CHAPITRE
II
La
Jeune
Fille
1592-1604
Madeleine avait
quatorze
ans
quand
une
maladie
grave
lui
fit
voir
la
mort
de
près.
Une
vive
appréhension
—
le
P.
Gibieuf
va
jusqu'à
dire
«
Un
épouvantement » — des
jugements
de
Dieu,
la
saisit
alors.
«
Et
cette
vue
lui
laissa
une
si
forte
impression
en
son
cœur,...
que
ce
lui
fut,
confia-t-elle
depuis,
comme
un
poids
dont
elle
ne
se
sentit
point
déchargée
jusqu'à
ce
qu'elle
eût
pris
l'entière
résolution
de
quitter
le
monde.
»
Grâce
pénible
mais
précieuse,
qui,
sans
doute,
préserva
la
jeune
fille
de
bien
des
fragilités
à
une
heure
où
tout
lui
souriait
dans
la
vie.
Ces
préoccupations
sérieuses
ne
l'empêchèrent
pas
cependant
délire
alors
quelques
romans,
entraînée
qu'elle
fut
par
son
goût
prononcé
pour
la
lecture
et
par
l'exemple
de
ses
amies.
Mais
bientôt
on
lui
ouvrit
les
yeux
sur
le
danger
qu'offraient
de
semblables
livres,
et
elle
s'empressa
de
les
abandonner,
«
tellement
qu'elle
faisait
conscience
d'en
lire
un
mot
».
Elle
craignait
«
d'y
trouver
ce
qu'elle
n'aimait
pas
»,
disait-elle
plus
tard,
livrant
ainsi
le
secret
de
sa
virginale
délicatesse.
Il
y
a
plus
:
toute
sa
vie,
mais
surtout
quand
l'âge
lui
eut
donné
plus
d'autorité,
elle
s'efforça
de
détourner
les
autres
de
ce
genre
de
lectures.
Vers
le
même
temps,
Charlotte
reprenait
momentanément
sa
place
au
foyer
domestique
(2).
Le
relâchement
s'était,
en
effet,
introduit
à
Longchamp,
comme
en
bien
d'autres
couvents,
par
suite
des
guerres
civiles,
les
moniales
prenant
la
liberté
de
sortir
sous
prétexte
de
chercher
ailleurs
plus
de
sécurité.
Dans
ces
conditions,
M.
et
Mme
de
Fontaines
ne
voulurent
point
prendre
la
responsabilité
de
laisser
leur
fille
se
lier
par
la
profession,
et
la
rappelèrent
auprès
d'eux.
Mais
le
cœur
de
la
jeune
franciscaine
était
resté
dans
son
cloître,
et
pendant
les
quelques
mois
que
dura
son
exil,
«
elle
ne
put
jamais
être
détournée
du
désir
qu'elle
avait
[d'y]
retourner...,
ayant
grande
dévotion
à
la
bienheureuse
Elisabeth
de
France,
par
le
secours
de
laquelle
elle
espérait
s'y
rendre
une
vraie
et
parfaite
religieuse,
nonobstant
qu'il
y
eût
lors
défaut
en
la
régularité.
Sa
dévotion
fut
récompensée.
»
La
Sainte
lui
apparut
et
lui
donna
l'assurance
que
ses
vœux
seraient
exaucés,
ce
que
Charlotte
s'empressa
de
confier
à
Madeleine".
On
peut
croire
aussi
qu'elle
la
pria
d'intercéder
en
sa
faveur
auprès
de
leurs
parents
;
car
tous
les
frères
et
sœurs
en
agissaient
généralement
ainsi,
et
employaient
volontiers
auprès
de
M.
et
de
Mme
de
Fontaines
le
crédit
de
leur
fille
préférée.
Quoi
qu'il
en
soit,
Charlotte
vit
bientôt
son
espérance
réalisée ;
ses
parents,
reconnaissant
une
vocation
vraiment
divine
dans
un
attrait
si
persistant,
la
rendirent
enfin
à
son
abbaye.
Le
rôle
d'aînée
revenait
en
conséquence
définitivement
à
Madeleine.
A
cette
époque,
le
vénérable
grand-père,
Austremoine
du
Bois,
disparaissait
aussi
du
cercle
familial.
En
mourant
il
laissait
Fontaines
à
son
fils
Antoine,
qui
vint
alors
s'y
installer.
C'est
donc
là
que
nous
suivrons
désormais
la
Servante
de
Dieu.
Elle
avait
quinze
ou
seize
ans.
Et
déjà,
dans
la
jeune
fille
s'annonçait
la
femme
supérieure
dont
le
P.
Gibieuf
trace
ainsi
le
portrait
:
«
Comme
c'a
été
une
âme
éminente
en
la
grâce,
aussi
a-t-elle
été
accomplie
dans
les
dons
naturels,
ayant
un
esprit
vif,
pénétrant
et
lumineux,
un
jugement
rare
et
singulier,
une
prudence
plus
divine
qu'humaine,
une
mémoire
heureuse,
une
gaieté,
affabilité
et
bénignité
qui
s'insinuaient
si doucement
et
si
puissamment
dans
l'esprit
de
ceux
avec
qui
elle
conversait,
qu'on
avait
peine
à
y
résister.
Elle
était
sérieuse
et
gaie,
grave
et
douce,
forte
et accommodante,
qui
savait
distinguer
entre
ce
qui
importait
aux
affaires
et
ce
qui
n'y
importait
pas
ou
ce
qui
importait
peu,
et
qui,
tenant
ferme
dans
les
choses
principales
et
essentielles,
s'accommodait
facilement
en
tout
le
reste,
sans
que
la
force
de
son
esprit
la
rendît
arrêtée
en
cela
même
qu'elle
avait
proposé,
quand
elle
voyait
qu'elle
s'en
pouvait
départir
sans
préjudice
de
l'œuvre
qui
lui
était
commis,
ni
que
la
douceur
et
grande
facilité
la
fît
relâcher
dans
les
choses
où
il
fallait
tenir
ferme.
Elle
était
naturellement
courageuse,
elle
était
patiente
et
constante
dans
les
tribulations
et
adversités.
Elle
était
persévérante
dans
ses
desseins,
et
ayant
entrepris
une
affaire,
elle
l'ache-
minait
jusques
à
sa
fin,
sans
se
rebuter
ni
perdre
courage
pour
les
traverses
et
mauvaises
rencontres.
Et,
par
sa
grande
prudence,
elle
profitait
de
tout;-
et
savait
changer
de
moyen
sans
changer
de
dessein,
et
parvenir
à
ses
fins
par
les
mêmes
voies
qui
en
eussent
détourné
plusieurs
autres.
Et
combien
que
toutes
ces
qualités
aient
été;
notablement
augmentées
et
perfectionnées
par
la
grâce,
il
est
néanmoins
vrai
qu'elle
en
avait
des
semences
et
des
commencements
signalés
dans
la
nature,
et
que
Dieu
la
lui
avait
donnée
telle
pour
accompagner
et
soutenir
avec
dignité
la
grâce
excellente
à
laquelle
il
l'avait
prédestinée.
»
Faut-il,
après
cela,
ajouter
que
Madeleine
n'inclina
jamais
vers
la
mondanité,
bien
qu'elle
possédât
tout
ce
qu'il
fallait
pour
briller
dans
les
fêtes ?
car,
outre
ses
qualités
morales,
elle
était
physiquement,
«fort
agréable
en
sa
jeunesse
».
Mais
sa
modestie
et
sa
réserve
s'unissaient
ici
au
sérieux
de
son
caractère
pour
l'éloigner
des
divertissements
frivoles
et
de
tout
ce
qui
flatte
plus
ou
moins
la
coquetterie
féminine.
Ainsi,
elle
ne
voulait
pas
danser ;
et
lorsque
ses
parents
désirèrent
qu'elle
apprît
à
le
faire
—
car
ils
tenaient
à
donner
à
leurs
enfants
une
éducation
conforme
à
leur
rang
—,
la
Vénérable
se
jeta
au
cou
de
son
père,
le
suppliant
de
l'en
dispenser,
ce
qu'elle
finit
par
obtenir.
Jamais
non
plus
elle
ne
voulut
«
montrer
sa
gorge,
encore
qu'elle
l'eût
fort
belle
»
et
que
ce
fût
alors
une
mode
universellement
adoptée;
jamais
«
elle
ne
mit
ni
fard
ni
plâtre
(sic)
sur
son
visage
».
Elle
ne
recherchait
ni
richesse
ni
élégance
dans
ses
vêtements,
désirant
seulement
qu'ils
n'eussent
rien
de
singulier
et
«
ne
fissent
point
parler
le
monde
».
Et
son
étonnement
était
grand
de
voir
qu'on
pût
«
prendre
plaisir
à
si
peu
de
chose,
ne
trouvant
pas
que
cela
fût
capable
de
satisfaire
un
esprit
».
Par
ailleurs,
la
jeune
fille
gardait
toutes
les
qualités
de
cœur
qui
avaient
paru
dans
l'enfant.
Aussi
chacun
subissait-il
le
charme
de
cette
nature
exquise.
Les
parents
et
voisins
aimaient
la
trouver
au
logis,
dont
elle,
devait
souvent,
du
reste,
faire
seule
les
honneurs,
sa
mère
étant
malade.
Ou
bien
ils
l'emmenaient
pour
quelque
temps,
afin
de
jouir
davantage
de
sa
compagnie.
Madeleine
s'y
prêtait
avec
bonne
grâce,
mais
ces
villégiatures
n'avaient
guère
d'attrait
pour
elle.
Les
fêtes
et
frivolités
mondaines
ne
lui
plaisaient
pas
;
les
curiosités
de
l'art
ou
de
la
nature
la
laissaient
indifférente,
surtout
depuis
sa
grande
maladie
:
l'inanité
de
ce
qui
passe
l'avait
tellement
frappée
que,
de
son
propre
aveu,
elle
n'eût
pas
alors
fait
un
pas
pour
contempler
un
beau
monument,
un
site
pittoresque.
Enfin,
«
parmi
les
passe-temps
que
les
autres
trouvaient
fort
agréables,
elle
s'ennuyait
bien
fort
et
ne
demandait
qu'à
retourner
chez
elle
».
Du
moins
se
dédommageait-elle
en
pratiquant,
au
milieu
dès
salons
élégants,
une
charité
qu'ils
ne
connaissent
pas
toujours.
Aimable
et
prévenante
pour
tous,
elle
se
montrait
surtout
telle
envers
les
pauvres
êtres
disgracieux,
aux
dépens
desquels
on
s'amuse
trop
souvent.
Elle
«
se
mettait
auprès
d'eux...
et
leur
témoignait
tant
d'affection,
qu'ils
croyaient
que
Dieu
leur
avait
donnée
pour
refuge
dans
le
temps
que
tous
ne
contribuaient
qu'à
leur
déplaisir
».
Cependant
les
rapports
de
société
avaient
pour
Madeleine
un
autre
attrait
moins
surnaturel.
Ils
la
rapprochaient
de
gens
distingués
par
leur
savoir,
leurs,
talents,
leur
valeur
intellectuelle
ou
morale.
Or
la
conversation
de
telles
personnes
lui
faisait
goûter
une
véritable
jouissance,
et
elle
mit
à
se
là
procurer
un
empressement
qu'elle
déplora
plus
tard
«
comme
une
des
grandes
vanités
de sa vie».
Un
péril
plus
grave
la
menaçait.
Consciente
des
dons
reçus
.d'En
Haut,
elle
avait
un
peu
de
peine,
ainsi
qu'elle
l'avoua
depuis,
à
comprendre
et
à
pratiquer
l'humilité
intérieure.
«
Cette
vertu
était
en
elle
une
production
de
grâce
et
de
sa
fidélité
à
là
grâce,
a
déclaré
la
Mère
Marie
de
Jésus,
car
encore
qu'elle
eût
l'esprit
naturel
assez
bon
pour
mépriser
les
sujets
de
vanité
auxquels
lés
personnes
de
sa
condition
et
de
son
sexe
s'attachent
ordinairement,
elle
ne
l'avait
pas
assez
soumis
pour
concevoir
un
vrai
mépris
de
soi-même
et
de
son
esprit...
Il
n'y
eut
que
l'exemple
du
Fils
de
Dieu
qui
gagna
cela
sur
elle;
et
ces
saintes
paroles
:
Apprenez
de
moi
qui
suis
doux
et
humble
de
cœur,
entrèrent
si
avant
dans
son
âme,
que
depuis...
elle
n'est
jamais
tombée
ni
en
complaisance
de
soi-même
ni
en
aucune
vanité.
»
Elle
fit
même
«
un
si
parfait
sacrifice
de
son
esprit
et
de
son
jugement
qu'elle
s'accoutuma
à
lé
soumettre
en
toutes
occasions
à
celui
dès
autres;
et
elle
y
acquit
tant
de
facilité
que,
pendant
tout
le
cours
de
sa
vie,
on
à
souvent
admiré
qu'une
personne
qui
avait
un
si
grand
sens
en
fût
si
parfaitement
dégagée
0
».
Cette
grâce
victorieuse
ne
lui
fut
accordée
qu'un
peu
plus
tard.
Toutefois
dès
lors,
elle
cherchait
de
tout
son
cœur
à
plaire
à
Dieu,
et
veillait
avec
le
plus
grand
soin
à
la
pureté
de
son
âme,
allant
promptement
se
confesser
dès
qu'elle
croyait
avoir
commis
la
plus
petite
faute.
Au
reste,
si
elle
appréciait
les
personnes
très
cultivées,
elle
en
était
elle-même
«
fort
estimée
et
recherchée
».
Malgré
sa
jeunesse,
on
là
consultait
déjà
sur
des
questions
importantes,
et
ses
réponses
paraissaient
«si
pertinentes,
qu'elles
étaient
reçues:
comme
de
petits
oracles
»,
assure
le
grave
P.
Gibieuf.
Il
lui
advint
même
de
ce
chef
une
aventure
qui
dut
singulièrement
alarmer
sa
modestie.
Deux
gentilshommes
de
marque
ayant
eu
un
démêlé
ensemble,
la
querelle
s'envenima
au
point
qu'un
duel
allait
s'ensuivre,
quand
les
deux
adversaires
résolurent
d'un
commun
accord
de
s'en
remettre
à
l'arbitrage
de
Mlle
de
Fontaines,
Elle
avait
lors
seize
ans.
On
devine
aisément ses
efforts
pour se
récuser;
Mais
le
rang
des
solliciteurs
exigeant
des
égards,
et
des
personnes
d'autorité
ayant
fait
remarquer
à
là
Servante
de
Dieu
qu'il
y
allait
peut-être
du
salut
de
ces
âmes,
elle
finit
par
se
rendre.
Avec
la
maturité
qu'on
lui
connaît
elle se
fit
instruire
à
fond
de
l'affairé,
et
après
avoir
tout
pesé,
elle
dit
humblement
sa
pensée.
Les
intéressés
furent
si
satisfaits
de
ce
verdict
que,
se
réconciliant
aussitôt,
ils
s'embrassèrent
en
présence
de
leur
jeune
arbitre,
à
la
grande
admiration
de
tous,
et
vécurent
depuis
«
en
bonne
paix
».
Enfin
Mlle
de
Fontaines
était
à
juste
titre
considérée
dans
toute
la
région
comme
«
la
perle
»
de
sa
famille.
Ce
mérite
personnel,
joint
à
la
noblesse
et
à
la
fortune,
faisait
d'elle
un
beau
parti,
aussi
fut-elle
« recherchée
fort
jeune
par
«
quantité
de
braves
gens
»,
nonobstant
l'extrême
simplicité
de
sa
mise
et
de
sa
vie.
Quant
à
elle,
elle
n'eut
jamais
aucune
inclination
pour
le
mariage
;
toutefois
nul
appel
spécial
à
une
vocation
plus
parfaite
ne
s'étant
fait
entendre
encore
à
son
âme,
elle
s'en
remettait
à
ses
parents
pour
disposer
de
son
avenir.
Dieu
sut
bien
la
garder
pour
lui
seul.
M.
de
Fontaines
se
montrait
difficile,
car
il
ne
voulait
livrer
«
sa
perle
qu'à
bon
escient.
Nombre
de
prétendants
furent
donc
évincés.
Enfin,
il
s'en
présenta
un
à
la
fois
mieux
avantagé
que
les
autres
et
plus
passionnément
épris
de
la
jeune
fille.
C'était
un
conseiller
du
roi
:
le
comte
de
Sancerre".
Il
ne
voulut
s'en
remettre
à
personne
du
soin
de
négocier
celte
affaire,
et
fit
pour
cela
le
voyage
de
Paris
en
Touraine.
Il
réussit
du
moins
à
gagner
l'estime
de
Madeleine
:
«
Il
m'a
dit
»,
confia-t-elle
à
Catherine,
«
qu'il
semblait
que
Dieu
l'eût
conduit
et
amené
par
la
main
vers
moi.
«
Cela
me
plaît
de
parler
de
Dieu
en
parlant
de
mariage
;
cela
«
montre
de
la
sagesse
et
de
la
piété.
»
Néanmoins
tout
se
rompit,
M.
de
Fontaines
n'ayant
pu
s'accorder
avec
le
jeune
homme
—
et
cela
«
pour
un
sujet
très
petit
»
—,
ce
qui
causa
de
vifs
regrets
dans
l'entourage
de
l'intéressée
mais
la
laissa
elle-même
parfaitement
indifférente.
Vers
la
même
époque,
une
cruelle
épreuve
atteignait
la
famille.
Mme
de
Fontaines,
qui
traînait,
depuis
trois ans
surtout,
une
vie
languissante,
était
enfin
ravie
à
l'affection
des
siens.
On
ne
saurait
dire
la
tendresse
et
le
dévouement
dont
la
Servante
de
Dieu
fit
preuve
pendant
cette
dernière
maladie
de
sa
mère.
Elle
couchait
toujours
dans
sa,
chambre,
et
passait
naturellement
une
grande
partie
de
ses
nuits
sans
sommeil.
Durant
le
jour,
elle
ne
la
quittait
pas
davantage,
s'ingéniant
à
la
soulager,
et
ne
prenant
elle-même
aucun
divertissement.
Son
faible
tempérament,
miné
encore
par
le
chagrin,
aurait
dû
cent
fois
succomber
à
tant
de
fatigues;
mais
l'amour
filial
lui
donnait
des
forces
et
lui
fit
«
faire
en
cette
occasion
des
choses
qui
ne
sont
pas
imaginables
».
Tant
de
soins
et
d'affection
ne
purent
prolonger
une
existence
si
chère
et
humainement
si
nécessaire
:
Mme
de
Fontaines
mourut
le
5
juin
1600,
regrettée
de
tous
et
laissant
la
imputation
d'une
sainte.
Désolée,
mais
pleinement
soumise
à
Dieu,
Madeleine
se
tourna,
avec
élan
vers
la
divine
Consolatrice
des
affligés,
et
la
supplia
de
lui
tenir
lieu
de
mère
puisqu'elle
n'en
avait
plus
ici-bas.
Elle
avait
double
besoin
d'assistance,
car
sa
tâche
d'aînée
s'aggravait
singulièrement.
Mme
de
Fontaines
laissait
sept
enfants.
La
Vénérable
alors
âgée
de
vingt-deux
ans
—
devait
essayer
de
la
remplacer
auprès
d'eux
:
rendre
le
foyer
aimable
à
Pierre,
se
faire
de
plus
en
plus
l'amie
et
le
soutien
de
Catherine,
veiller
sur
le
dernier
épanouissement
de
la
jeunesse
chez
Louise
qui
commençait
sa
dix-huitième
année;
surtout
se
donner
avec
un
cœur
maternel
à
l'éducation
des
deux
benjamins
:
Jean,
à
peine
âgé
de
onze
ans,
et
la
petite
Marie,
qui
n'en
comptait
pas
sept.
La
frêle
santé
de
la
jeune
fille
porta
peu
après
le
contrecoup
de
son
chagrin
et
des
fatigues
excessives
qui
l'avaient
précédé.
Elle
tomba
gravement
malade.
Mais
bien
loin
de
se
plaindre,
elle
estimait
que
ses
souffrances
étaient
un
bon
moyen
de
remercier
Dieu
de
la
faveur
qu'il
lui
avait
faite
en
lui
permettant
de
se
dépenser
au
chevet
de
sa
mère
mourante.
Sentiment
digne
de
cette
âme
délicate
et
généreuse!
Elle
donna
aussi
un
nouveau
témoignage
de
son
amour
pour
les
pauvres,
enjoignant
à
l'une
de
ses
sœurs
de
demander
à
leur
père
que,
si
elle
mourait
de
ce
mal,
il
distribuât
aux
indigents
les
biens
qu'il
comptait
lui
assigner
en
dot.
Elle
était
rétablie
quand
s'ouvrit
quelques
mois
plus
tard
le
grand
jubilé.
Si
vif
fut
son
désir
de
profiter
de
cette
indulgence
qu'elle
voulut
l'aller
gagner
à
Orléans
—
où
se
publiait
l'ouverture
de
l'année
sainte
—
sans
attendre
que
la
même
faveur
fût
communiquée
à
la
ville
de
Tours.
Elle
partit
donc,
au
cœur
de
l'hiver,
avec
son
frère
aîné,
ses
sœurs,
et
leurs
«
filles
servantes
»,
sous
la
conduite
d'un
sage
et
vertueux
prêtre.
Les
pèlerinages
ne
se
faisaient
pas
alors
avec
la
célérité
et
le
confort
modernes,
et
cette
«
dévote
troupe"
»
fut
en
route
plusieurs
jours,
mais
le
temps
se
trouva
bien
employé.
Le
premier
soin
de
Madeleine,
«
en
arrivant
le
soir
aux
hôtelleries,
était
de
donner
lès
ordres
nécessaires
pour
faire
célébrer
la
sainte
messe
le
lendemain
de
grand
matin,
où
elle
communiait
pour
l'ordinaire
;
ensuite
elle
se
retirait
en
quelque
église
pour
y
adorer
le
Saint-Sacrement
et
pour
donner
à
la
prière
tout
le
temps
qu'il
lui
était
possible...
S'il
lui
restait
quelque
moment
de
loisir...
dans
les
bourgades
où
l'on
passait,
ce
docte
ecclésiastique
et
elle
ramassaient
les
pauvres
et
les
ignorants,
leur
faisaient
le
catéchisme
et
leur
donnaient
l'aumône.
Au
même
temps
qu'elle
fut
arrivée
à
Orléans,
sans
se
donner
le
moindre
repos,
elle
voulut
aller
visiter
l'église
de
Sainte-Croix
et
les
autres
où
étaient
les
stations
du
jubilé...
Et
dans
ces
saints
lieux,
son
extérieur
parut
si
recueilli
et
son
oraison
si
continuelle
et
si
élevée,
qu'à
peine
s'apercevait-on
qu'elle
eût
de
mouvement
ni
de
vie
»,
ce
qui
jeta
dans
l'admiration
le
prêtre
qui
l'accompagnait.
«
Je
n'ai
point
vu
jusqu'ici
une
fille
qui
égale
Mlle
de
Fontaine,
confia-t-il
en
cette
occasion.
Je
la
regarde
comme
la
plus
épurée
de
toutes
les
âmes
que
j.'aie
jamais
connues,
et
je
ne
doute
point
que
Dieu
ne
s'en
veuille
servir
comme
d'un
grand
flambeau
pour
éclairer
beaucoup
de
monde.
»
«
Après
avoir
demeuré
neuf
ou
dix
jours
à
Orléans,
elle
retourna
à
Fontaines
avec
toute
sa
compagnie,
faisant
par
les
chemins
les
mêmes
exercices
de
piété
et
de
charité
qu'elle
avait
pratiqués
en
y
allant.
»
Le
cœur
de
Madeleine
se
portait
donc
de
plus
en
plus
vers
Dieu.
Et
pourtant,
ce
Dieu
qui
l'attirait
si
fort
et
qu'elle
servait
avec
tant
d'amour
ne
lui
avait
pas
encore
fait
connaître
ce
qu'il
voulait
d'elle.
Celle
incertitude
la
préoccupait.
Du
ciel
toutefois
sa
mère,
veillait.
Un
an
environ
après
sa
mort,
la
jeune
fille,
pressée
d'une
inquiétude
plus
grande
qu'à
l'ordinaire
au
sujet
de
sa
vocation,
s'ouvrit
au
P.
Challuau,
Minime,
son
confesseur.
«
Je
crois,
disait-elle,
que
Dieu
désire
quelque
chose
de
moi
que
je
ne
lui
rends
pas.
Je
vous
prie
me
dire
comme
je
pourrais
savoir
sa
volonté.
»
Le
religieux
l'engagea
à
faire
pour
cela
des
prières
spéciales
et
la
communion
quotidienne
pendant
l'octave
de
la
Pentecôte
qui
approchait,
et
à
se
dégager
en
même
temps
de
toute
pensée
personnelle
pour
écouter
ce
que
Dieu
lui
dirait
au
fond
du
cœur.
Madeleine
suivit
ce
conseil,
et
la
réponse
divine
ne
se
fit
pas
attendre.
Dans
la
huitaine,
sa
mère
lui
apparut
en
songe,
au
milieu
d'une
«
grande
chambre
garnie
de
toutes
sortes
de
belles
choses
»
entre
lesquelles
elle
lui
disait
de
choisir.
La
jeune
fille
prit
successivement
«
un
collier
de
fort
belles
perles,...
une
enseigne
de
diamants,...
un
grand
vase
de
Vermeil
»
;
mais,
ô
surprise
!
ces
brillants
objets
s'évanouissaient
au
fur
et
à
mesure
entre
ses
mains.
Et
elle
de
dire
à
sa
mère
:
«
C'est
grand
cas
que
rien
ne
me
demeure
de
ce
que
vous
me
donnez
!
—
Cherchez,
ma
fille
»,
répondit
Mme
de
Fontaines,
puis
elle
ajouta,
lui
montrant
une
petite
croix
d'ébène
:
«
Voici
qui
est
bien
plus
beau.
»
Alors
la
Servante
de
Dieu
s'écria
:
«
Ma
mère,
s'il
vous
plaît
me
donner
cette
croix,
peut-être
qu'elle
me
demeurera.
»
Et
comme
elle
la
prenait,
elle
la
vit
se
changer
en
une
croix
d'or
luisant
à
merveille,
qui
avait
quatre
pierres
précieuses...
aux
quatre
extrémités.
C'était
un
songe,
mais
un
songe
divin,
comme
il
y
en
a
un
très
grand
nombre
dans
l'Écriture
Sainte
»,
remarque
le
P.
Gibieuf.
Notre
Vénérable
en
demeura
vivement
impressionnée,
ne
doutant
point
que
Dieu
ne
lui
eût
par
là
manifesté
le
secret
de
sa
destinée.
Aussi
quand
le
P.
Challuau,
mis
au
courant,
lui
demanda
:
«
Que
vous
semble
de
cela ? elle
lui
répondit
hardiment
:
«
Il
n
'y
a
point
à
deviner
:
Dieu
me
veut
à
la
croix;
tous
les
fatras,
toutes
les
bagatelles
du monde
ne
me
seront
jamais
rien.
»
Le
confesseur,
après
avoir
encore
sondé
la
volonté
de
sa
pénitente,
confirma
l'appel
de
Dieu.
Lui-même
demeura
persuadé
que
le
ciel
destinait
cette
âme
à
de
grandes
choses,
ainsi
qu'il
le
confia
à
une
vertueuse
fille
nommée
Renée
Michel,
—
plus
tard
dame
des
Rochers
—
alors
attachée
à
la
personne
de
Madeleine.
Quant
à
celle-ci,
elle
avait
conté
son
rêve
mystérieux
à
son
père
et
à
ses
sœurs,
et
M.
de
Fontaines
en
avait
été
«
tout
réjoui
».
Il
ne
voyait
là
pour
sa
fille
qu'une
nouvelle
invitation
à
la
piété,
et
«
ce
lui
était
une
consolation
particulière
que
ses
enfants
servissent
à
Dieu
».
Aussi
se
fit-il
un
plaisir
de
lui
offrir
une
croix
semblable
à
celle
qu'elle
avait
vue
en
esprit.
Il
fut
peut-être
moins
charmé
—
la
suite
du
moins
le
laisse
à
penser
—
lorsque,
peu
de
temps
après,
il
eut
occasion
d'entrevoir
la
portée
réelle
de
cette
touche
de
grâce.
Le
comte
de
Sancerre,
en
effet,
n'avait
pu
oublier
Madeleine.
Depuis
la
rupture,
ses
désirs
n'avaient
même
fait
que
croître.
Il
en
vint
à
faire
déclarer
à
M.
de
Fontaines
qu'il
accepterait
quelque
condition
que
ce
fût
pour
obtenir
la
main
de
sa
fille.
Mais
la
Vénérable,
certaine
maintenant
de
la
volonté
divine,
répondit
sans
hésiter
«
qu'elle
ne
captiverait
jamais
sa
liberté
sous
le
pouvoir
d'un
homme
et
que,
si
elle
se
résolvait
à
l'engager,
ce
ne
serait
que
pour
Dieu
qui
en
est
l'auteur*
».
Pourtant
elle
ne
pensait,
pas
encore
à
se
faire
religieuse.
Le
songe
de
la
croix
ne
l'avait
éclairée
qu'à
demi,
et
elle
crut
pendant
quelque
temps
qu'elle
pourrait
répondre
à
cet
appel
spécial
tout
en
remplissant
la
mission
qui
paraissait
lui
incomber
au
foyer
domestique.
Cependant,
elle
s'était
donnée
avec
tout
l'élan
d'une
volonté
qui
ne
devait
jamais
se
reprendre.
Elle
commença
par
affirmer
sa
résolution
au
dehors
par
le
genre
d'habillement
qu'elle
adopta
en
quittant
le
deuil
de
sa
mère.
Sa
mise,
on
le
sait,
avait
toujours
été
exempte
de
recherche.
Mais
désormais,
elle
fut
d'une
sévère
modestie.
Plus
de
bijoux
—
ses
perles
furent
données
pour
parer
les
autels—,
plus
de
soie,
mais
seulement
de
«
l'étamine
sans
aucun
enrichissement,
un
cotillon
de
camelot,
un
collet
tout
plain
(12)
fort
petit,
une
coiffe
de
taffetas
à
pointe
fort
basse
sur
sa
tête
».
Elle
aurait
même
souhaité
un
genre
de
coiffure
cachant
entièrement
ses
cheveux,
mais
son
père
s'y
opposa.
«
Elle
donna
beaucoup
à
Dieu
en
prenant
[ce
costume],
parce
qu'en
ce
temps-là
c'était
une
chose
fort
extraordinaire
de
voir
des
filles
de
sa
condition,
ainsi
vêtues,
et
que
d'ailleurs
elle
n'aimait
point
de
paraître
singulière.
Outre
cela,
elle
porta
plusieurs
mépris
à
ce
sujet,
du
commencement.
Mais
pour
tout
cela,
elle
ne
laissa
pas
de
s'habiller
ainsi
en
dévote
jusques
à
ce
qu'elle
entrât
en
religion.
»
Son
genre
de
vie
répondait
à
sa
mise.
«
J'avais
l'honneur
de
coucher
en
sa
chambre,
raconte
Renée
Michel'
;.sitôt
qu'elle
était
levée,
qui
était
sur
les
six
heures,
elle
entrait
en
son
cabinet...
pour
y
faire
oraison
;
son
heure
étant
passée,
elle
se
venait
habiller.
Pendant
qu'on
la
peignait,
elle
faisait
lecture
de
quelque
livre
spirituel,
tant
pour
elle
que
pour
celle
qui
la
servait.
Après,
elle
allait
donner
le
bonjour
à
Monsieur
son
père
;
de
là,
s'en
allait
à
là
chapelle
se
préparer
à
l'audition
de
la
sainte
messe
et
à
la
sainte
communion
qu'elle
faisait
tous
les
jours
»,
sur
la
recommandation
de
son
confesseur,
bien
que
ce
fût
alors
une
très
rare
exception.
Les
longues
heures
—
parfois
deux,
ou
trois
de
suite
—
consacrées
à
la
prière
par
la
Servante
de
Dieu,
l'attitude
toujours
mortifiée
et
profondément
recueillie
qu'elle
y
gardait,
les
larmes
qu'elle
y
versait,
tout
cela
excitait
autour
d'elle
un
respectueux
étonnement.
«
Je
l'ai
maintes
fois
admirée,
continue
Renée
Michel,
la
voyant
à
genoux
un
si
long
temps,
vu
sa
faiblesse
naturelle,
voyant
sortir
de
ses
yeux
si
grande
quantité
de
larmes
sans
aucun
mouvement
extérieur.
»
Aussi
son
«
mouchoir
de
col
»
en
était-il
souvent
si
«
trempé
»
qu'il
le
lui
fallait
changer,
ce
que
toutefois
sa
discrète
camériste
«
faisait
sans
lui
en
témoigner
la
raison,
laquelle
son
humilité
n'eût
pu
souffrir
».
L'admiration
redoublait
quand
on
constatait
qu'à
l'issue
de
ces
communications
si
intimes
avec
le
ciel,
la
jeune
fille
montrait
«
un
esprit
aussi
égal
et
aussi
gai
que
si
elle
fût
sortie
de
la
plus
grande
récréation
du
monde"
»,
et
se
donnait avec
une
liberté
entière
à
tout
ce
que
son
devoir
réclamait
d'elle.
Fallait-il
pourvoir
au
gouvernement
d'une
maison
considérable?
—
car
son
père
s'en
reposait
sur
elle
—
elle
le
faisait
avec
soin
et
intelligence,
mais
sans
empressement
et
avec
sa
douceur
et
sa
paix
accoutumées.
Venait-il
des
«
compagnies
»
?
elle
se
montrait
aussi
accueillante,
aussi
aimable
que
si
elle
n'eût
eu
autre
chose
à
faire
qu'à
les
entretenir.
Sa
dévotion
ne
la
rendait
vraiment
ni
morose,
ni
même
d'un
abord
trop
austère
;
au
contraire,
elle
savait
à
merveille
se
faire
toute
à
tous,
et,
bien
que
son
inclination
la
portât
à
parler
toujours
des
choses
de
Dieu,
elle
prenait
part
«
facilement
et
sans
peine,
et
même
avec
gaîté
et
de
bonne
grâce
0
»,
aux
conversations
indifférentes,
lorsque
la
charité
le
requérait
;
seulement,
avec
une
adresse
merveilleuse
qui
restera
toujours
son
apanage,
elle
détournait
«
les
entretiens
de
vanité
pour
en
faire
naître
d'autres...
qui
élevassent
les
cœurs
à
Dieu
».
Toutefois,
lorsqu'on
abordait
des
sujets
de
piété,
quelque
familièrement
et
fréquemment
qu'on
le
fît,
elle
voulait
que
ce
fût
toujours
sur
un
ton
de
respect
convenable.
Ce
lui
était
une
souffrance
d'entendre
un
certain
«
Père
de
religion,
qui
hantait
au
logis
»,
mêler
souvent
des
plaisanteries
aux
questions
de
spiritualité,
et
elle
regrettait
cette
façon
de
faire
comme
quelque
peu
injurieuse
à
la
Majesté
divine
et
dommageable
aux
âmes,
surtout
à
celles
qui
ne
font
que
débuter
dans
la
voie
de
la
vertu.
Du
reste
Madeleine
recherchait
le
plus
possible
la
solitude
et
le
silence;
elle
ne
s'accordait
même
pas
quelques
moments
de
détente
après
ses
repas,
mais
rentrait
aussitôt
dans
son
cabinet.
Son
frère
Pierre,
qui
l'aimait
extrêmement,
aurait
bien
désiré
jouir
davantage
de
sa
société.
Il
fit
au
commencement
tout
ce
qu'il
put
pour
la
détourner
d'une
existence
aussi
retirée.
Mais
elle
lui
exposa
si
bien
ses
raisons,
que
le
jeune
homme,
très
vertueux
lui-même,
finit
par
l'approuver
entièrement.
Elle
lisait
beaucoup
et
travaillait
aussi
de
ses
mains,
aimant
à
confectionner
des
linges
ou
des
ornements
d'autel.
On
en
conservait
encore
avec
vénération
cinquante
ans
plus
tard
dans
les
églises
de
Bueil
et
de
Rouziers.
C'était
d'ordinaire
en
compagnie
de
ses
sœurs
et
des
nombreuses
filles
attachées
à
leurs
personnes
qu'elle
s'occupait
ainsi
de
travaux
à
l'aiguille.
Et
toute
cette
jeunesse,
formée
à
une
si
sage
école,
ne
s'ennuyait
point
d'entendre,
pendant
de
longues
séances,
la
lecture
de
quelque
«
bon
livre
»
faite
à
tour
de
rôle
par
chacune.
La
charité,
l'humeur
charmante
de
Madeleine,
suffisaient
à
donner
des
attraits
à
cette
vie
presque
claustrale
;
aussi
entendait-on
plus
tard
les
survivantes
de
cet
heureux
temps
redire
d'un
ton
ému
les
éloges
de
l'angélique
jeune
fille,
que
l'on
voyait
«
toujours
prête
à
servir
et
contenter
tout
le
monde
avec
joie,
paix
et
douceur
»,
et
qui
faisait
de
«
la
maison
de
Fontaines
une
maison
de
bénédiction...
de
paix
et
d'union
».
L'avancement
de
ces
âmes
restait,
au
surplus,
son
grand
objectif,
car
la
flamme
apostolique
grandissait
en
elle
à
mesure
que
s'intensifiait
son
amour.
Aussi
fit-elle
à
cette
époque
promesse
à
Dieu
de
ne
passer
aucun
jour
sans
essayer
de
le
faire
mieux
connaître
et
mieux
servir.
Lé
succès
couronna
ses
efforts
:
ses
deux
sœurs
furent
gagnées
par
elle
à
la
vie
parfaite,
avec
deux
de
ses
filles
de
chambre
;
ses
autres
familières
restèrent
dans
le
monde
des
chrétiennes
exemplaires.
En
dehors
du
sanctuaire
domestique,
soit
à
la
campagne,
soit
à
Tours
—
car
Antoine
du
Bois
y
venait
de
temps
en
temps
avec
les
siens
habiter
son
hôtel
de
la
rue
Traverseyne
—,
les
jeunes
personnes
en
relation
avec
Mlle
de
Fontaines
bénéficiaient
aussi
de
son
influence.
Par
son
exemple,
elle
prêchait
déjà
la
vertu,
mais
elle
s'efforçait
encore
par
ses
entretiens
d'arracher
les
cœurs
à
la
fascination
de
la bagatelle,
et
ce
fut
une
de
ses
bonnes
œuvres
jusqu'à
son
entrée
au
Carmel.
Sa
sollicitude
redoublait
quand
elle
apercevait
en
ses
amies
les
indices
d'une
élection
spéciale
de
Dieu.
Elle
se
faisait
près
d'elles
saintement
persuasive,
et
tâchait
en
outre
de
leur
procurer
des
secours
spirituels,
si
elle
les
en
voyait
dépourvues.
Pour
cela,
son
père
lui
prêtait
un
concours
édifiant.
«
La
maison
de
M.
de
Fontaines,
raconte
à
ce
sujet
la
Mère
Marie
de
la
Trinité
d'Hannivel,
étant,
toujours
ouverte
aux
bons
religieux
et
autres
personnes
de
grande
piété,
les
âmes
que
Dieu
tirait
à
lui,
et
[qui]
n'avaient
pas
moyen
d'en
communiquer,
pour
crainte
de
leurs
parents
ou
autres
respects,
allaient
à
la
dite
maison
pour
découvrir
leurs
désirs
et
leurs
besoins
à
ces
personnes
de
piété
qui
y
allaient
comme
à
la
leur
propre.
Notre
bienheureuse
Mère
les
conseillait,
encourageait,
et
parlait
[d'elles]
à
ces
bons
Pères...
Et
même
quelquefois,
selon
les
personnes
que
c'était,
cherchait
quelque
prétexte
pour
les
faire
demeurer
[au
château].
Il
y
en
a
plusieurs...
qu'elle
a
tenues
[de
la
sorte]
près
d'elle
jusqu'à
ce
qu'elles
fussent
assez
fortes
pour
correspondre
au
dessein
de
Dieu,
et
gagner
là
volonté
de
ceux
qui
les
en
empêchaient.
»
Entre
les
âmes
qui
lui
durent
ainsi
d'avoir
fidèlement
répondu
à
l'appel
divin,
il
faut
citer
deux
jeunes
tourangelles,
dont
l'Une
surtout
était
des
plus
mondaines,
et
qui
devinrent
à
peu
de
temps
de
là
les
pierres
fondamentales
de
l'Ordre
des
Capucines
en
France.
Ce
délicat
apostolat
mit
plusieurs
fois
la
Vénérable
en
contact
avec
des
personnes
«
trompées
par
des
illusions
».
Elle
faisait
alors
preuve
d'un
discernement
remarquable
pour
les
remettre
dans
la
bonne
voie.
«
J'en
sais
une,
dit
encore
Marie
de
la
Trinité,
qui
a
été
délivrée
[grâce
à
elle]
et
est
à
présent
religieuse
à
un
Ordre
réformé,
laquelle
elle
prit
sous
prétexte
de
servir
une
de
ses
sœurs.
»
Elle
découvrit
de
même
qu'une
autre
donnait
dans
les
filets
de
l'ennemi,
par
sa
«
dévotion
lâche
et
fainéante
».
Cette
pauvre
fille
était
pourtant
réputée
sainte
par
tous
ceux
qui
la
connaissaient,
parmi
lesquels
il
y
en
avait
de
fort
éclairés.
Mais
sa
maîtresse,
la
voyant
«
aimer
ses
aises
et
les
petits
accommodements
qui
se
permettent
dans
le
monde
»,
n'en
put
jamais
avoir
bonne
opinion;
et
le
temps
lui
donna
raison.
Là
où
ses
charitables
offices
ne
rencontraient
pas
de
correspondance,
elle
essayait
du
moins
d'empêcher
de
plus
grands
maux.
Elle
en
agit
ainsi
envers
une
servante
qui,
malgré
ses
remontrances,
restait
un
peu
trop
libre
et
fut
congédiée
pour
ce
sujet
par
M.
de
Fontaines.
Sentant
le
péril
que
cette
âme
allait
courir,
Madeleine
essaya
d'abord
de
faire
revenir
son
père
sur
sa
décision.
Mais
n'ayant
pu
réussir,
elle
s'occupa
activement
de
mettre
la
jeune
fille
en
sûreté.
Les
calvinistes
n'échappaient
pas
non
plus
à
son
zèle.
Elle
en
coudoyait
constamment,
car
l'hérésie
marchait
alors
tête
haute
et
comptait
beaucoup
d'adeptes
dans
la
noblesse.
Devant
leur
obstination,
elle
disait
parfois
à
sa
bonne
Renée
:
«
Allons,
ma
«
fille,
travailler
à
la
conversion
des
infidèles
dans
les
Indes;
l'on
en
viendrait
plus
facilement
à
bout
que
de
la
conversion
de
nos
hérétiques
!
»
Et
véritablement,
ajoute
Mme
des
Rochers,
elle
eût
entrepris
courageusement
cet
emploi
si
l'on
l'eut
jugé
à
propos.
»
Sa
douleur
était
grande
encore
de
rencontrer
parfois
des
prêtres
ignorants
ou
licencieux,
«
disant
les
larmes
aux
yeux
:
«
O
mon
Dieu,
quelle
bonté
et
humilité
est
la
vôtre
de
vous
soumettre
«
à
telles
personnes
!
»
Enfin,
rien
de
ce
qui
intéressait
la
gloire
de
Dieu
et
le
salut
du
prochain
ne
la
laissait
indifférente.
Un
autre
champ
d'action
de
la
Vénérable
à
cette
époque
fut
la
visite
des
pauvres.
«
Elle
n'avait
pas
accoutumé
de
faire
cela
elle-même,
remarque
Catherine",
jusqu'à
tant
qu'elle
eut
eu
désir
de servir
à
Dieu,
qui
lui
fit
trouver
cette
manière
là.
»
Oui,
c'était
bien
pour
«
servir
à
Dieu
»
et
«
dans
un
excès
d'amour et
de
charité
»,
qu'elle
abordait
ainsi
les
taudis
où
beaucoup
d'indigents
vivaient
alors
dans
une
malpropreté
et
une
misère
inexprimables.
Parfois,
en
y
entrant,
elle
se
sentait
défaillir.
Mais
«
pour
se
vaincre
encore
davantage,
elle
embrassait
aucunes
fois
les
pauvres
les
plus
sales
et
les
plus
pleins
de
vermine,
se
faisant
une
si
grande
violence
que
tout
le
corps
lui
en
tremblait
».
On
cite
en
particulier
ses
assiduités
auprès
d'une
cancéreuse,
aux
plaies
horribles
et
fétides.
Pour
ces
randonnées
charitables
au
village
ou
dans
les
environs,
Madeleine
s'en
allait
«
à
pied,...
accompagnée
seulement
d'une
servante
ou
d'un
laquais
0
»,
chose
bien
insolite
au
XVIe
siècle
pour
une
fille
de
noble
maison.
Elle
portait
des
provisions,
du
linge,
des
vêtements,
tout
ce
que
la
libéralité
de
son
père
mettait
entre
ses
mains.
D'aucuns
prétendent
même
que,
ne
trouvant
pas
ses
largesses
suffisantes
—
Dieu
sait
pourtant
s'il
était
généreux
!
—
elle
lui
«
dérobait
tout...
pour
faire
des
aumônes
».
Sa
bonté
la
rendait
ingénieuse,
«
Un
jour
d'hiver,
où
la
saison...
ne
permettait
plus
de
cultiver
la
terre,
comme
elle
était
en
l'une
des
maisons
de
son
père,
elle
assembla
ce
qu'elle
trouva
de
pauvres
paysans,
et,
après
les
avoir
assurés
de
leur
récompense,
elle
les
envoya
travailler
à
un
ouvrage
qu'elle
leur
marqua.
Le
receveur
de
cette
maison,
voyant
qu'elle
faisait
une
dépense
certaine
pour
un
travail
inutile,
l'en
avertit
et
lui
dit
que
c'était
de
l'argent
perdu.
Mais
comme
elle
avait
d'autres
pensées,
et
qu'elle
voulait
en
même
temps
bannir
l'oisiveté
et
exercer
la
charité,
elle
lui
répondit
agréablement
:
«
Si
nous
perdons
de
l'argent,
nous
gagnons
le
paradis
!
»
A
ceux
que
tendrement
elle
nommait
«
ses
frères
»,
la
sainte
jeune
fille
s'efforçait
de
donner
ou
procurer
en
outre
les
consolations
et
les
secours
de
la
religion.
Elle
se
faisait
pour
cela
accompagner
parfois
de
quelqu'un
des
religieux
hospitalisés
chez
son
père.
C'est
ainsi
qu'au
moment
du
bannissement
des
Jésuites,
un
certain
P.
Christofle
fut
longtemps
retenu
par
elle
à
Fontaines
pour
évangéliser
les
paysans
des
alentours.
La
Providence
lui
ménagea
vers
le
même
temps
une
occasion
doublement
méritoire
d'exercer
la
charité.
Un
frère
de
sa
mère
vint
à
tomber,
«
par
quelque
disgrâce,
dans
le
dernier
besoin
».
Ce
gentilhomme
avait,
semble-t-il,
gravement
offensé
M.
de
Fontaines,
et
ils
ne
se
voyaient
plus.
Néanmoins,
pressé
par
la
nécessité,
il
se
résolut
d'avoir
recours
à
lui
et
voulut
d'abord
le
faire
sonder.
L'intermédiaire
s'adressa
à
la
Servante
de
Dieu.
Celle-ci
prit
aussitôt
la
chose
à
cœur
et
répondit
avec
élan
«
qu'il
vînt,
et
.
qu'elle
engagerait
jusques
à
sa
robe
pour
l'assister ».
L'oncle
arriva
donc,
amenant
deux
filles.
Son
beau-frère,
chargé
lui-même
de
nombreux
enfants,
«
n'inclinait
pas
à
[les]
prendre
»,
et
de
fait,
il
finit
«
au
bout
d'un
temps
»
par
en
renvoyer
une.
Mais
Madeleine
fit
tant
qu'il
garda
toujours
l'autre.
Cette
petite,
que
l'on
nommait
Mlle
de
Freschine,
lui
parut
d'autant
plus
digne
d'intérêt
qu'elle
était
plus
malheureuse
et
plus
délaissée.
Elle
la
considéra
aussitôt
comme
sa
fille
et
lui
voua
une
profonde
affection.
L'enfant
pouvait
avoir
une
douzaine
d'années;
sa
grande
cousine
s'efforça
de
combler
les
lacunes
de
son
éducation
et
d'élever
d'autant
plus
ses
pensées
vers
le
ciel
que
la
terre
semblait
ne
lui
réserver
que
des
épines.
Souvent,
en
la
caressant,
«
elle
lui
disait
amoureusement
:
«
Vous
donnez-vous
pas
à
Dieu
?
»
Autres
fois
la
prenant
par
la
tête
:
«
Dieu
vous
bénisse,
mon
enfant.
»
Autres
fois
:
«
Allons
à
Dieu
avec
confiance
et
rien
ne
nous
manquera.
»
Lorsque
notre
bienheureuse
Mère
louchait
sa
tête
ou
son
visage
en
lui
disant
[ces
choses],
l'on
voyait
manifestement
que
cela
imprimait
dans
cette
petite
fille
de
grandes
dispositions
et
désirs
d'être
à
Dieu.
Et
bien
qu'elle
lui
parlât
peu,
[l'enfant]
ne
laissait
pas
de
l'aimer
extrêmement
;
et
dans
les
lieux
où
elle
se
trouvait
avec
elle,
elle
la
regardait
incessamment...
Elle
a
reçu
de
grands
trésors
par
les
prières
de
notre
Bienheureuse
»,
comme
nous
aurons
occasion
de
le
constater
plus
tard.
Ce
n'était
pas
seulement,
on
s'en
souvient,
à
une
vie
de
piété
et
de
bonnes
œuvres,
mais
à
une
vie
crucifiée
que
Dieu
avait
appelé
sa
servante,
et
sur
ce
point
comme
sur
les
autres,
elle
répondit
dès
le
début
généreusement
à
sa
vocation.
Saint
Jean-Baptiste
—
«
à
qui
elle
a
toujours
été
très
dévote
»
—
l'encouragea
encore
«
puissamment
»
dans
cette
voie,
par
une
apparition
dont
on
ne
sait
pas
bien
le
détail,
mais
qui
suivit
de
près
le
songe
symbolique
de
la
croix.
Jeûnes,
veilles,
cilices,
disciplines,
tous
les
genres
d'austérités
devinrent
donc
familiers
à
Madeleine.
Pour
les
disciplines,
«
bien
qu'elle
les
prît
fort
gaiement
en
esprit,
raconte
Renée
Michel,
la
faiblesse
de
son
corps
les
appréhendait,
et
elle
s'en
riait.
Au
commencement,
elle
ne
pouvait
dire
le
Miserere
en
la
prenant,
et
elle
me
le
faisait
dire
tout
haut...
Quelquefois,
me
faisant
pitié,
je
me
pressais...
et
elle
me
disait
:
«
Dites
plus
bellement,
je
vous
prie!
»
On
peut
juger
par
ce
trait
du
mérite
qu'eut
la
généreuse
jeune
fille
en
embrassant
la
pénitence
corporelle,
car
apparemment
ses
autres
macérations
ne
devaient
guère
moins
coûter
que
la
discipline
à
la
«
faiblesse
de
son
corps
».
Et
cependant,
sans
la
défense
de
son
confesseur,
elle
en
aurait
tant
fait
qu'
'elle
«
y
eût
couru
hasard
de
sa
vie
».
Mais
en
dépit
de
cette
sage
intervention,
le
plus
sanctifiant
des
instruments
de
pénitence
lui
resta
;
nous
voulons
dire
sa
mauvaise
santé,
abîmée
encore,
on
peut
bien
le
penser,
par
les
pieux
excès
qu'elle
s'était
permis.
Elle
souffrait
de
fréquents
accès
de
fièvre;
la
débilité
de
son
estomac
l'obligea
plusieurs
mois
durant
à
garder
une
immobilité
complète
après
ses
repas,
parce
que
le
moindre
mouvement
provoquait
des
vomissements
;
elle
commença
aussi
à
cette
époque
à
endurer
les
cruels
maux
de
tête
qui
devaient
lui
être
toute
sa
vie
une
source
de
mérites.
Cependant,
elle
tenait
toujours,
«
cachant
son
mal
autant
qu'elle
pouvait
aux
autres
et
à
soi-même"
»
;
et
tant
de
misères
«
ne
purent
jamais
affaiblir
son
courage
ni
ralentir
son
zèle;
elle
les
portait
sans
s'en
empêcher,
comme
si
le
corps
auquel
elle
souffrait
eût
été
un
autre
corps
que
le
sien,
tant
la
vigueur
de
l'esprit
soutenait
puissamment
l'infirmité
de
la
chair.
Au
printemps
1602,
le
P.
Ghalluau
ayant
quitté
le
pays,
Madeleine
prit
à
sa
place
comme
directeur —
ainsi
que
toute
la
famille
—
un
certain
P.
Laurent,
Capucin,
qui
prêchait
alors
à
Tours
avec
grand
succès. Ce
religieux
reconnut
aussitôt
à
quelle
âme
d'élite
il
avait
affaire,
et
s'appliqua
de
son
mieux
à
seconder
en
elle
l'œuvre
de
là
grâce;
S'il
mit
des
bornes
aux
austérités
de
sa
pénitente,
estimant
«
qu'il
fallait
conserver
ce
faible
corps
pour,
servir
à
la force
de
son
esprit
»;,
il
ne
lui
en
prodigua
que
plus
lès
épreuves
destinées
a
mortifier
son amour
-propre-.
Or
il
aimait
la
manière
forte;
on
en jugera
par
les
deux
traits
suivants,
glanés,
paraît-il,
entre
«
quantité
d'autres
».
Un
jour
de
carême,
il
enjoignit
à
la
Servante
de
Dieu
« de
prendre
le
collet
de
sa
femme
de
chambre,
d'ôter
son
vertugadin,
et
de s'en
aller
ainsi,
mal
habillée
et
sans
masque
afin
qu'on
la
connût
»,
à
la
cathédrale
où
affluait
pour
le
sermon
l'élite
de
la
société
tourangelle.
Madeleine
obéit.
A
son
entrée
dans
l'église,
son
étrange
accoutrement
fut
salué
de
chuchotements
désobligeants
et
de
rires
mal
contenus.
«
Madame
la
gouvernante
»,
en
particulier,
n'en
pouvait
croire
ses
yeux.
«
Quoi!
est-ce
là
Mlle
de
«
Fontaines
?
disait-elle
tout
haut;
quelle
fantaisie !
a-t-elle
perdu
l'esprit ? »
La
jeune
fille
dévorait
en
silence
son
humiliation, mais
sa
générosité
voulut
davantage
:
en
sortant
de
l'office,
elle
s'arrangea
pour
passer
auprès
de
cette
femme
railleuse
et
là
salua
gracieusement.
Là
ne
s'arrêta
pas
sa
mortification.
Quand
elle
revit
le
P.
Laurent,
elle
lui
rendit
compte
de
sa
conduite,
et
le
terrible
confesseur
la
blâma
fort,
disant
qu'on
la
prendrait
pour
une
folle
et
qu'il
s'était
moqué
d'elle
comme
tout
le
monde.
Pour
l'autre
épreuve,
le
bon
Père
prit
occasion
de
la
charité
même
que
Mlle
de
Fontaines
exerçait
envers
lui
et
ses
Frères
en
religion.
Partageant
en
effet
les
sentiments
dévoués
de
son
père
à
l'égard
des
Capucins,
Madeleine
se
chargeait
volontiers
de
faire
la
quête
pour
eux.
Or,
à
un
certain
moment,
le
P.
Laurent
s'avisa
de
l'envoyer
«
quêter
par
toutes
les
hôtelleries
de
la
ville,
où
elle
reçut
beaucoup
plus
de
confusion
que
d'aumônes
».
Un
succès
inopiné
suivait
cependant
quelquefois
de
tels
actes
de
renoncement,
comme
une
marque
sensible
de
la
bénédiction
divine.
Ainsi,
dans
une
de
ses
tournées,
la
jeune
quêteuse,
passant
devant
une
maison
de
jeu
assez
mal
famée,
fit
mine
d'y
entrer.
«
N'allons
point
là
!
»
se
récria
la
respectable
dame
qui
l'accompagnait.
Mais
la
Servante
de
Dieu
lui
répondit :
«
O
Dieu
!
empêcherons-nous
de
donner
occasion
à
ces
Messieurs
de
songer
à
leur
conscience
?
»
Ainsi
elles
entrèrent;
et
avec
sa
majesté
et
sa
parole
efficace,
[elle]
leur
demanda
pour
ce
bon
œuvre,
en
sorte
que,
tout
remplis
de
respect
et
de
touchement,
ils
lui
firent
une
bonne
aumône.
Ce
qui
fut
admiré
par
la
ville,
qui
connaissait
ces
personnes-là
pour
être
bien
éloignées
de
faire
du
bien.
»
La
direction
du
P.
Laurent
et
des
autres
religieux
de
saint
François
auxquels
la
Vénérable
remit
à
cette
époque
le
soin
de
son
âme
allait
donc
toute
à
la
destruction
de
l'estime
qu'elle
pouvait
concevoir
d'elle-même.
Et
comme
elle
avait
compris
maintenant
la
véritable
humilité
de
cœur,
et
qu'elle
sentait
un
«
désir
violent
»
de
marcher
sur
les
traces
de
Jésus
humilié,
elle
se
prêtait
avec
joie
à
toutes
les
mortifications
qu'on
lui
imposait.
Elle
en
embrassait
même
de
son
propre
mouvement,
disant,
par
exemple,
«
dans
les
compagnies...
certaines
paroles
pour
se
faire
croire
grossière
et
ignorante
».
Tout
ce
qui
pouvait
la
rabaisser
à
ses
yeux
et
à
ceux
d'autrui
lui
souriait.
Aussi
enviait-elle
la
condition
des
petits
selon
le
monde.
Un
jour,
voyant
une
pauvre
fille
de
ferme
qui
travaillait
beaucoup,
était
fort
mal
traitée,
et
souffrait
tout
avec
patience
:
«
Je
me
tiendrais
heureuse
d'être
en
sa
place
s'exclama-t-elle ;
il
me
semble
que
je
ne
suis
rien
en
comparaison
de
cette
fille
°
!
»
Une
autre
fois,
elle
dit
confidemment
à
Catherine,
comme
elles
partaient
en
famille
pour
une
petite
villégiature
:
«
Je
voudrais
que
l'on
me
laissât
ici
avec
cette
gardeuse
de
poules,
à
la
charge
de
ne
manger
que
des
croûtes
!
»
Tandis
que
Madeleine
s'adonnait
ainsi
à
la
pratique
des
solides
vertus,
sa
vie
intérieure
s'intensifiait.
A
cette
époque,
elle
fit
de
longues
et
ferventes
prières
pour
demander
à
Dieu
de
le
connaître
davantage.
Et
en
effet,
«
Dieu
lui
accorda...
des
lumières
plus
hautes...
que
toutes
celles
qu'il
lui
avait
données
auparavant...
[sur]
son
Etre
infini
et
ses
divines
perfections
».
Mais
du
même
coup,
il
lui
fit
comprendre
«
que
la
connaissance est
peu
sans
l'amour
».
Aussi
recommença-t-elle
ses
supplications
afin
d'obtenir
un
accroissement
de
charité.
On
parlait
alors.de
mariage
pour
Pierre,
et
tout
naturellement,
le
frère
-devisait
avec
la
sœur
de
ses
espérances,
de
ses
amours,
de
ses
joies.
Sur
quoi
cette
Servante
de
Dieu
prit
un
jour
le
sujet
de
sa
prière
et
dit
à
Notre-Seigneur
dans
la
ferveur
de
l'oraison
:
«
Mon
Dieu,
voilà
mon
frère
qui
reçoit
tant
de
contentement
en
la
poursuite
d'une
créature,
et
à
moi
qui
ne
veux
plus
chercher
que
vous,
ne
me
donnerez-vous
rien ?
Le
divin
Maître
l'exauça
libéralement
encore,
et
lui
octroya
quelque
chose
de
particulier
».
Ainsi
le
dit-elle
à
Catherine,
sans
s'expliquer
davantage
;
«
mais
la
manière
dont
elle
lui
en
parla
—
vu
l'extrême
retenue
qu'elle
avait
dès
lors
à
découvrir
ce
qui
la
regardait
—
fit
juger...
que
ce
qu'[elle]..avait
reçu
était
quelque
chose
de
grand
».
On
conçoit
qu'attirée
de
la
sorte,
Madeleine
«
aimât
tant
de
s'occuper
à
l'oraison
ou
de
parler
de
Dieu
».
Elle
confiait
à
ce
propos
à
sa
sœur
:
«
Un
tel
Père
dit
qu'il
se
faut
quelquefois
divertir
à
parler
de
choses
indifférentes,
et
que
l'on
se
pourrait
lasser
de
parler
toujours
de
dévotion.
Mais
pour
moi,
je
ne
trouve
pas
cela;
l'on
y
a
plus
de
plaisir
et
on
ne
s'en
lasse
point.
»
Avec
ses
intimes,
ne
pouvant
dissimuler
le
feu
qui
la
dévorait,
elle
s'écriait
souvent
les
larmes
aux
yeux,...
dans
un
saint
transport
:
Oh
!
qu'il
fait
bon
aimer
Dieu !
Qu'il
fait
bon
aimer
Dieu
!
et
ces
divins
sentiments
l'occupaient
si
fort
qu'elle
n'en
pouvait
rien
dire
davantage
».
Elle
paraît
avoir
connu
dès
lors
des
états
mystiques
très
élevés.
«
En
ce
temps
qu'elle
se
donnait
tant
à
Dieu,
dit
le
P.
Gibieuf,
il
plut
à
Sa
Divine
Majesté
de
se
donner
aussi
à
elle
fort
extraordinairement,
et
il
la
favorisa
de
sa
sainte...
présence,
en
sorte
qu'elle
se
trouvait
toute
occupée
et
remplie
de
lui,
ou
pour
mieux
dire,
toute
plongée
et
abîmée
en
lui,
ce
qui
était
cause
qu'elle
ne
pouvait
faire
autre
usage
de
son
esprit
que
de
l'abandonner
à
Celui
qui
la
possédait
si
pleinement.
»
Le
souverain
Maître
«
la
mit
dès
ce
moment,
affirme
à
son
tour
la
Mère
Catherine,
dans
un
anéantissement
intérieur
et
empêchement
de
pouvoir
opérer,
lui
seul
se
le
réservant
et
prenant
pouvoir
sur
son
âme,
tellement
que
tout
ce
qu'elle
pouvait
faire
était
plutôt
de
donner
et
laisser
le
lieu
à
Dieu
que
de
faire
des
actes...
ou
de
suivre
des
manières
d'oraison
dont
les
personnes
qui
s'adonnent
à
la
piété
se
servent
ordinairement...
Il
hantait
de
bons
Pères
au
logis
;
elle
leur
parlait
par
un
grand
désir
de
profiter
de
leur
communication.
Il
y
en
eut
un
qui,
par
faute
non
de
vertu
ni
de
piété...
mais
d'expérience,
la
voulut
contraindre
à
faire
plusieurs
actes
vers
Dieu,
et
suivre
les
manières
ordinaires;
à
quoi
elle
se
rendit
fort
simplement
et
humblement,
et
se
fit
de
grands
efforts
pour
faire
ce
que
l'on
lui
conseillait.
Mais
Dieu
qui,
dès
ce
temps-là,
usait
de
sa
puissance
sur
elle,
ne
lui
en
laissa
pas
le
pouvoir,
en
sorte
que
cela
ne
servit
qu'à
lui
faire
un
grand
mal
de
tête.
»
Parfois
le
Seigneur
«
usait
de
sa
puissance
»
sur
sa
Servante
avec
plus
de
souveraineté
encore,
et
l'élevait
jusqu'aux
ravissements.
C'est
ainsi
qu'elle
fut
surprise
un
jour
dans
la
chapelle
du
Plessis,
par
une
dame
de
sa
connaissance
;
elle
était
à
genoux
devant
une
figure
du
Christ
au
tombeau,
légèrement
appuyée
contre
le
mur,
la
tête
inclinée,
les
mains
jointes
et
étendues.
La
visiteuse
émerveillée
la
contempla
deux
heures
et
essaya
en
vain,
durant
ce
temps,
de
lui
faire
retrouver
l'usage
de
ses
sens.
Une
autre
fois,
pendant
qu'elle
visitait
une
malade
pauvre,
Dieu,
voulant
sans
doute
montrer
combien
sa
charité
lui
était
agréable,
fondit
à
l'improviste
sur
son
âme
et
la
tint
dans
une
longue
extase.
Elle
avait
justement
amené
avec
elle
ce
jour-là,
comme
elle
le
faisait
souvent,
sa
cousine
de
Freschine.
La
pauvre
petite,
voyant
Madeleine
en
cet
état,
«
crut
qu'elle
était
morte
ou
bien
proche
de
mourir
;
elle
la
pleura
amèrement,
et
lorsqu'elle
la
vil
revenir,
elle
en
eut
autant
d'étonnement
que
de
joie
». |