CHAPITRE IX.
La dévotion séraphique d'Alphonse au Saint-Sacrement
le détache de plus en plus du monde.
De tous les fruits qu'Alphonse recueillit de cette retraite,
le plus grand fut une confiance toute spéciale et une tendre dévotion envers
Jésus, présent au très Saint-Sacrement. Il s'approchait de la Sainte Table
plusieurs fois la semaine ; il allait chaque jour visiter le très Saint-Sacrement
dans l'église où se faisait l'adoration des Quarante Heures, et s'y tenait en
contemplation des heures entières, édifiant ainsi le peuple et remplissant son
propre cœur d'une grande consolation. C'était beau de le voir au pied des
autels, surtout quand il portait les insignes de son rang. Il achetait lui-même
des fleurs, et embellissait l'autel de l'église de sa paroisse où était exposé
le divin Sacrement. Il conserva pendant toute sa vie cette dévotion pour orner
les autels; quand il fut dans la congrégation, il se procurait les semences les
plus rares, et cultivait de ses propres mains les fleurs pour en parer les
autels. Il portait envie, comme il le dit dans un de ses cantiques, à ces
innocentes créatures qui ont l'heureux destin de rester nuit et jour devant le
Créateur. En récompense des hommages qu'Alphonse rendait à Jésus dans le
Mystère Eucharistique, l'auguste Sacrement devint pour lui la source de toutes
les grâces dont il fut comblé dans le cours de sa vie. Dégagé du monde et
vainqueur de lui-même, il en était redevable à Jésus, au Saint-Sacrement, comme
il l'atteste dans son livre des Visites: a Par cette dévotion de visiter le
très Saint-Sacrement, quoique pratiquée avec beaucoup de froideur et
d'imperfection, je me vis dégagé du monde, où pour mon malheur j'ai vécu
jusqu'à l'âge de vingt-six ans. " Ce tendre amour envers le divin Mystère
fut extrêmement remarquable dans Alphonse ; il le conserva jusqu'à la fin
de sa vie ; nous pourrions l'appeler à juste titre l'amant du très Saint
Sacrement.
L'année suivante, son père se trouvant à Naples, Alphonse se
retira de nouveau avec lui dans la maison des Pères de la mission pour y régler
les affaires de sa conscience. Il y fut éclairé de nouvelles lumières, et
s'affermit dans sa résolution de ne plus penser au mariage, mais de se
consacrer tout à Dieu et à l'affaire de son salut. Il résolut en même temps de
céder son droit d'aînesse à son frère Hercule, sans cependant abandonner les
tribunaux. Ainsi, la grâce préparait suavement Alphonse à entrer dans les
desseins de Dieu sur lui; ainsi Alphonse correspondait à la grâce, et, sans en connaître
les raisons , écartait lui-même tous les obstacles aux
bénédictions du Seigneur.
CHAPITRE X.
Alphonse brise un nouveau plan d'un brillant mariage
et se consacre intérieurement à Dieu.
Le traité de mariage avec Thérèse de Liguori ayant été
rompu, Don Joseph en projeta un autre avec la fille de Dominique del Balzo, duc de Présenzano, personne très vertueuse et d'un rang non moins
distingué que la première. Sans avoir déclaré ses intentions à Alphonse, il en
fit tout à coup la proposition au prince, qui l'agréa très volontiers. Don
Joseph recherchait cette alliance pour son fils; et le prince ne désirait pas
moins de voir sa fille devenir la compagne d'un jeune homme aussi accompli.
Après les premières ouvertures, les deux familles
commencèrent à se visiter; mais Alphonse avait en vue tout autre chose que le
monde et le mariage; il n'avait cependant pas le courage de le déclarer
ouvertement à son père, qui l'aurait entendu avec indignation. Afin de lui
complaire, il fréquentait, quoiqu'à regret, la maison de Présenzano.
Comme il le disait souvent plus tard, il se trouvait au milieu des plus grands
divertissements, comme sur des épines; et, avant de s'y rendre, il ne pensait
qu'au temps qu'allait durer son martyre.
Don Joseph, voyant l'indifférence d'Alphonse, cherchait à
lui inspirer un vif amour; à cet effet, il passait en revue les rares qualités
qu'on admirait dans la jeune personne, vantait son éducation, son esprit, enfin
tout ce qui pouvait rendre cette alliance désirable; mais Alphonse, n'osant refuser
formellement, se défendait en disant que ses maux de poitrine et son asthme
l'avertissaient assez qu'il n'était pas appelé à l'état de mariage. Don Joseph,
attribuant ces prétextes à la timidité de son fils, continuait de le conduire
chez la princesse. Mais Alphonse ne songeait guère à la demoiselle ; il prenait
part à la conversation, mais avec une modestie et une réserve qui faisaient un contraste édifiant et très original avec les
plans des deux familles. " Mon père m'y conduisait, disait-il dans la
suite à son directeur; et la jeune personne voulait me faire toutes les
amitiés; mais, grâce à Dieu, je n'y ai jamais commis le plus petit péché.
" Une fois surtout qu'il y eut soirée dans la maison de Présenzano, une occasion fit apprécier la grande vertu et
la rare circonspection d'Alphonse; les gens de la maison et d'autres
gentilshommes l'invitèrent à toucher du clavecin; il s'y prêta volontiers, et
la demoiselle lui proposa de l'accompagner dans une partie de chant ; elle
se leva, se plaça tout près d'Alphonse, et, tournant le visage de son côté,
elle commença de chanter. Alphonse, qui ne pouvait éluder cette épreuve , sut néanmoins , pendant qu'il touchait du
clavecin, tourner adroitement la tête du côté opposé ; la demoiselle, qui
attribuait ce geste à une simple distraction, quitta la place où elle se
trouvait et passa de l'autre côté; mais elle ne fut pas plus prompte à changer
de place qu'Alphonse à se détourner encore. La jeune princesse, toute
formalisée d'une indifférence. qu'elle prenait pour du
mépris : " Oh !dit-elle en s'adressant à la société, il paraît que M.
l'avocat est tombé tout à coup sous l'influence de la lune !" Abandonnant
aussitôt la partie, elle se retira ; Alphonse resta ainsi mortifié
, mais chacun fut édifié de son admirable modestie.
Il s'ouvrit enfin à sa mère, lui déclara qu'à aucun prix il
ne consentirait à se lier avec le monde, et la pria de persuader à son père de
ne plus le presser. Anne fut affligée de cette résolution; et, comme elle
entrait assez dans les vues de Don Joseph, sollicita à son tour Alphonse, lui
exposa tout ce que cette alliance avait d'avantageux, et surtout le grand
déplaisir que son refus causerait à son père: " Je saurai bien, dit alors
Alphonse, opposer à mon père tant d'obstacles de tout genre qu'il ne pourra
conclure ce mariage , ni aucun autre. " La jeune
demoiselle, de son côté, ne voyant, pas qu'Alphonse répondît à ses intentions,
changea de sentiment; et, lorsque son père et sa mère voulurent insister et lui
faire déclarer qu'elle le voulait pour époux, elle répondit franchement: "
Quoi ! voulez-vous que j'aille prendre pour mari
un homme qui ne veut pas me regarder ?"
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