CHAPITRE V.
Alphonse embrasse avec éclat la carrière
de la jurisprudence.
Don Joseph de Liguori ambitionnait de voir son fils briller
dans la magistrature; ce vœu devait être exaucé, vu les talents dont Alphonse
était orné; après sa philosophie et ses autres études, il dut s'appliquer au
droit civil et au droit canonique. Ses progrès excitèrent l'admiration
générale; et bientôt on put présager que le jeune Liguori occuperait un jour à
Naples les positions les plus brillantes. Dès l'enfance, il s'était affranchi
des amusements ; sa jeunesse conserva la même austérité. Jamais il ne
poursuivit les plaisirs même permis que ses parents
pouvaient lui procurer; au contraire, il se livrait au travail comme un enfant
de condition inférieure. Le père, de son côté, n'épargnait rien pour favoriser
de si heureuses dispositions; avant l'âge de seize ans, son digne fils était
déjà très versé dans la jurisprudence. Il fut reçu docteur le 21 janvier 1713,
à l'applaudissement général, avec dispense d'âge ; car il avait seulement
seize ans et quelques mois. Si jeune encore, on le vit se présenter devant les
tribunaux de Naples, assister, avec une ardente avidité, aux nombreuses décisions
des conseils si respectables de cette ville.
Vers ce temps, il bannit toute espèce de divertissement et
renonça même aux soirées qu'il allait passer dans la maison de Don Cito. Il avait pour toute société le président Caravita, homme aussi pieux que savant, et qui ne le cédait
à personne dans la science du droit civil et canonique. Sa maison était une
espèce d`académie pour les jeunes gens studieux. Les personnes les plus
vertueuses et les plus versées dans les matières légales avaient coutume de s'y
réunir: le président aimait à s'entourer de jeunes candidats, et mettait ses
soins à les rendre habiles dans la discussion du droit et dans le maniement de
la parole. Tous les soirs, il tenait des conférences dans lesquelles ces jeunes
avocats traitaient les questions les plus difficiles, en s'armant de la loi que
chacun jugeait favorable à son opinion ; et le président adoptait ou
rejetait leurs conclusions.
Alphonse n'avait pas encore atteint sa vingtième année,
qu'il se voyait déjà chargé d'une nombreuse clientèle et siégeait avec honneur
devant les tribunaux, à côté des avocats les plus distingués. La famille de son
père comptait alors au nombre de ses membres ou de ses amis plusieurs sénateurs
des plus notables. Ces hommes de qualité, connaissant le talent d'Alphonse, sa
bonne conduite, et le désir qu'il avait de s'avancer, concoururent de tout leur
pouvoir à lui procurer une honorable clientèle.
Lui-même sut gagner l'estime du public ; en peu de temps,
les causes les plus importantes lui furent confiées. On admirait en lui des
connaissances universelles, un esprit éclairé, beaucoup de précision dans la
manière de s'exprimer, la plus grande probité et une extrême horreur de la
chicane. Il n'acceptait que des causes justes, et refusait celles qui paraissaient
douteuses. Il se montrait humain et désintéressé envers ses clients; il avait
un tel ascendant sur les cœurs, qu'il enchantait les juges et mettait ses
adversaires de son côté. Grâce à tous ces dons et à d'autres encore, chacun
venait lui confier ses intérêts, et le recherchait pour son défenseur.
CHAPITRE VI.
Alphonse fortifie son adolescence
par un redoublement de piété et de vertu.
Si Alphonse avait à cœur de se frayer un chemin dans la
jurisprudence et de se faire un nom par ses talents, il désirait également
s'avancer dans la vertu et se rendre cher Î Dieu. Deux ans après avoir reçu la
robe, il passa de la congrégation des jeunes nobles dans celle des docteurs,
établie dans la même maison des Pères de saint Jérôme, et il y fut agrégé le 15
août 1715, à l'âge de dix-neuf ans. Cette congrégation était l'édification -de
toute la ville de Naples, à cause du grand bien qu'y faisaient les associés.
Ces dignes prêtres, animés de l'esprit de saint Philippe, leur fondateur,
n'omettaient rien pour inspirer à leurs élèves l'esprit de Jésus-Christ, et les
rendre, par leurs soins, aussi chers à Dieu qu'utiles à l'Etat.
Alphonse voulut répondre à leurs soins; et, comme il avait goûté dans son
enfance le lait de la piété parmi ces Pères, il voulut aussi dans son
adolescence s'y fortifier par une nourriture plus solide.
Il visitait souvent aussi le Père Pagano, son directeur
spirituel. C'était son ange tutélaire; il lui exposait ses doutes et ne
s'écartait jamais de ses conseils. Il fréquentait les` sacrements, visitait les
malades dans les hôpitaux, joignait l'oraison à la mortification des sens et
des passions. Jamais il ne se rendit au tribunal sans avoir entendu la sainte
messe, sans avoir fait à l'église ses autres dévotions. Tous les huit jours, il
allait à la congrégation, et s'acquittait avec diligence de tous les devoirs
prescrits. Il se donnait au service des malades avec les frères de l'hôpital
des Incurables ; tout revêtu de ses insignes d'avocat, il arrangeait leurs
lits, les consolait, et leur servait à manger avec une charité exemplaire.
Son père était heureux de l'affermir dans ses pieuses
dispositions; il faisait avec lui, tous les ans, les exercices spirituels, dans
la maison tenue pour cette fin par les jésuites, ou dans la maison dirigée par
les missionnaires de saint Vincent de Paul.
Alphonse conçut alors un amour tout spécial pour la sainte
vertu de pureté, qu'il regardait comme le plus précieux ornement de son âme.
Dans toute sa jeunesse, on ne remarqua jamais, dans ses conversations avec les
jeunes compagnons de ses travaux et de ses plaisirs, un signe ou une parole qui
pût faire soupçonner la moindre atteinte à cette vertu. Tout en lui respirait
la pudeur ; il était si jaloux de la conserver, qu`il redoutait les périls
même les plus éloignés.
Une vie si exemplaire dut produire des fruits abondants
d'édification. Il plut à la Providence de nous en donner une idée dans la
conversion d'un esclave de la maison. Son père avait, comme capitaine des
galères, plusieurs esclaves à ses ordres; un d'entre eux, doué des plus
heureuses dispositions, fut richement équipé et attaché au service d'Alphonse.
Bientôt l'esclave manifesta l'intention de se faire chrétien. Comme on lui
demandait ce qui l'avait porté à une semblable résolution : "L'exemple de
mon jeune maître, répondit-il, a fait sur moi la plus grande impression; car il
est impossible qu'elle soit fausse, cette religion qui le fait vivre avec tant
d'honnêteté et de perfection ! " L'esclave persévéra, se fit chrétien, et
mourut en donnant des marques de prédestination. On essaya vainement de
convertir les autres ; aucun moyen ne fut efficace comme le spectacle familier
et continuel de l'angélique Alphonse.
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