CHEMIN DE SAINTETÉ

adveniat regnum tuum

Vie de Saint Alphonse-Marie de Liguori

PAR L'ABBÉ BERNARD
Licencié Ès-Lettres
Professeur à l'Institution de la Trinité, à La Marche (Vosges).

 

CHAPITRE IX.

La dévotion séraphique d'Alphonse au Saint-Sacrement
le détache de plus en plus du monde.

De tous les fruits qu'Alphonse recueillit de cette retraite, le plus grand fut une confiance toute spéciale et une tendre dévotion envers Jésus, présent au très Saint-Sacrement. Il s'approchait de la Sainte Table plusieurs fois la semaine ; il allait chaque jour visiter le très Saint-Sacrement dans l'église où se faisait l'adoration des Quarante Heures, et s'y tenait en contemplation des heures entières, édifiant ainsi le peuple et remplissant son propre cœur d'une grande consolation. C'était beau de le voir au pied des autels, surtout quand il portait les insignes de son rang. Il achetait lui-même des fleurs, et embellissait l'autel de l'église de sa paroisse où était exposé le divin Sacrement. Il conserva pendant toute sa vie cette dévotion pour orner les autels; quand il fut dans la congrégation, il se procurait les semences les plus rares, et cultivait de ses propres mains les fleurs pour en parer les autels. Il portait envie, comme il le dit dans un de ses cantiques, à ces innocentes créatures qui ont l'heureux destin de rester nuit et jour devant le Créateur. En récompense des hommages qu'Alphonse rendait à Jésus dans le Mystère Eucharistique, l'auguste Sacrement devint pour lui la source de toutes les grâces dont il fut comblé dans le cours de sa vie. Dégagé du monde et vainqueur de lui-même, il en était redevable à Jésus, au Saint-Sacrement, comme il l'atteste dans son livre des Visites: a Par cette dévotion de visiter le très Saint-Sacrement, quoique pratiquée avec beaucoup de froideur et d'imperfection, je me vis dégagé du monde, où pour mon malheur j'ai vécu jusqu'à l'âge de vingt-six ans. " Ce tendre amour envers le divin Mystère fut extrêmement remarquable dans Alphonse ; il le conserva jusqu'à la fin de sa vie ; nous pourrions l'appeler à juste titre l'amant du très Saint Sacrement.

L'année suivante, son père se trouvant à Naples, Alphonse se retira de nouveau avec lui dans la maison des Pères de la mission pour y régler les affaires de sa conscience. Il y fut éclairé de nouvelles lumières, et s'affermit dans sa résolution de ne plus penser au mariage, mais de se consacrer tout à Dieu et à l'affaire de son salut. Il résolut en même temps de céder son droit d'aînesse à son frère Hercule, sans cependant abandonner les tribunaux. Ainsi, la grâce préparait suavement Alphonse à entrer dans les desseins de Dieu sur lui; ainsi Alphonse correspondait à la grâce, et, sans en connaître les raisons , écartait lui-même tous les obstacles aux bénédictions du Seigneur.

CHAPITRE X.

Alphonse brise un nouveau plan d'un brillant mariage
et se consacre intérieurement à Dieu.

Le traité de mariage avec Thérèse de Liguori ayant été rompu, Don Joseph en projeta un autre avec la fille de Dominique del Balzo, duc de Présenzano, personne très vertueuse et d'un rang non moins distingué que la première. Sans avoir déclaré ses intentions à Alphonse, il en fit tout à coup la proposition au prince, qui l'agréa très volontiers. Don Joseph recherchait cette alliance pour son fils; et le prince ne désirait pas moins de voir sa fille devenir la compagne d'un jeune homme aussi accompli.

Après les premières ouvertures, les deux familles commencèrent à se visiter; mais Alphonse avait en vue tout autre chose que le monde et le mariage; il n'avait cependant pas le courage de le déclarer ouvertement à son père, qui l'aurait entendu avec indignation. Afin de lui complaire, il fréquentait, quoiqu'à regret, la maison de Présenzano. Comme il le disait souvent plus tard, il se trouvait au milieu des plus grands divertissements, comme sur des épines; et, avant de s'y rendre, il ne pensait qu'au temps qu'allait durer son martyre.

Don Joseph, voyant l'indifférence d'Alphonse, cherchait à lui inspirer un vif amour; à cet effet, il passait en revue les rares qualités qu'on admirait dans la jeune personne, vantait son éducation, son esprit, enfin tout ce qui pouvait rendre cette alliance désirable; mais Alphonse, n'osant refuser formellement, se défendait en disant que ses maux de poitrine et son asthme l'avertissaient assez qu'il n'était pas appelé à l'état de mariage. Don Joseph, attribuant ces prétextes à la timidité de son fils, continuait de le conduire chez la princesse. Mais Alphonse ne songeait guère à la demoiselle ; il prenait part à la conversation, mais avec une modestie et une réserve qui faisaient un contraste édifiant et très original avec les plans des deux familles. " Mon père m'y conduisait, disait-il dans la suite à son directeur; et la jeune personne voulait me faire toutes les amitiés; mais, grâce à Dieu, je n'y ai jamais commis le plus petit péché. " Une fois surtout qu'il y eut soirée dans la maison de Présenzano, une occasion fit apprécier la grande vertu et la rare circonspection d'Alphonse; les gens de la maison et d'autres gentilshommes l'invitèrent à toucher du clavecin; il s'y prêta volontiers, et la demoiselle lui proposa de l'accompagner dans une partie de chant ; elle se leva, se plaça tout près d'Alphonse, et, tournant le visage de son côté, elle commença de chanter. Alphonse, qui ne pouvait éluder cette épreuve , sut néanmoins , pendant qu'il touchait du clavecin, tourner adroitement la tête du côté opposé ; la demoiselle, qui attribuait ce geste à une simple distraction, quitta la place où elle se trouvait et passa de l'autre côté; mais elle ne fut pas plus prompte à changer de place qu'Alphonse à se détourner encore. La jeune princesse, toute formalisée d'une indifférence. qu'elle prenait pour du mépris : " Oh !dit-elle en s'adressant à la société, il paraît que M. l'avocat est tombé tout à coup sous l'influence de la lune !" Abandonnant aussitôt la partie, elle se retira ; Alphonse resta ainsi mortifié , mais chacun fut édifié de son admirable modestie.

Il s'ouvrit enfin à sa mère, lui déclara qu'à aucun prix il ne consentirait à se lier avec le monde, et la pria de persuader à son père de ne plus le presser. Anne fut affligée de cette résolution; et, comme elle entrait assez dans les vues de Don Joseph, sollicita à son tour Alphonse, lui exposa tout ce que cette alliance avait d'avantageux, et surtout le grand déplaisir que son refus causerait à son père: " Je saurai bien, dit alors Alphonse, opposer à mon père tant d'obstacles de tout genre qu'il ne pourra conclure ce mariage , ni aucun autre. " La jeune demoiselle, de son côté, ne voyant, pas qu'Alphonse répondît à ses intentions, changea de sentiment; et, lorsque son père et sa mère voulurent insister et lui faire déclarer qu'elle le voulait pour époux, elle répondit franchement: " Quoi ! voulez-vous que j'aille prendre pour mari un homme qui ne veut pas me regarder ?"

   

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