CHAPITRE 48
Pourquoi la parole de Dieu est obscure, etc.
La Mère de Dieu parle à
l’épouse, disant : Ma fille, je vous ai dit ci-dessus quelle était
la dernière lettre que je devais envoyer à ce roi, mon ami, ce qu’il
faut entendre de celles qui touchent sa personne en particulier, et
à moi. Si quelqu’un entendait chanter quelque chose utile qui
appartînt à son ami, et qu’il le lui rapportât certainement, soit
que cela fût un cantique de joie ou une lettre de répréhension
salutaire, ils seraient dignes de récompense l’un et l’autre, celui
qui l’a chantée et celui qui l’a rapportée.
De même en est-il de la
justice justifiante de Dieu en l’équité et en la miséricorde, qui
veut chanter la justice et la miséricorde. Quiconque donc voudra
ouïr, qu’il oie. Ce n’est point une lettre de répréhension, mais un
cantique de justice et d’amour, car jadis, quand on envoyait une
lettre à quelqu’un, elle contenait répréhension et avertissement ;
elle reprenait d’ingratitude des bénéfices et avertissait de la
conversion des mœurs. Mais maintenant la justice divine chante un
beau cantique qui touche à tous : celui qui l’entendra et le recevra
en croyant et en faisant de bonnes œuvres, trouvera le fruit de
salut et le fruit de la vie éternelle.
Mais vous me pourriez
demander pourquoi les paroles divines sont si obscures qu’on les
peut interpréter en diverses manières, et que quelquefois elles sont
autrement entendues de Dieu, autrement des hommes.
Je réponds : Dieu est
semblable à un homme qui fait du vin ardent, ou bien de l’eau
ardente, qui se fait du vin : celui-là a plusieurs alambics ou
tuyaux, par lesquels tantôt le vin monte et tantôt descend par
l’action de la chaleur, jusques à ce qu’il soit parfait. Dieu en
fait de même en ses paroles, car quelquefois il monte par les effets
de sa justice ; quelques autres fois il descend par les effets de sa
miséricorde, comme cela paraît par le roi à qui le prophète dit
qu’il mourrait et que la justice le voulait. Puis il lui ajouta
plusieurs années de vie par la miséricorde.
Quelquefois Dieu
descend par la simple prolation de sa parole De sa parole et
manifestation corporelle, mais il descend aussi par l’intelligence
spirituelle, comme en David, à qui plusieurs choses ont été dites
sous le nom de Salomon ; mais elles ont été accomplies comme elles
avaient été entendues du Fils de Dieu et par lui. Quelquefois il
parle des choses futures comme des choses passées, et touche
semblablement le présent et le futur, d’autant qu’en Dieu toutes
choses sont présentes, le passé et le futur, quasi comme un point.
Vous ne devez admirer
si Dieu parle par des manières obscures ; cela se fait pour quatre
raisons :
1° Afin que Dieu montre
sa grande miséricorde, de peur que quelqu’un, oyant la fureur de sa
justice, ne désespère de la miséricorde, car quand l’homme change la
volonté de pécher, Dieu change aussi alors la rigueur de sa
sentence.
2° Afin que, croyant à
la justice et aux promesses, nous soyons couronnés plus largement, à
raison de la foi et de l’espérance amoureuse. Si on savait les
conseils de Dieu avec certitude de temps, quelques-uns se
troubleraient pour les cas et avènements contraires ; d’autres se
désisteraient par dégoût de la ferveur de leurs désirs ; et partant,
à raison de ces choses, quand j’écris à quelqu’un quelques paroles,
il n’est pas exprimé en la conclusion, savoir, si ces paroles seront
reçues et crues avec effet ou non ; ni aussi il n’est pas déclaré
s’il les recevra, s’il y croira, et s’il y répondra avec effet ou
non, car il n’est pas permis de savoir cela.
3° Afin qu’aucun ne
présume malheureusement de discuter et éplucher mes paroles, car
c’est lui qui abaisse et humilie les grands, et qui des ennemis fait
des amis.
4° Afin que celui qui
cherche occasion de savoir, la trouve, que ceux qui sont corrompus,
le soient encore, et afin que les bons soient manifestés.
Le Fils de Dieu parlait
après et disait : Si quelqu’un parlait à un autre par un tuyau ayant
un trou, et disait à celui qui écoute : Vous n’entendrez jamais plus
ma voix par ce trou, serait-il à reprendre, si après il parlait par
les autres deux ? De même en est-il maintenant en notre pourparler,
car bien que ma Mère la Sainte Vierge ait dit que c’était la
dernière lettre qui serait envoyée au roi, il faut entendre touchant
sa personne. Mais maintenant, moi, Dieu, qui suis en ma Mère et ai
ma Mère en moi, j’enverrai mon messager au roi, tant pour ceux qui
vivent que pour la postérité. La justice donc et la miséricorde sont
en Dieu de toute éternité, car de toute éternité cette justice fut
en Dieu, car il est avant le temps tout plein de sapience et de
puissance. Il voulut aussi que plusieurs participassent à sa bonté,
et partant, il créa les anges. Quelques-uns d’eux, considérant leur
beauté, désirèrent s’élever par-dessus Dieu : partant, ils tombèrent
et devinrent des démons sous les pieds de Dieu.
Et encore en ces
choses, Dieu exerce la miséricorde, car quand le diable accomplit le
mal qu’il désire, il se console en quelque manière de sa malice, ce
qu’il ne pourrait, si Dieu ne le lui permettait, non que pour cela
la peine du Diable diminue, mais comme un malade se console, voyant
que son ennemi est mort, bien que la douleur de sa maladie ne
diminue point pour avoir ouï une telle nouvelle, de même le diable,
à raison de l’envie dont il brûle que Dieu fasse justice contre les
hommes, se réjouit, et quasi la soif de sa malice est étanchée par
cela. Mais Dieu, voyant la diminution de ses troupes angéliques,
créa, après la présomption des diables, l’homme, pour obéir à ses
commandements et afin qu’il se sanctifiât, jusques à ce qu’autant
d’hommes montassent au ciel qu’il en était descendu d’anges.
L’homme donc, ayant été
créé parfait et ayant eu le commandement de vie, ne considéra pas
Dieu, ne pensa pas à lui ni à l’honneur qui lui est dû, mais
consentant à la suggestion du diable, enfreignit le commandement,
disant : Mangeons du fruit défendu, et nous saurons, comme Dieu, le
bien et le mal. Or, Adam et Ève ne voulaient point mal à Dieu, comme
le diable, ni ne voulaient pas s’élever par-dessus Dieu, mais
voulaient être sage comme Dieu : partant, ils sont tombés, non
certes comme le démon, car il portait envie à Dieu, c’est pourquoi
sa misère n’aura point de fin.
Mais l’homme a voulu
autre chose que Dieu, c’est pourquoi il a souffert et mérité la
justice avec la miséricorde. Or, ils ressentirent la justice, quand
ils obtinrent la nudité pour la robe de gloire, la faim pour
l’abondance, les vers et les tentations pour la tranquillité, le
labeur pour le repos. Ils ont encore obtenu soudain La miséricorde,
savoir, un vêtement pour la nudité, de la viande pour la faim,
l’assurance de leur union pour la propagation de la prospérité.
Certainement Adam fut d’une vie fort honnête, et n’eut jamais autre
femme qu’Ève.
Dieu fait aux âmes
miséricorde et justice. Dieu a fait trois choses grandement
excellentes :
1° les anges, qui sont
esprit, et non chair ; 2° l’homme, qui a l’esprit et la chair 3°
les animaux, qui ont la chair, mais non pas une âme intelligente et
raisonnable comme l’homme. Or, l’ange, qui est un esprit, est uni
incessamment avec Dieu, c’est pourquoi il n’a pas besoin l’aide
humain ; mais l’homme, qui est chair, n’est pas toujours si uni à
Dieu que ce qui est mortel ne soit séparé de l’esprit. Et afin que
l’homme subsistât, Dieu lui créa l’animal irraisonnable, pour le
secourir, le servir et lui obéir, Dieu exerce sa miséricorde en ces
animaux en quelque manière : ils n’ont point les appréhensions de la
mort ; il se contentent d’une vie simple.
Après, le déluge étant
passé, Dieu fit aussi miséricorde avec justice, car Dieu pouvait
bien, s’il l’eût voulu, introduire en peu de temps son peuple
d’Israël en la terre promise ; mais la justice demandait que les
vases qui devaient tenir et contenir une bonne liqueur, fussent plus
tôt nettoyés et sanctifiés, auxquels aussi Dieu fit de grandes
miséricordes, car un homme, Moïse, priant, leur péché leur fut
pardonné et la grâce divine leur fut donnée. Semblablement, après
l’incarnation, jamais ma justice n’a été sans miséricorde.
Or, lors une voix cria
très-haut, disant : O Mère de miséricorde, Mère du roi éternel !
obtenez-nous la miséricorde. Les prières et les larmes du Roi, votre
serviteur, sont venues à vous. Nous savons que la justice veut que
ses péchés soient punis, mais obtenez-nous la miséricorde, afin
qu’il se convertisse, fasse pénitence et honore Dieu.
L’Esprit répondit : Il
y a en Dieu quatre sortes de justice : La première est que celui qui
est incréé et de toute éternité soit honoré sur toutes choses, car
en lui et par lui sont unies et subsistent toutes choses. La
deuxième est que tous servent celui qui a été toujours, qui est, et
qui est né en son temps déterminé, et qu’il soit aimé avec toute
pureté. La troisième justice est qu’à celui qui est de sa nature
impassible et a été passible en l’humanité, et qui, ayant pris la
mortalité, a mérité à l’homme l’immortalité, soit désiré plus que
tout ce qui se peut désirer. La quatrième justice est que ceux qui
sont inconstants et volages cherchent la vraie constance, et que
ceux qui sont plongés dans les ténèbres désirent la lumière,
c’est-à-dire, le Saint-Esprit, demandant son aide avec contrition et
vrai humilité.
Mais quand à ce roi,
serviteur de la Mère de Dieu, pour lequel est maintenant la
miséricorde, la justice dit qu’il ne lui reste pas assez de temps
pour purifier les péchés commis contre la miséricorde divine, comme
la justice l’exige, ni même son corps ne pourrait souffrir les
peines que ses péchés méritent. En vérité la miséricorde de la Mère
de Dieu a impétré et mérité la miséricorde pour son serviteur, afin
qu’il oie et voie ce qu’il a fait, et comment il se pourra amender,
s’il se veut convertir, s’amender et s’exciter à contrition.
Et soudain je vis au
même instant au ciel une maison d’une grandeur et d’un éclat
admirables. En la maison, il y avait un pupitre, et en icelui un
livre, et devant ce livre l’ange et le diable, l’un desquels,
savoir, ce diable, parlait, disant : Mon nom est Hélas. Cet ange et
moi suivons une chose désirable à nous, car nous voyons que Dieu
tout-puissant propose de grandes choses pour bâtir, et c’est
pourquoi nous travaillons, l’ange pour la perfection de la chose, et
moi pour sa destruction. Mais il arrive que quand cette chose
désirable vient quelquefois en mes mains, elle est de tant de
ferveur et chaleur que je ne la puis tenir ; mais quand elle vient
aux mains des anges, elle est si froide et si glissante qu’elle
retombe soudain de leurs mains.
Et quand je considérais
attentivement et regardais sur le pupitre, mon esprit ne pouvait
comprendre avec toute sa considération comme il était, ni mon âme ne
comprit jamais sa beauté ni son éclat, ni l’ange ne le saurait
exprimer.
L’aspect de ce pupitre
était comme un rayon de soleil, ayant la couleur rouge et blanche et
d’or reluisant. La couleur d’or était reluisante comme un soleil ;
la couleur blanche était comme de la neige très-blanche, et la rouge
comme la rose rouge ; et chaque couleur, par une admirable
disposition, était vue en l’autre. En effet, quand je regardais la
couleur d’or, je voyais la blanche et la rouge en elle, et ainsi
dans chaque couleur je voyais les autres ; néanmoins l’une était
distincte et séparée de l’autre, mais en tout elles semblaient
égales. Mais lorsque j’ai regardé en haut, je n’ai pu comprendre sa
hauteur, largeur et longueur, car toutes choses étaient en ce
pupitre d’une grandeur incompréhensible.
Après, je vis en ce
pupitre un livre resplendissant comme l’or très-éclatant. Ce livre
était ouvert ; il n’était pas écrit avec de l’encre, mais chaque
parole était vivante en ce livre et parlait d’elle-même, comme si
quelqu’un disait : Faites cela ou cela ; et soudain cela était fait
à l’émission de la parole. Pas un ne lisait l’écriture du livre,
mais tout ce que l’écriture contenait se voyait tout au pupitre et
en ses couleurs.
Je vis devant ce
pupitre un roi qui vivait au monde ; à gauche du pupitre, je vis un
autre roi mort qui était en enfer ; à droite je vis aussi un autre
roi mort qui était en purgatoire. Le roi vivant susdit était comme
dans un globe de verre, assis et couronné. Sur le globe pendait un
glaive à trois pointes, horrible, s’approchant du globe à tous les
moments, comme fait l’aiguille de l’horloge à son signe.
A la droite du même roi
vivant était un ange qui avait un vase d’or et un sein ; à gauche
était le diable, ayant des tenailles et un marteau, et tous deux
combattaient à qui s’approcherait de plus près du globe de verre
pour le rompre.
Lors j’ouïs une voix
horrible du diable qui disait : Jusques à quand ceci sera t-il ?
Nous poursuivons tous deux une même proie, mais nous ignorons à qui
elle sera.
Et soudain la justice
divine parla et me dit : Ce qui vous est montré n’est pas corporel,
mais spirituel. L’ange et le diable ne sont pas corporels, mais ceci
se fait de la sorte, d’autant que vous ne pouvez pas comprendre les
choses spirituelles que par des similitudes corporelles. Le roi vous
paraît vivant dans le globe de verre, d’autant que la vie n’est que
comme du verre fragile qui se casse en un moment. Le glaive à trois
pointes, c’est la mort, qui fait trois choses quand elle vient :
elle débilite le corps, change la conscience, mortifie toutes les
forces, divisant comme un glaive l’âme de la chair.
Or, quand à ce que
l’ange et le diable semblent se débattre sur le globe de verre, cela
signifie qu’un chacun veut avoir l’âme du roi, qui sera adjugée à
celui aux conseils duquel elle obéira le plus. Quand à ce que l’ange
a un vase et un sein, cela signifie que comme l’enfant se repose au
sein de sa mère, de même l’ange s’efforce que l’âme soit présentée à
Dieu comme en un vase, et qu’elle se repose au sein de la divine
consolation. Quand à ce que le diable a des tenailles et des
marteaux, cela signifie que le diable attire l’âme par les tenailles
d’une maudite délectation, et la lâche par le marteau dans le cours
et penchant de ses péchés. Quand au globe de verre, quelquefois trop
ardent, quelquefois lubrique et trop froid, il signifie
l’inconstance du roi, car étant assailli par les tentations
fâcheuses et importunes, il pense à part soi : Bien que je sache que
j’offense Dieu, j’accomplirai pourtant la pensée de mon esprit pour
cette fois, car je ne puis plus pour le présent m’en retirer. Et de
la sorte, je pèche sciemment contre Dieu, et péchant sciemment, je
tombe entre les mains du diable. Après, le roi se confessant et
s’excitant à la contrition, s’évade et s’affranchit des griffes de
Satan, et vient en la puissance du bon ange ; et partant, si ce roi
ne quitte son inconstance, il est en grand danger ; son fondement
est fort débile et mal assuré.
Après, je vis à l’autre
bout du pupitre cet autre roi mort qui fut, tout revêtu des habits
royaux, damné dans l’enfer. Je le voyais mort, pâle et très-hideux.
Il y avait devant sa face une roue ayant quatre lignes à
l’extrémité. Cette roue tournait à la volonté du roi, et les lignes
montaient et descendaient selon son plaisir, car le mouvement de la
roue était en la puissance du roi. Les trois lignes étaient écrites,
mais en la quatrième, il n’y avait rien d’écrit.
Je vis encore à la
droite de ce roi un ange très-beau, les mains duquel étaient vides,
et il servait au pupitre. Il y avait à gauche un diable horrible, la
tête duquel était comme celle d’un chien ; son ventre était profond
et insatiable, son nombril ouvert, bouillant là dedans du venin
coloré, puant et pestifère ; en chaque pied il avait trois ongles,
grands, fort et aigus.
Or, lors un qui était
là, luisant comme le soleil, me dit : Ce roi que vous voyez est
misérable, la conscience duquel vous sera maintenant manifestée quel
il a été en son royaume, et quel en ses intentions quand il mourait.
Or quelle a été sa conscience avant qu’il régnât ? Vous ne le savez
pas. Néanmoins, sachez que son âme n’est pas devant vos yeux, mais
bien sa conscience. Et d’autant que l’âme et le diable ne sont pas
corporels, mais spirituels c’est pourquoi les supplices et tourments
du diable vous sont montrés par des similitudes corporelles.
Et soudain ce roi mort
commença à parler, non de la bouche, mais comme du cerveau, et dit :
O mes conseillers, telle est mon intention, car tout ce qui est
sujet à la couronne de mon royaume, je le veut posséder et
conserver. Je le veux encore m’efforcer d’amplifier et étendre mon
royaume, et non le diminuer. Or, de quelle manière ce que je possède
a été obtenu, je ne veux point m’en enquérir : il me suffit de le
défendre et de l’augmenter.
Et lors le diable
s’écria, disant : Voilà qui est troué : qu’est-ce que mes griffes y
feront ?
Lors la justice
répondit du livre : Mettez dans le trou une griffe, et tirez-le à
vous.
Et soudain que la
justice eut prononcé cette parole, la griffe y fut mise. Et soudain
vint le marteau de la miséricorde, par lequel le roi pouvait casser
la griffe, s’il eût cherché en toutes choses la vérité et s’il eût
changé sa volonté en mieux.
Le même roi parla
encore et dit : O mes conseillers et mes hommes, vous m’avez pris en
seigneur, et moi je vous ai pris en conseillers. Je vous montre,
dans mon royaume, un homme qui a traité de mon honneur et de ma vie,
qui dresse des embûches à mon royaume, qui trouble le repos public
et le bien commun du royaume. Si donc un tel homme est toléré, la
république se perdra, les discordes la mineront, et les maux
d’intestins s’augmenteront dans le royaume. Les doctes et les
idiots, les grands et les petits croient à mes paroles, de sorte que
cet homme que j’avais diffamé de trahison, fut grandement blâmé,
souffrit du mal et fut confus, et on donnait sentence de l’envoyer
en exil. Ma conscience néanmoins savait bien quelle était la vérité
sur ce fait, que j’avais dit faussement force choses contre cet
homme pour l’ambition du royaume et pour crainte de ne régner, afin
que mon honneur se dilatât, et afin que le royaume me fût plus
assuré et à la postérité. J’ai pensé aussi à part moi : Bien que je
susse la vérité comment le royaume m’avait été acquis et comment cet
homme avait été blâmé, si toutefois je le reçois encore en grâce et
si je dis la vérité, tout l’opprobre et tout le dommage fondront sur
moi. Et partant, je résolus en mon esprit de mourir plutôt que dire
la vérité, et que de révoquer mes paroles et mes faits, quoi
qu'injustes.
Lors le diable
répondit : O Juge, voyez en quelle manière ce roi me donne sa
langue.La Justice divine répartit : Mettez-lui un lacet.
Et soudain que le lacet
lui fut mis, devant la bouche de ce roi pendait un fer très
très-aigu, avec lequel il pouvais couper le lacet, s’il eût voulu.
Le même roi dit : O mes
conseillers, je me suis conseillé des prêtres et des docteurs de
l’état de mon royaume, qui me disaient que si je consignais mon
royaume ès mains d’autrui, je serais la ruine de plusieurs, le
traître de la vie et de l’honneur, et le violateur de la justice et
des lois. Et partant, afin que je retienne mon royaume pour moi et
que je le défende des corsaires, il nous faut inventer quelque chose
de nouveau, car les anciens revenus prévenus du fisc ne sont point
suffisants ni capables pour le gouvernement et la défense du
royaume : partant, j’ai inventé quelques nouvelles impositions de
tributs et des actions trompeuses pour mettre sur mon royaume, au
dommage de plusieurs citoyens de mon royaume, voire de plusieurs
innocents qui ne font que passer leur chemin, et de plusieurs
marchands. J’ai résolu de persévérer en ces nouvelles inventions
d’impositions jusques à la mort, bien que la conscience me dicte que
c’est contre Dieu, contre ma justice et l’honnêteté publique.
Et lors le diable
s’écria, disant : O Juge, ce roi a abaissé les deux mains sur mon
vase plein d’eau : que dois-je donc en faire ?
La Justice répondit :
Épanchez sur celles-ci votre venin.
Et lors le diable ayant
épandu son venin, soudain vint un vase d’onction par lequel ce roi
pouvait anéantir ce venin. Et lors le démon cria hautement, disant :
Hélas ! je vois une chose admirable et inscrutable, car mon crochet
est mis dans le cœur de ce roi ; et soudain il lui a été offert en
son sein un grand marteau. Mon lacet était en sa bouche, et un fer
tranchant lui est soudain offert. Mon venin a été épandu en ses
mains, et on lui offre encore un vase d’onction.
La Justice répondit du
livre qui était au pupitre, disant : Toutes choses ont leur temps.
La miséricorde et la justice s’en vont au-devant.
Après cela, la Mère de
Dieu me parlait, disant : Venez ma fille ! Voyez, oyez qu’est-ce que
le bon esprit suggère à l’âme, et ce que lui suggère le malin
esprit, car tout homme reçoit des influences et visites, quelquefois
du bon esprit, quelquefois du malin, et il n’y en a pas un qui ne
soit visité de Dieu tandis qu’il vit.
Et soudain le même roi
apparut mort, l’âme duquel le bon esprit inspirait, pendant qu’il
vivait, en cette manière : O mon ami, vous êtes obligé d’obéir à
Dieu de toutes vos forces, car il vous a donné la vie, la conscience
l’entendement, la santé et l’honneur ; et d’ailleurs, il vous a
conservé lorsque vous étiez en péché.
La conscience du roi
répondit par une similitude : Il est vrai, dit elle, que je suis
tenu de servir Dieu, par la puissance duquel je suis créée et
rachetée ; par la miséricorde duquel je vis et je subsiste.
Et au contraire,
l’esprit malin suggérait au même roi : Mon frère, dit-il, je vous
conseille bien : faites comme celui qui a accoutumé de nettoyer les
pommes : il jette la peau et garde tout ce qui est bon : faites-en
de même, car Dieu est humble et miséricordieux, patient et n’ayant
besoin de personne. Donnez donc vos biens, desquels commodément vous
vous pouvez passer, mais gardez pour vous ce qui vous est utile et
agréable. Faites aussi tout ce qui déleste la chair, car vous
pourrez vous amender facilement, et ce qu’il ne vous plaît de faire,
ne le faites pas, bien que vous en soyez tenté ; et au lieu de cela,
donnez l’aumône, car de là plusieurs peuvent être consolés.
La conscience du roi
répondit : C’est un bon conseil. Je pourrai de fait donner quelque
chose du mien, duquel je n’ai point besoin, que Dieu répute
néanmoins grande chose. Le reste, je le garderai pour mes propres
usages et pour acquérir l’amitié de plusieurs.
Après, l’ange qui avait
été donné pour la garde du roi parla par des inspirations, disant au
roi : O mon ami, pensez que vous êtes mortel et que vous mourrez
bientôt ; que Dieu est juste et patient ; qu’il examine toutes vos
pensées et vos œuvres, depuis le commencement jusques à la fin ;
qu’il indique toutes vos pensées, paroles et œuvres, et ne laisse
rien indécis. Partant, servez-vous raisonnablement du temps de vos
forces ; composez vos membres pour l’utilité de votre âme ; vivez
modestement, n’accomplissant point les désirs de la chair, car ceux
qui vivent selon la chair et selon leurs voluptés n’arrivent jamais
en paradis.
Et soudain le malin
esprit suggéra au roi d’autres mauvaises pensées, disant : O mon
frère, si vous devez rendre raison à Dieu de toutes les heures et
moments, quand est-ce que vous vous devez réjouir ? Or, écoutez mon
conseil : Dieu est miséricordieux et il est facilement apaisé, car
il ne vous eût pas racheté, s’il vous eût voulu perdre : c’est
pourquoi l’Écriture dit que tous les péchés sont remis par la
contrition. Faites donc comme fit un certain homme fin et rusé, qui
devais payer à son créditeur vingt livres d’or : il n’avait pas de
quoi payer ; il vint à son amis pour prendre conseil ; celui-ci lui
conseilla de prendre vingt livres de cuivre, de les dorer d’une
livre d’or, et ainsi dorées, les bailler au créditeur en paiement.
Or, faisant selon le conseil que son ami lui avait donné, il paya à
son créditeur, et réserva pour lui dix livres d’or pur. Faites-en de
même : disposez les dix-neuf heures du temps à la délectation et au
plaisir de votre corps. Il vous suffit d’employer une heure pour
vous exciter à la douleur et contrition de vos péchés. Faites donc
sans craindre, avant et après la confession, tout ce qui vous plaît
et délecte, car comme le cuivre doré semble tout or, de même les
œuvres du péché, qui sont désignées par le cuivre, dorées par l’or
de la charité, seront blanchies et reluisantes comme de l’or.
Lors la conscience du
roi répondit : Ce conseil semble délectable et raisonnable, car
faisant de la sorte, je puis disposer tout mon temps selon mon
contentement et ma joie.
Après, le bon ange
parla au roi par ses inspirations, lui disant ; O mon ami, pensez,
1° comment Dieu vous a tiré du ventre de votre mère ; 2° pensez avec
quelle patience Dieu souffre que vous viviez ; 3° considérez avec
quelle amertume il vous a racheté de la mort éternelle.
Mais le diable lui
suggérait le contraire, disant au roi : O frère, si Dieu vous a tiré
du ventre étroit de votre mère pour vous mettre dans la largeur du
monde, pensez aussi qu’il vous tirera derechef du monde par une dure
mort ; et si Dieu permet que vous viviez longuement, considérez que
vous avez au monde beaucoup de tribulations et d’adversités. Si Dieu
vous a racheté par une dure mort, qui la contraint à cela ? Vous ne
l’en avez point prié.
Le roi répondit en sa
conscience : Il est vrai, ce que vous me suggérez ; je suis pourtant
plus marri qu’il me faille mourir que de ce que je suis né, car il
m’est plus fâcheux de souffrir les adversités du monde que toute
autre chose. J’aimerais donc mieux, si l’option m’était donnée,
vivre dans le monde sans tribulations et y être consolé, que d’être
séparé du monde. J’aimerais aussi mieux avoir la vie perpétuelle au
monde avec la félicité mondaine, que d’avoir été racheté par le sang
de Jésus-Christ, car je ne me soucierais point d’être au ciel, si je
pouvais jouir du monde selon mes souhaits.
Et lors j’ouïs du
pupitre une voix qui disait : Retirez du roi le vase d’onction, car
il a péché contre Dieu le Père, car Dieu le Père, qui est
éternellement dans le Fils et le Saint-Esprit, a donné par Moïse la
loi vraie et droite. Mais ce roi a fait une loi toute contraire et
méchante. Mais d’autant que ce roi fais quelque peu de bien, quoique
non pas avec bonne intention, c’est pourquoi le royaume lui sera
conservé durant le cours de sa vie, afin qu’il soit ainsi récompensé
dans le monde.
La parole de Dieu parla
derechef du pupitre, disant : Ôtez la parole subtile de devant les
yeux du roi, car il a offensé le Fils de Dieu, qui lui même dit en
l’Évangile que justice sans miséricorde sera faite à celui qui n’a
point fait miséricorde. Or, ce roi n’a point voulu faire miséricorde
à celui qui était justement affligé, ni corriger son erreur, ni
changer sa méchante volonté. Mais d’autant qu’il a fait quelque peu
de bien, on lui donnera quelque récompense. Qu’il ait donc la parole
de sapience en la bouche et qu’il soit estimé sage de tous.
En troisième lieu, la
parole de Justice parla et dit : Qu’on ôte au roi le marteau, car il
a péché contre le Saint-Esprit, car le Saint-Esprit pardonne les
péchés à tous ceux qui s’en repentent ; mais ce roi a résolu de
croupir en iceux tout le temps de sa vie ; néanmoins il fait quelque
peu de bien. Partant, qu’on lui donne ce qu’il désire pour le
contentement du corps, savoir, la femme qu’il désire en épouse pour
le plaisir, et afin qu’il obtienne une belle et désirable fin de
vie, selon le jugement du monde.
Après cela, la fin de
la vie du roi s’approchant, le diable dit : Voilà que le vase
d’onction, est ôté : partant, je l’empêcherai de faire de bonnes
œuvres.Et soudain que la parole du diable fut prononcée, le roi fut
privé de la force et de la santé, et soudain le diable dit : Le fer
tranchant est ôté. Partant, j’appesantirai et serrerai mon lacet.
Et soudain le roi fut
privé de sa parole, et en ce point, la Justice parlait au bon ange
qui avait été commis à la garde du roi, disant : Cherchez dans la
roue, voyez laquelle des lignes tend en haut, et lisez son écriture.
Et voici que la
quatrième ligne tendait en haut, ou il n’y avait rien d’écrit, mais
elle était comme une roue rasée. Et lors la Justice dit : D’autant
que cette âme a aimé ce qui était vain, qu’elle aille donc à son
rémunérateur.
Et soudain l’âme du roi
a été séparée du corps. Et l’âme étant entièrement séparée, le
diable cria soudain, disant : Je romprai le cœur de ce roi, car je
possède son âme.
Et soudain je vis comme
ce roi était changé depuis la tête jusques aux pieds, et paraissait
horrible comme un animal écorché. Ses yeux étaient arrachés, et sa
chair était comme toute hachée. Puis on ouït sa voix plaintive :
Malheur à moi qui me suis aveuglé comme un petit chien qui est né en
sa cécité, cherchant le derrière de ma mère, n’ayant voulu voir, à
raison de mon ingratitude, les mamelles de ma mère ! Malheur à moi
qui vois, dans ma cécité, que je ne verrai jamais Dieu ! Hélas ! ma
conscience comprend maintenant pourquoi je suis tombé, qu’est-ce que
je devais faire et que je n’ai pas fait.
Malheur à moi qui, par
la providence divine, étant né au monde, reçus le baptême, et ai
négligé et oublié Dieu ! Et d’autant que je n’ai pas voulu boire le
lait de la douceur divine, je suis maintenant plus semblable à un
chien aveugle qu’à un enfant vivant et voyant. Or, bien que je sois
roi, je suis contraint de dire la vérité contre ma volonté, car je
suis comme lié de trois cordes, et j’étais obligé de doucement
servir Dieu par la promesse du baptême, à raison du saint Sacrement
du mariage et de la couronne. Mais j’ai méprisé le premier, quand je
convertis mes actions vers le monde ; je ne considérais le second,
quand je désirais la femme d’autrui. J’ai négligé le troisième,
quand je me rendais orgueilleux de la puissance terrestre et ne
considérais point la puissance céleste. Partant, bien que je sois
aveugle maintenant, je vois pourtant en ma conscience que, pour le
mépris que j’ai eu du baptême, je dois être lié à la rage du diable,
et je dois souffrir et chercher les plaisirs de Satan en vengeance
de mes voluptés charnelles. A raison de ma superbe, je dois être lié
aux pieds de Satan.
Le diable dit alors : O
frère, il est temps maintenant que je te parle, et qu’en parlant,
j’exécute. Viens donc à moi, non avec charité, mais avec haine.
J’étais le plus beau des anges, mais toi, tu étais homme mortel.
Dieu tout-puissant m’a donné le libre arbitre ; mais d’autant
qu’avec dérèglement je le tournai plutôt à haïr Dieu qu’à l’aimer,
afin que j’excellasse par-dessus lui, à raison de cela, je suis
tombé comme celui qui a la tête en bas et les pieds en haut. Mais
toi, comme tout autre homme, tu as été créé après ma chute et as
obtenu un privilège spécial sur moi, savoir, tu as été racheté par
le sang du Fils de Dieu, et non pas moi. Mais d’autant que vous avez
méprisé le sang du Fils de Dieu et son amour, tournez votre tête à
mes pieds, et je prendrai de ma bouche vos pieds, et nous serons
ainsi conjoints ensemble comme ceux-là dont l’un met le couteau au
cœur de l’autre, et celui-ci dans les entrailles du premier.
Percez-moi donc de votre colère, et je vous percerai de la fureur de
ma malice. Et d’autant que j’avais une tête, c’est-à-dire, le
pouvoir d’honorer Dieu, si j’eusse voulu, et que vous aviez des
pieds et de la force pour aller honorer Dieu, et n’avez pas voulu,
partant, il consumera mes pieds par le feu et roidira vos pieds par
le froid.
Vous brûlerez
incessamment, mais vous ne serez pas consumé ; voire vous serez
renouvelé dans les feux. Lions-nous aussi avec trois cordes : la
première liera votre nombril et le mien, afin que, quand je
soufflerai, je verse mon venin en toi, et quand tu souffleras,
j’attire en moi toutes tes entrailles, et avec raison, car tu as
plus aimé toi-même que ton Créateur, et moi aussi je me suis plus
aimé moi-même que mon Créateur. Avec la deuxième nous lierons ta
tête à tes pieds, et avec la troisième, mes pieds et ta tête.
Après, je vis ce diable
qui avait trois ongles très-aigus en chaque pied, et il dit au roi :
D’autant que vous, ô frère, aviez des yeux pour voir la voie de la
vie, et une conscience pour discerner le bien du mal, partant, deux
de mes ongles perceront vos yeux. Le troisième ongle entrera en
votre bouche ; vous en serez tellement affligé que toutes choses
vous en seront amères, d’autant que l’offense de Dieu vous était au
commencement à goût.
Ces choses étant dites,
ils furent conjoints en la manière susdite, et tous deux liés
descendirent en l’abîme infernal. Et lors j’ouïs une voix qui
disait : Hélas ! hélas ! qu’est-ce que le roi a maintenant de toutes
ses richesses ? Certainement, il n’a plus autre chose que
damnation. Que lui reste-il de tous les honneurs que honte ? Que
lui reste-il de la cupidité et ambition de régner, si ce n’est que
peine ? Il a été oint de l’huile sacrée, consacré par paroles
saintes ; sa tête a été ornée d’une couronne royal, afin qu’il
honorât les paroles et les œuvres de Dieu, défendit et protégeât son
peuple et régnât, qu’il sût qu’il était sous les pieds du roi
Jésus-Christ, et que Dieu était son rémunérateur. Mais d’autant
qu’il a méprisé d’être sous les pieds de Dieu, il est maintenant
sous les pieds du diable ; et n’ayant voulu rédimer son temps par
des bonnes œuvres, le pouvant faire, il n’en aura jamais plus le
temps !
Après cela, la Justice
du pupitre me disait : Toutes ces choses que je vous ai décrites au
long s’y sont passées en un point devant Dieu : mais vous, qui êtes
corporel, devez entendre les choses spirituelles par les
corporelles. Quand à ce que vous avez vu ce roi, ouï l’ange et le
diable parler ensemble, ce ne sont qu’inspirations et influences du
bon ou du mauvais esprit, faites par elles-mêmes ou par les
conseillers du roi.
Quand le diable criait
que la muraille était percée, cela se devait entendre que l’âme du
roi était percée par le péché, lorsqu’il disait qu’il voulait tenir
et retenir tout ce qui était sous sa couronne, quoique cela fût mal
acquis, s’endurcissant en cela, sans se vouloir informer sur ce qui
lui appartenait justement et ce qu’il avait injustement, et
lorsqu’il ne se soucia point de savoir comment la justice se rendait
en son royaume. Or, lors le crochet du diable fut mis en l’âme du
roi, quand la tentation de Dieu prévalut en son esprit, et quand il
voulut persévérer en son injustice jusques à la mort.
Quand à ce que le
marteau vient en la poitrine du roi, cela signifie le temps de
contrition, donné au roi ; car si ce roi se fût entretenu en telles
pensées, disant : Hélas ! j’ai péché. Je ne veux plus pécher à
escient ni tenir ce qui est mal acquis ; je m’amenderai donc du
reste ; soudain le crochet de la justice eût été ruiné et brisé par
le marteau de la contrition, et le roi fût arrivé à une bonne voie
et vie. Quand à ce que le diable cria : Voici que le roi me présente
sa langue, et que soudain le lacet y fut mis, le roi ne voulant
point faire grâce à l’homme qu’il avait diffamé, il faut entendre
cela en autre manière, savoir, que quiconque diffame sont prochain à
escient, pour amplifier et étendre sa propre renommée, est régi d’un
malin esprit et doit être lié comme un larron. Or, quand à ce que le
fer aigu est venu devant le roi après le lacet, cela signifie le
temps de changement de correction d’une mauvaise volonté en une
vertueuse action.
Quand donc l’homme
corrige sa faute par une bonne volonté et un bon amendement, une
telle volonté est comme un fer tranchant par lequel on coupe les
lacets du diable et on obtient rémission de ses péchés. Si ce roi
donc eût changé sa volonté et eût fait grâce à cet homme qu’il avait
injurié et diffamé, soudain le lacet du diable eût été coupé ; mais
d’autant qu’il a résolu de mal faire, la justice de Dieu a permis
qu’il s’endurcit de plus en plus.
En troisième lieu, vous
avez vu que lorsque le roi songeait à de nouvelles impositions de
tributs et exactions, le venin fut répandu en ses mains, et tout
cela signifie que les œuvres du roi étaient régies par un esprit
diabolique et par de méchantes suggestions ; car comme le venin
refroidit et inquiète le corps, de même ce roi était sollicité et
inquiété par de malignes suggestions et pensées, en recherchant les
manières comment il pourrait posséder les biens d’autrui et l’or des
vivants ; car quand les viateurs dormaient, ils croyaient que leur
argent était en sa bourse ; et étant éveillés, ils voyaient que leur
argent était en la puissance du roi.
Le vase d’onction qui
vient après le venin signifie le sang de Jésus-Christ par lequel
tout malade est sanctifié et vivifié. Partant, si le roi eût trempé
ses œuvres dans le sang de Jésus par la méditation, et eût prié Dieu
qu’il fût son aide, disant : O mon Dieu, qui m’avez créé et racheté,
je sais que, par votre permission, je suis venu au royaume et à le
couronne : combattez et abattez donc les ennemis qui combattent
contre moi, et payez mes dettes, car les biens de mon royaume ne
suffisent pas ; en vérité j’eusse rendu facile les œuvres et les
fardeaux pour les porter. Mais d’autant qu’il désirait le bien
d’autrui, voulant être vu juste où il savait qu’il était injuste, le
diable a gouverné son cœur, me conseillant et persuadant d’agir
contre les constitutions de l’Église, de faire la guerre et de
tromper les innocents, jusques à ce que la justice divine a dit du
pupitre jugement et équité.
La roue qui se mouvait
selon l’état du roi signifie la conscience du roi, qui, à guise
d’une roue, se tournait et se mouvait, maintenant à la justice,
maintenant à la joie. Les quatre lignes qui étaient en la roue
signifie les quatre volontés que tout homme est tenu d’avoir, savoir
une volonté parfaite, forte, droite et raisonnable.
La parfaite volonté est
aimer Dieu et le désirer sur toutes choses, et c’est ce qui devait
être en la première ligne.
La deuxième volonté est
le désir de faire au prochain toutes sorte de biens comme à soi-même
pour l’amour de Dieu ; que cette volonté soit forte, afin qu’elle ne
soit rompue par la haine ou par l’avarice.
La troisième volonté
est vouloir s’abstenir des désirs charnels et désirer les choses
éternelles ; cette volonté doit être droite, afin qu’on fasse le
tout, non pour plaire aux hommes, mais à Dieu, et ces choses doivent
être écrite en la troisième ligne.
La quatrième volonté
est ne vouloir user du monde que pour la seul nécessité, et encore
raisonnablement.
La roue apparut
renversée en la ligne, d’autant que le roi aimait les plaisirs du
monde, ayant méprisé la dilection divine. En la deuxième ligne était
écrit qu’il avait aimé les honneurs et les hommes du monde.
En la troisième était
écrite la délectation qu’il avait avec dérèglement aux possessions
et richesses du monde. En la quatrième ligne il n’y avait rien
d’écrit, mais tout était vide, en laquelle ligne devait être écrit :
Dilection de Dieu sur toutes choses. Le vide donc de la quatrième
ligne signifie défaut de crainte et dilection divine, car par la
crainte, Dieu est attiré dans l’âme, et par la dilection, Dieu est
uni à l’âme; car si l’homme, en toute sa vie, n’avait point aimé
Dieu, et disait, à la fin de ses jours, de tout son cœur : O Dieu,
je me repens de vous avoir offensé. Donnez-moi votre dilection, et
je m’amenderai ; du reste, un tel homme n’irait point en enfer.
D’autant que le roi n’a pas aimé celui qu’il devait, il a maintenant
la récompense de sa dilection.
Après cela, je vis cet
autre roi à la droite de la Justice, qui était en purgatoire,
semblable à un enfant qui vient de naître, ne pouvant se mouvoir, si
ce n’est lever les yeux. A la gauche du roi, je vis aussi un diable,
la tête duquel était semblable à un soufflet avec un long tuyau. Les
deux bras étaient comme deux couleuvres, ses genoux comme une
presse, ses pieds comme de longs crochets. A la droite du roi était
un bon et bel ange préparé pour l’aider. Et lors j’ouïs une voix qui
disait : Ce roi n’apparut pas être tel que son âme était disposée,
quand elle sortit du corps.
Et soudain le diable
cria au pupitre, disant : Il y a ici quelque chose d’admirable. Cet
ange et moi attendions la naissance de ce roi, lui avec sa pureté,
moi avec mon impureté. Or, cet enfant étant né, la pureté apparut en
sa chair, non pour la conserver, ce que l’ange abhorrant, il ne
voulut toucher l’enfant ; mais moi je le touchai, étant tombé en mes
mains. Je ne savais où le conduire à raison de mon aveuglement et à
raison de quelques rayons de charité qui sortaient de son cœur. Or,
l’ange le voyait et savait où il le voulait amener, mais il ne
pouvais le toucher. Partant, vous qui êtes juste juge, videz et
jugez notre différend.
La parole qui était
dans le pupitre dit : Vous qui parlez, apprenez pourquoi cette âme
du roi est tombée en vos mains.
Le diable répond :
Vous, qui êtes la justice même, avez dit que pas un n’entrerait au
ciel qu’il n’ai restitué ce qu’il tient injustement. Or, cette âme
est toute souillée de ce qu’il a tenu injustement, de sorte que son
corps, son sang, ses veines en étaient nourris et accrus. En second
lieu, votre justice dit qu’il ne faut point amasser de trésor que la
rouille et la teigne démolissent, mais bien ceux qui demeurent
éternellement. Or, en cette âme, ce lieu était vide, où les célestes
trésors doivent être enserrés, et ce lieu-là était plein, où les
grenouilles et les vermisseaux étaient nourris.
En troisième lieu, vous
avec dit qu’il fallait aimer le prochain pour l’amour de Dieu : mais
cette âme a plus aimé son corps que Dieu, et ne s’est aucunement
souciée de la dilection divine, car étant dans la chair, elle se
consolait quand on lui portait le bien d’autrui. Il blessait le cœur
de ses sujets, ne se souciant point du dommage d’autrui, pourvu
qu’il abondât. Il a fait aussi tout ce qui lui a plu, lui a commandé
tout ce qu’il a voulu, et s’est soucié bien peu de l’équité. Voici
donc les causes principales, qui sont suivies d’autres innombrables.
Lors la parole parla
encore du livre de justice, disant à l’ange : O vous, ange gardien
de l’âme, qui êtes en la lumière et voyez la lumière, qui avez le
droit et la vertu pour aider cette âme ?
L’ange répondit : Elle
a eu la sainte foi; elle a cru et espéré que tout péché était effacé
par la contrition et confession; elle a aussi craint Dieu bien moins
qu’elle ne le devait.
D’ailleurs, la justice
parla du livre, disant : O vous, ô mon ange, il vous est maintenant
permis de toucher cette âme, et à toi, diable, il t’est aussi permis
de voir l’éclat de l’âme. Informez-vous donc l’un et l’autre de ce
que cette âme a aimé, quand elle vivait au monde et quand elle était
saine en son corps.
L’un et l’autre
répondirent, savoir, l’ange et le démon : Elle a aimé les hommes et
les richesses.
Et lors la Justice
dit : Qu’est-ce qu’elle aimait, quand elle était agitée des
pressures de la mort ?
Ils répondirent :
Soi-même, car elle était plus en angoisse de l’infirmité de la chair
et de la tribulation du cœur, que de la mort et passion de son
Rédempteur.
D’ailleurs la Justice
leur parlait : Informez-vous encore de ce qu’elle a aimé, et à quoi
son esprit était occupé au dernier période de sa vie, quand elle
avait la conscience saine et l’esprit.
L’ange dit : Elle
pensait : Malheur à moi qui ai été trop osée et effrontée contre mon
Rédempteur ! Plût à Dieu que j’eusse le temps de rendre grâces à mon
Dieu des bienfaits dont il m’a comblée ! Plus d’affliction me donne
d’avoir péché contre Dieu que la douleur de ma chair, bien que je
n’obtienne point le ciel, néanmoins, je voudrais servir mon Dieu.
La Justice répondit du
livre, disant : D’autant que toi, ô diable, tu ne peux voir l’âme en
raison de son éclat, ni vous, ô ange, ne pouvez la toucher à raison
de son impureté, partant, le jugement veut que toi, ô diable, la
purifies; et vous, ô ange, consolez-la jusqu’à ce qu’elle soit
arrivée à la gloire éternelle. Et vous, ô âme, il vous est permis de
regarder l’ange et de prendre consolation de lui. Vous serez
participant au sang de Jésus-Christ, aux prières de sa Mère et de
l’Église.
Or, ces choses étant
ouïes, le diable dit à l’âme : D’autant que vous êtes venue à mes
mains, pleine de viandes et de biens mal acquis, c’est pourquoi je
vous égoutterai maintenant par ma presse.
Et lors le démon mit le
cerveau du roi entre ses genoux semblables à une presse, et le serra
avec tant de violence que toute la moelle s’écoulait et se rendait
déliée comme la feuille d’un arbre.
Le diable dit encore à
l’âme : Le lieu où les vertus devraient être est vide : partant, je
le remplirai. Et lors il mit en l’oreille du roi comme un canal, la
remplissant d’un vent horrible, de sorte que toutes les veines et
les nerfs du roi étaient tous enflés et se rompaient misérablement.
En troisième lieu, le
diable dit à l’âme du roi : D’autant que vous avez été impie et sans
miséricorde envers vos sujets qui vous devaient être comme des
enfants, mes bras vous serreront comme si on vous mordait, car comme
vous avez affligé vos sujets, de même mes bras vous déchireront
comme des serpents, avec une douleur insupportable et horrible.
Après ces trois peines, le diable voudrait aggraver encore les
peines et commencer par la première. Lors je vis l’ange de Dieu
étendre ses mains sur les mains du diable, de peur qu’il ne donnât
autant de peine qu’à la première, et de la sorte, l’ange adoucissait
les peines à chaque fois, et à chaque peine, l’âme élevait ses yeux
vers l’ange, ne disant pourtant rien, mais seulement elle marquait
en son geste qu’elle était consolée par lui, et que bientôt elle
serait affranchie de ses peines.
La voix parlait encore
du pupitre, disant : Toutes les choses qui vous sont montrées avec
tant de sérieux devant Dieu, sont faites devant Dieu en un seul
point; mais d’autant que vous êtes corporelle, il fallait vous
manifester ceci par similitude corporelle. Partant, bien que ce roi
ait été avide des honneurs du monde et de recevoir ce qui ne lui
appartenait point, néanmoins, d’autant qu’il a craint Dieu et a
laissé de prendre ses plaisir pour la même crainte, cette crainte
l’a attiré à l’amour de Dieu. Partant, sachez que plusieurs,
enveloppés dans les filets de plusieurs péchés, obtiennent la
contrition avant la mort, la contrition desquels peut être si
parfaite que, non-seulement le péché leur est pardonné, mais encore
la peine du purgatoire, s’ils meurent dans la même contrition.
Mais le roi n’a pas
obtenu la contrition avant le dernier point de sa vie, et lors, par
ma grâce, il obtint (bien que ses forces lui manquassent), la
contrition, et souffrait plus de douleur de m’avoir offensé et de
m’avoir déshonoré, que de la douleur qu’il endurait et de celle
qu’il devait encore endurer. Or, cette douleur signifiant cette
grande lumière, de laquelle le diable étant obscurci, ignorait où
l’âme du roi devait être conduite. Il n’était pas obscurci pour
n’avoir des intelligences spirituelles, mais d’autant qu’il admirait
une si grande lumière en l’âme avec une si grande immondicité. Mais
l’ange savait bien où il avait conduit cette âme, mais d’autant
qu’il ne la pouvait toucher avant d’être purifiée, comme il est
écrit : Pas un ne verra la face de Dieu qu’il ne soit purifié.
La parole me disait
encore : Quant à ce que vous avez vu que l’ange étendait ses mains
sur les mains du diable, afin qu’il n’aggravât ses peines, cela
signifie la puissance des anges sur le diable, à réfréner et à
contenir leur malice, car le diable n’a ni ordre ni mesure en ses
punitions, s’il n’est retenu par la vertu divine : c’est pourquoi
Dieu fait de même miséricorde en enfer, car bien que les damnés
n’aient point de rédemption, ni rémission, ni consolation,
néanmoins, d’autant qu’ils ne sont point punis par-dessus leurs
démérites et selon la justice divine, en cela Dieu leur fait une
grande miséricorde, autrement le diable n’aurait point de mesure en
ses supplices ni en sa malice.
Quant à ce que ce roi
vous semblait comme un enfant nouvellement né, cela signifie que
quiconque voudra de la vanité du monde naître à la vie céleste, doit
être innocent, et avec la grâce de Dieu croître en toute sorte de
vertus jusques à la perfection. Quant à ce que le roi levait ses
yeux vers l’ange, cela signifie qu’il recevait de la consolation par
le moyen de son ange gardien, et une joie provenant de l’espérance
qu’il avait d’arriver enfin en la vie éternelle. Ainsi donc, les
choses spirituelles se donnent à entendre par les similitudes
corporelles, car les diables ou les anges n’ont point ces membres ni
tant de paroles entre eux, vu que ce sont des esprits, mais leur
bonté ou leur malice est déclarée aux yeux du corps et montrée comme
au doigt par telles similitudes.
La parole du pupitre
parlait encore et me disait : Le pupitre que vous avez vu signifie
la Déité même, savoir, le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Et ce
que vous n’avez pu comprendre la longueur, largeur, profondeur et
hauteur du pupitre, cela signifie qu’en Dieu il ne se trouve point
de commencement ni de fin, d’autant que Dieu était et est sans
principe et sera sans fin. Et ce que chacune des trois couleurs
susmentionnées se voyait en l’autre, et que toutefois l’on
discernait l’une d’avec l’autre, cela signifie que le Père est
éternellement au Fils et au Saint-Esprit, le Fils au Père et au
Saint-Esprit, et le Saint-Esprit en tous les deux, n’étant qu’une
seule nature distincte par la propriété des personnes. La couleur
qui semblait comme de sang et rouge signifie le Fils qui, sans
lésion de la Déité, se revêtit de la nature humaine, la faisant
subsister par son hypostase et subsistance personnelle.
La couleur blanche
signifie le Saint-Esprit, par lequel les péchés sont lavés. La
couleur dorée signifie le Père, qui est le principe et la perfection
de toutes choses, non qu’il y ait quelque perfection de plus au Père
qu’au Fils, ni que le Père ait été plus tôt que le Fils; et afin que
vous entendiez que le même qui est le Père n’est pas le Fils, mais
que le Père est autre en personne, le Fils autre en personne, le
Saint-Esprit autre en personne, et tous trois un en nature, c’est à
cette cause que vous sont montrées trois couleurs distinctes et
conjointes : distinctes pour la distinction des personnes;
conjointes et unies pour l’unité de la nature. Et comme en chaque
couleur vous avez vu les autres couleurs et n’en avez pu voir une
sans l’autre, ni rien de prieur ou de postérieur, plus grand ou plus
petit en celles-ci, ainsi en la Trinité, il n’y a ni prieur ni
postérieur, ni plus grand ni plus petit; rien de divisé ou de
confus, mais une seule volonté, une éternité, une puissance, une
gloire. Et quoique le Fils soit du Père et le Saint-Esprit de tous
les deux, toutefois le Père n’a jamais été sans le Fils et le
Saint-Esprit, ni le Fils et le Saint-Esprit sans le Père.
La parole me parlait
aussi et me disait : Le livre qui se voyait sur le pupitre signifie
qu’en la Déité, il y a une éternelle justice et sagesse, à laquelle
il ne se peut rien ajouter ou diminuer, et c’est ici le livre de
vie, qui n’est pas écrit comme l’écriture, qui est et n’a pas été,
car l’écriture de ce livre est toujours, car il y a en la Déité ce
qui est éternel et intellectif de toutes choses présentes, passées
et à venir, sans changement ou vicissitude quelconque de sa part, et
rien ne lui est invisible, parce qu’il voit tout.
Et ce que la parole se
disait elle-même, cela signifie que Dieu est la parole éternelle de
laquelle sont toutes les paroles, et en laquelle toutes choses sont
vivifiées et subsistent. Et lors la parole parlait visiblement,
quand le Verbe fut fait chair et quand il conversait parmi les
hommes. Au reste, la Mère de Dieu vous a mérité cette vision divine,
et c’est la miséricorde promise au royaume de Suède, savoir, que les
hommes qui seraient en celui-ci entendraient les paroles qui
procèdent de la bouche de Dieu. Et s’il y en a peu qui reçoivent et
croient les paroles célestes qui vous sont divinement données, ce
n’est pas la faute de Dieu, mais des hommes qui ne veulent pas
quitter le glaçon de leur âme; car aussi les paroles de l’Évangile
ne sont pas accomplies avec les premiers rois de ce temps-là, mais
il viendra encore des temps où elles le seront.
CHAPITRE 49
Jésus-Christ déclare à son épouse pourquoi Dieu afflige le peuple
d’Israël au désert, et non en Égypte, et de la probation de Moïse.
Il reprend aussi un roi avec menaces, d’autant qu’il ne compatissait
point aux misères de ses sujets, et qu’il était gouverné par de
mauvais conseillers; et qu’il ne se confie point en ce qu’auparavant
il l’avait appelé son ami.
Notre-Seigneur parlait
à son épouse, disant : Au peuple d’Israël, il y avait trois sortes
d’hommes. Quelques-uns d’entre eux aimaient Dieu et Moïse; les
autres s’aimaient plus qu’ils n’aimaient Dieu; les autres n’aimaient
ni Dieu ni Moïse, mais seulement les choses de la terre. Et comme ce
peuple était en Égypte, ils étaient tous appelés enfants de Dieu et
enfants d’Israël, mais tous ne servaient pas Dieu avec un esprit et
une affection égale. Ainsi, quand il plut à Dieu de tirer hors de
l’Égypte ce peuple, quelques-uns crurent à Dieu et à Moïse; les
autres imitaient Dieu et Moïse : c’est pourquoi Dieu montra sa
grande miséricorde et justice aux endurcis.
Mais vous pourrez me
demander : Pourquoi Dieu mit-il ce peuple hors de servitude ?
pourquoi ne l’affligea-t-il plutôt en Égypte, sachant qu’il n’était
pas encore temps de leur faire miséricorde, et que leur malice
n’était pas encore accomplie et montée jusqu’à son dernier point ?
A cela je réponds
moi-même : Dieu élut le peuple d’Israël comme des écoliers, pour
l’instruire et l’éprouver dans le désert, écoliers qui avaient
besoin d’un pédagogue qui allât devant eux et leur montrât le chemin
de parole et de fait. Afin donc qu’ils fussent plus parfaitement
instruits, le désert leur était plus propre que l’Égypte, de peur
qu’en celle-ci ils ne fussent trop inquiétés par les Égyptiens en la
discipline de la justice de Dieu, ou de peur que, parmi les signes
de la miséricorde qu’il faut cacher aux chiens, ils ne s’élevassent
présomptueusement et malicieusement. Moïse aussi, comme maître de
tout ce peuple, eut besoin d’être éprouvé, afin qu’ayant été connu
de Dieu, il fût aussi connu de ses disciples pour l’imiter, comme
celui qui avait donné de plus grandes preuves de foi par la folie du
peuple, et qui avait été rendu plus remarquable et plus connu de
tous par ses signes. Je dis avec vérité que, même sans Moïse, le
peuple eût été tiré de l’Égypte, et que, sans Moïse, ce même peuple
fût mort.
Mais à cause de sa
bonté, le peuple ne fut pas affligé d’une mort si universelle, et
pour sa charité, il fut couronné plus glorieusement, ce qui n’est
pas de merveille, car en la mort d’un chacun, Moïse pâtit et endura
par compassion. Dieu donc différa sa promesse, pour que le peuple
fût éprouvé et que sa divine majesté se fit connaître par divers
signes, par sa miséricorde et sa patience, comme aussi afin que la
perverse volonté et l’ingratitude du peuple se donnassent à
connaître pour précaution à l’avenir.
Ainsi plusieurs saints,
suivant l’inspiration du Saint-Esprit, sont entrés dans les terres
des infidèles, qui n’ont pas obtenu ce qu’ils voulaient; et
toutefois, à cause de leur bonne volonté, ils ont eu de
très-glorieuses couronnes, et à cause de leur patience, Dieu a fait
avancer le temps de la miséricorde, et a d’autant plus conduit à fin
le nouveau chemin qu’ils essayaient de faire.
De là vous voyez qu’il
faut toujours révérer et craindre les jugements de Dieu, et se
donner bien de garde que la volonté de l’homme ne soit contraire à
la volonté de Dieu. Mais ce roi dont je vous parle et que vous
connaissez n’était pas porté d’une volonté pareille à celle de
Moïse, d’autant qu’il ne se souciait pas que tout son peuple mourût,
pourvu qu’il se sauvât et demeurât toujours en honneur, se laissant
gouverner par des conseils diaboliques. Il ne voulut jamais quitter
son obstination et l’inconstance de son esprit, ni obéir au conseil
de ceux à qui il devait obéir, desquels il pouvait avoir le lait de
la sagesse divine et du changement de vie, ce qui n’est pas de
merveille, car il était descendu d’un homme irritant Dieu à tout
propos et ne se corrigeant que par les afflictions.
Sachez aussi qu’il y a
eu en ce royaume quatre sortes de générations de rois : en la
première ont été l’ambition et la cruauté, lesquelles Dieu a
endurées pour quelques bonnes œuvres et pour les péchés du peuple.
En la deuxième ont été l’incontinence et l’injustice, que Dieu a
miséricordieusement humiliées et appelées sur la couronne. La
troisième génération a procédé d’une racine ambitieuse et d’un trône
dur, en laquelle étaient la cupidité et l’amour de soi-même : c’est
pourquoi Dieu l’a punie temporellement, afin qu’à l’avenir elle ne
fût pas si mal.
En la quatrième sont
l’humilité feinte et simulée, la prodigalité et le défaut de
justice : c’est pourquoi, par charité, je lui montrerai la
miséricorde et le jugement, et si elle ne m’écoute, je l’affligerai
et la flagellerai depuis la tête jusques aux pieds, en telle sorte
que tous ceux qui l’entendront s’en émerveilleront et trembleront de
peur de la justice de Dieu. Or, qu’il ne se confie point en ce que
je l’ai dit mon ami, mais qu’il prenne garde à la conclusion de mes
paroles, savoir, que, s’il me garde sa foi, je lui tiendrai aussi ma
promesse.
CHAPITRE 50
Paroles de Jésus-Christ révélées à l’épouse pour l’empereur
d’Allemagne, à ce qu’il tâche de remettre en l’Église de Dieu quatre
vertus qui ont été chassées de leurs sièges, et qu’on ôte
entièrement les quatre vices contraires qui ne règnent que trop dans
l’Église.
Jésus-Christ commanda à
l’épouse d’écrire à l’empereur comme d’elle-même les paroles de la
révélation divine en ces termes : Je me plains, non seulement,
etc.(Vous trouverez ce Chap. au Liv. IV, Chap. XLV.)
CHAPITRE 51
L’empereur Jésus-Christ écrit à l’empereur d’Allemagne, lui faisant
savoir comme de sa propre bouche il a tenu avec son épouse plusieurs
discours qui sont écrits au Livre céleste, et lui commande de les
voir et de les éplucher, et de s’employer vers Sa Sainteté pour la
confirmation de la règle qu’il a dictée à l’épouse.
Jésus-Christ parlait à
son épouse, disant : Écrivez de ma part ces paroles à l’empereur :
Je suis cette lumière qui illumina toutes choses quand elles étaient
couvertes de ténèbres. Je suis aussi cette lumière qui, étant
invisible par la Déité, ai paru visible par l’humanité. Je suis
cette lumière qui vous ai établi au monde comme une clarté spéciale,
afin qu’en vous il se trouvât plus de justice qu’aux autres, et afin
que vous conduisiez tout le monde à la justice et à la piété : c’est
pourquoi moi, qui suis la vraie lumière et qui vous ai fait monter
au trône impérial, je vous fais savoir, parce qu’il me plaît ainsi,
que je parle à une femme des paroles de justice et de miséricorde.
Recevez donc les paroles des livres qu’elle a écrits, dictées de ma
bouche; épluchez-les, et mettez peine que ma justice soit redoutée
et ma miséricorde désirée avec discrétion.
Sachez aussi, vous qui
tenez l’empire, que moi, auteur et créateur de toutes choses, j’ai
dicté une règle de religieuses à l’honneur de la Vierge, ma très
chère Mère, et l’ai donnée à cette femme qui vous écrit. Lisez-la
donc tout du long, et employez-vous envers le pape, pour que, devant
les hommes, elle soit approuvée par lui, qui est mon vicaire en
terre, moi l’ayant approuvée dans le ciel devant tous les
bienheureux.
CHAPITRE 52
Jésus-Christ conseille à un roi qui avait été désobéissant aux
conseils de la Vierge, sa Mère, de s’en aller au pape, et de lui
demander l’absolution de quelques grands et énormes péchés contenus
ici, sans les cacher ni s’excuser, mais s’humiliant de tout son
cœur, d’autant que les plus grands péchés doivent être remis et
absous par le grand vicaire de Notre-Seigneur.
Le Fils de Dieu parle à
son épouse et lui dit : D’autant que le roi a été désobéissant aux
conseils de ma Mère, à cette cause, moi, qui suis Fils de Dieu et
qui suis en ma Mère, je lui conseille de s’en aller au pape, et de
lui demander humblement l’absolution de ses péchés, car les péchés
qui sont parvenus au souverain degré de malice, doivent être remis
par le souverain pontife, qui en a la puissance souveraine, car elle
est entre les mains de celui-là qui, dans le monde, étant assis en
mon siège, a le pouvoir de lier et de délier en mon nom.
Or, si le roi suit mon
conseil, je lui donnerai un trésor très-précieux; je le défendrai
contre ses ennemis et j’acquitterai toutes ses dettes, soit
corporellement, soit spirituellement, s’il n’a pas de quoi pour les
payer, et je compterai chaque pas qu’il fera pour l’amour de moi, et
le lui remesurerai en la vie éternelle. Or, quand il sera arrivé par
devers le souverain pontife, qu’il s’humilie de tout son cœur, sans
cacher ses péchés ni s’excuser, mais qu’il demande l’absolution de
la désobéissance aux constitutions de la sainte Église, de
l’excommunication dont il est lié, du parjure public, de la foule
extraordinaire de ses sujets, de la promotion qui, à son occasion, a
été faite des clercs indignes aux bénéfices de l’Église, et de ce
qu’il avait entrepris et essayé contre les louables coutumes et
statuts du royaume et des évêques.
CHAPITRE 53
Jésus-Christ conseille par son épouse au roi susdit d’aller vers le
pape, non avec pompe et grande famille, faisant de grandes largesses
pour être loué des hommes, mais qu’il y aille humblement et
modestement, ayant un train nécessaire, honnête et dévot.
Notre-Seigneur parlait
à son épouse et lui disait : Si le roi va vers le souverain pontife
et qu’il estime que ses péchés soient grands, qu’il se donne garde
des flatteurs qui lui conseillent d’y aller avec pompe, afin que son
nom soit loué en terre, comme aussi de ceux qui lui conseillent de
faire des largesses, afin de faire publier sa renommée et
d’assembler une grande et nombreuse famille, de peur d’être surpris
par les ennemis; mais qu’il y aille humblement et sagement, ayant
avec soi un train nécessaire, non superflu, et des serviteurs dévots
et honnêtes, employant ses biens, non pour en faire parade, mais
pour l’honneur de Dieu et pour sa nécessité.
Or, qu’il se garde
prudemment de ceux qui désirent lui nuire, car bien que je puisse
toutes choses, toutefois il faut quelquefois se gouverner selon les
conseils et l’aide des hommes. Et bien que je parlasse avec Moïse,
toutefois il ouït et suivit le conseil d’un homme païen qu’il trouva
à propos.
CHAPITRE 54
Jésus-Christ avertit par son épouse les rois de se décharger du
fardeau de leurs péchés, et qu’à l’exemple de l’ange qui apparut à
Tobie ceint et troussé pour aller par pays, ils se ceignent d’une
ceinture, c’est-à-dire, de la continence des paroles et bonnes
œuvres, avant de sortir du monde, et qu’ils portent des robes non
déchirées, mais honnêtes, et qu’ils aillent avec un geste modéré.
Notre-Seigneur parlait
du roi susdit à l’épouse, lui disant : Il est écrit que l’ange de
Dieu, ceint et comme tout prêt à se mettre en chemin, apparut à
Tobie, lorsqu’il était prêt à faire un long voyage, ce qui est la
marque et la figure d’un homme juste, car l’homme qui désire obtenir
la rémission de ses péchés, doit se décharger d’iceux par la
contrition et par la confession, et se ceindre de la continence des
paroles et bonnes œuvres. Que ce roi donc fasse de même. Qu’il
corrige toutes ses actions avant de sortir du monde, ayant un ferme
propos de tellement rejeter toutes les légèretés passées, qu’il ne
prenne plus de plaisir en celles-ci, car c’est une chose vilaine et
honteuse que promettre à un très beau seigneur et maître de suivre
sa beauté, et après cela imiter encore des façons de faire
malséantes et très déshonnêtes.
Les serviteurs du roi
David ayant la barbe vilainement rasée et leurs robes coupées à
demi, ne purent entrer dans la Jérusalem terrestre, avant que leurs
robes ne fussent premièrement rhabillées et que la barbe ne leur fût
revenue, mais demeurèrent en un lieu de tribulation et de mépris, à
combien plus forte raison moi, qui suis bien plus beau et plus fort
que David, cherche la beauté ès hommes ! car je ne veux pas qu’ils
portent des robes rognées à demi comme des bouffons; je ne veux pas
qu’ils aient un geste comme des efféminés, mais je veux qu’ils aient
ce qui leur est profitable et honnête, qu’ils soient vêtus pour leur
bien, honnêtes pour mon honneur, et prêts à me rendre compte, quand
il me plaira de les appeler du monde.
CHAPITRE 55
Jésus-Christ console son épouse et lui dit qu’elle ne taise point
les paroles de Dieu qui lui sont révélées, bien qu’on le trouve
mauvais; qu’elle ne les dise pas aussi pour la louange des hommes,
d’autant que ceux à qui les conseils divins sont données, s’ils y
obéissent, obtiendront la miséricorde qui leur est promise; s’ils
les méprissent, encourront la divine justice.
Le Fils de Dieu parlait
à l’épouse, disant : Vous qui voyez les choses spirituelles, vous ne
devez pas les taire parce que vous en êtres blâmée, ni les dire,
parce que vous êtes louée des hommes; et vous ne devez pas craindre
de ce que mes paroles qui vous sont révélées sont méprisées et ne
sont pas accomplies tout aussitôt, car la justice juge celui qui me
méprise, et la miséricorde récompense celui qui m’obéit, et ce, en
deux manières : 1° d’autant que la peine du péché est effacée du
livre de justice; 2° d’autant que la récompense est augmentée selon
la satisfaction des péchés.
C’est pourquoi j’envoie
toutes mes paroles avec cette conclusion, savoir est, si ceux
auxquels elles sont envoyées et les écoutent, les croient et les
accomplissent par effet, que lors mes promesses seront accomplies.
C’est à cette cause qu’Israël, ne voulant pas suivre mes
commandements, quitta son droit et plus court chemin, et s’en alla
par un autre, fâcheux et pénible, et se rendit odieux à tous. Il en
est de même à présent, car le peuple de ce royaume, que j’avais
affligé, n’est pas devenu plus humble ni plus obéissant pour ce coup
de verge, mais s’est rendu plus audacieux contre moi et plus
contraire à mes volontés.
Après ceci, j’ouïs une
voix qui disait : O mon Fils, qui, par votre mort, avez délivré de
l’enfer le genre humain, levez-vous et défendez-vous, d’autant que
plusieurs, tant hommes que femmes, vous ont mis dehors et vous ont
fermé la porte de leur cœur. Entrez donc sagement, comme Salomon,
dans votre royaume. Ôtez puissamment, comme Samson, les portes de
leurs gonds. Mettez le siège contre le clergé, et des pièges devant
les pieds des soldats. Donnez de la terreur aux femmes avec les
armes, et mettez par terre les puissants en la présence des peuples,
et que pas un de vos ennemis n’échappe qu’auparavant il ne vous ait
demandé miséricorde avec une vraie humilité, comme aussi tous ceux
qui s’endurcissent contre vous.
CHAPITRE 56
Dieu le Père déclare à l’épouse, et lui montre tout au long le
terrible procédé du jugement divin fait contre un roi ingrat, vivant
encore et désobéissant aux conseils divins. Et en quelle manière
l’épouse voyait l’Agneau, et en icelui une face humaine sur l’autel
de la divine Majesté dans le ciel. Et au même instant, elle le
voyait entre les mains du prêtre célébrant en terre; et comment les
serviteurs et les sujets des rois étant affligés, soit en ce monde,
soit en enfer ou en purgatoire, se plaignaient grandement à Dieu de
ces rois et de leurs princes; et tous les saints demandaient justice
d’eux.
Dieu le Père parlait à
l’épouse, disant : Écoutez mes paroles, et dites ce que je vous
commande, non pour votre honneur ou pour votre blâme, mais tenez
votre esprit également en balance, sans pencher ni du côté de ceux
qui vous louent, ni du côté de ceux qui vous blâment, à ce que vous
n’entriez en colère pour le blâme ni en vanité pour la louange; car
celui-là est digne d’honneur qui est et qui a été éternellement en
soi-même; qui, mû par la charité seule, a créé les anges et les
hommes, non pour autre sujet qu’afin qu’il y en eût plusieurs qui
fussent participants de sa gloire, car je suis maintenant le même en
puissance et en volonté que je fus lorsque mon Fils prit chair
humaine; je suis et j’ai été en lui, et lui a été en moi, et le
Saint-Esprit en tous deux; et bien qu’il fût caché au monde que ce
fût le Fils de Dieu, toutefois il fut connu de quelque petit
nombre : c’est pourquoi sachez que cette justice de Dieu, qui n’a
jamais eu de commencement non plus que Dieu même, et que la lumière
fut montrée aux anges avant de voir Dieu, lesquels ne churent pas
pour avoir ignoré la loi et la justice de Dieu, mais parce qu’ils ne
la voulurent pas garder, car ils savaient fort bien que tous ceux
qui aimeraient Dieu verraient Dieu et demeureraient éternellement
avec lui; que ceux qui haïraient Dieu seraient éternellement punis
sans le voir jamais en sa gloire. Et toutefois leur ambition et
cupidité leur firent plutôt choisir de haïr Dieu pour être punis,
que de l’aimer afin d’avoir une joie éternelle.
La justice qui fut
exercée à l’endroit de l’homme est semblable à celle des anges, car
l’homme est plutôt tenu d’aimer Dieu et puis de le voir : c’est
pourquoi mon Fils a voulu, par sa charité, naître après la loi de
justice, afin d’être visible par son humanité, ne pouvant l’être par
sa Divinité. De plus le libre arbitre fut donné aux hommes comme aux
anges, pour désirer les choses célestes et mépriser celles de la
terre : c’est pourquoi je visite plusieurs en plusieurs et
différentes manières, quoique ma Déité ne soit point vue, et j’ai
montré, en plusieurs endroits de la terre à plusieurs personnes, en
quelle manière le péché de chaque contrée a pu être amendé, et en
quelle manière on a pu obtenir miséricorde, avant que ma justice
vînt à y prononcer et faire exécuter ses arrêts.
Mais les hommes ne
considèrent pas ceci et ne s’en soucient pas. Cette justice aussi
est en Dieu, que tous ceux qui sont sur la terre espèrent en premier
lieu fermement ce qu’ils ne voient pas, et croient à l’Église de
Dieu et au saint Évangile, après qu’ils aiment sur toutes choses
celui qui leur a tout donné et s’est livré lui-même à la mort pour
eux, afin que tous se réjouissent éternellement avec lui : c’est
pourquoi je parle moi-même à ceux à qui bon me semble, afin qu’on
sache comment on doit amender les péchés, diminuer la peine et
augmenter la couronne.
Après ceci, je vis tous
les cieux comme s’ils n’eussent été qu’une maison, en laquelle était
assis un Juge sur un trône, et la maison était pleine de serviteurs
louant le Juge chacun de sa voix. Sous le ciel se voyait un royaume.
Et soudain fut ouïe de tous une voix qui disait : Venez au jugement,
vous deux, vous, ange, qui êtes le gardien du roi, et toi, esprit
malin qui es son gouverneur.
Et cette parole dite,
l’ange et le diable comparurent devant le Juge. L’ange ressemblait à
un homme tout troublé, et le diable à un homme plein d’aise et de
joie. Et lors le Juge dit : Mon ange, je vous établis gardien du
roi, lorsqu’il fit un pacte avec moi et se confessa de tous les
péchés qu’il avait commis depuis sa jeunesse, afin que vous fussiez
plus proche de lui que le diable. Comment est-ce donc que maintenant
je vous vois éloigné de lui ?
L’ange répondit : O
Juge, je brûle du feu de votre charité, de laquelle aussi le roi fut
échauffé pour un temps. Mais depuis qu’il a méprisé et eu en
abomination ce que vos amis lui ont dit, et qu’il s’est ennuyé de
faire ce que vous lui aviez conseillé, lors il s’en est allé où son
plaisir l’a attiré, et s’éloignant de moi, il s’est à toute heure
approché de l’ennemi.
Le diable répondit : O
Juge, je suis le froid même, et vous, vous êtes la chaleur même et
le feu divin. Comme donc quiconque s’approche de vous devient plus
ardent aux bonnes œuvres, ainsi le roi, s’approchant de moi, s’est
rendu plus froid à votre charité et plus chaud à mes œuvres.
Le Juge répondit
alors : On avait persuadé au roi d’aimer Dieu sur toutes choses et
le prochain comme soi-même : pourquoi donc m’ôtes-tu un homme que
j’ai racheté de mon propre sang, et le fais porter préjudice au
prochain, non-seulement en ses biens temporels, mais aussi en la
vie ?
Le diable répondit : O
Juge, c’est maintenant à moi de parler et à l’ange de se taire.
Quand le roi se départit de vous et de vos conseils et vint à moi,
lors je lui conseillai de s’aimer soi-même plus que le prochain, et
de ne se soucier point du bien des âmes, pourvu qu’il eût l’honneur
du monde, et de ne prendre point garde qui souffrait nécessité ou
injustice, pourvu que ses amis foisonnassent en toutes choses.
Et lors le Juge dit au
diable : Quiconque voudra s’en aller d’auprès de toi, le pourra, et
tu n’en pourras retenir aucun par force et malgré lui : c’est
pourquoi j’enverrai encore au roi quelques-uns de mes amis, qui
l’avertiront du danger où il est.
Le diable répondit : La
justice est que quiconque veut m’obéir doit être gouverné par moi :
c’est pourquoi je lui enverrai aussi de mes conseillers, et nous
verrons quels conseils il suivra plus volontiers.
Lors le Juge dit : Va,
d’autant que c’est ma justice d’adjuger au bourreau ce qui est à
lui, comme au demandeur ce que le droit de sa cause lui donne.
Quelques années après,
je vis derechef le Juge Jésus-Christ avec son armée céleste ; ému
plus que de coutume et comme en colère, il dit à l’ange et au
diable : Dites-moi qui de vous deux a vaincu.
L’ange répondit : Quand
je vins au le roi avec les inspirations du ciel, et vos amis avec
leurs paroles spirituelles, tout aussitôt les messagers du diable
lui soufflèrent aux oreilles, disant : Vous ne devez point épargner
les biens de ce monde, l’honneur, les âmes ni les corps, afin que
vos amis, que vous aimez plus que vous-même, puissent prospérer et
être honorés.
Le roi, consentant à
ces suggestions, fit réponse à vos amis et à leurs saints conseils :
Je suis assez suffisant et sage pour me conseiller sans vous.
Retirez-vous donc de moi avec honte.
Et ainsi le roi,
tournant le derrière de la tête et la face vers l’ennemi, repoussa
d’auprès de soi vos amis avec déshonneur et injure, et moqués des
amis du monde. Lors le diable s’écria : O Juge, c’est maintenant à
moi de gouverner le roi et de lui donner du conseil par le moyen de
mes amis.
Le juge lui répondit :
Va, et afflige le roi autant qu’il t’est permis, d’autant qu’il a
provoqué mon indignation contre lui.
Deux ans après ceci, le
Juge apparut derechef, assisté de l’ange et du diable. Le diable se
prit à parler, disant : O Juge, jugez. Je prononcerai maintenant
justice, car vous êtes véritablement la charité même : c’est
pourquoi il est hors de raison que vous fassiez votre demeure dans
ce cœur, où sont enracinées l’envie et la colère. Vous êtes la
sagesse même, c’est pourquoi vous ne devez pas être dans le cœur de
celui qui désire nuire à la vie, aux biens et à l’honneur du
prochain.
Vous êtes la vérité
même, c’est pourquoi il n’est pas bienséant que vous demeuriez avec
cet homme, qui avait promis et juré de faire des trahisons. Donc,
parce que ce roi vous rejette comme on rejette avec horreur ce qui
est abominable, permettez-moi de le jeter par terre, et de le
presser de telle sorte qu’il en étouffe, d’autant qu’il estime mes
conseils sagesse, et a les vôtres en dérision, car je désire le
salarier d’une telle récompense, parce qu’il a fait ma volonté.
Toutefois je ne pourrai rien faire sans votre permission.
Et voici que, ces
choses ouïes, le Juge semblait être merveilleusement changé ; et
lors il apparut reluisant comme un soleil, et dans ce soleil se
lisaient ces trois mots :Vertu, Vérité, Justice.
La Vertu parlais et
disait : J’ai tout créé sans aucun mérite précédent de la par des
choses créées, c’est pourquoi je suis digne d’être honoré de toute
créature, et non d’être méprisé. Je suis digne d’être loué de mes
amis, à cause de ma charité, craint et respecté de mes ennemis,
d’autant que je les supporte patiemment, sans qu’ils aient mérité
cette grâce, dignes au contraire de jugement. C’est pourquoi c’est à
moi, ô Satan, de juger un chacun selon ma justice, et non selon ta
malice.
La Vérité aussi parla
tout aussitôt, disant : J’ai pris de la Vierge l’humanité, étant en
ma Déité. En cette humanité, je parlais et prêchais aux peuples.
J’ai aussi envoyé le Saint-Esprit aux apôtres, et ai parlé par leurs
langues, comme tous les jours je parle par une infusion spirituelle
à qui bon me semble : c’est pourquoi je veux que mes amis sachent
que moi-même, qui suis la Vérité, ai envoyé mes paroles à un roi qui
les a méprisées. Toi donc, ô Satan, écoute maintenant, d’autant que
je veux parler, afin qu’on sache si ce roi a obéi à mes conseils ou
à tes suggestions. Je dis maintenant les conseils que j’ai donnés à
ce roi, redisant en peu de mots ce qu’auparavant j’avais expliqué au
long.
Il avait donc été
persuadé à ce roi de se garder de tous péchés et de toutes les
choses défendues par l’Église ; d’être modéré en ces jeûnes, afin de
pouvoir ouïr les plaintes des sujets et y répondre ; d’être prêt à
faire justice à ceux qui la demanderaient, riches ou pauvres
indifféremment, de peur aussi qu’une trop grande abstinence ne
portât préjudice au bien du peuple et au gouvernement de la chose
publique, ou qu’un excès démesuré ne le rendît plus lâche et plus
faible, pour donner audience à tous.
De plus, il lui fut
montré en quelle manière il servirait Dieu et le prierait ; en quels
jours et en quel temps il quitterait toute autre occupation pour le
bien du public et pour le bien général de son royaume ; en quels
jours il porterait la couronne royale à l’honneur et à la gloire de
Dieu. Il fut aussi averti de communiquer ses conseils et traiter de
toutes ses délibérations avec des amis de Dieu et des personnes qui
aimassent la vérité, et que jamais à escient il ne transgressât la
loi et la vérité ; qu’il n’imposât sur son peuple aucun tribut
extraordinaire, si ce n’est pour la défense du royaume et pour la
guerre contre les infidèles ; d’avoir un certain nombre de
serviteurs et de domestique, selon la portée des revenus de son
royaume, et quand au surplus, qu’il le distribuât entre les soldats
et ses amis.
Il lui fut aussi
conseillé d’avertir sagement, avec paroles douces et charitable, les
insolents, malavisés, et de reprendre et châtier puissamment les
superbes et obstinés ; d’aimer les hommes prudents et asservis de
longtemps en l’amour de Dieu ; de défendre les habitants de son
royaume et faire ses dons et libéralités avec discrétion ; de ne
diminuer ou aliéner rien qui appartînt à la couronne; de juger
équitablement les étrangers; d’aimer le clergé ; d’obliger à soi le
soldat par démonstration de bienveillance, maintenant en paix ses
peuples et ses sujets.
Ces choses ouïes, le
diable répondit au Juge, disant : Et moi je conseillai au roi de
faire quelques péchés qu’il n’osait faire en public. Je lui
persuadai aussi de lire par un fort long temps, sans attention et
sans dévotion de cœur, plusieurs oraisons et psaumes, afin que,
prolongeant ainsi et employant inutilement le temps, il n’entends
les plaintes de personne et qu’il ne rendît point de justice à celui
qui souffrait injure.
Je lui donnai aussi
avis de choisir un homme sans faire état de tous les autres gens de
bien de son royaume, de l’élever par-dessus tous, de lui donner
commandement sur tous, de l’aimer de tout son cœur et plus que
soi-même, de haïr son fils au prix de lui, de grever par exactions
ses sujets, de tuer les hommes, de dépouiller les églises ;
davantage de permettre, en dissimulant la justice, qu’un chacun
portât dommage à autrui, et de donner quelques terres appartenant à
sa couronne à un grand prince d’un autre royaume, mon frère et mon
ami juré, afin qu’à l’occasion de cette aliénation, il fût suscité
des guerres et des trahisons ; que les justes et gens de bien
fussent affligés, les mauvais plongés plus avant dans l’enfer, ceux
qui iraient en purgatoire tourmentés davantage ; que les femmes
fussent violées, les navires pris et pillés en la mer, les
sacrements de l’Église méprisés ; que la vie luxurieuse fût
continuée avec plus de liberté, et toutes mes volontés accomplies
avec plus de licence. C’est pourquoi, ô Juge, on peut savoir et
prouver par tous ces traits que le roi a commis plusieurs autres
péchés, s’il a obéi à vos conseils ou aux miens.
La Justice, après ceci,
vint à parler et répondre, en disant : Parce que le roi a eu la
vertu en haine et a méprisé la vérité, à cette cause, c’est
maintenant à toi d’accroître au roi quelques maux du grand nombre
des tiens, et je dois, selon la justice, lui diminuer quelques biens
des grâces qui lui ont été données.
Le diable répondit :
J’accroîtrai, ô Juge, et multiplierai mes dons au roi, et
premièrement je lui enverrai la négligence, afin qu’il ne considère
point en son erreur les œuvres de Dieu, et qu’il ne pense point aux
œuvres et aux exemples de vos amis.
La Justice répondit :
Et moi je lui diminuerai les infusions de mon Saint-Esprit. Je lui
ôterai les bons souvenirs, et les douces consolations qu’il a eues
par ci-devant.
Et lors le diable : Je
lui enverrai l’audace de penser et de faire dix péchés mortel et
véniels sans honte aucune.
La Justice répondit :
Je lui diminuerai la raison et la discrétion, afin qu’il ne
considère et ne discerne point les jugements et la peine des péchés
mortels et des péchés véniels.
Et lors le diable dit :
Je lui enverrai la crainte, afin qu’il n’ose parler ou faire justice
des ennemis de Dieu.
A quoi la Justice : Je
lui diminuerai la prudence et la science de ce qui est à faire, afin
qu’il soit plus semblable à un badin et à un bouffon qu’à un homme
sage.
Le diable dit : Je lui
mettrai dans le cœur des tribulations et des inquiétudes, d’autant
qu’il ne prospérera pas selon sa volonté.
La Justice : Je lui
diminuerai les consolations spirituelles qu’autrefois il a eues en
ses œuvres et en ses oraisons.
Le diable : Je lui
mettrai en l’esprit la ruse pour trouver de subtiles inventions par
lesquelles il supplante et trompe ceux dont il désire la perdition.
La Justice : Je lui
diminuerai l’entendement en telle sorte qu’il ne prendra pas garde à
son honneur et à sa commodité propre.
Le diable : Je lui
mettrai une telle réjouissance en l’esprit que même il se réjouira
de sa honte, de la perte et du danger de son âme, pourvu que
temporellement il puisse prospérer à souhait et selon son désir.
La Justice ; Je lui
diminuerai cette considération et préméditation qu’ont les sages en
leurs paroles et actions.
Le diable : Je lui
donnerai une audace de femme, une crainte messéante, et des gestes
tels qu’il sera plus semblable à un ribaud qu’à un roi couronné.
La Justice dit alors :
Celui qui se sépare de Dieu est digne d’un tel jugement, car il doit
être méprisé par ses amis, haï de tout le peuple et rejeté par les
ennemis de Dieu, parce qu’il a abusé des dons de la divine charité,
tant spirituels que corporels.
La Vérité alors parla
et dit : Tout ce qui a été montré n’est pas pour les mérites du roi,
l’âme duquel n’est pas encore jugée, mais elle le sera au dernier
moment où elle sera appelée de ce monde.
Ces choses dites, je
vis que ces trois, savoir, la Vertu, la Vérité et la Justice,
étaient semblables au Juge qui parlait auparavant. Et lors j’ouïs
une voix comme d’un chœur public qui disait : O cieux, et vous,
étoiles du firmament, avec les planètes donnez audience ! Et vous,
esprit qui êtes dans les ténèbres, écoutez tous. L’Empereur
souverain veut ouïr et faire jugement des princes de la terre.
Et soudain les choses
que je vis n’étaient pas corporelles, mais spirituelles, et mes yeux
spirituels étaient ouverts pour voir et pour ouïr. Et lors je vis
venir Abraham avec tous les saints venus de sa génération. Tous les
patriarches et les prophète vinrent. Après, je vis les quatre
évangélistes, la forme desquels était semblable aux quatre animaux
qu’on dépeint ès murailles dans le monde, animaux qui toutefois
paraissent vivants et non morts. Après je vis douze sièges, et en
iceux les douze apôtres, attendant la Puissance qui venait. Après
tout ceci venaient Adam et Ève, avec les martyrs, les confesseurs et
tous les autres saints descendus d’eux. L’humanité de Jésus-Christ
ne paraissait pas encore, ni le corps béni de sa Mère, mais tous
attendaient qu’ils vinssent. La terre et l’eau semblaient s’élever
jusqu’au ciel, et tout ce qui était en iceux s’humiliait et se
courbait devant la Puissance.
Après je vis un autel
qui était au siège de la majesté, et un calice avec du vin et de
l’eau, et du pain en forme de l’hostie qu’on montre à l’autel. Et
lors je vis comme dans une église du monde un prêtre revêtu des
ornements sacerdotaux commencer la messe, lequel ayant fait toutes
les cérémonies et dit les oraisons accoutumées, comme il fut venu
aux paroles avec lesquelles on bénit le pain, je voyais que le
soleil, la lune, les étoiles et les planètes, tous les cieux avec
leurs mouvements, retentissaient d’une douce harmonie, et leurs voix
se répondant les unes aux autres, on entendrait un chant et une
mélodie admirables. On voyait aussi une infinité de musiciens de
toute sorte, dont les accords étaient si doux qu’il serait
impossible aux sens de les comprendre et de les dire. Ceux qui
étaient dans la lumière regardaient le prêtre, et s’inclinaient avec
révérence et honneur devant la Puissance, mais ceux qui étaient en
ténèbres étaient lors effrayés et tremblants.
Le prêtre donc ayant
proféré les paroles divines sur le pain, il me semblait que ce même
pain était en trois figures au siège de la majesté, demeurant
néanmoins entre les mains du prêtre. Ce pain devenait un agneau
vivant, et en l’agneau se voyait une face d’homme, et on voyait
aussi une flamme ardente au dedans et au dehors de l’agneau et de la
face. Et comme je regardais attentivement et fixement la face, je
voyais l’agneau en icelle. Et regardant l’agneau, je voyais la même
face en icelui. Et une vierge couronnée était assise avec l’agneau,
et tous les anges les servaient, desquels on voyait un nombre aussi
grand que celui des atomes dans le soleil, et une splendeur
merveilleuse procédait de l’agneau. La multitude aussi des âmes
saintes était si grande que mes yeux ne pouvaient arriver à la
longueur, largeur, profondeur et hauteur d’icelle. Je vis aussi
quelques sièges vides, qui doivent encore être remplis pour la
gloire de Dieu.
Et lors j’ouïs une voix
de la terre d’une infinité de millions qui criaient et disaient : O
Seigneur, juste Juge, jugez nos rois et nos princes, et considérez
l’effusion de notre sang, les douleurs et les larmes de nos femmes
et de nos enfants. Regardez la faim que nous endurons, la honte, les
plaies, la captivité, l’embrasement de nos maisons, les ravissements
et les violences exercées contre l’honneur des jeunes filles et des
femmes, les injures faites aux églises et à tout le clergé.
Voici les fausses et
trompeuses promesses des princes et des rois, les trahisons et
exactions qu’ils font avec colère et violence, d’autant qu’ils ne se
soucient pas combien de milliers il en meurt, pourvu qu’ils puissent
étendre et dilater leur superbe. Il y en avait après comme des
milliers infinis qui, du profond des enfers, criaient et disaient :
O Juge, nous savons que vous êtes créateur de toutes choses : jugez
donc nos maîtres et seigneurs, que nous avons servis en terre, car
ce sont eux qui nous ont plongés plus avant encore dans l’enfer. Et
bien que nous vous désirions du mal, toutefois la justice nous force
de nous plaindre et de dire la vérité, car nos seigneurs terriens
nous ont aimés sans charité, ne se souciant pas plus de nos âmes que
des chiens, leur étant indifférent si nous vous aimions ou non,
désirant seulement d’être aimés et servis de nous : c’est pourquoi
ils sont indignes du ciel, parce qu’ils ne se soucient pas de vous,
et dignes de l’enfer, si votre grâce ne leur aide, d’autant qu’ils
nous ont perdus, et nous voudrions endurer des peines encore plus
graves que nous n’endurons, afin que leur peines n’eût point de fin.
Après, ceux qui étaient
en purgatoire criaient aussi et semblaient dire : O Juge, nous avons
été, par votre jugement, envoyés au purgatoire, à cause de la
contrition et bonne volonté que nous avons eues à la fin de notre
vie. C’est pourquoi nous nous plaignons de nos maîtres et seigneurs
qui vivent encore en terre, car ils devaient nous avoir régis,
avertis et repris de parole, nous avoir enseignés par leurs conseils
salutaires et bons exemples. Mais c’étaient eux qui nous poussaient
et encourageaient le plus à mal faire et à commettre des péchés :
c’est pourquoi, à cause de ceux-ci, notre peine est maintenant plus
forte, le temps de celle-ci plus long, la honte et la tribulation
sont plus grandes.
Abraham avec tous les
patriarches parla après, disant : O Dieu, entre toutes les choses
désirables, nous désirions que votre Fils, qui maintenant est
méprisé, naquît de notre race. C’est pourquoi nous demandons
jugement sur eux, d’autant qu’ils n’ont point d’égard à votre
miséricorde et ne craigne point votre jugement.
Les prophètes aussi
parlèrent et dirent : Nous avons prophétisé la venue du Fils de
Dieu, et dit qu’il était nécessaire que, pour la délivrance du
peuple, il naquît d’une vierge, qu’il fût trahi, fait prisonnier,
flagellé, couronné d’épines, et enfin qu’il mourût en croix pour
ouvrir le ciel et effacer le péché. Or, d’autant que ce que nous
avons prédit est maintenant accompli, c’est pourquoi nous demandons
jugement sur les princes de la terre méprisants votre Fils, qui, par
son immense charité, est mort pour eux.
Les évangélistes aussi
parlèrent et dirent : Nous sommes témoins que votre Fils a accompli
en soi-même toutes les choses qui avaient été prédites. Les apôtres
dirent ensuite : Nous sommes juges ; c’est pourquoi c’est à nous de
juger selon la vérité. Nous jugeons donc à perdition ceux qui
méprisent le corps de Dieu et ses commandements.
Lors la Vierge, qui
était assise près de l’agneau, commença à dire : O mon Seigneur et
mon doux Jésus, ayez pitié d’eux. Le Juge répondit : Ce n’est pas
justice que de vous refuser quelque chose. Ceux qui se déporteront
du péché et feront une pénitence condigne, trouveront miséricorde,
et je détournerai d’eux le jugement.
Après, je vis que la
face qu’on voyait en l’agneau parlait au roi et lui disait : Je vous
ai fait une grâce, car je vous ai montré ma volonté comment vous
vous comporteriez au gouvernement de votre état, et comment vous
vous gouverneriez vous-même honnêtement et avec prudence. Je vous
attirais comme une mère attire son petit enfant, avec les douces
paroles de ma charité, et vous donnais de la terreur par mes
avertissements, comme fait un père à son fils. Mais vous, obéissant
au diable, vous m’avez rejeté bien loin de vous, comme fais une mère
qui rejette un enfant mort-né, qu’elle ne daigne toucher, encore
moins lui présenter sa mamelle et le lui mettre sur la bouche :
c’est pourquoi tous les biens qui vous avaient été promis vous
serons ôtés et donnés à quelqu’un qui viendra après vous.
Après, la Vierge, qui
était assise avec l’agneau, me parlait et me disait : Je vous veux
faire savoir comment est-ce que vous a été donnée l’intelligence des
visions spirituelles, car les saints ont reçu le Saint-Esprit en
diverses manières, car quelques-uns D’eux savaient le temps où
adviendraient les choses qui leur étaient montrées, comme les
prophètes ; les autres savaient en esprit ce qu’ils répondraient aux
personnes venant vers vous, lorsqu’ils seraient interrogés sur
quelque chose ; les autre savaient si ceux-là étaient morts ou
vivants, qui étaient loin d’eux ; quelques-uns savaient quelle fin
et quelle issue pourrait avoir quelque bataille avant qu’elle se
donnât.
Mais à vous il n’est
pas permis de savoir autre chose, sinon de voir et d’ouïr des choses
spirituelles, écrire ce que vous voyez, et de dire aux personne
auxquelles il vous est enjoint de les dire ; et il ne vous est pas
permis de savoir si ceux-là sont en vie ou morts auxquels il vous
est commandé d’écrire, ou s’ils obéiront ou non aux conseils de
votre écriture ou à la vision spirituelle qui vous est divinement
donnée pour eux. Mais bien que ce roi ait méprisé mes paroles,
toutefois viendra quelque autre qui les recevra avec honneur et
révérence, et en usera pour son salut.
CHAPITRE 57
La
Mère de Dieu dit à l’épouse que le châtiment de Dieu est venu sur le
royaume à cause de trois péchés, c’est pourquoi Dieu peut être
apaisé en considération de trois autres biens : 1° que les peuples
embrassent une vraie humilité et une modestie en leurs habits ; 2°
par certaines aumônes ; 3° par processions et messes ici contenues.
La Mère de Dieu parlait
à l’épouse, lui disant : L’affliction et la punition de Dieu sont
venues sur le royaume pour trois péchés, savoir, pour la superbe,
l’incontinence et la cupidité : c’est pourquoi Dieu peut être apaisé
par trois choses, afin que le temps de l’affliction soit abrégé et
raccourci : 1° que tous embrassent une vraie humilité en leurs
habits, ayant des robes honnêtes, non trop longues, comme celles des
femmes, ni trop étroites, comme celles des bouffons, ni des
découpures, taillades ou déchiquetures pleines de dépenses vaines et
inutiles, d’autant que telles choses déplaisent à Dieu ; qu’ils
portent aussi leur corps avec telle honnêteté qu’ils ne paraissent
pas avancés en dehors par une vaine ostentation, ni plus courts ou
plus grêles par le moyen de certaines ligatures, nœuds et semblables
artifices, mais que tout soit pour le profit et pour l’honneur de
Dieu.
Que les femmes aussi
quittent leurs robes de parade, qu’elles ont prises par superbe et
vaine gloire, d’autant que le diable a suggéré aux femmes qui
méprisent les anciennes et louables coutumes de leurs pays, un
nouvel abus et des ornements indécents en la tête, aux pieds et aux
autres membres, pour provoquer la luxure et irriter Dieu. 2° Qu’on
fasse des aumônes avec allégresse et gaîté de cœur. 3° Qu’un prêtre,
en chaque paroisse, une fois chaque mois, un an durant, chante une
messe de la sainte Trinité, à laquelle se trouve tout le peuple
confès et contrit, et qu’il jeûne ce jour, faisant de ferventes
prières, pour que leurs péchés leur soient pardonnés et que l’ire de
Dieu soit apaisée.
Que semblablement les
évêques, chaque mois, fassent par eux-mêmes ou par autres personnes,
des processions solennelles en leurs églises cathédrales, célébrant
la messe de la sainte Trinité, et qu’ils assemblent les pauvres et
leurs lavent humblement les pieds.
CHAPITRE 58
L’empereur céleste Jésus-Christ, assis sur son tribunal, reprend
rudement les rois et les princes de la terre et tous les états, de
leur ingratitude, y ajoutant la menace de la terrible sentence de
son courroux ; toutefois il les avertit de se convertir, et qu’il
les recevra avec miséricorde, comme fera aussi son Père.
Je vis un grand palais
semblable au ciel serein et sans nuage, dans lequel était l’armée
céleste, qui paraissait plus nombreuse que les atomes du soleil,
etc. ( Cherchez au Livre VII, Chap. 30.)
CHAPITRE 59
D’un roi indigne et de son jugement.
Le Fils de Dieu parle:
Parce que ce roi ne cherche pas...
(Cherchez au Livre des
Révél. Extrav. XXVII. )
CHAPITRE 60
De
six rois iniques, etc.
Le Fils de Dieu parle :
Je t’ai ci-devant fait voir cinq roi...
(Cherchez chap. 78. )
CHAPITRE 61
Un
roi était averti de se corriger, autrement qu’il serait privé de son
royaume.
La Vierge Marie, Mère
de Dieu, parlait à l’épouse de Jésus-Christ, disant : Je suis celle
vers laquelle l’ange, etc.
(Cherchez au Livre des
Révél. extrav. Chapit. 80.)
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