CHAPITRE XXV
OÙ L'ON
PARLE
DU SECOND
GENRE DE
RÉVÉLATIONS,
OU DES MANIFESTATIONS
DES SECRETS
ET MYSTÈRES CACHÉS.
ON MONTRE
COMMENT ELLES
PEUVENT SERVIR
À L'UNION DIVINE
OU L'EMPÊCHER,
ET COMMENT LE
DÉMON
PEUT ICI TROMPER
LES ÂMES.
Le second
genre de révélations, avons-nous dit, consiste dans la manifestation
des secrets et des mystères cachés. Il peut être de
deux sortes. La première concerne ce que Dieu est en lui-même,
et elle renferme la révélation du mystère de la Très
Sainte Trinité et de l'Unité de Dieu. La seconde concerne
ce que Dieu est dans ses oeuvres, et elle renferme les autres articles
de notre sainte foi catholique et toutes les propositions vraies qui peuvent
en découler explicitement. Les propositions renferment et comprennent
un grand nombre de révélations des prophètes, de promesses
et de menaces divines ainsi que des éléments touchant la
foi qui devaient ou doivent arriver. On peut en outre y ramener beaucoup
d'autres cas particuliers que Dieu révèle ordinairement soit
sur l'univers en général, soit en particulier sur un royaume,
une province, un état, une famille ou une personne déterminée.
Nos saintes Lettres nous fournissent de nombreux exemples de cette double
révélation. On en rencontre spécialement dans tous
les Prophètes. C'est là un fait tellement clair et obvie
que je ne veux pas m'y arrêter. J'ajoute que ces révélations
ne se font pas seulement par la parole; Dieu les exprime sous une foule
de formes et de moyens: parfois il n'emploie que des paroles; et parfois
il ne se sert que de signes, ou de figures, ou d'images, ou de similitudes;
parfois il use en même temps de paroles et de symboles: c'est ce
que nous voyons dans les Prophètes et spécialement dans l'Apocalypse.
Là nous trouvons non seulement tous les genres de révélations
dont nous avons parlé, mais encore tous les divers modes que nous
venons d'énumérer.
Or ces
révélations qui appartiennent à la seconde catégorie,
Dieu les accorde encore de nos jours à qui bon lui semble. Il a
coutume de révéler à certaines personnes le temps
qu'elles ont à vivre, les travaux qu'elles endureront, ce qui doit
arriver à telle ou telle personne ou se passer dans tel ou tel royaume,
et... Il découvre même des vérités renfermées
dans les mystères de la foi et en donne à l'esprit l'intelligence;
cependant ce n'est pas là ce qu'on appelle proprement une révélation
puisqu'il s'agit d'une vérité déjà révélée,
mais c'est plutôt une manifestation ou une exposition d'un dogme
déjà connu.
Quant
aux révélations de ce genre, elles se prêtent beaucoup
à l'action du démon. Comme elles se font ordinairement par
des paroles, des figures, des symboles, etc..., le démon peut très
facilement en former de semblables; et il le peut beaucoup plus que quand
elles se font seulement à l'esprit. Mais qu'il s'agisse de la première
ou de la seconde catégorie, si la révélation vient
à toucher notre foi ou nous apporter un enseignement nouveau et
différent de celui que nous avons reçu, nous ne devons en
aucune manière y donner notre consentement, alors même que
nous aurions l'évidence qu'il nous est donné par un Ange
du Ciel. Telle est la recommandation de saint Paul: Sed licet nos, aut
Angelus de caelo evangelizet vobis praeterquam quod evangelizavimus vobis,
anathema sit: « Si nous vous annoncions, nous, ou un Ange du ciel,
un autre évangile que celui que nous vous avons prêché,
qu'il soit anathème (Gal. I, 8). »
Dès
lors qu'il n'y a plus d'autres articles à révéler
concernant la substance de notre foi que ceux qui l'ont déjà
été à l'Église, non seulement nous ne devons
pas accepter une nouveauté qui serait communiquée, mais il
est prudent de veiller encore avec soin à rejeter les variations
qui y seraient contenues. Il convient pour la pureté de l'âme
qu'elle reste dans la foi. Viendrait-on à manifester encore des
vérités déjà révélées,
il ne faudrait pas les croire pour ce motif qu'on nous les montre alors,
mais parce qu'elles sont déjà suffisamment manifestées
à l'Église, fermer les yeux de l'entendement à leur
égard, s'attacher avec simplicité à la doctrine de
l'Église et à la foi qu'elle professe et qui, comme le proclame
saint Paul, nous vient par l'ouïe: Fides ex auditum (Rom. X, 17).
Qu'elle n'accorde pas facilement crédit et n'applique pas son entendement
à ces vérités de la foi qui sont révélées
de nouveau, alors même qu'elles lui paraîtraient plus conformes
à la raison et plus vraies, si elle ne veut pas s'exposer à
l'erreur. Le démon, en effet, pour nous tromper peu à peu
et nous suggérer ses mensonges, commence par donner l'appât
des vérités et de certaines choses très vraisemblables,
par là il rassure l'âme et aussitôt après il
la fait tomber dans l'erreur. Il agit comme l'ouvrier qui coud le cuir
avec du crin: il fait d'abord pénétrer le crin raide, et
à la suite le crin souple qui sans lui n'aurait pu être introduit.
Qu'on y veille dont avec soin. Alors même qu'il serait vrai qu'il
n'y a aucun danger de tomber dans de telles illusions, il convient souverainement
à l'âme de ne pas chercher à avoir l'intelligence claire
des choses de la foi, afin de conserver pur et entier le crédit
que mérite la foi, et de se diriger, par la nuit obscure de l'entendement
à la divine lumière de l'union. Il est extrêmement
important de s'attacher aveuglément aux prophéties antiques,
chaque fois qu'il se présente quelque nouvelle révélation.
Aussi l'apôtre saint Pierre, après avoir vu d'une certaine
manière la gloire du Fils de Dieu sur la montagne du Thabor, nous
dit néanmoins dans sa 2è épître canonique: Habemus
firmiorem propheticum semonem; cui benefacitis attendentes: Bien que la
vision de Notre-Seigneur Jésus-Christ que nous avons eue sur la
montagne soit très vraie, « nous avons cependant un témoignage
plus assuré et plus certain: c'est celui de la parole prophétique
qui nous est révélée; attachez-vous-y et vous ferez
bien (II Pier. I, 19). »
S'il
convient vraiment, pour les motifs indiqués, de fermer les yeux
sur des propositions ou révélations nouvelles qui concerneraient
la foi, à plus forte raison est-il nécessaire de ne donner
ni consentement ni crédit aux autres révélations qui
s'en éloigneraient; car le démon y prend ordinairement une
si large part que je regarde comme impossible que l'on ne soit pas trompé
dans le plus grand nombre d'entre elles, si l'on n'a pas la précaution
de les rejeter, vu leur apparence de vérité et la conviction
qu'il inspire. Il les enveloppe, en effet, de si belles apparences et de
tant de motifs de crédibilité, il les grave si profondément
dans les sens et l'imagination, qu'il ne semble y avoir aucun doute à
ce que les choses soient ainsi; l'âme y adhère et s'y affectionne,
de telle sorte que, si elle n'a pas d'humilité, il sera difficile
de la tirer de là et de lui faire croire le contraire.
Voilà
pourquoi l'âme pure et simple, prudente et humble, doit employer
toutes ses forces et toute sa diligence à repousser et à
rejeter les révélations et les visions comme des tentations
très dangereuses, puisque pour tendre à l'union d'amour non
seulement il n'est pas nécessaire de les rechercher, mais il faut
les repousser. C'est là ce que Salomon nous a donné à
entendre par ces paroles: Quid necesse est homini majora se quaerere?:
« Quelle nécessité y a-t-il pour l'homme de rechercher
ce qui est au-dessus de ses aptitudes naturelles? (Eccl. VII, 1) »
C'est comme s'il avait dit: Pour être parfait, l'homme n'a pas besoin
d'aspirer aux choses surnaturelles par des voies surnaturelles et extraordinaires
qui sont au-dessus de sa capacité.
Quant
aux objections qui pourraient être faites contre cette doctrine,
il y a déjà été répondu aux chapitres
XIXe et Xxe de ce Livre. Aussi j'y renvoie le lecteur, et je termine le
sujet des révélations. Il suffit d'ailleurs à l'âme
de savoir qu'il lui convient de s'en tenir prudemment à l'écart,
si elle veut s'avancer pure et exempte d'erreur dans la nuit de la foi
pour parvenir à l'union divine.
CHAPITRE XXVI
OÙ L'ON
TRAITE
DES PAROLES
INTÉRIEURES
QUI SONT COMMUNIQUÉES
SURNATURELLEMENT
À L'ESPRIT;
ON MONTRE
COMBIEN DE SORTES
IL Y EN A.
Le lecteur
doit toujours se rappeler l'intention et la fin que je me suis proposés
en écrivant ce livre; mon but a été de diriger l'âme
au milieu de toutes les connaissances naturelles et surnaturelles, de la
tenir à l'abri des illusions et des difficultés dans la pureté
de la foi pour parvenir à l'union divine. Il comprendra alors pourquoi,
si je ne me suis pas étendu davantage sur les connaissances de l'âme
et de la doctrine dont je m'occupe, et si je ne descends pas dans tous
les détails et toutes les divisions que la raison peut-être
exigerait, je ne suis pas cependant incomplet sur ce sujet. Car il me semble
que j'ai donné sur toute cette matière assez d'avis, de lumière
et d'enseignement pour que l'âme sache se conduire avec prudence
dans tous les cas intérieurs et extérieurs et continuer sa
marche. Telle est la cause pour laquelle j'ai traité si brièvement
les connaissances prophétiques, comme je l'ai fait d'ailleurs pour
d'autres. Il y aurait beaucoup plus à dire sur chacune d'elles,
et si l'on devait traiter de leurs différences, de leurs modes et
de la manière dont elles peuvent se produire, il me semble que l'on
n'en finirait plus de les connaître. Aussi me suis-je contenté
de donner ce qui, d'après moi, en constitue la doctrine et la substance,
et j'y ai ajouté les précautions qu'il faut suivre alors
comme dans toutes les circonstances analogues qui peuvent se présenter.
J'agirai
de même en traitant du troisième genre de connaissances que
j'ai appelées paroles surnaturelles et qui peuvent se produire dans
l'esprit des personnes spirituelles sans le concours des sens corporels.
Bien qu'elles soient nombreuses et variées, je trouve qu'elles peuvent
se ramener toutes à trois catégories, qu'on appelle paroles
successives, paroles formelles et paroles substantielles. Les paroles successives
sont certaines paroles ou certains raisonnements que l'esprit a coutume
de former et de produire en lui-même lorsqu'il est recueilli. Les
paroles formelles sont certaines paroles distinctes et précises
que l'esprit ne produit pas par lui-même mais reçoit d'une
tierce personne, qu'il soit recueilli ou non. Les paroles substantielles
sont d'autres paroles qui se produisent d'une façon précise
dans l'esprit, qu'il soit recueilli ou non, et qui produisent et causent
dans la substance de l'âme cette substance et vertu qu'elles signifient.
Nous
allons traiter successivement de chacune de ces paroles.
|