CHAPITRE XXVII
OÙ L'ON
TRAITE
DE LA PREMIÈRE
CATÉGORIE
DE PAROLES
QUE L'ESPRIT FORME
PARFOIS AU-DEDANS
DE LUI-MÊME
LORSQU'IL
EST RECUEILLI. ON EN
MONTRE LA
CAUSE AINSI QUE LES
AVANTAGES
ET INCONVÉNIENTS
QUI PEUVENT
EN RÉSULTER.
Ces paroles
successives se produisent toujours lorsque l'esprit est recueilli et profondément
plongé dans quelque considération. Lui-même discute
sur la matière qui le captive, passe d'une pensée à
l'autre, forme des paroles et des raisonnements très justes avec
une si grande facilité et précision qu'il y découvre
des choses qui lui étaient inconnues; il lui semble bien qu'il n'en
est point l'auteur, mais que c'est une autre personne qui forme ces raisonnements
dans son intérieur, qui répond ou qui enseigne. Et, en vérité,
il a bien raison de le penser ainsi, car il raisonne avec lui-même
et se répond, comme s'il se trouvait avec une autre personne, et
il en est bien ainsi d'une certaine manière. Bien que ce soit le
même esprit qui agisse comme instrument, l'Esprit-Saint l'aide souvent
à produire et à former ces pensées, ces paroles et
ces raisonnements pleins de vérités. Il se les dit donc à
lui-même, comme s'il se trouvait avec une tierce personne. L'entendement
est alors uni à la vérité qu'il considère et
profondément recueilli. L'Esprit-Saint lui est uni par cette vérité,
comme il l'est d'ailleurs à toute vérité. De là
vient que l'entendement, communiquant de cette sorte avec le Saint-Esprit
moyennant cette vérité, forme successivement dans son intérieur
les autres vérités qui sont en rapport avec celle qu'il considérait;
mais c'est l'Esprit-Saint, son maître, qui lui ouvre la porte et
lui communique sa lumière. Telle est l'une des manières dont
il se sert pour instruire l'âme. C'est ainsi que l'entendement éclairé
et enseigné par ce maître comprend ces vérités
et en même temps forme de lui-même ces paroles sur des vérités
qui lui viennent d'autre part. Les paroles de la Genèse trouvent
bien ici leur application: « C'est la voix de Jacob, mais ce sont
les mains d'Ésaü (Gén. XXVII, 22). » L'âme
qui en est là ne pourra jamais se persuader que ces mots et ces
paroles ne lui viennent pas d'une tierce personne, car elle ne sait pas
avec quelle facilité l'entendement peut de lui-même former
des paroles sur les pensées et vérités qui lui sont
communiquées par une tierce personne.
Il est
certain qu'il n'y a en soi aucune illusion dans cette communication faite
à l'entendement, et dans cette illustration dont il est éclairé;
mais il peut y en avoir, et il y en a souvent dans les paroles formelles
et les raisonnements que l'entendement forme alors. Cette lumière
qui parfois lui est donnée est très subtile et très
spirituelle; aussi l'entendement n'arrive-t-il pas à s'en faire
une idée exacte, et c'est lui, comme nous l'avons dit, qui forme
de lui-même ses raisonnements; de là vient que très
souvent il en forme de faux, tandis que d'autres seront vraisemblables
ou défectueux. Comme au début il a déjà commencé
à saisir le fil de la vérité, et qu'aussitôt
après il y ajoute de lui-même son habileté ou plutôt
la grossièreté de ses basses conceptions, il peut facilement
varier selon les dispositions de sa capacité, et tout cela se passe
comme si une troisième personne lui parlait.
J'ai
connu une personne qui formait ces paroles successives. Or, au milieu de
quelques paroles très vraies et substantielles qui regardaient le
Très Saint Sacrement de l'Eucharistie, il y en avait d'autres qui
étaient une hérésie manifeste. Ce qui se passe de
nos jours est quelque chose d'effrayant. Une âme quelconque est-elle
déjà parvenue à quatre maravédis de méditation,
et entend-elle quelques-unes de ces paroles intérieures au milieu
de son recueillement, qu'aussitôt elle baptise le tout comme venant
de Dieu; elle suppose qu'il en est ainsi, et elle répète:
« Dieu m'a dit ceci. Dieu m'a répondu cela ». Or il
n'en est rien; comme nous l'avons remarqué, ce sont ces âmes
qui le plus souvent se parlent ainsi à elles-mêmes.
De plus,
le désir que ces âmes ont de ces paroles et l'affection qu'elles
y portent intérieurement les amènent à se donner à
elles-mêmes ces réponses, et elles s'imaginent que c'est Dieu
qui leur répond et leur parle. Aussi elles tombent dans de grandes
extravagances si elles ne mettent pas un frein sérieux à
ces tendances, et si leur directeur ne leur impose pas un renoncement absolu
à ces sortes de discours. Elles en retireront plus de bavardage
et d'impureté d'âme que d'humilité et de mortification
spirituelle; elle s'imagineront que ça été là
une grande faveur et que Dieu a parlé, tandis qu'il n'y aura
eu presque rien, ou rien du tout, ou même moins que rien. Car ce
qui n'engendre ni humilité, ni charité, ni mortification,
ni sainte simplicité, ni silence..., que peut-il être?
J'ajoute
donc que ces paroles peuvent détourner beaucoup d'âmes de
sa marche vers l'union divine, parce qu'elles l'éloignent beaucoup,
si elle en fait cas, de l'abîme de la foi, où l'entendement
doit rester dans l'obscurité, afin de s'avancer par amour dans la
nuit de la foi, et non par des raisonnements nombreux.
On me
dira peut-être: Pourquoi l'entendement doit-il se priver de ces vérités,
puisque, comme nous l'avons dit, l'Esprit de Dieu les donne pour éclairer
l'entendement, et qu'ainsi il ne peut être mauvais de s'en occuper?
A cela je réponds que l'Esprit-Saint éclaire l'entendement
qui est recueilli, et qu'il l'éclaire dans la mesure de ce recueillement,
mais comme l'entendement ne peut trouver un autre recueillement plus parfait
que celui qu'il puise dans la foi, l'Esprit-Saint ne l'éclairera
jamais mieux que dans la voie de la foi. Plus une âme est pure, plus
elle est appliquée à vivre de la foi avec perfection, plus
aussi elle reçoit la charité infuse de Dieu; or plus elle
possède la charité, plus l'Esprit-Saint l'éclaire
et lui communique ses dons: de telle sorte que la charité est la
cause de ses dons et le moyen par lequel il les communique.
Sans
doute, il est vrai que l'Esprit-Saint donne quelque lumière dans
ces illustrations qu'il communique à l'âme sur certaines vérités,
mais celle de la foi est très différente, sans qu'on puisse
le comprendre clairement; la qualité de cette lumière est
comme l'or le plus fin par rapport au métal le plus vil, et son
abondance est comme celle de la mer comparée à la goutte
d'eau. Dans le premier cas l'âme reçoit la science d'une,
de deux ou de trois vérités...; dans le second cas c'est
la sagesse de Dieu qui lui est communiquée d'une manière
générale, ou mieux, c'est le Fils de Dieu qui se communique
lui-même à l'âme par la foi.
Vous
me direz encore que toutes ces connaissances sont bonnes et que l'une n'empêche
pas l'autre. Je réponds qu'elles sont un très grand inconvénient
pour l'âme quand elle en fais quelque cas. Car elle s'occupe de choses
claires et de peu d'importance, qui suffisent pour empêcher les communications
qui se font dans l'abîme de la foi où Dieu l'instruit d'une
manière secrète et surnaturelle, l'enrichit de vertu et de
dons, sans même qu'elle puisse le comprendre.
Le fruit
que ces communications successives doivent produire ne provient pas de
ce que l'entendement s'y applique expressément; cette application
aurait au contraire pour résultat d'éloigner ces connaissances
selon cette parole de la Sagesse au livre des Cantiques: « Détournez
de moi vos yeux, car ils me font prendre mon vol (Cant. VI, 4) »,
c'est-à-dire à aller loin de vous et à me retirer
sur les hauteurs. Mais elle doit agir purement et simplement, sans forcer
son entendement à considérer ce qui lui est communiqué
surnaturellement, et appliquer sa volonté à aimer Dieu.
C'est par l'amour, en effet, que ces dons se communiquent; et ainsi ils
se communiquent avec beaucoup plus d'abondance qu'auparavant. Mais si,
quand elle reçoit passivement ces faveurs surnaturelles, l'âme
fait intervenir d'une manière active l'habileté naturelle
de son entendement ou de quelque autre faculté, elle montre son
inaptitude et son incapacité, et forcément elle doit modifier
ces connaissances à sa manière et par suite en changer la
nature; il en résulte qu'elle se trompera, formera des raisonnements
personnels qui n'auront point la réalité ni l'apparence du
surnaturel, mais seront au contraire très naturels, très
erronés et très vils.
Il y
a cependant certains entendements très vifs et très subtils
qui, étant recueillis dans la considération de quelque vérité,
discourent naturellement avec la plus grande facilité sur des pensées,
s'expriment en paroles et en raisonnements pleins de sentiments, et s'imaginent
ni plus ni moins que tout cela est de Dieu; mais il n'en est rien; c'est
leur entendement qui, aidé de sa lumière naturelle, et quelque
peu dégagé des opérations des sens, peut, sans un
secours surnaturel, produire ce résultat et de plus grands encore.
Les faits de ce genre sont nombreux. Beaucoup d'âmes sont dans l'illusion
sur ce point. Elles s'imaginent qu'elles sont élevées à
une très haute oraison et qu'elles sont favorisées de communications
intimes avec Dieu. Elles écrivent même ou font écrire
ce qui se passe en elles. Et il arrive que tout cela n'est rien, qu'il
n'y a pas la substance de la moindre vertu et ne sert qu'à entretenir
la vaine complaisance. Que ces âmes apprennent donc à ne faire
aucun cas de ces paroles successives, mais à fixer la volonté
dans un amour fort et humble, à agir et à souffrir comme
le Fils de Dieu durant sa vie mortelle, à se mortifier en tout.
C'est là le chemin qui conduit à tous les biens spirituels,
et non la multiplicité des discours intérieurs.
Il faut
ajouter que le démon s'insinue souvent dans ce genre de paroles
intérieures successives, surtout quand l'âme y a quelque inclination
ou affection. Au moment où elle commence à se recueillir,
le démon a coutume de lui offrir de nombreux sujets de digression;
il présente à l'entendement, par ses suggestions, des pensées
ou des paroles pour la faire tomber en la trompant très habilement
avec toutes les apparences du vrai. Telle est l'une des manières
par lesquelles il se communique à ceux qui ont fait avec lui quelque
pacte tacite ou formel. Il agit de la sorte avec certains hérétiques,
et surtout avec les hérésiarques; il remplit leur entendement
de pensées et de raisons très subtiles, fausses, ayant les
apparences du vrai mais erronées.
De ce
que nous venons de dire il s'ensuit que ces paroles successives qui sont
communiquées à l'entendement peuvent provenir de trois causes,
c'est-à-dire de l'Esprit divin qui le meut et l'éclaire,
ou de la lumière naturelle de l'entendement, ou enfin du démon
qui peut lui parler par suggestion.
Quant
à dire maintenant quels sont les signes et les marques qui nous
feront connaître que ces paroles procèdent de cette cause
plutôt que de telle autre, il serait assez difficile de le préciser
d'une manière complète; on peut cependant indiquer des signes
généraux. Ainsi, par exemple, lorsque l'âme qui reçoit
ces paroles et ces pensées est portée en même temps
à aimer Dieu et s'embrase pour lui d'un amour plein d'humilité
et de respect, c'est un signe que l'Esprit de Dieu passe par là;
car il n'accorde jamais quelques faveurs sans qu'elles soient revêtues
de ce caractère. Lorsque ces paroles ne procèdent que de
l'activité et de la lumière de l'entendement, c'est l'entendement
seul qui produit tout ce travail, mais sans les vertus dont nous venons
de parler, bien que la volonté puisse être portée d'une
manière naturelle à aimer Dieu quand elle est instruite et
éclairée sur la vérité. Cependant, une fois
la méditation passée, la volonté reste alors dans
l'aridité, sans être pour cela portée à la vanité
ou au mal, à moins que le démon ne la tente de nouveau sur
ce point; mais cela ne se produit pas lorsque ces paroles viennent de l'Esprit-Saint.
Car alors la volonté reste ordinairement pleine d'affection pour
Dieu et portée au bien. Parfois néanmoins, la volonté
se trouvera dans l'aridité, quoique la communication ait eu le Saint-Esprit
pour auteur, Dieu le permettant ainsi pour le plus grand bien de l'âme.
D'autres
fois encore, l'âme sentira faiblement ces opérations ou ces
mouvements vers ces vertus, bien que ce qu'elle a éprouvé
soit bon. Voilà pourquoi, je le répète, il est quelquefois
difficile de connaître la différence qu'il y a entre les unes
et les autres de ces paroles, vu la diversité des effets qu'elles
produisent. Toutefois les effets dont nous venons de parler sont les plus
ordinaires, bien qu'ils se manifestent avec plus ou moins d'abondance.
Les communications
qui viennent du démon sont parfois elles-mêmes difficiles
à reconnaître. Sans doute, elles laissent ordinairement la
volonté dans la sécheresse par rapport à l'amour de
Dieu et inclinent l'esprit à la vanité, à l'estime
et à la complaisance de soi; mais parfois aussi elles engendrent
une fausse humilité, et une ferveur pleine d'affection, qui repose
sur l'amour-propre, et qui n'est que difficilement comprise, à moins
que la personne ne soit très spirituelle. Le démon agit de
la sorte pour se dissimuler; il sait d'ailleurs très bien provoquer
parfois des larmes au sujet des sentiments qu'il excite, afin d'arriver
peu à peu par là à suggérer à l'âme
les affections qui lui plaisent. Il ne néglige rien pour porter
sans cesse la volonté à estimer ces communications intérieures,
à en faire un très grand cas et à s'y attacher, afin
que l'âme s'occupe non de ce qui est la vertu elle-même, mais
de ce qui est une occasion de perdre celle qu'elle avait.
Il faut
donc nécessairement se conduire avec prudence à l'égard
de toutes ces paroles, pour n'être point trompé et ne pas
s'exposer à des inquiétudes multiples. Il faut de plus n'en
faire aucun cas, et ne s'appliquer qu'à une seule science, celle
qui consiste à se diriger vers Dieu avec toute l'énergie
de la volonté et à accomplir avec perfection sa loi et ses
saints conseils. Telle est la sagesse des Saints. Contentons-nous de connaître
les mystères et les vérités avec simplicité
et droiture comme l'Église nous les propose. Cela suffit pour embraser
le coeur du plus grand amour, sans que nous allions nous jeter dans des
recherches profondes et curieuses où, à moins d'un miracle,
on est exposé au danger. Aussi saint Paul nous dit à ce sujet:
« Il ne nous convient pas de savoir plus qu'il ne faut (Rom. XII,
3). »
Ce que
nous venons de dire suffit pour expliquer ce sujet des paroles successives.
CHAPITRE XXVIII
OÙ L'ON
TRAITE DES
PAROLES INTÉRIEURES
QUI
SE PRODUISENT
FORMELLEMENT DANS
L'ES-PRIT D'UNE
MANIÈRE SURNATURELLE.
ON MONTRE
LES DOMMAGES QU'ELLES
PEUVENT CAU-SER
ET ON INDIQUE
LES PRÉCAUTIONS
QU'IL FAUT PRENDRE,
POUR QU'ELLES
NE JETTENT PAS
DANS L'ERREUR.
La seconde
catégorie de paroles intérieures renferme les paroles formelles.
Elles se produisent parfois dans l'esprit, recueilli ou non, et par voie
surnaturelle sans le concours d'aucun sens. Je les appelle formelles, parce
qu'il semble formellement à l'esprit qu'elles lui sont adressées
par une tierce personne, et qu'il n'y contribue en rien. Elles sont très
différentes de celles dont nous venons de parler. Or cette différence
vient non seulement de ce que l'esprit ne fait rien pour les produire,
comme cela arrive dans les autres, mais je le répète, de
ce qu'elles lui viennent parfois quand il n'est pas recueilli, et même
très éloigné d'y songer; or il en est tout autrement
pour les paroles de la première catégorie, ou paroles successives,
qui se rapportent toujours à la vérité qu'on considère.
Ces paroles
sont parfois très formelles; d'autres fois elles le sont moins;
très souvent elles sont comme des pensées qui sont communiquées
à l'esprit sous la forme d'une réponse ou autrement, comme
si on lui parlait; quelquefois ce n'est qu'un mot, d'autres fois il y en
a deux ou davantage; ou encore ce sont des paroles successives comme les
précédentes, car elles ont coutume de durer, elles instruisent
l'âme et discutent avec elle, sans que l'esprit y prenne part, et
tout se passe comme si une personne s'entretenait avec une autre. Nous
en avons un exemple dans Daniel qui nous dit, que « l'Ange parlait
en lui (Dan. IX, 22). » C'était là un langage formel
et successif qui avait la forme d'un raisonnement et qui instruisait Daniel,
car l'Ange lui avait dit aussi qu'il était venu là pour l'instruire.
Ces paroles,
quand elles ne sont que formelles, produisent peu d'effet dans l'âme;
car ordinairement elles n'ont d'autre but que de lui donner un enseignement
ou de l'éclairer sur quelque point; aussi, pour produire ce résultat,
il n'est pas nécessaire que leur efficacité dépasse
le but auquel elles sont destinées. Or ce but, quand les paroles
sont de Dieu, est toujours atteint dans l'âme; car elles lui confèrent
la promptitude à accomplir ce qui lui est commandé et la
clarté sur ce qui lui est enseigné. Sans doute elles ne lui
enlèvent pas toujours la répugnance et la difficulté;
au contraire; elles l'augmentent en général. Dieu le dispose
ainsi pour que l'âme s'instruise davantage et grandisse dans l'humilité,
en un mot il agit pour son bien. Dieu lui laisse ordinairement cette répugnance
quand il lui commande des actes qui ont de l'éclat ou peuvent l'élever
à quelque dignité, tandis que pour les choses inférieures
et basses il lui inspire de la facilité et de l'empressement. Ainsi
nous lisons dans « l'Exode » que Dieu prescrivit à Moïse
d'aller trouver Pharaon et de délivrer son peuple, mais que Moïse
éprouva une très grande répugnance à obéir
(Ex. III, 10). Il fallut que Dieu renouvelât trois fois son commandement
et lui donnât des signes évidents de sa volonté. Et
encore tout cela était insuffisant, jusqu'à ce qu'il lui
donnât son frère Aaron qui devait l'accompagner et partager
avec lui l'honneur de l'entreprise.
Il en
arrive tout autrement lorsque les paroles et les communications viennent
du démon. Il inspire de la facilité et de l'empressement
pour les actions qui ont de l'éclat et de l'importance; mais il
n'inspire que de la répugnance pour les choses humbles. Dieu, au
contraire, cela est certain, a tant en horreur les âmes qui recherchent
les dignités que, même quand il leur commande de les accepter
et les leur impose, il ne veut pas qu'elles s'empressent d'obéir
ou qu'elles aient le désir de commander.
Cette
promptitude que Dieu inspire généralement par ces paroles
formelles les différencie encore des paroles successives; celles-ci
n'exercent pas une impression aussi puissante sur l'esprit, et ne suggèrent
pas autant de promptitude; car les premières sont plus formelles
ou plus explicites, et l'entendement y met moins du sien. Cela néanmoins
n'empêche pas que certaines paroles successives produisent parfois
plus d'effet, à cause de l'abondance de communication que l'Esprit
divin fait à l'esprit humain; mais ce mode de communication est
différent de l'autre sous beaucoup de rapports. Lorsque l'âme
entend ces paroles formelles, elle ne doute pas si c'est elle qui les profère;
elle voit très bien le contraire, surtout quand elle est très
éloignée de songer à ce qui lui est dit; et quand
même elle aurait eu quelque pensée de ce genre, elle reconnaît
clairement et distinctement que ces paroles viennent d'une autre source.
Or l'âme
ne doit faire aucun cas de ces paroles formelles et les traiter comme les
paroles successives. Sans quoi ce serait d'abord occuper l'esprit de ce
qui n'est pas le moyen légitime ni prochain de l'union avec Dieu,
comme l'est la foi, et de plus ce serait s'exposer à être
très facilement trompé par le démon. Il arrive parfois,
en effet, que l'on a de la peine à découvrir quelles sont
les paroles qui viennent du bon Esprit, et quelles sont celles qui viennent
de l'esprit mauvais. Comme ces paroles formelles, je le répète,
ne produisent pas beaucoup d'effet, on peut à peine les distinguer,
d'autant plus que celles du démon sont parfois plus efficaces chez
les âmes imparfaites que celles du bon esprit chez les personnes
spirituelles. Mais qu'elles soient du bon ou du mauvais esprit, il n'y
a pas à se presser d'exécuter ce qu'elles disent, ni à
en faire cas. Néanmoins, on doit les exposer à un confesseur
expérimenté, ou à une personne prudente et entendue
pour qu'elle donne son avis et voie la conduite à tenir; et l'âme,
d'après son conseil, se tiendra dans l'abnégation et le renoncement
complet par rapport à ces paroles.
Si l'on
ne trouve pas cette personne expérimentée, il est préférable
de prendre ce que les paroles ont de substantiel et de sûr, sans
d'ailleurs en faire cas, et de n'en parler à qui que ce soit. Car
on pourrait très facilement rencontrer certaines personnes qui causeraient
la perte de l'âme plutôt que son bien. Ce n'est pas le premier
venu qui est capable de diriger les âmes; et dans une question de
si haute importance, réussir ou se tromper peut avoir les plus graves
conséquences.
Il faut
bien remarquer, en outre, que l'âme ne doit d'elle-même rien
faire ni accepter de ce que ces paroles lui disent, sans de mûres
réflexions et un conseil autorisé. Car on est exposé
dans cette matière à des illusions tellement subtiles et
étranges que, à mon avis, l'âme qui ne sera pas ennemie
de paroles de cette sorte ne pourra manquer de tomber très souvent
dans des illusions plus ou moins profondes.
Comme
aux chapitres XVII, XVIII, XIX et XX de ce livre, j'ai déjà
parlé de ces illusions et dangers, ainsi que des précautions
à prendre pour les éviter, j'y renvoie le lecteur, et je
ne m'étends pas davantage ici sur ce sujet. Je dis seulement que
la doctrine fondamentale sur ce sujet et la plus sûre, c'est de ne
faire aucun cas de ces paroles malgré leurs apparences (L'édition
du P. Gerardo suppose que le Saint a voulu dire « aunque mas BUENO
parezca: quelque bonnes qu'elles paraissent »), et de nous guider
en tout d'après les lumières de la raison et les enseignements
que l'Église nous a donnés et nous donne chaque jour.
|