CHEMIN DE SAINTETÉ

adveniat regnum tuum

LA MONTÉE DU CARMEL
 

LIVRE TROISIÈME

CHAPITRES  7 - 8

CHAPITRE VII 
 
 

DOMMAGES QUE LA CONNAISSANCE DES CHOSES SURNATURELLES PEUT CAUSER À L'ÂME, SI EL-LE Y RÉFLÉCHIT; ON LES ÉNUMÈRE ET ON PARLE DU PREMIER. 
 
 

 L'homme adonné à la spiritualité s'expose à cinq sortes de dommages, s'il s'arrête ou réfléchit à ces connaissances ou à ces images qui lui sont communiquées par la voie surnaturelle.

 Le premier, c'est qu'il se trompe très souvent, en prenant une chose pour une autre.

 Le second, c'est qu'il est dans le danger et l'occasion de tomber dans quelque présomption ou vanité.

 Le troisième, c'est qu'il donne largement prise au démon, qui le trompera par le moyen de ces connaissances.

 Le quatrième, c'est qu'il empêche l'union avec Dieu par l'espérance.

 Le cinquième, c'est qu'il juge ordinairement de Dieu d'une manière grossière.

 Quand au premier inconvénient, il est clair que si l'homme adonné à la spiritualité s'arrête et réfléchit aux connaissances et images dont nous avons parlé, il se trompera très souvent dans son jugement. Comme personne, en effet, ne peut connaître à fond les choses qui se passent naturellement dans son imagination, ni en porter un jugement sûr et certain, à plus forte raison ne le pourra-t-il pas au sujet des choses surnaturelles qui dépassent notre capacité et se présentent rarement. Aussi il s'imaginera très souvent que ces choses viennent de Dieu, quand elles ne seront que le produit de son imagination. D'autres fois il se figurera que ces choses viennent de Dieu quand elles viennent du démon, ou les attribuera au démon quand elles sont de Dieu. Plus souvent encore il conservera très vif le souvenir du bien ou du mal d'autrui ou du sien propre, ou d'autres connaissances; il regardera ces connaissances comme très certaines et très vraies, tandis que, au contraire, elles ne seront qu'une très grande fausseté. D'autres qui sont vraies, il les réputera fausses, bien que ce jugement me paraisse plus sûr, parce qu'il découle ordinairement de l'humilité. Mais supposé qu'on ne se trompe pas sur la chose elle même, on peut se tromper sur sa quantité ou qualité ou sur l'estime qu'on doit en faire, et s'imaginer, par exemple, que ce qui est petit est grand, ou que ce qui est grand est petit. Quant à ce qui regarde la qualité, on la confondra; l'imagination les prendra pour tel ou tel objet, et il n'en sera pas ainsi, et, comme le dit Isaïe, « on prendra les ténèbres pour la lumière, et la lumière pour les ténèbres, l'amertume pour la douceur, et la douceur pour l'amertume (Is. V, 20) ». Mais enfin, si l'on rencontre juste une fois, il serait bien étonnant que l'on ne se trompe pas une autre fois; supposé même que l'on ne veuille pas porter un jugement sur un fait, il suffit déjà qu'on en fasse quelque cas, pour y apporter au moins passivement quelque attache et en subir quelque dommage du genre de ce premier dont nous parlons ou de l'un des quatre dont il va être question immédiatement.

 L'homme adonné à la vie spirituelle devra donc, s'il veut ne point tomber dans l'inconvénient de se tromper, ne pas appliquer son jugement pour savoir ce que peut être ce qu'il éprouve et ce qu'il sent, quelle est la nature de telle ou telle vision, connaissance ou représentation; il ne doit pas désirer le savoir, ni en faire grand cas, si ce n'est seulement pour en parler à son directeur qui lui enseignera à dégager sa mémoire de toutes ces connaissances. (Les éditions précédentes mettaient ici la variante suivante: « ou ce qui dans certains cas convient le mieux au dénuement ». Ed. P. Gerardo). Car tout ce qu'elles peuvent être par elles-mêmes ne saurait l'aider autant à aimer Dieu que le plus petit acte de foi vive et d'espérance, que l'on fait dans le dépouillement et l'abnégation de toutes ces connaissances. 
 
 

CHAPITRE VIII 
 
 

DU SECOND GENRE DE DOMMAGES, OU DU DANGER DE TOMBER DANS LA PROPRE ESTIME ET LA VAINE PRÉSOMPTION. 
 
 

 Les connaissances surnaturelles de la mémoire dont nous avons parlé sont, en outre, pour les personnes adonnées à la spiritualité, une grande occasion de tomber dans quelque présomption ou vanité, si elles en font quelque cas ou quelque estime. De même, en effet, qu'il n'est pas exposé à tomber dans ce vice celui qui n'a rien de cela, puisqu'il n'a pas en lui de fondement à la présomption, de même au contraire, celui qui reçoit de pareilles connaissances est exposé à croire qu'il est déjà quelque chose, dès lors qu'il est favorisé de ces communications surnaturelles. Sans doute il peut les attribuer à Dieu, lui en rendre grâces et se considérer comme indigne de les recevoir; néanmoins ces faveurs laissent ordinairement dans l'esprit une certaine satisfaction cachée, une estime de ces faveurs et de soi-même; il en résulte pour lui, sans qu'il s'en aperçoive, beaucoup d'orgueil spirituel. C'est ce qu'il constate clairement dans la répugnance et l'éloignement qu'il éprouve à l'égard de qui n'approuve pas son esprit, ou n'estime pas ces faveurs qu'il reçoit, ou encore au chagrin qu'il ressent quand on pense ou qu'on dit que d'autres personnes reçoivent les mêmes faveurs ou de plus grandes. Tous ces sentiments viennent d'une secrète estime de soi-même et de l'orgueil; on ne comprend pas qu'on est peut-être profondément plongé dans ce défaut, on s'imagine qu'une certaine connaissance de notre misère suffit, tout en gardant une secrète estime et complaisance de soi-même et tout en préférant les talents et les biens dont on jouit à ceux du prochain. On ressemble au pharisien qui rendait grâces à Dieu de n'être pas comme les autres, de posséder telles et telles vertus et qui, plein de présomption, se complaisait ainsi en lui-même (Luc. XVIII, 11-12). Sans doute les personnes dont nous parlons ne s'expriment pas formellement comme lui, mais elles sont animées habituellement des mêmes sentiments. Quelques-unes même en arrivent à cet excès d'orgueil, qu'elles sont pires que des démons. Aperçoivent-elles en elles quelques connaissances ou sentiments de dévotion ou de joie qui leur semblent venir de Dieu, qu'elles sont pleines de satisfaction; elles s'imaginent qu'elles sont très rapprochées de Dieu, et que ceux qui n'ont pas les mêmes faveurs sont bien au-dessous d'elles; aussi elles les méprisent, comme le pharisien méprisait le publicain.

 Pour fuir ce fléau qui est en abomination devant Dieu, il faut considérer deux choses. La première, c'est que la vertu ne consiste pas dans les connaissances que l'on a de Dieu ni dans les sentiments que l'on éprouve à son égard, si élevés qu'ils soient, ni en rien de semblable que l'on sent en soi-même; elle consiste, au contraire, dans ce qui est insensible, c'est-à-dire dans une humilité profonde, dans le mépris de soi et de tout ce qui est à nous, mépris sincère et profond, qui fait que l'on est heureux quand les autres ont les mêmes sentiments sur nous et que l'on veut n'être compté pour rien dans leur affection.

 La seconde chose à considérer, c'est que toutes les visions, révélations, sentiments célestes et tout ce que l'on voudra imaginer de plus élevé, ne vaut pas le plus petit acte d'humilité, car l'humilité produit les mêmes effets que la charité; elle n'a point d'attache à ses propres intérêts et ne les recherche pas; elle ne pense mal que d'elle-même, et ne songe pas à son bien mais à celui des autres. Pour tous ces motifs, il convient donc de ne pas attacher d'importance à ces connaissances surnaturelles, mais de s'appliquer à les oublier pour conserver la liberté d'esprit.

   

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