« Malgré ma
répugnance à mettre par écrit les dispositions actuelles de mon
âme, je le ferai cependant de bon cœur, pour pratiquer
l’obéissance et la simplicité du saint Enfant-Jésus, que je veux
imiter. Comme j’ai la confiance que vous mettrez ce papier au
feu, je vous parlerai avec la simplicité d’un petit enfant, et
vous rendrez compte de ce qui s’est passé en mon âme depuis la
fête de saint Jean-Baptiste jusqu’à ce jour.
Ma Révérende Mère,
mon âme, depuis cette époque, a été appliquée à adorer le Verbe
incarné à la mamelle de sa sainte Mère. Oh! que ce mystère est
ineffable! L’âme est toute ravie d’un tel prodige; un Dieu,
enfant d’une Vierge! Celui qui a parlé par les prophètes, et qui
a donné sa loi aux hommes au milieu des éclairs et du tonnerre,
Celui enfin par qui tout a été fait, le Verbe divin, la parole
éternelle du Père, est là en silence, attaché au sein de sa
Mère, par obéissance à Dieu, son Père, lui faisant hommage de
son pouvoir absolu en se réduisant à l’impuissance d’un petit
enfant, se nourrissant d’un lait qui, bientôt changé en son sang
précieux, se répandra pour le salut du monde!
Il est là ce Dieu
agneau, destiné au sacrifice, attaché à la mamelle de sa sainte
Mère par la même obéissance qui bientôt l’attachera à la croix.
Oh! que cette contemplation est ravissante! Mais, après avoir
considéré avec respect et amour ce divin Enfant, mon esprit se
porte sur son auguste Mère. Ah! quels devaient être les
sentiments de son cœur, en voyant son Dieu, son Créateur se
nourrir de sa substance! Combien je la remercie d’avoir allaité
mon Sauveur, d’avoir engraissé, si je peux m’exprimer ainsi, la
victime de notre salut!
Oui, ô divine
Marie, rien n’est si pur que votre sein virginal, parce que vous
êtes bénie entre toutes les femmes. Il m’apparaît comme un
soleil de pureté et comme une fontaine de grâces! Allons y
puiser, afin de naître à l’enfance spirituelle de Jésus
naissant. »
« Je dois imiter
les vertus de son enfance, et, pour m’en être une fois un peu
éloignée, j’ai perdu la présence de la sainte Vierge et celle de
l’Enfant-Jésus pendant à peu près huit jours; mais je me suis
humiliée devant Dieu au souvenir de mes profondes misères; il a
lancé dans mon cœur un vif trait de contrition, j’ai pleuré
amèrement mes péchés passés; bientôt, comme le père de l’enfant
prodigue, il m’a donné le baiser de paix et de réconciliation,
et s’est communiqué à mon âme de la manière la plus intime.
Alors il m’a fait connaître la pureté, la perfection que je
devais avoir pour m’unir à lui, parce qu’il est mon Dieu et mon
tout; ensuite il m’a montré les faveurs qu’il me destinait, si
j’étais fidèle à suivre la lumière de sa grâce.
Cette communication
a changé la disposition de mon âme, j’ai retrouvé l’Enfant-Jésus
au sein virginal de sa divine Mère. Notre-Seigneur m’a déclaré
plusieurs fois qu’il voulait que je l’adorasse en cet état, car
peu d’âmes sont capables de cette sainte application, qui
demande une grande pureté de cœur. Le démon est venu me
tourmenter, pour me faire abandonner mes exercices envers ce
mystère; mais quand j’eus soumis mes inquiétudes au guide de mon
âme et mis ses conseils en pratique, le démon a fui devant
l’obéissance. »
« Mon âme est toute
perdue en ce mystère ineffable; j’y pense nuit et jour. Une fois
que j’étais éveillée à une heure du matin, je sentais en moi la
présence de la sainte Vierge; elle me fit de nouveau connaître
les trésors de grâces qu’elle renfermait dans son sein,
m’invitant à puiser à cette source en pleine liberté et me
pressant de faire part de mon abondance aux pauvres pécheurs. A
la sainte communion, en ce même jour, l’Enfant-Jésus m’avertit
de prier pour les âmes impures.
— Je vous ai
préparée et purifiée, me disait-il; maintenant,
levez-vous, allez me chercher des âmes, afin que je règne sur
elles.
Ensuite il a opéré
en moi quelque chose que je ne puis comprendre: j’ai senti un
poids de douleur inexprimable, j’étais comme dans un feu; mes
sens étaient liés par une puissance divine. J’ai compris que
l’Enfant-Jésus voulait me faire combattre le démon de l’orgueil
et de l’impureté avec les vertus et les grâces de sa sainte
Enfance. Vivent Jésus et Marie! »
« On sera peut-être
étonné, après m’avoir vue occupée pendant quatre ans à méditer
la grandeur du très saint Nom de Dieu, de me voir maintenant si
attachée à un mystère qui semble, aux yeux de quelques
chrétiens, le plus petit et le moins honorable dans la vie de
Notre-Seigneur Jésus-Christ. Je ne condamnerai pas ceux qui
peuvent avoir cette opinion: car l’année dernière, sans les
lumières que l’Enfant-Jésus et sa sainte Mère m’ont accordées,
j’aurais peut-être partagé leur sentiment. Mais aujourd’hui il
n’en est pas ainsi, et d’après les communications que j’ai
reçues et que je reçois encore au moment où j’écris, je dirai
que ce mystère, si inconnu qu’il soit au monde, est cependant
grand, admirable, ineffable; sa profondeur n’est pénétrée que
par l’Enfant-Jésus, qui en est l’objet, et par la Vierge sa
tendre Mère.
A Dieu ne plaise
que j’imite les anges rebelles, qui, après avoir contemplé la
hauteur et la sublimité des perfections divines, n’ont pas voulu
ensuite abaisser leurs regards orgueilleux sur les humiliations
du Verbe incarné et l’adorer dans cet état d’anéantissement.
Oui, ô divin Enfant, vous êtes aussi digne de nos respects et de
nos adorations sur le sein virginal de votre Mère que dans le
sein de votre Père éternel; vous êtes et vous serez toujours le
Dieu de l’éternité. »
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