAL SPIRITUEL

59
“Si le grain ne pourrit pas...”
Les grâces

Mr Dupont et sœur Saint-Pierre

Monsieur Dupont fut profondément touché par la mort de sœur Marie de Saint-Pierre. Il en ressentit, non pas de la tristesse, mais plutôt de la joie, car « à ses yeux une sainte mort était un jour de joie, un commencement de gloire pour l’humble vierge et pour son œuvre de prédilection. Il avait assisté aux obsèques le visage rayonnant, et conduit comme en triomphe sa dépouille mortelle au cimetière de Saint-Jean-des-Coups — ancien cimetière, ainsi nommé à cause de la défaite sanglante que subirent les Normands au IX siècle à l’aspect des reliques de saint Martin —, lieu qui lui était déjà bien cher, puisqu’il y avait conduit six mois auparavant le corps d’Henriette, sa fille unique et bien-aimée. Quand il reçut du Carmel la notice nécrologique, il la lut avec un véritable transport d’admiration.

“Sit Nomen Domini benedictum !

Nous touchons, je crois, à la réalisation des vœux de la vénérable sœur, apôtre de l’œuvre réparatrice. Il est impossible que la circulaire ne produise pas un grand effet dans le monde chrétien, et le monde chrétien s’occupera à demander grâce et miséricorde. Que Dieu en soit bénit, et son saint Nom glorifié à jamais !”[1]

Dès lors une de ses pratiques fut d’aller souvent prier sur la tombe de cette sœur vénéré et de veiller à son entretien. Il se rendait de la tombe de sa fille à la tombe de la carmélite, et lui recommandait toutes les affaires qui l’intéressaient. Outre qu’il avait au plus haut degré le culte des morts, il professait une très grande confiance dans le crédit qu’il croyait que Marie de Saint-Pierre devait avoir au ciel. Il envoyait fréquemment prier au cimetière Saint-Jean les personnes qui venaient de loin lui confier leurs besoins. En y allant un jour lui-même, il disait à un prêtre qui l’accompagnait : “C’est là un de mes secrets, de m’adresser à cette sainte âme pour obtenir quelque grâce de Dieu.” Sous son impulsion, le sépulcre de la fille du Carmel recevait de nombreuses visites.

Afin de perpétuer cette sorte de pèlerinage et témoigner de plus en plus sa vénération pour la mémoire de la défunte, il se chargea d’acheter en son nom et à ses frais, une concession trentenaire dont il remit à la communauté l’acte daté du 27 septembre 1854.

Mais, disait-il, Dieu peut faire plus encore pour glorifier sa fidèle servante. Il faudrait, dans une circonstance que lui seul connaît, une translation du cimetière au Carmel.” Ce pieux désir ne tarda pas à se réaliser. Trois ans après, à la suite de la grande inondation de la Loire en 1856, le cimetière ayant été transféré hors la ville, Monsieur Dupont saisit cette occasion de faire exhumer les restes de Marie de Saint-Pierre pour les restituer à son monastère. Le 13 novembre 1857, anniversaire du jour où la sœur était entrée en religion, dès grand matin, il accompagnait l’inspecteur des cimetières pour procéder à l’ouverture du tombeau. Un coffre en bois de noyer doublé de zinc avait été préparé. Monsieur Dupont, avec les soins les plus minutieux et un religieux respect, y déposa les ossements, faisant recueillir jusqu’aux moindres débris; et à la grande joie de la Mère prieure et de toutes ses religieuses, il obtint de l’autorité compétente que ces précieux restes fussent déposés à l’intérieur du monastère dans la salle du chapitre, où ils sont encore. L’endroit correspond à la partie de la chapelle qui est à droite en entrant. Une pierre fixée dans la muraille, auprès du bénitier, porte cette simple inscription :

ICI REPOSE
SŒUR MARIE DE SAINT-PIERRE DE LA SAINTE FAMILLE
PROFESSE DE CE MONASTÈRE
DÉCÉDÉE LE 8 JUILLET 1848
ÂGÉE DE TRENTE ET UN ANS ET NEUF MOIS
AYANT DE RELIGION NEUF ANS ET HUIT MOIS
Seigneur, vous la cacherez dans les secrets de votre Face »
[2]
 

Les grâces... [3]

« Dès que la servante de Dieu eut rendu le dernier soupir, la conviction de son bonheur remplit tous les cœurs affligés de sa perte; on se sentait porté à l’invoquer plutôt qu’à prier pour elle; chacune se rappelait ses vertus et disait hautement qu’elle était une sainte ; cependant elles ignoraient encore les rares faveurs et les communications dont le Seigneur avait comblé son épouse. Elle devint dans la communauté l’objet de la vénération générale ; on ambitionnait les moindres objets dont elle s’était servie ; on approchait d’elle avec respect, et on lui faisait toucher des objets de piété ; on eût désiré ne pas se séparer de ses restes précieux. Sa figure respirait un air de paix et de bonheur ; ses membres, qui pendant sa maladie étaient raides par l’excès de sa maigreur et de ses souffrances, devinrent souples et flexibles aussitôt après son décès. Une sœur qui couchait près de l’infirmerie, ressentit d’abord un peu de la frayeur naturelle qu’inspire la mort; mais tout d’un coup elle se trouva changée par une persuasion intime que la défunte était au ciel, ce qui la rassura pleinement et produisit en son âme un encouragement à la vertu.

Cependant il y eut une qui, en quelque sorte malgré elle, ne partageait pas cette opinion de sainteté qu’avaient sur Marie de Saint-Pierre ses autres compagnes. Elle ne lui avait point vu sans doute commettre de fautes ; mais sa vie si simple, si commune, ne lui paraissait pas mériter tant d’éloges. Préoccupée néanmoins du désaccord où elle se sentait avec tout le monde, elle avait un mois environ avant la mort de la sœur, adressé à Dieu du fond du cœur cette prière: “Mon Dieu, si Marie de Saint-Pierre est aussi sainte qu’on le dit, faites-le-moi connaître en me donnant du soulagement — cette religieuse était malade —, de manière que je puisse prendre part aux exercices de la communauté.” Elle fut aussitôt exaucée, et put suivre immédiatement les exercices du chœur à la surprise de toutes. Pourtant elle ne se rendit pas à cette première faveur ; elle ne changea d’opinion qu’au trépas de la sœur, et voici comment. Pendant la nuit, elle eut un songe dont les circonstances lui donnèrent fort à penser. Il lui semblait être avec les autres autour du lit de la mourante, qui expirait sous ses yeux; et aussitôt elle la vit ressusciter sous la forme d’un enfant, le plus beau qu’elle eût jamais vu, qui descendit de son lit, vint embrasser toutes les sœurs, excepté elle, et disparut pour ne plus revenir. Le lendemain à la communion, elle se trouva complètement changée. La vie de sa pieuse compagne se présenta à son esprit avec des caractères de sainteté qu’elle n’avait pas remarqués, et elle regretta de ne connaître la valeur d’un si précieux trésor qu’après l’avoir perdu.

Pendant que notre chère sœur fut exposée au chœur, sur son lit funèbre, un grand nombre de personnes du dehors vinrent la visiter ; on la regardait avec bonheur et plusieurs répétaient : “Elle est comme un ange! ah! qu’elle prie pour nous !” Une affluence considérable assista à son convoi; tous, et particulièrement ceux qui l’avaient davantage connue, donnaient des larmes et des bénédictions à sa mémoire.

On remarqua, pendant la cérémonie des funérailles, qui dura environ une heure et demie, que les quatre cierges, placés aux angles du cercueil, brûlaient sans se consumer. Ils restèrent cependant si bien allumés qu’on eut de la peine à les éteindre, et il y avait un courant d’air si fort que ceux des sœurs diminuèrent beaucoup. Ce fait, que nous nous abstenons de qualifier, se vérifia à l’aide d’un cinquième cierge qui n’avait point servi parce qu’il était plus court que les quatre autres: la même différence entre eux fut trouvée lorsqu’on les mesura après la cérémonie.

Le ciel donna d’autres témoignages en faveur de l’humble carmélite: plusieurs personnes eurent recours à son intercession et ont assuré en avoir ressenti les effets d’une manière extraordinaire. Dès que la nouvelle de sa mort fut répandue, on demanda de toutes parts des choses qui avaient été à son usage [4] ; et, en divers endroits fort éloignés les uns des autres, on s’aperçut que les petites parcelles de ses vêtements exhalaient une odeur balsamique très prononcée, qui ne ressemblait à aucun autre parfum connu : c’était un baume céleste qui pénétrait jusqu’aux âmes, dans lesquelles il excitait l’amour de Dieu et de la vertu. Des personnes de grande considération, religieuses et séculières, ont attesté le fait ; et l’une d’elles assure même qu’en ouvrant une boite qui avait contenu quelque temps ces petits morceaux d’étoffe, il en sortait une émanation si suave, qu’on eût dit d’un bouquet de fleurs.

Une dame d’Igouville, au diocèse de Rouen, était prise d’une fièvre d’une nature pernicieuse à laquelle les médecins ne voyaient point de remède. On envoya à la malade un morceau du voile de la sœur Saint-Pierre ; à peine lui fut-il appliqué qu’elle sentit un grand travail intérieur s’accomplir en elle, et cela pendant quatre heures ; la crise fatale, dont les premiers symptômes s’étaient déjà annoncés, ne survint pas; la nuit fut bonne, et le lendemain cette dame était hors de danger. »


[1] Mot qu’il envoya à Mère Marie de l’Incarnation, prieure du Carmel de Tours.
[2] — Abbé Janvier: “Vie de la Sœur Saint-Pierre”. Larcher - Paris 1884.
[3] Annales du Carmel de Tours. Page 83 et suivantes.
[4] Nous avons eu soin, en accédant à ce pieux désir, de signifier que ces choses devaient être regardées comme simple souvenir, et non point comme objets d’une vénération due seulement aux reliques des saints reconnus par l’Église. (Note de la Circulaire du Carmel).

   

 

Pour toute suggestion, toute observation ou renseignement sur ce site,
adressez vos messages à :

 voiemystique@free.fr