|
J. M. J. T.
Juin 1897
Ma
Mère bien-aimée, (NHA 1001) vous m’avez témoigné le désir que j’achève avec vous
de Chanter les Miséricordes du Seigneur. (NHA 1002) (Ps 89,2) Ce doux chant, je
l’avais commencé avec votre fille chérie, Agnès de Jésus, qui fut la mère
chargée par le Bon Dieu de me guider aux jours de mon enfance ; c’était donc
avec elle que je devais chanter les grâces accordées à la petite fleur de la
Sainte Vierge, lorsqu’elle était au printemps de sa vie, mais c’est avec vous
que je dois chanter le bonheur de cette petite fleurette maintenant que les
timides rayons de l’aurore ont fait place aux brillantes ardeurs du midi. Oui
c’est avec vous, Mère bien-aimée, c’est pour répondre à votre désir (NHA 1003)
que je vais essayer de redire les sentiments de mon âme, ma reconnaissance
envers le bon Dieu, envers vous qui me le représentez visiblement ; n’est-ce pas
entre vos mains maternelles que je me suis livrée entièrement Lui ? O ma mère,
vous souvient-il de ce jour ?... (NHA 1004) Oui je sens que votre coeur ne
saurait l’oublier... Pour moi je dois attendre le beau Ciel, ne trouvant pas
ici-bas de paroles capables de traduire ce qui se passa dans mon coeur en ce
jour béni. Mère bien-aimée, il est un autre jour où mon âme s’attacha plus
encore à la vôtre si c’est chose possible, ce fut celui où Jésus vous imposa de
nouveau le fardeau de la supériorité. En ce jour, ma Mère chérie, vous avez semé
dans les larmes mais au Ciel, vous serez remplie de joie (Ps 126,5-6) en vous
voyant chargée de gerbes précieuses. (NHA 1005) O ma Mère, pardonnez ma
simplicité enfantine, je sens que vous me permettez de vous parler sans
rechercher ce qu’il est permis à une jeune religieuse de dire à sa Prieure.
Peut-être ne me tiendrai-je pas toujours dans les bornes prescrites aux
inférieurs, mais ma Mère, j’ose le dire, c’est votre faute : j’agis avec vous
comme une enfant parce que vous n’agissez pas avec moi en Prieure mais en
Mère... Ah ! je le sens bien, Mère chérie, c’est le Bon Dieu qui me parle
toujours par vous. Bien des soeurs pensent que vous m’avez gâtée, que depuis mon
entrée dans l’arche sainte, (Gn 7,13) je n’ai reçu de vous que des caresses et
des compliments, cependant il n’en est pas ainsi ; vous verrez, ma Mère, dans le
cahier contenant mes souvenirs d’enfance, ce que je pense de l’éducation forte
et maternelle que j’ai reçue de vous. Du plus profond de mon coeur je vous
remercie de ne m’avoir pas ménagée. Jésus savait bien qu’il fallait à sa petite
fleur l’eau vivifiante de l’humiliation, elle était trop faible pour prendre
racine sans ce secours, et c’est par vous, ma Mère, que ce bienfait lui fut
dispensé. Depuis un an et demi, Jésus a voulu changer la manière de faire
pousser sa petite fleur, il la trouvait sans doute assez arrosée, car maintenant
c’est le soleil qui la fait grandir, Jésus ne veut plus pour elle que son
sourire u’Il lui donne encore par vous, ma Mère bien-aimée. Ce doux soleil loin
de flétrir la petite fleur la fait pousser merveilleusement, au fond de son
calice elle conserve les précieuses gouttes de rosée qu’elle a reçues et ces
gouttes lui rappellent toujours qu’elle est petite et faible... Toutes les
créatures peuvent se pencher vers elle, l’admirer, l’accabler de leurs louanges,
je ne sais pourquoi mais cela ne saurait ajouter une seule goutte de fausse joie
à la véritable joie qu’elle savoure en son coeur, se voyant ce qu’elle est aux
yeux du Bon Dieu : un pauvre petit néant, rien de plus... Je dis ne pas
comprendre pourquoi, nais n’est-ce pas parce qu’elle a été préservée de l’eau
des louanges tout le temps que son petit calice n’était pas assez rempli de la
rosée de l’humiliation ? Maintenant il n’y a plus de danger, au contraire, la
petite fleur trouve si délicieuse la rosée dont elle est remplie qu’elle se
garderait bien de l’échanger pour l’eau si fade des compliments. Je ne veux pas
parler, ma Mère chérie, de l’amour et de la confiance que vous me témoignez, ne
croyez pas que le coeur de votre enfant y soit insensible, seulement je sens
bien que je n’ai rien à craindre maintenant, au contraire je puis en jouir,
rapportant au Bon Dieu ce qu’Il a bien voulu mettre de bon en moi. S’il lui
plaît de me faire paraître meilleure que je ne suis, cela ne me regarde pas, Il
est libre d’agir comme Il veut... O ma Mère, que les voies par lesquelles le
Seigneur conduit les âmes sont différentes ! Dans la vie des Saints, nous voyons
qu’il s’en trouve beaucoup qui n’ont rien voulu laisser d’eux après leur mort,
pas le moindre souvenir, le moindre écrit. Il en est d’autres au contraire,
comme notre Mère Sainte Thérèse, qui ont enrichi l’Eglise de leurs sublimes
révélations ne craignant pas de révéler les secrets du Roi, (NHA 1006) (Tb 12,7)
afin qu’il soit plus connu, plus aimé des âmes. Lequel de ces deux genres de
saints plaît le mieux au Bon Dieu ? Il me semble, ma Mère, qu’ils lui sont
également agréables, puisque tous ont suivi le mouvement de l’Esprit Saint et
que le Seigneur a dit : Dites au Juste que TOUT est bien. (NHA 1007) (Is 3,10)
Oui tout est bien, lorsqu’on ne recherche que la volonté de Jésus, C’est pour
cela que moi, pauvre petite fleur, j’obéis à Jésus en essayant de faire plaisir
à ma Mère bien-aimée. Vous le savez, ma Mère, j’ai toujours désiré d’être une
sainte, mais hélas ! j’ai toujours constaté, lorsque je me suis comparée aux
saints, qu’il y a entre eux et moi la même différence qui existe entre une
montagne dont le sommet se perd dans les cieux et le grain de sable obscur foulé
sous les pieds des passants ; au lieu de me décourager, je me suis dit : Le Bon
Dieu ne saurait inspirer des désirs irréalisables, je puis donc malgré ma
petitesse aspirer à la sainteté ; me grandir, c’est impossible, je dois me
supporter telle que je suis avec toutes mes imperfections ; mais je veux
chercher le moyen d’aller au Ciel par une petite voie bien droite, bien courte,
une petite voie toute nouvelle. Nous sommes dans un siècle d’inventions
maintenant ce n’est plus la peine de gravir les marches d’un escalier, chez les
riches un ascenseur le remplace avantageusement. Moi je voudrais aussi trouver
un ascenseur pour m’élever jusqu’à Jésus, car je suis trop petite pour monter le
rude escalier de la perfection. Alors j’ai recherché dans les livres saints
l’indication de l’ascenseur, objet de mon désir et j’ai lu ces mots sortis de la
bouche de la Sagesse Eternelle : Si quelqu’un est TOUT PETIT qu’il vienne à moi.
(Pr 9,4) (NHA 1008) (Ps 9,4) Alors je suis venue, devinant que j’avais trouvé ce
que je cherchais et voulant savoir, ô mon Dieu ! ce que vous feriez au tout
petit qui répondrait à votre appel j’ai continué mes recherches et voici ce que
j’ai trouvé : Comme une mère caresse son enfant, ainsi je vous consolerai, je
vous porterai sur mon sein et je vous balancerai sur mes genoux ! (NHA 1009) (Is
66,12-13) Ah ! jamais paroles plus tendres, plus mélodieuses, ne sont venues
réjouir mon âme, l’ascenseur qui doit m’élever jusqu’au Ciel, ce sont vos bras,
ô Jésus ! Pour cela je n’ai pas besoin de grandir, au contraire il faut que je
reste petite, que je le devienne de plus en plus. O mon Dieu, vous avez dépassé
mon attente et moi je veux chanter vos miséricordes. (Ps 89,2) " Vous m’avez
instruite dès ma jeunesse et jusqu’à présent j’ai annoncé vos merveilles, je
continuerai à les publier dans l’âge le plus avancé. " Ps. LXX. (NHA 1010) Quel
sera-t-il pour moi cet âge avancé ? Il me semble que ce pourrait être
maintenant, car deux mille ans ne sont pas plus aux yeux du Seigneur que vingt
ans... qu’un seul jour... (Ps 71,17-18) (NHA 1011) (Ps 90,4) Ah ! ne croyez pas,
Mère bien-aimée, que votre enfant désire vous quitter... ne croyez pas qu’elle
estime comme une plus grande grâce de mourir à l’aurore plutôt qu’au déclin du
jour. Ce qu’elle estime, ce qu’elle désire uniquement, c’est de faire plaisir à
Jésus... Maintenant qu’Il semble s’approcher d’elle pour l’attirer au séjour de
sa gloire, votre enfant se réjouit. Depuis longtemps elle a compris que le Bon
Dieu n’a besoin de personne (encore moins d’elle que des autres) pour faire du
bien sur la terre. Ma Mère, pardonnez-moi si je vous attriste... ah ! je
voudrais tant vous réjouir... mais croyez-vous que si vos prières ne sont pas
exaucées sur la terre, si Jésus pour quelques jours sépare l’enfant de sa Mère,
ces prières ne le seront pas au Ciel ?... Votre désir est, je le sais, que
j’accomplisse près de vous une mission bien douce, bien facile ; (NHA 1012)
cette mission ne pourrai-je pas l’achever du haut des Cieux ?... Comme Jésus le
dit un jour à Saint Pierre, vous avez dit à votre enfant : " Pais mes agneaux "
(NHA 1013) (Jn 21,15) et moi je me suis étonnée, je vous ai dit " être trop
petite... " je vous ai suppliée de faire vous-même paître vos petits agneaux et
de me garder, de me faire paître par grâce avec eux. Et vous, ma Mère
bien-aimée, répondant un peu à mon juste désir, vous avez gardé les petits
agneaux avec les brebis, (NHA 1014) mais en me commandant d’aller souvent les
faire paître à l’ombre, de leur indiquer les herbes les meilleures et les plus
fortifiantes, de bien leur montrer les fleurs brillantes auxquelles ils ne
doivent jamais toucher si ce n’est pour les écraser sous leurs pas... Vous
n’avez pas craint, ma Mère chérie, que j’égare vos petits agneaux ; mon
inexpérience, ma jeunesse ne vous ont point effrayée, peut-être vous êtes vous
souvenue que souvent le Seigneur se plaît à accorder la sagesse aux petits et
qu’un jour, transporté de joie, Il a béni son Père d’avoir caché ses secrets aux
prudents et de les avoir révélés aux plus petits. (NHA 1015) (Lc 10,21) Ma Mère,
vous le savez, elles sont bien rares les âmes qui ne mesurent pas la puissance
divine à leurs courtes pensées, on veut bien que partout sur la terre il y ait
des exceptions, seul le Bon Dieu n’a pas le droit d’en faire ! Depuis bien
longtemps, je le sais, cette manière de mesurer l’expérience aux années se
pratique parmi les humains, car, en son adolescence, le saint roi David chantait
au Seigneur : " Je suis JEUNE et méprisé. " (NHA 1016) (Ps 119,40) Dans le même
psaume CXVIII, il ne craint pas de dire cependant : " Je suis devenu plus
prudent que les vieillards : parce que j’ai recherché votre volonté... Votre
parole est la lampe qui éclaire mes pas... Je suis prêt à accomplir vos
ordonnances et je ne suis TROUBLE DE RIEN... " (NHA 1017) (Ps 119,100-105) Mère
bien-aimée, vous n’avez pas craint de me dire un jour que le Bon Dieu illuminait
mon âme, qu’Il me donnait même l’expérience des années... ma Mère ! je suis trop
petite pour avoir de la vanité maintenant, je suis trop petite encore pour
tourner de belles phrases afin de vous faire croire que j’ai beaucoup
d’humilité, j’aime mieux convenir tout simplement que le Tout-Puissant a fait de
grandes choses en l’âme de l’enfant de sa divine Mère, (Lc 1,49) et la plus
grande c’est de lui avoir montré sa petitesse, son impuissance.
Mère chérie, vous le savez bien, le Bon Dieu a daigné faire
passer mon âme par bien des genres d’épreuves ; j’ai beaucoup souffert depuis
que je suis sur la terre, mais si dans mon enfance j’ai souffert avec tristesse,
ce n’est plus ainsi que je souffre maintenant, c’est dans la joie et la paix, je
suis véritablement heureuse de souffrir. O ma Mère, il faut que vous connaissiez
tous les secrets de mon âme pour ne pas sourire en lisant ces lignes, car y
a-t-iI une âme moins éprouvée que la mienne si l’on en juge aux apparences ? Ah
! si l’épreuve que je souffre depuis un an (NHA 1018) apparaissait aux regards,
quel étonnement ! Mère bien-aimée, vous la connaissez cette épreuve ; je vais
cependant vous en parler encore, car je la considère comme une grande grâce que
j’ai reçue sous votre Priorat béni. L’année dernière, le Bon Dieu m’a accordé la
consolation d’observer le jeûne du carême dans toute sa rigueur; jamais je ne
m’étais sentie aussi forte, et cette force se maintint jusqu’à Pâques. Cependant
le jour du Vendredi saint, Jésus voulut me donner l’espoir d’aller bientôt le
voir au Ciel... Oh ! qu’il m’est doux ce souvenir !... Après être restée au
Tombeau (NHA 1019) jusqu’a minuit, je rentrai dans notre cellule, mais à peine
avais-je eu le temps de poser ma tête sur l’oreiller que je sentis comme un flot
qui montait, montait en bouillonnant jusqu’à mes lèvres. Je ne savais pas ce que
c’était, mais je pensais que peut-être j’allais mourir et mon âme était inondée
de joie... Cependant comme notre lampe était soufflée, je me dis qu’il fallait
attendre au matin pour m’assurer de mon bonheur, car il me semblait que c’était
du sang que j’avais vomi. Le matin ne se fit pas longtemps attendre, en
m’éveillant, je pensai tout de suite que j’avais quelque chose de gai à
apprendre et en m’approchant de la fenêtre je pus constater que je ne m’étais
pas trompée... Ah ! mon âme fut remplie d’une grande consolation, j’étais
intimement persuadée que Jésus au jour anniversaire de sa mort voulait me faire
entendre un premier appel. C’était comme un doux et lointain murmure qui
m’annonçait l’arrivée de l’Epoux... " (NHA 1020) (Mt 25,6) Ce fut avec une bien
grande ferveur que j’assistai à Prime et au chapitre des pardons (NHA 1021)
J’avais hâte de voir mon tour arriver afin de pouvoir, en vous demandant pardon,
vous confier, ma Mère bien-aimée, mon espérance et mon bonheur ; mais j’ajoutai
que je ne souffrais pas du tout (ce qui était bien vrai) et je vous suppliai, ma
Nfère, de ne me donner rien de particulier. En effet j’eus la consolation de
passer la journée du Vendredi Saint comme je le désirais. Jamais les austérités
du Carmel ne m’avaient semblé aussi délicieuses, l’espoir d’aller au Ciel me
transportait d’allégresse. Le soir de ce bienheureux jour étant arrivé, l fallut
se reposer, mais comme la nuit précédente, le bon Jésus me donna le même signe
que mon entrée dans l’Eternelle vie n’était pas éloignée... Je jouissais alors
d’une foi si vive, si claire, que la pensée du Ciel faisait tout mon bonheur, je
ne pouvais croire qu’il y eût des impies n’ayant pas la foi. Je croyais qu’ils
parlaient contre leur pensée en niant l’existence du Ciel, du beau Ciel où Dieu
Lui-Même voudrait être leur éternelle récompense. (Gn 15,1) Aux jours si joyeux
du temps pascal, Jésus m’a fait sentir qu’il y a véritablement des âmes qui
n’ont pas la foi, qui par l’abus des grâces perdent ce précieux trésor, source
des seules joies pures et véritables. Il permit que mon âme fut envahie par les
plus épaisses ténèbres et que la pensée du Ciel si douce pour moi ne soit plus
qu’un sujet de combat et de tourment... Cette épreuve ne devait pas durer
quelques jours, quelques semaines, elle devait ne s’éteindre qu’à l’heure
marquée par le Bon Dieu et... cette heure n’est pas encore venue... Je voudrais
pouvoir exprimer ce que je sens, mais hélas ! je crois que c’est impossible. Il
faut avoir voyagé sous ce sombre tunnel pour en comprendre l’obscurité. Je vais
cependant essayer de l’expliquer par une comparaison. Je suppose que je suis née
dans un pays environné d’un épais brouillard, jamais je n’ai contemplé le riant
aspect de la nature, inondée, transfigurée par le brillant soleil ; dès mon
enfance il est vrai, j’entends parler de ces merveilles, je sais que le pays où
je suis n’est pas ma patrie, qu’il en est un autre vers lequel je dois sans
cesse aspirer. (He 11,13-16) Ce n’est pas une histoire inventée par un habitant
du triste pays où je suis, c’est une réalité certaine car le Roi de la patrie au
brillant soleil est venu vivre trente-trois ans dans le pays des ténèbres ; (Jn
1,5 1,9-10) hélas ! les ténèbres n’ont point compris que ce Divin Roi était la
lumière du monde... (NHA 1022) Mais Seigneur, votre enfant l’a comprise votre
divine lumière, elle vous demande pardon pour ses frères, elle accepte de manger
aussi longtemps que vous le voudrez le pain de la douleur (Ps 127,2) et ne veut
point se lever de cette table remplie d’amertume où mangent les pauvres pécheurs
avant le jour que vous avez marqué... Mais aussi ne peut-elle pas dire en son
nom, au nom de ses frères : Ayez pitié de nous Seigneur, car nous sommes de
pauvres pécheurs ... (Mt 9,10-11) (NHA 1023) (Lc 18,13) Oh ! Seigneur,
renvoyez-nous justifiés... Que tous ceux qui ne sont point éclairés du lumineux
flambeau de la Foi +046 le voient luire enfin... ô Jésus, s’il faut que la table
souillée par eux soit purifiée par une âme qui vous aime, je veux bien y manger
seule le pain de l’épreuve jusqu’à ce qu’il vous plaise de m’introduire dans
votre lumineux royaume. la seule grâce que je vous demande c’est de ne jamais
vous offenser !... Ma Mère bien-aimée, ce que je vous écris n’a pas de suite ;
ma petite histoire qui ressemblait à un conte de fée s’est tout à coup changée
en prière, je ne sais pas quel intérêt vous pourrez trouver à lire toutes ces
pensées confuses et mal exprimées, enfin ma Mère, je n’écris pas pour faire une
oeuvre littéraire mais par obéissance, si je vous ennuie, du moins vous verrez
que votre enfant a fait preuve de bonne volonté. Je vais donc sans me décourager
continuer ma petite comparaison, au point où je l’avais laissée. Je disais que
la certitude d’aller un jour loin du pays triste et ténébreux m’avait été donnée
dès mon enfance ; non seulement je croyais d’après ce que j’entendais dire aux
personnes plus savantes que moi, mais encore je sentais au fond de mon coeur des
aspirations vers une région plus belle. De même que le génie de Christophe
Colomb lui fit pressentir qu’il existait un nouveau monde, alors que personne
n’y avait songé, ainsi je sentais qu’une autre terre me servirait un jour de
demeure stable. (He 13,14) Mais tout à coup les brouillards qui m’environnent
deviennent plus épais, ils pénètrent dans mon âme et l’enveloppent de telle
sorte qu’il ne m’est plus possible de retrouver en elle l’image si douce de ma
Patrie, tout a disparu ! Lorsque je veux reposer mon coeur fatigué des ténèbres
qui l’entourent, par le souvenir du pays lumineux vers lequel j’aspire, mon
tourment redouble ; il me semble que les ténèbres, empruntant la voix des
pécheurs, me disent en se moquant de moi : " Tu rêves la lumière, une patrie
embaumée des plus suaves parfums, tu rêves la possession éternelle du Créateur
de toutes ces merveilles, tu crois sortir un jour des brouillards qui
t’environnent ! Avance, avance, réjouis-toi de la mort qui te donnera, non ce
que tu espères, mais une nuit plus profonde encore, la nuit du néant. "
Mère bien-aimée, l’image que j’ai voulu vous donner des
ténèbres qui obscurcissent mon âme est aussi imparfaite qu’une ébauche comparée
au modèle ; cependant je ne veux pas en écrire plus long, je craindrais de
blasphémer... j’ai peur même d’en avoir trop dit... Ah ! que Jésus me pardonne
si je Lui ai fait de la peine, mais Il sait bien que tout en n’ayant pas la
jouissance de la Foi, je tâche au moins d’en faire les oeuvres. Je crois avoir
fait plus d’actes de foi depuis un an que pendant toute ma vie. A chaque
nouvelle occasion de combat, lorsque mon ennemi vient me provoquer, je me
conduis en brave, sachant que c’est une lâcheté de se battre en duel, je tourne
le dos à mon adversaire sans daigner le regarder en face ; mais je cours vers
mon Jésus, je Lui dis être prête à verser jusqu’à la dernière goutte de mon sang
pour confesser qu’il y a un Ciel. Je Lui dis que je suis heureuse de ne pas
jouir de ce beau Ciel sur la terre afin qu’Il l’ouvre pour l’éternité aux
pauvres incrédules. Aussi malgré cette épreuve qui m’enlève toute jouissance, je
puis cependant m’écrier : " Seigneur vous me comblez de JOIE par TOUT ce que
vous faites. " (Ps. XCI) (NHA 1024) (Ps 92,5) Car est-il une joie plus grande
que celle de souffrir pour votre amour ? Plus la souffrance est intime, moins
elle paraît aux yeux des créatures, plus elle vous réjouit, ô mon Dieu ! Mais si
par impossible vous-même deviez ignorer ma souffrance, je serais encore heureuse
de la posséder si par elle je pouvais empêcher ou réparer une seule faute
commise contre la Foi...
Ma Mère Bien-aimée, je vous parais peut-être exagérer mon
épreuve, en effet si vous jugez d’après les sentiments que j’exprime dans les
petites poésies que j’ai composées cette année, je dois vous sembler une âme
remplie de consolations et pour laquelle le voile de la foi s’est presque
déchiré, et cependant... ce n’est plus un voile pour moi, c’est un mur qui
s’élève jusque’aux cieux et couvre le firmament étoilé... Lorsque je chante le
bonheur du Ciel, l’éternelle possession de Dieu, je n’en ressens aucune joie,
car je chante simplement ce que JE VEUX CROIRE. Parfois il est vrai, un tout
petit rayon de soleil vient illuminer mes ténèbres, alors l’épreuve cesse un
instant, mais ensuite le souvenir de ce rayon au lieu de me causer de la joie
rend mes ténèbres plus épaisses encore. O ma Mère, jamais je n’ai si bien senti
combien le Seigneur est doux et miséricordieux, (Ps 103,6) il ne m’a envoyé
cette épreuve qu’au moment où j’ai eu la force de la supporter, plus tôt je
crois bien qu’elle m’aurait plongée dans le découragement... Maintenant elle
enlève tout ce qui aurait pu se trouver de satisfaction naturelle dans le désir
que j’avais du Ciel... Mère bien-aimée, il me semble maintenant que rien ne
m’empêche de m’envoler, car je n’ai plus de grands désirs si ce n’est celui
d’aimer jusqu’à mourir d’amour... (9 Juin) (NHA 1025)
Ma Mère chérie, je suis tout étonnée en voyant ce que je vous
ai écrit hier, quel griffonnage !.., ma main tremblait de telle sorte qu’il m’a
été impossible de continuer et maintenant je regrette même d’avoir essayé
d’écrire, j’espère qu’aujourd’hui je vais le faire plus lisiblement, car je ne
suis plus dans le dodo mais dans un joli petit fauteuil tout blanc. O ma Mère,
je sens bien que tout ce que je vous dis n’a pas de suite, mais je sens aussi le
besoin avant de vous parler du passé de vous dire mes sentiments présents, Plus
tard peut-être en aurai-je perdu le souvenir. Je veux d’abord vous dire combien
je suis touchée de toutes vos délicatesses maternelles, ah ! croyez-le, ma Mère
bien-aimée, le coeur de votre enfant est rempli de reconnaissance, jamais il
n’oubliera tout ce qu’il vous doit... Ma Mère, ce qui me touche par-dessus tout,
c’est la neuvaine que vous faites à Notre Dame des Victoires (NHA 1026) ce sont
les messes que vous faites dire pour obtenir ma guérison. Je sens que tous ces
trésors spirituels font un grand bien à mon âme ; au commencement de la
neuvaine, je vous disais, ma Mère, qu’il fallait que la Saint Vierge me guérisse
ou bien qu’elle m’emporte dans les Cieux, car je trouvais cela bien triste pour
vous et la communauté d’avoir la charge d’une jeune religieuse malade ;
maintenant je veux bien être malade toute ma vie si cela fait plaisir au bon
Dieu et je consens même à ce que ma vie soit très longue. La seule grâce que je
désire, c’est qu’elle soit brisée par l’amour. Oh ! non, je ne crains pas une
longue vie, je ne refuse pas le combat car le Seigneur est la roche où je suis
élevée, qui dresse mes main an combat et mes doigts à la guerre. Il est mon
bouclier, j’espère en Lui (Ps. CXLIII) (NHA 1027) (Ps 144,1-2) aussi jamais je
n’ai demandé au bon Dieu de mourir jeune, il est vrai que j’ai toujours espéré
que c’est là sa volonté. Souvent le Seigneur se contente du désir de travailler
pour sa gloire et vous savez, ma Mère, que mes désirs sont bien grands. Vous
savez aussi que Jésus m’a présenté plus d’un calice amer qu’il a éloigné de mes
lèvres avant que je le boive, (Lc 22,42) mais pas avant de m’en avoir fait
savourer l’amertume. Mère bien-aimée, le Saint roi David avait raison lorsqu’il
chantait : Qu’il est bon, qu’il est doux à des frères d’habiter ensemble dans
une parfaite union. (NHA 1028) (Ps 133,1) C’est vrai, je l’ai senti bien
souvent, mais c’est au sein des sacrifices que cette union doit avoir lieu sur
la terre. Ce n’est point pour vivre avec mes soeurs que je suis venue au Carmel,
c’est uniquement pour répondre à l’appel de Jésus ; ah ! je pressentais bien que
ce devait être un sujet de souffrance continuelle de vivre avec ses soeurs,
lorsqu’on ne veut rien accorder à la nature. Comment peut-on dire que c’est plus
parfait de s’éloigner des siens ?... A-t-on jamais reproché à des frères de
combattre sur le même champ de bataille, leur a-t-on reproché de voler ensemble
pour cueillir la palme du martyre ?... Sans doute, on a jugé avec raison qu’ils
s’encourageaient mutuellement, mais aussi que le martyre de chacun devenait
celui de tous. Ainsi en est-il dans la vie religieuse que les théologiens
appellent un martyre. En se donnant à Dieu le coeur ne perd pas sa tendresse
naturelle, cette tendresse au contraire grandit en devenant plus pure et plus
divine. Mère bien-aimée, c’est de cette tendresse que je vous aime, que j’aime
mes soeurs ; je suis heureuse de combattre en famille pour la gloire du Roi des
Cieux, mais je suis prête aussi à voler sur un autre champ de bataille si le
Divin Général m’en exprimait le désir. Un commandement ne serait pas nécessaire
mais un regard, un simple signe. Depuis mon entrée dans l’arche bénie, j’ai
toujours pensé que si Jésus ne m’emportait bien vite au Ciel, le sort de la
petite colombe de Noé serait le mien ; qu’un jour le Seigneur ouvrirait la
fenêtre de l’arche et me dirait de voler bien loin, bien loin, vers des rivages
infidèles, portant avec moi la petite branche d’olivier. (Gn 8,11-12) Ma Mère,
cette pensée a fait grandir mon âme, elle m’a fait planer plus haut que tout le
créé. J’ai compris que même au Carmel il pouvait encore y avoir des séparations,
qu’au Ciel seulement l’union sera complète et éternelle ; alors j’ai voulu que
mon âme habite dans les Cieux, qu’elle ne regarde les choses de la terre que de
loin. J’ai accepté non seulement de m’exiler au milieu d’un peuple inconnu, mais
ce qui m’était bien plus amer, j’ai accepté l’exil pour mes soeurs. Jamais je
n’oublierai le 2 Août 1896, ce jour-là qui se trouvait justement celui du départ
des missionnaires, (NHA 1029) il fut sérieusement question de celui de Mère
Agnès de Jésus. Ah ! je n’aurais pas voulu faire un mouvement pour l’empêcher de
partir ; je sentais cependant une grande tristesse dans mon coeur, je trouvais
que son âme si sensible, si délicate n’était pas faite pour vivre au milieu
d’âmes qui ne sauraient la comprendre, mille autres pensées se pressaient en
foule dans mon esprit et Jésus se taisait, il ne commandait pas à la tempête...
(Mc 4,37-39) Et moi je lui disais : Mon Dieu, pour votre amour j’accepte tout :
si vous le voulez, je veux bien souffrir jusqu’à mourir de chagrin. Jésus se
contenta de l’acceptation, mais quelques mois après, on parla du départ de Soeur
Geneviève et de Soeur Marie de la Trinité : alors ce fut an autre genre de
souffrance, bien intime, bien profonde, je me représentais toutes les épreuves,
les déceptions qu’elles auraient à souffrir, enfin mon ciel était chargé de
nuages... seul le fond de mon coeur restait dans le calme et la paix. Ma Mère
bien-aimée, votre prudence sut découvrir la volonté du Bon Dieu et de sa part
vous avez défendu à vos novices de penser maintenant à quitter le berceau de
leur enfance religieuse ; mais leurs aspirations, vous les compreniez puisque
vous-même, ma Mère, aviez demandé dans votre jeunesse d’aller à Saïgon, c’est
ainsi que souvent les désirs des mères trouvent un écho dans l’âme de leurs
enfants. O ma Mère chérie, votre désir apostolique trouve en mon âme, vous le
savez, un écho bien fidèle ; laissez-moi vous confier pourquoi j’ai désiré et
désire encore, si la Sainte Vierge me guérit, quitter pour une terre étrangère
la délicieuse oasis où je vis si heureuse sous votre regard maternel. Il faut,
ma Mère, (vous me l’avez dit) pour vivre dans les carmels étrangers, une
vocation toute spéciale, beaucoup d’âmes s’y croient appelées sans l’être en
effet, vous m’avez dit aussi que j’avais cette vocation et que ma santé seule
était un obstacle, je sais bien que cet obstacle disparaîtrait si le Bon Dieu
m’appelait au loin, aussi je vis sans aucune inquiétude. S’il me fallait un jour
quitter mon cher Carmel, ah ! ce ne serait pas sans blessure, Jésus ne m’a pas
donné un coeur insensible et c’est justement parce qu’il est capable de souffrir
que je désire qu’il donne à Jésus tout ce qu’il peut donner. Ici, Mère
bien-aimée, je vis sans aucun embarras des soins de la misérable terre, je n’ai
qu’à remplir la douce et facile mission que vous m’avez confiée. Ici je suis
comblée de vos prévenances maternelles, je ne sens pas la pauvreté n’ayant
jamais manqué de rien. Mais surtout, ici je suis aimée, de vous et de toutes les
soeurs, et cette affection m’est bien douce. Voilà pourquoi je rêve un monastère
où je serais inconnue, où j’aurais à souffrir la pauvreté, le manque
d’affection, enfin l’exil du coeur. Ah ! ce n’est pas dans l’intention de rendre
des services au Carmel qui voudrait bien me recevoir, que je quitterais tout ce
qui m’est cher ; sans doute, je ferais tout ce qui dépendrait de moi, mais je
connais mon incapacité et je sais qu’en faisant de mon mieux je n’arriverais pas
à bien faire, n’ayant comme je le disais tout à l’heure aucune connaissance des
choses de la terre. Mon seul but serait donc d’accomplir la volonté du bon Dieu,
de me sacrifier pour Lui de la manière qu’il lui plairait. (Mt 6,10) Je sens
bien que je n’aurais aucune déception, car lorsqu’on s’attend à une souffrance
pure et sans aucun mélange, la plus petite joie devient une surprise inespérée ;
et puis vous le savez, ma Mère, la souffrance elle-même devient la plus grande
des joies lorsqu’on la recherche comme le plus précieux des trésors. Oh non ! ce
n’est pas avec l’intention de jouir du fruit de mes travaux que je voudrais
partir, si c’était là mon but je ne sentirais pas cette douce paix qui m’inonde
et je souffrirais même de ne pouvoir réaliser ma vocation pour les missions
lointaines. Depuis longtemps je ne m’appartiens plus, je suis livrée totalement
à Jésus, Il est donc libre de faire de moi ce qu’il lui plaira. Il m’a donné
l’attrait d’un exil complet, Il m’a fait comprendre toutes les souffrances que
j’y rencontrerais, me demandant si je voulais boire ce calice jusqu’à la lie ;
(Mt 20,21-23) aussitôt j’ai voulu saisir cette coupe que Jésus me présentait,
mais Lui, retirant sa main, me fit comprendre que l’acceptation Le contentait.
O ma Mère, de quelles inquiétudes on se délivre en faisant
voeu d’obéissance ! Que les simples religieuses sont heureuses ! Leur unique
boussole étant la volonté des supérieurs, elles sont toujours assurées d’être
dans le droit chemin, elles n’ont pas à craindre de se tromper même s’il leur
paraît certain que les supérieurs se trompent. Mais lorsqu’on cesse de regarder
la boussole infaillible, lorsqu’on s’écarte de la voie qu’elle dit de suivre
sous prétexte de faire la volonté de Dieu qui n’éclaire pas bien ceux qui
pourtant tiennent sa place, aussitôt l’âme s’égare dans des chemins arides où
l’eau de la grâce leur manque bientôt. Mère bien-aimée, vous êtes la boussole
que Jésus m’a donnée pour me conduire sûrement au rivage éternel. Qu’il m’est
doux de fixer sur vous mon regard et d’accomplir ensuite la volonté du Seigneur.
Depuis qu’Il a permis que je souffre des tentations contre la foi, Il a beaucoup
augmenté dans mon coeur l’esprit de foi qui me fait voir en vous, non seulement
une Mère qui m’aime et que j’aime, mais surtout qui me fait voir Jésus vivant en
votre âme et me communiquant par vous sa volonté. Je sais bien, ma Mère, que
vous me traitez en âme faible, en enfant gâtée, aussi je n’ai pas de mal à
porter le fardeau de l’obéissance, mais il me semble, d’après ce que je sens au
fond de mon coeur, que je ne changerais pas de conduite et que mon amour pour
vous ne souffrirait aucune diminution s’il vous plaisait de me traiter
sévèrement, car je verrais encore que c’est la volonté de Jésus que vous
agissiez ainsi pour le plus grand bien de mon âme. Cette année, ma Mère chérie,
le bon Dieu m’a fait la grâce de comprendre ce que c’est que la charité ; avant
je le comprenais, il est vrai, mais d’une manière imparfaite, je n’avais pas
approfondi cette parole de Jésus : " Le second commandement est SEMBLABLE an
premier : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. " (NHA 1030) (Mt 22,39) Je
m’appliquais surtout à aimer Dieu et c’est en l’aimant que j’ai compris qu’il ne
fallait pas que mon amour se traduisît seulement par des paroles, car : " Ce ne
sont pas ceux qui disent : Seigneur, Seigneur qui entreront dans le royaume des
cieux, mais ceux qui font la volonté de Dieu. " (NHA 1031) (Mt 7,21) " Cette
volonté, Jésus l’a fait connaître plusieurs fois, je devrais dire presque à
chaque page de son évangile ; mais la dernière cène, lorsqu’Il sait que le coeur
de ses disciples brûle d’un plus ardent amour pour Lui qui vient de se donner à
eux, dans l’ineffable mystère de son Eucharistie, ce doux Sauveur veut leur
donner un commandement nouveau. Il leur dit avec une inexprimable tendresse : Je
vous fais un commandement nouveau, c’est de vous entr’aimer, et que COMME JE
VOUS AI AIMES, VOUS VOUS AIMIEZ LES UNS LES AUTRES. (Jn 13,34-35) La marque à
quoi tout le monde connaîtra que vous êtes mes disciples, c’est si vous vous
entr’aimez. (NHA 1032)
Comment Jésus a-t-Il aimé ses disciples et pourquoi les
a-t-Il aimés ? Ah ! ce n’était pas leurs qualités naturelles qui pouvaient
l’attirer, il y avait entre eux et Lui une distance infinie. Il était la
science, la Sagesse Eternelle, ils étaient de pauvres pêcheurs, ignorants et
remplis de pensées terrestres. Cependant Jésus les appelle ses amis, ses frères.
(Col 2,3) (NHA 1033) (Jn 15,15) Il veut les voir régner avec Lui dans le royaume
de son Père (Lc 22,30) et pour leur ouvrir ce royaume Il veut mourir sur une
croix car Il a dit : Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour
ceux qu’on aime. (NHA 1034) (Jn 15,13) Mère bien-aimée, en méditant ces paroles
de Jésus, j’ai compris combien mon amour pour mes soeurs était imparfait, j’ai
vu que je ne les aimais pas comme le Bon Dieu les aime. Ah ! je comprends
maintenant que la charité parfaite consiste à supporter les défauts des autres,
à ne point s’étonner de leurs faiblesses, à s’édifier des plus petits actes de
vertus qu’on leur voit pratiquer, mais surtout j’ai compris que la charité ne
doit point rester enfermée dans le fond du coeur : Personne, a dit Jésus,
n’allume un flambeau pour le mettre sous le boisseau, mais on le met sur le
chandelier, afin qu’il éclaire TOUS ceux qui sont dans la maison. (NHA 1035) Il
me semble que ce flambeau représente la charité qui doit éclairer, réjouir, non
seulement ceux qui me sont les plus chers, mais TOUS ceux qui sont dans la
maison, sans excepter personne. (Mt 5,15) Lorsque le Seigneur avait ordonné à
son peuple d’aimer son prochain comme soi-même. (NHA 1036) Il n’était pas encore
venu sur la terre ; aussi sachant bien à quel degré l’on aime sa propre
personne, Il ne pouvait demander à ses créatures un amour plus grand pour le
prochain. (Lv 19,18) Mais lorsque Jésus fit à ses apôtres un commandement
nouveau, SON COMMANDEMENT A LUI, (NHA 1037) comme Il le dit plus loin, ce n’est
plus d’aimer le prochain comme soi-même qu’Il parle mais de l’aimer comme Lui,
Jésus l’a aimé, comme Il l’aimera jusqu’à la consommation des siècles... Ah !
Seigneur, je sais que vous ne commandez rien d’impossible, vous connaissez mieux
que moi ma faiblesse, mon imperfection, vous savez bien que jamais je ne
pourrais aimer mes soeurs comme vous les aimez, si vous-même, ô mon Jésus, ne
les aimiez encore en moi. C’est parce que vous voulez m’accorder cette grâce que
vous avez fait un commandement nouveau. (Jn 13,24-25) Oh ! que je l’aime
puisqu’il me donne l’assurance que votre volonté est d’aimer en moi tous ceux
que vous me commandez d’aimer !... Oui je le sens , lorsque je suis charitable,
c’est Jésus seul qui agit en moi ; plus je suis unie à Lui, plus aussi j’aime
toutes mes soeurs. Lorsque je veux augmenter en moi cet amour, lorsque surtout
le démon essaie de me mettre devant les yeux de l’âme les défauts de telle ou
telle soeur qui m’est moins sympathique, je m’empresse de rechercher ses vertus,
ses bons désirs, je me dis que si je l’ai vue tomber une fois elle peut bien
avoir remporté un grand nombre de victoires qu’elle cache par humilité, et que
même ce qui me paraît une faute peut très bien être à cause de l’intention un
acte de vertu. Je n’ai pas de peine à me le persuader, car j’ai fait un jour une
petite expérience qui m’a prouvé qu’il ne faut jamais juger. C’était pendant une
récréation, la portière sonne deux coups, il fallait ouvrir la grande porte des
ouvriers pour faire entrer des arbres destinés à la crèche. La récréation
n’était pas gaie, car vous n’étiez pas là, ma Mère chérie, aussi je pensais que
si l’on m’envoyait servir de tierce (NHA 1038) je serais bien contente ;
justement mère Sous-Prieure me dit d’aller en servir, ou bien la soeur qui se
trouvait à côté de moi ; aussitôt je commence défaire notre tablier, mais assez
doucement pour que ma compagne ait quitté le sien avant moi, car je pensais lui
faire plaisir en la laissant être tierce. La soeur qui remplaçait la dépositaire
nous regardait en riant et voyant que je m’étais levée la dernière, elle me dit
: " Ah ! j’avais bien pensé que ce n’était pas vous qui alliez gagner une perle
à votre couronne, vous alliez trop lentement... " Bien certainement toute la
communauté crut que j’avais agi par nature et je ne saurais dire combien une
aussi petite chose me fit de bien à l’âme et me rendit indulgente pour les
faiblesses des autres. Cela m’empêche aussi d’avoir de la vanité lorsque je suis
jugée favorablement car je me dis ceci : Puisqu’on prend mes petits actes de
vertus pour des imperfections, on peut tout aussi bien se tromper en prenant
pour vertu ce qui n’est qu’imperfection. Alors je dis avec Saint Paul : Je me
mets fort peu en peine d’être jugée par un tribunal humain. (1Co 4,3-4) Je ne me
juge pas moi-même , Celui qui me juge c’est LE SEIGNEUR. (NHA 1039) Aussi pour
me rendre ce jugement favorable, ou plutôt afin de n’être pas jugée du tout, je
veux toujours avoir des pensées charitables car Jésus a dit : Ne jugez pas et
vous ne serez pas jugés. (NHA 1040) (Lc 6,37) Ma Mère , en lisant ce que je
viens d’écrire, vous pourriez croire que la pratique de la charité ne m’est pas
difficile. C’est vrai, depuis quelques mois je n’ai plus à combattre pour
pratiquer cette belle vertu ; je ne veux pas dire par là qu’il ne m’arrive
jamais de faire des fautes, ah ! je suis trop imparfaite pour cela, mais je n’ai
pas beaucoup de mal à me relever lorsque je suis tombée parce qu’en un certain
combat, j "ai remporté la victoire ; aussi la milice céleste vient-elle
maintenant à mon secours, ne pouvant souffrir de me voir vaincue après avoir été
victorieuse dans la glorieuse guerre que je vais essayer de décrire. Il se
trouve dans la communauté une soeur qui a le talent de me déplaire en toutes
choses, ses manières, ses paroles, son caractère me semblaient très
désagréables. Cependant c’est une sainte religieuse qui doit être très agréable
au bon Dieu, aussi ne voulant pas céder à l’antipathie naturelle que
j’éprouvais, je me suis dit que la charité ne devait pas consister dans les
sentiments, mais dans les oeuvres, alors je me suis appliquée à faire pour cette
soeur ce que j’aurais fait pour la personne que j’aime le plus. A chaque fois
que je la rencontrais je priais le bon Dieu pour elle, Lui offrant toutes ses
vertus et ses mérites. Je sentais bien que cela faisait plaisir à Jésus, car il
n’est pas d’artiste qui n’aime à recevoir des louanges de ses oeuvres et Jésus,
l’Artiste des âmes, est heureux lorsqu’on ne s’arrête pas à l’extérieur mais
que, pénétrant jusqu’au sanctuaire intime qu’il s’est choisi pour demeure, on en
admire la beauté. Je ne me contentais pas de prier beaucoup pour la soeur qui me
donnait tant de combats, je tâchais de lui rendre tous les services possibles et
quand j’avais la tentation de lui répondre d’une façon désagréable, je me
contentais de lui faire mon plus aimable sourire et je tâchais de détourner la
conversation, car il est dit dans l’Imitation : " Il vaut mieux laisser chacun
dans son sentiment que de s’arrêter à contester. " (NHA 1041) Souvent aussi,
lorsque je n’étais pas à la récréation (je veux dire pendant les heures de
travail,) ayant quelques rapports d’emploi avec cette soeur, lorsque mes combats
étaient trop violents, je m’enfuvais comme un déserteur. comme elle ignorait
absolument ce que je sentais pour elle, jamais elle n’a soupçonné les motifs de
ma conduite et demeure persuadée que son caractère m’est agréable. Un jour à la
récréation, elle me dit à peu près ces paroles d’un air très content : "
Voudriez-vous me dire, ma soeur Thérèse de l’Enfant Jésus, ce qui vous attire
tant vers moi, à chaque fois que vous me regardez, je vous vois sourire ? " Ah !
ce qui m’attirait, c’était Jésus caché au fond de son âme... Jésus qui rend doux
ce qu’il y a de plus amer... (NHA 1042) Je lui répondis que je souriais parce
que j’étais contente de la voir (bien entendu je n’ajoutai pas que c’était au
point de vue spirituel.)
Ma Mère bien-aimée, je vous l’ai dit, mon dernier moyen e ne
pas être vaincue dans les combats, c’est la désertion, ce moyen, je l’employais
déjà pendant mon noviciat, il m’a toujours parfaitement réussi. Je veux, ma
Mère, vous en citer un exemple qui je crois vous fera sourire. Pendant une de
vos bronchites, je vins un matin tout doucement remettre chez vous les clefs de
la grille de communion, car j’étais sacristine ; au fond je n’étais pas fâchée
d’avoir cette occasion de vous voir, j’en étais même très contente mais je me
gardais bien de le faire paraître ; une soeur, animée d’un saint zèle et qui
cependant m’aimait beaucoup, me voyant entrer chez vous,ma Mère, crut pue
j’allais vous réveiller ; elle voulut me prendre les clefs, mais j’étais trop
maligne pour les lui donner et céder mes droits. Je lui dis le plus poliment
possible que je désirais autant qu’elle de ne point vous éveiller et que c’était
à moi de rendre les clefs... Je comprends maintenant qu’il aurait été bien plus
parfait de céder à cette soeur, jeune il est vrai, mais enfin plus ancienne que
moi. Je ne le comprenais pas alors, aussi voulant absolument entrer à sa suite
malgré elle qui poussait la porte pour m’empêcher de passer, bientôt le malheur
que nous redoutions arriva ! le bruit que nous faisions vous fit ouvrir les
yeux... Alors, ma Mère, tout retomba sur moi la pauvre soeur à laquelle j’avais
résisté se mit à débiter tout un discours dont le fond était ceci ! C’est soeur
Thérèse de l’Enfant JESUS qui a fait du bruit... on Dieu, qu’elle est
désagréable... etc.
Moi qui sentais tout le contraire, j’avais bien envie de me
défendre ; heureusement il me vint une idée lumineuse, je me dis que
certainement si je commençais à me justifier je n’allais pas pouvoir garder la
paix de mon âme ; je sentais aussi que je n’avais pas assez de vertu pour me
laisser accuser sans rien dire, ma dernière planche de salut était donc la
fuite. Aussitôt pensé, aussitôt fait, je partis sans tambour ni trompette,
laissant la soeur continuer son discours qui ressemblait aux imprécations de
Camille contre Rome. Mon coeur battait si fort qu’il me fut impossible d’aller
loin et je m’assis dans l’escalier pour jouir en paix des fruits de ma victoire.
Ce n’était pas là de la bravoure, n’est-ce pas, Mère chérie, mais je crois
cependant qu’il vaut mieux ne pas s’exposer au combat lorsque la défaite est
certaine ? Hélas ! quand je me reporte au temps de mon noviciat comme je vois
combien j’étais imparfaite... Je me faisais des peines pour si peu de chose que
j’en ris maintenant. Ah ! que le Seigneur est bon d’avoir fait grandir mon âme,
de lui avoir donné des ailes... Tous les filets des chasseurs ne sauraient
l’effrayer car : " C’est en vain que l’on jette le filet devant les yeux de ceux
qui ont des ailes " (Proverbes) (NHA 1043) (Pr 1,17) Plus tard, sans doute, le
temps où je suis me paraîtra encore rempli d’imperfections, mais maintenant je
ne m’étonne plus de rien, je ne me fais pas de peine en voyant que je suis la
faiblesse même, (2Co 12,5) au contraire c’est en elle que je me glorifie (NHA
1044) et je m’attends chaque jour à découvrir en moi de nouvelles imperfections.
Me souvenant que la Charité couvre la multitude des... (v ...péchés je puise à
cette mine féconde que Jésus a ouverte devant moi. ) (1P 4,8) péchés, (NHA 1045)
je puise à cette mine féconde que Jésus a ouverte devant moi. Dans l’Evangile,
le Seigneur explique en quoi consiste : " son commandement nouveau. " (Jn
13,34-35) Il dit en saint Matthieu : " Vous avez appris qu’il a été dit : " Vous
aimerez votre ami et vous haïrez votre ennemi. " Pour moi, je vous dis : " Aimez
vos ennemis, priez pour ceux qui vous persécutent " (NHA 1046) (Mt 5,43-44) Sans
doute, au Carmel on ne rencontre pas d’ennemis, mais enfin il y a des
sympathies, on se sent attirée vers telle soeur au lieu que telle autre vous
ferait faire un long détour pour éviter de la rencontrer, ainsi sans même le
savoir, elle devient un sujet de persécution. Eh bien ! Jésus me dit que cette
soeur, il faut l’aimer, qu’il faut prier pour elle, quand même sa conduite me
porterait à croire qu’elle ne m’aime pas : " Si vous aimez ceux qui vous aiment,
quel gré vous en saura-t-on ? car les pécheurs aiment aussi ceux qui les aiment.
" Saint Luc, VI. (NHA 1047) (Lc 6,32) Et ce n’est pas assez d’aimer, il faut le
prouver. On est naturellement heureux de faire un présent à un ami, on aime
surtout à faire des surprises, mais cela, ce n’est point de la charité car les
pécheurs le font aussi. Voici ce que Jésus m’enseigne encore : " Donnez à
QUICONQUE vous demande ; et si l’ON PREND ce qui vous appartient, ne le
redemandez pas. (NHA 1048) Donner à toutes celles qui demandent, c’est moins
doux que d’offrir soi-même par le mouvement de son coeur ; encore lorsqu’on
demande gentiment cela ne coûte pas de donner, mais si par malheur on n’use pas
de paroles assez délicates, aussitôt l’âme se révolte si elle n’est pas affermie
sur la charité. Elle trouve mille raisons pour refuser ce qu’on lui demande et
ce n’est qu’après avoir convaincu la demandeuse de son indélicatesse qu’elle lui
donne enfin par grâce ce qu’elle réclame, ou qu’elle lui rend un léger service
qui aurait demandé vingt fois moins de temps à remplir qu’il n’en a fallu pour
faire valoir des droits imaginaires. Si c’est difficile de donner à quiconque
demande, ce l’est encore bien plus de laisser prendre ce qui appartient sans le
redemander ; ô ma Mère, je dis que c’est difficile, je devrais plutôt dire que
cela semble difficile, car le joug du Seigneur est suave et léger, (NHA 1049)
(Mt 11,30) lorsqu’on l’accepte, on sent aussitôt sa douceur et l’on s’écrie avec
le Psalmiste : " J’ai COURU dans la voie de vos commandements depuis que vous
avez dilaté mon coeur. " (NHA 1050) (Ps 119,32) Il n’y a que la charité qui
puisse dilater mon coeur. O Jésus, depuis que cette douce flamme le consume, je
cours avec joie dans la voie de votre commandement NOUVEAU... (Jn 13,34-35) Je
veux y courir jusqu’au jour bienheureux où, m’unissant au cortège virginal, e
pourrai vous suivre dans les espaces infinis, chantant votre cantique NOUVEAU (NHA
1051) (Ap 14,3-4) qui doit être celui de l’Amour. Je disais : Jésus ne veut pas
que je réclame ce qui m’appartient ; cela devrait me sembler facile et naturel
puisque rien n’est à moi. Les biens de la terre j’y ai renoncé par le voeu de
pauvreté, je n’ai donc pas le droit de me plaindre si l’on m’enlève une chose
qui ne m’appartient pas, je dois au contraire me réjouir lorsqu’il m’arrive de
sentir la pauvreté. Autrefois il me semblait que je ne tenais à rien, mais
depuis que j’ai compris les paroles de Jésus, je vois que dans les occasions je
suis bien imparfaite. Par exemple dans l’emploi de peinture rien n’est à moi, je
le sais bien ; mais si, me mettant à l’ouvrage, je trouve pinceaux et peintures
tout en désordre, si une règle ou un canif a disparu, la patience est bien près
de m’abandonner et je dois prendre mon courage à deux mains pour ne pas réclamer
avec amertume les objets qui me manquent. Il faut bien parfois demander les
choses indispensables, mais en le faisant avec humilité on ne manque pas au
commandement de Jésus ; au contraire, on agit comme les pauvres qui tendent la
main afin de recevoir ce qui leur est nécessaire, s’ils sont rebutés ils ne
s’étonnent pas, personne ne leur doit rien. Ah ! quelle paix inonde l’âme
lorsqu’elle s’élève au-dessus des sentiments de la nature Non, il n’est pas de
joie comparable à celle que goûte le véritable pauvre d’esprit. (Mt 5,3) S’il
demande avec détachement une chose nécessaire, et que non seulement cette chose
lui soit refusée, mais encore qu’on essaye de prendre ce qu’il a, il suit le
conseil de Jésus : Abandonnez même votre manteau à celui qui veut plaider pour
avoir votre robe. (NHA 1052) (Mt 5,40-42) Abandonner son manteau c’est, il me
semble, renoncer à ses derniers droits, c’est se considérer comme la servante,
l’esclave des autres. Lorsqu’on a quitté son manteau, c’est plus facile de
marcher, de courir, aussi Jésus ajoute-t-Il : Et qui que ce soit qui vous force
de faire mille pas, faites-en deux mille de plus avec lui. (NHA 1053) (Mt 5,41)
Ainsi ce n’est pas assez de donner à quiconque me demande, (NHA 1054) (Lc 6,30)
il faut aller au-devant des désirs, avoir l’air très obligée et très honorée de
rendre service et si l’on prend une chose à mon usage, je ne dois pas avoir
l’air de la regretter, mais au contraire paraître heureuse d’en être
débarrassée. Ma Mère chérie, je suis bien loin de pratiquer ce que je comprends
et cependant le seul désir que j’en ai me donne la paix. Plus encore que les
autres jours je sens que je me suis extrêmement mal expliquée. J’ai fait une
espèce de discours sur la charité qui doit vous avoir fatiguée à lire ;
pardonnez-moi, ma Mère bien-aimée, et songez qu’en ce moment les infirmières
pratiquent à mon égard ce que je viens d’écrire ; elles ne craignent pas de
faire deux mille pas là où vingt suffiraient, (NHA 1055) j’ai donc pu contempler
la charité en action ! Sans doute mon âme doit s’en trouver embaumée ; pour mon
esprit j’avoue qu’il s’est un peu paralysé devant un pareil dévouement et ma
plume a perdu de sa légèreté. Pour qu’il me soit possible de traduire mes
pensées, il faut que je sois comme le passereau solitaire (NHA 1056) (Ps 102,8)
et c’est rarement mon sort. Lorsque je commence à prendre la plume, voilà une
bonne soeur qui passe près de moi,la fourche sur l’épaule. Elle croit me
distraire en me faisant un peu la causette : foin, canards, poules, visite du
docteur, tout vient sur le tapis ; à dire vrai cela ne dure pas longtemps, mais
il est plus d’une bonne soeur charitable et tout à coup une autre faneuse dépose
des fleurs sur mes genoux, croyant peut-être m’inspirer des idées poétiques. Moi
qui ne les recherche pas en ce moment, j’aimerais mieux que les fleurs restent à
se balancer sur leurs tiges. Enfin, fatiguée d’ouvrir et de fermer ce fameux
cahier, j’ouvre un livre (qui ne veut pas rester ouvert) et je dis résolument
que je copie des pensées des psaumes et de l’évangile pour la fête de Notre
Mère. (NHA 1057)
|