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La Vocation de l’Amour
J. M. J. T.
(Septembre 1896)
Jésus +
O
ma Soeur chérie ! vous me demandez de vous donner un souvenir de ma retraite,
retraite qui peut-être sera la dernière... Puisque notre Mère le
permet c’est une joie pour moi de venir m’entretenir avec vous qui êtes deux
fois ma Soeur, avec vous qui m’avez prêté votre voix, promettant en mon nom que
je ne voulais servir que Jésus, alors qu’il ne m’était pas possible de parler...
Chère petite Marraine, c’est l’enfant que vous avez offerte au Seigneur qui vous
parle ce soir, c’est elle qui vous aime comme une enfant sait aimer sa Mère...
Au Ciel seulement vous connaîtrez toute la reconnaissance qui déborde de mon
coeur... O ma Soeur chérie ! vous voudriez entendre les secrets que Jésus confie
à votre petite fille, ces secrets Il vous les confie, je le sais, car c’est vous
qui m’avez appris à recueillir les enseignements Divins, cependant je vais
essayer de balbutier quelques mots, bien que je sente qu’il est impossible à la
parole humaine de redire des choses que le coeur humain peut à peine
pressentir... (1Co 2,9) Ne croyez pas que je nage dans les consolations, oh non
! ma consolation c’est de n’en pas avoir sur la terre. Sans se montrer, sans
faire entendre sa voix, Jésus m’instruit dans le secret, ce n’est pas par le
moyen des livres, car je ne comprends pas ce que je lis, mais parfois une parole
comme celle-ci que j’ai tirée à la fin de l’oraison (après être restée dans le
silence et la sécheresse) vient me consoler : Voici le maître que je te donne,
il t’apprendra tout ce que tu dois faire. Je veux te faire lire dans le livre de
vie, où est contenue la science d’AMOUR. " (NHA 904) La science d’Amour, ah oui
! cette parole résonne doucement à l’oreille de mon âme, je ne désire que cette
science-là. Pour elle, ayant donné toutes mes richesses, j’estime comme l’épouse
des sacrés cantiques n’avoir rien donné... (Ct 8,7) Je comprends si bien qu’il
n’y a que l’amour qui puisse nous rendre agréables au Bon Dieu que cet amour est
le seul bien que j’ambitionne. Jésus se plaît à me montrer l’unique chemin qui
conduit à cette fournaise Divine, ce chemin c’est l’abandon du petit enfant qui
s’endort sans crainte dans les bras de son Père... " Si quelqu’un est tout
petit, qu’il vienne à moi. " a dit l’Esprit Saint par la bouche de Salomon et ce
même Esprit d’Amour a dit encore que " La miséricorde est accordée aux petits. "
(Pr 9,4 Sg 6,7) En son nom, le prophète Isaïe nous révèle qu’au dernier jour "
Le Seigneur conduira son troupeau dans les pâturages, qu’il rassemblera les
petits agneaux et les pressera sur son sein. " (Is 40,11) et comme si
toutes ces promesses ne suffisaient pas, le même prophète dont le regard inspiré
plongeait déjà dans les profondeurs éternelles, s’écrie au nom du Seigneur : "
Comme une mère caresse son enfant, ainsi je vous consolerai, je vous porterai
sur mon sein et je vous caresserai sur mes genoux. " (NHA 909) (Is 66,12-13) O
Marraine chérie ! après un pareil langage, il n’y a plus qu’à se taire, à
pleurer de reconnaissance et d’amour... Ah ! si tontes les âmes faibles et
imparfaites sentaient ce que sent la plus petite de toutes les âmes, l’âme de
votre petite Thérèse, pas une seule ne désespérerait d’arriver au sommet de la
montagne de l’Amour, puisque Jésus ne demande pas de grandes actions, mais
seulement l’abandon et la reconnaissance, puisqu’il a dit dans le Psaume XLIX :
" Je n’ai nul besoin des boucs de vos troupeaux, parce que toutes les bêtes des
forêts m’appartiennent et les milliers d’animaux qui paissent sur les collines,
je connais tous les oiseaux des montagnes... Si j’avais faim, ce n’est pas à
vous que je le dirais : car la terre et tout ce qu’elle contient est à moi.
Est-ce que je dois manger la chair des taureaux et boire le sang des boucs ?...
IMMOLEZ A DIEU des SACRIFICES de LOUANGES et d’ACTIONS DE GRACES. " (NHA 910)
(Ps 50,9-14) Voilà donc tout ce que Jésus réclame de nous, il n’a point besoin
de nos oeuvres, mais seulement de notre amour, car ce même Dieu qui déclare
n’avoir pas besoin de nous dire s’il a faim, n’a pas craint de mendier un peu
d’eau à la Samaritaine. Il avait soif... Mais en disant : " Donne moi à boire. "
(NHA 911) (Jn 4,6-13) c’était l’amour de sa pauvre créature que le Créateur de
l’univers réclamait. Il avait soif d’amour... Ah ! je le sens plus que jamais
Jésus est altéré, Il ne rencontre que des ingrats et des indifférents parmi les
disciples du monde et parmi ses disciples à lui, il trouve, hélas ! peu de
coeurs qui se livrent à lui sans réserve, qui comprennent toute la tendresse de
son Amour infini. Soeur chérie, que nous sommes heureuses de comprendre les
intimes secrets de notre époux, ah ! si vous vouliez écrire tout ce que vous en
connaissez, nous aurions de belles pages à lire, mais je le sais, vous aimez
mieux garder au fond de votre coeur " Les secrets du Roi, " à moi vous dites "
Qu’il est honorable de publier les oeuvres du Très-Haut. " (NHA 912) (Tb 12,7)
Je trouve que vous avez raison de garder le silence et ce n’est uniquement
qu’afin de vous faire plaisir que j’écris ces pages, car je sens mon impuissance
à redire avec des paroles terrestres les secrets du Ciel et puis, après avoir
tracé des pages et des pages, je trouverais n’avoir pas encore commencé... Il y
a tant d’horizons divers, tant de nuances variées à l’infini, que la palette du
Peintre Céleste pourra seule, après la nuit de cette vie, me fournir les
couleurs capables de peindre les merveilles qu’il découvre à l’oeil de mon âme.
Ma Soeur Chérie, vous m’avez demandé de vous écrire mon rêve et " ma petite
doctrine, " comme vous l’appelez... Je l’ai fait dans les pages suivantes mais
si mal qu’il me semble impossible que vous compreniez. Peut-être allez-vous
trouver mes expressions exagérées... Ah ! pardonnez-moi, cela doit tenir à mon
style peu agréable, je vous assure qu’il n’est aucune exagération dans ma petite
âme, que tout y est calme et reposé... (En écrivant, c’est à Jésus que je parle,
cela m’est plus facile pour exprimer mes pensées... Ce qui, hélas ! n’empêche
pas qu’elles soient bien mal exprimées !
J. M. J. T.
8 Septembre 1896 (NHA 913)
(A ma chère Soeur Marie du Sacré-Coeur.)
O Jésus, mon Bien-Aimé ! qui pourra dire avec quelle
tendresse, quelle douceur, vous conduisez ma petite âme ! comment il vous plaît
de faire luire le rayon de votre grâce au milieu même du plus sombre orage ?...
Jésus, l’orage grondait bien fort dans mon âme depuis la belle fête de votre
triomphe, la radieuse fête de Pâques, lorsqu’un samedi du mois de mai, (NHA 914)
pensant aux songes mystérieux qui sont parfois accordés à certaines âmes, je me
disais que ce devait être une bien douce consolation, cependant je ne la
demandais pas. Le soir, considérant les nuages qui couvraient son ciel, ma
petite âme se disait encore que les beaux rêves n’étaient pas pour elle, et sous
l’orage elle s’endormit... Le lendemain était le 10 mai, le deuxième DIMANCHE du
mois de Marie, peut-être l’anniversaire du jour où la Sainte Vierge daigna
sourire à sa petite fleur... (NHA 915) Aux premières lueurs de l’aurore, je me
trouvai (en rêve) dans une sorte de galerie, il y avait plusieurs autres
personnes, mais éloignées. Notre Mère seule était auprès de moi, out à coup sans
avoir vu comment elles étaient entrées, j’aperçus trois carmélites revêtues de
leurs manteaux et grands voiles, il me sembla qu’elles venaient pour notre Mère,
mais ce que je compris clairement, c’est qu’elles venaient du Ciel. Au fond de
mon coeur, je m’écriai : Ah ! que je serais heureuse de voir le visage d’une de
ces carmélites ! Alors comme si ma prière avait été entendue par elle, la plus
grande des saintes s’avança vers moi ; aussitôt je tombai à genoux. Oh ! bonheur
! la Carmélite leva son voile ou plutôt le souleva et m’en couvrit... sans
aucune hésitation, je reconnus la vénérable Mère Anne de Jésus (NHA 916) la
fondatrice du Carmel en France. Son visage était beau, d’une beauté
immatérielle, aucun rayon ne s’en échappait et cependant malgré le voile qui
nous enveloppait toutes les deux, je voyais ce céleste visage éclairé d’une
lumière ineffablement douce, lumière qu’il ne recevait pas mais qu’il produisait
de lui-même... Je ne saurais redire l’allégresse de mon âme, ces choses se
sentent et ne peuvent s’exprimer... Plusieurs mois se sont écoulés depuis ce
doux rêve, cependant le souvenir qu’il laisse en mon âme n’a rien perdu de sa
fraîcheur, de ses charmes Célestes... Je vois encore le regard et le sourire PLEINS d’AMOUR de la Vénérable Mère. Je crois sentir encore les caresses dont
elle me combla... Me voyant si tendrement aimée, j’osai prononcer ces paroles :
" O ma Mère ! je vous en supplie, dites-moi si le Bon Dieu me laissera longtemps
sur la terre... Viendra-t-Il bientôt me chercher ?... " Souriant avec tendresse,
la sainte murmura : " Oui, bientôt, bientôt,... Je vous le promets. " " Ma Mère,
ajoutai-je, dites-moi encore si le Bon Dieu ne me demande pas quelque chose de
plus que mes pauvres petites actions et mes désirs. Est-Il content de moi ? " La
figure de la Sainte prit une expression incomparablement plus tendre que la
première fois qu’elle me parla. Son regard et ses caresses étaient la plus douce
des réponses. Cependant elle me dit : " Le Bon Dieu ne demande rien autre chose
de vous. Il est content, très content !... " Après m’avoir encore caressée avec
plus d’amour que ne l’a jamais fait pour son enfant la plus tendre des mères, je
la vis s’éloigner... Mon coeur était dans la joie mais je me souvins de mes
soeurs, et je voulus demander quelques grâces pour elles, hélas !... je
m’éveillai !... O Jésus ! l’orage alors ne grondait pas, le ciel était calme et
serein... je croyais, je sentais qu’il y a un ciel et que ce Ciel est peuplé
d’âmes qui me chérissent, qui me regardent comme leur enfant... Cette impression
reste dans mon coeur, d’autant mieux que la Vénrable Mère Anne de Jésus m’avait
été jusqu’alors absolument indifférente, je ne l’avais jamais invoquée et sa
pensée ne me venait à l’esprit qu’en entendant parler d’elle, ce qui était rare.
Aussi lorsque j’ai compris à quel point elle m’aimait, combien je lui étais peu
indifférente, mon coeur s’est fondu d’amour et de reconnaissance, non seulement
pour la Sainte qui m’avait visitée, mais encore pour tous les Bienheureux
habitants du Ciel. O mon Bien-Aimé ! cette grâce n’était que le prélude de
grâces plus grandes dont tu voulais me combler ; laisse-moi, mon unique Amour,
te les rappeler aujourd’hui... aujourd’hui, le sixième anniversaire de notre
union... Ah ! pardonne-moi Jésus, si je déraisonne en voulant te dire mes
désirs, mes espérances qui touchent à l’infini, pardonne-moi et guéris mon âme
en lui donnant ce qu’elle espère !... Etre ton épouse, ô Jésus, être carmélite,
être par mon union avec toi la mère des âmes, cela devrait me suffire... il n’en
est pas ainsi... Sans doute, ces trois privilèges sont bien ma vocation,
Carmélite, Epouse et Mère, cependant je sens en moi d’autres vocations, je me
sens la vocation de GUERRIER, de PRETRE, d’APOTRE, de DOCTEUR, de MARTYR ;
enfin, je sens le besoin, le désir d’accomplir pour toi Jésus toutes les oeuvres
les plus héroïques... Je sens en mon âme le courage d’un Croisé, d’un Zouave
Pontifical, je voudrais mourir sur un champ de bataille pour la défense de l’Eglise...
Je sens en moi la vocation de PRETRE ; avec quel amour, ô Jésus, je te porterais
dans mes mains lorsque, à ma voix, tu descendrais du Ciel... Avec quel amour je
te donnerais aux âmes !... Mais hélas ! tout en désirant d’être Prêtre, j’admire
et j’envie l’humilité de Saint François d’Assise et je me sens la vocation de
l’imiter en refusant la sublime dignité du Sacerdoce. O Jésus ! mon amour, ma
vie... comment allier ces contrastes ?
Comment réaliser les désirs de ma pauvre petite âme ?... Ah !
malgré ma petitesse, je voudrais éclairer les âmes comme les Prophètes, les
Docteurs, j’ai la vocation d’être Apôtre... je voudrais parcourir la terre,
prêcher ton nom et planter sur le sol infidèle ta Croix glorieuse, mais, ô mon
Bien-Aimé, une seule mission ne me suffirait pas, je voudrais en même temps
annoncer l’Evangile dans les cinq parties du monde et jusque dans les îles les
plus reculées... (Is 66,19) Je voudrais être missionnaire non seulement pendant
quelques années, mais je voudrais l’avoir été depuis la création du monde et
l’être jusqu’à la consommation des siècles... Mais je voudrais par-dessus tout,
ô mon Bien-Aimé Sauveur, je voudrais verser mon sang pour toi jusqu’à la
dernière goutte... Le Martyre, voilà le rêve de ma jeunesse, ce rêve il a grandi
avec moi sous les cloîtres du Carmel... Mais là encore, je sens que mon rêve est
une folie, car je ne saurais me borner à désirer un genre de martyre... Pour me
satisfaire, il me les faudrait tous... Comme toi, mon époux Adoré, je voudrais
être flagellée et crucifiée... Je voudrais mourir dépouillée comme Saint
Barthélémy... Comme Saint Jean, je voudrais être plongée dans l’huile
bouillante, je voudrais subir tous les supplices infligés aux martyrs... Avec
Sainte Agnès et Sainte Cécile, je voudrais présenter mon cou au glaive et comme
Jeanne d’Arc, ma soeur chérie, je voudrais sur le bûcher murmurer ton nom, ô
JÉSUS... En songeant aux tourments qui seront le partage des chrétiens au temps
de l’Antéchrist, je sens mon coeur tressaillir et je voudrais que ces tourments
me soient réservés... (NHA 917) Jésus, Jésus, si je voulais écrire tous mes
désirs, il me faudrait emprunter ton livre de vie, (NHA 918) (Ap 20,12) là sont
rapportées les actions de tous les Saints et ces actions, je voudrais les avoir
accomplies pour toi... O mon Jésus ! à toutes mes folies que vas-tu répondre
?... Y a-t-il une âme plus petite, plus impuissante que la mienne !... Cependant
à cause même de ma faiblesse, tu t’es plu, Seigneur, à combler mes petits désirs
enfantins, et tu veux aujourd’hui, combler d’autres désirs plus grands que
l’univers... A l’oraison mes désirs me faisant souffrir un véritable martyre,
j’ouvris les épîtres de Saint Paul afin de chercher quelque réponse. Les
chapitres XII et XIII de la première épître aux Corinthiens me tombèrent sous
les yeux... J’y lus, dans le premier, que tous ne peuvent être apôtres,
prophètes, docteurs, etc... que l’Eglise est composée de différents membres et
que l’oeil ne saurait être en même temps la main... (NHA 919) (1Co 12,21 12,29)
La réponse était claire mais ne comblait pas mes désirs, elle ne me donnait pas
la paix... Comme Madeleine se baissant toujours auprès du tombeau vide (Jn
20,11-18) finit par trouver ce qu’elle cherchait, ainsi, m’abaissant jusque dans
les profondeurs de mon néant je m’élevai si haut que je pus atteindre mon but.
(NHA 920) Sans me décourager je continuai ma lecture et cette phrase me soulagea
: " Recherchez avec ardeur les DONS les PLUS PARFAITS, mais je vais encore vous
montrer une voie plus excellente. " (Jn 20,11-18) (NHA 921) Et l’Apôtre explique
comment tous les dons les plus PARFAITS ne sont rien sans l’AMOUR... Que la
Charité est la VOIE EXCELLENTE qui conduit sûrement à Dieu. Enfin j’avais trouvé
le repos... Considérant le corps mystique de l’Eglise, je ne m’étais reconnue
dans aucun des membres décrits par Saint Paul, ou plutôt je voulais me
reconnaître en tous... La Charité me donna la clef de ma vocation. Je compris
que si l’Eglise avait un corps, composé de différents membres, (1Co 13,1-3) le
plus nécessaire, le plus noble de tous ne lui manquait pas, je compris que
l’Église avait un Coeur, et que ce Coeur était BRULANT d’AMOUR. Je compris que
l’Amour seul faisait agir les membres de l’Eglise, que si l’Amour venait à
s’éteindre, les Apôtres n’annonceraient plus l’Evangile, les Martyrs
refuseraient de verser leur sang... Je compris que l’AMOUR RENFERMAIT TOUTES LES
VOCATIONS, QUE L’AMOUR ETAIT TOUT, QU’IL EMBRASSAIT TOUS LES TEMPS ET TOUS LES
LIEUX ... EN UN MOT, QU’IL EST ETERNEL ! ... Alors, dans l’excès de ma joie
délirante, je me suis écriée : O Jésus, mon Amour... ma vocation, enfin je l’ai
trouvée, MA VOCATION, C’EST L’AMOUR !... Oui j’ai trouvé ma place dans l’Eglise
et cette place, ô mon Dieu, c’est vous qui me l’avez donnée... dans le Coeur de
l’Eglise, ma Mère, je serai l’AMOUR... ainsi je serai tout... ainsi mon rêve
sera réalisé !... (1Co 13,1-4) Pourquoi parler d’une joie délirante ? non, cette
expression n’est pas juste, c’est plutôt la paix calme et sereine du navigateur
apercevant le phare qui doit le conduire au port... O Phare lumineux de l’amour,
je sais comment arriver jusqu’à toi, j’ai trouvé le secret de m’approprier ta
flamme. Je ne suis qu’une enfant, impuissante et faible, cependant c’est ma
faiblesse même qui me donne l’audace de m’offrir en Victime à ton Amour, ô Jésus
! Autrefois les hosties pures et sans taches étaient seules agréées par le Dieu
Fort et Puissant. Pour satisfaire la justice Divine, il fallait des victimes
parfaites, mais à la loi de crainte a succédé la loi d’Amour, et l’Amour m’a
choisie pour holocauste, moi, faible et imparfaite créature... (Ps 24,8) (Lv
22,18-25) Ce choix n’est-il pas digne de l’Amour ? Oui, pour que l’Amour soit
pleinement satisfait, il faut qu’il s’abaisse, qu’il s’abaisse jusqu’au néant et
qu’il transforme en feu ce néant...
O Jésus, je le sais, l’amour ne se paie que par l’amour, (NHA
922) aussi j’ai cherché, j’ai trouvé le moyen de soulager mon coeur en te
rendant Amour pour Amour. " Employez les richesses qui rendent injustes à vous
faire des amis qui vous reçoivent dans les tabernacles éternels. " (NHA 923) (Lc
16,9) Voilà, Seigneur le conseil que tu donnes à tes disciples après leur avoir
dit que " Les enfants de ténèbres sont plus habiles dans leurs affaires que les
enfants de lumière. " (NHA 924) (Lc 16,8) Enfant de lumière, j’ai compris que
mes désirs d’être tout, d’embrasser toutes les vocations, étaient des richesses
qui pourraient bien me rendre injuste, alors je m’en suis servie à me faire des
amis... Me souvenant de la prière d’Elisée à son Père Elie, lorsqu’il osa lui
demander SON DOUBLE ESPRIT, (NHA 925) je me suis présentée devant les Anges et
les Saints, et je leur ai dit : " Je suis la plus petite des créatures, je
connais ma misère et ma faiblesse, mais je sais aussi combien les coeurs nobles
et généreux aiment à faire du bien, je vous supplie donc, ô Bienheureux
habitants du Ciel, je vous supplie de M’ADOPTER POUR ENFANT, à vous seuls sera
la gloire que vous me ferez acquérir mais daignez exaucer ma prière, elle est
téméraire, je le sais, cependant j’ose vous demander de m’obtenir : VOTRE DOUBLE
AMOUR. " (2R 2,9 Ap 8,3) Jésus, je ne puis approfondir ma demande, je craindrais
de me trouver accablée sous le poids de mes désirs audacieux... Mon excuse,
c’est que je suis une enfant, les enfants ne réfléchissent pas à la portée de
leurs paroles, cependant leurs parents, lorsqu’ils sont placés sur le trône,
qu’ils possèdent d’immenses trésors, n’hésitent pas à contenter les désirs des
petits êtres qu’ils chérissent autant qu’eux-mêmes ; pour leur faire pIaisir,
ils font des folies, ils vont jusqu’à la faiblesse... Eh bien ! moi je suis
l’Enfant de l’Eglise, et l’Eglise est Reine puisqu’elle est ton épouse, ô Divin
Roi des Rois... Ce ne sont pas les richesses et la Gloire, (même la Gloire du
Ciel) que réclame le coeur du petit enfant... La gloire, il comprend qu’elle
appartient de droit à ses Frères, les Anges et les Saints... Sa gloire à lui
sera le reflet de celle qui jaillira du front de sa Mère. Ce qu’il demande c’est
l’Amour... Il ne sait plus qu’une chose, t’aimer, ô Jésus... Les oeuvres
éclatantes lui sont interdites, il ne peut prêcher l’Evangile, verser son
sang... mais qu’importe, ses frères travaillent à sa place, et lui, petit
enfant, il se tient tout près du trône (Ap 14,3) du Roi et de la Reine, il aime
pour ses frères qui combattent... Mais comment témoignera-t-il son Amour,
puisque l’Amour se prouve par les oeuvres ? Eh bien, le petit enfant jettera des
fleurs, il embaumera de ses parfums le trône royal, il chantera de sa voix
argentine le cantique de l’Amour... Oui mon Bien-Æmé, voilà comment se consumera
ma vie... Je n’ai d’autre moyen de te prouver mon amour, que de jeter des
fleurs, c’est-à-dire de ne laisser échapper aucun petit sacrifice, aucun regard,
aucune parole, de profiter de toutes les plus petites choses et de les faire par
amour... Je veux souffrir par amour et même jouir par amour, ainsi je jetterai
des fleurs devant ton trône ; je n’en rencontrerai pas une sans l’effeuiller
pour toi... puis en jetant mes fleurs, je chanterai, (pourrait-on pleurer en
faisant une aussi joyeuse action ?) je chanterai, même lorsqu’il me faudra
cueillir mes fleurs au milieu des épines et mon chant sera d’autant plus
mélodieux que les épines seront longues et piquantes. Jésus, à quoi te serviront
mes fleurs et mes chants ?... Ah ! je le sais bien, cette pluie embaumée, ces
pétales fragiles et sans aucune valeur, ces chants d’amour du plus petit des
coeurs te charmeront, oui, ces riens te feront plaisir, ils feront sourire l’Eglise
Triomphante, elle recueillera mes fleurs effeuillées par amour et les faisant
passer par tes Divines Mains, ô Jésus, cette Eglise du Ciel, voulant jouer avec
son petit enfant, jettera, elle aussi, ces fleurs ayant acquis par ton
attouchement divin une valeur infinie, elle les jettera sur l’Eglise souffrante
afin d’en éteindre les flammes, elle les jettera sur l’Eglise combattante afin
de lui faire remporter la victoire !... O mon Jésus ! je t’aime, j’aime l’Eglise
ma Mère, je me souviens que : " Le plus petit mouvement de PUR AMOUR lui est
plus utile que toutes les autres oeuvres réunies ensemble " (NHA 926) mais le
PUR AMOUR est-il bien dans mon coeur... Mes immenses désirs ne sont-ils pas un
rêve, une folie ?... Ah ! s’il en est ainsi, Jésus, éclaire-moi, tu le sais, je
cherche la vérité... si mes désirs sont téméraires, fais-les disparaître car ces
désirs sont pour moi le plus grand des martyres... Cependant je le sais, ô
Jésus, après avoir aspiré vers les régions les plus élevées de l’Amour, s’il me
faut ne pas les atteindre un jour j’aurai goûté plus de douceur dans mon
martyre, dans ma folie, que je n’en goûterai au sein des joies de la patrie, à
moins que par un miracle tu ne m’enlèves le souvenir de mes espérances
terrestres. Alors laisse-moi jouir pendant mon exil des délices de l’amour...
Laisse-moi savourer les douces amertumes de mon martyre... Jésus, Jésus, s’il
est si délicieux le désir de t’Aimer qu’est-ce donc de posséder, de jouir de
l’Amour ?... Comment une âme aussi imparfaite que la mienne peut-elle aspirer à
posséder la plénitude de l’Amour ?... 0 Jésus ! mon premier, mon seul Ami, toi
que j’aime UNIQUEMENT, dis-moi quel est ce mystère ?. .. Pourquoi ne réserves-tu
pas ces immenses aspirations aux grandes âmes, aux Aigles qui planent dans les
hauteurs ?... Moi je me considère comme un faible petit oiseau couvert seulement
d’un léger duvet, je ne suis pas un aigle j’en ai simplement les yeux et le
coeur car malgré ma petitesse extrême j’ose fixer le Soleil Divin, le Soleil de
l’Amour et mon coeur sent en lui toutes les aspirations de l’Aigle... Le petit
oiseau voudrait voler vers ce brillant Soleil qui charme ses yeux, il voudrait
imiter les Aigles ses frères qu’il voit s’élever jusqu’au foyer Divin de la
Trinité Sainte... hélas ! tout ce qu’il peut faire, c’est de soulever ses
petites ailes, mais s’envoler, cela n’est pas en son petit pouvoir ! Que va-t-il
devenir ? mourir de chagrin se voyant aussi impuissant ?... Oh non ! le petit
oiseau ne va pas même s’affliger. Avec un audacieux abandon, il veut rester à
fixer son Divin Soleil ; rien ne saurait l’effrayer, ni le vent ni la pluie, et
si de sombres nuages viennent à cacher l’Astre d’Amour, le petit oiseau ne
change pas de place, il sait que par delà les nuages son Soleil brille toujours,
que son éclat ne saurait s’éclipser un seul instant. Parfois il est vrai, le
coeur du petit oiseau se trouve assailli par la tempête, il lui semble ne pas
croire qu’il existe autre chose que les nuages qui l’enveloppent ; c’est alors
le moment de la joie parfaite pour le pauvre petit être faible. Quel bonheur
pour lui de rester là quand même, de fixer l’invisible lumière qui se dérobe à
sa foi !... Jésus, jusqu’à présent, je comprends ton amour pour le petit oiseau,
puisqu’il ne s’éloigne pas de toi... mais je le sais et tu le sais aussi,
souvent, l’imparfaite petite créature tout en restant à sa place (c’est-à-dire
sous les rayons du Soleil,) (Lc 10,41-42) se laisse un peu distraire de son
unique occupation, elle prend une petite graine à droite et à gauche, court
après un petit ver... puis rencontrant une petite flaque d’eau elle mouille ses
plumes à peine formées, elle voit une fleur qui lui plaît, alors son petit
esprit s’occupe de cette fleur... enfin ne pouvant planer comme les aigles, le
pauvre petit oiseau s’occupe encore des bagatelles de la terre. Cependant après
tous ses méfaits, au lieu d’aller se cacher dans un coin pour pleurer sa misère
et mourir de repentir, le petit oiseau se tourne vers son Bien-Aimé Soleil, il
présente à ses rayons bienfaisants ses petites ailes mouillées, il gémit comme
l’hirondelle (Is 38,14) et dans son doux chant il confie, il raconte en détail
ses infidélités pensant dans son téméraire abandon acquérir ainsi plus d’empire,
attirer plus pleinement l’amour de Celui qui n’est pas venu appeler les justes
mais les pécheurs... (NHA 927) (Mt 9,13) Si l’Astre Adoré demeure sourd aux
gazouillements plaintifs de sa petite créature, s’il reste voilé... eh bien ! la
petite créature reste mouillée, elle accepte d’être transie de froid et se
réjouit encore de cette souffrance qu’elle a cependant méritée... O Jésus ! que
ton petit oiseau est heureux d’être faible et petit, que deviendrait-il s’il
était grand ?... " Jamais il n’aurait l’audace de paraître en ta présence, de
sommeiller devant toi... Oui, c’est là encore une faiblesse du petit oiseau
lorsqu’il veut fixer le Divin Soleil et que les nuages l’empêchent de voir un
seul rayon, malgré lui ses petits yeux se ferment, sa petite tête se cache sous
la petite aile et le pauvre petit être s’endort, croyant toujours fixer son
Astre Chéri. A son réveil, il ne se désole pas, son petit coeur reste en paix,
il recommence son office d’amour, il invoque les anges et les Saints qui
s’élèvent comme des Aigles vers le Foyer dévorant, objet de son envie et les
Aigles prenant en pitié leur petit frère, le protègent, le défendent et mettent
en fuite les vautours qui voudraient le dévorer. Les vautours, images des
démons, le petit oiseau ne les craint pas, il n’est point destiné à devenir leur
proie, mais celle de l’Aigle qu’il contemple au centre du Soleil d’Amour. 0
Verbe Divin, (Jn 1,1-3) c’est toi l’Aigle adoré que J’aime et qui m’attire !
c’est toi qui t’élançant vers la terre d’exil as voulu souffrir et mourir afin
d’attirer les âmes jusqu’au sein de l’éternel Foyer de la Trinité Bienheureuse,
c’est toi qui remontant vers l’inaccessible Lumière (Mc 16,19) qui sera
désormais ton séjour, c’est toi qui restes encore dans la vallée des larmes, (Ps
84,7) caché sous l’apparence d’une blanche hostie... Aigle Eternel tu veux me
nourrir de ta divine substance, moi, pauvre petit être, qui rentrerais dans le
néant si ton divin regard ne me donnait la vie à chaque instant... 0 Jésus !
laisse-moi dans l’excès de ma reconnaissance, laisse-moi te dire que ton amour
va jusqu’à la folie.. . Comment veux-tu devant cette Folie que mon coeur ne
s’élance pas vers toi ? Comment ma confiance aurait-elle des bornes ?... Ah !
pour toi, Je le sais, les Saints ont fait aussi des folies, ils ont fait de
grandes choses puisqu’ils étaient des aigles... Jésus, je suis trop petite pour
faire de grandes choses... et ma folie à moi, c’est d’espérer que ton Amour
m’accepte comme victime... Ma folie consiste à supplier les Aigles mes frères,
de m’obtenir la faveur de voler vers le Soleil de l’Amour avec les propres ailes
de l’Aigle Divin... (Dt 32,10-11) (NHA 928) Aussi longtemps que tu le voudras, ô
mon Bien Aimé, ton petit oiseau restera sans forces et sans ailes, toujours il
demeurera les yeux fixés sur toi, il veut être fasciné par ton regard divin, il
veut devenir la proie de ton Amour... Un jour, j’en ai l’espoir, Aigle Adoré, tu
viendras chercher ton petit oiseau, (Dt 32,11) et remontant avec lui au Foyer de
l’Amour, tu le plongeras pour l’éternité dans le brûlant Abîme de Cet Amour
auquel il s’est offert en victime... O Jésus ! que ne puis-je dire à toutes les
petites âmes combien ta condescendance est ineffable... je sens que si par
impossible tu trouvais une âme plus faible, plus petite que la mienne, tu te
plairais à la combler de faveurs plus grandes encore, si elle s’abandonnait avec
une entière confiance à ta miséricorde infinie. (Lc 10,21) Mais pourquoi désirer
communiquer tes secrets d’amour, ô Jésus, n’est-ce pas toi seul qui me les as
enseignés et ne peux-tu pas les révéler à d’autres ?... Oui je le sais, et je te
conjure de le faire, je te supplie d’abaisser ton regard divin sur un grand
nombre de petites âmes... Je te supplie de choisir une légion de petites âmes
dignes de ton AMOUR !... La toute petite Soeur Thérèse de l’Enfant Jésus de la
Sainte Face rel. carm. ind. (NHA 929) |