CHEMIN DE SAINTETÉ

adveniat regnum tuum

Vie de Saint Alphonse-Marie de Liguori

PAR L'ABBÉ BERNARD
Licencié Ès-Lettres
Professeur à l'Institution de la Trinité, à La Marche (Vosges).

 

CHAPITRE VII.

Projet brillant de mariage pour Alphonse ;
trait héroïque de respect pour son père ;
ses vues sublimes sur tous ses devoirs.

Alphonse approchait de sa vingtième année. En voyant les progrès qu'il faisait de jour en jour dans la carrière du barreau, chacun se persuadait aisément qu'avec des talents si distingués et la faveur dont la maison. de Liguori jouissait auprès de la famille royale, il ne tarderait pas à être bientôt revêtu des dignités de la magistrature, et qu'il occuperait une des places les plus importantes dans le sénat de Naples. De si rares prérogatives étaient encore rehaussées par tous les autres avantages qu'on peut désirer dans un jeune homme de qualité : une grande âme, un noble amour de la gloire, des manières aimables et prévenantes. Tout. cela, joint à une conduite irréprochable, faisait désirer aux principaux seigneurs de Naples de lui donner leur fille en mariage. Parmi tous les partis qui se présentèrent, le choix de Don Joseph s'était fixé sur Thérèse, fille unique de François de Liguori, prince de Présiccio; il voyait en elle une riche héritière, qui d'ailleurs était sa parente. Tout le monde croyait que le prince François n'aurait plus d'enfant; comme il n'avait pas de fils, Don Joseph pensait acquérir pour Alphonse, l'aîné de sa maison, une fortune considérable. Il fit parler au prince par l'entremise de Don Vespasien de Liguori, qui était aussi son parent. Si Don Joseph entrait avec plaisir en négociation pour ce mariage, le prince, de son côté, le désirait bien davantage encore, et regardait comme un bonheur que sa fille pût devenir l'épouse d'Alphonse.

Tout se passait entre les parents ; car Alphonse ne faisait aucune instance et ne montrait pas même l'intention d'embrasser l'état de mariage. Bientôt, une circonstance imprévue montra d Thérèse le néant du inonde; elle prit Jésus-Christ pour époux, dans le couvent des religieuses du Saint-Sacrement. Dieu bénit sa vocation ; sa vie fut courte, mais pleine de mérites. Elle mourut en odeur de sainteté ; et Alphonse, à la, prière de la supérieure, écrivit le récit de la vie édifiante de celle qui avait dû être son épouse.

Cette haute fortune qui s'ouvrait devant ses yeux, ce rang distingué dans le barreau de Naples, son âge et la grandeur de son caractère nous rendent plus admirable encore un trait qui montre combien le noble jeune homme était respectueux et soumis envers son père. Il y avait un soir, à la maison, une splendide réunion ; le domestique ne fut pas assez prompt pour éclairer, et Don Joseph le gronda plus que de raison. Alphonse eut compassion du serviteur, et se permit quelques paroles en sa faveur. Le père, dans sa mauvaise humeur, lui donne un soufflet. Alphonse ne dit mot; mais, pénétré d'humiliation, il se retire dans sa chambre. Sa mère, ne le voyant pas arriver, le cherche et l'appelle; le trouve baigné de larmes, et déplorant, non pas son affront, mais son manque de respect à l'autorité paternelle. Il avoue sa faute à sa tendre mère, et la prie d'intercéder pour lui. Il va, avec elle, se présenter; fait ses excuses, et demande pardon. Le père, attendri, l'embrasse et le bénit; si le reproche d'un fils lui avait été sensible, sa consolation ne fut pas moins touchante quand il le vit si héroïquement humilié.

Quelle vertu, quel prodige de zèle ou d'immolation pourra nous étonner plus tard dans une âme si droite, si fortement trempée, et qui se fait une idée si héroïque de l'obéissance et une idée si sublime de l'autorité ?

Ses vues n'étaient pas moins élevées sur tous ses devoirs, et, en particulier, sur sa profession d'avocat. Il nous suffit de citer quelques-unes des maximes qu'il s'était proposées et qu'il méditait souvent, pour maintenir la pureté de sa conscience dans ses fonctions délicates.

"N'accepter jamais de cause injuste; une cause injuste est. aussi funeste à l'honneur qu'à la conscience."

"Ne pas accabler le client de dépens superflus; autrement, l'avocat est tenu à restitution."

"L'avocat doit défendre la cause de son client avec tout le soin qu'il mettrait à défendre la sienne propre."

"La négligence et les retards de l'avocat sont souvent préjudiciables aux clients ; il doit les dédommager de ces pertes ; autrement, il pèche contre la justice."

"Un avocat se déshonore, en acceptant des affaires supérieures à ses talents, ou s'il prévoit qu'il n'aura pas le temps de préparer sa défense."

"La justice et la probité sont les compagnes obligées de l'avocat ; il doit les garder comme la prunelle de son œil."

"L'avocat doit implorer le secours de Dieu pour réussir dans sa défense ; car Dieu est le premier protecteur de la justice."

C'est la pureté virginale de son cœur qui donnait au jeune avocat tant de lumière et tant de force. Ses succès furent complets ; on a fait le relevé de toutes les sentences prononcées dans les affaires où Alphonse a plaidé; il ne perdit pas une seule cause, jusqu'au jour qui décida son grand sacrifice.

CHAPITRE VIII.

Refroidissement passager d'Alphonse.
Retour à sa ferveur première.

L'homme a tout à craindre de sa propre inconstance. Les passions naissent et croissent avec nous; amorties par l'éducation et la grâce, elles sont néanmoins toujours si vivantes et si promptes à se ranimer, qu'à la première occasion elles livrent de terribles combats. Alphonse avouait dans sa vieillesse qu'à cet âge critique il s'était notablement refroidi dans la piété, et mis en danger de perdre son âme. Son père le conduisait dans les sociétés, il fréquentait les théâtres; et souvent, quoique toujours par obéissance, on le comptait parmi les joueurs ; c'était, il est vrai, d'innocents divertissements, mais son cœur s'y dissipa; il ne montrait plus comme autrefois cette grande ardeur pour la vertu, et ne goûtait plus cette manne divine qui faisait naguère ses délices. Les applaudissements qu'il recevait de toutes parts , les propositions de mariage, les messages flatteurs, les compliments des dames; toutes ces choses flattèrent ses passions, son cœur en fut atteint, et perdit sa première ferveur. Dans ce refroidissement spirituel, le plus léger motif suffisait pour lui faire omettre quelques-uns de ses exercices de piété. S'il avait persisté plus longtemps dans ce dangereux état, comme il le disait lui-même, il n'aurait pu éviter de faire quelque lourde chute ; mais la providence veillait sur lui, et ne manqua pas de le secourir à temps, et de le faire rentrer en lui-même.

Alphonse était lié d'une étroite amitié avec un jeune homme de mœurs excellentes, et plein de vertus. Alarmé de voir dans son ami un commencement de négligence dans le service de Dieu, et voulant lui-même se retremper dans la ferveur, cet, excellent jeune homme lui proposa dans le temps du carême d'aller faire avec lui une retraite. La grâce qui suivait Alphonse et le pressait sans relâche, frappa à la porte de son cœur et lui fit sentir combien il était déchu de sa première ferveur; elle lui fit voir qu'en suivant le monde il se repaissait aussi des vanités du monde, qu'il aimait Dieu d'une manière secondaire , et prenait place à la table de l'agneau comme un convive déjà rassasié, puisqu'il y venait sans désir. La retraite, passée dans ces méditations, fut pour lui comme une rosée sur une terre menacée de sécheresse ; elle fit de nouveau germer dans son cœur les semences de piété que les ronces commençaient à étouffer. La lumière divine pénétra son âme; il déplora son relâchement et promit à Dieu de quitter le genre de vie où il s'était inconsidérément engagé ; pendant cette retraite il le maudit, le pleura au pied du crucifix, et ne cessa de le détester jusqu'à la fin de sa vie, avec les larmes d'un douloureux repentir.

Par la manière dont il parlait ordinairement de cette époque de sa vie, Alphonse semble donner à croire qu'il avait alors perdu

son innocence; mais il n'en était rien. Tel a toujours été le langage des saints qui se condamnent eux-mêmes, en exagérant leurs fautes. Son innocence est prouvée par les témoignages de plusieurs personnes qui eurent la direction de sa conscience. Toutes attestent que le vice n'est jamais entré dans son cœur, et qu'il n'a jamais commis de péché mortel. Même dans cet âge où il disait avoir vécu dans le dérèglement et la disgrâce de Dieu, il ne cessa d'être réputé comme un saint jeune homme, de mœurs irréprochables.

   

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