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Comment se passèrent ces trois mois si riches en grâces pour
mon âme ?. .. D’abord il me vint à la pensée de ne pas me gêner à mener une vie
aussi bien réglée que j’en avais l’habitude, mais bientôt je compris le prix du
temps qui m’était offert et je résolus de me livrer plus que jamais à une vie
sérieuse et mortifiée. Lorsque je dis mortifiée, ce n’est pas afin de faire
croire que je faisais des pénitences, hélas ! je n’en ai jamais fait aucune,
bien loin de ressembler aux belles âmes qui dès leur enfance pratiquaient toute
espèce de mortifications, je ne sentais pour elles aucun attrait ; sans doute
cela venait de ma lâcheté, car j’aurais pu, comme Céline, trouver mille petites
inventions pour me faire souffrir, au lieu de cela je me suis toujours laissée
dorloter dans du coton et empâter comme un petit oiseau qui n’a pas besoin de
faire pénitence... Mes mortifications consistaient à briser ma volonté, toujours
prête à s’imposer, à retenir une parole de réplique, à rendre de petits services
sans les faire valoir, à ne point m’appuyer le dos quand j’étais assise, etc.,
etc... Ce fut par la pratique de ces riens que je me préparai à devenir la
fiancée de Jésus, et je ne puis dire combien cette attente m’â laissé de doux
souvenirs... Trois mois passent bien vite, enfin le moment si ardemment désiré
arriva. Le lundi 9 Avril, jour où le Carmel célébrait la fête de l’Annonciation,
remise à cause du carême, fut choisi pour mon entrée. La veille toute la famille
était réunie autour de la table où je devais m’asseoir une dernière fois. Ah !
que ces réunions intimes sont déchirantes !... Alors qu’on voudrait se voir
oubliée, les caresses, les paroles les plus tendres sont prodiguées et font
sentir le sacrifice de la séparation... Papa ne disait presque rien mais son
regard se posait sur moi avec amour... Ma Tante pleurait de temps en temps et
mon Oncle me faisait mille compliments affectueux. Jeanne et Marie étaient aussi
remplies de délicatesses pour moi, surtout Marie qui me prenant à l’écart, me
demanda pardon des peines qu’elle croyait m’avoir causées. Enfin ma chère petite
Léonie, revenue de la Visitation depuis quelques mois, (NHA 701) me comblait
plus encore de baisers et de caresses. Il n’y a que de Céline dont je n’ai pas
parlé, mais vous devinez, ma Mère chérie, comment se passa la dernière nuit où
nous avons couché ensemble... Le matin du grand jour, après avoir jeté un
dernier regard sur les Buissonnets, ce nid gracieux de mon enfance que je ne
devais plus revoir, je partis au bras de mon Roi chéri pour gravir la montagne
du Carmel... Comme la veille toute la famille se trouva réunie pour entendre la
Sainte Messe et y communier. Aussitôt que Jésus fut descendu dans le coeur de
mes parents chéris, je n’entendis autour de moi que des sanglots, il n’y eut que
moi qui ne versai pas de larmes, mais je sentis mon coeur battre avec une telle
violence qu’il me sembla impossible d’avancer lorsqu’on vint nous faire signe de
venir à la porte conventuelle ; j’avançai cependant tout en me demandant si je
n’allais pas mourir par la force des battements de mon coeur... Ah ! quel moment
que celui-là Il faut y avoir passé pour savoir ce qu’il est... Mon émotion ne se
traduisit pas au dehors : après avoir embrassé tous les membres de ma famille
chérie, je me mis à genoux devant mon incomparable Père, lui demandant sa
bénédiction ; pour me la donner il se mit lui-même à genoux et me bénit en
pleurant... C’était un spectacle qui devait faire sourire les anges que celui de
ce vieillard présentant au Seigneur son enfant encore au printemps de la vie
!... quelques instants après, es portes de l’arche sainte se fermaient sur moi (Gn
7,16) et là je recevais les embrassements des soeurs chéries qui m’avaient servi
de mères et que j’allais désormais prendre pour modèles de mes actions... Enfin
mes désirs étaient accomplis, mon âme ressentait une PAIX si douce et si
profonde qu’il me serait impossible de l’exprimer et depuis sept ans et demi
cette paix intime est restée mon partage, elle ne m’a pas abandonnée au milieu
des plus grandes épreuves. Comme toutes les postulantes je fus conduite au
choeur aussitôt après mon entrée ; il était sombre à cause du Saint Sacrement
exposé (NHA 702) et ce qui frappa d’abord mes regards, furent les yeux de notre
sainte Mère Geneviève (NHA 703) qui se fixèrent sur moi ; je restai un moment à
genoux à ses pieds remerciant le bon Dieu de la grâce qu’Il m’accordait de
connaître une sainte et puis je suivis la Mère Marie de Gonzague (NHA 704) dans
les différents endroits de la communauté ; tout me semblait ravissant, je me
croyais transportée dans un désert, notre petite cellule surtout me charmait,
mais la joie que je ressentais était calme, le plus léger zéphyr ne faisait pas
onduler les eaux tranquilles sur lesquelles voguait ma petite nacelle, aucun
nuage n’obscurcissait mon ciel d’azur... h ! j’étais pleinement récompensée de
toutes mes épreuves... Avec quelle joie profonde je répétais ces paroles : "
C’est pour toujours, toujours que je suis ici !... " Ce bonheur n’était pas
éphémère, il ne devait point s’envoler avec " les illusions des premiers jours.
" Les illusions, le bon Dieu m’a fait la grâce de n’en avoir AUCUNE en entrant
au Carmel ; j’ai trouvé la vie religieuse telle que je me l’étais figurée, aucun
sacrifice ne m’étonna et cependant, vous le savez, ma Mère chérie, es premiers
pas ont rencontré plus d’épines que (de) roses !... Oui, la souffrance m’a tendu
les bras et je m’y suis jetée avec amour... Ce que je venais faire au Carmel, je
l’ai déclaré aux pieds de Jésus-Hostie, dans l’examen qui précéda ma profession
: " je suis venue pour sauver les âmes et surtout afin de prier pour les
prêtres. " Lorsqu’on veut atteindre un but, il faut en prendre les moyens ;
Jésus me fit comprendre que c’était par la croix qu’Il voulait me donner des
âmes et mon attrait pour la souffrance grandit à mesure que la souffrance
augmentait. Pendant cinq années cette voie fut la mienne ; mais à l’extérieur,
rien ne traduisait ma souffrance d’autant plus douloureuse que j’étais seule à
la connaître. Ah ! quelle surprise à la fin du monde nous aurons en lisant
l’histoire des âmes !. .. Qu’il y aura de personnes étonnées en voyant la voie
par laquelle la mienne a été conduite... Cela est si vrai que, deux mois après
mon entrée, le Père Pichon étant venu pour la profession de Soeur Marie du
Sacré-Coeur, il fut surpris de voir ce que le Bon Dieu faisait en mon âme et me
dit que la veille, m’ayant considérée priant au choeur, il croyait ma ferveur
tout enfantine et ma voie bien douce. Mon entrevue avec le bon Père fut pour moi
une consolation bien grande, mais voilée de larmes à cause de la difficulté que
j’éprouvais à ouvrir mon âme.
Je fis cependant une confession générale, comme jamais je
n’en avais faite ; à la fin le Père me dit ces paroles, les plus consolantes qui
soient venues retentir à l’oreille de mon âme : " En présence du Bon Dieu, de la
Sainte Vierge et de tous les Saints, JE DECLARE QUE JAMAIS VOUS N’AVEZ COMMIS UN
SEUL PECHE MORTEL. " Puis il ajouta : remerciez le Bon Dieu de ce qu’il fait
pour vous, car s’il vous abandonnait, au lieu d’être un petit ange, vous
deviendriez un petit démon. Ah ! je n’avais pas de peine à le croire, je sentais
combien j’étais faible et imparfaite, mais la reconnaissance remplissait mon âme
; j’avais une si grande crainte d’avoir terni la robe de mon Baptême, qu’une
telle assurance sortie de la bouche d’un directeur comme les désirait Notre
Sainte Mère Thérèse, c’est-à-dire unissant la science à la vertu, (NHA 706) me
paraissait sortie de la bouche même de Jésus... Le bon Père me dit encore ces
paroles qui se sont doucement gravées dans mon coeur : " Mon enfant, que Notre
Seigneur soit toujours votre Supérieur et votre Maître des novices. " Il le fut
en effet et aussi " Mon directeur ". Ce n’est pas que je veuille dire par là que
mon âme ait été fermée pour mes Supérieures, ah ! loin de là, j’ai toujours
essayé qu’elle leur soit un livre ouvert ; mais notre Mère, souvent malade,
avait peu le temps de s’occuper de moi. Je sais qu’elle m’aimait beaucoup et
disait de moi tout le bien possible, cependant le Bon Dieu permettait qu’à son
insu, elle fût TRES SEVERE ; je ne pouvais la rencontrer sans baiser la terre,
(NHA 707) il en était de même dans les rares directions que j’avais avec elle...
Quelle grâce inappréciable !. .. Comme le Bon Dieu agissait visiblement en celle
qui tenait sa place !... Que serais-je devenue si, comme le croyaient les
personnes du monde, j’avais été " le joujou " de la communauté ?... Peut-être au
lieu de voir Notre-Seigneur en mes Supérieures n’aurais-je considéré que les
personnes et mon coeur, si bien gardé dans le monde, se serait attaché
humainement dans le cloître... Heureusement je fus préservée de ce malheur. Sans
doute, j’aimais beaucoup notre Mère, mais d’une affection pure qui m’élevait
vers l’Epoux de mon âme... Notre maîtresse (NHA 708) était une vraie sainte, le
type achevé des premières carmélites ; toute la journée j’étais avec elle, car
elle m’apprenait à travailler. Sa bonté pour moi était sans bornes et cependant
mon âme ne se dilatait pas... Ce n’était qu’avec effort qu’il m’était possible
de faire direction, n’étant pas habituée à parler de mon âme je ne savais
comment exprimer ce qui s’y passait. Une bonne vieille mère (NHA 709) comprit un
jour ce que je ressentais, elle me dit en riant à la récréation : " Ma petite
fille, il me semble que vous ne devez pas avoir grand’chose à dire à vos
supérieures. " " Pourquoi, ma Mère, dites-vous cela ?... " " Parce que votre âme
est extrêmement simple, mais quand vous serez parfaite, vous serez encore plus
simple, plus on s’approche du Bon Dieu, plus on se simplifie. " La bonne Mère
avait raison ; cependant la difficulté que j’avais à ouvrir mon âme, tout en
venant de ma simplicité, était une véritable épreuve, je le reconnais
maintenant, car sans cesser d’être simple j’exprime mes pensées avec une très
grande facilité. J’ai dit que Jésus avait été " mon Directeur " En entrant au
Carmel je fis connaissance avec celui qui devait m’en servir, mais à peine
m’avait-il admise au nombre de ses enfants qu’il partit pour l’exil... (NHA 710)
Ainsi je ne l’avais connu que pour en être aussitôt privée. .. Réduite à
recevoir de lui une lettre par an, sur douze que je lui écrivais, mon coeur se
tourna bien vite vers le Directeur des directeurs et ce fut Lui qui m’instruisit
de cette science cachée aux savants et aux sages qu’Il daigne révéler aux
petits... (NHA 711) (Lc 10,21) La petite fleur transplantée sur la montagne du
Carmel devait s’épanouir à l’ombre de la Croix ; les larmes, le sang de Jésus
devinrent sa rosée et son Soleil fut sa Face Adorable voilée de pleurs...
Jusque’alors je n’avais pas sondé la profondeur des trésors cachés dans la
Sainte Face (NHA 712) (Is 53,3) ce fut par vous, ma Mère chérie, que j’appris à
les connaître, de même qu’autrefois vous nous aviez toutes précédées au Carmel,
de même vous aviez pénétré la première les mystères d’amour cachés dans le
Visage de notre Epoux ; alors vous m’avez appelée et j’ai compris... J’ai
compris ce qu’était la véritable gloire. Celui dont le royaume n’est pas de ce
monde (NHA 713) (Jn 18,36) me montra que la vraie sagesse consiste à " vouloir
être ignorée et comptée pour rien, " (NHA 714) à " mettre sa joie dans le mépris
de soi-même... " (NHA 715) Ah ! comme celui de Jésus, je voulais que : " Mon
visage soit vraiment caché, que sur la terre personne ne me reconnaisse. " (NHA
716) J’avais soif de souffrir et d’être oubliée... (Is 53,3) Qu’elle est
miséricordieuse la voie par laquelle le Bon Dieu m’a toujours conduite, jamais
Il ne m’a fait désirer quelque chose sans me le donner, aussi son calice amer me
parut-il délicieux... Après les radieuses fêtes du mois de Mai, fêtes de la
profession et prise de voile de notre chère Marie, l’ainée de la famille que la
dernière eut le bonheur de couronner au jour de ses noces, il fallait bien que
l’épreuve vînt nous visiter... L’année précédente au mois de Mai, Papa avait été
atteint d’une attaque de paralysie dans les jambes, notre inquiétude fut bien
grande alors, mais le fort tempérament de mon Roi chéri prit bientôt le dessus
et nos craintes disparurent ; cependant plus d’une fois pendant le voyage de
Rome, nous avions remarqué qu’il se fatiguait facilement, qu’il n’était plus
aussi gai que d’habitude... Ce que surtout j’avais remarqué c’était les progrès
que Papa faisait dans la perfection ; à l’exemple de Saint François de Sales, il
était parvenu à se rendre maître de sa vivacité naturelle au point qu’il
paraissait avoir la nature la plus douce du monde... (NHA 717) Les choses de la
terre semblaient à peine l’effleurer, il prenait facilement le dessus des
contrariétés de cette vie, enfin le Bon Dieu l’inondait de consolations ;
pendant ses visites journalières au Saint Sacrement ses yeux se remplissaient
souvent de larmes et son visage respirait une béatitude céleste... Lorsque
Léonie sortit de la Visitation, il ne s’affligea pas, ne fit aucun reproche au
Bon Dieu de n’avoir pas exaucé les prières qu’il Lui avait faites pour obtenir
la vocation de sa chère fille, ce fut même avec une certaine joie qu’il partit
la chercher... Voici avec quelle foi Papa accepta la séparation de sa petite
reine, il l’annonçait en ces termes à ses amis d’Alençon : " Bien chers Amis,
Thérèse, ma petite reine, est entrée hier au Carmel... Dieu seul peut exiger un
tel sacrifice... Ne me plaignez pas, car mon coeur surabonde de joie. " II était
temps qu’un aussi fidèle serviteur reçut le prix de ses travaux, (Mt 25,21) il
était juste que son salaire ressemblât à celui que Dieu donna au Roi du Ciel,
son Fils unique... Papa venait d’offrir à Dieu un autel (NHA 718) ce fut lui la
victime choisie pour y être immolée avec l’Agneau sans tâche. (NHA 719)
Vous connaissez, ma Mère chérie, nos amertumes du mois de
Juin et surtout du 24 de l’année 1888 (NHA 720) ces souvenirs sont trop bien
gravés au fond de nos coeurs pour qu’il soit nécessaire de les écrire... O ma
Mère que nous avons souffert !... et ce n’était encore que le commencement de
notre épreuve... cependant l’époque de ma prise d’habit était arrivée ; je fus
reçue par le chapitre, mais comment songer à faire une cérémonie ? Déjà l’on
parlait de me donner le saint habit sans me faire sortir (NHA 721) lorsqu’on
décida d’attendre. Contre toute espérance, notre Père chéri se remit de sa
seconde attaque et Monseigneur fixa la cérémonie au 10 Janvier. L’attente avait
été longue, mais aussi, quelle belle fête !... rien n’y manquait, rien, pas même
la neige... Je ne sais pas si déjà je vous ai parlé de mon amour pour la neige
?... Toute petite, sa blancheur me ravissait ; un des plus grands plaisirs était
de me promener sous les flocons neigeux. D’où me venait ce goût pour la neige
?... Peut-être de ce qu’étant une Petite fleur d’hiver la première parure dont
mes yeux d’enfant virent la nature embellie dut être son blanc manteau... Enfin
j’avais toujours désiré que le jour de ma prise d’habit la nature fût comme moi
parée de blanc. La veille de ce beau jour je regardais tristement le ciel gris
d’où s’échappait de temps en temps une pluie fine et la température était si
douce que je n’espérais plus la neige. Le matin suivant, le Ciel n’avait pas
changé ; (NHA 722) cependant la fête fut ravissante, et la plus belle, la plus
ravissante fleur était mon Roi chéri, jamais il n’avait été plus beau, plus
digne... Il fit l’admiration de tout le monde, ce jour fut son triomphe, sa
dernière fête ici-bas. Il avait donné tous ses enfants au Bon Dieu, car Céline
lui ayant confié sa vocation, il avait pleuré de joie et était allé avec elle
remercier Celui qui " lui faisait l’honneur de prendre tous ses enfants. " (NHA
723)
A la fn de la cérémonie Monseigneur entonna le Te Deum, un
prêtre essaya de faire remarquer que ce cantique ne se chantait qu’aux
professions, mais l’élan était donné et l’hymne d’action de grâce : se continua
jusqu’au bout. Ne fallait-il pas que la fête fût complète puisqu’en elle se
réunissaient toutes les autres ?... Après avoir embrassé une dernière fois mon
Roi chéri, je rentrai dans la clôture, la première chose que j’aperçus sous le
cloître fut " mon petit Jésus rose " me souriant au milieu des fleurs et des
lumières et puis aussitôt mon regard se porta sur des flocons de neige... le
préau était blanc comme moi. Quelle délicatesse de Jésus ! Prévenant les désirs
de sa petite fiancée, il lui donnait de la neige... De la neige, quel est donc
le mortel qui puisss en faire tomber du ciel pour charmer sa bien-aimée ?...
peut-être les personnes du monde se firent-elles cette question, ce qu’il y a de
certain, c’est que la neige de ma prise d’habit leur parut un petit miracle et
que toute la ville s’en étonna. On trouva que j’avais un drôle de goût d’aimer
la neige... Tant mieux ! cela fit encore ressortir davantage l’incompréhensible
condescendance de l’Epoux des vierges... de Celui qui chérit les lys blancs
comme la NEIGE !... Monseigneur entra après la cérémonie, il fut d’une bonté
toute paternelle pour moi (NHA 724) Je crois bien qu’il était fier de voir que
j’avais réussi, il disait à tout le monde que j’étais " sa petite fille. " A
chaque fois qu’il revint de puis cette belle fête sa Grandeur fut toujours bien
bonne pour moi, je me souviens surtout de sa visite à l’occasion du centenaire
de Notre Père Saint Jean de la Croix. Il me prit la tête dans ses mains, me fit
mille caresses de toutes sortes, jamais je n’avais été aussi honorée ! En même
temps le Bon Dieu me fit penser aux caresses qu’il voudra bien me prodiguer
devant les anges et les Saint et dont il me donnait une faible image dès ce
monde, aussi la consolation que je ressentis fut bien grande... Comme je viens
de le dire la journée du 20 Janvier fut le triomphe de mon Roi, je le compare à
l’entrée de Jésus à Jérusalem le jour des rameaux ; (Mt 21,1-10) comme celle de
Notre Divin Maître, sa gloire d’un jour fut suivie d’une passion douloureuse et
cette passion ne fut pas pour lui seul ; de même que les douleurs de Jésus
percèrent d’un glaive le coeur de sa Divine Mère, (Lc 2,35) ainsi nos coeurs
ressentirent les souffrances de celui que nous chérissions le plus tendrement
sur la terre... je me rappelle qu’au mois de Juin 1888, au moment de nos
premières épreuves, je disais : " Je soufre beaucoup, mais je sens que je puis
encore supporter de plus grandes épreuves. " Je ne pensais pas alors à celles
qui m’étaient réservées... Je ne savais pas que le 12 Février, un mois après ma
prise d’habit, notre Père chéri boirait à la plus amère, à la plus humiliante de
toutes les coupes. (NHA 725) Ah ! ce jour-là je n’ai pas dit pouvoir souffrir
encore davantage !... Les paroIes ne peuvent exprimer nos angoisses, aussi je ne
vais pas essayer de les décrire. Un jour, au Ciel, nous aimerons à nous parler
de nos glorieuses épreuves, déjà ne sommes-nous pas heureuses de les avoir
souffertes ? Oui les trois années du martyre de Papa me paraissent les plus
aimables, les plus fructueuses de toute notre vie, je ne les donnerais pas pour
toutes les extases et les révélations des Saints, mon coeur déborde de
reconnaissance en pensant à ce trésor inestimable qui doit causer une sainte
jalousie aux Anges de la Céleste cour... Mon désir des souffrances était comblé,
cependant mon attrait pour elles ne diminuait pas, aussi mon âme partagea-t-elle
bientôt ces souffrances de mon coeur. La sécheresse était mon pain quotidien et
privée de toute consolation j’étais cependant la plus heureuse des créatures,
puisque tous mes désirs étaient satisfaits... O ma Mère chérie ! qu’elle a été
douce notre grande épreuve, puisque de tous nos coeurs ne sont sortis que des
soupirs d’amour et de reconnaissance !... Nous ne marchions plus dans les
sentiers de la perfection, nous volions outes les cinq. Les deux pauvres petites
exilées de Caen (NHA 726) tout en étant encore dans le monde, n’étaient plus du
monde. .. Ah ! quelles merveilles l’épreuve a faites dans l’âme de ma Céline
chérie... Toutes les lettres qu’elle écrivait à cette époque sont empreintes de
résignation et d’amour... Et qui pourra dire les parloirs que nous avions
ensemble ; Ah ! loin de nous séparer les grilles du Carmel unissaient plus
fortement nos âmes, (Jn 17,14-16) nous avions les mêmes pensées, les mêmes
désirs, le même amour de Jésus et des âmes... Lorsque Céline et Thérèse se
parlaient, jamais un mot des choses de la terre ne se mêlait à leurs
conversations (Ph 3,20) qui déjà étaient toutes dans le Ciel. Comme autrefois
dans le belvédère, elles rêvaient les choses de l’éternité et pour jouir bientôt
de ce bonheur sans fin, elles choisissaient ici-bas pour unique partage la "
souffrance et le mépris. " (NHA 727) Ainsi s’écoula le temps de mes
fiançailles... Il fut bien long pour la pauvre petite Thérèse ! Au bout de mon
année, Notre Mère me dit de ne pas songer à demander la profession, que
certainement Monsieur le Supérieur repousserait ma prière, je dus attendre
encore huit mois... Au premier moment il me fut bien difficile d’accepter ce
grand sacrifice, mais bientôt la lumière se fit dans mon âme ; je méditais alors
les " Fondements de la vie spirituelle " par le Père Surin ; un jour pendant
l’oraison je compris que mon désir si vif de faire profession était mélangé d’un
grand amour-propre ; puisque je m’étais donnée à Jésus pour lui faire plaisir,
le consoler, je ne devais pas l’obliger à faire ma volonté au lieu de la sienne
; je compris encore qu’une fiancée devait être parée pour le jour de ses noces
et moi je n’avais rien fait dans ce but... alors je dis Jésus : " O mon Dieu !
je ne vous demande pas de prononcer mes saints voeux, j’attendrai autant que
vous le voudrez, seulement je ne veux pas que par ma faute mon union avec vous
soit différée, aussi je vais mettre tous mes soins à me faire une belle robe
enrichie de pierreries ; quand vous la trouverez assez richement ornée je suis
sûre que toutes les créatures ne vous empêcheront pas de descendre vers moi afin
de m’unir pour toujours à vous, ô mon Bien-Aimé !... " Depuis ma prise d’habit,
j’avais déjà reçu d’abondantes lumières sur la perfection religieuse,
principalement au sujet du voeu de Pauvreté. Pendant mon postulat, j’étais
contente d’avoir de gentilles choses à mon usage et de trouver sous la main tout
ce qui m’était nécessaire. " Mon Directeur " (NHA 728) souffrait cela
patiemment, car Il n’aime pas à tout montrer aux âmes en même temps. Il donne
ordinairement sa lumière petit à petit. (Au commencement de ma vie spirituelle,
vers l’âge de treize à quatorze ans, je me demandais ce que plus tard j’aurais à
gagner, car je croyais qu’il m’était impossible de mieux comprendre la
perfection ; j’ai reconnu bien vite que plus on avance dans ce chemin, plus on
se croit éloigné du terme, aussi maintenant je me résigne à me voir toujours
imparfaite et j’y trouve ma joie...) je reviens aux leçons que me donna " mon
Directeur ". Un soir après complies je cherchai vainement notre petite lampe sur
les planches réservées à cet usage, c’était grand silence, impossible de la
réclamer... je compris qu’une soeur croyant prendre sa lampe avait pris la nôtre
dont j’avais un très grand besoin ; au lieu de ressentir du chagrin d’en être
privée, je fus bien heureuse, sentant que la pauvreté consiste à se voir privée
non pas seulement des choses agréables mais encore des choses indispensables,
ainsi dans les ténèbres extérieures je fus illuminée intérieurement... Je fus
prise à cette époque d’un véritable amour pour les objets les plus laids et les
moins commodes, ainsi ce fut avec joie que je me vis enlever la jolie petite
cruche de notre cellule et donner à sa place une grosse cruche tout ébréchée...
je faisais aussi bien des efforts pour ne pas m’excuser, ce qui me semblait bien
difficile surtout avec notre Maîtresse à laquelle je n’aurais voulu rien cacher
; voici ma première victoire, elle n’est pas grande mais elle m’a bien coûté. Un
petit vase placé derrière une fenêtre se trouva brisé, notre Maîtresse croyant
que c’était moi qui l’avais laissé traîner, me le montra en disant de faire plus
attention une autre fois. Sans rien dire je baisai la terre, ensuite je
promisd’avoir plus d’ordre à l’avenir. A cause de mon peu de vertu ces petites
pratiques me coûtaient beaucoup et j’avais besoin de penser qu’au jugement
dernier tout serait révélé, (Mt 25,31-40) car je faisais cette remarque,
lorsqu’on fait son devoir, ne s’excusant jamais, personne ne le sait, au
contraire, les imperfections paraissent tout de suite... Je m’appliquais surtout
à pratiquer les petites vertus, n’ayant pas la facilité d’en pratiquer de
grandes, ainsi j’aimais à plier les manteaux oubliés par les soeurs et à leur
rendre tous les petits services que je pouvais. L’amour de la mortification me
fut aussi donné, il fut d’autant plus grand que rien ne m’était permis pour le
satisfaire... La seule petite mortification que je faisais dans le monde et qui
consistait à ne pas m’appuyer le dos lorsque j’étais assise me fut défendue à
cause de ma propension à me voûter. Hélas ! mon ardeur n’aurait sans doute pas
été de longue durée si l’on m’avait accordé beaucoup de pénitences... Celles
qu’on m’accordait sans que je les demande consistaient à mortifier mon
amour-propre, ce qui me faisait beaucoup plus de bien que les pénitences
corporelles...
Le réfectoire qui fut mon emploi aussitôt après ma prise
d’habit me fournit plus d’une occasion de mettre mon amour-propre à sa place,
c’est-à-dire sous les pieds... Il est vrai que j’avais une grande consolation
d’être dans le même emploi que vous ma Mère chérie et de pouvoir contempler de
près vos vertus, mais ce rapprochement était un sujet de souffrance ; je ne me
sentais pas comme autrefois, libre de tout vous dire, il y avait la règle à
observer, je ne pouvais pas vous ouvrir mon âme, enfin j’étais au Carmel et non
plus aux Buissonnets sous le toit paternel !... Cependant, la Ste Vierge
m’aidait à préparer la robe de mon âme ; aussitôt qu’elle fut achevée les
obstacles s’en allèrent d’eux-mêmes. Monseigneur m’envoya la permission que
j’avais sollicitée, la communauté voulut bien me recevoir et ma profession fut
fixée au 8 Septembre... Tout ce que je viens d’écrire en peu de mots demanderait
bien des pages de détails, mais ces pages ne se liront jamais sur la terre ;
bientôt, ma Mère chérie, je vous parlerai de toutes ces choses dans notre maison
paternelle, au beau Ciel vers lequel montent les soupirs de nos coeurs !... Ma
robe de noces était prête, elle était enrichie des anciens joyaux que m’avait
donnés mon Fiancé, cela ne suffisait pas à sa libéralité. Il voulut me donner un
nouveau diamant aux reflets sans nombre. L’épreuve de Papa était avec toutes ses
douloureuses circonstances les anciens joyaux, et le nouveau fut une épreuve
bien petite en apparence, mais qui me fit beaucoup souffrir. Depuis quelque
temps, notre pauvre petit Père, se trouvant un peu mieux, on le faisait sortir
en voiture, il était même question de le faire voyager en chemin de fer pour
venir nous voir. Naturellement Céline pensa tout de suite qu’il fallait choisir
le jour de ma prise de voile. " Afin de ne pas le fatiguer, disait-elle, je ne
le ferai pas assister à toute la cérémonie, seulement à la fin, j’irai le
chercher et je le conduirai tout doucement jusqu’auprès de la grille afin que
Thérèse reçoive sa bénédiction. " Ah ! je reconnais bien là le coeur de ma
Céline chérie... c’est bien vrai que " jamais l’amour ne prétexte
d’impossibilité parce qu’il se croit tout possible et tout permis... " (NHA 729)
La prudence humaine au contraire tremble à chaque pas et n’ose pour ainsi dire
poser le pied, aussi le Bon Dieu qui voulait m’éprouver se servit-Il d’elle
comme d’un instrument docile et le jour de mes noces je fus vraiment orpheline,
n’ayant pas de Père sur la terre mais pouvant regarder le Ciel avec confiance et
dire en toute vérité : " Notre Père qui êtes aux Cieux. " (Mt 6,9) Avant de vous
parler de cette épreuve j’aurais dû, ma Mère chérie, vous parler de la retraite
qui précéda ma profession ; (NHA 801) elle fut loin de m’apporter des
consolations, l’aridité la plus absolue et presque l’abandon furent mon partage.
Jésus dormait comme toujours dans ma petite nacelle ; ah ! je vois bien que
rarement les âmes laissent dormir tranquillement en elles. Jésus est si fatigué
de toujours faire des frais et des avances qu’Il s’empresse de profiter du repos
que je lui offre. Il ne se réveillera pas sans doute avant ma grande retraite de
l’éternité, mais au lieu de me faire de la peine cela me fait un extrême
plaisir.. . (Mc 4,37-39) Vraiment je suis loin d’être une sainte, rien que cela
en est une preuve ; je devrais au lieu de me réjouir de ma sécheresse,
l’attribuer à mon peu de ferveur et de fidélité, je devrais me désoler de dormir
(depuis sept ans) pendant mes oraisons et mes actions de grâces ; eh bien, je ne
me désole pas... je pense que les petits enfants plaisent autant à leurs parents
lorsqu’ils dorment que lorsqu’ils sont éveillés, je pense que pour faire des
opérations, les médecins endorment leurs malades. Enfin je pense que : " Le
Seigneur voit notre fragilité, qu’Il se souvient que nous ne sommes que
poussière. " (NHA 802) Ma retraite de profession fut donc comme toutes celles
qui la suivirent une retraite de grande aridité ; cependant le Bon Dieu me
montrait clairement sans que je m’en aperçoive, le moyen de Lui plaire et de
pratiquer les plus sublimes vertus. J’ai remarqué bien des fois que Jésus ne
veut pas me donner de provisions, il me nourrit à chaque instant d’une
nourriture toute nouvelle, (Citation biblique à relocaliser ! ! ! ) (Ps 103,14)
je la trouve en moi sans savoir comment elle y est... Je crois tout simplement
que c’est Jésus Lui-même caché au fond de mon pauvre petit coeur qui me fait la
grâce d’agir en moi et me fait penser tout ce qu’Il veut que je fasse au moment
présent. Quelques jours avant celui de ma profession, j’eus le bonheur de
recevoir la bénédiction du Souverain Pontife ; je l’avais sollicitée par le bon
Frère Siméon pour Papa et pour moi et ce me fut une grande consolation de
pouvoir rendre à mon petit Père chéri la grâce qu’il m’avait procurée en me
conduisant à Rome. Enfin le beau jour de mes noces arriva, (NHA 803) il fut sans
nuages, mais la veille il s’éleva dans mon âme une tempête comme jamais je n’en
avais vue... Pas un seul doute sur ma vocation ne m’était encore venu à la
pensée, il fallait que je connaisse cette épreuve. Le soir, en faisant mon
chemin de la Croix après matines, ma vocation m’apparut comme un rêve, une
chimère... je trouvais la vie du Carmel bien belle, mais le démon m’inspirait
l’assurance qu’elle n’était pas faite pour moi, que je tromperais les
supérieures en avançant dans une voie où je n’étais pas appelée... Mes ténèbres
étaient si grandes que je ne voyais ni ne comprenais qu’une chose : Je n’avais
pas la vocation !... Ah ! comment dépeindre l’angoisse de mon âme ?... Il me
semblait (chose absurde qui montre que cette tentation était du démon) que si je
disais mes craintes ma maîtresse elle allait m’empêcher de prononcer mes Saints
Voeux ; cependant je voulais faire la volonté du bon Dieu et retourner dans le
monde plutôt que rester au Carmel en faisant la mienne ; je fis donc sortir ma
maîtresse et remplie de confusion je lui dis l’état de mon âme... Heureusement
elle vit plus clair que moi et me rassura complètement ; d’ailleurs l’acte
d’humilité que j’avais fait venait de mettre en fuite le démon qui pensait
peut-être que je n’allais pas oser avouer ma tentation. Aussitôt que j’eus fini
de parler mes doutes s’en allèrent, cependant pour rendre plus complet mon acte
d’humilité, je voulus encore confier mon étrange tentation à notre Mère qui se
contenta de rire de moi. Le matin du 8 Septembre, je me sentis inondée d’un
fleuve de paix et ce fut dans cette paix " surpassant tout sentiment " (NHA 804)
que je prononçai mes Saints Voeux... (Ph 4,7 Is 66,12) Mon union avec Jésus se
fit, non pas au milieu des foudres et des éclairs, c’est-à-dire des grâces
extraordinaires, mais au sein d’un léger zéphyr, semblable à celui qu’entendit
sur la montagne notre père Saint Elie... (1R 19,11-13) (NHA 805) Que de grâces
n’ai-je pas demandées ce jour-là !... Je me sentais vraiment la REINE, aussi je
profitais de mon titre pour délivrer les captifs, obtenir les faveurs du Roi
envers ses sujets ingrats, enfin je voulais délivrer toutes les âmes du
purgatoire et convertir les pécheurs,... J’ai beaucoup prié pour ma Mère, mes
Soeurs chéries... pour toute la famille, mais surtout pour mon petit Père, si
éprouvé et si saint... Je me suis offerte à Jésus afin qu’Il accomplisse
parfaitement en moi sa volonté sans que jamais les créatures y mettent
obstacle... (NHA 806) (Mt 6,10)
Ce beau jour passa comme les plus tristes, puisque les plus
radieux ont un lendemain, mais ce fut sans tristesse que je déposai ma couronne
aux pieds de la Sainte Vierge, je sentais que le temps n’emporterait pas mon
bonheur... Quelle belle fête que la nativité de Marie pour devenir l’épouse de
Jésus ! C’était la petite Saine Vierge d’un jour qui présentait sa petite fleur
au petit Jésus... ce jour-là tout était petit excepté les grâces et la paix que
j’ai reçues, excepté la joie paisible que j’ai ressentie le soir, en regardant
les étoiles scintiller au firmament, en pensant que bientôt le beau Ciel
s’ouvrirait à mes yeux ravis et que je pourrais m’unir à mon Epoux au sein d’une
allégresse éternelle... Le 24 eut lieu la cérémonie de ma prise de voile il fut
tout entier voilé de larmes... Papa n’était pas là pour bénir sa Reine... Le
Père était au Canada... Monseigneur qui devait venir et dîner chez mon Oncle se
trouva malade et ne vint pas non plus, enfin tout fut tristesse et amertume...
Cependant la paix, toujours la paix, se trouvait au fond du calice... Ce jour-là
Jésus permit que je ne puisse retenir mes larmes et mes larmes ne furent pas
comprises... en effet j’avais supporté sans pleurer de bien plus grandes
épreuves, mais alors j’étais aidée d’une grâce puissante ; au contraire le 24,
Jésus me laissa à mes propres forces et je montrai combien elles étaient
petites. Huit jours après ma prise de voile eut lieu le mariage de Jeanne. (NHA
807) Vous dire, ma Mère chérie, combien son exemple m’instruisit sur les
délicatesses qu’une épouse doit prodiguer à son époux, cela me serait impossible
; j’écoutais avidement tout ce que je pouvais en apprendre, car je ne voulais
pas faire moins pour mon Jésus bien-aimé que Jeanne pour Francis, une créature
sans doute bien parfaite, mais enfin une créature...
Je m’amusai même à composer une lettre d’invitation afin de
la comparer à la sienne, voici comment elle était conçue : Lettre d’Invitation
aux Noces de soeur Thérèse de l’Enfant Jésus de la Sainte Face : Le Dieu
Tout-Puissant, Créateur du Ciel et de la terre, Souverain Dominateur du Monde et
la Très glorieuse Vierge Marie, Reine de la Cour céleste, veulent bien vous
faire part du Mariage de leur Auguste Fils, Jésus, Roi des Rois et Seigneur des
seigneurs, avec Mademoiselle Thérèse Martin, maintenant Dame et Princesse des
royaumes apportés en dot par son Divin Époux, savoir : L’Enfance de Jésus et sa
Passion, ses titres de noblesse étant : de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face.
Monsieur Louis Martin, Propriétaire et Maître des Seigneuries de la Souffrance
et de l’Humiliation et Madame Martin, Princesse et Dame d’Honneur de la Cour
Céleste, veulent bien vous faire part du Mariage de leur Fille, Thérèse, avec
Jésus le Verbe de Dieu, (Jn 1,1-3) seconde Personne de l’Adorable Trinité qui
par l’opération du Saint-Esprit s’est fait Homme et Fils de Marie, la Reine des
Cieux. N’ayant pu vous inviter à la bénédiction Nuptiale qui leur a été donnée
sur la montagne du Carmel, le 8 Septembre 1890 (la cour céleste seule y étant
admise) vous êtes néanmoins priés de vous rendre au Retour de Noces qui aura
lieu Demain, Jour de l’Eternité, auquel jour Jésus, Fils de Dieu, viendra sur
les Nuées du Ciel dans l’éclat de sa Majesté, pour juger les Vivants et les
Morts. (Mt 25,31-40) L’heure étant encore incertaine, vous êtes invités à vous
tenir prêts et à veiller. (Mt 24,42-44)
Maintenant, ma Mère chérie, que me reste-t-il à vous dire ?.
Ah ! je croyais avoir fini mais je ne vous ai encore rien dit de mon bonheur
d’avoir connu notre Sainte Mère Geneviève... C’est une grâce inappréciable que
celle-là ; eh bien, le Bon Dieu qui m’en avait déjà tant accordé, a voulu que je
vive avec une Sainte, non point inimitable, mais une Sainte sanctifiée par des
vertus cachées et ordinaires... Plus d’une fois j’ai reçu d’elle de grandes
consolations, surtout un dimanche. Me rendant comme à l’ordinaire afin de lui
faire ma petite visite, je trouvai deux Soeurs auprès de Mère Geneviève ; je la
regardai en souriant et je m’apprêtais à sortir puisqu’on ne peut pas être trois
auprès d’une malade, (NHA 808) mais elle, me regardant avec un air inspiré, me
dit : " Attendez, ma petite fille, je vais seulement vous dire un petit mot. A
chaque fois que vous venez, vous me demandez de vous donner un bouquet
spirituel, eh bien, aujourd’hui je vais vous donner celui-ci : Servez Dieu avec
paix et avec Joie, rappelez-vous, mon enfant, que notre Dieu, c’est le Dieu de
la paix. " (NHA 809) (1Co 14,33) Après l’avoir simplement remerciée, je sortis
émue jusqu’aux larmes et convaincue que le Bon Dieu lui avait révélé l’état de
mon âme ; ce jour-là j’étais extrêmement éprouvée, presque triste, dans une nuit
(MnA 368) telle que je ne savais plus si j’étais aimée du Bon Dieu, mais la joie
et la consolation que je sentis, vous les devinez, ma Mère chérie !... Le
Dimanche suivant, je voulus savoir quelle révélation Mère Geneviève avait eue ;
elle m’assura n’en avoir reçu aucune, alors mon admiration fut encore plus
grande, voyant à quel degré éminent Jésus vivait en elle et la faisait agir et
parler. Ah ! cette sainteté-là me paraît la plus vraie, la plus sainte et c’est
elle que je désire car il ne s’y rencontre aucune illusion...
Le jour de ma profession je fus aussi bien consolée
d’apprendre de la bouche de Mère Geneviève qu’elle avait passé par la même
épreuve que moi avant de prononcer ses voeux... Au moment de nos grandes peines,
vous vous rappelez, ma Mère chérie, les consolations que nous avons trouvées
auprès d’elle ? Enfin le souvenir que Mère Geneviève a laissé dans mon coeur est
un souvenir embaumé... Le jour de son départ pour le Ciel (NHA 810) je me suis
sentie particulièrement touchée, c’était la première fois que j’assistais à une
mort, raiment ce spectacle était ravissant... J’étais placée juste au pied du
lit de la sainte mourante, je voyais parfaitement ses plus légers mouvements. Il
me semblait, pendant les deux heures que j’ai passées ainsi, que mon âme aurait
dû se sentir remplie de ferveur, au contraire, une espèce d’insensibilité
s’était emparée de moi, mais au moment même de la naissance au Ciel de notre
Sainte Mère Geneviève, ma disposition intérieure a changé, en un clin d’oeil je
me suis sentie remplie d’une joie et d’une ferveur indicibles, c’était comme si
Mère Geneviève m’avait donné une partie de la félicité dont elle jouissait car
je suis bien persuadée qu’elle est allée droit au Ciel... Pendant sa vie je lui
dis un jour : " O ma Mère ! vous n’irez pas en purgatoire !... " " Je l’espère "
me répondit-elle avec douceur... Ah ! bien sûr que le Bon Dieu n’a pu tromper
une espérance si remplie d’humilité, toutes les faveurs que nous avons reçues en
sont la preuve... Chaque soeur s’empressa de réclamer quelque relique ; vous
savez, ma Mère chérie, celle que j’ai le bonheur de posséder... Pendant l’agonie
de Mère Geneviève, j’ai remarqué une larme scintillant à sa paupière, comme un
diamant ; cette larme, la dernière de toutes celles qu’elle a répandues ne tomba
pas, je la vis encore briller au choeur ans que personne pense à la recueillir.
alors prenant un petit linge fin, j’osai m’approcher le soir sans être vue et
prendre pour relique la dernière larme d’une Sainte... Depuis je l’ai toujours
portée dans le petit sachet où mes voeux sont renfermés. Je n’attache pas
d’importance à mes rêves, d’ailleurs j’en ai rarement de symboliques et je me
demande même comment il se fait que pensant toute la journée au Bon Dieu, je ne
m’en occupe pas davantage pendant mon sommeil... ordinairement je rêve les bois,
les fleurs, les ruisseaux et la mer et presque toujours, je vois de jolis petits
enfants, j’attrape des papillons et des oiseaux comme jamais je n’en ai vus.
Vous voyez, ma Mère, que si mes rêves ont une apparence poétique, ils sont loin
d’être mystiques... Une nuit après la mort de Mère Geneviève j’en fis un plus
consolant : je rêvai qu’elle faisait son testament, donnant à chaque soeur une
chose qui lui avait appartenu ; quand vint mon tour, je croyais ne rien
recevoir, car il ne lui restait plus rien, mais se soulevant elle me dit par
trois fois avec un accent pénétrant : " A vous, je laisse mon coeur. " Un mois
après le départ de notre Sainte Mère, l’influenza se déclara dans la communauté
j’étais seule debout avec deux autres soeurs, jamais je ne pourrai dire tout ce
que j’ai vu, ce que m’a paru la vie et tout ce qui passe... Le jour de mes
dix-neuf ans fut fêté par une mort, (NHA 811) bientôt suivie de deux autres. A
cette époque j’étais seule à la sacristie, ma première d’emploi (NHA 812) étant
très gravement malade, c’était moi qui devais préparer les enterrements, ouvrir
les grilles du choeur à la messe, etc. Le Bon Dieu m’a donné bien des grâces de
force à ce moment, je me demande maintenant comment j’ai pu faire sans frayeur
tout ce que j’ai fait ; la mort régnait partout, les plus malades étaient
soignées par celles qui se traînaient à peine, aussitôt qu’une soeur avait rendu
le dernier soupir on était obligé de la laisser seule. Un matin en me levant,
j’eus le pressentiment que Sr Madeleine était morte ; le dortoir était dans
l’obscurité, personne ne sortait des cellules, enfin je me décidai à entrer dans
celle de ma Soeur Madeleine dont la porte était ouverte ; je la vis en effet,
habillée et couchée sur sa paillasse, je n’eus pas la moindre frayeur. Voyant
qu’elle n’avait pas de cierge j’allai lui en chercher, ainsi qu’une couronne de
roses. Le soir de la mort de Mère Sous-Prieure (NHA 813) j’étais seule avec
l’infirmière ; il est impossible de se figurer le triste état de la communauté à
ce moment, celles qui étaient debout peuvent seules s’en faire une idée, mais au
milieu de cet abandon, je sentais que le Bon Dieu veillait sur nous. C’était
sans effort que les mourantes passaient à une vie meilleure, aussitôt après leur
mort une expression de joie et de paix se répandait sur leurs traits, on aurait
dit un doux sommeil ; c’en était bien un véritablement puisque après que la
figure de ce monde aura passé, (1CO 7,31) elles se réveilleront pour jouir
éternellement des délices réservées aux élus.. . Tout le temps que la communauté
fut ainsi éprouvée, je pus avoir l’ineffable consolation de faire tous les jours
la Ste Communion... Ah ! que c’était doux !... Jésus me gâta longtemps, plus
longtemps que ses fidèles épouses, car il permit qu’on me Le donnât sans que les
autres aient le bonheur de Le recevoir. J’étais aussi bien heureuse de toucher
aux vases sacrés, de préparer les petits langes destinés à recevoir Jésus, je
sentais qu’il me fallait être bien fervente et je me rappelais souvent cette
parole adressée à un saint diacre : " Soyez saint, vous qui touchez les vases du
Seigneur. " (NHA 814) (Is 52,11) Je ne puis pas dire que j’aie souvent regu des
consolations pendant mes actions de grâces, c’est peut-être le moment où j’en ai
le moins... je trouve cela tout naturel puisque je me suis offerte à Jésus non
comme une personne qui désire recevoir sa visite pour sa propre consolation,
mais au contraire pour le plaisir de Celui qui se donne à moi. Je me figure mon
âme comme un terrain libre et je prie la Ste Vierge d’ôter les décombres qui
pourraient l’empêcher d’être libre, ensuite je la supplie de dresser elle-même
une vaste tente digne du Ciel, de l’orner de ses propres parures et puis
j’invite tous les Saints et les Anges à venir faire un magnifique concert. Il me
semble lorsque Jésus descend dans mon coeur, qu’Il est content de se trouver si
bien reçu et moi je suis contente aussi... Tout cela n’empêche pas les
distractions et le sommeil de venir me visiter, mais au sortir de l’action de
grâces voyant que je l’ai si mal faite je prends la résolution d’être tout le
reste de la journée en action de grâces... Vous voyez, ma Mère chérie, que je
suis loin d’être conduite par la voie de la crainte, je sais toujours trouver le
moyen d’être heureuse et de profiter de mes misères... sans doute cela ne
déplaît pas à Jésus, car Il semble m’encourager dans ce chemin. Un jour,
contrairement à mon habitude, j’étais un peu troublée en allant à la Communion,
il me semblait que le Bon Dieu n’était pas content de moi et je me disais : " Ah
! si je ne reçois aujourd’hui que la moitié d’nne hostie, cela va me faire bien
de la peine, je vais croire que Jésus vient comme à regret dans mon coeur. " Je
m’approche... oh bonheur ! pour la première fois de ma vie, je vois le prêtre
prendre deux hosties bien séparées et me les donner !... Vous comprenez ma joie
et les douces larmes que j’ai répandues, en voyant une si grande miséricorde...
L’année qui suivit ma profession, c’est-à-dire deux mois avant la mort de mère
Geneviève, je reçus de grandes grâces pendant la retraite. (NHA 815)
Ordinairement les retraites prêchées me sont encore plus douloureuses que celles
que je fais toute seule, mais cette année-là il en fut autrement. J’avais fait
une neuvaine préparatoire avec beaucoup de ferveur, malgré le sentiment intime
que j’avais, car il me semblait que le prédicateur ne pourrait me comprendre,
étant surtout destiné à faire du bien aux grands pécheurs mais pas aux âmes
religieuses. Le Bon Dieu voulant me montrer que c’était Lui seul le directeur de
mon âme se servit justement de ce Père qui ne fut apprécié que de moi... J’avais
alors de grandes épreuves intérieures de toutes sortes (jusqu’à me demander
parfois s’il y avait un Ciel.) Je me sentais disposée à ne rien dire de mes
dispositions intimes, ne sachant comment les exprimer, mais à peine entrée dans
le confessionnal je sentis mon âme se dilater. Après avoir dit peu de mots, je
fus comprise d’une façon merveilleuse et même devinée... mon âme était comme un
livre dans lequel le Père lisait mieux que moi-même... Il me lança à pleines
voiles sur les flots de la confiance et de l’amour qui m’attiraient si fort mais
sur lesquels je n’osais avancer... Il me dit que mes fautes ne faisaient pas de
peine au Bon Dieu, que tenant sa place, il me disait de sa part qu’Il était très
content de moi... Oh ! que je fus heureuse en écoutant ces consolantes paroles
!... Jamais je n’avais entendu dire que les fautes pouvaient ne pas faire de
peine au bon Dieu, cette assurance me combla de joie, elle me fit supporter
patiemment l’exil de la vie.. . Je sentais bien au fond de mon coeur que c’était
vrai car le Bon Dieu est plus tendre qu’une Mère, eh bien, vous, ma Mère chérie,
n’êtes-vous pas toujours prête à me pardonner les petites indélicatesses que je
vous fais involontairement ?... Que de fois n’en ai-je pas fait la douce
expérience !... Nul reproche ne m’aurait autant touchée qu’une seule de vos
caresses. Je suis d’une nature telle que la crainte me fait reculer ; avec
l’amour non seulement j’avance mais je vole... O ma Mère ce fut surtout depuis
le jour béni de votre élection (NHA 816) que je volai dans les voies de
l’amour... Ce jour-là, Pauline devint mon Jésus vivant... Elle devint pour la
seconde fois : " Maman !... "
Depuis longtemps déjà, j’ai le bonheur de contempler les
merveilles que Jésus opère par le moyen de ma Mère chérie... Je vois que la
souffrance seule peut enfanter les âmes et plus que jamais ces sublimes paroles
de Jésus me dévoilent leur profondeur : " En vérité, en vérité, je vous le dis,
si le grain de blé étant tombé à terre ne vient à mourir il demeure seul, mais
s’il meurt il rapporte beaucoup de fruits. " (NHA 817) (Jn 12,24-25) Quelle
abondante moisson n’avez-vous pas récoltée !... Vous avez semé dans les larmes,
mais bientôt vous verrez le fruit de vos travaux, vous reviendrez remplie de
joie portant des gerbes en vos mains... (NHA 818) (Ps 126,5-6) O ma Mère, parmi
ces gerbes fleuries, la petite fleur blanche se tient cachée mais au Ciel elle
aura une voix pour chanter votre douceur et les vertus qu’elle vous voit
pratiquer chaque jour dans l’ombre et le silence de la vie d’exil... Oui depuis
deux ans, j’ai compris bien des mystères jusque là cachés pour moi. Le bon Dieu
m’a montré la même miséricorde qu’Il montra au roi Salomon. Il n’a pas voulu que
j’aie un seul désir qui ne soit rempli, non seulement mes désirs de perfection,
mais encore ceux dont je comprenais la vanité, sans l’avoir expérimentée. Vous
ayant toujours, ma Mère chérie, regardée comme mon idéal, je désirais vous
ressembler en tout ; vous voyant faire de belles peintures et de ravissantes
poésies, je me disais : " Ah ! que je serais heureuse de pouvoir peindre, de
savoir exprimer mes pensées en vers et de faire aussi du bien aux âmes... " Je
n’aurais pas voulu demander ces dons naturels et mes désirs restaient cachés au
fond de mon coeur. Jésus caché lui aussi dans ce pauvre petit coeur se plut à
lui montrer que tout est vanité et affliction d’esprit sous le soleil. (NHA 819)
(Qo 2,11) Au grand étonnement des soeurs, on me fit peindre et le Bon Dieu
permit que je sache profiter des leçons que ma Mère chérie me donna... Il voulut
encore que je puisse à son exemple faire des poésies, composer des pièces qui
furent trouvées jolies... De même que Salomon se tournant vers les ouvrages de
ses mains, où il avait pris une peine si inutile, vit que tout est vanité et
affliction d’esprit, (Qo 2,11) de même, j’ai reconnu par EXPÉRIENCE que le
bonheur ne consiste qu’à se cacher, à rester dans l’ignorance des choses créées.
J’ai compris que sans l’amour, toutes les oeuvres ne sont que néant, même les
plus éclatantes, comme de ressusciter les morts ou de convertir les peuples...
(1Co 11,1-4) Au lieu de me faire du mal, de me porter à la vanité, les dons que
le Bon Dieu m’a prodigués (sans que je les lui demande) me portent vers Lui, je
vois que Lui seul est immuable, que Lui seul peut remplir mes immenses désirs...
Il est encore d’autres désirs d’un autre genre, que Jésus s’est plu à combler,
désirs enfantins semblables à ceux de la neige de ma prise d’habit. Vous savez,
ma Mère chérie, combien j’aime les fleurs ; en me faisant prisonnière à quinze
ans, je renonçai pour toujours au bonheur de courir dans les campagnes émaillées
des trésors du printemps ; eh bien ! jamais je n’ai possédé plus de fleurs que
depuis mon entrée au Carmel. .. Il est d’usage que les fiancés offrent souvent
des bouquets à leurs fiancées, Jésus ne l’oublia pas, il m’envoya à foison des
gerbes de bluets, grandes pâquerettes, coquelicots, etc. toutes les fleurs qui
me ravissent le plus. Il y avait même une petite fleur appelée la Nielle des
blés, que je n’avais pas trouvée depuis notre séjour à Lisieux, je désirais
beaucoup la revoir, cette fleur de mon enfance cueillie par moi dans les
campagnes d’Alençon ; ce fut au Carmel qu’elle vint me sourire et me montrer que
dans les plus petites choses comme dans les grandes, le Bon Dieu donne le
centuple dès cette vie aux âmes qui pour son amour ont tout quitté. " (NHA 820)
(Mt 19,29) Mais le plus intime de mes désirs, le plus grand de tous, que je
pensais ne jamais voir se réaliser, était l’entrée de ma Céline chérie dans le
même Carmel que nous... ce rêvee me semblait invraisemblable : vivre sous le
même toit, partager les joies et les peines de la compagne de mon enfance ;
aussi j’avais fait complètement mon sacrifice, j’avais confié à Jésus l’avenir
de ma soeur chérie étant résolue à la voir partir au bout du monde s’il le
fallait. La seule chose que je ne pouvais accepter, c’était qu’elle ne soit pas
l’épouse de Jésus, car j’aimais autant que moi-même, il m’était impossible de la
voir donner son coeur à un mortel. J’avais déjà beaucoup souffert en la sachant
exposée dans le monde à des dangers qui m’avaient été inconnus. Je puis dire que
mon affection pour Céline était depuis mon entrée au Carmel un amour de mère
autant que de soeur... Un jour qu’elle devait aller en soirée (NHA 821) cela me
faisait tant de peine que je suppliai le Bon Dieu de l’empêcher de danser et
même (contre mon habitude) je versai un torrent de larmes. Jésus daigna
m’exaucer. Il ne permit pas que sa petite fiancée pût danser ce soir-là
(quoiqu’elle ne fût pas embarrassée pour le faire gracieusement lorsqu’il était
nécessaire). Ayant été invitée sans qu’elle pût refuser, son cavalier se trouva
dans l’impuissance totale de la faire danser ; à sa grande confusion, il fut
condamné à marcher simplement pour la reconduire à sa place puis il s’esquiva et
ne reparut pas de la soirée. Cette aventure, unique en son genre, me fit grandir
en confiance et en l’amour de Celui qui posant son signe sur mon front, l’avait
en même temps imprimé sur celui de ma Céline chérie... Le 20 Juillet de l’année
dernière, le Bon Dieu rompant les liens de son incomparable serviteur (NHA 822)
(Ps 116,16) et l’appelant à la récompense éternelle, rompit en même temps ceux
qui retenaient au monde sa fiancée chérie, elle avait rempli sa première mission
; chargée de nous représenter toutes auprès de notre Père si tendrement aimé,
cette mission elle l’avait accomplie comme un ange... et les anges ne restent
pas sur la terre, lorsqu’ils ont accompli la volonté du Bon Dieu, ils retournent
aussitôt vers lui, c’est pour cela qu’ils ont des ailes... Notre ange aussi
secoua ses ailes blanches, il était prêt à voler bien loin pour trouver Jésus,
mais Jésus le fit voler tout près... Il se contenta de l’acceptation du grand
sacrifice qui fut bien douloureux pour la petite Thérèse... Pendant deux ans sa
Céline lui avait caché un secret (NHA 823) Ah ! qu’elle avait souffert elle
aussi !... Enfin du haut du Ciel, mon Roi chéri, qui sur la terre n’aimait pas
les lenteurs, se hâta d’arranger les affaires si embrouillées de sa Céline et le
14 Septembre elle se réunissait à nous !... Un jour que les difficultés
semblaient insurmontables, je dis à Jésus pendant mon action de grâces : " Vous
savez, mon Dieu, combien je désire savoir si Papa est allé tout droit au Ciel,
je ne vous demande pas de me parler, mais donnez-moi un signe. Si ma Soeur Aimée
de Jésus (NHA 824) consent à l’entrée de Céline ou n’y met pas d’obstacle, ce
sera la réponse que Papa est allé tout droit avec vous. " Cette soeur, comme
vous le savez, ma Mère chérie, trouvait que nous étions déjà trop de trois et
par conséquent ne voulait pas en admettre une autre, mais le Bon Dieu, qui tient
en sa main le coeur des créatures et l’incline comme il veut, (Pr 21,1) changea
les dispositions de la soeur ; la première personne que je rencontrai après
l’action de grâces, ce fut elle qui m’appela d’un air aimable, me dit de monter
chez vous et me parla de Céline, les larmes aux yeux... Ah ! combien de sujets
n’ai-je pas de remercier Jésus qui sut combler tous mes désirs !... Maintenant,
je n’ai plus aucun désir, si ce n’est celui d’aimer Jésus à la folie... Mes
désirs enfantins sont envolés, sans doute j’aime encore à parer de fleurs
l’autel du Petit Jésus, mais depuis qu’il m’a donné la Fleur que je désirais, ma
Céline chérie, je n’en désire plus d’autre, c’est elle que je lui offre comme
mon plus ravissant bouquet... Je ne désire pas non plus la souffrance, ni la
mort, et cependant je les aime toutes les deux, mais c’est l’amour seul qui
m’attire... Longtemps je les ai désirées ; j’ai possédé la souffrance et j’ai
cru toucher au rivage du Ciel, j’ai cru que la petite fleur serait cueillie en
son printemps... maintenant c’est l’abandon seul qui me guide, je n’ai point
d’autre boussole !... Je ne puis plus rien demander avec ardeur, excepté
l’accomplissement parfait de la volonté du Bon Dieu (Mt 6,10) sur mon âme sans
que les créatures puissent y mettre obstacle. Je puis dire ces paroles du
cantique spirituel de Notre Père St Jean de la Croix ; " Dans le cellier
intérieur de mon Bien-Aimé, j’ai bu et quand je suis sortie, dans toute cette
plaine je ne connaissais plus rien et je perdis le troupeau que je suivais
auparavant... Mon âme s’est employée avec toutes ses ressources à son service,
je ne garde plus de troupeau, je n’ai plus d’autre office, parce que maintenant
tout mon exercice est d’AIMER !... " (NHA 925) ou bien encore : " Depuis que
j’en ai l’expérience, l’amour est si puissant en oeuvres qu’il sait tirer profit
de tout, du bien et du mal qu’il trouve en moi, et transformer mon âme en SOI "
(NHA 826) O ma Mère chérie ! qu’elIe est douce la voie de l’amour. Sans doute,
on peut bien tomber, on peut commettre des infidélités, mais, l’amour sachant
tirer profit de tout, a bien vite consumé tout ce qui peut déplaire à Jésus, ne
laissant qu’une humble et profonde paix au fond du coeur... Ah ! que de lumières
n’ai-je pas puisées dans les Oeuvres de notre Père Saint Jean de la Croix !... A
l’âge de dix-sept et dix-huit ans je n’avais pas d’autre nourriture spirituelle,
mais plus tard tous les livres me laissèrent dans l’aridité et je suis encore
dans cet état. Si j’ouvre un livre composé par un auteur spirituel (même le plus
beau, le plus touchant), je sens aussitôt mon coeur se serrer et je lis sans
pour ainsi dire comprendre, ou si je comprends, mon esprit s’arrête sans pouvoir
méditer... Dans cette impuissance, l’écriture Sainte et l’Imitation (Citation
biblique à relocaliser ! ! ! ) (Ps 118,1) viennent à mon secours ; en elles je
trouve une nourriture solide et toute pure. Mais c’est par dessus tout l’Evangile
qui m’entretient pendant mes oraisons, en lui je trouve tout ce qui est
nécessaire à ma pauvre petite âme. J’y découvre toujours de nouvelles lumières,
des sens cachés et mystérieux... Je comprends et je sais par expérience " Que le
royaume de Dieu est au-dedans de nous. " (NHA 827) (Lc 17,21) Jésus n’a point
besoin de livres ni de docteurs pour instruire les âmes ; Lui, le Docteur des
docteurs, il enseigne sans bruit de paroles... (NHA 828) Jamais je ne l’ai
entendu parler, mais je sens qu’Il est en moi, à chaque instant, Il me guide et
m’inspire ce que je dois dire ou faire. Je découvre juste au moment où j’en ai
besoin des lumières que je n’avais pas encore vues, ce n’est pas le plus souvent
pendant mes oraisons qu’elles sont le plus abondantes, c’est plutôt au milieu
des occupations de ma journée... O ma Mère chérie ! après tant de grâces ne
puis-je pas chanter avec le psalmiste : " Que le Seigneur est BON, que sa
MISÉRICORDE est éternelle. " (NHA 829) (Ps 118,1) Il me semble que si toutes les
créatures avaient les mêmes grâces que moi, le Bon Dieu ne serait craint de
personae, mais aiméjusqu’à la folie, et que par amour, et non pas en tremblant,
jamais aucune âme ne consentirait à Lui faire de la peine... Je comprends
cependant que toutes les âmes ne peuvent pas se ressembler, il faut qu’iI y en
ait de différentes familles afin d’honorer spécialement chacune des perfections
du Bon Dieu. A moi Il a donné sa Miséricorde infinie c’est à travers elle que je
contemple et adore les autres perfections Divines !... Alors toutes
m’apparaissent rayonnantes d’amour, la Justice même (et peut-être encore plus
que toute autre) me semble revêtue d’amour... Quelle douce joie de penser que le
Bon Dieu est juste, c’est-à-dire qu’Il tient compte de nos faiblesses, qu’Il
connaît parfaitement la fragilité de notre nature. De quoi donc aurais-je peur ?
Ah ! le Dieu infiniment juste qui daigna pardonner avec tant de bonté toutes les
fautes de l’enfant prodigue, (Lc 15,21-24) ne doit-Il pas être juste aussi
envers moi qui " suis toujours avec Lui ?... (NHA 830) (Lc 15,31) Cette année,
le 9 Juin, fête de la Sainte Trinité, j’ai reçu la grâce de comprendre plus que
jamais combien Jésus désire être aimé. (NHA 831) Je pensais aux âmes qui
s’offrent comme victimes à la Justice de Dieu afin de détourner et d’attirer sur
elles es châtiments réservés aux coupables, cette offrande me semblait grande et
généreuse, mais j’étais loin de me sentir portée à la faire. " O mon Dieu !
m’écriai-je au fond de mon coeur, n’y aura-t-il que votre Justice qui recevra
des âmes s’immolant en victimes ?... Votre Amour Miséricordieux n’en a-t-il pas
besoin lui aussi ?... De toutes parts il est méconnu, rejeté ; les coeurs
auxquels vous désirez le prodiguer se tournent vers les créatures leur demandant
le bonheur avec leur misérable affection, au lieu de se jeter dans vos bras et
d’accepter votre Amour infini... O mon Dieu ! votre Amour méprisé va-t-il rester
en votre Coeur ? Il me semble que si vous trouviez des âmes s’offrant en
Victimes d’holocaustes à votre Amour, vous les consumeriez rapidement, il me
semble que vous seriez heureux de ne point comprimer les flots d’infinies
tendresses qui sont en vous... Si votre Justice aime à se décharger, elle qui ne
s’étend que sur la terre, combien plus votre Amour Miséricordieux désire-t-il
embraser les âmes, puisque votre Miséricorde s’élève jusqu’aux Cieux... (NHA
832) O mon Jésus ! que ce soit moi cette heureuse victime, consumez votre
holocauste par le feu de votre Divin Amour !... " (Ps 36,6) Ma Mère chérie, vous
qui m’avez permis de m’offrir ainsi au Bon Dieu, vous savez les fleuves ou
plutôt les océans de grâces qui sont venus inonder mon âme... Ah ! depuis cet
heureux jour, il me semble que l’Amour me pénètre et m’environne, il me semble
qu’à chaque instant cet Amour Miséricordieux me renouvelle, purifie mon âme et
n’y laisse aucune trace de péché, aussi je ne puis craindre le purgatoire... Je
sais que par moi-même je ne mériterais pas même d’entrer dans ce lieu
d’expiation, puisque les âmes saintes peuvent seules y avoir accès, mais je sais
aussi que le Feu de l’Amour est plus sanctifiant que celui du purgatoire, je
sais que Jésus ne peut désirer pour nous de souffrances inutiles et qu’Il ne
m’inspirerait pas les désirs que je ressens, s’Il ne voulait les combler... Oh !
qu’elle est douce la voie de l’Amour !... Comme je veux m’appliquer à faire
toujours avec le plus grand abandon, la volonté du Bon Dieu !... (Mt 6,10)
Voilà, ma Mère chérie, tout ce que je puis vous dire de la vie de votre petite
Thérèse, vous connaissez bien mieux par vous-même, ce qu’elle est et ce que
Jésus a fait pour elle, aussi vous me pardonnerez d’avoir beaucoup abrégé
l’histoire de sa vie religieuse... Comment s’achèvera-t-elle, cette " histoire
d’une petite fleur blanche ? " Peut-être la petite fleur sera-t-elle cueillie
dans sa fraîcheur ou bien transplantée sur d’autres rivages... (NHA 833) Je
l’ignore, mais ce dont je suis certaine, c’est que la Miséricorde du Bon Dieu
l’accompagnera toujours, (Ps 23,6) c’est que jamais elle ne cessera de bénir la
Mère chérie qui l’a donnée à Jésus ; éternellement elle se réjouira d’être une
des fleurs de sa couronne... Eternellement elle chantera avec cette Mère chérie
le cantique toujours nouveau de l’Amour... (Ap 14,3)
EXPLICATION DES ARMOIRIES
Le blason JHS est celui que Jésus a daigné apporter en dot à
sa pauvre pette épouse. L’orpheline de la Bérésina (NHA 834) est devenue Thérèse
de l’ENFANT Jésus et de la SAINTE FACE, ce sont là ses titres de noblesse, sa
richesse et son espérance. La Vigne qui sépare en deux le blason est encore la
figure de Celui qui daigna nous dire : " Je suis la Vigne et vous êtes les
branches, je veux que vous me rapportiez beaucoup de fruits " (NHA 835) (Jn
15,5) Les deux rameaux entourant, l’un la Ste Face, l’autre le petit Jésus sont
l’image de Thérèse qui n’a qu’un désir ici-bas : celui de s’offrir comme une
petite grappe de raisin pour rafraîchir Jésus enfant, l’amuser, se laisser
presser par Lui au gré de ses caprices et de pouvoir aussi étancher la soif
ardente qu’Il ressentit pendant sa passion. (Jn 19,28) La harpe représente
encore Thérèse qui veut sans cesse chanter à Jésus des mélodies d’amour. Le
blason FMT est celui de Marie-Françoise-Thérèse, la petite fleur de la Sainte
Vierge, aussi cette petite fleur est-elle représentée recevant les rayons
bienfaisants de la Douce Étoile du matin. La terre verdoyante représente la
famille bénie au sein de laquelle la fleurette a grandi ; plus loin on voit une
montagne qui représente le Carmel. C’est en ce lieu béni que Thérèse a choisi
pour figurer en ses armoiries le dard enflammé de l’amour qui doit lui mériter
la palme du martyre en attendant qu’elle puisse véritablement donner son sang
pour Celui qu’elle aime. Car pour répondre à tout l’amour de Jésus elle voudrait
faire pour Lui ce qu’Il a fait pour elle... mais Thérèse n’oublie pas qu’elle
n’est qu’un faible roseau aussi l’a-t-elle placé sur son blason. Le triangle
lumineux représente l’adorable Trinité qui ne cesse de répandre ses dons
inestimables sur l’âme de la pauvre petite Thérèse, aussi dans sa reconnaissance
elle n’oubliera jamais cette devise : " L’Amour ne se paie que par l’Amour. "
(NHA 836)
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