CHEMIN DE SAINTETÉ

adveniat regnum tuum

Sœur Marie de Saint-Pierre
(Perrine Éluère)
1816-1848

JOURNAL SPIRITUEL

46
La “petite voie”

Introduction

« Malgré ma répugnance à mettre par écrit les dispositions actuelles de mon âme, je le ferai cependant de bon cœur, pour pratiquer l’obéissance et la simplicité du saint Enfant-Jésus, que je veux imiter. Comme j’ai la confiance que vous mettrez ce papier au feu, je vous parlerai avec la simplicité d’un petit enfant, et vous rendrez compte de ce qui s’est passé en mon âme depuis la fête de saint Jean-Baptiste jusqu’à ce jour.

Ma Révérende Mère, mon âme, depuis cette époque, a été appliquée à adorer le Verbe incarné à la mamelle de sa sainte Mère. Oh! que ce mystère est ineffable! L’âme est toute ravie d’un tel prodige; un Dieu, enfant d’une Vierge! Celui qui a parlé par les prophètes, et qui a donné sa loi aux hommes au milieu des éclairs et du tonnerre, Celui enfin par qui tout a été fait, le Verbe divin, la parole éternelle du Père, est là en silence, attaché au sein de sa Mère, par obéissance à Dieu, son Père, lui faisant hommage de son pouvoir absolu en se réduisant à l’impuissance d’un petit enfant, se nourrissant d’un lait qui, bientôt changé en son sang précieux, se répandra pour le salut du monde!

Il est là ce Dieu agneau, destiné au sacrifice, attaché à la mamelle de sa sainte Mère par la même obéissance qui bientôt l’attachera à la croix. Oh! que cette contemplation est ravissante! Mais, après avoir considéré avec respect et amour ce divin Enfant, mon esprit se porte sur son auguste Mère. Ah! quels devaient être les sentiments de son cœur, en voyant son Dieu, son Créateur se nourrir de sa substance! Combien je la remercie d’avoir allaité mon Sauveur, d’avoir engraissé, si je peux m’exprimer ainsi, la victime de notre salut!

Oui, ô divine Marie, rien n’est si pur que votre sein virginal, parce que vous êtes bénie entre toutes les femmes. Il m’apparaît comme un soleil de pureté et comme une fontaine de grâces! Allons y puiser, afin de naître à l’enfance spirituelle de Jésus naissant. »

La « petite voie »

« Je dois imiter les vertus de son enfance, et, pour m’en être une fois un peu éloignée, j’ai perdu la présence de la sainte Vierge et celle de l’Enfant-Jésus pendant à peu près huit jours; mais je me suis humiliée devant Dieu au souvenir de mes profondes misères; il a lancé dans mon cœur un vif trait de contrition, j’ai pleuré amèrement mes péchés passés; bientôt, comme le père de l’enfant prodigue, il m’a donné le baiser de paix et de réconciliation, et s’est communiqué à mon âme de la manière la plus intime. Alors il m’a fait connaître la pureté, la perfection que je devais avoir pour m’unir à lui, parce qu’il est mon Dieu et mon tout; ensuite il m’a montré les faveurs qu’il me destinait, si j’étais fidèle à suivre la lumière de sa grâce.

Cette communication a changé la disposition de mon âme, j’ai retrouvé l’Enfant-Jésus au sein virginal de sa divine Mère. Notre-Seigneur m’a déclaré plusieurs fois qu’il voulait que je l’adorasse en cet état, car peu d’âmes sont capables de cette sainte application, qui demande une grande pureté de cœur. Le démon est venu me tourmenter, pour me faire abandonner mes exercices envers ce mystère; mais quand j’eus soumis mes inquiétudes au guide de mon âme et mis ses conseils en pratique, le démon a fui devant l’obéissance. »

« Mon âme est toute perdue en ce mystère ineffable; j’y pense nuit et jour. Une fois que j’étais éveillée à une heure du matin, je sentais en moi la présence de la sainte Vierge; elle me fit de nouveau connaître les trésors de grâces qu’elle renfermait dans son sein, m’invitant à puiser à cette source en pleine liberté et me pressant de faire part de mon abondance aux pauvres pécheurs. A la sainte communion, en ce même jour, l’Enfant-Jésus m’avertit de prier pour les âmes impures.

Je vous ai préparée et purifiée, me disait-il; maintenant, levez-vous, allez me chercher des âmes, afin que je règne sur elles.

Ensuite il a opéré en moi quelque chose que je ne puis comprendre: j’ai senti un poids de douleur inexprimable, j’étais comme dans un feu; mes sens étaient liés par une puissance divine. J’ai compris que l’Enfant-Jésus voulait me faire combattre le démon de l’orgueil et de l’impureté avec les vertus et les grâces de sa sainte Enfance. Vivent Jésus et Marie! »

Remarque [1]

« On sera peut-être étonné, après m’avoir vue occupée pendant quatre ans à méditer la grandeur du très saint Nom de Dieu, de me voir maintenant si attachée à un mystère qui semble, aux yeux de quelques chrétiens, le plus petit et le moins honorable dans la vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Je ne condamnerai pas ceux qui peuvent avoir cette opinion: car l’année dernière, sans les lumières que l’Enfant-Jésus et sa sainte Mère m’ont accordées, j’aurais peut-être partagé leur sentiment. Mais aujourd’hui il n’en est pas ainsi, et d’après les communications que j’ai reçues et que je reçois encore au moment où j’écris, je dirai que ce mystère, si inconnu qu’il soit au monde, est cependant grand, admirable, ineffable; sa profondeur n’est pénétrée que par l’Enfant-Jésus, qui en est l’objet, et par la Vierge sa tendre Mère.

A Dieu ne plaise que j’imite les anges rebelles, qui, après avoir contemplé la hauteur et la sublimité des perfections divines, n’ont pas voulu ensuite abaisser leurs regards orgueilleux sur les humiliations du Verbe incarné et l’adorer dans cet état d’anéantissement. Oui, ô divin Enfant, vous êtes aussi digne de nos respects et de nos adorations sur le sein virginal de votre Mère que dans le sein de votre Père éternel; vous êtes et vous serez toujours le Dieu de l’éternité. »[2]


[1] « La sœur fait suivre ce récit (ci-dessus) d’une réflexion qui mérite d’être remarquée. »
— Abbé Janvier: “Vie de la Sœur Saint-Pierre”. Larcher - Paris 1884.
[2] Document C, Lettre VI.

   

 

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