« Comment vous
exprimer, ma Révérende Mère, par de faibles paroles des choses
aussi incompréhensibles ? Cependant, avec le secours du saint
Enfant-Jésus, j’essayerai d’en balbutier quelques mots, qui,
quoique imparfaitement dits, pourront néanmoins vous donner
lumière sur l’état actuel de mon âme.
Ah ! si je savais
écrire, si je savais parler! Non, jamais jusqu’ici je n’avais
bien connu le précieux don que Jésus nous a fait en nous léguant
sa Mère. O mystère de clémence et d’amour ! Aussitôt qu’il nous
eut enfantés sur la croix, au milieu des plus affreuses
souffrances, il a remis tous ces nouveau-nés entre les bras de
Marie, la plus tendre des mères, afin qu’elle les nourrît et les
élevât pour la vie éternelle. Dans cette vue, il a rempli son
sein du lait de la grâce et de la miséricorde; il a fait cette
divine Mère légataire des biens immenses qu’il avait acquis
pendant sa laborieuse vie et sa douloureuse passion, afin
qu’elle devînt le canal admirable d’où découleraient des mérites
infinis sur la sainte Église, son Épouse.
J’ai encore été
éclairée sur ce mystère: le Saint-Esprit, du plus pur sang de
Marie, avait formé le corps adorable de notre divin Sauveur. Ce
corps sacré était né de cette tendre Mère, elle avait des droits
sur lui; c’est pourquoi, après sa mort, il a été déposé entre
ses bras maternels. Cet aimable Jésus m’a fait entendre qu’il
avait voulu lui rendre tout ce qu’il avait reçu d’elle pour
opérer la rédemption du monde. Elle l’avait nourri de son lait
très pur; Jésus, pour la remercier, lui a remis son sang, dont
il l’a faite la dépositaire: oui, elle était là, debout au pied
de la croix, afin de recevoir ce dépôt dans le précieux vaisseau
de son cœur maternel! Marie avait donné à Jésus son corps
adorable, et Jésus le lui a rendu après sa mort, orné de ses
glorieuses plaies, afin qu’elle puisât, dans ses fontaines
sacrées, la vie éternelle pour les enfants que son amour lui
avait engendrés avant son dernier soupir. Oui, Jésus est à Marie
avec tous ses trésors, et Marie est aux hommes avec toutes ses
tendresses! Oh qu’elle est grande la miséricorde de cette Mère !
Elle nous tend ses bras bienfaisants, elle nous invite à puiser
le lait de la grâce sur son sein virginal : son Cœur est
toujours ouvert pour nous recevoir.
— Tant que
l’homme est sur la terre, il est dans un état d’enfance ; au
ciel seulement il sera dans l’âge parfait ; c’est pourquoi il
doit sans cesse recourir à sa Mère comme un petit enfant.
Oui, je le vois
clairement dans la lumière de Dieu, l’homme doit sans cesse
recourir à la très sainte Vierge, sa Mère, s’il veut parvenir à
l’âge parfait de la vie éternelle. Voilà les deux grands
mystères de la maternité de Marie que l’Enfant-Jésus veut
m’apprendre : Marie, Mère de Dieu, et Marie, Mère de l’homme.
C’est pourquoi il m’applique continuellement à le considérer au
sein de sa Mère, se nourrissant de son lait virginal, afin de
m’apprendre par son exemple à recourir à elle, pour me nourrir
du lait de ses vertus
Elle
m’a fait comprendre que, de même qu’elle choisit certains lieux,
afin d’y répandre ses grâces avec profusion, ainsi elle
choisirait mon âme pour en faire le théâtre de ses miséricordes.
Je n’ai pas tardé à ressentir l’effet de cette promesse, car
aujourd’hui, après la sainte communion, l’Enfant-Jésus,
m’apparaissant au sein de sa divine Mère, m’a fait connaître
plus clairement sa volonté: ce grand mystère est un trésor caché
dans le champ de son Église, et il le découvre à qui il lui
plaît. Il y a eu des âmes chargées par lui d’honorer les
mystères de sa Passion; à cet effet, il les a marquées de ses
sacrés stigmates; mais, pour moi, il me charge, malgré mon
indignité, de porter l’état de sa petite enfance. Déjà il m’a
préparée lui-même à cette faveur. Voici qu’aujourd’hui il
daigne, par la sainte communion, m’unir à lui et me faire entrer
dans son Cœur adorable, afin que je m’approche du sein virginal
de son auguste Mère ; c’est lui qui me conduit à cette source de
grâces et de bénédictions, me disant de puiser le lait de la
divine miséricorde dans l’esprit de charité avec lequel il a
puisé lui-même; car il a pris ce lait pour tous les hommes, et,
pour tous les hommes, il l’a répandu en versant son sang sur la
croix. Je dois, à son exemple, m’approprier cette mystérieuse
liqueur sur le sein de Marie, au nom de tous mes frères, et la
répandre ensuite sur le monde entier, comme une rosée céleste,
pour rafraîchir et purifier la terre dévorée par le feu de la
concupiscence et pleine de corruption.
— Je veux que
vous soyez bien petite, mais que vous ayez un grand cœur.
Voici une petite
prière qui m’a été inspirée, avec laquelle je dois recueillir
cette liqueur mystérieuse sur le sein maternel de Marie :
O très sainte et
très digne Mère de Dieu, faites couler à grand flots sur tous
les hommes, qui sont vos enfants, le lait de la grâce et de la
miséricorde.
[La très sainte
Vierge m’a dit que je devais] bien connaître le grand
privilège qui m’était accordé par la bonté de son Fils.
Ma très Révérende
Mère, comment vous expliquer ce que j’ai ressenti pendant cette
opération de la grâce. Oh! que c’est une chose admirable et
incompréhensible de se trouver, comme un petit enfant, dans
l’union de Jésus sur le sein de sa Mère, la divine Marie ! Oh !
comme elle donne abondamment ce lait de miséricorde : La source,
m’a-t-elle dit, est intarissable.
Mais, hélas ! qui
suis-je, moi misérable et indigne, pour ainsi députée afin de
puiser à cette fontaine pour le salut des pécheurs ? Je me suis
prosternée la face contre terre, confessant à Dieu mon indignité
pour une telle mission; mais le Seigneur choisit toujours les
instruments les plus faibles pour faire éclater davantage sa
puissance.
Je dois répondre
d’après les lumières que j’ai reçues à ce sujet:
— Le lait très pur
de la sainte Vierge, dira-t-on, est vénérable ; saint Louis, roi
de France, en avait apporté quelques gouttes de la Terre-Sainte,
et il les estimait comme une des plus grandes richesses de son
trésor royal ; mais il sera toujours vrai de dire que ce lait
sacré de Marie n’a pas la vertu de purifier les pécheurs. Ce
privilège n’appartient qu’au sang précieux du Sauveur. C’est
précisément le raisonnement que je faisait moi-même, lorsque
Notre-Seigneur daigna m’instruire. Voici, à peu près, ce qu’il
m’a enseigné: il est certain que le lait proprement dit de la
substance de la très sainte Vierge, dont a été nourri le Verbe
incarné dans son enfance, n’avait point alors la vertu de
sanctifier les âmes, ce serait une erreur de le croire; mais ce
lait sacré, ayant rempli les veines adorables de notre Sauveur,
est devenu le sang d’un Dieu. Par la rédemption, nous avons été
faits enfants du Père céleste et frères de Notre-Seigneur
Jésus-Christ; la Mère de Jésus est devenue notre Mère. Alors le
Sauveur l’a établie dépositaire des richesses et des mérites
infinis de sa vie et de sa Passion; il lui a rendu le corps et
le sang adorables qu’il avait reçus d’elle; il a rempli ses
mamelles d’un lait mystérieux et divin, pour nourrir les
nouveaux enfants qu’il avait engendrés sur la croix, et dont
elle est la Mère dans l’ordre de la grâce. Ainsi, quand
Notre-Seigneur m’envoie au sein de Marie chercher le lait de la
miséricorde pour le salut des pécheurs, il n’y a en ce procédé
rien de contraire à la foi, ni à la doctrine de l’Église, qui
nomme la très sainte Vierge le refuge des pécheurs, la
trésorière de son Fils. Les mamelles virginales et le lait
mystérieux dont j’ai parlé dans cette relation sont l’image des
douceurs de la grâce, et la figure de l’effusion de la
miséricorde. »
« Je vous salue, ô
Marie, conçue sans péché, vigne mystérieuse, qui avez produit la
divine grappe de raisin foulé plus tard au pressoir de la croix:
il en est sorti un vin sacré, déposé dans le précieux vaisseau
de votre Cœur, afin que vous le distilliez sur les enfants dont
vous êtes devenue la Mère sur la montagne du Calvaire!»
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