CHAPITRE XII
DES AVANTAGES
QUE L'ÂME
TROUVE A SE
DÉGAGER
DE TOUTES LES
REPRÉSENTATIONS
IMA-GINAIRES.
L'âme
trouve des avantages à dégager la mémoire de toutes
les représentations imaginaires. C'est ce que montre avec évidence
ce que nous venons de dire des cinq inconvénients où elle
tombe quand elle garde comme aussi quand elle veut conserver l'impression
des connaissances naturelles. Mais il y a encore d'autres avantages précieux
où elle trouve le repos et la quiétude de l'esprit.
Sans
parler de la paix dont elle jouit naturellement quand elle est dégagée
des images et des représentations, elle est encore dégagée
du souci de savoir si ces représentations sont bonnes ou mauvaises,
ou comment elle devrait se comporter vis-à-vis des unes ou des autres;
en outre, elle n'a plus à travailler ni à employer du temps
avec les maîtres de la vie spirituelle pour examiner si elles sont
bonnes ou mauvaises ni si elles sont de cette sorte ou de telle autre;
d'ailleurs elle n'a pas besoin de le savoir, dès lors qu'elle ne
doit en faire aucun cas. Aussi le temps et les efforts qu'elle y aurait
employés pour s'en rendre compte, elle peut les employer à
des exercices meilleurs et plus utiles, comme celui de diriger la volonté
vers Dieu, de poursuivre avec soin le dénûment et la pauvreté
tant de l'esprit que des sens. Or ce dénûment consiste dans
la privation volontaire et généreuse de toute consolation
ou appréhension qui serve d'appui intérieur ou extérieur.
On y arrive facilement quand on veut se dégager de toutes ces images
et qu'on en prend le moyen; c'est alors qu'on obtient l'avantage si grand
qu'il y a à s'approcher de Dieu, qui n'est ni une forme, ni une
image, ni une figure, et cela dans la proportion où l'on s'éloignera
de toutes les formes, figures ou représentations imaginaires.
Mais
quelqu'un me dira peut-être: Pourquoi donc les auteurs spirituels
en grand nombre donnent-ils aux âmes le conseil de profiter avec
soin des communications et des sentiments dont Dieu les favorise, pourquoi
les engagent-ils à désirer les recevoir de lui pour avoir
de quoi lui rendre, puisque, s'il ne nous donne tout d'abord, nous n'aurons
rien à lui donner? Saint Paul ne dit-il pas en effet: Spiritum nolite
extinguere: « Veillez à ne pas éteindre la lumière
de l'esprit (Thess. V, 19) »? L'Époux ne dit-il pas à
l'Épouse: Pone me ut signaculum super cor tuum, ut signaculum super
brachium tuum: « Placez-moi comme un sceau sur votre coeur, comme
un sceau sur votre bras (Cant. VIII, 6) »? Or il y a là quelque
connaissance. Or d'après l'enseignement donné plus haut,
non seulement il ne faudrait point rechercher ces connaissances; il faudrait,
au contraire, les repousser et s'en dégager, alors même que
Dieu les enverrait. Mais il est clair que si Dieu les envoie, il les envoie
pour un bien et elles auront un bon effet. Pourquoi repousserions-nous
avec dédain ces perles précieuses? N'y aurait-il pas une
sorte d'orgueil à refuser les faveurs de Dieu, comme si sans leur
concours et par nous-mêmes nous pouvions quelque chose?
Pour
répondre à cette objection, il faut se rappeler ce que nous
avons dit au chapitre XV et au chapitre XVI du second Livre, où
se trouve en grande partie la solution. Nous avons dit là, en effet,
que le bien procuré à l'âme par les connaissances surnaturelles,
quand elles viennent de Dieu, se produit passivement en elle au même
instant où il est senti, et sans que ses puissances aient fait quelque
chose d'elles-mêmes. Aussi n'est-il pas nécessaire que la
volonté fasse l'acte d'admettre ces connaissances. Comme nous l'avons
dit, en outre, si l'âme veut agir alors avec le concours de ses puissances,
sa coopération basse et naturelle empêcherait l'oeuvre surnaturelle
que Dieu accomplit alors par le moyen de ces connaissances et ne serait
d'aucun profit. De même que l'esprit de ces connaissances imaginaires
se produit en l'âme passivement, de même l'âme doit se
tenir passivement à leur égard, sans interposer en rien son
action, soit à l'intérieur, soit à l'extérieur.
De la sorte elle garde les sentiments qui conviennent à Dieu, dès
lors qu'elle ne les compromet pas par sa manière d'agir grossière.
De la sorte elle n'éteint pas la lumière de l'esprit, puisqu'elle
ne recherche pas une autre ligne de conduite que celle voulue par Dieu.
Elle y serait opposée si, quand elle reçoit passivement l'Esprit,
comme cela a lieu dans ces manifestations, elle voulait alors se conduire
activement, agir avec l'entendement, ou s'ingérer de quelque manière
en ces faveurs. Cela est très clair. Si, en effet, l'âme veut
alors agir par force, son action ne sera que naturelle, car d'elle-même
elle ne peut rien de plus; elle ne se meut pas aux oeuvres surnaturelles
et ne saurait y atteindre, si Dieu lui-même ne la meut et ne l'élève.
Par conséquent si l'âme veut alors agir par elle-même,
elle empêchera forcément, autant que cela dépend d'elle,
par son activité l'action passive que Dieu lui communiquait, c'est-à-dire
son Esprit; elle restera dans le domaine de son activité personnelle,
qui est grossière et d'une autre sorte que celle qui lui est communiquée
par Dieu, vu que celle de Dieu est passive et surnaturelle, et que celle
de l'âme est active et naturelle; voilà ce qui serait éteindre
l'esprit.
Il est
clair, en outre, que cette manière d'agir est plus grossière.
En effet, les facultés de l'âme ne peuvent pas par elles-mêmes
faire réflexion et agir si ce n'est sur quelque forme, figure ou
image. Or ce n'est là que l'écorce et l'accessoire qui voilent
la substance et l'esprit. Cette substance ou cet esprit ne s'unit aux puissances
de l'âme, dans cette véritable intelligence et cet amour dont
nous parlons, que quand a déjà cessé le travail des
puissances; car le but et la fin de cette opération pour l'âme
est d'arriver à posséder la substance connue et aimée
de ces formes. Aussi entre l'état actif et l'état passif
il y a la même différence et le même avantage qu'en
ce qui se fait et ce qui est déjà fait, ou qu'entre le but
vers lequel on tend et celui où l'on est déjà parvenu.
Voilà pourquoi si l'âme veut employer activement ses puissances
dans ces connaissances surnaturelles, où, nous le répétons,
elle en reçoit passivement de Dieu l'esprit, ce ne sera rien moins
que laisser ce qui est déjà fait pour le faire de nouveau;
elle ne jouirait pas de ce qui est fait, et par son activité y mettrait
obstacle. Comme nous l'avons dit, ses puissances ne peuvent pas, par elles-mêmes,
arriver au bien spirituel que Dieu répand sans leur concours dans
l'âme. L'âme donc travaillerait directement à éteindre
les lumières de cet esprit que Dieu infuse par ces connaissances
imaginaires, si elle en faisait cas. Elle doit par conséquent s'en
dégager et se tenir à leur égard dans une attitude
passive et négative, comme nous l'avons dit. Dieu alors meut lui-même
l'âme à un état qu'elle ne pourrait et ne saurait atteindre.
De là cette parole du prophète: Super custodiam meam stabo
et figam gradum super munitionem; et contemplabor ut videam quid dicatur
mihi: « Je me tiendrai debout sur mes gardes; je m'arrêterai
d'un pied ferme sur le rempart, et je serai attentif à ce qui me
sera dit (Hab, II, 1). » C'est comme s'il disait: Je serai debout
pour surveiller mes puissances; je ne leur permettrai pas de faire un pas
en avant et d'agir; de la sorte je pourrai être attentif à
ce qui me sera dit, c'est-à-dire, j'écouterai et je goûterai
ce qui me sera communiqué surnaturellement.
Quand
au texte de l'Époux que l'on a objecté, il doit s'entendre
de l'amour qu'il porte à l'Épouse et dont le propre est de
les assimiler l'un à l'autre dans ce qu'ils ont de meilleur. Voilà
pourquoi il lui dit: Pone me ut signaculum super cor tuum. L'Époux
demande à l'Épouse de le « placer sur son coeur (Cant.
VIII, 6) » comme un signe où toutes les flèches du
carquois de l'amour iront frapper, c'est-à-dire où aboutiront
toutes les oeuvres et tous les motifs d'amour; il faut que toutes ses oeuvres
aboutissent à ce but qui leur est fixé et que toutes soient
pour lui; c'est ainsi que l'âme ressemblera à l'Époux
par les oeuvres et les mouvements de l'amour, jusqu'au point de se transformer
en lui.
L'Époux
dit encore à l'Épouse qu'elle doit le placer comme un signe
sur son bras, car le bras symbolise l'exercice de l'amour dans lequel le
Bien-Aimé se nourrit et prend ses délices.
Aussi,
tout ce que l'âme doit faire à l'égard de ces connaissances
qui lui viennent d'en haut, qu'elles soient imaginaires ou d'une autre
sorte, et qu'il s'agisse de visions et locutions, ou de sentiments et révélations,
c'est de ne tenir aucun compte de la lettre ou de l'écorce, c'est-à-dire
de ce qui est alors signifié, représenté ou donné
à comprendre, mais de veiller seulement à conserver l'amour
de Dieu que ces faveurs impriment intérieurement dans l'âme.
De la sorte l'âme doit tenir compte des sentiments, je ne dis pas
de la saveur, de la suavité, des figures, mais des sentiments d'amour
qui lui sont causés. Et quand il s'agit uniquement de ce but, l'âme
peut bien se rappeler parfois le souvenir de cette image ou de cette connaissance
qui lui a causé l'amour, afin de fournir encore à l'esprit
des motifs d'amour. Sans doute ce souvenir ne produit plus un effet aussi
profond que ne le fut celui où la faveur elle-même a été
accordée la première fois, mais il renouvelle néanmoins
l'amour, il élève l'âme vers Dieu, surtout quand il
porte sur certaines images, figures ou impressions surnaturelles qui d'ordinaire
se gravent et s'impriment si bien dans l'âme qu'elles durent très
longtemps et que quelques-unes même ne s'effacent jamais. Celles
qui se gravent ainsi dans l'âme produisent, presque chaque fois qu'on
se les rappelle, de divins effets d'amour, de suavité, de lumière...
plus ou moins profonds; c'est d'ailleurs dans ce but que ces souvenirs
se sont gravés ainsi dans l'âme. C'est donc là une
grande grâce que Dieu accorde; car on possède en soi une source
de biens surnaturels.
Les représentations
qui produisent ces effets sont profondément gravées dans
cette partie de l'âme qu'on appelle la mémoire intelligible.
Elles diffèrent de ces autres formes et images qui se conservent
dans l'imagination. Aussi l'âme n'a-t-elle pas besoin de recourir
à cette dernière faculté pour se les rappeler; elle
voit qu'elle les a en soi, comme on voit l'image dans un miroir. Quand
une âme possède en elle-même d'une manière formelle
ces représentations, elle peut fort bien se les rappeler pour produire
l'amour dont je parle, car elles ne la gêneront pas dans l'union
d'amour par la foi. L'âme ne doit pas se laisser séduire par
ces représentations, mais s'en servir et s'en dégager tout
de suite pour grandir dans l'amour. Et alors elle y trouvera un secours.
Il est
difficile de discerner quand ces représentations sont gravées
dans l'âme et quand elles le sont dans l'imagination. Celles de l'imagination,
en effet, sont ordinairement très fréquentes, car certaines
personnes ont coutume d'avoir dans l'imagination et fantaisie des visions
imaginaires, et elles se les représentent très fréquemment
de la même manière. Cela vient ou de l'activité de
leur imagination qui leur présente cette vision dès qu'elles
y pensent et la reproduit sous la même forme, ou de l'action du démon
qui la leur communique, ou de l'opération même de Dieu qui
cependant ne grave rien dans l'âme d'une manière formelle.
On les reconnaît cependant à leurs effets. Celles qui sont
naturelles ou qui ont le démon pour auteur, malgré tout le
souvenir que l'on peut en avoir, ne produisent aucun bon effet, ni aucune
rénovation spirituelle dans l'âme; elle ne les considère
même que d'une manière froide. Néanmoins celles qui
sont bonnes produisent encore, lorsque l'on s'en souvient, quelques bons
effets, semblables à celui qu'elles ont produit la première
fois. Quant aux représentations formelles qui se gravent dans l'âme,
elles produisent presque toujours quelque bon effet, quand on y pense.
Celui qui en a l'expérience pourra facilement discerner les unes
d'avec les autres, car la différence qu'il y a entre elles sera
très claire pour lui. Je dis seulement que celles qui se gravent
formellement dans l'âme et d'une manière durable sont plus
rares. Mais qu'il s'agisse des unes ou des autres, il est bon que l'âme
s'applique à ne rien comprendre, si ce n'est Dieu lui-même,
qui est l'objet de notre foi et de notre espérance.
Quant
à l'objection d'après laquelle il semblerait qu'il y a de
l'orgueil à repousser ces représentations si elles sont bonnes,
j'affirme, moi, au contraire, que c'est là une acte d'humilité.
Il est prudent, en effet, de s'en servir de la meilleure manière
possible, comme nous l'avons indiqué, et de suivre la voie la plus
sûre.
CHAPITRE XIII
OÙ L'ON
PARLE
DES CONNAISSANCES
SPIRITUELLES,
EN TANT QU'ELLES
PEUVENT RÉSIDER
DANS LA MÉMOIRE.
Les connaissances
spirituelles, avons-nous dit, constituent une troisième sorte de
connaissance de la mémoire. Ce n'est pas toutefois qu'elles appartiennent
au sens corporel de l'imagination, comme les autres, car elles n'ont ni
image ni forme corporelle, mais elles sont, elles aussi, l'objet de la
réminiscence et de la mémoire spirituelle. Lorsque quelqu'une
d'entre elles s'est produite, l'âme peut, quand elle veut, s'en souvenir.
Ce n'est pas que cette représentation ait laissé quelque
figure ou image dans le sens corporel; car, nous l'avons dit, ce qui est
corporel est incapable de recevoir les formes spirituelles; mais l'âme
s'en souvient intellectuellement et spirituellement, soit par la forme
que cette connaissance y a gravée, forme qui est aussi une connaissance
ou image spirituelle ou formelle qui l'aide à s'en souvenir, soit
par l'effet qui en découle. Voilà pourquoi je range ces connaissances
parmi celles de la mémoire, bien qu'elles n'appartiennent pas à
celles de l'imagination.
Mais
quelles sont ces connaissances, et quelle conduite doit tenir à
leur égard l'âme qui tend à l'union divine? Nous l'avons
expliqué suffisamment dans le chapitre XXIV du second Livre, où
nous les avons considérées comme des connaissances de l'entendement.
Qu'on les examine-là, et on verra que nous les avons divisées
en deux catégories: celles des perfections incréées
et celles des créatures.
Quant
à ce qui concerne notre but, c'est-à-dire à l'attitude
de la mémoire par rapport à ces connaissances pour parvenir
à l'union, je dis, comme je viens de le faire remarquer en parlant
des connaissances formelles dans le chapitre précédent dont
font partie celles qui regardent les choses créées, que nous
pouvons nous les rappeler, quand elles produisent un bon effet; mais il
ne faudra pas chercher à les garder en soi, à moins qu'il
ne s'agisse de raviver la connaissance et l'amour de Dieu. Si, au contraire,
leur souvenir ne produit pas un bon effet, que l'on veille à ne
jamais le rechercher.
Quant
aux connaissances qui regardent les choses incréées, je dis
qu'il faut tâcher de se les rappeler, toutes les fois qu'on le pourra,
parce qu'elles produiront un grand effet; car, ainsi que nous l'avons dit
dans le chapitre indiqué, ce sont des touches, des sentiments de
l'union avec Dieu, but vers lequel nous acheminons l'âme. Or la mémoire
ne s'en souvient pas à l'aide de quelque forme, image ou figure
qui serait gravée dans l'âme, parce que ces touches ou sentiments
de l'union avec Dieu n'en ont pas, mais à l'aide des effets de lumière,
d'amour, de délices, de rénovation spirituelle qui se produisent
en elle, et qui se renouvellent en partie, chaque fois qu'on s'en souvient
de nouveau.
CHAPITRE XIV
OÙ L'ON
MONTRE
D'UNE MANIÈRE
GÉNÉRALE
COMMENT L'HOMME
ADONNÉ À LA
SPIRITUALITÉ
DOIT SE COMPORTER À
L'ÉGARD
DE CETTE FACULTÉ
DE LA MÉMOIRE.
Pour
en finir avec cette question de la mémoire, il sera bon d'exposer
ici la manière dont on doit généralement se comporter
pour s'unir à Dieu selon cette puissance. Sans doute ce qui a été
dit l'explique suffisamment; néanmoins, en le résumant ici,
on en facilitera l'intelligence.
Il faut
donc observer que notre but est de montrer que la mémoire doit s'unir
à Dieu par l'espérance; or on n'espère que ce dont
on n'a pas encore la possession. Mais moins l'âme possède
les autres choses, plus elle a de capacité et d'aptitude pour espérer
ce qu'elle désire, et par conséquent plus elle a d'espérance.
Au contraire, plus on possède de choses, et moins on a d'aptitude
et de capacité pour espérer, par conséquent moins
on a d'espérance. Aussi, plus l'âme dépouille la mémoire
de toutes les images ou choses créées qui ne sont pas Dieu,
(Ms. c, A,
B, P: « qui ne sont pas de Dieu ou du Verbe Incarné dont le
souvenir est toujours un aide, puisqu'il est la voie, le guide et l'auteur
de tout bien ». Cette incise avait été ajoutée
au texte. – Cf. la note du ch. I de ce Livre III)
et plus elle
la met en Dieu et par suite plus elle est libre et apte à espérer
qu'il la comble de ses biens.
Ce que
l'âme doit faire pour vivre dans une complète et pure espérance
en Dieu, c'est que toutes les fois que se présenteront des connaissances,
des formes, des images distinctes, elle veille, comme nous l'avons dit,
à ne pas s'y arrêter, et à se tourner immédiatement
vers Dieu dans un élan plein d'amour; elle sera complètement
détachée de toutes ces connaissances; elle n'y pensera pas,
elle ne s'en occupera pas, si ce n'est dans la mesure nécessaire
pour connaître ses obligations et s'y conformer. Même alors
elle n'y mettra ni plaisir, ni complaisance, ni affection. Ainsi donc on
ne doit pas omettre de penser à ce qu'il faut faire et savoir, ni
de s'en souvenir, et pourvu qu'on n'y mette pas un esprit de propriété,
on n'en subira aucun dommage. Mais pour arriver à ce dénûment,
on pourra se servir des petits vers placés au chapitre I du premier
Livre de cette Montée du Carmel.
Toutefois
remarquons bien ici que nous n'avons nullement l'intention, ni la volonté
de confondre notre doctrine avec celle de ces hommes pervers qui, aveuglés
par leur orgueil et une jalousie satanique, ont cherché à
soustraire aux regards des fidèles le saint et nécessaire
usage ainsi que le culte admirable des images de Dieu et des Saints. Notre
doctrine, au contraire, est, toute différente de la leur. Notre
but, en effet, ici, n'est pas, comme le leur, de prétendre qu'il
ne faut plus d'images et qu'on ne doit pas les vénérer: nous
voulons montrer la différence qu'il y a entre ces images et Dieu,
et le moyen de se servir des images sans y trouver un obstacle à
la réalité spirituelle qu'elles représentent, en s'y
attachant plus qu'il ne faut. De même que le moyen est bon et nécessaire
pour arriver à la fin, comme le sont les images pour nous rappeler
le souvenir de Dieu et des Saints, de même, quand on s'arrête
au moyen plus qu'il ne faut, ce moyen lui-même devient un obstacle
comme le serait toute autre chose différente.
Cela
est d'autant plus vrai que je m'occupe ici surtout des images et des visions
surnaturelles qui sont exposées à beaucoup d'erreurs et de
dangers. Mais le souvenir, le culte et l'estime des images que naturellement
nous propose la sainte Église, n'expose à aucune illusion
ni à aucun danger; car on ne recherche en elles que l'objet qu'elles
représentent. Leur souvenir ne manquera pas d'être utile à
l'âme, car elle ne les recherche que par amour pour cet objet; elle
ne s'en sert que dans ce but; voilà pourquoi ces images favorisent
toujours l'union divine, pourvu qu'on laisse l'âme s'élever,
quand Dieu lui en fait la grâce, de la représentation de l'objet
au Dieu vivant, tandis qu'elle oublie toutes les créatures et tout
ce qui en découle.
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