LA VOIE MYSTIQUE

adveniat regnum tuum

RÉVÉLATIONS CÉLESTES

Livre IX
“Révélations ExtraordinaireS”

— Chapitres 1 à 55 —

CHAPITRE 1

De l’exposition des degrés de l’humilité.

Notre-Seigneur parle : Celui qui a un beau vase et assure qu’en celui-ci se trouvent des parfums aromatiques, qui le croira, s’il ne les fait respirer et s’il n’en montre les espèces et les vertus ? De même en est-il des vertus. Un certain prêchait et disait que l’humilité était une vertu. Que profite cela à l’auditeur, s’il ne lui en montre la racine, les degrés, les manières de l’avoir, de la tenir et pratiquer ? Mais d’autant que l’humilité est une vertu parfaite que j’ai montrée par mon exemple, votre confesseur doit en peu de paroles exposer et expliquer les degrés d’icelle : il les a appris en la règle de mon bien-aimé Benoît, afin que les filles de ma Mère apprennent l’origine et la source des vertus, sur laquelle elles doivent établir leur édifice spirituel.

CHAPITRE 2

De ce qui est nécessaire aux filles de Saint-Sauveur.

Le Fils de Dieu parle, disant : Pourquoi ce Frère ignore-t-il ce qu’il faut faire et ce qu’il faut bâtir pour ces filles ? Ne lui ai-je pas montré par vous que mon fidèle serviteur Benoît eut son corps comme un sac, et quel doit être l’habit d’un Bénédictin ? Qu’il donne donc, à cause des infirmes, tout ce qui sera utile et nécessaire, mais rien de superflu. Il faudra aussi tolérer ceux auxquels j’aurai donné la grâce d’une plus grande abstinence, et il faudra aussi modérer le froid par les habits extérieurs.

CHAPITRE 3

De l’office devin et du chant.

L’Écriture, que vous appelez Bible et que nous appelons Écriture dorée, dit que la ville qui est assiégée par quelque grande puissance, le pauvre l’affranchira par sa sapience, duquel pauvre pas un ne se souviendra. Cette ville est la créature humaine, que le diable a bloquée en carré, d’autant qu’il l’a assiégée par quatre sortes de péchés : par rébellion aux commandements divins ; par la transgression de la loi naturelle ; par la méchant cupidité et par l’obstination de l’esprit.

Ma Mère, dit Jésus-Christ, a délivré en quelque manière cette créature, quand elle a résigné sa volonté en mes mains et voulut souffrir toute sorte de tribulations, afin que les âmes fussent sauvées, car c’est celle-là qui est la vraie sagesse de soumettre sa volonté à la volonté de Dieu, et de se plaire à pâtir pour l’amour de Dieu. A raison donc de cette volonté, moi, Fils de Dieu, j’ai été fais homme en la Sainte Vierge, dont le cœur était comme mon cœur ; et partant, je puis dire que quasi ma Mère et moi avons sauvé l’homme comme d’un cœur, moi en pâtissant de cœur et en ma chair, et elle, par douleur de cœur et d’amour.

Cette Vierge était vraiment pauvre ; elle ne désirait rien des richesse du monde ; son esprit n’adhéra jamais au moindre péché. Quelques-uns sont pauvre de biens, mais les désirent en leur esprit, étant pleins de cupidité et de superbe. Ceux-là ne sont pas les pauvres marqués en mon Évangile. Les autres abondent en biens, mais sont pauvres d’esprit. Ceux-là considèrent qu’ils ne sont que poudre et cendre, qui mourront bientôt, qui désirent d’être avec Dieu, qui possèdent seulement les richesses pour leur nécessité et utilité du prochain. Ceux-là sont vraiment pauvres et riches en Dieu, entre lesquels était ma Mère. Ma Mère, sa sagesse et sa pauvreté étaient quasi oubliées. Quelques-uns la louaient de bouche, point de cœur, et moins imitaient-ils les pas de sa charité.

L’honneur de Dieu est chanté et célébré sept fois en l’Église, selon la louable coutume des Pères anciens : partant, je veux que les Frères chantent les heures aux heures rédigées et ordonnées, et qu’après, les Sœurs fassent leur office un peu plus lentement.

Ce nombre sept ne s’accomplit pas selon le cours du soleil, mais selon l’ordre qu’on y a mis, et partant, j’ordonne, moi qui ai dicté la règle, que les païens sachent de quel honneur j’ai préféré ma Mère ; et d’autant qu’elle est la principale patronne de ce monastère de Saint-Sauveur, par laquelle je veux être propice aux défaillants, et afin que l’Écriture soit accomplie, qui dit : Je louerai Dieu en tout temps et en toute ma vie : donc, que cette singulière grâce ne me soit point refusée, car le bien particulier ne préjudicie en rien au bien commun ; il ne faut pas pourtant mépriser la coutume louable des Pères, mais il me plaît qu’en cette maison, on dise plutôt les heures de la Sainte Vierge, ma Mère, et qu’après on sonne les heures du jour, selon les heures qu’on a ordonnées.

CHAPITRE 4

Du chant des Filles de Saint-Sauveur.

Le Fils de Dieu parle et dit : N’avez-vous pas lu que Marie, sœur de Moïse, est sortie avec les vierges et autres femmes, chantant mélodieusement, avec des clochettes et des cymbales un cantique de joie à Notre-Seigneur, le bien signalé que Dieu leur avait fait en la mer Rouge ? De même les filles de ma Mère sortiront de la mer Rouge, c’est-à-dire, de la cupidité et complaisance mondaine, ayant en leurs mains les œuvres et les clochettes, c’est-à-dire, l’abstinence de la volupté charnelle et les cymbales d’une louange sonore, le chant desquelles ne sera pas lâche, ni trop entrecoupé, ni dissolu, mais honnête, grave, uniforme, en tout humble, et que leur chant imite celui des Chartreux, la psalmodie desquels est douce à l’esprit, et marque plus d’humilité et de dévotion que quelque ostentation, car l’esprit n’est pas sans coulpe,quand la note plaît plus à celui qui chante que ce qu’il chante, et il est entièrement abominable devant Dieu, quand on élève plus sa voix pour l’amour des auditeurs que pour l’amour de Dieu.

CHAPITRE 5

Combien plut à Dieu le docteur Pierre, en célébrant la sainte messe et en enseignant le chant aux filles.

Un jour que le docteur Pierre d’heureuse mémoire, confesseur de sainte Brigitte, célébrait la messe en la chapelle devant elle, lors Dieu le Père dit à l’épouse de son Fils : Bien que peu de personnes soient assistantes à cette messe, néanmoins tout le ciel s’en réjouit, et toute les âmes du purgatoire sont soulagées par elle. Dites à ce prêtre qu’il fasse réciter cette hymne de l’épouse, l’appliquant au Fils, comme lui-même l’a mis, car puisque la sainte Église appelle toutes les âmes ses épouses, beaucoup plus doit être appelée son épouse l’âme de la Sainte Vierge.

CHAPITRE 6

Combien le confesseur de sainte Brigitte était aimé de Dieu. Du chant des filles de Saint-Sauveur.

La Mère de Dieu parle à l’épouse de Jésus-Christ, disant : Votre maître a une blessure reçue d’un qui parlais contre Dieu ; et d’autant qu’il l’a reçue par amour, ne la guérissons point, mais mettons-y un emplâtre pour la dilater et l’agrandir. Dites-lui encore que, puisqu’il aime la sainte Trinité de tout son cœur et de toute sa force, je l’ai tellement avancé en l’amour de la sainte Trinité qu’il est un des prêtres que Dieu aime chèrement : c’est pour cela aussi que lui a été donnée la grâce de composer et de faire apprendre le chant mélodieux des filles de Saint-Sauveur, qui sert à la consolation de plusieurs.

CHAPITRE 7

Combien le chant des filles de Saint-Sauveur est agréable à Dieu.

(Voyez Livre IV, Chap. 33.)

CHAPITRE 8

Du commandement que sainte Brigitte eut d’aller à Rome.

Notre-Seigneur Jésus-Christ parle à son épouse étant au monastère d’Alvastre, lui disant : Allez à Rome, et demeurez-y jusques à ce que vous voyiez le pape et l’empereur, et vous leur direz de ma part les paroles que je vous inspirerai.

Sainte Brigitte vint donc à Rome, âgée de quarante deux ans, et elle demeura là, selon que Dieu le lui avait commandé, quinze ans avant que le pape Urbain V et l’empereur Charles Boème vinssent, auxquels elle offrit et présenta les révélations pour la réformation de l’Église et de la règle. Pendant le séjour de quinze ans qu’elle fit à Rome, elle eut plusieurs révélations touchant la ville de Rome, de laquelle Notre-Seigneur reprenait les excès, et les péchés des citoyens et des habitants d’icelle, avec grande menace d’une horrible vengeance.

Ces révélations étant parvenues à la connaissance desdits habitants de ladite ville, ils eurent une haine mortelle contre sainte Brigitte, d’où vient que quelques-uns la menaçaient de la brûler toute vive ; les autres l’accusaient d’être une fausse pythonisse et sorcière. Mais sainte Brigitte souffrait patiemment toutes ces menaces ; elle craignait seulement que les parents et alliés qui étaient à Rome, étant scandalisés sur ce fait, ne manquassent à eux-mêmes. Elle délibéra donc de céder un peu à la fureur des malins ; elle ne pensait pas pourtant rien remédier sur ce sujet, sans la grâce spéciale de Dieu, car depuis vingt-huit ans, elle n’avait remué sans le commandement de Dieu.

Sainte Brigitte, demeurant en l’oraison, conseille sur cela. Notre-Seigneur lui dit : Vous voulez savoir ma volonté, savoir, si vous devez demeurer à Rome, où plusieurs envieux conspirent votre mort, ou bien s’il faut céder à leur malice quelque temps. Je vous réponds que, quand vous m’avez, vous ne devez rien craindre. Je retiendrai leur impétuosité avec le bras de ma puissance, et ils ne pourront vous nuire ; et bien que mes ennemis m’aient crucifié, c’est par ma permission ; mais ils ne pourront vous nuire en manière quelconque.

Lors soudain la Sainte Vierge lui apparut et lui dit : Mon Fils est puissant par-dessus les hommes, les démons et toutes les créatures, et retient invisiblement l’effort de leur malice. Je serai le bouclier de vous et des vôtres, et vous protègerai de l’incursion des ennemis, tant corporels que spirituels.

Partant, je veux que vous et votre famille vous vous assembliez tous les soirs pour chanter l’hymne Ave, maris Stella, et moi je vous secourrai en toutes nécessités. De là vient que son susdit confesseur et sa fille sainte Catherine instituèrent que cette hymne serait chantée en leur ordre, disant que sainte Brigitte l’avais dit par le commandement que la Sainte Vierge lui en avait fait, car la même Vierge avait promis à cet ordre, qui lui avait été dédié par son Fils, de le conserver par une faveur spéciale et de le remplir de bénédictions.

CHAPITRE 9

Des sept psaumes qu’on devait dire tous les vendredis.

Le Fils de Dieu parle, disant que, tous les vendredis, les Sœurs de Saint-Sauveur doivent dire les sept psaumes, en faisant la procession, lesquels étant finis, elles entreront dans le chœur et diront les litanies étant à genoux, et de même les Frères par leur cloître.

Jésus-Christ montre pourquoi on ne doit pas avoir d’orgues dans les monastères de l’ordre de Saint-Sauveur.

CHAPITRE 10

Jésus-Christ parle : Les fils des Israélites, étant d’un esprit grossier et marchant sous l’ombre de la loi, avaient plusieurs choses qui les excitaient à la dévotion, car ils avaient des trompettes, des orgues et des cistres, par lesquels ils étaient provoqués à louer Dieu. Ils avaient aussi des cérémonies et des commandements qui leur montraient comment ils devaient servir Dieu. Ils reçurent encore la loi et jugement par lesquels ils évitaient le mal et suivaient le bien.

Mais d’autant que maintenant la vérité est venue, qui avait été auparavant signifiée par les figures, à savoir, moi, qui suis vrai Dieu, il est raisonnable qu’on me serve en vérité et d’affection. Donc, bien qu’il soit bon et doux d’entendre les instruments de musique, et que ce ne soit pas contre les bonnes mœurs, je ne veux pas toutefois qu’on en ait dans le monastère dédié à l’honneur de ma Mère, d’autant qu’en icelui on doit voir le temps bien employé ; les chants doivent y être très-graves, les entendements purs ; le silence doit y être observé ; les discours doivent n’être que sur la parole de Dieu, et surtout avec une vraie humilité et une prompte obéissante.

Touchant les chapitres 6, 7, et 8 de la règle de Saint-Sauveur, Jésus-Christ enseigne comment l’abbesse peut parler durant peu de temps avec les ouvriers et autres personnes de travail dans le monastère, et pour quelles causes l’abbesse, les religieuses et le confesseur, ou les religieux, peuvent sortir du cloître.

CHAPITRE 11

Le Fils de Dieu parle : L’abbesse pourra parler dans le monastère, mais brièvement, avec les ouvriers, lorsqu’il faudra, ou réparer les ruines, ou faire quelque chose de nouveau ; mais autrement, elle ne peut parler dans le monastère avec les séculiers, si ce n’est aux grilles ; ni elle ne pourra jamais sortir, elle ou quelqu’une des Sœurs, si ce n’est, peut-être, lorsqu’il faudra bâtir un nouveau monastère. Pour lors, l’abbesse, le confesseur et le couvent enverront des religieuses anciennes.

Quand au confesseur, il pourra sortir avec un compagnon pour la constitution de la règle et pour instituer des disciplines régulières avec ses supérieurs, comme encore pour faire cesser le scandale et l’infamie du monastère, s’il y en a (ce qui n’arrive pas), ou pour réfuter les hérétiques, s’il en est besoin. Il pourra encore sortir, s’il en est requis par les évêques, pour l’utilité de la sainte Église, ou lorsque surviennent telles affaires auxquelles les procureurs du monastère ne peuvent convenablement mettre ordre.

Dévote doctrine pour laquelle l’abbesse est instruite avec ses sœurs, et le confesseur avec les Frères de l’ordre de Saint-Sauveur. Comment on doit discrètement se comporter pendant le temps qui est entre les heures des jours de fête.

CHAPITRE 12

Aux jours de fête, l’abbesse doit montrer aux Sœurs l’état de la maison, des revenus et des affaires qui peuvent survenir, et leur lire quelque chapitre de la règle. Que là où elle en aura quitté la lecture, elle recommence là au jour de fête suivant, jusqu’à tant qu’elle soit parachevée, afin qu’aucune ne prenne pour excuse l’ignorance de la règle. Qu’elle ait et tienne aussi avec elles des discours d’édification et des admonitions des excès qu’elle voit commettre : Après cela, qu’elle leur permette de parler entre elles en particulier. Semblablement aussi que les prêtres s’adonnent à la lecture, à la conférence et à l’étude, comme les autres jours, si ce n’est peut-être que les confesseurs les demandent pour donner leur conseil sur l’état de la maison et des affaires qui se présentent ; autrement, s’ils veulent, avec la permission du confesseur, ils pourront se promener seuls.

Touchant le chapitre 9 de la règle de Saint-Sauveur, c’est-à-dire, du jeûne. Jésus-Christ dit que l’humilité et la discrétion lui sont plus agréables qu’un jeûne indiscret. En quelle façon il est permis à ceux qui jeûnent au pain et à l’eau, de manger des légumes.

CHAPITRE 13

Le Fils de Dieu parle : Bien que ma mère ait pratiqué une très parfaite abstinence, toutefois elle a gouverné son corps avec autant de discrétion qu’il n’était débilité par aucune superfluité et aucune violence.

Et bien que les pharisiens et encore plusieurs religieux n’usent point du vin, pour cela toutefois ils ne viennent pas à moi, parce qu’ils n’ont point le fondement de continence, savoir, l’humilité et la discrétion : c’est pourquoi lorsqu’on propose des choses hautes et sublimes, ou qu’on les commande, elles doivent être pesées et examinées par ceux qui ont une conscience timorée, afin qu’ils ne fassent pas tout ce qu’ils voudraient, mais ce qui est expédient et licite; car voici que jeûner au pain et à l’eau est un bien à ceux qui sont pleins de santé, mais n’est pas un souverain bien. Le souverain bien est la charité, sans laquelle il n’y a point de salut.

Toutefois, sans le jeûne au pain et à l’eau, chacun se peut sauver, pourvu qu’il ait la perfection de la foi, la discrétion et une juste cause. Donc, parce que les saisons sont changées, les lieux froids, les âmes tièdes, les vases fragiles, c’est pourquoi celui qui a soin des palmiers pourra adoucir ce qui est âpre et arroser ce qui est aride. Cela se doit ainsi entendre qu’il est permis à ceux qui jeûnent au pain et à l’eau de pouvoir manger des légumes et boire de l’eau cuite, parce que le pain est sec et aride sans légumes, et l’eau est âpre et froide, si elle n’est cuite comme la tisane ou qu’elle soit passée dans de l’orge.

Jésus-Christ, faisant distinction des trois degrés de péché, dit qu’il avait toujours devant les yeux toute sorte de charité, humilité et discrétion en le nouvelle règle qu’il a lui-même dictée, savoir, de l’ordre de Saint-Sauveur.

CHAPITRE 14

Le Fils de Dieu parle : La loi de Dieu est faite, ou pour réprimer l’audace de ceux qui la transgressent, ou pour restreindre l’impudence des lascifs, ou bien pour l’intelligence de ce qu’il faut faire ou omettre. Donc, si quelqu’un pêche par infirmité en chaque loi, et par nécessité importante, il en est dispensé ; et celui qui, étant marri et pêche sans délibération, est jugé plus légèrement ; au contraire, celui-là qui pêche à dessein ou par habitude, n’est aucunement excusable. Il en est de même de mes disciples, parce que, quand j’étais encore parmi les hommes, ceux qui maniaient des grains le jour du sabbat et en mangeaient, étaient jugés par les hypocrites d’entre les Juifs, lesquels j’ai excusés à cause de leur simplicité et de leur infirmité que je connaissais, alléguant l’exemple de David, qui étant en chemin, pressé de la nécessité, mangea les pains des prêtres, ce qui était défendu aux laïques.

Or, maintenant, moi qui suis Dieu, j’ai envoyé à mes amis une nouvelle règle que j’ai faite, en laquelle il faut considérer la charité, l’humilité et la discrétion. Il faut aussi avoir pitié des malades et sains, parce que la loi qui n’est pas accomplie en charité, humilité et discrétion, ne mérite pas louange. Partant, bien que j’ai dit en la règle que tous les sains doivent jeûner aux temps fixés, pourtant on ne leur doit pas refuser dispense, si quelque soudain changement et quelque infirmité leur arrivent, ou que le temps du travail requière compassion, ce qui doit être au pouvoir de l’abbesse et du confesseur, et en l’administration de celui qui a la charge d’ordonner autant de fois qu’il sera nécessaire à ceux qui sont en santé, de rompre leur jeûne et prendre la récréation. Il faut donc dispenser ceux qui manquent légèrement à cause de quelque soudaine infirmité, ou qui sont harassés par de trop grand travail.

Qu’il ne faut pas défendre les bains, même aux personnes qui sont en santé, en l’ordre de Saint-Sauveur, pour certaine causes et pour certains temps.

CHAPITRE 15

Le Fils de Dieu parle : Les docteurs et les prêtres de la loi blâmaient mes disciples de ce qu’ils avaient mangé sans avoir lavé leurs mains. Je leur répondis que le lavement de la chair ne profite de rien là ou le cœur est corrompu et sale. Donc, le cœur pur et net est agréable à Dieu, à quoi le lavement ne sert point d’empêchement, et le soin de la chair, s’il y a cause juste et raisonnable : c’est pourquoi on ne doit pas défendre les bains, même à ceux qui se portent bien, en certaine causes et en certain temps, parce qu’il faut conserver la santé, afin qu’il ne soit pas débiles. Qu’on use donc des bains, quand il en sera besoin, pour les malades, mais pour les sains, une fois le mois ou tous les quinze jours, si la santé le requiert.

Touchant le chapitre 10 de la règle de Saint-Sauveur, savoir, du moyen de la probation, réception et consécration des personnes.

CHAPITRE 16

Le Fils de Dieu parle : Je vous ai dit ce qu’il faut garder avant l’an de probation. Vous devez considérer ceci touchant les personnes desquelles la vie et conversation sont moins connues : c’est pourquoi je vous permet que si quelqu’un, désirant être admis en la religion, est de telle autorité et de telle gravité qu’on ne craigne pas cela vienne d’une inconstance ou d’une mutation, et qu’il sait discerner les tentations de la chair et les embûches du diable, et que son âge et sa vie soit notoires, celui-là peut être reçu en la religion, à l’expiration d’une demie année ; qu’on lui expose et qu’on lui montre tellement l’austérité de la règle et les statuts d’icelle, afin qu’il sache pourquoi il est venu et ce qu’il doit faire.

Belle doctrine par laquelle les vierges, et même ceux qui veulent faire profession de la règle de Saint-Sauveur, se doivent disposer et comporter en l’observance de la règle.

CHAPITRE 17

Celles qui désirent être épouses de Dieu sont obligées à travailler avec plus d’ardeur pour accomplir la volonté de Dieu que pour leurs usages ou pour accomplir la leur. Elles doivent être comme des épouses qui sont éloignées de leurs possessions et sont en chemin, et doivent aller loger au patrimoine de leur époux. Leur possession et la liberté du corps, et la conversation mondaine avec ceux-là qui leur appartiennent, desquels elles doivent se séparer de toute leur affection. Elles doivent être revêtue des vêtements nuptiaux, savoir, d’ humilité, de patience et d’obéissance, qui servent d’ornement à l’âme et la rendent belle devant Dieu.

Elles doivent se lever et marcher, afin qu’elles paraissent agréables devant leur époux et devant ceux qui ont été invités par lui. Oh ! avec quelle honnêteté, docilité et modestie il faut qu’elles marchent devant ceux qui les regardent ! Oh ! de quelles mœurs elles doivent être accomplies, vu que ceux qui sont conviés aux noces les regardent, qui sont la Vierge Marie, Mère de Dieu, avec tous les citoyens célestes ! et l’Époux (qui les désire), est le vrai Dieu, Roi des rois, Seigneur des seigneurs, et il a pouvoir sur toutes choses créées ; car pour lors, elles se sont levées, quand elles ont fait leur confession avec discrétion et avec une vraie humilité et vraie volonté de ne pécher plus à l’avenir ; mais c’est pour lors qu’elles ont marché, quand elles ont quitté de leur bon gré toutes choses mondaines, ne s’en souciant aucunement, ni même de leur propre volonté ; et pour lors, elles sont consacrées avec leur époux, quand elles promettent de garder inviolablement la règle et leur profession : c’est lorsqu’elles marchent sûrement vers le lit de leurs époux, quand elles observent la règle et leur profession autant qu’elles pourront.

La profession étant faite, lors commence le premier jour des noces, et il finit alors que l’âme sortira du corps : c’est pourquoi c’est pourquoi il faut qu’elles passent ce jour-là avec trois choses, savoir : avec une crainte discrète, avec une dévote joie et une ardente charité.

Touchant le chapitre 12 de la règle de Saint-Sauveur, qui est de l’office des religieux, et du nombre, tant des religieuses que des religieux.

CHAPITRE 18

Jésus-Christ, Fils de Dieu, parle : l’Écriture toute d’or dit que quelques-uns offraient au désert de l’or, de l’argent et des pierres précieuses, pour l’ornement du tabernacle ; les autres offraient des peaux et du poil de chèvre pour faire des tentes, et tout ce qu’on offrait était agréable à Dieu, selon la disposition et volonté de celui qui l’offrait. Ainsi en est-il des oraisons et lectures des fidèles : quelques-uns,séparés de l’amour du monde, offrent à Dieu un cœur très pur comme de l’or purifié ; les autres, embrasés de l’esprit de la divine sagesse, profèrent et chantent des paroles de la divine sagesse, qui sont comme de l’or épuré et éprouvé.

Il y en a d’autres qui, sachant à peine le Pater noster, offrent toutefois à Dieu avec un cœur contrit, avec des actes de pénitence et une foi parfaite, le peu qu’ils savent et peuvent, comme poil de chèvre. Les prières de tous ceux-ci me sont agréables, pourvu que l’intention et la volonté soient bonnes. Partant, parce qu’il est difficile aux prêtres qui sont avancés en âge de délaisser ce qu’ils ont accoutumé, et s’accoutumer à de nouvelles choses, il leur est permis de dire l’office de l’église cathédrale au diocèse où le monastère est fondé ; mais les religieuses ne changeront aucunement leur office institué.

Sainte Brigitte, étant en souci pour les personnes qui devaient entrer en l’ordre de Saint-Sauveur, entendit de la Sainte Vierge qu’elles étaient provenues de Dieu, et que quelques-unes de celles-là se rendaient rebelles aux paroles de Jésus-Christ.

CHAPITRE 19

L’épouse de Jésus-Christ, étant une fois en oraison, eut une pensée sur l’état de la future religion, comment se pourraient trouver tant de personnes de l’un et l’autre sexe. La Mère de Dieu étant apparue, lui dit : Ma fille, tu es en peine pour des personnes qui, à l’avenir, entreront en cette religion, savoir, que mon Fils, qui en personne a dicté cette règle, prenait mille personnes pour chacune de celles que tu sais, que tu espères entrer en cette religion.

L’épouse lui répondit : Madame, il est aisé de trouver des femmes qui se soumettent à l’ordre, mais il est difficile de trouver des hommes qui se veulent assujettir au gouvernement d’une femme, vu que la science de plusieurs religieux et le monde les flattent de leurs honneurs, richesses et contentements.

La Vierge lui dit encore : Et ceux-là viendront qui recevront avec allégresse les paroles de mon Fils, et se serviront de celles-ci pour le salut de leur âme et pour la gloire de Dieu. Il en viendra d’autres qui ne seront pas moins contraires aux paroles de mon Fils et à la simple règle qui t’a été révélée, que ceux-là furent incrédules qui furent contraires aux paroles de Dieu et de Moïse dans le désert, interprétant les paroles de Dieu selon leur volonté. Toutefois sache que les paroles de cette règle s’accommoderont pour le profit et fructifieront jusqu’à la fin, et ne sois, ma fille, en soin des personnes qui entreront dans cette religion, car mon Fils connaît ceux qu’il appellera et avec ordre selon sa volonté, pour le besoin de ce monastère, bien que quelques-uns d’iceux seront rebelles aux paroles de mon Fils, faisant peu de cas présomptueusement de la simplicité des paroles, suivant leur fantaisie mondaine, comme les sages du monde présument faire plus de cas quelquefois de leurs opinions que de la volonté divine, qui corrompent l’entendement et font tomber en erreur.

Touchant le chapitre 14 de la règle de Saint-Sauveur, savoir, de l’élection de l’abbesse, etc. Le Fils de Dieu, faisant distinction de trois sortes d’hommes qui lui sont grandement agréables, veut que la religieuse qui ne provient pas d’un mariage légitime, ne soit pas élue pour abbesse.

CHAPITRE 20

Le Fils de Dieu parle : Bien que le fils ne doive porter l’iniquité du père, toutefois, parce qu’il y a trois ordres qui me plaisent grandement, à savoir, la virginité, la viduité et le mariage, c’est pourquoi ces trois ordres doivent être préférés et honorés par-dessus tous, tant parce qu’ils portent les marques d’une grande pureté et honnêteté, que parce que ma Mère les a en elle-même accomplis, car elle a été vierge très pure en l’enfantement, après et avant l’enfantement, et elle a été vraiment mère et vierge ; elle a été aussi veuve après mon ascension, étant privée de ma présence corporelle. Partant, quand il sera question d’élire l’abbesse, qu’on en élise une qui soit de quelqu’un de ces ordres, autrement de quelque vie continente et suréminente qu’elle soit, elle ne peut être élue pour abbesse.

Jésus-Christ dit que l’abbesse doit être vierge sans tache et approuvée, donnant bon exemple pour les mœurs, et qu’au défaut d’une telle vierge, on peut prendre pour abbesse une veuve humble et éprouvée.

CHAPITRE 21

Jésus-Christ parle : C’est une belle conjonction et une convenable confédération qu’une vierge préside aux vierges, car la pureté du corps et de l’âme tient le premier rang par-dessus toutes choses, de laquelle et par laquelle moi, étant Dieu, j’ai voulu m’incarner, toutefois parce que ma Mère a été vierge et mère, mais non pas pourtant mère ayant eu connaissance d’homme, mais bien obombrée de l’Esprit de mon Père et du mien, elle m’a engendré vrai Dieu et homme.

Partant, ce nouvel ordre est consacré à ma Mère, et il est nécessaire et louable que celle qui doit avoir charge de ces vierges, soit sans tache et éprouvée en ses mœurs, et exemplaire en ce qui est des vertus ; et si, dans la compagnie, il ne se trouve pas une telle vierge qui puisse accomplir l’office de la Vierge, ma Mère, je suis content qu’une veuve de bonne et humble vie prenne plutôt le fardeau de l’humilité et de la prélature qu’une vierge superbe. Donc, s’il a plu à Dieu d’exalter les choses humbles et d’élever par nécessité la viduité, pour cela on ne déroge point à la louable coutume des vierges, parce que Dieu daigne exalter tout ce qui est humble.

Qu’y a-t-il et qui a été plus humble que ma Mère ? Quelle chose y a-t-il que l’humilité parfaite ne mérite ? A cause de mon humilité, je me suis fait homme, étant Fils de Dieu et vrai Fils de la Vierge ; et sans humilité, il n’y a point de chemin pour aller au ciel.

Jésus-Christ dit pourquoi et en quelle façon l’abbesse de Saint-Sauveur doit être bénie.

CHAPITRE 22

 Jésus-Christ parle : Qui a l’office d’un prince temporel est obligé à se faire connaître par quelque marque, afin que tous lui obéissent et lui portent honneur : tout de même en est-il de l’abbesse, parce quelle fait l’office et tient la place de ma Mère en terre. C’est pourquoi, en témoignage d’un plus grand soin et pour l’augmentation de la grâce spirituelle, elle doit recevoir le don de bénédiction de l’évêque, afin qu’elle soit distinguée des autres, et honorée, non pas pour son mérite, mais pour mon honneur et celui de ma Mère. La bénédiction de l’abbesse se doit faire selon la coutume des abbesses de Saint-Benoît, hormis le bâton, et l’anneau qui est auparavant bénit.

Touchant le chap. 15 de la règle de Saint-Sauveur, savoir, que les religieux doivent vaquer à l’office, à l’étude et à l’oraison, etc. Jésus-Christ montre comment il nous faut prêcher au peuple.

CHAPITRE 23

Jésus-Christ parle : Ceux qui prêchent ma vérité doivent avoir des paroles simples et brèves, fondées néanmoins sur la lecture des saintes Écritures, afin que ceux qui viennent de loin les puissent concevoir et ne soient pas ennuyés à cause de la prolixité et abondance des paroles superflues. Ils ne doivent pas aussi dire des paroles au delà du vrai sens à guise des flatteurs, ni multiplier les divisions et distinctions des chapitres ou subtilités trop affectées, mais modérer leurs discours suivant la capacité des auditeurs, parce que les choses que le simple peuple n’entend pas, il a accoutumé d’en être plus émerveillé qu’édifié.

C’est pourquoi s’il faut prêcher le dimanche en cette religion, qu’ils proposent l’évangile du jour et son exposition ; la sainte Écriture, qui est mes paroles, celles de ma Mère et de mes saints ; les vies des Pères, les miracles des saints, le symbole de la foi, comme aussi les remède contre les tentations et les vices, suivant la capacité d’un chacun, car ma très chère Mère a été très simple, Pierre un idiot, François un rustique, et toutefois ils ont plus profité pour les âmes que les maîtres éloquents, d’autant qu’ils ont eu une parfaite charité envers les âmes.

Sur le chapitre 20 de la règle de Saint-Sauveur. Une vision. De quelle façon la Vierge Marie, disputant avec le diable pour un lieu nommé Uvasten, gagna sa cause juridiquement, et y fonda un sien monastère, que Jésus-Christ lui adjugea, après l’avoir comblé de beaucoup de grâces.

CHAPITRE 24

Il semblait à l’épouse qu’elle était dans une ample maison et qu’une grande armée y était abordée. Lors l’heureuse Vierge dit au Roi du ciel : Mon Fils, donnez-moi ce lieu d’Uvasten.

Lors le diable se présenta et dit : Ce lieu est à moi, car je le possède par un triple droit : le premier, c’est que j’ai inspiré aux fondateurs de ce lieu la volonté de l’édifier, et les maîtres de cet édifice ont été ont été mes serviteurs et mes amis. Le deuxième est que ce lieu est un lieu de peine et de colère, et mes amis cruels, suivant ma volonté, punissaient ici leurs sujets sans aucune miséricorde, parce que je suis le seigneur des peines, le prince de la colère sur ce lieu : il est à moi. Le troisième, c’est que ce lieu avait été à moi plusieurs années, et c’est là ma demeure, où ma volonté s’accomplit.

Lors la Vierge dit derechef à son Fils : Mon Fils, je vous demande justice. Si par hasard quelqu’un eût spolié un autre de ses biens et richesses, et se faisait par lui encore édifier sur son fonds une maison, de son propre travail et des deniers qu’il lui aurait ravis, à qui, mon Fils, appartiendrait ce lieu?

Le Seigneur répondit : Ma Mère, celui-là possède de droit la maison, qui avait possédé l’argent et y avait employé son travail.

Lors l’heureuse Vierge dit au diable : C’est pourquoi justement tu n’as pas de droit sur cette maison. Derechef l’heureuse Vierge dit au Juge : Mon Fils et Seigneur, si la cruauté et la colère logent en un cœur et que la miséricorde et la grâce y entrent, à qui appartient-il de fuir?

Le Juge répondit : C’est à la crainte et à la colère, qui doivent fuir et céder à la miséricorde.

Et la vierge dit au diable : Tu dois fuir, parce que tu est le seigneur des peines et le prince de la colère ; et moi je suis la Mère de la miséricorde et la Reine du ciel, d’autant que j’ai pitié de tous ceux qui m’invoquent.

En troisième lieu, la Vierge demande au Juge : Mon Fils, si un serviteur est en une maison, où il est assis, et si son maître entre, voulant demeurer en la même maison ou s’asseoir sur le même siège, que fera le serviteur?

Le Juge répondit : Il est juste que le serviteur se lève, et que son maître prenne place là où bon lui semblera.

Lors la Vierge dit au diable : Parce que tu est valet et sujet de mon Fils et que je suis ta maîtresse, il est raisonnable que tu t’enfuies et que je prenne place où je voudrai.

Et après, le Juge dit à la Vierge : Ma Mère, ce lieu vous est acquis et vous est dû par un juste droit, et pour autant il vous est justement dû, c’est pourquoi je vous adjuge. Partant, comme en ce lieu on a entendu les sanglots et les gémissements des misérables, le sang et la misère desquels venaient de la terre à moi et criaient vengeance, ainsi maintenant la voix de ceux qui vous loueront en ce lieu viendra à mes oreilles ; et de même qu’en ce lieu a été le lieu des tourments et l’oppression de la terre, ainsi désormais s’assembleront en ce lieu ceux qui demanderont miséricorde et indulgence pour les vivants et pour les défunts, et m’apaiseront, lorsque je serai irrité contre le royaume.

Et après cela, le Juge ajouta, parlant à la Vierge : Ma Mère, votre ennemi avait été longtemps maître de ce lieu, mais dorénavant vous serez ici maîtresse et reine.

Jésus-Christ déclare à sainte Brigitte pourquoi cette cité de Jéricho fut détruite, faisant quelque similitude du lieu de son monastère et de ses habitants.

CHAPITRE 25

Jésus-Christ parle à son épouse, disant : Qu’avez-vous lu aujourd’hui dans votre livre?

Et elle lui répond : j’ai lu, et me suis émerveillée que les murailles de Jéricho tombèrent au son des trompettes, et à la vue de l’arche d’alliance, qui faisait le tour par votre commandement.

Il lui répondit : En cette cité et par le moyen de cette cité, plusieurs maux se sont commis, et il n’y avait en elle personne qui me plût : C’est pourquoi elle ne méritait pas de pardon, et n’a pas été digne que mon peuple se soit rendu son habitant. Toutefois, parce que mon peuple, harassé et fatigué dans le désert, avant de recevoir la terre promise, devait premièrement être enseigné par des paroles, exemples et miracles, c’est pourquoi une dispensation admirable et une juste récompense à ses démérites a été faite en cette cité afin qu’un peuple, préservé miraculeusement en l’eau, vit aussi des miracles en la terre, et qu’ainsi, ayant vu des miracles, Dieu fût plus profondément empreint dans leurs cœurs et qu’ils apprissent à espérer de grandes choses. En ce lieu où maintenant est l’affliction de mes amis, a été l’habitation des démons ; mais ma Mère a obtenu ce lieu par un triple droit, savoir, par charité, par prières et par changement des exercices futurs.

Elle lui dit : O Seigneur, ne vous fâchez pas si je parle. Vous avez dit que toute humilité doit être en votre maison. Eh quoi ! cette édification demeura-t-elle en ce lieu?

L’esprit répond : En cette misérable Jéricho, il y avait des choses qui pouvaient profiter à mon peuple, de laquelle mon peuple, l’ayant premièrement purifiée par le feu, s’était rendu habitant, et ce mien peuple a possédé les travaux des Gentils : c’est pourquoi cette maison, pour la superbe des riches, a été édifiée de la sueur des pauvres. Partant, mes pauvres l’habiteront, disposant des choses superflues, pour l’humilité et l’utilité. Toutefois que l’on prenne garde que ce que la divine puissance, par une spéciale considération, a permis, ne soit tiré en exemple pour les superbes.

Jésus-Christ parle à l’épouse de la désobéissance d’un certain roi de Suède qui n’avait tenu compte d’aller au pape pour avoir l’absolution de ses péchés, et contre les païens, et fait mention de la cité de Jéricho, du lieu et du monastère d’Uvasten.

CHAPITRE 26

Jésus-Christ parle : Voilà que le roi a méprisé mon second conseil aussi bien que le premier, c’est pourquoi mes ennemis sont entrés dans les lieux qui sont à ma Mère, les ont renversés et détruits, comme vous avez ouï dire, et à raison de cela, les pierres et les bois crient vengeance sur le roi. Mais d’autant que Dieu tire son honneur de la malice des hommes et d’où le diable pense se prévaloir, c’est de là qu’il est déchassé et confondu, car si ces hauts édifices fussent demeurés sur pied, ils eussent été occasion de superbe à ceux qui fussent venus après, et un exemple d’orgueil, car s’ils les eussent renversés à dessein, on eût taxé de légèreté ceux qui les eussent démolis et d’avoir porté un grand dommage.

Maintenant de l’occasion du dommage et de la malice des hommes, je te veux montrer comment l’humilité, chère à Dieu, peut se bâtir d’une sourcilleuse superbe, et que l’inutile, somptueuse et élevée structure des murailles se rase : premièrement, lorsque les maisons élevées et les grandes murailles se renverseront, lors honneur sera à Dieu ; les habitants seront bien conseillés ; ceux qui les regarderont se réjouiront, et ce sera un grand indice d’humilité. Mais quand au moyen de venir à bout de ceci, il dépend du conseil et de la main de ceux qui s’entendent à construire les hauts édifices.

Le Fils de Dieu parle derechef : J’ai parlé ci-devant de la cité de Jéricho, que j’ai comparée au lieu de ce monastère, et comme les édifices étaient haut élevés et réduits à une simple structure qui était nécessaire. J’ai promis ces choses à mes amis, si le roi les eût assemblés suivant mon conseil. Partant, que maintenant ceux qui sont assemblés mettent la main à l’œuvre ; qu’ils ôtent le superflu ; qu’ils soient contents et se glorifient seulement des choses humbles et nécessaires.

Le Fils de Dieu montre à la bienheureuse Brigitte de quelle façon un certain roi, à raison de ses péchés, n’était pas digne de lui édifier une maison, savoir, le monastère d’Uvasten.

CHAPITRE 27

Le Fils de Dieu parle : Parce que ce roi ne cherche pas mon amour, mais demeure en sa froideur et ne délaisse pas le scandale de ses amis, la raison veut qu’il ne m’édifie pas une maison comme Salomon, ni ne finira pas ses jours comme David, ni sa mémoire ne sera pas semblable à celle de mon cher Olave, ni ne sera pas couronné comme mon ami Elicius, mais il sentira ma justice, parce qu’il n’a pas voulu ma miséricorde, et je cultiverai la terre des justes angoisses et afflictions, jusqu’à ce que ses habitants aient appris à me demander miséricorde. Toutefois quelle sera la personne qui édifiera mon monastère ? Quand elle arrivera, tu le sauras. Mais sera-ce ou non en cette vie ? Il ne t’est pas permis de le savoir.

Jésus-Christ montre en ce chapitre à sainte Brigitte la situation, la dimension et la disposition de l’Église du monastère d’Uvasten, du chœur des religieux, du parloir entre les religieux et les religieuses, des voûtes, des autels, des portes, des enceintes, des colonnes, du chœur des religieuses, des fenêtres et du parloir des séculiers.

CHAPITRE 28

Le Fils de Dieu parle : Le chœur de l’église doit être vers l’occident, du côté de l’étang. Il doit y avoir une haute muraille du côté de l’aquilon, depuis la maison contre l’étang jusqu’au bout de la cour des clercs. Entre cette muraille et le chœur, sera un espace de dix-huit aunes, pour édifier le parloir, qu’une muraille divisera par le milieu du long à partir du chœur des frères jusqu’à la muraille voisine de l’étang. En ce parloir, les Frères et les Sœurs pourront parler entre eux de leurs nécessités. Qu’il n’y ait point de fenêtres en l’espace qui est entre les religieux et les religieuses, pour qu’ils ne se voient pas. Qu’il y ait encore deux roues en cette muraille, comme c’est la coutume en tels monastères.

Et après que le chœur des religieuse ait vingt-deux aunes de long sous une voûte, depuis le parloir qui regarde l’occident jusqu’au grand autel, de manière que ce grand autel soit sous cette voûte ; et les clercs doivent être placés entre le grand autel et la paroi qui regarde l’occident. Quand à la voûte, elle aura vingt aunes de largeur ; et la muraille qui est derrière, du côté des religieuses vers l’aquilon, aura cinq fenêtres basses et près de terre, où les Sœurs feront leur confession et recevront le corps du Seigneur. L’église même encore doit avoir cinq voûtes en sa longueur et trois en sa largeur, et chaque voûte doit être de vingt aunes en largeur et vingt-huit en longueur, et qu’on ajoute trois prochaines voûtes derrière le grand autel du côté de l’orient en travers par le milieu de toute l’église, pour le chœur des clercs.

Il doit y avoir six degrés à la descende du grand autel, en travers sous les trois dites voûtes ; et chacun de ces degrés portera deux autels, en sorte qu’il y en aura six du côtés droit du grand autel, et six du côté gauche, et chaque autel sera situé obliquement à l’autre, à prendre du premier degré, et plus proche du grand autel de chaque côté. Le grand autel aura cinq aunes en longueur et deux aunes et demie en largeur ; et chaque autre autel de ces douze aura deux aunes et demie en longueur et une aune et demie en largeur ; et entre chaque autel de ces douze, il doit y avoir un espace de deux aunes.

Quand aux degrés, chacun doit avoir de hauteur environ la hauteur de la main en travers. En la paroi du côté de l’orient, il y aura deux portes sous les deux dernières voûtes, mais sous celle du milieu, il n’y en aura point ; et chaque porte aura six aunes en largeur, et en hauteur elles monteront jusques aux ais ou au plancher ou marchent les Sœurs ; et au milieu, entre ces deux portes, il y aura un autel de l’heureuse Vierge, ayant quatre aunes en longueur et trois en largeur, proche de la paroi vers l’orient. Le presbytère ou le balustre aura à l’entour de l’autel dix aunes en longueur et dix en largeur ; et que l’entredeux soit fermé de grilles de fer. Il doit y avoir une enceinte ou espace tout autour de l’église par dedans contre les murailles, fermé de l’autre côté des grilles de fer, ayant quatre aunes en largeur, entre la muraille et les grilles, dans laquelle les religieux ou clercs se pourront promener, en sorte qu’ils ne se mêlent pas avec le peuple.

Sur les deux portes montant par les degrés, sera l’entrée du chœur de l’heureuse Vierge ; et qu’il n’y ait aucune autre entrée en ce chœur. Il ne peut y avoir non plus aucune porte en l’enceinte des grilles de fer de l’église, si ce n’est une seulement contre le grand autel, et celle-là sera toujours fermée à clef, excepté quand quelque personne entrera en religion, et toutes fois et quantes que l’évêque visitera le monastère. Au milieu de la paroi du coté du midi, plus bas que l’enceinte des grilles de fer, sera l’autel de Saint-Michel, en façon que le prêtre se tournera du côté du septentrion. Mais au milieu de la paroi, vers l’aquilon, sera l’autel de saint Jean-Baptiste, en sorte que le prêtre se tournera vers l’aquilon. Mais hors l’enceinte des grilles de fer, il faut édifier des autels, où les prêtres qui surviendraient pourront dire la messe. Les colonnes auront onze aunes en hauteur, depuis le pavé de l’église jusqu’aux poutres ou plancher du chœur des religieuses.

Mais sur les poutres sera fait le plancher d’ais et d’argile et briques, sur lequel seront les sœurs ; et sous ces ais, on mettra des lames de cuivre, de crainte du feu. Des colonnes aussi seront érigées sur le plancher des sœurs, en sorte qu’elle aient quatre aunes ou autour d’icelui en longueur, à prendre depuis le plancher des sœurs, avant que les voûtes soient commencées ou appuyées. Que toutes les voûtes aussi qui seront sur le chœur et sur toute l’église, soient égales en hauteur. Que le toit ait autant de hauteur qu’on lui en pourra donner ou qu’il en sera nécessaire. Qu’il n’y ait aucune subtile gravure aux portes, aux fenêtres, aux colonnes ou aux parois, mais le tout sera d’un ouvrage plain, fort en sentant son humilité. Les vitres doivent avoir pour couleur le blanc et le bleu seulement.

La maison en laquelle les Sœurs doivent parler avec les séculiers, doit être du côté de l’orient, entre la grande maison et l’église. Qu’il y ait là des fenêtres, en sorte que les personnes ne se puissent pas entrevoir. L’église doit être édifiée avec des pierres tirées des carrières, et non avec des briques, ce qu’on observera encore ès voûtes.

Après ces choses, j’ai vu au delà de l’étang une église semblable à celle-ci avec ses édifices, laquelle était de tout côté environnée d’une haute muraille, et j’ai entendu en mon esprit : La maison et l’église qui seront édifiées après cette église, seront édifiées semblablement à celle que vous voyez maintenant.

Il est ici parlé de la construction et de la situation du cimetière, du monastère, des parloirs, etc.

CHAPITRE 29

J’ai vu, dit sainte Brigitte, une longue, large et à demi muraille,commençant de la grande maison jusques à la grande motte de terre, tirant vers le midi. Après j’ai vu l’église entre la muraille de laquelle j’ai fort attentivement considéré les fondements, les murailles, les fenêtres, la longitude et la largeur. J’ai vu encore du coin de la muraille un grand mur et un sanctuaire, où l’Esprit de Dieu me dit : Qu’un mur soit édifié depuis cette muraille, où sera le parloir des Frère et Sœurs, en laquelle il y aura deux fenêtres pour conférer avec des Frères et pour la réception nécessaire des Frères.

De ce mur, j’ai vu un autre mur qui provenait et allait aboutir à la maison de pierre, petite maison, et là il me fut dit : Là sera l’habitation des prêtres. Mais du côté de la petite maison, vers le midi, était une muraille qui allait tendre à la grande motte de terre, et j’ouïs en esprit : En cette muraille, il y aura une petite porte par laquelle on prendra ce qui est nécessaire pour les Frères, comme bois, etc. Et là il y aura aussi une maison d’infirmerie pour voir les Frères infirmes et pour les guérir.

Auprès du mur qu’on voyait à la motte de terre, était continuée une maison jusque à la maison de pierre, qui est vers l’orient, mais qui ne touche pas entièrement la maison, car la distance en était petite, d’autant que, du côté du mur de l’église, vers l’orient, un autre mur était continué, qui se liait avec le mur provenant de la motte de terre et les unissait en une encoignure ; comme il m’a été dit, là sera le parloir des Frères avec les séculiers. Du côté de l’occident vers l’aquilon, de la grande maison de pierre, je vis une muraille qui entourait l’espace qu’il y a hors des murailles touffu d’arbres selon l’antiquité ; cet espace finissait en rond et en retour.

Du côté de l’orient à la grande maison, je vis encore une grande maison qui montait du côté de l’orient, qui tendait directement au mur de l’église. Et lors j’ouïs en esprit : En cette muraille, il y aura trois maisons : une qui sera dûment édifiée, où les princes et les évêques pourront ouïr chanter les Sœurs ; l’autre pour recevoir les amis ; la troisième pour visiter et guérir les malades. Après cela, au delà de l’étang, je vis une église semblable à celle-ci, avec tous ses édifices, qui était entourée de toutes parts d’un mur fort long et fort haut ; et lors j’ouï en esprit : La maison et l’église qui seront édifiées après cette église, seront bâties en la même manière que vous les voyez.

CHAPITRE 30

De la disposition de la maison de Saint-Sauveur.

(Voyez ceci au Livre I, Chap. 18.)

CHAPITRE 31

Des peintures et portes de l’église de Saint-Sauveur.

Le Fils de Dieu parle : Les peintures de l’église ne seront autres que celles de ma passion et la mémoire de mes saints, car maintenant ceux qui entrent dans l’église se plaisent plus à regarder les parois qu’à y regarder la mémoire des bénéfices que je leur ai faits.

En cette église, il y aura trois portes : la première s’appellera Porte de rémission, par laquelle tous les séculiers entreront, d’autant que tous ceux qui y entreront d’un cœur contrit et avec la volonté de s’amender, auront et sentiront soulagement en leurs tentations, la force pour opérer le bien, la dévotion en oraison, la rémission de leurs péchés, et la prudence pour se garder de choir. C’est pourquoi cette porte sera vers l’orient, d’autant que l’amour divin naîtra à ceux qui y entreront, et la lumière de foi sera fortifiée en eux.

La deuxième sera appelée Porte de réconciliation et de propitiation, par laquelle les Frères entreront en leur chœur, d’autant que, par leur foi et par leurs prières, les pécheurs s’approcheront de Dieu, l’état du royaume s’améliorera et l’ire de Dieu sera apaisée. Partant, que cette porte soit vers l’occident, d’autant que, par leurs prières, la puissance du Diable sera retranchée en plusieurs, de sorte qu’il ne pourra pas tant tenter qu’il voudrait.

La troisième sera appelée Porte de gloire et de grâce, par laquelle les Sœurs entreront dans l’église, d’autant que la Sœur qui y entrera avec un cœur contrit et avec la seule intention de plaire à Dieu, obtiendra en ce monde la grâce d’avancer de vertu en vertu, réfrigère en ses tentations et la gloire en l’autre. Partant, que cette porte soit vers l’aquilon, attendu que comme le diable épand de là tout le froid de la malice, de même en toutes celles qui entreront par cette porte, Dieu versera l’abondance de bénédiction, l’amour du Saint-Esprit et l’ardeur de la divine charité augmenteront en elles.

Jésus-Christ demande à la communauté du royaume aide pour bâtir le monastère d’Uvasten.

CHAPITRE 32

Notre-Seigneur parle : Je suis celui qui ai commandé à Abraham d’immoler son fils, non attendu que j’avais prévu le bien de son obédience, mais d’autant que je voulais que sa bonne volonté fût manifestée à la postérité pour l’imiter, de même je veux édifier et bâtir un monastère par un prince terrestre en l’honneur de ma Mère, afin que les péchés du royaume diminuent.

Or, je désire, non comme nécessiteux, puisque je suis Seigneur de toutes choses, aide du commun du royaume pour le perfection de ce monastère, pour faire voir à la postérité la promptitude de leur bonne volonté : partant, que celui qui arrivera à l’an de discrétion, qui désire de persévérer en la virginité, soit femme, soit homme, donne un denier de monnaie courante, et semblablement la veuve ; mais celui qui se mariera donnera pour lui et pour sa femme deux deniers ; et ceux qui auront des enfants de quelque sexe que ce soit, parvenus à l’âge de seize ans, donneront un denier pour un chacun, afin qu’en eux croisse le fruit de charité et d’obéissance. Mais les religieux et les prêtres, qui sont tenus de me donner, et eux-mêmes, et ce qu’ils ont, en seront affranchis, comme aussi les serviteurs, et aussi ceux qui gagnent leur pain à la sueur de leur front.

CHAPITRE 33

Des privilèges de l’abbesse de Saint-Sauveur.

Notre-Seigneur Jésus-Christ parle : L’Écriture sainte dit que Moïse priant pour son peuple, Aaron et ses compagnons lui soutenaient les mains, de peur qu’elles ne fussent affaiblies en leur continuelle extension. Mais pourquoi cela ? Dieu, qui avait donné la grâce de prier, ne pouvait-il pas affermir ses mains ? Il le pouvait certainement : mais cela marquait que ceux qui ont quitté tout le monde s’unissent à Dieu, d’autant que la nature humaine, étant infirme, a besoin de soutien. Partant, afin que les amis de Dieu puissent subsister et qu’ils ne soient ternis par les choses temporelles, après leur contemplation, les aides extérieures leur sont permises, afin qu’avec plus de force ils s’élèvent aux choses divines.

Partant, que quatre bons hommes, dignes de foi, de bonne vie et d’âge, soient choisis officiaux, qui distribuent les aumônes et vêtements aux pauvres ; qui soient disposés à écouter les Sœurs et les Frères et leur rendre réponse ; qui puissent parler aux seigneurs temporels pour les affaires du monastère, servir le monastère et supporter les charges de l’abbesse ; et afin que les susdits Frères fassent cela avec plus de fidélité, ils doivent vivre du monastère et être participants de tous les biens spirituels qui se font au monastère. Ils doivent aussi vivre en continence et célibat, et porter une croix rouge sur leurs vêtements auprès du cœur, en signe et marque de la familiarité de l’amour divin, et promettre l’obéissance ès mains de l’abbesse ou du confesseur. Que s’ils commettent quelque chose d’énorme et de détestable par quoi l’ordre fût diffamé et l’état du monastère dénigré, on les resserrerait dans les prisons du monastère ; ou si le confesseur ne peut les corriger, qu’il demande conseil et aide à l’évêque, gardant en tout l’institution de la sainte règle.

Que le confesseur regarde comment ils jeûnent et à quelles heures ils sont réfectionnés et observent le silence ; comment ils dorment, et comment, pour les affaires, ils sortent du monastère pour parler aux grands du monde. Qu’il pourvoie aussi à ce que leur habit soit honnête ; qu’il règle les heures où ils doivent demeurer dans l’église et où ils doivent recevoir le corps de Jésus-Christ.

Qu’on établisse aussi un lieu où ils puissent dormir, manger, et qu’ils aient un cimetière particulier. De ces quatre qui porteront la croix rouge, un ou deux pourront être prêtre, en telle sorte néanmoins qu’ils obéissent à l’abbesse et au confesseur. Si quelqu’un de quelque métier se voulait assujettir à la règle, qu’il jouisse des mêmes privilèges et soit sujet aux mêmes lois et institutions, excepté qu’il ne portera point la croix. Qu’un de ces quatre soit maître de tous ceux qui sont de quelque métier, qui les instruira, les dirigera selon le commandement et le conseil de l’abbesse et du confesseur, en ce qui est des choses spirituelles.

CHAPITRE 34

Sur ce qui touche le chapitre 18 de la règle, et des autres.

Le Fils de Dieu éternel parle : Je vous ai dit qu’il fallait treize autels dans l’église, en treize degrés, selon la vocation de mon Esprit et l’amour donné à un chacun.

Donc, le premier et le principal autel sera consacré à saint Pierre, prince des apôtres, d’autant qu’il a été le premier de vocation et d’élection.

Que le deuxième aussi soit en dignité de puissance et en quelque ressemblance de ma mort ; qu’à la droite de l’autel du prince des apôtres soit le premier autel de saint Paul, car bien que lui ne m’ait vu converser avec les hommes en ma chair, il m’a néanmoins vu en vision spirituelle, et il a été plus parfaitement enflammé du zèle des âmes et avait un plus grand amour, d’où vient qu’il a eu le nom d’Apôtre de vie et de dignité.

Que le deuxième à droite soit dédié à saint Jacques, l’apôtre, fils de Zébédée, qui, par sa patience et pas l’ardeur de sa prédication, a mérité d’être glorifié le premier.

Que le troisième soit encore à droite, et soit dédié à saint Jean l’évangéliste, qui, par l’amour de la chasteté, a mérité la familiarité de mon amour, d’où vient qu’il a aussi écrit mon Évangile avec plus de sublimité et d’excellence.

Le quatrième sera dédié à saint Barthélemy, qui, méprisant les richesses et aimant la pauvreté, souffrit patiemment les peines et les supplices.

Que le cinquième autel soit consacré à saint Philippe, qui, méprisant la noblesse du sang, engendra plusieurs à la vie éternelle.

Que le sixième autel soit aussi à la droite, dédié à saint Thomas, qui reconnut en mon côté la foi parfaite, et qui persévéra en l’amour parfait. Mais à la gauche de l’autel du Prince des apôtres, Que le premier autel soit dédié à saint André, qui m’a suivi comme son maître et n’a point eu honte d’embrasser la croix ; Que le deuxième à saint Matthieu, qui, abandonnant les livres du monde, a été fait le docteur des âmes ; Le troisième à saint Jacques d’Alphée, qui, m’étant semblable en la chair, m’est en quelque manière semblable au ciel.

Que le quatrième soit à saint Simon, son germain, qui, méprisant les parents charnels, a mérité d’être rempli de la sapience céleste ; le cinquième à S. Thaddée, qui a vaincu le diable par la pureté de la chair et du cœur.

Le sixième sera à saint Mathias, qui, ayant eu en abomination les cupidités de celui qui m’a vendu en me trahissant, a mérité, par son humilité, la gloire éternelle.

Or, maintenant, ma fille, vous pourriez vous enquérir pourquoi je n’ai préféré en dignité saint Jean et les autres apôtres, qui étaient de mon sang, à saint Pierre. Je vous répond que la vraie et parfaite charité envers Dieu est quand l’homme ne laisse rien à soi pour dilater son cœur à la vertu et à la perfection. Or, la parfaite charité envers son prochain est quand il fait du bien à ceux qui lui ont fait du mal, et même à ceux qui l’exaspèrent par colère ; mais il donne à ceux qu’il trouve parfaits en bonnes œuvres, des choses meilleures. Partant, saint Pierre était le plus fervent en amour, et n’avait rien de propre, sinon ce qui demeurait éternellement avec lui, et afin que la chair ne fût préférée à l’esprit, saint Pierre a été élu au pontificat.

Quand aux autres signes d’amour qui parurent plus grands en saint Jean, sa chasteté et sa constance méritèrent cela ; et de fait, Dieu, pour dilater la douceur de sa bonté et pour insinuer son amour, choisit quelquefois le temps et les personnes pour l’exaltation de la foi, lesquelles personnes et temps il veut être glorifié de la créature ; et quelquefois il échauffe ce qui est froid,exalte ce qui est infirme et abaisse ce qui est superbe, et que de la sorte Dieu soit glorifié partout.

CHAPITRE 35

Sur le chapitre 20 de la règle de Saint-Sauveur.

Le Fils de Dieu parle : Quand je conversais dans le monde avec les apôtres, je m’attendais seulement au lucre des âmes, car il n’était pas convenable ni agréable de servir au monde et aux âmes : c’est pourquoi les fidèles m’administraient les choses corporelles, aussi étaient-ils administrateurs et aides des labeurs de mes serviteurs et de ceux qui m’assistaient secrètement, savoir, des apôtres. De même en est-il maintenant. Je vous ai parlé du nombre des filles de ma Mère, qui la doivent assister avec plus de familiarité, desquelles quelques-unes auront été nourries plus délicatement que les autres, les autres seront infirmes ou vieilles, les autres moins accoutumées au labeur et au travail, quelques autres adonnées à la contemplation divine.

Partant, si la nécessité et le lieu le requièrent, il est permis à l’abbesse de recevoir quatre femmes circonspectes en âge et en mœurs, de bonne renommée, qui portent du bois au feu, de l’eau où il en sera besoin, et qui nettoient le monastère, et aident ès obédiences et charges aux Sœurs infirmes. Ces quatre femmes pourront entrer dans l’église et ès autres lieux du monastère, pour y travailler ; elles auront leur maison auprès de la cuisine, et aussi leur porte ; et qu’elles soient toujours prêtes à porter ou rapporter ce qu’on leur commandera.

Elles ne doivent pas pourtant être associées avec les autres au chœur, ni au dortoir, ni au réfectoire, mais qu’elles demeurent hors du chœur, quand elles ne travaillent point. Elles ne doivent prendre leur réfection quand le couvent la prend, mais qu’elles vivent de l’aumône des Sœurs ou de la prébende que l’abbesse leur assignera ; qu’elles obéissent à l’abbesse. Elles pourront prendre en la dépense la réfection après la réfection des Sœurs ; et en signe de reconnaissance, qu’elles aient le scapulaire sans capuche. S’il faut faire quelque chose dans la cuisine par les mains des séculiers, qu’une de ces quatre femmes y assiste, ou deux, afin que rien ne se fasse contre la règle. Que les Frères aussi aient deux autres Frères pour leur service nécessaire.

Ceux-ci n’auront pas de cuculle, mais un manteau sur la tunique, auquel sera cousu un petit capuche, comme les autres religieux. Quand ils travaillent, qu’ils laissent et posent leur manteau, et qu’ils aient un petit capuche ou scapulaire fait pour cela, comme les convers de l’ordre de Saint-Benoît ou de Saint-Bernard, et qu’ils soient ceints d’une courroie noire.

CHAPITRE 36

Sur le chapitre 21 de la règle de Saint-Sauveur.

Le Fils de Dieu parle : D’autant que les choses chaudes excitent à luxure, il n’est pas convenable aux saints qu’au monastère on use de poivre ni d’aucune choses trop chaudes, mais qu’on use des choses communes que porte la terre de chaque pays. Aux fêtes de Neuf leçons, à raison du grand labeur, on leur doit donner quelque honnête récréation, et aux infirmes, quand il en est besoin.

CHAPITRE 37

Sur le chapitre 25 de la règle.

Jésus-Christ, Fils de Dieu éternel, parle, disant que comme celui-là est appelé père qui a naturellement engendré un fils, de même je suis Père de tous, d’autant que je verse cette âme dans le corps, et la régénère par ma passion et par l’efficace de l’inspiration divine, et la renouvelle, quand elle a perdu sa beauté. Donc, comme je suis le Père de tous ceux qui sont créés et recréés par le baptême, de même je suis Père de tous ceux qui imite la voie de mon humilité et suivent la voie de mes commandements. Partant, Marie ma Mère, peut être appelée mère et fille ; mère, par génération de ma chair, fille, par imitation de ma volonté, car la semblance de son corps reluisait en quelque manière en ma chair, et la semblance de toutes les vertus a relui parfaitement en son cœur et en ses œuvres.

D’autant donc que ma Mère se veut élire des filles desquelles je suis instituteur et recteur, auxquelles j’ai manifesté par vous un nouvel institut, partant, je veux être appelé, et être en signe de quoi je leur en montre deux privilèges signalés : l’un, qu’elles aient toujours le saint Sacrement sur leur autel en un vase décent de saphir ou de cristal, afin que, me contemplant spécialement sous une autre forme, elles me désirent avec plus de ferveur, jusques à ce qu’elles soient rassasiées de la vérité ; l’autre, que quand quelque Sœur est malade, en telle sorte qu’à raison du vomissement, elle ne puisse prendre mon corps en viatique, je permets qu’on le lui porte à l’infirmerie, qu’on le lui montre, mais qu’elle ne le touche point, et qu’on lui dise : Que votre foi vous soit profitable à salut et à la vie éternelle!

Lors sainte Brigitte répondit : O seigneur, qui versez en nous toutes grâces, ne vous indignez point si je parle. Vraiment vous vous versez en nous d’une grâce trop surabondante ; voire, s’il est loisible de parler ainsi, vous êtes prodigue de vous-même pour l’amour de nous. Qui pourra jamais croire que votre bonté et votre douceur soient si grandes, si ce n’est celui qui est enivré de votre Esprit ? car il est écrit que ceux-là qui, en la loi de Moïse, voyaient et touchaient l’arche sainte, qui vous préfigurait, mouraient ; et maintenant, vous permettez qu’on vous touche, vous qui êtes la vérité même de cette figure que les signes promettaient ! Oh ! que celui-là est tenu et obligé d’être pur puisqu’il s’approche de Dieu souverain!

Dieu répondit : Qu’admirez-vous, ô fille, si le vase s’approche du vase, si, dis-je, le vase virginal s’approche du vase où est le trésor inépuisable ? car comme à l’entrée de l’arche de Moïse, les murailles inutiles tombèrent et l’idole perdit la tête, de même, par l’amour virginal, la superbe du diable sera confuse, la dureté du cœur sera amollie, et l’impureté de la chair sera anéantie ; car qu’y a-t-il d’admirable qu’il soit touché d’une vierge, puisqu’il a voulu naître d’une Vierge ? De vrai, l’amour virginal peut toutes choses avec Dieu, s’il est joint à la vraie humilité. Néanmoins, afin que cela n’apportât de préjudice au clergé et à ceux qui pensent tout autrement, je commets cette grâce à la modération des prélats et à leur puissance, car ni Moïse ni les prophètes n’étaient lus sans le jugement et la discussion des pontifes, ni mes paroles ne devaient venir au jour sans le jugement et sans l’autorité des pontifes, auxquels j’ai donné puissance de lier et de délier. Qui les méprisera me méprisera moi-même.

CHAPITRE 38

Du pavé du monastère.

Le fils du Père éternel parle : Je vous ai dit ci-dessus comment les Sœurs et les Frères doivent être ensevelis ; j’ajoute maintenant la disposition parfaite des enceintes du monastère qui sont entre les grilles : elles doivent être pavées, ou de pierres taillées proprement, ou de carreaux de brique, afin qu’aux filles pures le tout réponde avec pureté. Partant, qu’on fasse le cimetière entre le grand mur, où il pourra être fait le plus convenablement, dans lequel les Sœurs seront ensevelies.

Que s’il les faut ensevelir dans les cloîtres et les enceintes, il faut prendre garde qu’il n’y reste après quelque chose de raboteux : c’est pourquoi on réparera soudain le pavé selon la première forme. Que le pavé aussi de l’église soit de pierres planes et égales, afin que ceux qui entreront ne bronchent point, et qu’elles soient bien peinte et ornées pour exciter à la dévotion. Que si on ensevelissait en l’église quelques personnes spirituelles et de dignité, on remette le pavé à sa première beauté et égalité.

Touchant le chapitre 26 de la règle de Saint-Sauveur, et les personnes qui y doivent entrer.

CHAPITRE 39

La Mère de Dieu parle, disant : Celui qui est assis au plus haut lieu verra la lumière à midi. Celui qui sera assis à droite s’éveillera le matin de son sommeil. Celui-là qui est à gauche se refroidira à raison de la rosée de la nuit. Partant, que celui qui entre en cette maison prenne garde de n’aimer la mort pour la vie, le froid pour la chaleur. Qu’il se donne aussi de garde, celui qui entre, de l’ennemi qui est aux portes : partant, qu’il ait pour docteur la raison, et Dieu pour directeur.

Que cette maison soit comme la maison dont je vous avais avant parlé, comme un feu qui commence de brûler par les pailles, puis par tout le corps, de sorte que ceux qui sont au dehors n’en savent rien jusqu’à ce que tout soit embrasé. Que cette maison soit affermie au Saint-Esprit, car comme Elie, mangeant le pain et buvant de l’eau, marcha en la force d’icelui quarante jours et quarante nuits, de même ceux qui entreront en cette maison seront confortés et affermis, et la force spirituelle accroîtra en eux, ainsi que la ferveur de la foi et de la charité.

Dieu demeurera aussi avec ceux qui entrent en cette maison comme il fut jadis avec Jacob, qui, étant sorti seul de la maison de son père, y retourna avec une grande abondance. Et Joseph est sorti de lui, qui a été appelé le salut du peuple, d’autant qu’il a sauvé son peuple. Dieu gardera aussi cette maison et ceux qui entreront en icelle, comme il garda son apôtre qu’il ne fût brûlé de la graisse de l’huile, et il accordera à ses bien-aimés qu’ils ne soient brûlés du feu de l’amour du monde, et qu’ils ne succombent et ne défaillent en leur adversité. Que tous ceux qui entre en cette maison fructifient comme du grain, qui donne le centuple, et comme l’huile de la veuve, afin qu’ils aillent de vertu en vertu, jusques à ce qu’ils voient Dieu en sa gloire.

Que cette maison soit aussi munie d’une muraille de garde spirituelle si forte et si grande que l’ennemi, la voulant fausser, dise : Tout le temps ne me suffit pas pour le faire, ni je n’ai point de fondement pour venir jusques aux fondements, et moins jusques aux murs. Que Dieu regarde aussi cette maison, comme jadis il regardait son peuple, quand il l’affranchissait de la captivité de l’Égypte, lui montrant la voie, le jour par la colonne, et la nuit par celle du feu. Qu’il bénisse encore ceux qui entreront en cette maison, comme il a béni ses apôtres et moi, sa Mère, nous donnant le Saint-Esprit, promettant de demeurer avec nous jusques à la consommation du siècle. Qu’il y ait aussi en cette maison une porte par laquelle il soit loisible à tous d’entrer, et que ceux qui y entreront soient des brebis de mon Fils oyant sa voix, puisqu’il a donné sa vie pour l’amour d’eux, lesquels le Père garde de sa puissance, que le Fils dirige par sa sagesse, et que le Saint-Esprit enflamme de sa charité, afin que si le loup était entré en son troupeau, il profite aux brebis pour un plus grand mérite, et que lui descende à l’espace du lieu qui lui est préparé.

D’ailleurs la Mère de Dieu dit : Sachez aussi qu’il fut commandé au prophète de Dieu de montrer au peuple ingrat les dimensions du temple détruit qu’il avait vu en la vision spirituelle, non que du ciel descendissent les choses corporelles, mais d’autant que les choses spirituelles étant entendues par les corporelles, afin que le peuple ingrat entendit son ingratitude, et se repentant de ses malheurs, se préparât à recevoir les promesses divines, lui qui en a été privé, d’autant que, persistant en sa malice, il n’a voulu changer de volonté en bien : c’est pourquoi aussi ce temple n’a pas été réédifié ni ne sera pas éternel. Mais qu’en ma maison, on n’érige pas seulement les murs matériels, mais les âmes des justes qui plairont en icelle à mon Fils, et il accomplit en soi les dimensions du temple que la prophétie divine avait vu en esprit.

CHAPITRE 40

De trois sortes de fruits des personnes de la règle de Saint-Sauveur.

Le Fils de Dieu parle : Trois sortes de fruits seront produits de ma règle : le premier sera de la crainte qui, à guise d’une épouse, tantôt veut, tantôt ne veux point, qui, ayant goûté la volonté de son époux et la volupté, désirerait que la volonté de son époux se conformât à la sienne.

Ce fruit ne goûtera pas parfaitement : les voluptés de époux, d’autant qu’il n’est pas entièrement occupé pour goûter la douceur de l’époux. Le deuxième fruit est qu’il désire participer à ses appétits, mais il s’afflige de souffrir les adversités. Celui-ci est semblable au soldat qui oublieux de la justice et des causes d’obtenir la couronne, demande, au temps d’heur et de félicité, une grande récompense, n’ayant voulu suivre son seigneur en temps d’adversité. Le troisième fruit est qu’il a renoncé, non-seulement à soi-même et quitté tout ès mains de Dieu, mais il se sépare de tout ce qui n’est pour Dieu, comme une jument qui n’est que le plaisir du maître, il se réjouit ès adversités et est humble et craintif en la prospérité. Ce fruit mérite que Dieu fasse miséricorde, afin que la joie promise soit obtenue, que les païens en soient édifiés, les lâches excités et les froids embrasés.

CHAPITRE 41

Du voyage que sainte Brigitte fait à Rome.

Jésus-Christ, Fils de Dieu, parle : La règle est décrite déjà ; les fleurs y sont mises et les couleurs posées. Allez donc au lieu où vous visiterez le pape et l’empereur. Cette règle ira comme une lumière ; elle se serrera afin d’avancer jusques à ce qu’elle montrera un troisième fruit qui brisera les arêtes, et le pur grain sera mis au grenier.

Commandement à sainte Brigitte d’écrire à l’empereur pour la confirmation de la règle de Saint-Sauveur.

CHAPITRE 42

(Voyez le tout au Livre VIII, Chap. 51. )

CHAPITRE 43

Ici est montré à un roi le moyen de se réconcilier.

Le Fils de Dieu dit : Celui que j’ai appelé mon Fils s’est plutôt rendu rebelle et semblable à un enfant d’école qu’à un fils obéissant, d’autant qu’il n’a pas poursuivi le chemin contre les païens ; néanmoins je lui montrerai maintenant un autre chemin: s’il le poursuit, il sera bienheureux. Ce chemin est qu’il aille au pape, car les grands dettes doivent être amendées par le conseil du grand seigneur. Que s’il y va, il n’ait pas honte de lui dire qu’il a été un voleur du bien commun, un traître des âmes, contempteur de l’Église, violateur du jurement et de la loi publique, prodige aliénateur et dissipateur de la couronne royale et de ses richesses. Qu’il impètre encore l’absolution de ses péchés et la confirmation de ma règle, que j’ai manifestée en son royaume, afin que les mouches à miel qui doivent être assemblées en un lieu déjà disposé, soient affermies de ses bénédictions. Qu’il ne diffère donc de sortir, de peur que, s’il délaie, les locustes et le brac n’occupent le lieu préparé aux abeilles, et qu’aussi elles soient dispersées par leur corruption, et aussi de peur qu’il n’y ait plus de peine à le purifier et renouveler qu’à le bâtir.

Des indulgences de saint Pierre-aux-Liens et de la confirmation de la règle de Saint-Sauveur.

CHAPITRE 44

(Voyez sur ce sujet le Livre IV, Chapitre 137.)

CHAPITRE 45

Du commandement d’écrire la règle.

Le Fils de Dieu dit à sainte Brigitte : Dites à celui-là (Pierre d’Alabastre, prieur), qu’il écrive la règle dictée par le Saint-Esprit ; mais donnez-vous garde de n’ajouter ou diminuer quelque chose par votre esprit ; mettez-y seulement ce que je vous ai dit. Que si l’écrivain y met quelque chose de la règle des Pères, où la matière sera convenable, et étant attiré à cela par mon Esprit, et ressentira que je l’assiste, il ne sera pas fâcheux, car saint Benoît, saint François et les autres Pères, comme des abeilles, ont pris une grande partie des leurs, des Pères, et cela m’a été agréable, d’autant qu’ils avaient mon Saint-Esprit, et leur volonté était selon mes désirs. Partant, tout ce qu’ils ont statué m’est agréable.

CHAPITRE 46

Concernant la règle de Saint-Sauveur.

Je vous veux montrer, dit Notre-Seigneur à sainte Brigitte, quelle règle on aura en la maison de ma Mère, d’autant que les ermites mêmes et les saints Pères reçurent les influences saintes et sacrées de mon Esprit : partant, déférez à écrire tout ce que vous entendrez et concevrez de mon Esprit, et donnez garde qu’en aucune manière vous n’ajoutiez à mes paroles quelque chose de votre esprit. Mais vous pourriez admirer pourquoi moi, qui suis le Créateur de toutes choses, ne parle en telle langue qu’elle puisse être entendue de tous.

Il répondit : J’ai eu plusieurs prophètes qui ne pouvaient dire les paroles de mon Esprit à tous que par un truchement, et ils sont néanmoins parvenus à la lumière et à la connaissance, car quand le don de Dieu est commis à plusieurs, Dieu en est plus glorifié. Il en est de même de vous, car j’ai des amis par lesquels je déclare mes volontés, mais à vous, comme à un instrument nouveau, je vous veux montrer des choses nouvelles et anciennes, afin que les superbes soient humiliés et les humbles glorifiés.

CHAPITRE 47

Comment sainte Brigitte commença d’avoir des révélations, etc.

Quelques années s’étant passées après la mort de son mari, sainte Brigitte étant en sollicitude de l’état qu’elle devait prendre, soudain l’Esprit du Seigneur l’environna et l’enflamma ; et étant ravie en esprit, elle vit une nuée éclatante, et de la nuée elle entendit une voix qui lui disait : Je suis votre Dieu qui veux vous parler. Et étant épouvantée, craignant que ce ne fût une illusion du malin esprit, elle ouït derechef : Ne craigniez point, car je suis le Créateur, et non le trompeur de ce qui est. Sachez que je ne parle pas pour vous toute seule, mais pour le salut de tous les chrétiens. Oyez donc ce que je dis.

Vous serez en vérité mon épouse. Vous entendrez ma voix, et verrez les choses spirituelles et les secrets célestes, et mon Esprit demeurera avec vous jusques à la mort. Croyez donc fermement, car je suis celui qui est né de la Vierge, qui ai souffert et suis mort pour le salut des âmes, qui suis ressuscité des morts, qui suis monté au ciel, et qui parle maintenant à vous par mon Esprit.

CHAPITRE 48

Du commandement d’écrire les révélations.

Notre-Seigneur apparut à sainte Brigitte étant en prière, lui disant : Dites de ma part au Frère Pierre, sous-prieur, que je suis semblable à un seigneur dont les enfants étaient tenus captifs en un dur cep. Il lui envoya ses légats, afin que ses enfants fussent délivrés, et afin qu’ils avertissent les autres de ne tomber entre les mains des ennemis, qu’ils pensent amis. De même moi, Dieu, J’ai plusieurs enfants, c’est à dire, des chrétiens, qui sont détenus dans les lacets du diable. C’est ce qui fait que mon amour leur envoie les paroles de ma bouche par une femme. Oyez donc, vous, ô Frère Pierre ! écrivez en langue latine ce qu’elle vous baillera de ma par en langue vulgaire, et je vous donnerai pour chaque lettre, non l’or ou l’argent, mais un trésor qui ne vieillira jamais.

Sainte Brigitte manifesta de la par de Jésus-Christ cette révélation au prieur, qui lors était sous-prieur. Mais lui, voulant prendre révélation sur ce sujet, était un soir dans l’église, disputant avec ses pensées, et se révoltant à la fin par humilité à n’en rien faire, et s’estimant indigne d’écrire de telles révélations, et craignant l’illusion du diable. Il fut frappé lors d’un soufflet divin, et soudain il fut comme mort, privé du sentiment et des forces corporelles, mais néanmoins l’esprit demeurait entier.

Mais les moines, le trouvant en cet état, gisant à terre, l’apportèrent à sa cellule et le mirent sur le lit, et il demeura un grand espace de la nuit comme demi-mort. Enfin, par l’ordonnance divine, la pensée suivante lui arriva en l’esprit : Peut-être je pâtis ceci pour n’avoir voulu obéir à la révélation divine et aux saint commandement qui m’était fais par sainte Brigitte de la part de Jésus-Christ. Et il disait en son cœur : O Seigneur, mon Dieu, si c’est pour cela, pardonnez-moi, car me voici préparé et disposé à obéir et à écrire toutes les paroles qu’elle me dira de votre part. Dès qu’il eut donné son consentement, soudain il fut guéri, et il s’en alla en hâte à sainte Brigitte, s’offrant à faire les écritures des révélations qu’elle lui dirait de la part de Jésus-Christ.

Jésus-Christ lui dit : Je l’ai frappé pour ne pas avoir voulu obéir à ce que sainte Brigitte avait connu en une autre révélation, et je l’ai guéri après, d’autant que je suis le médecin qui a guéri Tobie et le roi d’Israël. Dites-lui donc : Prenez, feuilletez et refeuilletez le livre et les œuvres de mes écritures. Je vous donnerai un maître en ma loi pour votre coadjuteur. Sachez que je veux faire cette œuvre par mes paroles, que vous écrirez de la bouche de cette femme, dont les puissants seront humiliés et les sages se tairont. Ne croyez pas que ces paroles que cette femme vous dira procèdent du malin esprit, car je prouverais par œuvres ce que je vous dis par paroles.

Et soudain après, ledit prieur commença à écrire, et translater ou traduire en latin toutes les révélations et visions divines données à sainte Brigitte, bien que quelques-unes aient été écrites par ses compagnons, principalement par son confesseur, quand ledit prieur était absent ; et ledit prieur fut depuis confesseur de sainte Brigitte l’espace de trente ans jusques à la mort de sainte Brigitte. Après Notre-Seigneur commanda qu’elles fussent baillées à Alphonse Hermite, autrefois évêque de Giennense, et c’est de cette manière que les livres ont été écrits.

CHAPITRE 49

Desdites révélations et de leurs déclarations.

Le Fils de Dieu parle à son épouse, disant : Je suis semblable à un charpentier qui, ayant coupé le bois, le porte en sa maison et en fait une belle image, et l’embellit de belles couleurs et liniments. Ses amis, voyant que cette image pouvait être ornée de plus excellentes et vive couleurs, y apposent leurs couleurs. De même, moi Dieu, je coupe du bois de ma Déité, mes paroles en la charité, que j’ai mises en votre cœur, et mes amis les ont rédigées en livres, selon la grâce que je leur en avais faite, et leur ont donné les couleurs et les ornements.

Afin donc qu’elles puissent aller partout, baillez-les au susdit évêque, qui les écrive, les déclare, et garde le sens catholique de mon Esprit, d’autant que mon Esprit les laisse quelquefois à mes élus, afin qu’ils les jugent et les pèsent comme une balance, et examinent mes paroles en leur cœur, afin qu’après plusieurs pensées, ils les déclarent mieux ; car comme votre cœur n’est pas toujours capable et fervent pour dire et écrire se que vous comprenez, mais que vous écrivez et ruminez en votre esprit jusques à ce que vous soyez arrivée au sens de mes paroles, de même mon Esprit montait et descendait avec les docteurs, d’autant qu’ils mettaient quelque chose qu’ils rétractaient ; d’autres fois ils étaient jugés et repris des autres, et néanmoins quelques-unes vinrent après, qui ont expliqué ce qu’ils disaient avec plus de subtilité et de clarté. Néanmoins tous les évangélistes eurent les paroles qu’ils écrivaient et proféraient de mon Esprit par infusion. Dites le même au susdit Hermite : qu’il accomplisse et fasse l’office d’évangéliste.

CHAPITRE 50

Il est ici traité de Jésus-Christ, de la création, etc.

La Sainte Vierge, parlant, disait : Béni soyez-vous, mon Fils très cher, qui êtes sans principe et sans fin ! En vous sont la sapience, la puissance et la vertu. Vous avez manifesté votre puissance en la création du monde, le créant de rien ; votre sapience en la disposition, ayant rangé et ordonné sagement tout ce qui est au ciel, sur la terre et dans la mer ; votre vertu, quand vous avez été envoyé en mes entrailles. Vous avez encore la miséricorde et la justice. Vous avez manifesté votre sapience divine, quand vous avez disposé toutes choses miséricordieusement, quand vous avez combattu et abattu le plus fort. Vous avez montré votre vertu en votre miséricorde et justice, quand vous avez voulu naître de moi et racheter celui qui pouvait tomber de soi, mais non pas se relever sans vous.

Le Fils répondit : Bénie soyez-vous, Mère du Roi de gloire et Reine des anges ! Vos paroles sont vraies et très douces. Vous avez bien dit que je fais toutes choses en miséricorde et en justice.

Cela a paru, en la création du monde, ès anges qui ont été créés : en cet instant, ils virent en leur conscience quel j’étais, bien qu’ils ne me goûtassent point : d’où vient que quelques-uns, se servent fort bien de la liberté de leur volonté, résolurent de demeurer fermement en la charité selon ma volonté ; les autres se rendirent orgueilleux, tournèrent leur volonté contre moi et contre la raison.

Partant, il était juste que les superbes tombassent, que les justes goûtassent ma douceur et qu’ils fussent plus fortement affermis. Après, afin de montrer ma miséricorde et que le lieu de ceux qui tombent ne fût vide, j’ai fait l’homme en terre, poussé par mon amour, lequel aussi, tombant par sa propre faute, perdit le premier bien et fut privé de la douceur ; mais à raison de ma miséricorde, il n’a pas été totalement délaissé ; mais la justice voulut que, comme il s’était retiré, par le libéral arbitre, de ma première institution, il y retournât aussi par celui qui n’aurait point de péché, mais une souveraine pureté. Mais on ne trouvait aucun qui pût satisfaire à la divine justice, et moins au salut des autres, ni il n’y en avait aucun né exempt de péché à raison de la première rébellion ; néanmoins Dieu, par sa grande miséricorde, ne manquait pas de créer les âmes en la chair, afin qu’après elle fussent affranchies du péché par celui qui serait impeccable et qui pourrait satisfaire à tout, et afin que le diable n’eut un sujet perpétuel de se réjouir de cette chute.

Partant, le temps étant arrivé que Dieu avait prévu de toute éternité, il plut à Dieu le Père d’envoyer son Fils en vos saintes entrailles, prendre chair humaine et le sang, pour deux raisons : 1° afin que l’homme ne servît autre que son Dieu, Créateur et Rédempteur ; 2° afin qu’il manifestât l’amour infini qu’il avait envers l’homme et la justice, car n’ayant en rien péché, il mourut d’amour, afin que ceux qui étaient captifs fussent justement affranchis. Partant, ô ma Mère très chère, vous avez bien dit que j’ai fait toutes choses en miséricorde et en justice. Bénie soyez-vous, vous qui avez été si douce qu’il a plu à la Divinité de venir en vous et de ne se séparer jamais de vous !

Vous avez été comme une maison très pure et très nette, parfumée de l’odeur des vertus, embellie d’un éclat extraordinaire. Vous avez été brillante comme une étoile luisante qui brûle sans se consumer : vous avez brûlé du feu de l’amour sans vous consumer. Vous êtes justement appelée pleine de charité et de miséricorde, car toute la charité fleurit par vous, et tous trouvent par vous la miséricorde, d’autant que vous avez enveloppé et enserré en vous l’auteur de miséricorde, et vous feriez en quelque sorte miséricorde au diable, s’il la demandait humblement ! Je vous donnerai donc tout ce que vous me demanderez et désirerez.

La Mère répondit : Mon Fils, ma demande vous est connue de toute éternité. Partant afin que cette épouse entende ce qui est spirituel, je vous supplie que les paroles que vous m’avez dites soient enracinées ès cœurs de vos amis, et sortent à leur dernière perfection.

Le Fils repartit : Bénie soyez-vous de tous les citoyens célestes ! Vous êtes comme une aurore qui s’élève en un amour tout plein de vertus. Vous êtes comme un astre qui va au soleil, qui précède ma justice par sa piété. Vous êtes une sage médiatrice pacifiant les dissensions des hommes et de Dieu même ; c’est pourquoi votre demande sera exaucée, et mes paroles seront accomplies, comme vous voulez. Mais d’autant que vous voyez et savez tout en moi, indiquez et signifiez à mon épouse en quelle manière ces paroles doivent profiter au monde, et comment elles doivent être publiées avec miséricorde et justice.

Je suis comme cet oiseau qui ne désire manger que le cœur récent des autres oiseaux, ni boire que le sang ; il a la vue si claire qu’elle pénètre en volant si les autres oiseaux ont leur cœur pur, sinon il ne les arrête point. Je suis un tel oiseau. Je ne désire qu’un cœur tout récent et tout nouveau, c’est-à-dire, l’âme de l’homme toujours nouvelle et récente en bonnes œuvres d’amour, ce que je désire prendre pour ma boisson.

Ma réfection n’est qu’une fervente charité envers Dieu et une âme amendée de ses vices. D’autant donc que je suis la charité et la justice, et n’en désire d’autre que la charitable, c’est pourquoi mes paroles doivent entrer dans le monde avec charité et justice, de sorte néanmoins que l’homme ne me serve pas pour la seul crainte, ni qu’il ne soit pas aussi attiré à me servir par quelque désir charnel, mais par un amour divin, qui provient de la considération intime de mes œuvres et de la souvenance de ses péchés, car ces deux choses, étant souvent considérées, nous excitent à l’amour et à trouver Dieu digne de tout bien. Mes paroles doivent encore entrer avec charité miséricordieuse, afin que l’homme considère que je suis prêt à faire miséricorde, afin que l’homme connaisse son Dieu, qu’il avait négligé, voyant qu’il fait les hommes pécheurs des saints.

CHAPITRE 51

Pourquoi Dieu a voulu révéler le contenu de ce chapitre.

Je suis celui qui ai été envoyé aux flancs de la Sainte Vierge, qui y ai pris chair et suis né. Mais pourquoi ? certainement afin de montrer par paroles et par effets la foi. Je suis mort pour ouvrir le ciel. Je ressuscitai de la sépulture, et je viendrai faire le jugement. Or, maintenant, les évêques étant assemblés, dites à l’archevêque : Vous admirez pourquoi je parle. Élevez vos yeux, voyez, écoutez et oyez. Ouvrez votre bouche, et demandez comment je suis méprisé de tous, comment je suis chassé de tous, et que personne ne me veut avoir en sa dilection. Or, préparez vos oreilles, et oyez que le cœur de l’homme est en cupidité insatiable, du soleil levant jusqu’au soleil couchant, voire cruel à épancher le sang de son prochain. Oyez que tout le monde s’habille superbement. Oyez que les voluptés des hommes sont irraisonnables comme celles des animaux.

Ouvrez votre bouche : enquérez-vous pour savoir quels sont les défenseurs de la foi, où on trouve quelques-uns qui combattent et abattent les ennemis de Dieu ; où sont ceux qui donnent leur vie pour le Seigneur. Informez-vous de cela diligemment, et vous en trouverez bien peu qui soient mes amis. Pensez à ces choses, et vous saurez que je ne parle pas sans sujet. Recherchez encore, et voyez quelle est la cour de Rome, qui devrait être mon siège, car comme siège il y a quatre colonnes qui l’appuient et le soutiennent, et un milieu où se repose celui qui y est assis, de même mon siège, que j’ai laissé aux souverains pontifes, devrait avoir comme quatre colonnes : l’humilité, l’obéissance, la justice et la miséricorde, et le milieu, la divine sagesse avec l’amour divin. Mais Rome est bien changée maintenant ! on a pris un siège nouveau, où est la superbe pour l’humilité, la propre volonté pour l’obéissance, l’amour de l’argent pour la justice, l’ire et l’envie pour la miséricorde ; le milieu n’est que d’être réputé sage et savant selon le monde. Voilà comme mon siège est renversé et changé.

Si vous voulez voir davantage, parcourez le reste des membres de ce chef et tout le clergé, et vous trouverez que moi, Dieu Créateur de tous, leur suis onéreux comme une pierre, je leur suis à goût comme le venin ; voyez comme je leur suis vil et abject ; voyez qu’est-ce qu’on me rend pour l’amour que je leur porte. Je les ai créés et les ai rachetés avec tant d’équité et de justice, que j’ai mis mon cœur comme dans une balance. Je suis né et j’ai été circoncis ; j’ai souffert diverses tribulations et angoisses ; j’ai ouï patiemment les opprobres ; j’ai été prisonnier, fouetté, lié de cordes, serré comme dans une presse ; mes nerfs étaient étendus ; mes veines se rompaient ; mes jointures étaient désemboitées ; ma tête était percée d’épines ; le sang coulait et se congelait sur ma face et en ma barbe ; ma bouche en était remplie, mes joues et tout mon visage en étaient tout difformes ; mes pieds, tirés en bas, n’avaient d’autre soutien que les clous ; tout mon intérieur était sec et aride ; mon cœur était tout plein de douleur, d’autant plus qu’il était d’une nature plus délicate ; ma douleur allait du cœur aux nerfs, et des nerfs retournait au cœur, et de la sorte la douleur se rengrènerait et la mort se prolongeait.

Or, demeurant ainsi plongé dans les douleurs, j’ouvris mes yeux et vis ma très-chère Mère abîmée dans les amertumes et les douleurs, ce qui m’affligeait plus que ma propre douleur ! Je vis aussi mes amis accablés de douleur et d’anxiété, dont les uns doutaient presque, dont les autres gardaient la foi, bien qu’ils fussent troublés plus qu’il ne fallait.

Or, étant en telle douleur et étant en un si grand malheur, mon cœur creva par le milieu, à cause de la violence de la douleur, et l’âme sortit et se sépara du corps, et étant sortie, ma tête se leva en haut un peu, et tous les membres se roidirent. Mes yeux paraissaient quasi à demi, mes pieds soutenaient tout le poids du corps, et étaient ainsi là pendus sur ce gibet. Voilà ce que moi, votre Créateur, ai souffert, et pas un ne se soucie de tout cela. C’est de quoi je me plains devant vous, afin que vous considériez qu’est-ce que j’ai fait et qu’est-ce qu’on me rend.

En deuxième lieu, je vous prie de travailler avec moi. Celui qui veut faire quelque chose doit avoir trois choses : 1° le sujet et la matière dont l’œuvre est faite ; 2° les instruments pour le faire ; 3° une diligente préméditation, afin qu’elle soit faite sagement. Je suis la sapience par laquelle toutes choses sont faites ; les instruments sont mes amis. Prenez donc mes paroles, et voyez si elles sont, non pas pourries, mais pures et entières, si elles ressentent à une foi saine et droite ; voyez si elles sont dignes de mon or ; considérez si elles conduisent de l’honneur du monde à l’honneur de Dieu, de la voie de l’enfer à la sublimité du ciel. Que si vous les trouvez ainsi, travaillez avec mes amis comme avec de bons instruments qui tendent à mon honneur ; travaillez sagement, comme un homme sage ; travaillez fortement, comme un homme généreux ; travaillez avec ferveur, comme un ami de Dieu.

En troisième lieu, je vous commande comme Seigneur de parachever ce que vous avez commencé. Vous avez marché par mes voies ; vous avez jeté le soc en la terre et l’avez cultivée. Maintenant je vous commande d’arracher les épines et d’édifier là une église des biens de votre église ; j’assigne cette partie de terre en vos mains : je la demande de vous. Partant, travaillez souvent et avec ferveur. Je commande au roi de se transporter à ses ennemis le plus tôt qu’il pourra. Que s’il pense que ce qu’il a fait pour moi est une grande chose, j’en ai fait de plus grandes pour lui, n’épargnant pas ma vie pour l’amour de lui. Je lui donnerai trois compagnons, deux qui aient l’intelligence spirituelle, le troisième qui entende les lois ecclésiastiques. Il commettra son royaume à l’évêque, qui aura pour compagnon un séculier qui ne recevra point d’argent pour la justice. Il ne craindra point l’homme en ses jugements ; il ne donnera point l’or pour l’air, ni ne prendra point la boue pour le ciel.

Je commande à l’évêque d’Aboen de rapporter cette affaire au pape, de n’en diminuer pas un mot, mais d’ajouter ce qu’il verra être convenable pour mon honneur et pour le salut des âmes.

Nous admirons pourquoi l’Esprit ne se retire de celui qui est obsédé, auquel on peut considérer ma justice, car je ne fais pas une moindre injure au diable qu’à l’ange dans le ciel, car la justice veut que comme quelque chose est arrivée, elle se retire en même manière : cet esprit est venu de loin et se retira de loin.

Il y a trois sortes de démons : L’un est comme l’air, qui se glisse facilement et entre en l’esprit de l’homme, afin qu’il parle de chose impudique ; celui-là entre et sort facilement. Cet esprit fut en cet enfant, comme je vous l’ai manifesté.

Le deuxième est comme un feu qui vexe le corps et la chair par impatience, et rend le vie de l’homme amère, de sorte qu’il aimerait plutôt mourir que vivre, et par impatience, il est emporté à tout ce que cet esprit lui suggère. Celui-là aussi entre et sort facilement, laissant néanmoins une infirmité dans le corps. Cela était en cette femme-là.

Le troisième est comme la fumée, et où il entre, il entache tout et se mêle partout ; aussi cet esprit se mêle au corps et en l’esprit. Partant, comme la fumée, trouvant un trou ouvert, sort petit à petit et demeure longtemps, de même cet esprit qui a commencé de sortir, à la parole sortira petit à petit, jusques à ce qu’il en sera tout à fait affranchi. Quand tout autant de larmes seront versées dignes et dues pour cela, il sortira tout entièrement, et il se connaîtra purifié, car comme il est entré de loin, la justice veut qu’il sorte peu à peu.

CHAPITRE 52

Sainte Brigitte s’accuse ici de son corps indompté et rebelle, et de sa volonté changeante. Réponse de la Vierge pleine de consolation.

Bénie soyez-vous, Reine du ciel, qui ne méprisez aucun pécheur qui vous invoque de toute son affection ! Excusez-moi, quoi qu’indigne d’ouvrir la bouche pour vous prier, car je n’ignore pas que si je n’ai votre secours et assistance, je ne puis pas me gouverner moi-même, parce que mon corps est comme un animal indompté, qui, si on ne lui met un frein, va et court ès lieux où il avait accoutumé de prendre ses plaisirs. Ma volonté est comme un oiseau, laquelle veut toujours suivre les pensées légères et sans fondement : c’est pourquoi je vous prie de mettre un frein à mon corps, afin qu’il ne se porte en aucun lieu qui soit déplaisant à votre Fils ; et mener-le où il pourrai faire sa volonté ; mettez une allonge à cet oiseau, qui n’est autre que ma volonté, afin qu’il ne prenne le vol plus loin qu’il ne plaît à votre très cher Fils.

La Vierge répondit : L’oraison faite dévotement à l’honneur de Dieu mérite en effet d’être exaucée ; et partant, vous qui demandez qu’on mette un frein à votre corps pour être régi selon la volonté de Dieu, il est expédient qu’on lui impose un fardeau Pour le porter à l’honneur de celui qui le gouverne, et d’autant que votre volonté est telle que vous aimez mieux observer le silence, que de parler à des hommes séculiers, et qu’il vous semble plus agréable de souffrir la pauvreté en votre maison que de regarder toutes les richesses qui sont dans les maisons des princes, de l’inimitié desquels vous ne vous souciez pas, pourvu que vous puissiez mériter l’amitié de Dieu. Partant, je vous enjoins de dire quelques paroles qui soient agréables à Dieu.

CHAPITRE 53

Jésus-Christ, par sa passion, réprouve la curiosité des bâtiments et le contentement de la chair.

Il arriva une fois que sainte Brigitte, du vivant de son mari, fit accommoder un lit par certain charpentier, plus somptueusement et avec plus de curiosité qu’elle n’avait accoutumé en sa maison en une métairie nommée L’Ifaala. Alors elle fut frappée si puissamment sur la tête comme par une main, qu’à peine se pouvait-elle remuer à cause de la douleur qu’elle sentait. Elle fut donc conduite en un quartier de la maison, où elle ouït une voix comme sortant de la muraille, qui lui parla de cette sorte : Je n’étais pas debout, mais je pendais en croix, et ma tête n’a point reposé sur un oreiller, et vous rechercher avec tant de soin le repos.

Sainte Brigitte, ayant ouï ces choses, étant plongé dans les larmes, reçut tout à l’heure guérison ; et désormais lorsqu’elle put, elle dormait plutôt sur la paille ou sur une peau d’ours que dans un lit.

CHAPITRE 54

Vision spirituelle d’un pot, d’une viande désirable, d’un petit feu sous le pot, et d’un certain homme habillé de vêtements dorés, lequel travaillait autour du pot. Qu’est-ce que tout cela signifie.

Sainte Brigitte, étant un jour en prière, eut une vision par laquelle elle vit devant soi un certain petit feu et un petit pot mis sur icelui, et dans le pot, il y avait une viande agréable. Elle vit aussi un certain homme affublé d’une robe de pourpre dorée et fort éclatante, lequel allait à genoux à l’entour du pot, tantôt soufflant le feu, tantôt en retirant le bois, et en cette façon, il travaillait auprès du pot, lequel enfin s’adressant à la sainte qui voyait ces choses, lui dit : Avez-vous jamais vu un homme si humble que moi ? Moi, comme vous voyez, couvert de vêtements dorés, je rends tant de services à ce pot, je fais le tout à genoux ; j’incline la tête vers la terre, soufflant le feu ; j’accommode le bois et j’attise le feu ; quelquefois aussi je sépare les bois et les tisons, et ne m’épargne point à travailler, c’est pourquoi vous me jugerez fort humble.

Mais il faut que je vous montre ce que cela signifie : par ce pot j’entends votre cœur ; par la viande qui est dedans, les paroles très douces qui vous sont données de Dieu ; par le petit feu, la ferveur de la charité que vous avez reçue de Dieu. Mais moi je suis le démon qui porte envie à votre consolation, qui, pour cette raison, me montre si humblement serviable, soufflant main tenant, non seulement afin que le feu soit plus ardent, mais afin que les cendres, c’est-à-dire, l’affection des choses terrestres, entrent dans le pot, c’est-à-dire en votre cœur, afin que, par ainsi, cette viande délicieuse, c’est-à-dire, les paroles du Saint-Esprit qui vous sont infuses, soient rendues en quelque façon sans goût. Je remue le bois et les tisons, afin que le pot, c’est-à-dire, votre cœur, penche vers la terre, c’est-à-dire, vers quelques-uns de votre connaissance ou de vos parents, afin qu’ainsi Dieu soit moins aimé.

Narré de l’excellent mérite de la sainteté de la bienheureuse Brigitte, qui fut vu et prévu par Frère Géréchinus du monastère d’Alvastre, homme de grande sainteté.

CHAPITRE 55

Un certain religieux de sainte vie, du monastère d’Alvastre, raconta avec larmes et serment au prieur Pierre, que quand sainte Brigitte vint là pour résider dans le même monastère, ce religieux s’émerveilla en son cœur, et par un zèle de la règle de la sainteté, dit en son cœur : Pourquoi cette sainte fait résidence ici dans un monastère de religieux, contre notre règle, introduisant une nouvelle coutume ? Lors ce même religieux, étant en prière, ravi en extase, entendit quelque voix qui disait : C’est d’autant que cette femme est aimée de Dieu, et elle est venue pour cette raison en ce monastère, afin qu’elle amasse sur cette montagne des fleurs qui serviront de médecine à toutes les nations qui sont même au delà de la mer et aux contrées les plus éloignées.

Ce religieux s’appelait Géréchinus ; il fut d’une telle vie et telle sainteté qu’il ne sortit jamais hors du monastère l’espace de quarante ans, mais jour et nuit vaquait à l’oraison ; il obtint de Dieu cette grâce particulière qu’il voyait en son oraison quasi continuellement les neuf chœurs des anges ; et en l’élévation du corps de Jésus-Christ, il le voyait en la forme d’un petit enfant.

ADDITION

D’abondant le Frère Géréchinus vit une fois dans ledit monastère d’Alvastre, sainte Brigitte élevée en l’air, avec un fleuve qui sortait de sa bouche. Et pour lors, étant en oraison, il entendit en esprit qu’on lui parlait ainsi : C’est la femme qui, venant des confins de la terre, donnera la sagesse à des peuples innombrables, et vous aurez ce signe qu’elle vous dira la fin de votre vie, qu’elle a apprise de la bouche de Dieu, et vous vous réjouirez en son arrivée et en ses paroles, et votre désir sera promptement accompli, afin que vous ne voyiez le mal que Dieu Doit envoyer sur cette maison.

On dit encore de ce religieux qu’une fois son abbé lui ayant commandé d’aider à ceux qui faisaient le pain, lui qui n’était pas versé en ce métier de boulangerie, parla ainsi à une certaine image de la Vierge Marie, qui était peinte en la muraille, l’honorant suivant sa coutume : Très chère Maîtresse, le Père abbé m’a commandé de travailler avec les boulangers : mais vous savez que je n’entends point la boulangerie. Toutefois je ferai suivant votre volonté.

L’ange lui répondit : Fais ce que tu as fait jusques ici, et moi en ta place je servirai en la boulangerie. Et il fut fait ainsi, sans que ceux qui y travaillaient en sussent rien, croyant seulement que Frère Géréchinus travaillait là en personne avec eux, conçoit néanmoins qu’il fût en prière et en oraison dans l’église.

On raconte encore du même Frère (Livre IV, Chap. 121), que le diable lui apparut et lui dit : etc.

   

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