CHAPITRE III.
Progrès admirables d'Alphonse
dans la dévotion et la vertu.
Les Pères de saint Jérôme dirigeaient alors une congrégation
fervente ayant pour but le bien spirituel des jeunes nobles. Ils rendaient un
grand service aux parents chrétiens ; et les premières familles s'empressaient
d'y envoyer leurs enfants. Joseph et Anne ne se firent pas attendre; ils
associèrent Alphonse, âgé de neuf ans. Sa conduite exemplaire et sa grande
dévotion faisaient l'admiration de ces Pères. Dans un âge si tendre, il se rendait
tous les dimanches de très bonne heure à la congrégation. Docile et soumis aux
moindres avis des supérieurs, attentif et recueilli à tous les exercices
religieux, il paraissait avide des instructions, communes et poussait jusqu'à
l'inquiétude le désir d’en profiter. Il se confessait au Père Pagano ; et,
lorsqu'il fut en âge, il reçut la sainte communion de sa main. C'était un doux
spectacle, de voir ce jeune enfant assister à la sainte messe, à genoux, avec
une dévotion singulière, et s'approcher de la sainte table avec la plus grande
ferveur. Il se préparait dans de petits livres de piété
qu'il tenait dévotement à la main, et faisait son action de grâces avec les
ardeurs d'un séraphin. A mesure qu'il avançait en âge, sa mère redoublait de
sollicitude. Elle prenait soin de l'instruire elle-même sur la manière de faire
l'oraison. Elle lui parlait de l'énormité du péché, et du grand déplaisir que
la faute la plus légère cause au coeur de Jésus-Christ.
Tout cela faisait impression sur Alphonse; Anne se réjouissait
de trouver dans son fils une âme si docile et un esprit si droit. On admirait
sa constance dans ses exercices de piété quand arrivait i'heure de s'acquitter
d'une dévotion avec sa mère, il se présentait de lui-même; il n'omettait jamais
non plus les autres exercices qu'il s'était imposés de son propre mouvement.
Lorsque Alphonse eut atteint l'âge de douze ans, son oraison
n'était déjà plus ordinaire, elle était arrivée à un degré sublime.
Parmi une foule de traits qui le prouvent, nous en avons un plus
remarquable; il suffirait pour donner une juste idée de la sainteté d'Alphonse
dans son enfance, et pour faire voir combien Dieu se communiquait à lui par des
faveurs particulières. Les Pères de saint Jérôme conduisaient tous les
dimanches, après vêpres, les jeunes gens de leur congrégation à quelque maison
de campagne. Une fois, ils se rendirent à la maison de plaisance du Prince de
la Riccia ; les jeunes gens se mirent au jeu des
oranges, ou des boules. Alphonse, invité à y prendre part, se défendit en
disant qu'il ne connaissait pas ce jeu; mais ses compagnons firent tant
d'instances, qu'il se mit aussi à jouer avec eux. Sa bonne fortune le favorisa
tellement qu'il gagna trente parties l'une après l'autre. Cette victoire fit
naître de la jalousie parmi ses compagnons; l'un d'eux, plus âgé, celui
précisément qui l'avait le plus excité à jouer, l'injuria et laissa échapper,
dans le feu de sa colère, une parole indécente. Alphonse rougit; et avec un air
de sévérité : "Comment, dit-il en se tournant vers ses compagnons, faudra-t-il
que Dieu soit offensé pour quelques misérables deniers ? Tenez, voilà votre
argent." Et jetant à terre les pièces de monnaie qu'il venait de gagner,
il tourna le dos à ses compagnons avec une sainte indignation, se sépara d'eux tout
agité, alla s'enfoncer dans le jardin. On le chercha longtemps.
Le coupable, touché de repentir, dit à ses amis :
"Allons trouver Alphonse; je veux lui faire mes excuses." Enfin, on
le découvrit, prosterné devant une image de la Vierge, son esprit était élevé
si haut qu'il n'aperçut pas ses compagnons qui l'entouraient. "Qu'ai-je
fait ? s'écrie le coupable, j'ai outragé un ange !" Alphonse,
rappelé à la terre par cette exclamation, se lève et se mêle, étonné, à la
foule de ses compagnons. Ils gardèrent un profond silence, saisis d'admiration,
d'étonnement et de repentir; et tous retournèrent, pensifs, raconter à leurs
parents ce qu'ils regardaient comme un véritable prodige.
CHAPITRE IV.
Éducation littéraire,
artistique et scientifique d'Alphonse.
L'éducation du jeune Alphonse ne se fit pas dans mi
établissement publie; on lui donna à la maison d'excellents maîtres pour lui
enseigner les belles-lettres. Joseph et Anne, craignant que dans un collège
l'innocence de leur fils ne courût quelque danger, voulurent l'avoir
continuellement sous les yeux, à l'abri de toute occasion de péché.
Son maître ne rencontrait guère de difficulté dans cette éducation : le
naturel heureux d'Alphonse et le penchant qu'il avait pour la vertu abrégeaient
les leçons du bon prêtre, sons le rapport de la science et de la spiritualité.
La nature rivalisait avec la grâce pour enrichir, comme à l'envi, ce noble
jeune homme. Alphonse avait un esprit vif et pénétrant, une mémoire aussi
heureuse que fidèle, une grande docilité, un désir ardent de s'instruire. Aussi
fit-il des progrès très rapides, à la grande satisfaction de son maître et de
ses parents.
Le père et la mère d'Alphonse ne voulaient pas seulement
faire de leur fils un homme de lettres et un excellent chrétien, mais un gentilhomme
accompli; ils prirent soin d'orner son esprit des autres connaissances qui
forment une éducation distinguée. Encore enfant, il eut des maîtres de dessin,
de peinture et d'architecture. Il réussit merveilleusement dans ces arts; et
jusque dans sa vieillesse, il travailla, par dévotion, différentes images de
Jésus enfant ou crucifié, et de la sainte vierge; il en fit même graver
plusieurs copies pour l'usage de ses communautés.
Son père aimait beaucoup la musique, et voulut qu'Alphonse
s'y appliquât tous les jours dans sa chambre, durant trois heures avec son
maître. Il y attachait tant d'importance, que, ne pouvant, parfois assister,
lui-même à la leçon, il fermait la porte à la clef, le laissait avec son
maître, et se rendait à ses affaires. Alphonse, à douze ans, touchait déjà du
clavecin en maître. Les Pères de saint Jérôme, ayant fait représenter
l'Oratorio de saint Alexis par plusieurs jeunes nobles, Alphonse y joua le rôle
du diable touchant du clavecin, et l'exécuta si bien, que toute l'assemblée fut
ravie d'admiration. Dans ses derniers jours, il déplorait cette application
profane de sa jeunesse. "Insensé, dit-il un jour en regardant le clavecin,
insensé. d'avoir perdu tant de temps à cette musique !
Mais il fallait bien obéir à mon père !" Il excella tellement dans la
musique et la poésie, que dans sa vieillesse il composait encore et mettait en
musique, merveilleusement bien, des cantiques pleins de suavité et de dévotion.
Il aurait donné plus d'essor à son talent pour la poésie
latine et italienne, s'il n'avait préféré ce qui pouvait augmenter la dévotion
à ce qui pouvait charmer l'esprit. Vans ses nombreux cantiques il s'en trouve
d'excellents, où l'on est forcé de reconnaître la main d'un grand maître.
Après l'étude des belles-lettres, de la langue grecque et de
la langue française, il s'appliqua aux mathématiques, à la philosophie.
Plus tard, il fera ses preuves dans ses ouvrages de
métaphysique contre les incrédules et les ennemis de l'Église. Il réussit
pareillement dans la géographie et la cosmographie. On conserve encore une
sphère armillaire construite et perfectionnée de ses propres mains.
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