CHEMIN DE SAINTETÉ

adveniat regnum tuum

sainte
CATHERINE DE GÊNES
veuve, religieuse et auteur mystique
(1447-1510)

DIALOGUES

Chapitre II

Comment l'âme et le corps commencent à faire chacun leur semaine, et se restaurent tour à tour selon leur plaisir et leur goût.

L'âme : Moi, qui suis pure et sans tache de péché, je commencerai par considérer le principe de ma création et tous les autres bienfaits que j'ai reçus de Dieu. Je reconnais avoir été destinée à une grande béatitude et créée en si haute dignité, que je dépasse, pour ainsi dire, les choeurs des anges. Je suis une âme presque divine ; je me sens attirée sans cesse à méditer purement, à contempler les choses du ciel, j'ai un désir continuel de manger le même pain que les anges. Vraiment je suis invisible : je veux donc aussi que toute ma nourriture et toute ma joie consistent en des choses invisibles ; car j'ai été faite pour cette fin et j'y trouve mon repos. Je n'éprouve que le besoin de me retrancher ici au-dessus des cieux, et de mettre tout le reste sous mes pieds ; je veux demeurer ; toute cette semaine dans ma contemplation, je ne tiens compte de rien autre ; que celui qui peut se nourrir de même se nourrisse, que celui qui ne le peut prenne patience... Mais je vois que mes associés sont de mauvaise humeur, allons vers eux. — " Or ça, compagnons, j'ai achevé ma semaine ; toi, ô Corps, traite-moi dans la tienne comme tu voudras. Mais dites-moi comment vous vous êtes comportés durant la mienne ?".

L'amour-propre. Nous avons été très mal, car ni amour-propre, ni corps mortel ne pénètrent dans les régions où tu as été ; nous n'avons pas eu la moindre nourriture, au contraire, nous sommes restés comme morts ; mais nous espérons  bien prendre notre revanche.

Le corps. Cette semaine est la mienne : viens avec moi, ô mon âme ; je veux te montrer combien de choses Dieu a faites pour moi. Vois et admire le ciel avec tous leurs ornements, la mer avec ses poissons, l'air avec ses oiseaux ; et puis tant de royaumes, de seigneuries, de villes, de provinces, avec leur gloire et leur puissance ; tant de hautes dignités, de grands trésors, de chants, d'accords mélodieux, de mets de toute sorte, qui doivent me nourrir, et ne me manqueront jamais tant que je serai dans le monde ; contemple encore mille autres plaisirs dont je puis jouir sans offense de Dieu, parce que Dieu a créé tout cela pour moi ! — tu ne m'as pas montré ton pays comme je te montre le mien. Toutefois, ne pouvant avoir ce que je désire si tu ne condescends à m'en accorder la jouissance, je dois te rappeler que tu as de grandes obligations envers moi ; ne songe donc plus à t'en aller dans ton pays et à me laisser ici, en terre, sans nourriture, tu n'en as pas le droit : j'en mourrais, tu en serais cause, et tu offenserais le Seigneur ; d'ailleurs nous serions tous contre toi. J'ai sur toi l'avantage de pouvoir jouir de ces choses tant que je vivrai, puis enfin de jouir aussi de ton pays dans l'autre vie, si je me sauve avec toi, ainsi que je le désire. Sache bien qu'il m'importe que tu te sauves, car je suis destiné à être toujours avec toi ; ne te persuade donc pas que je veuille rien rechercher qui soit contre la raison ou contre Dieu. Demande à l'amour-propre, notre compagnon, si je ne dis pas la vérité. Je n'ai pas de prétentions injustes, je m'en remets à son jugement. Je suis certain que, même selon les vues de Dieu, on ne peut exiger moins que ce que je réclame de ta part.

   

 

Pour toute suggestion, toute observation ou renseignement sur ce site,
adressez vos messages à :

 voiemystique@free.fr