CHAPITRE XLII
ON PARLE DE
PLUSIEURS
MOYENS DONT UN
GRAND NOMBRE
DE PERSONNES SE
SERVENT DANS
LA PRIÈRE ET QUI
CONSISTENT
DANS UNE FOULE
DE CÉRÉMONIES.
Les joies
inutiles et l'esprit imparfait d'attachement que l'on a pour ces lieux
dont nous avons parlé peuvent êtres tolérables dans
une certaine mesure chez beaucoup de personnes, parce qu'elles y vont avec
un peu de bonne foi. Quant à cette ténacité que quelques-uns
montrent pour une foule de cérémonies introduites par des
gens peu éclairés et dépourvus de la simplicité
de la foi, elle est insupportable. Laissons de côté pour le
moment ces pratiques qui renferment des mots extraordinaires, des termes
qui ne signifient rien, ou des choses non sacrées que les âmes
ignorantes grossières et superstitieuses ont coutume de mêler
à leurs prières; elles sont évidemment mauvaises;
il y a péché à s'en servir; un grand nombre d'entre
elles renferment un pacte occulte avec le démon; bien loin d'attirer
la miséricorde de Dieu, elles provoquent sa colère. Aussi,
je ne veux pas m'en occuper en ce moment.
Mon but
est de parler seulement de ces pratiques qui ne renferment point de superstition
et dont font usage aujourd'hui un grand nombre de personnes en y mêlant
une dévotion indiscrète. Elles attachent tant d'efficacité
et apportent tant de crédulité à ces pratiques avec
lesquelles elles veulent satisfaire leurs dévotions et réciter
leurs prières, qu'elles s'imaginent que Dieu ne les écoutera
pas si elles remarquent qu'elles en ont manqué un seul point ou
une seule circonstance; tout cela est inutile, et Dieu ne l'aura pas pour
agréable. Elles ont plus de confiance dans ces pratiques et cérémonies
que dans ce qui constitue le fond de la prière, et elles ne craignent
pas par là de manquer de respect à Dieu et de lui faire injure.
Ainsi, par exemple, elles veulent que la messe soit célébrée
avec tel nombre de cierges, ni plus ni moins, que le prêtre la dise
de telle sorte, que ce soit à telle heure, ni plus tôt ni
plus tard, tel jour, ni avant ni après, que les oraisons ou stations
soient de tel nombre et à tel moment précis, qu'il y ait
telles cérémonies ou postures, sans devancer ni retarder
le moment fixé, que l'on ne fasse pas autrement, et que celui qui
célébrera ait telles aptitudes ou telles qualités.
On s'imagine que si la moindre circonstance de ce qui a été
fixé vient à manquer, il n'y a rien de fait. Je ne parle
pas de mille autres détails qui sont en usage. Mais ce qu'il y a
de pire et d'intolérable, c'est que ces personnes veulent éprouver
en quelque effet de ces pratiques et constater l'efficacité de leurs
prières, aussitôt que seront terminées ces oraisons
entourées de tant de cérémonies. Tout cela n'est rien
moins que tenter Dieu et lui déplaire profondément. Aussi
Dieu permet-il parfois au démon de tenter ces personnes, et de leur
faire sentir et connaître des choses qui sont très opposées
à leur avantage spirituel. C'est là un juste châtiment
de l'attachement que ces personnes ont pour leur pratiques: elles désirent
voir se réaliser ce qu'elles prétendent, et non ce que Dieu
veut; et, comme elles ne mettent pas en Dieu toute leur confiance, elles
ne retireront jamais de profit de leurs pratiques religieuses.
CHAPITRE XLIII
MANIÈRE
DONT IL
FAUT DIRIGER
VERS DIEU,
PAR L'INTERMÉDIAIRE
DE CES
DÉVOTIONS,
LA JOIE ET LA FORCE
DE LA VOLONTÉ.
Nous
déclarons à ces personnes dont nous venons de parler que
plus elles attachent d'importance à leurs cérémonies,
moins elles ont de confiance en Dieu; aussi n'obtiendront-elles jamais
de lui ce qu'elles désirent. Il y en a aussi quelques-unes qui agissent
plus dans le but de favoriser leurs prétentions personnelles que
de procurer la gloire de Dieu. Sans doute, elles savent bien que la chose
se réalisera si tel est le bon plaisir de Dieu, et qu'elle ne s'accomplira
pas dans le cas contraire; néanmoins, vu l'attachement à
leur propre volonté et la complaisance qu'elles y mettent, elles
multiplient toutes sortes de prières pour arriver à leur
but. Elles feraient bien mieux de les diriger à des choses qui sont
plus importantes pour elles, comme une grande pureté de conscience,
une application sérieuse à l'affaire du salut, et de mettre
au second rang toutes les autres demandes qui ne tendent pas à ce
but. De la sorte elles obtiendraient ce qui leur est le plus indispensable;
mais en même temps tout ce qui leur serait utile leur serait accordé,
sans qu'elles le demandent, beaucoup mieux et plus tôt que si elles
y avaient apporté toute leur dévotion. C'est là d'ailleurs
ce que Notre-Seigneur a promis quand il a dit dans l'Évangile: «
Cherchez tout d'abord et surtout le royaume de Dieu et sa justice, et tout
le reste vous sera donné par surcroît (Mat, VI, 33). »
Tel est le désir, telle est la demande qu'il a pour le plus agréable.
Voulons-nous voir se réaliser les désirs de notre cœur,
il n'y a pas de meilleur moyen de réussir que de lui demander surtout
ce qui est conforme à son bon plaisir. Il nous accordera alors non
seulement ce que nous lui demandons, c'est-à-dire le salut, mais
encore ce qu'il juge convenable et bon pour nous, alors même que
nous ne le demandions pas. C'est là ce que David nous donne bien
à comprendre, quand il nous dit au psaume: « Le Seigneur est
proche de ceux qui l'invoquent, de ceux qui l'invoquent en vérité
(Ps. CXLIV, 18). » Or, ceux-là l'invoquent en vérité
qui lui demandent les grâces de l'ordre le plus élevé,
comme celle du salut éternel. C'est d'eux, en effet, qu'il est dit:
« Le Seigneur accomplira la volonté de ceux qui le craignent,
il exaucera leurs suppliques et il les sauvera, parce qu'il est le gardien
de ceux qui l'aiment (Ps. CXLIV, 19-20). » Ainsi donc, quand David
dit que Dieu est proche, il ne signifie pas autre chose si ce n'est que
Dieu tient à satisfaire leurs désirs et à leur accorder
même ce qu'ils ne songeaient pas à demander. Voilà
pourquoi on lit que Salomon ayant demandé une chose qui était
agréable à Dieu, c'est-à-dire la sagesse pour gouverner
son peuple selon la justice, Dieu lui répondit: « Puisque
tu as préféré la sagesse à tous les autres
biens, que tu ne m'as point demandé la victoire sur tes ennemis
ni leur mort, ni les richesses, ni une longue vie, je te donne non seulement
la sagesse que tu as demandée afin que tu gouvernes mon peuple selon
la justice, mais encore ce que tu ne m'as point demandé, c'est-à-dire
les richesses, les biens de ce monde, la gloire, à un tel degré
que jamais un roi ni avant ni après toi ne pourra t'être comparé
(II Par. I, 11-12) ». Dieu fut fidèle à sa promesse.
Il établit si bien la paix avec ses ennemis d'alentour, qu'il les
obligea à lui payer tribut et à ne plus l'inquiéter.
Nous
lisons le même fait dans la Genèse. Dieu avait promis à
Abraham de multiplier les descendants de son fils légitime et de
les lui donner aussi nombreux que les étoiles du firmament; c'est
là ce qu'avait demandé Abraham. Mais Dieu ajouta: «
Je multiplierai aussi les descendants du fils de l'esclave, parce qu'il
est également ton fils (Gen. XXI, 13). »
Ainsi
donc, quand nous prions, nous devons aller à Dieu avec toute l'énergie
et toute la joie de notre volonté, sans chercher à nous appuyer
sur des cérémonies d'invention tout humaine qui ne sont pas
en usage dans l'Église catholique et ne sont pas approuvées
par elle. Laissons le prêtre célébrer la messe selon
le mode et la manière qui lui sont commandés, car c'est à
l'Église qu'il obéit; c'est d'elle qu'il a reçu les
rites qu'il doit suivre. Ne cherchons pas de nouvelles cérémonies,
comme si nous avions lus de sagesse que l'Esprit-Saint et l'Église
qu'il inspire. Et si en suivant cette voie toute simple nous ne sommes
pas exaucés, soyons assurés que nous ne le serons pas, non
plus, quelle que soit la multiplicité de nos inventions. Telle est
la nature de Dieu que si nous nous conformons à sa volonté,
nous faisons de lui ce que nous voulons. Mais si nous le prions d'après
nos vues personnelles, il est inutile de lui parler. Quant aux autres cérémonies
qui regardent la prière ou certaines dévotions, nous ne chercherons
point à attacher notre cœur à des rites ou manières
de prier qui diffèrent de ce que nous ont enseigné le Christ
et son Église.
Il est
évident que lorsque les disciples demandèrent à Notre-Seigneur
de leur enseigner à prier (Luc, XI, 1-sv.), il a dû leur dire
tout ce qu'il fallait pour être exaucés du Père Éternel,
dont il connaissait parfaitement la volonté. Or, il ne leur a enseigné
que les sept demandes du Notre Père, où est contenue l'expression
de toutes nos nécessités corporelles et spirituelles. Il
ne leur enseigna nullement une foule de prières et de cérémonies.
Au contraire, il leur dit dans une autre circonstance: « Lorsque
vous prierez, veillez à ne pas dire beaucoup de paroles, parce que
votre Père céleste sait très bien ce qui vous est
utile (Mat. VI, 7-8). » La seule chose qu'il leur recommanda avec
les plus vives instances, c'est de persévérer dans la prière,
c'est-à-dire dans la récitation du Notre Père. Car,
il a aussi dit: « Il faut prier toujours et ne jamais cesser de prier
(Luc, XVIII, 1). » Toutefois, il ne nous a pas enseigné à
varier nos demandes, mais à redire souvent la même prière
avec ferveur et attention. Car, je le répète, ces demandes
du Notre Père renferment tout ce qui est conforme à la volonté
de Dieu et à notre avantage. Voilà pourquoi quand le divin
Maître s'adressa par trois fois au Père Éternel, il
répéta chaque fois la même parole du Notre Père,
comme le marquent les Évangélistes: « Mon Père,
s'il faut que je boive ce calice, que votre volonté soit faite (Mat.
XXVI, 42) ».
Quant
aux cérémonies que nous devons suivre à la prière,
elles se réduisent à l'une ou à l'autre de ces deux
méthodes: ou bien nous devons nous retirer dans le secret de notre
demeure, et là, loin de tout bruit et en toute liberté, nous
pouvons le prier avec un cœur plus pur et plus dégagé, comme
il nous l'enseigne lui-même par ces paroles: « Lorsque vous
prierez entrez dans votre demeure, fermez-en la porte et priez (Ibid. VI,
6). » Ou bien, si nous ne prions pas dans notre demeure, recherchons
les lieux solitaires, comme il le faisait lui-même, pour y prier
au temps le plus favorable et le plus silencieux de la nuit. Ainsi donc
il n'y a aucun motif de signaler tel temps, ou tel jour, et de regarder
l'un comme plus favorable que l'autre pour nos dévotions. Nous ne
devons pas, non plus, employer d'autres manières de prier, formules
ou paroles équivoques, mais suivre seulement celles de l'Église
avec le rite qu'elle emploie, et qui toutes se réduisent à
ce que nous avons dit du Notre Père.
Je ne
condamne pas pour cela, mais j'approuve au contraire l'usage qu'ont certaines
personnes de faire quelquefois des dévotions à tel jour déterminé,
comme des neuvaines ou exercices de ce genre. Ce que je condamne, c'est
l'importance donné à telle cérémonie déterminée
et à la manière d'accomplir ces actes de piété.
Voyez ce que fit Judith. Elle reprocha aux habitants de Béthulie
d'avoir limité à Dieu le temps où ils attendaient
de sa main la miséricorde. « Ce n'est pas là, dit-elle,
le moyen d'attirer sa clémence, mais plutôt celui d'exciter
son indignation (Jud. VIII, 12).
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