CHAPITRE 56
Du mari de sainte
Brigitte, nommé Gudhmason.
Un mort apparut,
disant : Je ressentais la justice du Juge, mais maintenant la
sévérité diminuera et la miséricorde s’approchera. Lorsque je
vivais, j’ai excédé en cinq manières dont je ne me suis pas assez
repenti à la fin : 1° en cet enfant affolé que vous connaissez, j’ai
excédé en inepties, l’applaudissant et me délectant de ses folies.
2° Je n’ai point satisfait à la veuve des biens qu’elle avait
achetés avant ma mort, et cela par négligence. Partant, afin que
vous voyiez que je dis vrai, elle viendra demain à vous, et vous lui
rendrez ce qu’elle vous demandera, car elle ne demandera pas plus
qu’il ne faut. 3° Je promis à un homme, par légèreté d’esprit, de
l’assister en toutes ses difficultés, dont il s’est rendu plus
vicieux contre le roi et la loi. 4° D’autant que je me suis plus
exercé aux armes et aux jeux par vanité que pour l’utilité. 5° J’ai
été trop opiniâtre et inexorable à envoyez en exil un gentilhomme ;
et bien qu’il en fût digne, je fus néanmoins trop immiséricordieux.
Lors sainte Brigitte
répondit : O âme heureuse, qu’est-ce qui vous a profité à salut, ou
qu’est-ce qui vous peut être maintenant utile pour votre
affranchissement?
Il répondit : Il y a
six choses qui m’ont profité : 1° ma confession, que je faisais
quand je pouvais tous les vendredis, avec résolution de m’amender ;
2° étant au jugement, je n’ai point fait jugement pour l’amour de
l’argent ni faveur, mais j’ai examiné tous mes jugements, étant prêt
à corriger tous les défauts et à ne rétracter point les bienfaits;
3° j’ai obéi à mon confesseur, qui me conseilla de ne demander point
le devoir du mariage, dès lors que je savais que la vie était en
celui qui était engendré ;
4° que je fus avisé
autant que j’ai pu de n’être point ingrat, ou par moi ou par les
miens, envers les pauvres : je les logeais, ayant soin aussi de ne
pas faire des dettes que je ne susse comment payer ; 5° l’abstinence
que j’ai faite au pèlerinage de Saint-Jacques, car je fis résolution
de m’abstenir quelquefois par le chemin, et par cette abstinence, la
longue demeure que je faisais à table, excédant à parler et à
manger, a été satisfaite ; et maintenant je suis certain que mon
salut, quoiqu’incertain de l’heure où je posséderai la gloire.
6° J’ai commis mes
jugements à ceux que je croyais justes, afin qu’ils payassent mes
dettes. Et d’autant que je craignais de m’intriquer dans les dettes,
je consignai les provinces au roi pendant que je vivais, de peur que
mon âme n’en fût engagée au jour du jugement.
Or, d’autant que
maintenant il m’est permis de demander secours, je vous supplie que,
pendant un an entier, vous fassiez célébrer des messes de
Notre-Dame, des anges, de tous les saints et des défunts, et
d’ailleurs de la passion de Notre-Seigneur, car j’espère être
bientôt délivré, et que singulièrement vous ayez le soin des
pauvres, leur distribuant les vases, chevaux, etc. dont je me suis
délecté en péchant. Ne négligez pas aussi de faire quelques calices
pour la célébration de la sainte messe, car cela me profite. Laissez
les choses immobiles, mes enfants. Ma conscience ne me reproche pas
d’avoir voulu mal acquérir ou retenir quelque chose d’autrui.
CHAPITRE 57
De l’esprit de
gourmandise.
Une fois sainte
Brigitte, étant au monastère d’Alvastre, fut tellement tentée de
gourmandise qu’elle ne pouvait à grand peine penser à quelqu’autre
chose. Enfin, étant en prière, elle vit en esprit deux personnes,
savoir, un Ethiopien, ayant en la main comme une bouchée de pain, et
un jeune homme ayant un vase doré. Et lors le jeune homme dit a
l’Éthiopien : Pourquoi tentez-vous celle qui m’est donnée en garde?
L’Éthiopien dit :
D’autant qu’elle se glorifie de l’abstinence qu’elle n’a pas, car
elle ne cesse point de remplir son ventre, c’est pourquoi je lui
présente ma bouchée de pain, afin que les choses dures lui soient
douces.
Le jouvenceau lui dit :
Vous dites bien qu’elle n’est pas immatérielle comme nous, mais elle
est un sac terrestre qui a besoin de réparation continuelle.
Et l’Éthiopien dit :
Votre Jésus-Christ jeûna quelque temps, ne mangeant point ni ne
buvant point, c’est pourquoi il a mérité des choses sublimes. Et
comment celle-ci méritera-t-elle, qui est toujours remplie?
L’ange répondit : Eh
quoi ! le même Jésus-Christ, notre Maître, n’est-il pas aussi le
vôtre?
Nenni, dit-il, car je
ne m’humilierai jamais à lui, mais je ferai tout le contraire que je
pourrai, car je n’entrerai jamais en sa gloire.
Le jeune répondit :
Jésus-Christ a enseigné à jeûner en telle manière : pourtant, que le
corps n’en soit pas débilité outre mesure, mais afin qu’il soit tenu
dans les bornes de la raison et qu’il ne fasse l’insolent contre
l’âme. Notre-Seigneur ne demande point ce qui est impossible à la
nature, mais la modération ; ni il ne demande point qu’est-ce et
combien un chacun prend, mais avec quelle intention et charité.
L’Éthiopien dit : Il
est juste que ce que cette femme n’a expérimenté en la jeunesse,
elle le ressente en la vieillesse.
Le jeune dit : Il est
louable de s’abstenir du péché : le pourpre ne ferme point le ciel,
ni la chair délicate avec la charité, car il faut tenir coutume de
bien vivre avec action de grâces, afin que la chair ne s’affaiblisse
pas trop.
Après cela, à la même
heure, la Vierge Marie apparaissant à sainte Brigitte, ayant une
couronne à la tête, dit à l’Éthiopien : Taisez-vous, négociateur
envieux, car celle-ci m’est consignée.
Et l’Éthiopien dit : Si
je ne peux faire autre chose, je jetterai des balayures aux bords de
sa robe.
La Vierge lui
répartit : Je l’aiderai, et tout autant de fois que vous le ferez,
elles vous seront jetées à la face, et sa couronne lui redoublera.
CHAPITRE 58
Du jeûne.
La Sainte Vierge parla
à l’épouse : Vous devez faire toutes choses avec obéissance et
discrétion : il est plus agréable à mon Fils de manger que de jeûner
contre obéissance. Vous devez prendre garde de trois choses
concernant le jeûne : 1° que vous ne jeûniez en vain, comme ceux
qui, par ostentation et pour être semblables et égaux aux autres en
jeûne, jeûnent sans autre intention : cela est du tout
irraisonnable. Il faut prendre et modérer le jeûne, selon la
nécessité qu’on a de modérer les désirs des mouvements illicites, et
tout autant que la nature le peut porter ; 2° de ne jeûner
follement, comme ceux qui veulent autant faire en infirmité qu’en
santé. Ceux-ci se défient de la miséricorde de mon Fils, comme s’il
ne voulait autant l’infirmité que leur œuvre et leur bonne volonté.
Jeûnez donc, ma fille,
fort sagement, et dès que quelque infirmité vous assaillira, soyez
plus bénigne à votre corps, en ayant autant de pitié que d’un animal
quoiqu’irraisonnable, afin qu’il ne succombe sous le faix. 3°
Donnez-vous garde de ne jeûner irraisonnablement, comme ceux qui
jeûnent plus à intention d’avoir plus que les autres une plus grande
récompense et un plus grand honneur. Ceux-ci sont comme ceux qui
jeûne et qui établissent leur récompense dans le jeûne. Partant,
jeûnez, vous, pour plaire à mon Fils et autant que la nature le peut
supporter. Mesurez-vous donc en vous même selon vos forces, et
confiez-vous toujours en la miséricorde de mon Fils, et croyez que
vous êtes en tout indigne ; ni ne pensez pas qu’aucune de vos
peines, aucun de vos labeurs soit digne de la rémission des péchés,
et moins d’une récompense éternelle, si mon Fils ne vous faisait
miséricorde.
CHAPITRE 59
De la révérence des
reliques des saints.
Du temps que sainte
Brigitte était maîtresse de la reine blanche, jadis reine de Suède,
elle eut un coffre d’ivoire plein de diverses reliques, entre autres
celles de saint Louis, roi de France, qu’elle avait apportées de
France. Par accident, ce coffre fut mis en un lieu moins décent par
ses serviteurs, et même fut oublié là. Sainte Brigitte vit que de ce
coffre des reliques sortait une lumière éclatante. Admirant cela,
elle ouït une voix lui parlant en ces termes : Voici que le trésor
de Dieu, qui est tant honoré dans le ciel, est méprisé en terre :
partant, portons-le en un autre lieu.
Oyant cela, elle fit
mettre avec grand honneur lesdites reliques sur l’autel.
CHAPITRE 60
Jésus-Christ déclare
ici que les bais et les autres médecines corporelles ne lui
déplaisent point, si on les prend avec discrétion.
Jésus-Christ apparut un
jour à sainte Brigitte comme elle était en oraison, et lui dit :
Sachez que ceux qui, en l’ancienne loi, semblaient être personnes
spirituelles, étaient appelés pharisiens, lesquels avaient trois
choses : ils se lavaient souvent pour sembler être nets ; ils
jeûnaient et priaient au su de tous, afin qu’ils fussent appelés
saints ; ils enseignaient et commandaient beaucoup de choses,
lesquelles ils ne faisaient pas, mais tout cela leur a peu profité
devant Dieu, parce que leur intention était corrompue et leur âme
souillée.
Or, comme le bain et le
lavement du corps ne profite pas sans la pureté de la conscience,
aussi ne nuit-il pas à une âme nette, s’il est pris avec discrétion
pour la santé, non pour la volupté. C’est pourquoi il m’a plu
davantage que vous ayez obéi à votre maître contre votre vouloir,
que si vous eussiez suivi votre volonté contre son commandement.
Plusieurs de mes élus n’ont pris aucune médecine corporelle ou
autres soulagements de la chair, et m’ont été agréables ; plusieurs
aussi en ont pris selon la diversité des maladies et disposition du
temps et du lieu, qui ne m’ont pas déplu, d’autant qu’ils ont fait
le tout pour mon service. Ainsi l’obéissance, qui na rien de sa
propre volonté, me plaît plus qu’un grand sacrifice.
CHAPITRE 61
Qu’une louable et
dévote coutume peut être changée par obéissance.
Sainte Brigitte avait
accoutumé de ne point boire hors du repas ; il arriva qu’un jour à
peine pouvait-elle parler ; ce que voyant, maître Mathias, son Père
spirituel, lui commanda de boire, à quoi elle obéit, quoique cela
lui semblât fâcheux de changer sa première habitude. Et lors elle
entendit en son esprit : pourquoi crains- tu de changer ta façon de
vivre ? Ai-je besoin de tes bien ? ou entreras-tu dans le ciel par
tes mérites ? Obéis donc à ton maître. Il a expérimenté le combat de
deux esprits : celui de vérité et celui d’illusion, et quand, par
obédience, tu aurais mangé et bu deux fois le jour, il ne te sera
pas imputé à péché.
CHAPITRE 62
Comment sainte
Brigitte, s’éloignant du diable, se tourne toute à Dieu, et combien
grande est la malice du diable.
Entre plusieurs anges
qui apparaissaient à l’épouse de Jésus-Christ, il y en avait un
mauvais qui lui dit : Ton âme est maintenant en autre disposition
qu’auparavant, car ta nourrice la superbe, dont je porte le nom,
s’éloigne ores de toi. Pourquoi ne parles-tu et ne tiens-tu mon
parti, comme autrefois?
Cette sainte répondit
en son âme : Bien que tu repousse mon esprit de toute douceur et
ornasses mon corps de vêtements plus précieux que l’or, je ne
t’aimerai point, parce que tu méprises mon Dieu, lequel je suivrais
plutôt avec peines et afflictions que toi avec toute sorte de
contentements Mais si tu veux retourner à Dieu, je t’aimerai et
ferai ta volonté.
Ce démon répondit : En
vérité, si je pouvais prendre un corps mortel, j’aimerais mieux
pâtir en icelui toute sorte de tourments, et encore les peines
d’enfer, que faire quelques acte de charité envers Dieu.
Lors les deux bons
anges répondirent : Attendu que Notre-Seigneur est ton Dieu et ton
Créateur, pourquoi ne veux-tu pas lui être soumis ? Il répliqua :
Parce que j’ai confirmé mon esprit en cette résolution, laquelle je
ne veux changer, tant il m’est odieux.
Lors l’un des bon anges
parla au Seigneur en cette sorte : Seigneur, vous avez dit autrefois
de votre épouse : Quand je me tourne vers le midi, elle se tourne
vers l’occident ; mais maintenant vous pouvez dire que, de quelque
côté que vous vous tourniez, votre épouse vous suit selon son
pouvoir.
Le Seigneur répondit :
L’épouse doit obéir et se soumettre à son Dieu.
CHAPITRE 63
Paroles de sainte
Brigitte à la Vierge ; de sa charité envers elle. Amoureuse réponse
de la Vierge.
Bénie soyez-vous, ô
Marie, Mère de Dieu ! Béni soit votre Fils Jésus pour toute la joie
qu’il m’a donnée, de ce que vous êtes sa Mère ! Il sait bien que
Marie, fille de Joachim, m’est plus chère que les enfants d’Ulpho et
de Brigitte. Il sait bien que j’aimerais mieux que Brigitte, fille
de Burgeri, n’eût jamais été, que non pas que Marie, fille de
Joachim, ne fût pas née, et que je choisirais plutôt comme moins
fâcheux que Brigitte fût en enfer, que non pas que Marie, fille de
Joachim, ne fût Mère de Dieu dans le ciel.
La Vierge répondit :
Sache, ma fille, que cette Marie, fille de Joachim, te sera plus
utile que toi, Brigitte, fille de Burgeri, n’es à toi-même, et que
cette même fille de Joachim, Mère de Dieu, veut être mère aux
enfants d’Ulpho et de Brigitte. Soyez donc ferme et stable en cette
affection, et obéissez aux conseils qu’Agnès et votre directeur sont
inspirés de vous donner, car ils vous instruisent tous deux en un
même esprit : ainsi obéissant à l’un deux, vous obéissez à tous
deux. Dites aussi à votre directeur qu’il fasse ce qui lui à été
enjoint, encore que cela apporte beaucoup de tribulations
corporelles, par-dessus lesquelles il doit passer courageusement ;
car toutes les tribulations qui sont contre les bonnes œuvres, sont
autant de lacets et du pièges du diable, et qui plus en surmonte
dans le chemin qu’il suit pour la gloire de Dieu, en obtient une
récompense et une plus grande couronne dans les cieux.
CHAPITRE 64
Sainte Brigitte a
recours à la Vierge, et la prie comme miséricordieuse de l’assister,
craignant d’être en danger pour une vision qu’elle récite.
Bénie soyez-vous, ô
Marie, qui êtes Vierge et Mère, après avoir enfanté Jésus-Christ !
J’ai autrefois ouï que comme plusieurs personnes de grande qualité
et sages rendaient témoignage à une autre personne que Jésus-Christ
était la piété et la miséricorde même, une troupe de pauvres qui
étaient bien éloignés, se mit à crier que leur témoignage était
véritable. O ma très-chère Dame, il me semble que ceci peut être dit
pour vous, parce que tous les saints, personnes vraiment nobles et
sages, témoignent que vous êtes véritablement très-pieuse et
miséricordieuse.
Mais moi, qui suis de
la troupe des pauvres, n’ayant rien de bon de moi même, je crie à
haute voix que leur témoignage est très véritable, et selon ce, j’ai
recours à vous, et vous prie d’avoir pitié de moi ; je crains d’être
en grand danger, parce qu’il me semble que je suis à la porte de
deux maisons, l’une desquelles est grandement lumineuse, et l’autre
pleine de ténèbres ; et lorsque je tourne les yeux vers cette maison
ténébreuse, tout ce que j’ai vu en cette maison de lumière ne semble
être qu’un songe, qui s’est présenté de nuit à mes yeux.
La bienheureuse Vierge
répondit : Encore que je sache tout ce que tu as vu, dis-moi
néanmoins ce que tu as remarqué plus particulièrement en cette
maison des ténèbres.
Je répondis : Il me
semble qu’en cette maison obscure, il y avait comme une entrée et
une sortie bien étroites. Au delà de la sortie, il y avait une
clarté fort lumineuse, où l’on voyait toutes choses délectables. Il
y avait à l’entrée plusieurs chemins qui conduisaient à la sortie,
et sur chaque chemin, il y avait cinq ennemis mortels, de tous ceux
qui passaient par les autres chemins.
Le premier ennemi
parlait aux passants avec paroles douces et emmiellées, mais il
jetait souvent des flammes ardentes dans les oreilles de ceux qui
l’écoutaient.
Le deuxième tenait en
sa main toute sorte de fleurs et de fruits qui se flétrissent ou se
gâtent bientôt, mais il pochait les yeux avec une lance très-acérée
à tous ceux qui les regardaient avec désir de les posséder.
Le troisième ennemi
tenait un vase plein de venin, dont les bords étaient frottés d’un
peu de miel, tout lequel il renversait dans le gosier de ceux qui en
goûtaient.
Le quatrième avait
plusieurs beaux et précieux lits ornés d’or et d’argent et de rares
pierreries ; mais quiconque les touchait avec désir de les posséder,
était piqué d’un serpent venimeux.
Le cinquième jetait un
lit de plumes aux pieds des passants, mais dès que quelqu’un prenait
plaisir à s’y arrêter, cet ennemi tirait ce coutil, et ainsi, celui
qui espérait se reposer tombait de fort haut sur des rochers
grandement raboteux.
Ici Jésus-Christ
enseigne à son épouse une règle et manière de vivre, tant pour elle
que pour sa famille.
CHAPITRE 65
Jésus-Christ parle : Je
vous conseille d’avoir quatre heures pour dormir avant minuit, et
quatre heure après, et que celui qui ne peut en ait la volonté, et
il lui profitera. Qui peut diminuer quelque peu de son sommeil, de
sorte que ses sens et ses forces n’en soient trop languissants, en
aura plus grande récompense. Ensuite ayez quatre heures pour dire
vos prières et faire autres œuvres dévotes et utiles, afin que vous
ne perdiez aucune heure sans faire quelque fruit. Vous resterez une
heure à table, lequel temps vous ne devez prolonger sans cause
raisonnable ; mais si vous avez plus tôt fait, vous en recevrez la
récompense.
Vous aurez six heures
pour faire les œuvres nécessaires qui vous sont permises et
enjointes, après quoi vous prendrez deux heures pour dire vêpres,
complies et autres dévotes prières, lesquelles finies, vous
emploierez une heure pour le souper avec honnête consolation pour
soulager le corps. Vous levant du lit, vous garderez le silence
durant quatre heures, lequel vous ne romprez sans licence, et ne
répondrez, même aux choses nécessaires, si on vous interroge, que le
plus succinctement que vous pourrez. Ce temps écoulé, une honnête et
modérée récréation vous sera permise. Vous garderez le silence
depuis grâces jusques aux oraisons qui vous seront enjointes. Quand
aux six heures, vous les emploierez, selon le commandement de votre
directeur, ou à apprendre, ou au travail de quelque chose utile,
pendant lequel temps il vous sera loisible de vous entretenir de
discours honnêtes et hors d’occasion d’offenser Dieu. Vous garderez
le silence à vêpres et à complies, lesquelles finies, vous vous
pourrez entretenir de choses honnêtes durant le peu de temps qui
reste jusques au souper, et du souper jusques à votre coucher.
J’ai dit dans
l’Évangile que qui donnera un verre d’eau en mon nom, en sera
récompensé. Et je vous dis que tous ceux qui, en mon honneur,
entreprennent et accomplissent dévotement quelque abstinence, si
petite qu’elle soit, méritent récompense. Vous savez les jeûnes que
vous êtes tenue de garder en voyage. Si vous étiez dans le
monastère, vous auriez peut-être plus de repos ; prenez donc avec
discrétion ce qui vous est nécessaire pour sustenter le corps ; usez
du potage, soit de choux, soit de quelque autre espèce, mais pour
l’amour de Dieu, n’en ayez pas de plusieurs en même temps. Quant à
la chair et au poisson, ne vous en faites servir à table que deux
espèces, ou qui plus est, n’en prenez point pour l’amour de moi.
Mangez du pain qu’on
vous donnera ; que s’il vous en faut plus qu’on ne vous en a servi,
demandez-en en mon nom à votre maître. Usez du breuvage de même que
du pain. Sachez que le malade ne peut vivre aussi exactement selon
la règle que celui qui est robuste et en bonne santé, c’est pourquoi
il peut demander et prendre ce qui lui est nécessaire. De plus,
attendu que vous avez résolu de ne posséder rien, vous ne devez
aussi rien donner ni accepter, s’il vous est offert sans licence. Je
vous avertis encore que le diable à toute heure vous dresse des
pièges, c’est pourquoi je vous conseille de noter les paroles que
vous direz par mégarde au temps du silence, et que, vous en étant
confessée, vous en fassiez satisfaction.
Que si vous avez
proféré des paroles inutiles ou peu discrètes, il faut alors que la
satisfaction en soit plus grande. Si quelqu’un, emporté par un
premier mouvement, contredit en colère un autre, qu’il cherche le
plus tôt qu’il lui sera possible lieu propre à réciter un Ave,
Maria, et à demander humblement pardon à Dieu. Que chaque vendredi
vous veniez au chapitre avec volonté de ne celer pas un de vos
défauts ou d’y persévérer, mais de les corriger tous avec humilité,
selon qu’il vous est enjoint.
CHAPITRE 66
Il est ici permis à
sainte Brigitte de voir quel était Jésus-Christ.
Marie parle : Je suis
la reine du ciel et la Mère des affligés. Je te veux montrer quel
était mon Fils en son humanité, quel il était en la croix à l’heure
de sa passion, et ce pour signe que tu viendras en ces lieux que
j’ai autrefois fréquentés et où tu verras spirituellement mon Fils.
CHAPITRE 67
Paroles grandement
consolantes dites par la Vierge Marie à sainte Brigitte en sa
dernière maladie.
Peu avant que sainte
Brigitte mourût, la Vierge Marie lui apparut et dit : Si la femme
enfante en maladie, ses enfant sont malades. Mais tu enfanteras des
enfants sains, forts et dédiés à Dieu, et tu ne mourras pas, et tu
seras mieux guérie que tu ne l’as jamais été, mais tu viendras au
lieu qui t’est promis et préparé Saint François a demeuré longtemps
malade, et toutefois il fit la volonté de Dieu et beaucoup de
fruit ; mais depuis, étant tout à fait guéri, il a fait encore plus
de bien qu’auparavant.
Si tu demandes pourquoi
ta maladie est si longue et pourquoi tes forces naturelles sont
ainsi consumées, je te réponds que mon Fils et moi t’aimions. Ne te
souvient-il pas que mon Fils te dit à Jérusalem, quand tu fus dans
le saint temple de son sépulcre, que tes péchés t’étaient tous
remis, comme si tu venais que d’être baptisée ? mais il ne te dit
pas que tu dusses endurer rien de plus, tant que tu serais au monde,
car Dieu veut que la charité de l’homme corresponde à la sienne, et
que les négligences passées soient effacées par souffrances et par
maladies. Souviens-toi que je t’ai dit plusieurs fois que les
paroles de mon Fils peuvent être entendues spirituellement et
corporellement, comme je te dis en la ville de Straleun, et que, si
tu es appelée hors de ce monde avant l’accomplissement des paroles
qui t’ont été révélées et qui sont contenues dans les livres
célestes, tu seras réputée religieuse en Uvasten, et sera
participante de toutes les promesses que Dieu ta faites.
CHAPITRE 68
La Sainte Vierge
déclare ici qu’est-ce que vivre ou mourir spirituellement.
Six jours avant que
sainte Brigitte mourût, la Vierge lui apparut et lui dit : Les
médecins ne disent-ils pas que tu ne mourras point ? Véritablement
ils n’entendent pas ce que c’est que mourir. Celui-là meurt qui se
sépare de Dieu, et qui, endurci en son péché, ne veut, par sa
confession, vomir les immondices de ses iniquités ; celui-là meurt
qui ne croit pas en Dieu et n’aime pas son Créateur ; mais il vit à
jamais, celui qui craint Dieu, et qui, par une fréquente confession,
purge ses fautes pour parvenir à lui. Mais parce que le Dieu qui
parle à toi est l’auteur de la nature, de laquelle il dispose et
qu’il tient ta vie entre ses mains, il ne faut attendre salut ni vie
des médicaments. Il ne faut pas mettre son espérance dans la
médecine. Ton corps n’a besoin, pour un peu de temps, que d’un peu
de nourriture.
CHAPITRE 69
Sainte Brigitte prie
la Sainte Vierge d’attacher son cœur à Dieu. La Vierge lui répond,
et lui recommande d’avoir soin de sa fille.
L’épouse de
Jésus-Christ, priant la Vierge, disait : O ma très chère Dame, je
vous prie, par la charité de votre Fils bien-aimé, qu’il vous plaise
m’assister à ce que je l’aime de tout mon cœur. Je me sens faible à
l’aimer de telle ferveur que je devrais, c’est pourquoi je vous
prie, ô Mère de miséricorde, qu’il vous plaise délier entièrement
mon cœur de toute affection des choses périssables, l’attacher à
l’amour de Dieu et l’attirer à votre Fils, d’autant puissamment que
vous le trouverez pesant.
La bienheureuse Vierge
répondit : Béni soit celui qui inspire de telles oraisons ! Mais
quoique mon entretien te soit agréable, va-t-en coudre la tunique de
ta fille, qui se plaît plus à en porter une vieille et raccommodée
qu’une neuve, et désire plus la bure grise que les draps d’or ou de
soie. Qu’elle est heureuse d’avoir ainsi quitté les choses
mondaines!
Elle a quitté son mari
de son consentement, le corps duquel elle a plus aimé que soi-même,
et l’aime encore beaucoup plus que le corps de tous deux. Elle a
abandonné corporellement ses frères et ses sœurs, ses parents et ses
amis, pour les pouvoir assister spirituellement ; elle a méprisé
toutes les richesses caduques et périssables. Oh ! qu’elle est
heureuse d’avoir ainsi abandonné le monde ! car ce mépris et ce
délaissement lui ont apporté l’entière rémission de tous ses péchés.
Qu’elle persévère seulement, elle obtiendra le ciel en échange de ce
qu’elle a quitté en terre, et aura Jésus-Christ pour époux, et tous
ceux qui l’aiment profiteront en Dieu pour l’amour d’elle.
CHAPITRE 70
Jésus-Christ promet
ici de pouvoir à son épouse et aux siens pour l’amour d’elle.
Un pauvre de la famille
de sainte Brigitte lui vint au-devant près de Ludosia, dans le
royaume de Suède, et la pria d’avoir pitié de lui, car étant près de
marier sa fille, sa pauvreté l’en empêchait. Sainte Brigitte, ayant
su de son maître d’hôtel combien elle avait d’argent, dit : Donnez à
ce pauvre la troisième partie de cet argent, afin que sa fille,
étant consolée, prie Dieu pour nous. Étant entrés dans la ville, ils
trouvèrent à la porte du logis de sainte Brigitte plusieurs pauvres
assemblés, auxquels elle commanda qu’on donnât l’aumône.
Le maître d’hôtel
répondit qu’il ne pouvait seulement payer la dépense qu’on ferait au
logis, si on n’empruntait de l’argent. Pourquoi faites-vous de si
grande largesses ? c’est peut-être une grande perfection d’emprunter
à autrui pour donner aux pauvres.
Sainte Brigitte
répliqua : Donnons pendant que nous en avons, car Dieu nous en donne
largement lorsque nous en avons besoin. Je suis réservée à ces
pauvres, car ils n’ont d’autre soulagement ; mais moi, quand je suis
en nécessité, je me résigne entièrement à la volonté de Dieu.
Or, comme sainte
Brigitte était en prières, assistant à la messe dans l’église, elle
ouït Jésus-Christ disant : Ma fille est comme celle qui se hâte tant
d’aller à son époux qu’elle en oublie son père et sa mère, et tout
ce qu’elle a, jusqu’à ce qu’elle ait trouvé celui qu’elle cherche.
Que fera donc l’époux ? Il enverra des serviteurs, et fera venir
après l’épouse tout ce qui est à elle. Ainsi, à cause de ta charité,
nous pourvoyons à toi et aux tiens, ô fille, car comme ma charité
m’a fait entrer dans le ventre de la Vierge, ainsi la charité de
l’homme fait entrer Dieu dans l’âme de l’homme.
CHAPITRE 71
Saint Jean-Baptiste
parle à sainte Brigitte d’un certain qu’on croit avoir été maître
Pierre Olavi, son confesseur, duquel il a été parlé ci-devant.
O fille, tu ne dois
être en émoi de la victoire de ton ami spirituel. Le champion, ami
de Dieu, a remporté sur l’ennemi de Dieu une belle victoire.
L’ennemi courait après, le voulant surprendre et l’offenser, en le
faisant mettre en colère contre des voleurs qui le dépouillèrent.
Mais il perça son ennemi du même trait qu’il était attaqué, car au
lieu de se mettre en colère, après qu’ils lui eurent tout ôté, il
leur dit : Mes amis, s’il vous-plaît de boire, il y a encore du vin
dans la bouteille. Il transperça encore son ennemi d’une autre
lance, quand sans aucune impatience, il baillait sa tunique à ces
voleurs qui lui avaient ôté la chape.
Il blessa encore plus
profondément son ennemi d’une troisième lance, quand, étant demeuré
à nu, il rendait grâces à Dieu pour toutes ces tribulations, et
priait avec ardente charité pour ces voleurs, qui l’avaient ainsi
dépouillé, après quoi il se mit en chemin sans honte de sa nudité,
de laquelle victoire toute notre cour se réjouissait.
CHAPITRE 72
Saint Botuidus a
mérité beaucoup de grâces à sainte Brigitte.
Un saint personnage du
royaume de Suède, nommé Botuidus, apparut à sainte Brigitte, étant
comme en extase, quatre ans avant sa mort, et lui dit : Je t’ai
mérité cette grâce de Dieu avec les autres saints, que tu pusses
voir et ouïr les choses spirituelles, et que l’Esprit de Dieu
enflamme ton âme.
Les royaumes sont
quelquefois détruits à cause des mauvais princes, et comme un roi
doit vivre selon Dieu.
CHAPITRE 73
Le Fils de Dieu parle :
Comme pour la charité d’un homme, un royaume est sauvé, ainsi est-il
quelquefois perdu pour les mauvaises inventions et surcharges, comme
je t’en dis un exemple d’un dont le roi, se confiant moins en Dieu
qu’en l’argent qu’il levait sur son peuple et sur les étrangers
frauduleusement sous couleur de justice, en a enfin perdu la vie,
laissé son royaume en trouble, et ses mauvaises inventions sont
passées en coutume et ont force de loi ; mais s’il se confie en Dieu
et exige charitablement le secours de son peuple, Dieu le peut
sauver avec peu et le remettre plus tôt en paix, à cause de sa
charité. Si donc le roi désire de prospérer, qu’il garde sa promesse
à Dieu et la justice à son peuple, prenant soigneusement garde de
s’introduire de nouvelles inventions et subtilités pour le
surcharger ; qu’aux affaires d’importance, il suive le conseil de
ceux qui ont la crainte de Dieu, et non des avares, car il vaut
mieux souffrir quelque adversité en ce monde que manquer à escient
contre Dieu et contre son âme.
Dieu menace grièvement
les gens de guerre d’un royaume, et dit qu’il y a trois choses pour
apaiser sa justice.
CHAPITRE 74
Le Fils de Dieu parle :
Je t’ai dit ci-devant que je voulais, avec le glaive et la colère,
visiter l’ordre militaire de ce royaume. Mais ils répondent : Dieu
est miséricordieux : il ne nous arrivera pas de mal. Faisons, pour
le peu de temps qui nous reste, notre volonté ; c’est pourquoi
entends ce que je te dis : Voici que je me veux lever contre eux. Je
ne pardonnerai ni à jeune ni à vieux, ni à pauvre ni à riche, ni à
juste ni à injuste, mais j’irai avec mon araire et renverserai ce
chaume et ces arbres, de sorte que, de mille, il n’en demeurera pas
cent, et les maisons demeureront désertes. La racine de cette
affliction sera arrachée, et les puissants seront mis à bas. Les
oiseaux de rapine feront mille et mille ravages, mangeant ou gâtant
ce qui n’est pas à eux.
Toutefois ma colère
peut être apaisée, si, au lieu de la superbe, de la gourmandise et
de la concupiscence qui règne en cet état, on embrasse l’humilité,
la modestie dans les habits, la tempérance aux convives, et la
continence en ses convoitises. Si le prince de cette terre qui y est
remis, a souvent relâché de la justice par injustice et a volé
plusieurs, édifie un monastère en l’honneur de ma Mère au lieu que
je te marque, je l’aiderai et lui augmenterai mon amour, à lui et à
tous ceux qui l’assisteront ; sinon je l’appellerai sous ma
couronne, et j’augmenterai d’autant plus ses afflictions et ses
calamités, qu’il a eu d’honneur, de gloire et de contentement, et
son royaume sera en opprobre, et ses habitants seront en tristesse.
CHAPITRE 75
Jésus-Christ reprend
une certaine dame de plusieurs graves excès, lui déclare la punition
qu’elle mérite pour ses fautes, et qu’en vertu de la pénitence et
satisfaction, il change sa justice en miséricorde.
L’épouse ouït les
discours suivants, que Jésus-Christ tenait à une dame : Tes yeux ont
été portés par la curiosité à voir toutes choses voluptueuses, tes
oreilles à ouïr bouffonner ou te louer, ta bouche prête à la
détraction et à la vanité ; ton ventre, à qui tu n’as rien, rien
refusé, a été plein de délices. Tu ornais ton corps pour ta louange,
et non pour la mienne, au delà de toute croyance. Mes amis étaient à
ta porte, misérables, nus et faméliques ; ils criaient et tu ne les
voulais ouïr ; s’ils désiraient d’entrer, tu les menaçais de ton
indignation ; tu leur reprochais leur misère et te moquais d’eux, au
lieu d’en avoir compassion. Tout travail entrepris pour l’honneur de
ton corps te semblait léger, mais au contraire pesant, et comme
insupportable tout ce qui était pour mon honneur. Tu te couchais et
levais à ton plaisir, sans avoir égard à ma justice. Tu cherchais
tout ce qui ne semblait beau au monde, et tu as méprisé le Créateur
du monde.
Pour ce, si je te
traitais selon la justice, pour la superbe de ton maintien et de tes
actions, tu serais en abomination à toutes les créatures, confuse de
honte et d’opprobres. Pour ta luxure, tes membres seraient tous
séparés l’un d’avec l’autre, ta chair consumée en pourriture, ta
peau si bouffie qu’elle en romprait, tes yeux arrachés, ta bouche de
travers, ton nez, tes pieds et tes mains tronqués. Pour avoir
méprisé les pauvres et mes amis, et pour ton avarice, tu mérites
d’être saisie d’une faim si enragée que tu déchirasses ta chair et
dévorasses les excréments de ton corps, sans en sentir aucun
soulagement. Pour ta paresse, tu serais en perpétuelle misère et
tristesse.
Pour la faveur et amour
des hommes, que tu as tant recherchés, et non le mien, tu mérites
d’être tellement abandonnée de tous, que tes plus grand amis, et
même tes enfants, t’eussent en horreur et s’éloignassent de toi
comme d’une charogne puante et insupportable à leur vue, aimant cent
fois mieux ouïr les nouvelles de ta mort qu’avoir la rencontre de
ton entrevue. Pour les maux que tu as faits à ton prochain, lui
ravissant ou retenant son bien, pour en accroître ta superbe, tu
devrais être hachée à petits morceaux, et pour n’avoir eu compassion
de ses misères, tu devrais être sciée en plusieurs pièces et piquée
de plusieurs poinçons bien acérés. Pour l’envie et la colère dont tu
étais gonflée, tu mériterais d’être dévorée des démons et brisée
sous leurs dents comme farine, sans pouvoir mourir, capable de
souffrir à jamais le même supplice.
Néanmoins, parce que je
suis miséricordieux, et ne fais point justice sans miséricorde, ni
miséricorde sans justice, je suis prêt à faire miséricorde à tous
ceux qui font pénitence, sans quitter pourtant la justice, car je ne
fais que modérer les peines, en quoi je ne fais tort, ni aux démons
dans l’enfer, ni aux bons anges dans le ciel. Bref ayant offensé
Dieu par toutes les parties de ton corps, tu dois en toutes en faire
pénitence, pour recouvrer, par un petit travail, un grand repos et
des biens inestimables.
Que ta bouche soit
fermée au babil et parole indiscrètes, tes oreilles bouchées à la
détraction, tes yeux clos aux regards curieux et inutiles. Que tes
mains soient toujours ouvertes pour donner libéralement aux
pauvres ; fléchis tes genoux pour leur laver les pieds. Privé ton
corps de toutes délices, et le remets à tel point que le trop de
gaillardise ne lui nuise à la persévérance de mon service. Que tes
vêtements soient tellement accommodés à la modestie, que la
nécessité ou l’utilité seule y ayant place, pas un fil ne puisse
donner soupçon de superbe.
CHAPITRE 76
Jésus-Christ parle :
Dis à ton maître qu’il hausse sa voix et ne cesse de publier que je
viendrai bientôt, et qu’heureux seront ceux qui seront véritablement
humbles.
CHAPITRE 77
Le royaume de Suède
est grandement menacé.
Le Fils de Dieu parle :
Je sillonnerai cette terre avec justice et tribulation jusques à ce
que les habitants apprennent à demander miséricorde à Dieu.
CHAPITRE 78
Il est ici parlé de
cinq rois semblables aux brutes,et d’un sixième qui est menacé
d’être dépossédé de son royaume, et de plusieurs filles affligées.
Le Fils de Dieu parle :
Je t’ai ci-devant fait voir cinq rois et leurs royaumes: le premier,
âne couronné, parce que, dégénérant des bons princes, il a honni son
honneur et sa gloire : le deuxième, loup insatiable, a, par son
imprudence, enrichi ses ennemis ; le troisième, aigle sublime,
méprisant tout le monde ; le quatrième, bélier volage, frappant,
avançant et brisant, tournant à son profit la justice de Dieu ; le
cinquième, agneau occis, non sans tache, de qui le sang épandu a
causé beaucoup de troubles et de subversions.
Maintenant je te fais
voir le sixième roi, qui troublera la terre et la mer, attristera
les simples, déshonorera la terre de mes saints et la couvrira du
sang des innocents, et qui, par son audace, s’est arrogé la
vengeance qui m’est réservée : c’est pourquoi, s’il ne prend
vitement garde à soi, la foudre de mes jugements l’écrasera, et son
royaume sera abandonné à la tribulation, de sorte qu’il arrivera ce
qui est écrit dans les sacrés cahiers : Ils sèment le vent et la
volupté, et ne recueilleront que troubles et angoisses. Je visiterai
en outre les grandes et opulentes cités, suscitant un affamé qui
dévorera tout ce qu’il y aura de beau et de bon; leurs maux
particuliers n’auront point de fin; les discordes foisonneront; les
insensés auront le maniement des affaires; les vieillards et les
sages n’oseront lever la tête; l’honneur et la vérité seront mis à
bas et foulés, jusques à ce que vienne celui qui apaisera mon ire et
qui mettra son âme pour la défense et le soutien de l’équité.
CHAPITRE 79
Jésus-Christ,
parlant des deux qui ont, à diverses considérations, été appelés
(matière épiscopale), donne ici de beaux enseignements aux évêques
pour se conserver en grâce et fuir les tentations.
Le Fils de Dieu parle :
Souviens-toi que je t’ai envoyé au maître que j’ai nommé, sujet pour
faire un évêque, et que, pour quatre raisons, on pouvait demander
qu’il le fût, et toutefois il ne l’a pas été, parce que les
jugements de Dieu sont disposés autrement que ceux des hommes, et
parce qu’il a voulu posséder Dieu sans supporter aucun mépris du
monde.
Je te parle maintenant
d’un autre que j’appelle bois ou matière à faire un évêque, et que
je chéris fort, le corps duquel je conforterai et sauverai des
pièges du diable. Sa conscience ne sera jamais obscurcie par les
piperies de Satan; son âme me sera offerte par ma Mère; auquel aussi
je demande trois choses : 1° qu’il marche avec prudence et ne
s’avance au-delà de ce qu’il doit; 2° qu’il franchisse les murailles
et les fossés, pour me présenter ce que j’aime le plus, savoir, les
âmes; 3° qu’il ne mette son pied gauche devant son pied droit, et
qu’il ne lève jamais un pied qu’il n’ait auparavant bien affermi
l’autre.
Que signifient ces
paroles : Qu’il marche avec prudence, sinon qu’il doit être prudent
et bien avisé en ses tentations, ne faisant pas trop d’abstinence,
de peur qu’il n’en demeure par trop faible et débile, ne flattant
aussi son corps plus qu’il ne faut, de peur que la chair ne se rende
insolente et revêche à l’esprit? Par les murs et fossés qu’il doit
franchir sont entendus tous les obstacles, contrariétés et
répugnances qui peuvent empêcher ou relâcher celui qui m’aime de
gagner les âmes. Or, ces obstacles sont la crainte des grands, les
faveurs qu’on départ aux flatteurs, les menaces des méchants la
honte et dommage du monde, l’amitié de nos amis charnels, notre
repos et intérêt particulier quel qu’il soit. Celui qui m’aimera
passera au-dessus de tous ces empêchements, porté par la confiance
en Dieu, par la fermeté de la foi, par la douceur et le désir de la
vie céleste. Les fossés sont les tentations de la chair, les
suggestions des esprits immondes, la lâcheté des âmes, la joie et
tristesse immodérées, l’endurcissement au mal, la froideur ou
tiédeur au bien.
Que mon évêque surmonte
toutes ces difficultés par la consolation des Écritures saintes, par
les exemples et vies des saints, par la méditation des miséricordes
que Dieu lui a faites, par la contrition de ses péchés, par la
fréquentation des sacrements, par la considération des jugements de
Dieu, par l’appréhension de la mort, d’autant plus épouvantable que
l’heure en est incertaine.
Si l’évêque franchit
ces murs et ces fossés, il pourra m’acquérir un grand et précieux
trésor, savoir, les âmes. Je serai toujours avec lui en son cœur et
en sa bouche, et conserverai son corps et son âme des embûches des
méchants. Le diable ne laissera pourtant de lui livrer plusieurs
assauts, de tous lesquels je le préserverai. Ses deux pieds sont
deux désirs de plaire, l’un à Dieu, pour obtenir la vie éternelle,
l’autre aux hommes, pour s’acheminer à Dieu.
Que l’évêque étende
donc son pied gauche, c’est-à-dire, qu’il plaise aux hommes par ses
salutaires admonitions, par sa sainte conversation, par une
paternelle compassion des dévoyés, de sorte qu’il ne se fourvoie des
commandements de Dieu, ou ne lui déplaise tant soit peu. Qu’il
étende son pied droit, je veux dire qu’il exerce sa miséricorde sans
oublier la justice, parce qu’il est plus glorieux de rendre compte
devant Dieu d’une miséricorde modérée que d’une équité surabondante.
Ces paroles : Que l’évêque ne lève pas un pied qu’il n’ait
auparavant affermit l’autre, signifient qu’il ne doit exercer son
zèle et affection envers les délinquants, qu’au préalable il ne soit
bien et dûment informé de la vérité, car il ne se doit pas croire
plus saint que David, qui toutefois a manqué à rendre justice,
quoiqu’ayant connu la vérité, et s’est corrigé, suivant le conseil
de la Sapience éternelle.
CHAPITRE 80
La bienheureuse
Vierge donne ici quelques conseils aux princes d’un royaume, afin
que le roi d’icelui se corrige de quelques excès.
La Vierge Marie, Mère
de Dieu, parlait à l’épouse de Jésus-Christ, disant : Je suis celle
à qui l’ange dit : Je vous salue, pleine de grâce : c’est pourquoi
aussi je présente ma grâce à tous les nécessiteux qui me la
demandent, et offre mon secours pour le gouvernement du royaume où
vous êtes née, contre les ennemis corporels et spirituels, les
habitants duquel j’avertis de travailler unanimement, afin qu’ils
obtiennent un roi qui veuille gouverner les habitants aux œuvres
dévotes et à la conversation honnête, auxquels faites savoir que la
divine justice propose de séparer le roi et toute sa génération du
gouvernement de ce royaume, et d’élire roi un autre né dans le
royaume, qui régnera selon le conseil des amis de Dieu et l'utilité
du royaume.
Faites donc quatre
choses selon mon conseil, afin que vous puissiez attirer à vous
plusieurs; ayez ce conseil secrètement avec les amis de Dieu et
caché à ses ennemis, afin que l’honneur de Dieu soit augmenté, que
la bonne conscience soit renouvelée, et que les choses aliénées de
la couronne soient rétablies.
Donc, qu’un de vous ou
plusieurs aillent au roi, lui disant : Nous avons à vous dire des
choses qui touchent le salut de votre âme, que nous vous prions de
tenir comme sous le sceau de confession; ajoutez-y aussi plusieurs
paroles, comme vous trouverez expédient, pourvu que le sens en soit
tel : Vous avez une mauvaise renommée en tout votre royaume : on
dit, 1° que vous êtes sodomite, ce qui est vraisemblable, d’autant
que vous aimez plus quelques hommes que Dieu, votre âme et votre
femme; 2° on doute si vous avez une foi droite, car étant interdit
par l’Église, vous entrez dans l’église et y oyez la messe; 3° vous
êtes un larron de votre couronne et des biens du royaume; 4° vous
êtes traître à vos domestiques et à vos sujets qui vous servaient
fidèlement, vous et votre fils, et que vous avez volontairement
livrés ès mains de leurs ennemis très-méchants, en considération
desquels la terre de Satan n’a jamais été assurée en leurs mains,
tandis qu’ils ont vécu.
Si vous êtes résolu
d’amender vos péchés et de recouvrer les terres aliénées, nous vous
servirons; si autrement, commettez-en l’affaire à votre fils sous
jurement de les recouvrer, d’aimer le bien public, d’assister les
soldats qui vous sont fidèles et de gouverner toutes choses selon
les lois de la patrie. Sachez néanmoins que Dieu a prévu et pourvu
pour soi un roi pour l’avenir, qui puisse avec moins de dommage et
de danger, pourvoir à son royaume, car le Seigneur a puissance
d’abréger aussi bien la vie du jeune que du vieux, ou le chasser
autrement de son royaume ou le protéger. Que s’il ne veut obéir, que
vous consultiez secrètement quelques-uns des princes et chevaliers
du royaume, et quand vous trouverez quelques-uns bienveillants,
inclinants et fidèles à ce, dites-leur en public que vous avez dit
en secret que vous ne voulez point servir aucun hérétique, ni
traître, ni même son fils, s’il désire être imitateur des crimes de
son père.
Cela étant fait, élisez
prince un de vous, qui puisse combattre de la part de la couronne,
lequel étant élu, s'il est parfait en bonté, sera mon ami; s’il ne
l’est, il sera mon ennemi et sera bientôt effacé. Vous lui baillerez
de l'argent et choses semblables, et moi, je lui donnerai un cœur
généreux, afin que celui qui n’a voulu obéir franchement, obéisse
par contrainte. Que si le roi se veut retirer de son royaume,
donnez-vous garde de l’imiter.
CHAPITRE 81
D’une grâce signalée
donnée à sainte Brigitte.
L’épouse de
Jésus-Christ eut ce grand don du Saint-Esprit, que toutes fois et
quantes que les hommes sales et superbes s’approchaient d’elle, elle
sentait une si mauvaise puanteur qu’à grand-peine elle la pouvait
supporter, d’où vient qu’un jour un homme tout plein de péchés,
s’approchant d’elle, lui dit : Que dites-vous de l’esprit que vous
dites avoir? Est-il de vous ou de quelque autre, ou peut-être du
démon?
Mais elle, ne pouvant à
grand-peine supporter sa puanteur, lui dit : Vous avez un hôte bien
puant, et il est tout ce que vous dites. Faites donc pénitence, de
peur que la vengeance divine ne vous assaille. Lequel, étant en
fureur, se retira, et étant endormi, il ouït des voix innombrables
des démons qui disaient : Tirons ces gens-ci au lieu des pourceaux,
car il a méprisé les avertissements de salut, lequel, retournant à
soi-même, corrigea par la grâce de Dieu sa vie criminelle. Et puis,
la puanteur étant ôtée, la bonne odeur prit sa place.
CHAPITRE 82
Exhortation à la
contemplation et à la pénitence.
Notre-Seigneur
Jésus-Christ parle : Je suis le Dieu de tous, dont Moïse ouït la
voix dans le buisson, Jean au Jourdain et Pierre en la montagne.
J’ai crié à vous, ô hommes, avec miséricorde; j’ai crié en la croix
pour vous avec larmes : Ouvrez les yeux et regardez-moi, car moi qui
parle, je suis très puissant, très pieux, et avec tout cela, très
beau sur toutes choses. Voyez, et informez-vous de ma puissance en
la vieille loi, et vous la trouverez en la création de toutes les
créatures; et encore je suis admirable et formidable; vous trouverez
ma force ès rois qui ont été rebelles, ma sapience en la création et
la disposition des visages humains, en la sagesse des prophètes;
informez-vous en la domination de la loi et en l’affranchissement de
mon peuple.
Voyez ma justice au
premier ange et au premier homme; voyez-la au déluge; voyez-la en la
subversion des cités et des villes; voyez ma patience à supporter
mes ennemis; voyez-la aux avertissements par mes prophètes; enfin
voyez et considérez ma beauté en l’éclat et opération des éléments,
en la glorification de Moïse, et lors voyez combien dignement vous
m’aimez et me devez aimer. Voyez encore que je suis celui-là même
qui parlait en la nouvelle loi, très puissant et très pauvre : très-
puissant en l’adoration des mages et en la démonstration de
l'étoile; très pauvre, ayant été enveloppé de langes et couché dans
une crèche.
Voyez-moi encore réputé
très sage et très fou : très sage, puisque les adversaires ne
pouvaient me répondre; très fou, étant repris de mensonge, et jugé
comme coupable. Voyez-moi très vertueux et très méprisé : très
vertueux en la guérison des malades et à chasser les diables; très
méprisé, étant fouetté en tous mes membres. Voyez qu’étant très
juste, je suis réputé très injuste : je suis très juste en
l’institution de la vérité et de la justice; réputé très injuste,
étant condamné à une mort si horrible. Voyez-moi encore très pieux,
et être traité d’une manière très impie : très pieux en la
rédemption et l’abolition des péchés; traité d’une manière impie,
étant en un gibet avec des larrons. Voyez-moi enfin très beau en la
montagne, très laid en la croix, d’autant que je n’avais ni figure
ni éclat.
Voyez que je suis celui
qui parle à vous, qui ai pâti pour l’amour de vous. Contemplez, non
avec les yeux de la chair, amis avec ceux de l’esprit. Voyez ce que
je demande de vous, ce que je vous ai donné et ce que vous me
rendrez. Je vous ai donné l’âme sans souillure, rendez-moi l’âme
sans souillures; je pâtissais pour vous, afin que vous me suiviez;
je vous ai enseigné, afin que vous viviez, non selon vos volontés,
mais selon les miennes. Oyez d’ailleurs ma voix qui vous dit :
Faites pénitence.
Oyez ma voix qui criait
au gibet : J’ai soif de vous. Oyez encore ma voix, qui dit plus
hautement : Si vous ne faites pénitence, le malheur vous accablera,
malheur qui sèchera votre chair, serrera votre âme de crainte; vos
moelles se dessècheront ; votre force sera affaiblie ; votre beauté
se flétrira ; la vie vous sera à dégoût : vous chercherez la fuite
et vous ne la trouverez pas : partant, fuyez vitement à la cachette
de mon humilité, de peur que le malheur qui vous menace ne vous
arrive. On vous menace afin de l’éviter, et vous l’éviterez, si vous
le croyez et le fuyez ; autrement l’évènement donnera foi à mes
paroles ; néanmoins en verrez-vous de sages, si je manque à ce que
je promets, bien que je patiente, et en patientant, j’attends ce
fruit de la conversion.
CHAPITRE 83
En quoi on connaît
que Jésus-Christ est Dieu.
La Sainte Vierge
parlait, disant. En trois choses, en la mort de mon Fils, on
pourrait connaître qu’il était Dieu et homme : 1- d’autant que la
terre trembla et que les pierres se fendirent ; 2- quand il dit que
l’Écriture était accomplie ; 3- quand il dit au larron : Vous serez
aujourd’hui avec moi en paradis ; car pas un des saints ne pouvait
promettre cela.
Après, le Fils parlait
à ceux qui l’environnaient, disant : O mes amis, mes paroles sont
éternelles, et vous savez et voyez tout en moi. Pour l’amour
néanmoins de celle qui est ici, qui ne pourrait le comprendre sans
quelque similitude, je me plains devant vous.
J’ai eu trois amis au
monde : le premier m’a aimé d’autant qu’il m’a goûté, car il pensait
en soi-même : Dieu me donne les fruits de la terre et les arbres,
les poissons de la mer, et d’ailleurs le corps et l’âme, la santé et
tout ce qui est nécessaire ; c’est pourquoi il m’a aimé par la foi
et par les œuvres de charité, aumônes, jeûnes, et ceux-là étaient de
bons laïques.
Le deuxième m’a aimé,
d’autant qu’il goûtait et voyait : il a goûté que la terre donnait
son fruit et que le ciel donnait la pluie. Il vit aussi dans les
Écritures comment il fallait vivre, quelles étaient ma vie et mon
institution et celles de mes saints. Il considéra à part soi : Les
hommes sont comme aveugles et comme morts : donc, puisque Dieu m’a
donné la science, je les instruirai ; et ceux-là étaient des prêtres
savants qui me louaient et me glorifiaient par œuvres, menant une
bonne vie.
Le troisième m’a goûté
et vu, et m’entendant parfaitement, il me considéra ; il m’a aussi
goûté avec mon premier ami, quelle utilité lui portaient la terre et
le ciel dont il était éclairé ; il vit avec le deuxième, dans les
Écritures, ce qu’il fallait fuir et ce qu’il fallait embrasser ; en
troisième lieu, il considéra l’amour que je lui avais manifesté.
Partant, pour ces trois considérations, il se mortifia par esprit
d’amour en trois manières :
1 - Il considéra ma
nudité et ma pauvreté, et quittant le monde, il embrassa la
solitude ;
2 - il considéra la
patience de mes tribulations ; c’est aussi ce qui fit qu’il embrassa
l’abstinence ;
3 - il considéra mon
obéissance jusques à la mort de la croix, c’est pourquoi il laissa
sa volonté ès mains d’autrui ; ceux-ci étaient ceux qui demeuraient
dans les cloîtres.
Ces trois, mes amis,
criaient toujours à moi, et leur voix m’était agréable comme une
bonne boisson qui est délectable à un qui a soif. Mais maintenant
mes amis se sont retirés de moi, et leur voix m’a été abominable
comme la voix des grenouilles.
Le premier,
c’est-à-dire, la communauté, dit : Je labourerai la terre,
puisqu’elle me donne des fruits agréables dont je vis. C’est de mon
industrie que j’ai quelque chose, car si je ne travaillais, je
n’aurais rien, sans connaître que c’est moi qui leur donne la vie et
la santé, ni m’en remercier ; ils ne considèrent point que c’est moi
qui dispose le temps à leurs commodités, et que je prépare l’air du
ciel pour rendre la terre fertile ; ils ne considèrent point aussi
pour quelle fin je les ai créés et qu’ils me rendront compte de mes
œuvres : c’est pourquoi ils s’en attribuent la louange, et ils
vivent selon leurs volontés ; et d’ailleurs, ils me dépouillent de
leur droit, d’autant qu’ils ne me paient pas même les dîmes.
Le deuxième dit : Tout
ce que j’ai vient de mon industrie, et je le possède de bon droit :
partant, je veux vivre selon mes plaisirs ; je tâcherai d’avoir la
sapience des hommes, car la sapience divine n’est que folie ; ses
commandements sont onéreux, et son exemple est difficile à imiter.
Je suis appelé aux honneurs : partant, je me ferai honneur autant
que je pourrai, car la joie est d’être grand au monde.
Le troisième dit :
J’entrerai dans le monastère, afin d’avoir plus d’honneur que les
premiers ; je m’assiérai où je viendrai pour la pauvreté, je ne veux
pas que rien me manque. Pour l’abstinence, je veux que cela dépende
de mon vouloir ; pour l’obéissance, je ne me soucie point d’obéir à
Dieu, pourvu que j’obéisse aux hommes, car pourvu que je leur
plaise, il me suffit.
Telle est leur maudite
clameur en mes oreilles, et tels ils sont devant moi.
CHAPITRE 84
Du choix des païens.
Jésus dit : Je suis
comme un potier qui, avec de la boue, fait une belle image afin de
la dorer excellemment. Mais quelque temps s’étant écoulé, le potier,
voyant l’image humide et comme déformée à raison de l’humidité,
savoir, la bouche tordue et sans beauté comme une bouche de chien,
les oreilles pendantes, les yeux renversés, le front et les joues
avalées, dit : Vous n’êtes pas digne d’être vêtue d’or. Et la
prenant, il la brise et ne fait une autre digne de son or.
Je suis le potier qui
ai fait l’homme avec la terre pour l’orner et l’embellir de l’or de
ma Divinité. Mais maintenant, l’amour de sa volupté et cupidité l’a
tellement déformé qu’il est indigne de mon or, car sa bouche, qui
avait été créée pour ma louange, ne dit que cajoleries et
plaisanteries nuisibles au prochain ; ses oreilles n’écoutent que
les choses terrestres ; ses yeux ne voient que ce qui est
voluptueux ; le front d’humilité et de honte est déchu, et la
superbe s’y est élevée : c’est pourquoi j’élirai pour moi les
pauvres païens méprisés, et je leur dirai : Entrez, et reposez-vous
dans les bras de ma charité. Mais vous qui deviez être à moi et
m’avez méprisé, vivez selon votre volonté, votre temps ; et à mon
temps, au jour du jugement, je vous dirai : Vous aurez autant de
tourments que vous avez aimé les voluptés.
Plus que Dieu. Mais
celui-ci est venu à moi comme un petit chien, se soumettant à la
loi : partant, c’est pourquoi le péché lui est pardonné.
CHAPITRE 85
De trois choses qui
doivent être au cœur de l’homme.
La Sainte Vierge Marie
parle, disant : En la milice du Roi des anges, il y a trois choses :
1- abondance sans diminution ; 2- la stabilité n’est jamais
renversée ; 3- ce qui est luisant n’est jamais noirci. De même il
faut qu’au corps il y ait trois choses, et trois en l’âme : la
première, qui abonde et ne diminue jamais en l’âme, c’est le don du
St-Esprit qui est donné à l’âme ; la deuxième : elle doit être
stable ès bonnes œuvres et ne les renverser point par une mauvaise
volonté ; la troisième doit être reluisante en beauté et progrès des
bonnes œuvres, afin qu’elles ne soient offusquées par la couleur
d’une méchante affection ou concupiscence.
Au corps aussi doivent
être trois choses : 1- la réflexion ; 2- le labeur ; 3- la défense
et abstinence des voluptés charnelles. Partant, en premier lieu, le
sommeil, les veilles et la réflexion doivent être pris avec
tempérance, afin que le corps puisse continuer le service de Dieu ;
en deuxième lieu, persister au travail avec discrétion ; en
troisième lieu, être joyeux et content dans le service de Dieu, et
repousser toutes les volontés dépravées dont l’âme est illuminée ;
et d’autant que mon ami a lié ses mains par le vœu afin que le corps
n’avance sur l’âme, moi, qui suis Reine du ciel et qui suis
très-aimée et très-proche de mon Fils, je l’exempte de son vœu,
d’autant que mon Fils le veut ainsi. Je suis celle de laquelle il a
commencé sa prédication. Je vous précède par mes prières comme
l’astre le soleil, quand je suis mon Fils en gouvernant.
Partant, je lui promets
de donner à son corps comme il est convenable à la nature, et
partant, je veux qu’il mange de la viande les jours de viande, et du
poisson le jour de poisson ; et d’ailleurs, je lui donne trois
choses :1- la forme ès bonnes œuvres ; 2- la sapience abondante en
son âme ; 3- la force plus grande à proférer les paroles divines
avec plus grand zèle. D’abondant, la crainte qu’il a à manger de la
viande, je la lui changerai en bien et mérite, de sorte que les
viandes qu’il doit prendre lui profiteront pour la force corporelle
et spirituelle, de sorte que l’âme fondra d’amour.
Après, le Fils,
apparaissant, dit : L’office des apôtres lui est enjoint, c’est
pourquoi je lui permets d’user des viandes des apôtres ;
certainement les apôtres mangeaient tout ce qu’on leur donnait. De
même doit-il faire quant à la réfection du corps, car je l’envoie,
non aux Gentils comme mes autres amis, mais aux mauvais chrétiens ;
car comme l’épouse qui s’est retirée contemptiblement de son époux,
est plus difficilement réunie avec lui que celle qui n’a point goûté
la volupté, de même il est plus difficile que les mauvais chrétiens
retournent à Dieu, que ceux qui n’ont jamais goûté les paroles de
Dieu et la bonté de sa douceur. Partant, puisqu’il est mon ami et
que je l’aime intimement, je lui impose la charge la plus pesante.
Néanmoins, quand il aura fait tous ces efforts, tout lui sera rendu
plus facile. Qu’il soit donc disposé à aller prêcher ès cœurs
fertiles, qui apporteront un grand fruit, qui sont la terre de mon
Église, laquelle. Étant cultivée par les sages, apportera un grand
fruit. Qu’il marche donc assurément : je serai dans sa bouche et
dans son cœur.
CHAPITRE 86
Du danger de la joie
des mondains.
La Sainte Vierge Marie
parle : La joie est tempérée lorsqu’on sait pour certain que les
pleurs s’ensuivront. Les ris des mondains en seront de même, que les
douleurs s’ensuivant en tous les membres, et que le cœur, venant à
crever, convertira la joie en tristesse : c’est un grand danger de
ne se réconcilier point au juge, avant que le glaive sépare la tête
du corps. Un tel danger pend sur la tête de l’homme, quand il ne
tâche de se réconcilier à Dieu justement courroucé, avant que l’âme
soit séparée du corps.
CHAPITRE 87
Ceux qui ne veulent
laisser les péchés sont indignes de la grâce du Saint-Esprit.
La Sainte Vierge Marie
dit : La coutume est chez vous de donner quelque chose à celui qui
vient à vous avec un sac pur et net, et jugez celui- là indigne de
recevoir quelque chose de vous, qui ne veut ouvrit ni nettoyer son
sac, étant plein de fange et d’ordure : de même en est-il en la vie
spirituelle, quand la volonté ne veut quitter ses offenses, la
justice veut qu’il ne jouisse point des influences du Saint-Esprit ;
et quand la volonté n’est pas d’amender sa vie, il ne mérite point
la viande du Saint-Esprit, soit que celui-là soit roi, un César,
prêtre, pauvre ou riche.
CHAPITRE 88
Du prêt d’argent
sans usure.
Si quelqu’un vous
emprunte de l’argent pour l’amour de Dieu, et sachez qu’il n’en
offensera pas Dieu, demandez-lui quand il vous le pourra rendre,
avisant à ce que vous n’en ayez besoin pour l’entretien de votre
maison ; prêtez-lui le superflu sans usure, tant qu’il en a besoin
et que vous lui en pouvez prêter, et le jour qu’il vous le rendra,
Dieu vous en rendra la récompense pour chaque denier. Que s’il ne
vous le rend pas au temps fixé, vous le pouvez demander selon les
lois de la patrie sans en rien prendre d’usure, car Dieu vous le
rendra, de sorte que vous pouvez acquérir des choses spirituelles
avec votre argent plus que non pas si vous le teniez enserré en
votre coffre ; mais donnez-vous garde de prendre une seule obole
d’usure, si vous en désirez la récompense de Dieu.
CHAPITRE 89
Du secours de la
Sainte Vierge à ceux qui veulent se réconcilier avec Dieu.
Il semblait à sainte
Brigitte que la Sainte Vierge était auprès d’elle ; à sa droite
étaient plusieurs instruments avec lesquels elle se pouvait défendre
de tous les périls et dangers, et qu’à gauche étaient comme des
armes propres pour punir ceux qui, par leur mauvaise volonté,
s’étaient damnés. Lors la Sainte Vierge dit à l’épouse : Comme vous
voyez divers instruments, chacun propre pour son ouvrage, de même je
viendrai au secours de tous ceux qui craignent et aiment mon Fils,
et qui résistent généreusement contre les tentations de Satan.
Ceux-là sont comme
assis entre les murs du camp, combattant tous les jours contre les
ennemis, les malins esprits, auxquels je viens en défenderesse avec
mes armes ; et cependant que les ennemis s’efforcent de percer la
muraille et de la détruire, j’y mets un appui ; s’ils s’efforcent de
monter par des échelles, je les fais trébucher avec des fourches ;
s’ils s’efforcent de faire des trous en la muraille, je les bouche
dès l’instant. C’est en cette manière que j’aide tous ceux qui
veulent se réconcilier avec mon Fils et ne pécher désormais à
escient ; et bien que j’aie nommé trois sortes d’instruments, j’aide
et défends mes amis d’un nombre quasi infini d’autres instruments
qui sont à gauche : je veux vous en nommer trois.
Le premier est mon
glaive, qui est fort aigu et tranchant ; le deuxième est un lacet ;
le troisième, c’est le bois pour brûler ceux qui ont la volonté de
pécher jusques à la fin, à laquelle ils se condamnent aux peines
éternelles ; car quand l’homme fait résolution de pécher toute sa
vie, il faut que la justice divine le condamne aux peines
éternelles ; et comme on a accoutumé de punir les forfaits en terre
par diverses morts, de même a-t-on accoutumé de punir en enfer les
damnés par divers genres de supplices : partant, quand l’homme veut
pécher durant toute sa vie, il est digne que le diable ait puissance
sur son corps et sur son âme.
Et comme est coupée des
os, de même il sera au pouvoir du diable de séparer le corps et
l’âme d’une peine très-amère, comme si la chair était séparée des os
avec une pierre, et qu’il pût vivre longtemps en cette peine. Sachez
néanmoins pour certain que quand quelqu’un serait livré au diable à
raison de l’énormité de ses crimes, Dieu ne lui ôterait point la
grâce de se repentir, tant que l’âme sera avec le corps et que
l’homme sera en bon sens. Mais Dieu abrégera les peines à ceux qui
n’obtiendront point le temps de se repentir, afin que le diable
n’ait pas autant de puissance, pendant la vie, qu’il en a dans
l’enfer ; car comme si quelqu’un sciait le col de quelqu’un pour lui
causer une plus grande douleur, de même le diable en fait en enfer
contre l’âme vivante en la mort éternelle. Le lacet signifie la
douleur que l’âme damnée souffrira après la mort, qui sera plus
grande que la vie n’a été longue au monde.
Et le diable voudrait
que celui qui a volonté de pécher vécût plus longtemps, afin qu’il
le pût plus faire endurer dans l’enfer : partant, ma grâce a rompu
ce lacet que vous voyez, c’est-à-dire, elle a abrégé la vie
misérable de la chair contre la volonté du diable, afin que la peine
ne soit si grande que l’ennemi désire. Le diable allume le feu aux
cœurs de ses amis, qui vivent en leurs voluptés ; et bien que leur
conscience leur dise que cela est contre Dieu, néanmoins, ils
veulent satisfaire à leurs voluptés, ne se souciant de Dieu : c’est
pourquoi le diable a droit d’allumer autant de fois les feux de
l’enfer qu’ils ont accompli dans le monde leurs perverses voluptés.
CHAPITRE 90
De la recommandation
de saint François et de la répréhension de ses frères.
Sainte Brigitte, étant
en Assise en l’église des Frères mineurs, ouït et vit Jésus-Christ
qui lui disait : Mon ami François est descendu, du mont des délices,
en une grotte où son pain était la divine charité, sa boisson les
larmes continuelles, son lit la méditation de mes œuvres et de mes
commandements. Or, maintenant ses Frères montent en la montagne des
soins et des délices du siècle, et ne considèrent point l’humilité
et la consolation dont leur père et mes amis jouissaient. Mais
dites, qu’avez-vous en votre cœur ? Pourquoi vous troublez-vous ?
Oui, dites-le, bien que je sache toutes choses. Elle dit : Je me
trouble, d’autant que plusieurs disent que ce saint a controuvé ces
indulgences, et quelques-uns disent qu’elles sont nulles.
Jésus-Christ lui dit :
Celui qui controuve quelque chose est semblable à l’hirondelle qui
se laisse emporter aux faveurs des flatteurs ; mais mon ami fut
comme un feu embrasé et une pierre enflammée, d’autant qu’il m’avait
en soi, moi qui suis le feu divin. Et comme le feu et la paille ne
sont pas bien ensemble, de même la fausseté n’a point de lieu où
sont la vérité et la charité divines. Or, mon ami François a dit la
vérité : et d’autant qu’il voyait la froideur des hommes du monde
envers Dieu et la cupidité vers le monde, il me demanda un signe de
charité pour animer les hommes à la charité et diminuer leur
cupidité. Je lui ai donc octroyé ce don, me le demandant en charité,
à moi qui suis la charité même, savoir, que tous ceux qui
viendraient en ce lieu vides du péché, seront remplis de
bénédiction, et obtiendront indulgence plénière.
La sainte répondit
encore : Mais quoi ! ô mon Seigneur, votre lieutenant doit-il
révoquer ce que vous avez donné?
Jésus-Christ répondit :
Il est certain, ce que j’ai dit à saint Pierre et à ses successeurs,
que tout ce qu’il liera sera lié. Néanmoins plusieurs choses données
sont ôtées à raison de la malice des hommes, et les mérites et les
grâces sont augmentées à raison de la foi.
CHAPITRE 91
Que toutes les
paroles de la Bible sont de Dieu.
Dieu le Père parlait de
son Fils à sainte Brigitte, disant : Oyez, vous qui admirez les
paroles écrites en la Bible. Sachez pour certain que chaque parole
est de moi, et elle a sa propre vertu, comme vous voyez que les
pierres précieuses ont au monde leurs particulières propriétés
naturelles : comme l’aimant a la vertu active d’attirer le fer,
quelques autres de moudre le grain, les autres en ciment pour unir
les autres pierres, les autres effilent les couteaux, et ainsi
chaque pierre a sa vertu : de même en est-il de chaque parole qui
est de moi : elle a toutes ses forces, et toutes demeurent stables
en la beauté éternelle reluisante au ciel devant la milice céleste,
comme les pierres belles et brillantes enchâssées en l’or ; et celui
qui est au ciel connaît la vertu singulière de chacune de mes
paroles.
CHAPITRE 92
De la consolation
que saint Denis donna à sainte Brigitte.
Le mari de sainte
Brigitte, étant en chemin, de retour du pèlerinage de Saint Jacques,
tomba malade à Atrabalé ; et la maladie augmentant, sainte Brigitte
s’affligeait fort et fut consolée par saint Denis, qui, lui
apparaissant en l’oraison, lui dit : Je suis ce Denis qui, de Rome,
suis allé en France prêcher l’Évangile toute ma vie. Mais vous
m’aimez d’une particulière dévotion : c’est pourquoi je vous dis que
Dieu veut être connu au monde par vous, et vous vous êtes donnée à
ma garde et protection : c’est pourquoi je vous aiderai toujours, et
je vous en donne ce signe, que votre mari ne mourra point de cette
infirmité.
Et ce grand saint
visitait ainsi sainte Brigitte en ses révélations.
CHAPITRE 93
De la tentation.
O diable, dit sainte
Brigitte, vous êtes tombé par votre superbe. Et moi, pourquoi
chercherai-je de l’orgueil en mon sang, puisque la chair de la reine
n’est pas la meilleure que celle de la Chambrière, mais tout est vil
et terre ? Pourquoi ne m’humilierai-je, puisque je ne puis avoir une
des plus petites bonnes pensées, si Dieu ne me la donne?
Lors Notre Seigneur,
lui apparaissant, dit : L’humilité est une échelle qui monte de la
terre au cœur de Dieu.
CHAPITRE 94
Des cheveux de
Notre-Dame que sainte Brigitte obtint.
Sainte Brigitte,
demeurant quelque temps en la cité de Naples, envoya pour elle une
sienne sœur Claire au monastère des religieuses du monastère de
Sainte-Croix, et lui dit : Dites : J’ai, dit Dieu, des reliques des
cheveux de Notre-Dame qui me sont données par une sainte reine, que
je vous veux donner selon l’inspiration que j’en ai, et cela vous
sera en signe de vérité que je mourrai bientôt, et que je viendrai à
mon Seigneur, que mon âme a toujours aimé.
Quelque peu de jours
après, ayant reçu les saints sacrements de l’Église, elle mourut.
Or, sainte Brigitte,
doutant si ces cheveux étaient ou non de la Sainte Vierge, la Mère
de Dieu lui apparut, disant : Comme il est vrai et qu’on croit que
je suis fille de Joachim et de sainte Anne, de même il est vrai que
ces cheveux ont crû sur ma tête.
CHAPITRE 95
De l’amour superflu
envers ses enfants.
Il arriva une fois, au
monastère d’Alvastre, que l’esprit de saint Brigitte s’enflammait en
l’amour des ses enfants, lorsqu’elle devait aller à Rome, ayant
compassion de les laisser seuls, privés de la consolation
maternelle, craignant aussi qu’en son absence, ils n’offensassent
Dieu avec plus de liberté car quoiqu’ils fussent jeunes, ils étaient
riches et puissants. Et lors elle vit au pot au feu, et un enfant
qui le soufflait, afin que le pot s’enflammât. Sainte Brigitte dit :
Pourquoi vous efforcez-vous de tant souffler ce pot?
Sainte Brigitte
répondit : Qui êtes-vous?
Je suis un négociateur.
Lors entendant qu’en
elle l’amour était mal réglé, elle se corrigea soudain, de sorte
qu’elle ne préférait rien a l’amour de Jésus-Christ.
CHAPITRE 96
De l’obéissance.
Un jour sainte Brigitte
se faisait lire un livre intitulé le Miroir des Vierges. Elle en fut
ravie, et revenant à soi, elle dit : Oyez que la virginité mérite la
couronne, la viduité approche de Dieu, le mariage va au ciel, mais
l’obéissance les introduit tous.
CHAPITRE 97
Une cabane est la
chambre de salut.
Jésus-Christ commanda à
son épouse d’aller à Rome en une abbaye nommé Farfa, disant que là
il y avait une chambre préparée pour elle. Et elle, étant arrivée là
avec Monsieur Pierre, son confesseur, et sa famille, à grand-peine
put-elle obtenir des Frères de ce monastère une pauvre cabane pour
loger, alléguant que ce n’était point leur coutume d’habiter avec
des femmes. Lors Jésus, lui apparaissant, lui dit : Cette chambre
est la chambre de salut, en laquelle vous pourrez mériter et
apprendre des choses sublimes, afin que, comme vous habitiez de
grandes maisons fort belles, maintenant vous paraissiez expérimenter
ce que mes saints souffraient, lorsqu’ils demeuraient dans les
cavernes. Elle accomplit les préceptes de Jésus-Christ et leur
obéit.
CHAPITRE 98
De la constance de
sainte Brigitte sur la mort de sa fille. Différence qu’il y a entre
la vraie mère et la marâtre. En quelle façon il faut nourrir les
filles.
L’épouse de
Jésus-Christ, ayant appris la mort de sa fille, Dame Ingebergue,
religieuse du monastère de Risabergh, tressaillant de joie, dit : O
mon Seigneur Jésus-Christ ! ô mon bien-aimé ! béni soyez-vous
d’avoir appelé ma fille avant que le monde l’enveloppât dans ses
rets ! Et tout soudain, entrant dans son oratoire, elle jeta tant de
larmes et de soupirs qu’elle fut ouïe de ceux qui étaient autour
d’elle, disant qu’elle pleurait sa fille. Lors Jésus-Christ lui
apparut et lui dit : Femme, pourquoi versez-vous tant de larmes ?
Bien que je sache toutes choses, je les veux toutefois connaître de
votre bouche.
Elle répondit : O mon
seigneur, je ne pleure pas la mort de ma fille, mais au contraire je
m’en réjouis ; parce que si elle eût vécu plus longuement, elle eût
été plus comptable devant vous, je pleure seulement de ce que je ne
l’ai pas instruite selon vos commandements, lui ayant donné des
exemples de superbe, pour l’avoir reprise trop lâchement des fautes
qu’elle commettait.
Jésus-Christ lui
répondit : La mère qui pleure de ce que sa fille a offensé Dieu et
lui donne de bonnes instructions selon sa conscience, celle-là est
véritablement mère de charité et mère de larmes, et sa fille est
fille de Dieu à cause de sa mère. Mais au contraire, la mère qui se
réjouit de ce que sa fille se sait comporter selon le monde, ne se
souciant pas de ses mœurs, pourvu qu’elle puisse être estimée et
honorée du monde, celle-là n’est pas vraie mère, mais marâtre :
c’est pourquoi, à cause de ta charité et de ta bonne volonté,
qu’elle passe à la couronne de gloire.
CHAPITRE 99
Jésus-Christ
dispense son épouse du vœu du jeûne en l’avant de Notre-Seigneur.
Lorsque sainte Brigitte
alla de Rome au sépulcre de saint André, apôtre, dans le royaume de
Sicile, à cause de diverses maladie, elle ne pouvait passer que dans
la ville de Bair. C’était au temps de l’avent, où elle avait
accoutumé de jeûner. En sa compagnie, il y avait plusieurs malades,
et aux chemins qu’elle tenait, il ne se trouvait point de poisson.
Elle pria Dieu d’avoir compassion d’eux, afin qu’il ne fût point
offensé, ni le prochain scandalisé, lorsqu’ils prendraient leur
réfection, ou que les malades jeûnant ne tombassent en quelque
faiblesse.
Lors Jésus-Christ lui
apparut et lui dit : Les poissons sont grandement froids, et le
temps n’est pas fort chaud ; le chemin est difficile et pierreux, et
vous êtes malades : partant, mangez ce que vous trouverez, car je
suis par-dessus tous les vœux ; et les choses qui sont à l’honneur
de Dieu et pour une médiocre sustentation du corps, ne seront pas
imputées à péché.
CHAPITRE
100
Comment une image
d’un crucifix prédit à une dame sa fin, laquelle sainte Brigitte vit
comme debout sur une colonne.
Certaine dame du
royaume de Suède, étant dans une église près de Saint-Jacques de
Galice, vit un crucifix peint en la muraille, lequel regardant
attentivement, avec dévotion et compassion, elle ouït pour lors une
voix lui parlant en cette sorte : En quelque lieu que ce soit que
vous verrez cette image et que vous l’entendrez parler vous
demeurerez là et y mourrez. Laquelle retournant à son pays, et
derechef s’acheminant à Rome, et étant arrivée à la ville de
Monflascon, elle vit en la maison de quelque dames une image
semblable à celle qu’elle avait vue en Espagne ; et lors cette image
lui dit : Vous entrerez là dedans et y demeurerez, car Je porterai
l’esprit de la maîtresse de ce logis à vous y donner une demeure.
Donc, étant retirée,
elle persévéra en ce lieu-là, menant une vie exemplaire et du tout
miraculeuse, accompagnée de jeûnes, de larmes et d’oraisons. Elle
vit une fois une colonne sur laquelle était debout une certaine dame
de médiocre stature, laquelle regardait et admirait plusieurs
troupes qui étaient à l’entour ; et de sa bouche sortaient comme une
rosée et des roses blanches et rouges, l’odeur desquelles était fort
agréable à ceux qui les regardaient. Veillant la nuit suivante, elle
vit la même chose et ouït une voix qui lui parla ainsi : La femme
que vous voyez est sainte Brigitte, votre maîtresse, laquelle,
faisant séjour à Rome, portera les contrées éloignées du vin mêlé de
roses, et en donnera aux pèlerins qui seront pressés de soif.
CHAPITRE
101
Le pèlerinage d’une
certaine Dame, sa mort et son salut, laquelle le diable purgea,
étant vivante.
Une certaine dame du
royaume de Suède, suivant sainte Brigitte à Rome, et craignant
l’inconstance de son mari, supplia sainte Brigitte de prier Dieu
pour lui ; laquelle priant, Jésus-Christ lui apparut et lui dit :
Allez, continuez votre chemin, et ne changez point la sainte
résolution que vous avez prise, car j’abrègerai à cette femme son
chemin ; je préparerai le corps, afin que, quand le sac sera épuisé,
je remplisse l’âme de douceur ; et le désir du mari sera accompli.
Donc, étant arrivée à
Milan, cette dame, frappée de maladie, mourut en paix ; et icelle
ensevelie, sainte Brigitte, faisant oraison, fut ravie en extase, et
ouït le diable se plaignant de ce que son âme ne lui était pas
adjugée. Auquel Jésus-Christ dit : Va, si tu l’as purifiée en
affligeant son corps, maintenant je possèderai l’âme qui était
dedans, et lui rendrai honneur.
CHAPITRE
102
Comment un certain
évêque, aimant le monde, fut séduit par le diable, et comment il
mourut sans fruit.
Certain évêque de la
ville de Vétan, pour lors étant vicaire en la Ville pour Clément,
pape, ayant eu quelques révélations divinement révélées à sainte
Brigitte et n’en ayant tenu compte, lors Jésus-Christ apparut à
sainte Brigitte faisant oraison, et lui dit ces paroles : Écoute,
Brigitte : parce que c’est ma volonté de te révéler les choses
futures, je te déclare que cet évêque n’aura jamais ce qu’il désire
à présent de tout son cœur ; mais au contraire, il laissera tout ce
qu’il a amassé et mourra hors de sa maison, et lui en prendra comme
au chien, car lorsque l’homme le veut décevoir, il enduit un fer
d’une chair grasse, de sorte que, le voulant dévorer, il
s’étrangle : de même le diable montre à cet évêque que les délices
du monde sont douces au cœur, et que tout ce qu’il possède est
convenable à son état.
Partant, il a résolu de
ne retrancher rien de ses menus plaisirs pour son âme, jusques à ce
que, pressé de la mort, il laissera toutes choses sans fruit. Et
vous verrez tout ce que je vous dis.
Peu de jours après, cet
évêque alla à Avignon, où il finit sa vie, et plein de regrets,
laissa ses trésors.
CHAPITRE
103
Jésus-Christ,
consolant son épouse troublée par le paiement de ses créanciers, lui
prédit qu’un messager lui apporterait de l’argent.
Il arriva, avant la
Toussaint, que sainte Brigitte, se trouvant à Rome, sans argent, fut
forcée d’en emprunter, car elle n’en avait pas reçu depuis trois ans
de son pays, de quoi elle était fort affligée, parce que ces
créanciers la pressaient tous les jours de leur rendre l’argent
emprunté. Lors Jésus-Christ lui dit : Prenez sans crainte l’argent
emprunté ; consolez-vous, et promettez à vos créanciers que vous le
leur rendrez le premier dimanche après l’Épiphanie du Seigneur,
quand on montre le suaire, parce qu’en ce temps-là, tout sera payé.
Ce qui fut fait ainsi, car environ vêpres dudit dimanche, le
messager vint du pays, apportant l’argent, et le même jour, les
créanciers furent satisfaits.
CHAPITRE
104
Jésus-Christ
révélait à sainte Brigitte les pensées d’un certain évêque qui
jugeait qu’elle ne mangeait des viandes délicates, lequel toutefois
était amis de la Vierge Marie.
Une fois, l’épouse de
Jésus-Christ, étant assise à un banquet avec un certain évêque
Dabodance, c’est à savoir monsieur Hémingue, mangeait à l’honneur de
Dieu des mets délicats qu’elle avait devant ; et pour cela, l’évêque
disait en son cœur : Pourquoi cette dame, ayant le don du
Saint-Esprit, ne s’abstient-elle pas des viandes délicates ? Lors
elle, ne sachant rien de telles pensées, environ vêpres, entendit en
esprit, lorsqu’elle était en oraison, une voix disant : Je suis
celui qui ai rempli de l’esprit de prophétie un pasteur : n’est-elle
pas là la raison de ses jeûnes?
Je suis celui qui unit
les mariés : qu’ont-ils mérité? J’ai commandé au prophètes qu’il
prit pour femme une adultère : ne m’a-t-il pas obéi ? Je suis celui
qui parlait avec Job, aussi bien quand il était dans les délices que
lorsqu’il était gisant dans le fumier ; d’autant que je suis
admirable, je fais sans nulle considération des mérites ce qu’il me
plaît. Laquelle révélation elle déclara incontinent à cet évêque; et
l’évêque, entendant cela, rentra en lui-même, et confessait qu’il
avait eu ces pensées à la table : c’est pourquoi s’étant humilié, il
lui demanda pardon et la supplia de prier Dieu pour lui.
Lors, le troisième
jour, la très-heureuse Vierge Marie étant apparue à la même sainte
Brigitte en oraison, lui dit : Dis au même évêque que, parce qu’il a
coutume de commencer ses sermons par ma louange, et d’autant que par
son jugement, il vous jugeait à table, et que ce jugement procédait
de charité, et non d’envie, c’est pourquoi, par charité, il mérite
d’être consolé. Dis-lui donc que je veux être sa Mère et présenter
son âme à Dieu. Et maintenant je vous expliquerai qu’il est le
septième animal des animaux que je vous ai ci-devant montrés, et
qu’il portera la parole de Dieu devant les rois et les pontifes.
(Cette révélation des
sept animaux est dans le Livre IV, Chap. CXXV.)
CHAPITRE
105
Paroles de
Jésus-Christ que sainte Brigitte rapporta à l’abbé de Farfa, afin
qu’il se corrigeât.
Jésus-Christ parle :
Monsieur l’abbé, vous devriez servir de miroir aux religieux : mais
vous êtes le chef des femmes débauchées, comme il se voit ès enfants
à raison desquels vous êtes diffamé. Vous devriez être l'exemple des
pauvres et le dispensateur de vos moyens aux indigents, mais vous
paraissez grand seigneur de l’argent qui vous est destiné pour les
aumônes; et cela se voit, parce que vous êtes plus souvent dans la
cour que dans le cloître.
Vous devriez être
docteur et mère de vos religieux, et vous leur êtes parâtre et
marâtre; vous vous plongez dans les délices et dans la pompe, et
eux, dans l’affliction, murmurent tout le long du jour : c’est
pourquoi, si vous ne vous corrigez, je vous chasserai de la cour, et
les moindres des religieux ne voudront pas être à votre compagnie,
ni vous ne retournerez pas en votre pays, comme vous croyez, ni
n’entrerez pas en ma gloire.
Et par après, toutes
choses arrivèrent ainsi.
CHAPITRE
106
Comment l’épouse de
Jésus-Christ obtint une vraie portion de la croix de Jésus-Christ,
laquelle, maintenant méprisés, apparaîtra terrible.
En Suède, un certain
jeune homme, du diocèse de Lincopen, avait de la succession de son
père une croix dorée, en laquelle il y avait des reliques du vrai
bois de la sainte croix. Ce jeune homme, forcé par la pauvreté,
vendit cette croix, et donna le bois à une dévote femme, laquelle,
craignant de le tenir chez elle, le donna à sainte Brigitte.
Mais sainte Brigitte
doutant si c’était du vrai bois de la croix ou non, Jésus-Christ lui
dit : Ce jeune homme a fait un échange désavantageux, car il a donné
une pierre très précieuse et n’a reçu que de la boue; il a donné du
bois par lequel il eût pu vaincre ses ennemis, et il a reçu un or
qui doit être méprisé; il a perdu le désir des anges, pour recevoir
le désir de ses yeux : c’est pourquoi le temps est venu où le bois
qui est maintenant méprisé paraîtra terrible, car peu pensent avec
combien de douleur j’étais attaché à ce bois, quand mon cœur fut
ouvert et que mes nerfs furent étendus.
Sainte Brigitte fit
donc mettre honorablement ce bois de la sainte croix dans une boite,
afin qu’il ne fût pas porté par des indignes.
CHAPITRE
107
Comment Jésus-Christ
permit que son épouse fut troublée, se trouvant à Rome sans maison
l’espace d’un mois, avec sa famille, et après, il la consola.
Sainte Brigitte étant à
Rome dans la maison d’un cardinal près de l’église de Saint-Laurent
l’espace de quatre ans, le vicaire du cardinal lieu dit qu’il
fallait qu’elle se retirât dans un mois, elle et sa famille, et
qu’elle cherchât logis ailleurs. Elle, entendant cela, resta fort
triste, parce qu’elle avait une fille belle, jeune, noble, et
agréable à tous ceux qui la regardaient : c’est pourquoi elle
craignait de ne pouvoir point trouver une maison semblable à celle
qu’elle avait pour conserver son honneur et celui de sa fille. Et
alors elle pria Dieu avec larmes de lui donner quelque remède,
lequel, désirant éprouver, sa servante lui dit : Allez et
expérimentez pour ce mois si vous et votre confesseur, en roulant
par la ville, pourrez trouver une maison qui vous soit commode. Et
elle, obéissant à son maître, accompagnée de son maître spirituel,
chercha par toute la ville avec peine et douleur durant le mois, et
n’en put trouver aucune qui lui fût commode.
Sa fille, dame
Catherine, voyant la tristesse de sa mère, et craignant pour son
honneur, versa souvent des larmes en abondance. Enfin, deux jours
avant que le terme expirât, et après avoir fait plier ses hardes et
son bagage pour délaisser la maison et aller loger dans les logis
des pèlerins, pressée de douleur, elle se mit en prière, demandant
avec larmes le secours du ciel. Alors Jésus-Christ lui apparut et
lui dit : Vous êtes toute troublée de ce que vous n’avez pu trouver
une maison commode : sachez que j’ai permis cela pour votre profit
et pour votre plus grande couronne, afin que, par expérience, vous
vissiez la pauvreté et les douleurs que ressentent les pauvres
pèlerins qui voyagent hors de leur pays, et que vous en eussiez
compassion. Toutefois je vous déclare que vous ne sortirez point de
cette maison; mais on vous enverra des messagers de la part du
maître de la maison pour y demeurer encore, consolée, comme vous
avez fait, en paix et repos avec toute votre famille, et demeurerez
là en sûreté avec tous les vôtres, ni désormais personne ne vous
inquiétera.
Sainte Brigitte s’en
alla, toute joyeuse, trouver Monsieur Pierre, son Père spirituel,
auquel elle déclara cette révélation. Et tout soudain un messager
frappa à la porte du logis, portant des lettres du maître de la
maison, par lesquelles il la consolait, lui écrivant de ne bouger
point de sa maison, mais qu’elle s’y établît et y habitât en paix et
en repos.
CHAPITRE
108
Combien le
bienheureux Prinulphe, évêque de Scaren, était agréable à Dieu et à
la Sainte Vierge Marie.
Il arriva que sainte
Brigitte, étant, un jour de la Purification, en l’église de la ville
de Scaren, sentit une odeur très-suave et inaccoutumée, dont
l’admiration ne l’eut pas sitôt saisie qu’elle fut quant et quant
ravie en extase. Et elle voyait pour lors la Vierge Marie, et avec
elle un homme d’une insigne beauté, revêtu des habits pontificaux.
Et alors la Sainte Vierge lui dit : Je veux que tu saches, ô fille,
que cet évêque m’a honorée durant sa vie, et a témoigné cet honneur
par œuvre. L’odeur que tu as senti a fait voir combien sa vie a été
agréable à Dieu. Mais maintenant, bien que son âme soit devant Dieu,
son corps toutefois est ici, gisant à terres sans aucun honneur; et
ainsi, cette perle que j’affectionne se trouve parmi les pourceaux.
(Il est parlé du même
évêque au Livre II, Chap. XXX.)
CHAPITRE
109
Comment l’écrivain
de cette révélation est guéri d’une grande douleur de tête.
Le R.P. prieur Pierre
raconte qu’endurant depuis son enfance une grande douleur de tête
sans intermission quelconque, il pria sainte Brigitte, qui était au
monastère d’Alvastre, de faire oraison pour lui à ce sujet. Voici
que lorsque sainte Brigitte priait, Jésus-Christ lu apparut et lui
dit : Va, et dis au Frère Pierre qu’il est délivré de son mal de
tête. Qu’il écrive donc allégrement les livres qui contiennent mes
desseins, que je t’ai révélés, parce qu’il n’aura manque d’aide et
d’assistance.
Et depuis ce temps-là
jusqu’à l’âge de trente ans, il ne senti aucun mal de tête.
CHAPITRE
110
Comment il faut que
les pauvres prennent ce qu’on leur offre avec actions de grâces.
Sainte Brigitte,
retournant de la cité de Jérusalem à Rome, doutait si elle devrait
retenir une certaine quantité d’argent qu’une reine, portée de
compassion, lui fit délivrer en la cité de Naples, lequel argent
avait été mis là pour subvenir à la ville. Notre-Seigneur lui
apparut et lui dit : Faut-il rendre pour une amitié une inimitié, ou
pour un bien un mal, ou mettre de la neige dans un vase froid pour
le rendre plus froid? Partant, bien que cette reine t’ait donné d’un
cœur froid ce qu’elle t’a présenté, il te le faut pourtant recevoir
avec charité et révérence, et prier pour elle, afin qu’elle puisse
être enflammée du feu du Saint-Esprit, parce qu’il est écrit que
l’abondance d’autrui doit suppléer le défaut des pauvres, et
qu’aucune bonne œuvre ne sera mise en oubli devant Dieu.
CHAPITRE
111
Les biens des
ecclésiastiques sont les biens propres de Jésus-Christ, dont il veut
que les pauvres soient sustentés.
Sainte Brigitte une
fois en pèlerinage, après avoir consumé pour l’honneur de Dieu tout
l’argent qu’elle avait pris, se trouvant dans le besoin, souffrait.
Jésus-Christ, pour l’amour duquel elle avait donné ses moyens aux
étrangers, lui apparut, lorsqu’elle était en prière, et lui dit :
Bien que le monde soit à moi et qu’il soit en mon pouvoir de donner
tout à qui bon me semblera, toutefois ce que l’on offre par amour et
charité m’est plus agréable, et je requiers plus librement ce qui
est à moi. Or, maintenant, parce que vous avez avec allégresse
employé vos moyens pour mon honneur, aussi vous recevrez du mien,
lorsque vous serez en nécessité.
Ayez donc soin que l’on
parle à l’archevêque de cette cité en cette sorte : Comme toutes les
églises sont à moi, de même toutes les aumônes m’appartiennent.
Donnez-moi donc, et à moi et à mes amis, ce qui est à moi, parce
que, bien que ce me soit chose agréable de bâtir des églises, il
m’est pareillement agréable d’assister mes amis qui se trouvent en
nécessité, qui ont exposé tous leurs moyens pour l’amour de moi.
Souviens-toi que j’ai adressé Élie à la pauvre veuve, lequel je
nourrissais auparavant par le ministère des corbeaux, non qu’il n’y
eût pour lors quelques-uns qui étaient plus riches que cette veuve,
et que je n’eusse le pouvoir de le conserver sans nourriture et sans
la veuve, lequel avait demeuré quarante jours sans manger; mais j’ai
fait cela pour éprouver la charité de la veuve, laquelle, moi qui,
étant Dieu, pénètre dans les cœurs, je voyais être manifestée aux
autres.
Toi donc qui es père et
maître de la veuve, fais, avec ce qui m’appartient, du bien aux
veuves, car bien que je puisse toutes choses sans toi, et toi sans
moi ne puisse rien, je désire toutefois contempler en iceux ta
charité.
CHAPITRE
112
Combien c’est mal
fait d’inquiéter les amis de Dieu.
Lorsque sainte Brigitte
était à Rome, son cuisinier lui parla effrontément en cette sorte :
Maîtresse, maintenant M. Charles, votre fils, est pendu.
Sainte Brigitte lui
répondit : Dieu l’en veuille garder! De qui as-tu appris ces
nouvelles?
Des pèlerins, dit-il,
me l’ont dit.
Par après, sur la fin
de l’année, ce même cuisinier décéda, contrit et s’étant confessé.
Sainte Brigitte,
soigneuse du salut de son âme, pria pour lui. Sept jours étant
passés, elle eut une vision : elle vit comme une poutre mise à
travers sur l’enfer, au lieu de laquelle était assise l’âme du
défunt. Pour lors vint la Vierge Marie qui lui dit : Il n’y a
personne qui croie avec quelle crainte et frayeur cette âme est ici
assise, et elle y est, parce qu’étant dans son corps, elle a
inquiété les favoris de Dieu; toutefois sache qu’elle est du nombre
de celles qui seront sauvées.
CHAPITRE
113
Que le chant des
Sœurs de Saint-Sauveur, et les heures que maître Pierre, confesseur
de sainte Brigitte, a dictées, et les matines avec les règles,
procèdent du Saint-Esprit.
Marie a dit à sainte
Brigitte : Envoyez à ce mien ami mes heures, et dites-lui que le
même qui les a dictées a dicté aussi la règle ; et le même Esprit
qui t’a permis d’écrire les leçons, lui a montré à dicter le chant
avec des choses admirables, car l’air s’assembla en telle quantité
autour de ses oreilles, que sa tête et sa poitrine en étaient
remplies, et son cœur s’échauffait à l’amour de Dieu : et suivant
que ce souffle lui a montré, sa langue proférait les paroles et
formait le chant : partant, il n’en faut rien ôter, mais dit-lui de
les montrer à mon bien-aimé vrai évêque Hemminge, que, s’il veut y
ajouter quelque chose ou polir, il le peut.
Quand à ce qui est
écrit là de mon enfance, il n’y a rien qui ne soit vrai, et cela ne
contredit aucunement l’Église. Et bien que le latin ne soit pas du
meilleur, néanmoins les paroles proférées par la bouche de ce mien
ami me plaisent plutôt que si elles sortaient de la bouche d’un
maître mondain. Davantage les heures doivent être gardées avec la
règle dans le monastère d’Alvastre, jusqu’à ce que le lieu de mon
monastère soit parachevé.
CHAPITRE
114
L’Esprit de Dieu
illumine doublement l’entendement de l’homme. La lecture et le chant
des Sœurs de l’ordre de Saint-Sauveur sont du Saint-Esprit.
La Vierge Marie parlait
à l’épouse de Jésus-Christ : Il n’est pas plus difficile à Dieu de
faire que de dire. Il avait fait des vermisseaux vénéneux, afin
qu’ils sachent où ils peuvent paraître, selon qu’il sera besoin et
nécessaire, et il s’abaisse d’autant plus librement aux hommes pour
éclairer leur conscience, qu’ils se plaisent à l’intelligence de ses
paroles. Et il fait cela pour deux manières : 1° comme il te semble
que quelqu’un te montre ce que tu as à dire ; 2° comme il semblait à
ton maître de qui les oreilles et le cœur se remplissaient d’air, et
le cœur à guise d’une vessie s’enflait d’une ardente charité envers
Dieu, d’où il apprit ces paroles qu’auparavant il ignorait, à
savoir, comment il devait disposer les antiennes, les répons, les
hymnes et les versets, et ranger le chant : c’est pourquoi rien n’y
doit être augmenté ni diminué. Il est toutefois permis que si
d’aventure il y a quelque mot qui semble obscur, on l’éclaircisse.
CHAPITRE
115
Du même maître
Pierre.
L’ange parlait à sainte
Brigitte, lui disant : Dis à ton maître que lui et moi sommes un
membre de Dieu, lui à l’extérieur et moi à l’intérieur. Qu’il écrive
donc les paroles que je te dis, et qu’il peut ôter ou ajouter ce
qu’il lui plaira, car nous sommes conduits par un même esprit.
CHAPITRE
116
Quelle douceur et
amour a exercés Dieu envers sainte Brigitte, et au contraire.
Sainte Brigitte parlais
à la Divinité, disant : O mon Dieu très doux, quand tu daignes
visiter mon cœur, je ne puis empêcher mes bras d’embrasser ma
poitrine, à cause de la divine douceur de la charité que je sens en
mon cœur. Il me semble que tu es tellement imprimé et collé en mon
âme, que tu es son cœur, sa moelle et tous ses intestins, en sorte
que tu m’es plus cher que n’est mon âme avec mon corps. Je serais
heureuse si je faisais quelque chose qui te plût. Donc, mon très
cher Seigneur, aide-moi, afin que tout ce que je ferai tourne à ton
honneur.
Dieu répondit : Ma
fille, comme la cire prend la forme du cachet, ainsi ton âme se
transformera au Saint-Esprit, comme plusieurs diront après ta mort :
Voici que maintenant nous voyons que le Saint-Esprit était en elle,
et ma chaleur doit être conjointe à la tienne, en sorte que tous
ceux qui s’en approchent seront de là échauffés et illuminés.
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