LA VOIE MYSTIQUE

adveniat regnum tuum

RÉVÉLATIONS CÉLESTES

Livre VII

— Chapitres 16 à 31 —

CHAPITRE 16

Notre-Seigneur se plaint à sainte Brigitte de ce que les princes de la terre ni les prélats n’ont point en mémoire sa passion.

Notre-Seigneur parla après cela à sainte Brigitte, lui disant : Ce que vous avez vu ci-dessus et ce que j’ai souffert par-dessus, les princes de la terre ne le considèrent point, ni ne méditent point sur les lieux où je suis né et où j’ai souffert. Certes, ils sont semblables à un homme ayant un lieu désigné pour mettre les bêtes farouches, dans lequel, envoyant ses chiens à la chasse, il se plaît à voir la course des chiens et des bêtes farouches : de même sont les princes de la terre et les prélats de l'Église, et quasi tous les états du monde regardent avec plus d’avidité les plaisirs terrestres que ma mort, ma passion et mes plaies. Partant, je leur enverrai encore par vous mes paroles, que s’ils ne changent leur cœur et ne le convertissent à moi, ils seront condamnés avec ceux qui ont divisé mes vêtements et ont mis le sort sur iceux.

ADDITION

Le Fils de Dieu dit à sainte Brigitte : Cette cité [1] est Gomorrhe, ardente en luxure, superfluité et ambition : c’est pourquoi son édifice tombera ; elle sera désolée, diminuée, et ses habitants s’en iront et gémiront sous le faix de la douleur et de la tribulation ; ils défaudront, et leur confusion s’épandra bien loin, car je suis justement en colère contre eux.

Quant au duc qui est coupable de la mort de son frère, Jésus-Christ dit : Il dilate sa superbe ; il se glorifie de son incontinence ; il ne considère pas le mal qu’il fait à son prochain ; s’il ne s’humilie, je lui ferai selon la maxime commune : Il ne pleure pas peu qui pleure après la mort, comme celui qui pleure avant icelle ; il n’aura pas une plus douce mort que son Frère ; voire il en aura une plus dure, s'il ne se corrige bientôt.

Notre-Seigneur parle du confesseur de ce duc : Ce Frère-là ne vous a-t-il pas dit que ce duc est bon et qu’il ne peut mieux vivre, excusant son incontinence scandaleuse. Tels ne sont pas confesseurs, mais décepteurs, qui semblent des brebis simples, mais de fait, ne sont que des renards et des dissimulés : tels sont ces amis qui proposent et conseillent aux hommes les grandeurs et les abaissements pour la considération d’un peu de temporel. Partant, si ce Frère eût demeuré dans le couvent, il n’eût pas tant péché, ne se fût pas préparé un supplice si cruel, et eût acquis une plus grande couronne. Or, maintenant, il n’échappera pas à la main de celui qui le reprendra et l’affligera.

Quelques-uns conseillèrent à sainte Brigitte de changer de vêtements et de noircir sa face à cause des Sarrasins. Notre-Seigneur lui dit là-dessus : Ne changez point de vêtements ; ne noircissez point votre face. Je suis puissant et sais tout ; je ne crains rien et puis vous défendre. Je suis la sagesse, la toute-puissance même, moi qui prévois tout et puis tout : partant, tenez la manière accoutumée en vos vêtements, et soumettez votre face et vos volontés à moi, car moi qui ai gardé Sara de la main de captivité, je vous garderai en mer, en terre, et comme il est expédient, ma providence pourvoira à vos nécessités.

La Mère de Dieu parle de l’évêque Alphonse : Cet évêque, mon ami, vous doit aimer comme mère, comme maîtresse, comme fille, comme sœur : comme mère, à raison de votre âge et pour la maturité de vos conseils, qu’il doit toujours chercher ; comme maîtresse, pour la grâce que Dieu vous a donnée, qui montre par vous les secrets de la sapience infinie ; comme fille, d’autant que, vous enseignant et vous consolant, il pourvoit à ce qui vous est le plus utile ; comme sœur, vous avertissant quand il en sera besoin ; les avertissant et incitant par parole et par exemple à ce qui est le plus parfait.

D’ailleurs, la Sainte Vierge dit au même évêque : Vous devez être comme celui qui porte de belles et bonnes fleurs, qui sont mes paroles, qui sont aux sages plus douces que le miel, plus perçantes et plus aiguës que les flèches, plus puissantes et plus efficaces pour obtenir la récompense. Celui qui porte ces fleurs se doit donner garde des vents, des pluies, du chaud : des vents de la vaine et mondaine éloquence ; de la pluie d’une vaine délectation ; du chaud d’une faveur mondaine, car celui qui se glorifie de ces choses fait qu’on méprise ces fleurs, et lui-même se montre moins capable de les porter.

Notre-Seigneur parle ici de la reine de Cypre : O Brigitte, conseillez trois choses à la reine de Cypre :

1° qu’elle ne retourne point en son pays (cela n’est pas expédient), mais qu’elle s’arrête au lieu où elle est, pour servir Dieu de tout son cœur ;

2° qu’elle ne se marie point, prenant un second mari, car il est plus agréable à Dieu qu’elle pleure les péchés qu’elle a commis, et supplée par la pénitence le temps mal employé qu’à penser à de secondes noces ;

3° qu’elle induise ceux de son royaume à la concorde et charité, et qu’elle s’efforce que les bonnes mœurs et la justice y soient louablement exercées, et que la communauté ne soit chargée de nouvelles charges ;

4° qu’elle oublie les maux qu’on a commis contre son mari, et cela pour l’amour de Dieu, et qu’elle ne s’en venge point, car je suis Juge et je jugerai pour cela ;

5° qu’elle nourrisse son Fils avec l’amour divin, lui donnant des conseillers justes, non cupides, familiers, pudiques, bien composés et sages, desquels il puisse apprendre à craindre Dieu, à gouverner justement, à compatir aux misérables, à fuir le flatteur comme le venin, à chercher le conseil des justes mêmes, des pauvres, humbles et méprisés ;

6° qu’elle s’habille modestement et renonce au fard et autres artifices de la vanité, car toutes ces choses sont odieuses à Dieu ;

7° qu’elle ait un confesseur qui, ayant quitté le monde, aime plus les âmes que les présents, qui ne dissimule point les péchés, et n’ait point honte ni crainte de les reprendre, et qu’elle lui obéisse, en ce qui concerne le salut de son âme, comme à Dieu ;

8° qu’elle considère la vie des saintes reines et des autres femmes, et qu’elle s’informe comment l’honneur de Dieu s’accroîtra ;

9° qu’elle soit raisonnable en ses dons, payant ses dettes et les louanges des hommes, car il est bien plus agréable à Dieu de donner peu ou rien que de ne payer ses dettes et d’incommoder le prochain.

Le Fils de Dieu parle du couronnement d’un nouveau roi : C’est un grand et pesant fardeau d’être roi ; c’est un grand honneur et grandement fructueux. Il est donc convenable que le roi soit mûr, expert, prudent, juste, laborieux et plus amateur du bien de son prochain que de sa propre volonté, c’est pourquoi anciennement les royaumes étaient bien gouvernés, d'autant qu’ils élisaient un roi qui voulût, sût et pût gouverner justement ses sujets.

Maintenant, les royaumes ne sont point des royaumes, mais puérilités, radoteries et larcins ; car comme le larron cherche les manières, le temps comment il pourra mettre des embûches et comment il pourra prendre sans être remarqué, de même les rois maintenant cherchent des inventions comment leur tige sera élevée, comment ils pourront remplir leur bourse, comment ils pourront accortement charger les sujets qui rendent franchement la justice pour en tirer du lucre temporel, mais ils n’aiment pas la justice, afin d’obtenir la récompense éternelle ; c’est pourquoi le sage dit sagement : Malheur au royaume dont le roi est un enfant qui, vivant délicatement et ayant des flatteurs délicats, ne se met en peine du bien commun ni de son avancement !

Mais d’autant que son enfant ne portera point l’iniquité du père, partant, s’il veut profiter et remplir la dignité du nom de roi de Cypre, qu’il obéisse aux paroles que j’ai dites et qu’il n’imite point les mœurs de ses prédécesseurs. Qu’il dépose les légèretés d’enfant et qu’il marche par la voie royale, ayant de tels assistants qu’ils craignent Dieu et n’aiment pas plus les présents que son honneur et le salut de leur âme. Qu’il haïsse les flatteurs, et qu’il ait avec lui ceux qui ne craignent pas de dire la vérité ; autrement, ni l’enfant ne se réjouira en son peuple, ni le peuple en celui qu’il a choisi.

CHAPITRE 17

Du choix du logis que sainte Brigitte fit en l’hôpital.

La Mère de Dieu dit à sainte Brigitte : En ce lieu de la montagne de Sion, il y a deux sortes de personnes : les unes aiment Dieu de tout leur cœur, les autres veulent avoir Dieu, mais le monde leur est plus agréable que Dieu ; et partant, afin que les bons ne soient scandalisés et qu’occasion n’en soit donnée aux lâches et exemple à la postérité, il vaut bien mieux que vous logiez au lieu désigné pour les pèlerins que de loger ailleurs. Mon Fils pourvoira à tout ce qui vous sera nécessaire.

CHAPITRE 18

Des avertissements pour le roi de Cypre.

L’épouse sainte Brigitte écrit au roi de Cypre et au prince d’Antioche, et lui donne des conseils :

1° Qu’un chacun fasse avec son confesseur une confession générale de tout ce qu’il a commis contre la volonté divine, et qu’après il reçoive le corps précieux de Notre-Seigneur avec crainte et amour.

2° Que vous soyez unis tous deux ensemble au vrai amour, de sorte que vous ne soyez qu’un cœur en Dieu pour son honneur, pour sa gloire et pour l'utilité de vos sujets.

3° Que tous deux [2] soyez unis en amour avec vos sujets, pardonnant, pour l’amour de la passion de Jésus-Christ et de sa mort, à tous ceux qui, de conseil, d’effet ou faveur, ont été cause ou occasion de la mort de Pierre, roi et votre père, les recevant tous en votre charité et amour de tout votre cœur, afin que Dieu vous daigne recevoir en sa miséricorde, et afin qu’il vous veuille aussi affermir en votre gouvernement pour son honneur et gloire.

4° Que, puisque la divine Providence vous a établis gouverneurs de ce royaume, vous y apportiez toute la diligence que vous pourrez, à prendre conseil, et à conseiller efficacement avec une âme fervente de charité, tous les prélats, tant séculiers que réguliers, que tous leurs sujets se corrigent en toutes les choses desquelles ils se sont écartés du saint état des Pères, leurs prédécesseurs, spirituellement ou temporellement, afin de vivre selon le premier état de leurs prédécesseurs. Qu’ils réforment donc au plus tôt leur état en tout et par tout, afin qu’eux et leurs sujets, étant vraiment amendés, obtiennent l’amitié de Dieu, et soient rendus dignes de prier Dieu qu’il daigne, par sa miséricorde, renouveler l’état de la sainte Église universelle en la sainteté des vertus.

5° Que, pour cette grande charité que Dieu a eue pour vos âmes, vous aimiez aussi celles de vos sujets, conseillant à votre peuple militaire que, s’il a offensé en quelque chose, il en fasse soudain pénitence et se corrige, et que tous ceux qui sont sous l’obéissance de l’Église romaine, qui sont parvenus aux ans de discrétion, se confessent humblement, se réconcilient avec le prochain qu’ils ont offensé, et s’accordent, et que s’étant amendés, ils reçoivent le corps de Jésus-Christ ; après, qu’ils mènent une vie catholique, vivent avec fidélité dans le mariage, ou en veuvage, ou bien en l’état louable de virginité, observant tout ce que la saint Église commande, y poussant tous les familiers domestiques, sujets, et tous ceux qu’ils pourront, à en faire de même, tant par leurs paroles que par leurs bons exemples, et par les œuvres de charité, les induisant à en faire et les affermissant en leurs saintes entreprises ; et sachez pour certain que tous ceux qui ont voulu obéir au corps, souffriront le dommage en leur âme.

6° Que vous disiez à tous les prélats qu’ils avertissent efficacement et souvent leurs prêtres, savoir, les recteurs des églises ; que chacun regarde si, en la paroisse, il y a quelqu'un qui persiste en quelques péchés publics, en l’offense de Dieu et au mépris de la sainte Église ; et ceux qu’il trouvera vivre impudemment en ces péchés publics, qu’il les avertisse efficacement du danger de leur âme, et leur enseigne les manières et les remèdes spirituels par lesquels ils puissent s’en retirer et humblement s’amender. Or, s’ils ne veulent obéir, mais désirent vivre en leurs péchés publics, que les recteurs des paroisses ne manquent pas de les dénoncer aux supérieurs et aux évêques, afin que l’opiniâtreté de ces gens-là soit punie par les évêques, sans avoir égard à leur puissance temporelle, et Dieu vous commande de prêter main forte aux évêques pour cet effet, afin que, par votre secours et faveur, les susdits pécheurs soient corrigés et amendés, et qu’ils obtiennent la miséricorde de Dieu.

CHAPITRE 19

Sainte Brigitte eut une révélation à Jérusalem touchant le royaume de Cypre, laquelle elle publia devant le roi et son conseil.

Il arriva à une personne qui veillait et priait, que, étant suspendue en extase et étant ravie, elle voyait en esprit un palais d’une incompréhensible grandeur et d’une beauté inouïe. Elle voyait aussi, assis entre les saints en un siège de majesté, Jésus-Christ, qui dit ces paroles : Je suis la vraie charité. Tout ce que j’ai fait de toute éternité, je l’ai fait par amour ; semblablement tout ce que je fais et ferai procédera de mon amour.

Mon amour est si immense et si incompréhensible en moi maintenant qu’il l’était le jour de ma mort et passion, quand, par ma mort, comme par excès d’amour, je délivrai des limbes tous mes élus qui étaient dignes d’une telle rédemption et affranchissement. Que s’il était possible que je mourusse tout autant de fois qu’il y a d’âmes en enfer, je souffrirais pour chacune d’elles comme je souffris lors pour toutes ; mon corps serait encore disposé à souffrir toutes ces choses avec une franche volonté et parfaite charité.

Or, il est maintenant impossible que mon corps puisse encore mourir ou souffrir quelque peine ou tribulation ; il est de même impossible que quelque âme qui, après ma mort, a été condamnée à l’enfer, sorte jamais de là, ni qu’elle jouisse jamais de la gloire céleste dont jouissent les saints, et mes élus de la glorification de mon corps ; mais elles ressentiront les supplices en la mort éternelle, d'autant qu’elles n’ont pas voulu jouir du fruit de ma mort, ni n’ont voulu suivre ma volonté pendant qu’elles ont vécu au monde. Au reste, sur les offenses qui m’ont été faites, il n’y a point autre juge que moi, c’est pourquoi la charité que j’ai montrée aux hommes se plaint quasi devant ma justice, c’est pourquoi je touche à la justice de juger là-dessus selon ma volonté.

Or, maintenant je me plains des habitants du royaume de Cypre, comme s’ils étaient un seul homme, mais je ne me plains point des hommes qui y demeurent, qui sont mes amis, qui m’aiment de tout leur cœur et suivent en tout ma volonté, mais je me plains de tous ceux qui me méprisent, qui résistent incessamment à ma volonté et me contrarient.

Je parlerai donc à eux comme à une seule personne : O peuple de Cypre, mon adversaire, écoutez et considérez diligemment ce que je vous dis. Je vous ai aimé comme un père aime son cher enfant, qu’il a voulu élever aux grands honneurs. Je vous ai donné un honneur où vous pouviez avoir tout ce qui vous était nécessaire, avec abondance pour la nourriture et entretien de votre corps. Je vous ai envoyé le feu de mon Saint-Esprit et sa lumière, afin que vous compreniez la foi chrétienne, à laquelle vous vous étiez fidèlement obligé, et vous vous étiez soumis aux lois de la sainte Église avec humilité. Je vous ai aussi placé au lieu qui était convenable à mon serviteur, savoir est, entre mes amis, afin que, par vos labeurs, terres et combats corporels, vous puissiez obtenir dans mon royaume la couronne précieuse. Je vous ai aussi porté longtemps dans mon cœur, c’est-à-dire, dans le sein de mon amour, et vous ai gardé comme la prunelle de mon œil, lorsque vous étiez assailli par les adversités et les tribulations ; et quand vous avez gardé mes préceptes et avez été obéissant aux statuts de la sainte Église, lors certainement une infinité d’âmes sont venues du royaume de Cypre dans le ciel pour jouir éternellement de la gloire éternelle avec moi.

Mais d'autant que vous faites maintenant votre volonté et tout ce qui plaît à votre cœur, ne me craignant point, quoique je sois votre Juge, ni ne m’aimant point, quoique je sois votre Créateur, qui vous ai même racheté par une mort très-dure, que vous avez crachée de votre bouche comme chose désagréable et puante ; et d’autant que vous avez logé le diable en votre cœur, vous m’avez chassé de là comme un larron, et vous n’avez pas plus de honte de pécher devant moi que les animaux irraisonnables.

Partant, ma justice veut et mon juste jugement demande que vous soyez chassé du ciel par mes amis, et que vous soyez plongé dans les abîmes de l’enfer au milieu de mes ennemis ; et sachez cela sans en douter, que mon Père, qui est en moi et en qui je suis, et que le Saint-Esprit qui est en nous deux, me sont témoin qu’il n’est jamais sorti de ma bouche que la vérité : c’est pourquoi sachez véritablement que quiconque se gouvernera comme vous et ne se voudra amender, ira en enfer parla même voie qu’y allèrent Lucifer, à raison de sa superbe, Judas, qui me vendit à raison de sa cupidité, et Zambri, qui tua Phinées à cause de sa luxure. Il pécha certainement avec la femme contre mon commandement, c’est pourquoi son âme fut damnée dans l’enfer.

Partant, ô peuple de Cypre, je vous annonce que si vous ne voulez vous corriger et vous amender, j’effacerai toute la postérité du royaume de Cypre, de sorte que je ne pardonnerai pas même aux pauvres ni aux riches ; oui, je la ruinerai en telle sorte en brief qu’on n’en parlera plus, comme si vous n’aviez jamais été au monde. Or, je planterai de nouvelles plantes au royaume de Cypre, qui garderont mes commandements et m’aimeront de tout leur cœur.

Mais néanmoins sachez pour certain que si quelqu'un de vous se veut amender et retourner à moi avec humilité, je lui irai au-devant et lui parlerai avec joie comme un pieux pasteur, le levant sur mes épaules et l'apportant à mon bercail. J’entends par mes épaules que, par le bénéfice de ma passion et de ma mort que j’ai soutenues en mon corps et en mes épaules, celui qui s’amendera sera participant de ma mort, et recevra avec moi au royaume céleste une éternelle consolation.

Sachez aussi pour certain que vous, qui êtes mes ennemis, qui habitez audit royaume, n’étiez pas dignes qu’un tel avertissement vous fût envoyé ; mais quelques-uns qui sont en ce royaume, qui me servent fidèlement et m’aiment de tout leur cœur, m’ont fléchi par leurs larmes et prières à ce que je vous fisse entendre le danger de vos âmes, ce qui a été montré à quelques-uns de mes amis, que des âmes innombrables du royaume de Cypre descendent en enfer et sont repoussées du ciel. Or, je dis les paroles susdites à ceux qui sont sous l’obéissance de l’Église romaine, qui m’ont voué la foi catholique et romaine, et s’en sont retirés par les œuvres contraires.

Mes les Grecs qui savent que tous les chrétiens doivent avoir une même foi et être sujets à une même Église, avoir un seul mien vicaire général en tout le monde, savoir, le pontife romain, qui doit être par-dessus tous, et qui néanmoins ne veulent point se soumettre au pasteur de l’Église romaine et à mon vicaire, et subjuguer spirituellement et humblement leur superbe sous lui, soit à raison de la cupidité, soit à raison de la pétulance charnelle, soit pour quelque autre chose qui touche le monde, sont indignes d’obtenir miséricorde et pardon quand ils sont morts.

Mais les autres Grecs qui voudraient savoir la foi romaine, mais ne peuvent, mais qui, s’ils la savaient, la tiendraient fidèlement et s’y soumettraient humblement, et se contiennent et gardent des péchés en la foi où ils vivent pieusement, à ceux-là, miséricorde leur est due après la mort dans les supplices, quand ils seront appelés à mon jugement. Que les Grecs sachent aussi que leur empire, royaumes et domaines, ne seront jamais assurés ni en paix, mais seront toujours sujets à leurs ennemis, desquels ils souffriront de grands dommages et de longues misères, jusques à ce qu’ils s’assujettissent à l’Église romaine avec humilité et charité, se soumettant à ses lois et à ses constitutions.

Or, sainte Brigitte ayant ainsi vu ces choses et les ayant ouïes en esprit, la vision disparut, et sainte Brigitte demeura en l'oraison avec crainte, et suspendue en admiration.

CHAPITRE 20

Il est ici traité d’une commination de damnation éternelle aux religieux des Frères mineurs ayant de propre.

Pour le jour de saint François.

Actions de grâces infinies, humble service, louange et honneur soient à Dieu en sa puissance et majesté éternelle, à Dieu qui est un Dieu en trois personnes ! Il a plu à la divine bonté que sa très-digne humanité m’ait dit en l'oraison ce qui suit :

Oyez, vous à qui il est donné d’ouïr spirituellement ; voire tenez assurément en la mémoire ces paroles : Il y avait un homme qu’on nommait François, qui, s’étant éloigné de la superbe mondaine, de la cupidité et de la délectation vicieuse de la chair, et s’étant converti à la vie spirituelle de la pénitence et perfection, obtint lors la vraie contrition de tous ses péchés et une parfaite volonté de s’amender, disant : Il n’y a rien en ce monde que je ne veuille franchement laisser pour l’honneur et la gloire de Dieu ; il n’y a aussi rien de si dur en cette vie que je ne veuille de bon gré embrasser pour l'amour de Jésus, faisant tout ce que je pourrai pour son honneur, selon les forces de mon corps et de mon âme, et je pousserai tous les autres à en faire de même, et les affermirai en cela, afin qu’ils aiment Dieu sur toutes choses et de tout leur cœur.

La règle de saint François, que ce moine a embrassée, n’a point été dictée par l’esprit humain, ni de la prudence, mais de moi, selon mes volontés. Chaque parole qui est écrite en icelle a été inspirée par moi à ce saint, et après ce fut lui qui donna aux autres cette règle. De même toutes autres règles des religions que mes amis ont entreprises, gardées et enseignées aux autres et qu’ils ont présentées, n’ont point été composées de leur esprit et de leur sapience humaine, mais par l’inspiration du Saint-Esprit.

Les Frères de saint François, qui s’appellent mineurs, ont tenu et observé cette règle, quelques années fort spirituellement et dévotement, selon ma volonté, dont le diable, ennemi ancien, conçut une grande envie et trouble, d'autant qu’il ne pouvait vaincre ni surmonter ces Frères par tentations et déceptions. Le diable chercha donc où il pourrait trouver un homme dans lequel et avec l’esprit duquel il pût mélanger son malin esprit ; enfin, ayant trouvé un prêtre qui pensait ces suivants discours : Je voudrais être en tel état où je puisse avoir l’honneur du monde et la délectation de mon corps, et que je puisse là amasser et entasser tant d’argent qu’il ne me manquât jamais rien qui touchât à mes nécessités et voluptés : je veux donc entrer en l’ordre de saint François, et feindre d’être fort humble et obéissant.

Et de la sorte, le prêtre susdit entra dans ledit ordre. Soudain le diable entra dans son cœur, et de la sorte, ledit prêtre fut religieux de cet ordre. Le diable considéra néanmoins en soi que saint François voulait tirer force gens du monde avec son obéissance très-humble pour avoir de grands prix dans le ciel : de même ce Frère, qui sera appelé adversaire, d'autant qu’il contrarie à la règle de saint François, tirera plusieurs du même ordre, de l’humilité à la superbe, de la pauvreté raisonnable à la cupidité, de la vraie obéissance à faire sa propre volonté et à suivre les délectations du corps. Quant ce Frère adversaire entra en l'ordre de saint François, soudain il commença à penser par l’aide de la suggestion de l’ennemi : Je me montrerai si humble et si obéissant qu’on me réputera saint. Quand les autres jeûnent et gardent le silence, je ferai lors le contraire avec mes particuliers compagnons, savoir, en cajolant, mangeant debout ; néanmoins ce sera si secrètement que pas un ne le saura ni ne l’entendra.

Je ne puis pas aussi, pensait-il, selon cette règle, tenir de l’argent, ni or, ni aucune autre chose, c’est pourquoi je veux faire un ami particulier qui me gardera secrètement l’or et l'argent, afin que je me serve de cet argent selon mes cupidités. Je veux aussi apprendre les arts libéraux et les sciences, afin d’être honoré et que je puisse avoir quelque dignité en l’ordre, et partant, pouvoir avoir des chevaux, des vases d’argent, de belles robes et des ornements précieux. Que si quelqu'un me reprend pour ceci, je lui répondrai que je fais cela pour l’honneur de mon ordre. Si je pouvais aussi tant faire que d’être évêque, je serais lors heureux et fortuné pour la vie que je voudrais lors mener, car lors j’aurais ma propre liberté et je jouirais de tous les contentements de mon corps. Écoutez donc qu’est-ce que le diable avait suggéré à ce Frère de l’ordre de saint François.

De fait, il y a plusieurs Frères dans le monde qui, ou par œuvre ou par affection, tiennent la même règle que ce diable avait suggérée à ce frère adversaire, et certes en plus grand nombre que ceux qui gardent la règle que j’ai inspirée à saint François. Sachez néanmoins que, bien que ces Frères, et de saint François, et du Frère adversaire, soient pêle-mêle tant qu’ils vivent au monde, je les séparerai néanmoins à la fin, moi qui suis leur Juge, et je jugerai les Frères de la règle de saint François, pour demeurer éternellement avec moi ès joies ineffables et avec saint François. Mais ceux qui suivent la règle des Frères adversaires, seront jugés aux peines éternelles au profond de l’enfer, s’ils ne veulent se corriger et s’humilier avant de mourir ; et ce n’est point de merveilles, car ceux qui devaient donner au monde des exemples d’humilité et de sainteté, lui donnent des exemples de mauvaise édification, de cupidité et de superbe.

Et partant, qu’ils sachent que, tant ceux-là que tous les autres auxquels la règle défend d’avoir rien de propre, et néanmoins en ont contre la règle, voulant en cela m’apaiser, en me donnant quelque partie de leurs présents abominables, me sont en haine ni ne sont dignes d’aucune bonne récompense. Il me serait bien plus agréable qu’ils observassent la sainte pauvreté selon leur vœu, que s’ils m’offraient tout l’or et l'argent qui sont au monde.

Sachez, vous aussi [3] qui oyez mes paroles, qu’il ne vous eût été licite d’avoir cette vision, si ce n’est pour l'amour d’un mien bon serviteur qui de tout son cœur m’a prié pour ce dit Frère, qui désirait par charité aussi lui donner quelques conseils fort utiles.

Enfantement de la Sainte Vierge.

CHAPITRE 21

Pour le jour de la Nativité.

Lorsque moi, Brigitte, étais à Bethléem, je vis une Vierge enceinte, affublée d’un blanc manteau et d’une subtile et fine tunique, au travers de laquelle je voyais la chair virginale, le ventre de laquelle était grandement plein, d'autant qu’elle était prête à enfanter. Il y avait avec elle un honnête vieillard, et tous deux avaient un bœuf et un âne ; et étant, entrées dans une caverne, le vieillard, ayant lié le bœuf et l’âne à la crèche, porta une lampe allumée à la Sainte Vierge, et la ficha en la muraille, s’écartant un peu de la Sainte Vierge pendant qu’elle enfanterait.

Cette Vierge donc se déchaussa, quitta son manteau blanc, ôta le voile de sa tête et le mit auprès d’elle ; et je vis ses cheveux beaux à merveille, comme des fleurs éparpillées sur sa tunique, sur ses épaules. Elle tira lors de son sein deux draps de fin lin et deux de laine, très-blancs et très-purs, pour envelopper l’enfant ; et elle portait encore deux autres petits draps de lin pour le couvrir et lui lier la tête ; et elle les mit auprès d’elle, afin d’en user à temps et saison.

Or, toutes choses étant ainsi prêtes, la Sainte Vierge, ayant fléchi le genou, se mit avec une grande révérence en oraison ; et elle tenait le dos contre la crèche, et la face levée vers le ciel vers l’orient ; et ayant levé les mains et ayant les yeux fixés au ciel, elle était en extase, suspendue en une haute et sublime contemplation, enivrée des torrents de la divine douceur ; et étant de la sorte en oraison, je vis le petit enfant se mouvoir dans son ventre et naître en un moment, duquel il sortait un si grand et ineffable éclat de lumière que le soleil ne lui était en rien comparable, ni l’éclat de la lumière que le bon vieillard avait mise en la muraille, car la splendeur divine de cet enfant avait anéanti la clarté de la lampe ; et la manière de l'enfantement fut si subtile et si prompte que je ne peux connaître et discerner comment et en quelle partie elle se faisait.

Je vis incontinent ce glorieux enfant, gisant à terre, nu et pur, la chair duquel était très-pure. Je vis aussi la peau secondine [4] auprès de lui enveloppée et grandement pure. J’ouïs lors les chants mélodieux des anges, et soudain le ventre de la Vierge, qui était enflammé, se remit en sa naturelle consistance, et je vis son corps d’une beauté admirable, tendre et délicat.

Or, la Vierge, sentant qu’elle avait enfanté, ayant baissé la tête et joint les mains, adora l’enfant avec grande révérence et lui dit : O mon Dieu et mon Seigneur, soyez le très-bien venu ! Et lors l’enfant, pleurant et comme tremblotant de froid et de la dureté du pavé où il gisait, s’émouvait un peu, et étendait ses bras, cherchant quelque soulagement et la faveur de la Mère. La mère le prit lors en ses bras, le serra sur son sein, et l’échauffa sur sa poitrine avec des joies indicibles et avec une tendre et maternelle compassion. Et lors s’asseyant à terre, elle le mit en son giron et prit de ses doigts son nombril, qui soudain fut coupé, d’où il ne sortit ni sang ni aucune autre chose ; et après elle l’enveloppa de petits drapeaux de lin et de laine, et avec des langes et des liens, elle serra son petit corps avec un bandeau qui était cousu en quatre lieux à la partie du drap de linge, et après, elle lui lia la tête.

Ces choses étant accomplies, le vieillard entra, et se prosternant à deux genoux, adorant l’enfant, il pleurait de joie.

La Sainte Vierge ne changea point de couleur en cet enfantement ; elle ne fut point infirme, ni aussi les forces corporelles ne lui diminuèrent point comme les autres femmes ont accoutumé. Il n’y parut autre chose, sinon que les flancs se retirèrent à la première consistance en laquelle ils étaient avant qu’elle conçût. Après elle se leva, ayant son cher enfant entre les bras, et saint Joseph et elle le mirent en la crèche, et l’adorèrent à genoux avec des joies indicibles.

CHAPITRE 22

Même sujet que dessus.

La Sainte Vierge Marie m’apparut, disant : Ma fille, il y a bien longtemps que je vous avais promis en Reine qu’en Bethléem je vous montrerais la manière de mon enfantement ; et bien que je vous en aie montré quelque chose à Naples, savoir, en quelle posture j’étais quand j’enfantai mon Fils, sachez néanmoins pour certain que je demeurai en telle manière que vous me voyez maintenant à genoux, priant seule dans l’étable, car je l’ai enfanté avec tant de joie que je ne ressentis aucune peine quand il sortit de mes flancs ; mais je l’enveloppai soudain des linges purs que j’avais préparés depuis longtemps.

Joseph, voyant cela, fut ravi d’admiration, et se réjouit grandement de savoir que j’avais enfanté sans aide. Mais d'autant que Bethléem était occupé à raison du dénombrement qu’Auguste faisait de son peuple, néanmoins on ne divulgua point les merveilles de Dieu ; et partant, sachez que, bien qu’il y ait des hommes qui s’efforcent de dire, selon le sens humain, que mon Fils est né par la voie commune, la vérité néanmoins est sans doute qu’il est né comme je vous ai dit autrefois et comme vous l’avez vu.

CHAPITRE 23

Comment les pasteurs le vinrent adorer.

Je vis aussi en même lieu où la Sainte Vierge et Joseph adorèrent Jésus en la crèche, que lors les pasteurs et ceux qui gardaient les troupeaux vinrent pour adorer l’enfant ; et l’ayant vu, ils l’adorèrent soudain avec une grande révérence et joie ; après, ils s’en retournèrent, louant et glorifiant Dieu en tout ce qu’ils avaient vu et ouï.

CHAPITRE 24

Comment les rois adorèrent Jésus-Christ.

La même Mère de Dieu me dit : Ma fille, sachez que quand les trois rois mages vinrent à l’étable pour adorer mon Fils enfant, je savais bien auparavant leur arrivée ; et quand ils entrèrent et adorèrent, mon Fils se réjouit, et de joie il avait lors le visage plus gai. Je me réjouissais grandement d’une joie ineffable et spirituelle, considérant leurs paroles et leurs actions, les conservant et les examinant dans mon cœur.

CHAPITRE 25

De l'humilité du Fils de Dieu et de la Vierge.

La Mère de Dieu parle, disant : La même humilité est maintenant en mon Fils en la puissance de sa Divinité, qu’il eut lorsqu’il était en la crèche, gisant entre deux animaux ; et bien qu’il sût toutes choses selon la Divinité, il parlait néanmoins selon l’humanité : de même, étant maintenant assis à la droite du Père, il entend tous ceux qui parlent de lui avec amour, et leur répond par les inspirations des influences du Saint-Esprit, à quelques-uns par des paroles et pensées, à d’autres comme bouche à bouche, comme il lui plaît : de même moi, qui suis Mère de Dieu, je suis aussi humble maintenant en mon corps qui est par-dessus toutes les créatures, que quand je fus épousée à Joseph.

Mais toutefois vous devez savoir pour certain que Joseph sut du Saint-Esprit que j’avais fait le vœu de virginité à Dieu, et que j’étais pure en paroles, œuvres, pensées et intentions ; et il m’épousa pour m’avoir pour sa maîtresse, pour me servir, et non pour sa femme.

Je sus aussi avec certitude par le Saint-Esprit que ma virginité demeurerait entière éternellement, bien que, par une secrète disposition divine, je fusse mariée ; mais après que j’eus consenti à l’ambassadeur de Dieu, Joseph, voyant que mon ventre grossissait par vertu du Saint-Esprit, s’épouvanta grandement, ne soupçonnant rien de sinistre contre moi, mais il se souvint de ce que les prophètes avaient dit, que le Fils de Dieu naîtrait d’une Vierge ; il se réputait indigne de servir une telle Mère, jusqu’à ce que l'ange lui apparût en songe et lui commandât de ne rien craindre, mais de servir avec charité.

Moi et Joseph ne réservâmes rien des richesses, si ce n’est ce qui nous était nécessaire pour vivre à l’honneur de Dieu ; nous quittâmes le reste pour l’amour de Dieu. Or, l'heure de la naissance de mon Fils s’approchant, que j’avais fort bien prévue, je vins selon la prescience divine en Bethléem, portant avec moi une robe très-pure et des draps pour mon Fils, desquels pas un n’avait jamais eu l’usage, desquels j’enveloppai celui qui était né de moi avec toute sorte de pureté.

Et bien que je n’eusse pas prévu que, de toute éternité, je devais être assise aux sièges sublimes sur toutes les créatures et sur les hommes ; et quand je l’aurais su, je ne dédaignais pas de préparer et de servir à saint Joseph tout ce qui lui était nécessaire, et à moi-même ; et comme je fus humble, connue de Dieu seul et de saint Joseph, de même je suis maintenant humble, assise au siège le plus sublime, prête à présenter à Dieu toutes les oraisons et demandes raisonnables. Mais je réponds à quelques-uns par les inspirations divines ; à d’autres, je leur parle plus intimement, comme il plait à Dieu.

CHAPITRE 26

Du temps de la mort de Notre-Dame, et de son sépulcre.

Sainte Brigitte dit : Quand j’étais en la vallée de Josaphat au sépulcre de la Sainte Vierge en oraison, la Vierge m’apparut, éclatant d’une incomparable beauté, disant : Considérez, ma fille : j’ai vécu quinze ans au monde après l’ascension de mon Fils, et tout autant encore qu’il y a de jours depuis l’ascension de mon Fils jusques à ma mort ; et étant morte, je demeurai gisante dans mon sépulcre l’espace de quinze jours[5]. Après, je fus portée au ciel avec un grand honneur ; les vêtements dont j’étais revêtue demeurèrent en ce sépulcre, et je fus revêtue des vêtements dont mon Fils est revêtu.

D’ailleurs, sachez qu’il n’y a dans le ciel aucun corps humain, sinon celui de Jésus-Christ et mon corps. Retirez-vous donc aux terres des chrétiens ; amendez-vous de mieux en mieux, et vivez le reste de vos jours avec une grande précaution, puisque vous avez visité les lieux où mon Fils et moi avons vécu et avons été ensevelis.

CHAPITRE 27

Notre-Seigneur avertit les habitants de Naples par la suivante révélation, publiée devant l’archevêque, etc. de bien vivre ; et il les menace autrement.

Sainte Brigitte veillant, étant en oraison et en la sublime contemplation, et étant ravie, Jésus-Christ lui apparut, lui parlant en ces termes : Oyez, vous à qui Dieu a donné la grâce d’ouïr et de voir les choses spirituelles, et écoutez diligemment, et tenez en votre esprit ce que vous oyez maintenant, car vous l’annoncerez de ma part aux nations.

Ne dites pas ces choses ici pour vous acquérir de l’honneur ou quelque louange humaine, ni aussi ne les taisez pas par la crainte de quelque empire humain et de peur de quelque mépris, d'autant que ces choses ne vous sont pas tant seulement montrées pour l’amour de vous, mais encore, pour l’amour des prières de mes amis, vous seront montrées celles qui suivent, car quelques-uns de mes élus de la cité de Naples m’ont prié de longues années de tout leur cœur pour mes ennemis qui sont en la même cité, afin que je leur montrasse quelque faveur par laquelle ils se puissent retirer de leurs péchés et mauvaises habitudes, et se convertir salutairement, aux prières desquels ayant donné effet, je vous donne ces paroles que je désire que vous écoutiez attentivement.

Je suis Créateur et Seigneur de toutes choses, tant sur les diables que sur les anges, et pas un n’évitera mon jugement.

Le diable a péché contre moi en trois manières : par superbe, envie et arrogance, c’est-à-dire, par amour-propre. Certainement il fut si superbe qu’il a voulu être seigneur sur moi, afin que je fusse son sujet ; il me portait aussi une si grande envie, que, s’il eût été possible, il m’eût tué, afin qu’il fût Seigneur et pût occuper mon trône. Sa volonté propre aussi lu fut si chère qu’il ne se souciait point de la volonté de Dieu, pourvu qu’il pût accomplir la sienne ; c’est pourquoi il tomba des cieux, et d’ange, il a été fait diable dans les abîmes de l’enfer. Et après, voyant sa malice, sa grande envie qu’il avait contre l’homme, je lui montrai ma volonté et donnai mes commandements aux hommes, afin que, les accomplissant, ils puissent me plaire et déplaire au diable. Après, poussé par l’amour que je portais aux hommes, je suis venu au monde et ai pris la chair de la Sainte Vierge ; je leur ai enseigné en personne la vraie voie de salut par œuvres et par paroles, et afin de leur montrer et manifester mon amour infini, je leur ai ouvert le ciel par mon précieux sang.

Mais qu’est-ce que ces hommes, mes ennemis, me font maintenant? Ils méprisent mes commandements ; ils me chassent de leurs cœurs comme un poison mortifère ; ils me crachent de leurs bouches comme une chose pourrie, et ont horreur de me voir comme un lépreux, qui est extrêmement puant.

Or, ils embrassent le diable et ses œuvres de tout leur cœur et œuvres, ils l’introduisent dans leurs cœurs, faisant sa volonté franchement et avec plaisir, et suivant ses mauvaises suggestions : c’est pourquoi, par mon juste jugement, ils seront récompensés en enfer avec le diable d’un supplice éternel, car pour la superbe qu’ils adorent, ils auront la confusion éternelle, de sorte que les anges et les diables diront : Ils sont remplis de confusion jusques au sommet. Pour leur cupidité insatiable, chaque diable les remplira de leur venin pestifère, en sorte que, dans leurs âmes, il n’y aura rien de vide qui ne soit rempli de ce venin.

Pour la luxure dont ils brûlent, ils seront privés éternellement, comme des animaux insensés, de la vision divine, mais ils en seront éloignés et seront privés de leurs voluptés déréglées. Au reste, sachez que, comme tous les péchés sont très graves, aussi le péché véniel, si l’homme met son affection et délectation en lui avec volonté et mépris, est fait mortel, savoir, quand on y met sa dernière fin. Partant, sachez qu’il y a deux sortes de péchés que je vous nommerai, qui attirent tous les autres péchés, qui semblent néanmoins véniels ; mais d'autant qu’on s’y plaît avec volonté d’y persévérer, finalement c’est ce qui fait qu’ils sont mortels, attirant aux mortels.

Les citoyens de Naples commettent bien d’autres péchés abominables que je ne veux pas nommer : le premier est qu’on farde et plâtre les visages vivants comme ceux des statues des idoles, afin qu’ils paraissent plus beaux que je ne les ai faits.

Le deuxième péché est que les femmes usent de nouvelles formes et façons de vêtements, de sorte qu’elles en sont difformes, et cela à raison de leur superbe, et afin d’être vues plus belles et plus lascives en leurs corps que je ne les ai créées, afin que, les voyant telles, les hommes et les femmes soient enflammés et provoqués à la concupiscence.

Partant, sachez pour certain que toutes fois et autant qu’ils plâtrent et peignent leurs visages de céruse ou de vermillon, etc. tout autant d’inspirations divines se retirent d’elles, et le diable s’en approche ; tout autant de fois qu’elles revêtent leurs corps de vêtements indécents, tout autant de fois les ornements de l’âme sont déchirés, et le règne et la puissance du diable sont augmentés.

O mes ennemis, qui faites telles choses et qui commettez d’autres péchés avec effronterie, pourquoi négligez-vous ma passion, et pourquoi ne considérez-vous pas que j’ai été lié à la colonne, étant tout nu, et fouetté cruellement ; comment, nu, j’étais en la croix et criais sur le gibet, rempli de plaies, couvert de sang? Hélas ! Pourquoi ne jetez-vous vos yeux sur moi, quand vous fardez et plâtrez votre face? la mienne n’a-t-elle pas été couverte de sang? Vous ne prenez pas aussi garde à mes yeux, comment ils furent obscurcis, étant couverts de sang, et comment ils étaient livides de sang et de larmes. Pourquoi ne jetez-vous pas les yeux sur ma bouche, sur mes oreilles et sur ma barbe? Ne voyez-vous pas comment ils étaient pleins de sang, combien le reste du corps était traité inhumainement !

Pourquoi ne considérez-vous pas comment, tout livide et mort, j’étais pendu au gibet pour l’amour de vous, et là étais moqué et méprisé de tous, afin que, par une telle considération, vous ne m’offensiez jamais, puisque je suis votre Dieu, mais que vous m’aimiez de bon cœur, et que de la sorte, vous puissiez éviter les lacets de Satan, desquels vous êtes horriblement liés et attachés.

Mais hélas ! Toutes ces choses sont effacés de votre esprit, c’est pourquoi vous faites comme les femmes de mauvaise vie qui aiment la volupté et la délectation sensuelle, et non pas les enfants : en effet, quand elles ressentent l’enfant en vie dans leur ventre, elles en procurent soudain l’avortement par des herbes et par autres choses, afin qu’elles ne soient privées des voluptés infâmes et d’une délectation continuelle et mortifère, et que de la sorte elles croupissent incessamment dans le bourbier. Vous en faites certainement de même, car moi, votre Créateur et votre Rédempteur, je visite tout le monde de ma grâce, poussant vos cœurs, car j’aime tous les hommes.

Mais quand vous ressentez dans vos cœurs quelque mouvement d’amour et de contrition, ou quand, entendant ma parole, vous concevez quelque bonne volonté, vous en procurez soudain l’avortement, savoir, en excusant ou diminuant vos fautes et prenant plaisir en celles-ci, et même en voulant à votre damnation persévérer en celles-ci. C’est pourquoi vous faites la volonté du diable, le mettant dans vos cœurs, et me chassant de la sorte avec mépris ; c’est pourquoi vous êtes sans moi, et moi je ne suis pas avec vous, et vous n’êtes point en moi, mais dans le diable, d’autant que vous obéissez à ses suggestions et à ses volontés.

Partant, comme j’ai dit, je donnerai et prononcerai mon jugement, et non ma miséricorde ; ma miséricorde est qu’il n’y a pas pécheur si grand à qui ma miséricorde soit refusée, s’il la demande avec un cœur humble et parfait. Partant, mes amis doivent faire trois choses, s’ils se veulent réconcilier avec ma grâce :

1° qu’ils fassent pénitence et qu’ils s’excitent de tout leur cœur, d’autant qu’ils ont offensé leur Créateur et leur Rédempteur ;

2° une pure confession, et que de la sorte, ils amendent tous leurs péchés, faisant pénitence et restitution selon le conseil d’un sage confesseur, car lors je m’approcherai d’eux et le diable s’enfuira ;

3° que quand ils auront fait cela avec amour et ferveur, ils communient avec volonté de ne plus retomber en leurs péchés, faisant résolution de persévérer à bien faire.

Quiconque donc s’amendera de la sorte, je lui irai soudain au-devant comme un père pieux va au-devant de son fils qui est errant, et je lui donnerai mes grâces plus franchement qu’il ne pouvait espérer ni penser, et lors je serai en lui et lui sera en moi, et il vivra avec moi, et je le réjouirai éternellement.

Mais quant à celui qui persévérera en ses péchés et en sa malice, sans doute ma justice fondra sur lui ; car comme fait le pêcheur qui, voyant les poissons se jouer dans l’eau en leur plaisir et contentement, jette son hameçon en l’eau, et sentant que les poissons y sont pris, les tire un à un et les tue jusques à ce qu’il les ait tous pris, j’en ferai de même à mes ennemis qui persévèrent en leurs péchés : je les consumerai peu à peu en cette vie mourante en laquelle ils se plaisent charnellement et temporellement, et à l’heure qu’ils n’y penseront pas et qu’ils seront plongés en leurs grandes délectations, lors je les ravirai de la vie mourante et les priverai de la vie éternelle, et les abandonnerai dans les peines, d'autant qu’ils ont mieux aimé faire et accomplir leurs volontés désordonnées et corrompues que de suivre mes commandements.

Or, ces choses ayant été ouïes de la sorte, la vision disparut.

CHAPITRE 28

Il est ici traité des répréhensions à ceux qui n’instruisent leurs serviteurs, des sortilèges, etc.

Sainte Brigitte écrit à Monseigneur Bernard archevêque de Naples, disant : Révérend Père, à cette personne que vous connaissez bien, étant en l’oraison, ravie et suspendue en la sublime contemplation, la Vierge Marie apparut, lui parlant en ces termes : Je suis la reine du ciel qui vous parle.

Je suis comme un jardinier en ce monde, car quand le jardinier voit souffler quelque vent impétueux qui nuit aux plantes et aux arbrisseaux de son jardin, il y va soudain, les liant et les soutenant avec des perches et échalas, remédiant autant qu’il peut à ce qu’ils ne se gâtent, ne se rompent, ne se déracinent : j’en fais de même, étant Mère de miséricorde, au jardin de ce monde, car quand je vois que les vents impétueux des tentations s’élèvent, que les orages des suggestions de Satan soufflent contre les cœurs des hommes, soudain j’ai recours à Dieu, mon Fils, avec mes prières, les aidant et impétrant qu’il verse dans leurs cœurs des inspirations du Saint-Esprit, par lesquelles ils soient aidés, appuyés, confirmés, et enfin conservés des vents impétueux des tentations du démon infernal, afin que le diable ne surmonte point les hommes, dissipant leurs âmes et l’esprit de dévotion, et que les hommes, acceptant mon aide et mon secours avec humilité de cœur, soient soudain affranchis des tentations du diable, et demeurant constants en l’état de grâce, apportent à Dieu et à moi le fruit de suavité en temps et saison.

Mais ceux qui méprisent les secours de mon Fils et les miens, et se laissent emporter au vent des tentations par les instigations de Satan et par ses œuvres, sont déracinés de l'état de grâce, et sont conduits par le diable, par les désirs et les œuvres illicites, jusques à ce qu’ils soient plongés dans les fondrières de l'enfer, pour y endurer les peines éternelles.

Or, maintenant, sachez qu’en la cité de Naples sont commis des péchés divers en nombre, horribles en qualité, abominables et cachés, lesquels je ne nommerai pas. Mais je vous parlerai de deux espèces de péchés manifestes, qui déplaisent grandement mon Fils, à moi et à toute la cour céleste : le premier est qu’ils achètent des païens et infidèles pour leur service, et même quelques seigneurs ne se soucient point ni ne veulent point qu’ils soient baptisés ni qu’ils se convertissent à la foi chrétienne. Que si quelques-uns d’iceux sont baptisés, après le baptême, leurs maîtres ne se soucient point de les faire instruire en la foi chrétienne et de les disposer à la réception des autres sacrements de l’Église, non plus qu’avant leur conversion, d’où vient qu’ils commettent mille péchés et ne savent revenir au sacrement de pénitence et de la sainte et auguste communion pour être restaurés et rétablis en l’état de salut, de la divine réconciliation et de la grâce. D'ailleurs, quelques autres tiennent leurs servantes esclaves avec autant d’abjection et d’ignominie que si elles étaient des chiennes, les vendant, et qui pis est, les exposant aux vilenies et ordures, pour gagner de l’argent, argent de turpitude et d’abomination.

D’autres les tiennent en leurs maisons comme des prostituées pour eux et pour les autres, et cela est grandement abominable devant Dieu et devant moi, devant les anges et devant les hommes. D'autres exaspèrent et rudoient tellement leurs esclaves par paroles et coups, que quelques-uns viennent en de grands désespoirs et en volonté de se suicider. Ce péché déplaît grandement à Dieu et à toute la cour céleste car Dieu aime ces esclaves comme ses créatures, et pour les sauver, il est venu au monde, prenant la chair humaine, souffrant la mort et la passion en la croix.

Sachez aussi que ceux qui aiment ces païens et infidèles à intention de les faire chrétiens avec volonté de les instruire et de les former en la foi chrétienne et en la vertu, et avec intention de leur donner la liberté en la vie, ou quand les maîtres mourront, en telle sorte néanmoins qu’ils ne soient point hérétiques, tels maîtres méritent beaucoup et me sont agréables ; mais sachez pour certain que ceux qui font le contraire seront grandement punis de Dieu.

La deuxième espèce de péché est que la plus grande partie des hommes et des femmes consultent les sorciers, les devins et autres infâmes enchanteurs, pour diverses intentions et desseins, car quelques-unes leur demandent qu’ils fassent en sorte qu’elles puissent engendrer, d’autres afin d’être aimées avec passion, d’autres pour savoir les choses futures, d'autres la santé en leurs maladies. Tous ceux qui s’en servent et les tiennent en la maison sont haïs de Dieu, et tant qu’ils persévéreront en ces mauvais desseins, ni la grâce ni l’amour du Saint-Esprit ne seront jamais répandus en leur cœur.

Mais ceux qui feront pénitence de tels péchés et s’amenderont avec humilité, avec propos de n’y retomber jamais, obtiendront miséricorde de mon Fils.

Et la vision disparut.

CHAPITRE 29

D’un doute qu’avait un évêque de ne résider point en son diocèse, à raison qu’il gouvernait un marquisat aux marches d’Ancone.

Que Dieu soit éternellement béni pour ses biens. Ainsi soit-il ! Monsieur et mon révérend Père, selon l’humble recommandation que vous en avez faite à Brigitte, que vous ne connaissiez pas, de prier Dieu pour vous avec toute humilité, à quoi je vous dis vraiment en ma conscience que je suis une inutile pécheresse et du tout indigne, vous m’avez écrit que je vous récrivisse quelques conseils spirituels pour le salut de votre âme.

Dieu, ayant égard à votre foi et humilité, a voulu satisfaire à vos saints désirs, n’ayant point égard à vos péchés, mais à votre amoureuse demande, car hier, moi indigne, je priais pour vous Notre-Seigneur. Il m’apparut en esprit, me disant par similitude : Or, vous à qui la faveur est faite d’entendre et de comprendre les choses spirituelles, écoutez, et sachez pour certain que tous les évêques, abbés et tous les bénéficiers ayant charge des âmes, qui, laissant leurs églises, les brebis qui leur sont commises, et qui, tenant d’autres bénéfices ou offices à intention et volonté d’y être plus honorés des hommes et pour être rehaussés à un plus grand éclat dans le monde, bien qu’ils ne dérobent rien en ces offices et qu’ils n’y commettent aucune injustice, néanmoins, d’autant qu’ils se glorifient en ces charges et honneurs, et laissent leurs églises et leurs brebis pour cela, eux et ceux qui se comportent de la sorte, sont devant Dieu comme des pourceaux revêtus des habits pontificaux et des ornements sacerdotaux, comme on dirait par similitude : Il y avait un grand seigneur qui avait invité ses amis à un souper. A l’heure du souper, ces pourceaux, ainsi revêtus, entrèrent dans le palais devant ce seigneur et devant ceux qui soupaient.

Or, le seigneur leur voulant donner des viandes délicates, ils n’en voulurent point, mais ils commencèrent à grogner et à gronder comme des pourceaux, désirant avidement manger du gland ou des viandes viles. Or, le seigneur, voyant cela et ne l’entendant point, détesta leur façon de faire avec abomination ; et soudain il dit à ses serviteurs, étant en colère et en indignation : Chassez-les dehors de mon palais, afin qu’ils s’assouvissent et se rassasient de gland sordide, car ils sont indignes de la viande qui est préparée pour mes amis.

Donc, o mon révérant Père et seigneur, j’ai entendu que vous deviez faire de la sorte, savoir, qu’en conscience vous jugiez si les brebis de votre évêché qui vous sont confiées, sont bien et spirituellement gouvernées en votre absence, selon le salut de leurs âmes, ou non ; si elles sont aussi bien conduites, et que d’ailleurs vous voyiez que vous êtes fort utile, pour le plus grand honneur de Dieu et le salut des âmes au régiment du marquisat, vous y pouvez demeurer selon la volonté de Dieu, pourvu que le désir d’honneur ou la vanité du gouvernement ne vous séduire.

Or, si votre conscience vous dicte le contraire, je vous conseille qu’ayant quitté le gouvernement du marquisat, vous retourniez à votre église pour gouverner les brebis de Jésus-Christ, qu’il vous a confiées spécialement pour les repaître personnellement par paroles, exemples et œuvres, avec toute sorte de soins, non comme un mercenaire, mais comme un bon pasteur.

Pardonnez-moi, ô mon seigneur, si je vous écris telles choses, étant une femme ignorante et une pécheresse indigne. Je prie notre bon et vrai Pasteur qui a daigné mourir pour ses brebis, de vous donner la grâce du Saint-Esprit, afin que vous gouverniez bien ses brebis, et que, jusques au dernier soupir de votre vie, vous fassiez sa sainte volonté.

CHAPITRE 30

Plainte que Dieu fait de tous les pécheurs. De leur ingratitude, et des menaces pour les ramener à leur devoir.

J’ai vu un grand palais semblable à un ciel serein, dans lequel étaient les compagnies célestes comme des atomes innombrables et reluisants quand le soleil les touche. En ce palais admirable était un trône éminent sur lequel était assise une personne d’une beauté incompréhensible et d’une puissance démesurée, les vêtements de laquelle étaient d’un éclat extraordinaire et d’une clarté non encore vue. Et une Vierge était debout devant ce trône, laquelle était honorée de tous les citoyens célestes comme Reine des cieux.

Mais celui qui était assis sur le trône dit : Oyez, vous tous, mes ennemis, qui vivez au monde, car je ne parle point à mes amis qui suivent mes volontés. Oyez, ô tous, prêtres, évêques, archevêques, et tous les degrés inférieurs de l’Église. Oyez, ô religieux de quelque ordre que ce soit. Oyez, ô rois, ô princes et juges de la terre, et tous les serviteurs. Oyez, ô reines et princesses, maîtresses et servantes, et tous, de quelque qualité et condition que vous soyez, petits et grands qui habitez le monde, oui, oyez les paroles que je vous dis maintenant, moi qui vous ai créés. Je me plains de ce que vous vous êtes retirés de moi, et avez donné la foi au diable, mon ennemi ; vous avez laissé mes commandements et avez suivi les volontés de Satan ; vous avez obéi à ses suggestions, ne considérant point que je suis Dieu immuable, éternel et votre Créateur, qui suis descendu du ciel aux flancs de la Sainte Vierge et ai conversé avec vous. Je vous ai ouvert la voie par moi-même, et vous ai montré les conseils par lesquels vous monteriez au ciel.

J’ai été nu, flagellé, méprisé, couronné d’épines, et tiré si fortement en la croix que tous mes membres furent desemboîtés ; j’ai ouï tous les opprobres et ai souffert une mort contemptible, une douleur continuelle et une douleur trop amère pour votre salut. Vous, ô mes ennemis, vous ne prenez pas garde à toutes ces choses, d’autant que vous êtes trompés ; c’est pourquoi vous portez le joug et la charge du diable, avec une suavité fallacieuse, et vous ne savez ni ne ressentez la douleur qui vous opprimera sans fin ; ni ces choses ne vous suffisent point, car votre superbe est si grande que si vous pouviez monter au-dessus de moi, vous le feriez franchement.

Votre volupté charnelle vous est si chère que vous aimeriez mieux être séparés de moi que d’être privés d’elle. D'ailleurs, votre cupidité est insatiable comme un sac troué, car il n’y a rien qui puisse assouvir vos cupidités. Partant, je jure en ma Divinité que, si vous mourez en l'état où vous êtes, vous ne verrez jamais ma face, mais vous serez si profondément submergés en enfer, que tous les diables seront sur vous, vous affligeant sans consolation aucune ; à raison de votre luxure, vous serez remplis d’un venin très-horrible et diabolique ; pour la cupidité, vous regorgerez de douleur, d’angoisses, et serez participants de tous les maux qui sont en enfer.

O mes ennemis abominables, ingrats et dégénérés, je vous vois comme des vers morts en l’hiver, c’est pourquoi vous faites ce que vous voulez et y prospérez ; c’est pourquoi je me lèverai en été, et lors vous garderez le silence et vous n’échapperez pas de mes mains. Mais, ô mes ennemis, d'autant que je vous ai rachetés par mon sang et que je ne recherche rien que vos âmes, partant, retournez encore à moi avec humilité, et je vous recevrai gratuitement comme des enfants ; secouez le joug pesant de Satan, et souvenez-vous de mon amour, et vous verrez en votre conscience que je suis bon et doux.

CHAPITRE 31

Ici Jésus prédit la mort de sainte Brigitte.

Il arriva, cinq jours avant la mort de sainte Brigitte, souvent appelée épouse de Jésus-Christ, que Notre-Seigneur lui apparut devant l’autel qui était en sa chambre, et se montrant à elle avec un visage riant, lui dit : Je vous ai fait comme un époux a accoutumé de faire, qui se cache de son épouse, afin qu’elle le désire avec plus d’ardeur : de même en ce temps, je ne vous ai point visitée de consolations, d'autant que c’était le temps de votre épreuve. Partant, étant maintenant éprouvée, allez-vous-en et préparez-vous, car il est temps que j’accomplisse ce que je vous ai promis, savoir : devant mon autel, vous serez habillée en moniale, de sorte que, non seulement vous serez réputée être mon épouse, mais aussi moniale et Mère en Uvasten.

Mais aussi sachez que vous mourrez à Rome où vous êtes, et il me plaît de pardonner à vos labeurs et peines, et de prendre la volonté pour l’effet. Et se tournant vers Rome, il dit en la plaignant : O ma Rome ! Ô ma Rome ! le pape te méprise et ne prend point garde à mes paroles, mais il prend le douteux par le certain, c’est pourquoi il n’ouïra plus ma voix, car il met en sa volonté le temps de ma miséricorde.

Entre toutes les dernières paroles des révélations que je vous ai faites, qu’on mette cette commune que je vous ai faite à Naples, dit Jésus-Christ, car mes jugements seront accomplis sur toutes les nations qui ne retournent à moi avec humilité, comme je vous l’ai montré.

Or ces choses et plusieurs autres qui ne sont ici écrites, la susdite épouse de Jésus-Christ les a dites et dénombrées à quelques personnes qui étaient là présentes, auxquelles elle disait les avoir vues avant sa mort.

Après, Jésus-Christ lui dit : D’ici à quinze jours, un matin vous mourrez, après que vous aurez reçu les saints et augustes sacrements, et qu’ayant appelé et parlé en détail aux personnes dont je vous ai parlé ; et dites-leur ce qu’il faut qu’elles fassent, et de la sorte, vous viendrez entres leurs mains à votre monastère, c’est-à-dire, en ma joie, et votre corps sera mis en Uvasten.

Le cinquième jour s’approchant sur l’aurore, Jésus-Christ lui apparut derechef, la consolant. La messe étant dite et ayant reçu les sacrements de la main des personnes susdites, elle rendit l’esprit.


[1] Famugusta.

[2] Éléonor, reine de Cypre, et son fils, aussi roi de Cypre.

[3] Sainte Brigitte.

[4] Quelques théologiens soutiennent que cet enfantement fut sans cette peau, à raison de la pureté.

[5] Les opinions sont diverses touchant la résurrection de la Sainte Vierge ; la plus probable me semble celle d’après trois jours.

   

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