CHEMIN DE SAINTETÉ

adveniat regnum tuum

Madeleine de Saint-Joseph
Première prieure française
du premier monastère des Carmélites
Déchaussées en France
(1578-1637)

 

AVANT-PROPOS

Le nom de la vénérable Madeleine de Saint-Joseph eut jadis sa célébrité. Aujourd'hui, il n'est guère connu que des érudits ou des Carmélites de France. Encore, parmi celles-ci, il y en est peut-être qui l'ignorent, car les vieilles biographies de la Servante de Dieu sont des livres devenus rares et dont le style ne plaît pas à tous.

Il a paru désirable de combler cette lacune et de rendre en quelque sorte aux Filles de sainte Thérèse une de leurs gloires les plus pures.

C'est donc à elles que s'adressent avant tout ces pages, où l'on a cru devoir en conséquence faire une large place à ce qui touche la vie intérieure.

Cependant, le caractère attirant de la Mère Madeleine, l'équilibre de son tempérament spirituel, les qualités qui firent d'elle une éminente supérieure — toutes choses qui seront toujours d'actualité — ont donné à penser que sa Vie pourrait être lue avec intérêt et profit en dehors même des cloîtres thérésiens. Dans cette vue, comme aussi pour servir, si peu que ce soit, à l'histoire religieuse de ce XVIIe siècle auquel ne se lassent pas de revenir nos contemporains, on n'a pas craint d'élargir le cadre nécessairement restreint d'une biographie de moniale, et d'y insérer des développements parfois considérables sur les rapports de la Servante de Dieu avec un grand nombre de personnalités de son temps.

Les sources auxquelles sont empruntés les éléments de ce travail sont nombreuses. On ne parlera ici que des principales. Et d'abord des deux biographies imprimées de la Vénérable.

La première, qui parut en 1645, avec cette indication semi-anonyme : par un prêtre de l'Oratoire, est en réalité l'œuvre commune des Pères Gibieuf et Senault. « L'auteur de la première impression de la Vie de notre bienheureuse Mère, écrivait une Carmélite de cette époque, était notre R. P. Gibieuf, qui en avait dressé l'histoire sur les mémoires qu'on lui en avait fournis de céans ;... il pria le P. Senault, à présent général de l'Oratoire, de la mettre en style, parce que notre susdit P. Gibieuf crut que les personnes du monde le goûteraient mieux que le sien. Néanmoins beaucoup de gens de nos amis avaient su la part que notre R. P. Gibieuf avait à cette histoire, et c'est de lui dont parle Mgr l'évêque de Saint-Papoul dans son approbation — disant « Saint Hyérome nous présente sainte Poule », etc. — ; mais en l'imprimant, on supprima le nom du R. P. Gibieuf, à cause du travail du R. P. Senault, et on mit seulement : composé par un Père de l'Oratoire ».

De nombreux passages du même document répètent ces dires sous une forme ou une autre, et il est facile, aujourd'hui encore, de les contrôler en comparant le texte de la biographie imprimée en 1645 avec celui du P. Gibieuf, dont une précieuse copie, due à son secrétaire, se conserve au monastère de l'Incarnation. On n'a là, en effet, qu'une œuvre inachevée. D'abord, elle s'arrête au chapitre vu du livre II, et un papier volant avertit que l'auteur n'en composa pas davantage. Puis, le style dénote en maints endroits une rédaction hâtive et de premier jet. Néanmoins ces cahiers sont loin d'être de simples mémoires, comme les qualifie la Préface de 1645 ; ils forment un livre aux trois quarts fait, où l'on reconnaît de prime abord le fond de l'ouvrage de Senault, lequel suit presque partout la narration de son confrère et souvent même l'adopte textuellement.

On peut regretter que la modestie du P. Gibieuf l'ait empêché de finir et de publier son œuvre personnelle, car nul n'était mieux qualifié que lui pour faire connaître la Mère Madeleine à la postérité.

Oratorien de la première heure et vraiment « bras droit » du P. de Bérulle, Guillaume Gibieuf († 1650) était en effet entré de bonne heure en rapports avec la Servante de Dieu et, les huit dernières années de la vie de celle-ci, il avait été son supérieur et son directeur. C'était en même temps un homme fort intérieur, un théologien de marque et un écrivain au-dessus du médiocre. Sans parler d'un traité latin sur la liberté (1630), il avait publié, à la requête de la Mère Madeleine elle-même, un livre de valeur sur Là vie et les grandeurs de la Sainte Vierge (1637) et composa plus tard, à la demande d'une autre Carmélite de Paris, son excellent opuscule : Catéchèse de la vie parfaite, qu'on imprima après sa mort.

Quant au P. Jean-François Senault (1601-1672), orateur et écrivain d'une surprenante fécondité, il fut très apprécié de son temps. Et si, comme on l'a vu, il ne peut revendiquer l'entière paternité de la Vie connue sous son nom, il serait pourtant injuste de ne pas lui attribuer la part qui lui en revient. Car, non seulement il « mit en style » le travail de son docte confrère, mais encore il acheva lui-même le second livre, après avoir introduit dans l'autre quelques traits complémentaires. Il reste donc bien le premier historien officiel de Madeleine de Saint-Joseph, et à ce titre — quoique rarement cité dans cette nouvelle biographie — il méritait une courte mention.

Son livre connut un grand succès et fut rapidement épuisé. Quand il s'agit de le rééditer, les Carmélites songèrent, pour satisfaire de nombreux désirs, à en amplifier le texte, le procès de béatification de leur Mère, ouvert en 1647, ayant permis de recueillir beaucoup de renseignements nouveaux.

Sur ces entrefaites, le P. Senault fut élu général de l'Oratoire (1663). Il s'excusa, à cause de ses occupations, d'entreprendre lui-même cette réédition, mais il « donna » le P. Talon pour y travailler à sa place.

Jacques Talon (1598-1671) n'était du reste pas un inconnu pour les religieuses du Grand Couvent. Outre qu'il était resté de longues années secrétaire dans la famille de l'une d'elles, on avait déjà eu recours à lui pour « dresser » des dépositions lors du procès apostolique sur la renommée de sainteté de Madeleine de Saint-Joseph (1655).

« Homme d'esprit et de belles lettres », « écrivain exact et poli » — tel le juge Batterel —, il n'a pas laissé cependant une œuvre littéraire bien personnelle, puisqu'elle ne compte guère que des traductions, avec la Vie de la vénérable Madeleine.

Pour ce dernier ouvrage, il reprit le livre du P. Senault, dont il garda à peu près l'ordonnance et très souvent le texte, mais il l'augmenta de moitié à l'aide des mémoires fournis par les Carmélites.

Celles-ci, on le voit par des documents certains, collaborèrent même très activement au travail, surtout Marie de Jésus de Gourgues ; elles firent de plus réviser et retoucher encore l'ouvrage par d'autres prêtres de leurs amis, en envoyèrent de leur initiative des copies de divers côtés pour solliciter les quatorze lettres: d'approbation, le donnèrent elles-mêmes, semble-t-il, à l'imprimeur quand : le moment leur parut favorable, enfin gardèrent jusqu'au bout l'affaire en mains.

Le P. Talon paraît d'ailleurs avoir accepté de la meilleure grâce le rôle un peu effacé qu'on lui attribuait, car c'était un saint homme, humble et simple comme un enfant, malgré a la vie agitée et tumultueuse qu'il avait naguère menée à la suite du cardinal de La Valette. D'ailleurs sa mauvaise santé et l'impuissance ou une attaque de paralysie le réduisit un moment, au milieu de son travail, devaient lui 'faire apprécier une collaboration intelligente.

Quoi qu'il en soit, il fut reconnu par les Carmélites pour auteur de la Vie de 1670, et dans les pages qui vont suivre On le considérera toujours ainsi.

Tels sont, les écrivains qui, au XVIIe siècle, s'employèrent à perpétuer la mémoire de Madeleine de Saint-Joseph; telle est l'origine de leur œuvre respective.

Quant au mérite de cette œuvre on ne peut le méconnaître, surtout quand, documents en main, on constate le soin avec lequel fut utilisée l'abondante matière mise à la disposition dès biographes. L'ouvrage de Talon surtout — beaucoup plus complet que les autres : — a, au double point de vue historique et spirituel, une grande valeur, et certains lecteurs, sans doute, le parcourront encore avec plaisir, s'ils ont la bonne fortune d'en rencontrer un exemplaire.

Toutefois, on peut adresser à ce Père, ainsi qu'au P. Senault, mais plus encore qu'à lui, deux reproches sérieux. Le premier, de n'avoir pas respecté assez scrupuleusement le texte original des pièces qu'il cite. Le second, de s'être montré trop avare de dates et de noms propres, comme aussi de ces traits familiers à travers lesquels se révèle si bien un caractère, en un mot, de n'avoir pas donné assez de vie à son récit.

Faire vivre la vénérable Madeleine sous les yeux du lecteur a au contraire été le but constamment visé au cours du présent ouvrage. C'est pourquoi, sans négliger les deux livres dont il vient d'être parlé, on a presque toujours préféré puiser aux sources originales.

De toutes, les plus précieuses, au moins pour la partie spirituelle, eussent été les autographes mêmes de la Servante de Dieu. Malheureusement, ils ont disparu. On les avait recueillis en grand nombre au monastère de. l'Incarnation peu après la mort de la Mère Madeleine; mais l'examen juridique n'en ayant pas été fait en temps voulu, il fallut plus tard remédier à cette lacune. À la fin du XVIIIe siècle, quand fui reprise pour lu dernière fois la Cause de la Vénérable, on envoya donc à Rome tout ce que l'on possédait en fait d'écrits de sa main, outre des copies et des recueils, soit de lettres, soit d'exhortations et d'avis : Or lés événements qui bouleversèrent peu après la France et l'Italie occasionnèrent vraisemblablement la perte de ces précieux papiers.

Des notes intimes de la Mère Madeleine, on n'a donc plus que les divers passages cités dans les dépositions ou les biographies. Quant aux lettres, un certain nombre avaient été copiées; et quoique ces transcriptions paraissent presque toutes tronquées et un peu retouchées pour le style, elles n'en constituent pas moins une collection remarquable qui sera publiée ultérieurement avec les Avis et les fragments d'exhortations de la vénérable Mère.

A défaut d'autographes, et malgré les vicissitudes subies par la communauté depuis un siècle et demi, les archives du Carmel de l'Incarnation restent riches en ce qui concerne la Servante de Dieu. On y trouve d'abord les dépositions pour les trois phases du procès de béatification, celles surtout de 1647 et 1655, émanées de témoins oculaires et dont l'autorité s'impose. Puis avec quelques minutes de dépositions proprement dites, des mémoires rédigés par les Carmélites, mémoires qui, dans l'ensemble, sont des dépositions ébauchées, et ainsi qualifiées par leurs auteurs.

En effet, dans le désir de faire court pour le procès In génère (1655), selon les recommandations du postulateur, onze Carmélites seulement déposèrent juridiquement, — encore n'y eut-il que les témoignages de cinq d'entre elles admis au libellé définitif — ; mais beaucoup d'autres s'étaient préparées à le faire. Quelques-unes aussi peut-être s'attendaient à déposer, et plus au long, pour le procès In specie que l'on croyait devoir suivre de près le premier. De là les mémoires dont il est ici question.

Tout incomplet qu'il soit maintenant, un tel dossier est pour l'historien une source inappréciable d'information, car ces pièces offrent moralement la même garantie de vérité que les dépositions juridiques mêmes, et elles ont sur ces dernières le grand avantage d'être plus abondantes en détails, et généralement plus naturelles dans leur rédaction. D'où les fréquents emprunts qu'on a cru devoir y faire au cours de ce récit.

Enfin, on a pu utiliser encore des renseignements inédits et variés provenant d'extraits de correspondances et autres pièces, classés par une professe de la Mère Madeleine, Sœur Marguerite de Jésus d'Anglure, en onze séries d'in-folio : Registres de divers.

   

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