CHAPITRE 67
Jésus-Christ compare le monde à un navire. De la naissance de
l’Antéchrist.
Le Fils de Dieu dit à
sainte Brigitte : Ce monde est comme un navire qui, étant plein de
sollicitude, est assailli par les orages de la mer, et qui ne laisse
jamais l’homme en paix qu’il ne soit arrivé au port de repos ; car
comme le navire à trois parties, la proue, le milieu et la poupe, je
vous décris aussi trois ages au monde : le premier depuis Adam
jusques à mon incarnation. Cet age est signifié par la proue, qui
est haute, admirable et forte : haute en la piété des patriarches ;
admirable en la science des prophètes ; forte en l’observance de la
loi. Mais cette partie commença à déchoir, quand le peuple judaïque,
ayant méprisé mes commandements, se plongea dans les iniquités et
méchancetés, c’est pourquoi il a été rejeté de l’honneur et de la
profession. Or, le milieu du navire commença de paraître, lorsque le
Fils de Dieu vivant eut pris la nature humaine ; car comme le milieu
de la mer est le plus profond, de même, quand je fus incarné,
l’humilité commença d’être prêchée, et l’honnêteté que plusieurs
avaient embrassée commença à être manifestée.
Mais maintenant,
l’impiété et la superbe règnent, et ma passion est comme oubliée et
négligée : c’est pourquoi la troisième partie commence à monter, qui
durera jusques au jour du jugement, et en cet age, j’ai envoyé mes
paroles au monde par vous : ceux qui les ouïront et les suivront
seront sauvés, car comme saint Jean dit de l’Évangile, non du sien,
mais du mien : Bienheureux sont ceux qui n’ont pas vu et qui ont
cru ! j’en dis maintenant de même : Bienheureux seront certainement
ceux qui ouïront ces paroles et les suivront!
En la fin de cet age
l’Antéchrist naîtra d’une femme infâme et maudite, qui feindra de
savoir les choses spirituelles, et d’un homme maudit, et d’eux le
diable formera son ouvrage par la permission divine. Mais le temps
et la venue de l’Antéchrist ne seront pas comme ce Père, dont vous
avez vu les livres, a écrit, mais il viendra au temps que je
connais, quand l’iniquité abondera outre mesure et que l’impiété
augmentera grandement. Partant, sachez que la foi sera ouverte à
quelques Gentils, avant que l’Antéchrist vienne. Après, quand les
chrétiens aimeront les hérésies et que les méchants fouleront le
clergé et la justice, lors ce sera un signe que l’Antéchrist viendra
bientôt.
CHAPITRE 68
D’un moine trompé en ses révélations et des signes. Dieu le fait
avertir de se corriger.
Le Fils de Dieu parle à
son épouse sainte Brigitte : Je vous dis que le moine dont vous
doutez a quitté le premier monastère par impatience, et est entré
avec mensonge dans le second ; et étant excommunié, il est venu en
Jérusalem, ma sainte cité, c’est pourquoi il a mérité d’être déçu et
trompé, d’autant qu’il a eu honte d’être un moine humble et de
demeurer constamment en la vocation en laquelle je l’avais appelé.
Lisez donc les livres, et vous n’y trouverez qu’ambition et propre
louange, car vous y trouverez que saint Pierre et saint Paul lui ont
dit qu’il était digne de la souveraine prêtrise ; qu’il serait
semblablement pape et empereur, eu qu’étant en nécessité, il avait
trouvé à sa tête de l’or et quelque monnaie inconnue ; que saint
Michel archange lui avait apparu en un corps de quelque marchand, et
comment il avait ramassé toutes ses prophéties.
Sachez que Tout cela
est du diable qui le trompe et le déçoit. Partant, dites-lui qu’il
ne sera ni pape ni césar, que même, s’il ne retourne soudain à son
monastère et s’il ne se comporte comme un humble moine, il mourra en
peu de temps comme un apostat, indigne de la communion des saints et
de la compagnie des moines.
CHAPITRE 69
Il
est ici traité d’un frère trompé sous espèce de vertu, ne mangeant
rien en carême, etc.
Le Fils de Dieu dit :
Je dis en l’Évangile qu’on peut obtenir le ciel par deux choses : la
première, si l’homme s’humilie comme un petit enfant ; la seconde,
si l’homme se fait violence contre soi-même. Or, celui-là est donc
humble qui bien qu’il avance et qu’il fasse force biens, les réputes
comme rien, ne se confiant point en ses mérites. Celui-là se fait
violence qui, résistant aux mouvements charnels, se châtie avec
discrétion, afin qu’il n’offense Dieu, et croit obtenir le ciel, non
par les œuvres de sa justice, mais par la miséricorde divine. Mais
ce Frère qui ne mangeait rien en carême et qui faisait d’autres
jeûnes indiscrets, désirait, par ses jeûnes, obtenir le ciel.
Tous ces jeûnes
provenaient de la superbe, et non de l’humilité ; c’est pourquoi il
sera justement jugé avec ceux qui jeûnaient et payaient les dîmes et
méprisaient les autres. L’humilité de ce pécheur qui n’osait lever
les yeux au ciel était meilleure, car moi, Dieu et homme, conversant
avec les hommes, je mangeai et je bus ce qu’on me donnait, bien que
j’eusse pu subsister sans viandes, afin de donner aux hommes
l’exemple de vivre, afin qu’ils prennent humblement les nécessités
de leur vie et qu’ils en rendent grâces à Dieu.
CHAPITRE 70
Notre-Seigneur montre à sainte Brigitte la damnation horrible d’un
cardinal, et ses causes. Avertissements aux prélats.
Sainte Brigitte voyait
comme la personne d’un cardinal défunt qui était assise sur une
porte de bois, à qui quatre Éthiopiens préparaient quatre chambres
par lesquelles il fallait que l’âme de ce cardinal passât.
En la première, il y
avait des vêtements de diverses manières que cette âme avait aimés
en sa vie. En la deuxième, il y avait des vases d’or, d’argent, et
divers autres ustensiles, esquels cette âme s’était plue pendant
qu’elle vivait. En la troisième étaient des viandes et des parfums
aromatiques esquels elle se plaisait. En la quatrième, il y avait
des chevaux et autres animaux desquels elle se servait autrefois.
Mais quand l’âme
passait par la chambre, elle endurait un froid rigoureux, et elle
était accablée d’un grand poids, et criant, elle dit en pleurant :
Malheur à moi, d’autant que j’ai plus aimé ce qui est beau que ce
qui est utile ! J’ai aimé d’être aimée, d’être exaltée et louée : il
est donc raisonnable que je sois déprimée sous l’escabeau du diable.
Et passant par la
deuxième chambre, elle ressentit un torrent de poix et une flamme
qui s’épandait et s’étendait partout. Et lors l’âme s’écria :
Malheur à moi ! malheur éternellement, d’autant que j’ai vu, revu et
cherché ce qui reluit et éclate, et partant, je suis abreuvée des
torrents des voluptés du diable!
Et quand l’âme passait
par la troisième chambre, elle sentit une puanteur insupportable et
des serpents envenimés ; et lors elle cria horriblement, disant :
Hélas ! hélas ! j’ai aimé la servante et j’ai méprisé la maîtresse.
J’ai aimé les douceurs, il est raisonnable que j’endure les
amertumes.
Mais passant par la
quatrième chambre, elle ouït un son terrible comme un tonnerre, et
elle cria de peur : Oh ! que digne est ma récompense!
Après, on ouït une voix
qui disait : Qu’est ce que l’homme pense en terre ? ou le Fils de
Dieu mentira-t-il, que l’homme rendra raison de la moindre maille ?
voire je vous dis de plus qu’il rendra compte de tous les moments,
de chaque denier, viande, boisson, des pensées en détail et des
paroles, s’il ne les amende par contrition et par la pénitence. Eh
quoi ! les cardinaux et les évêques croiront-ils ne rendre pas
compte de mes aumônes, qu’ils ne mangent pas avec crainte et
dévotion, mais qu’ils dévorent sans fruit ? ou bien pensent-ils que
les âmes desquelles ces biens étaient, et desquels ils
s’enorgueillissent, n’en demandent vengeance devant Dieu?
Véritablement, ma
fille, j’en ferai exact jugement, et sonderai en quelle manière ils
prennent mes oblations ; et les anges les jugeront, car moi et mes
amis avons doté l’Église, afin que les ecclésiastiques ne vivent
point comme mes amis ni ne prient pour être exaucés. Partant, je
secourrai et pourvoirai les âmes dont les biens étaient de la table
de ma grâce et de ma passion, et je leur ferai miséricorde.
CHAPITRE 71
Il
est ici traité d’absoudre, l’an de jubilé, tous les pénitents,
hormis les sentences.
Le Fils de Dieu dit :
Que le bon confesseur absolve tous les pécheurs qui viennent à lui
avec contrition ; je veux qu’il les absolve tous ; qu’il prenne
seulement garde des sentences de l’Église, qui sont claires.
DÉCLARATION
On croit que ce
confesseur était celui de sainte Brigitte,
docteur, car il écrit en une sienne épître à Nicolas d’heureuse
mémoire, évêque du royaume de Suède, de la cour de Rome, disant : Un
certain prêtre étranger à qui le vicaire du pape enjoignit de
confesser tous ceux qui parlaient sa langue, lui donna autorité
d’absoudre de tous les cas qu’il pouvait, entre lesquels vint un
pénitent riche et grand, disant qu’il avait péché avec quatre paires
de sœurs, qui toutes n’étaient pas d’un même père et d’une même
mère, mais chaque paire était d’un différent père et mère. Après il
dit qu’il avait péché avec deux-cents femmes, et que, sur cela, il
n’avait jamais acquis note d’infamie, et qu’il n’en avait jamais été
accusé devant aucun ecclésiastique ou séculier.
Le prêtre susdit, quand
il ouït des crimes si abominables, en eut horreur et s’éloigna
autant qu’il put du pénitent. Mais le pécheur, enflammé des feux
divins, ne se désespérait point, mais poursuivait l’absolution dudit
prêtre, et s’approchant de sainte Brigitte, se plaignait, d’autant
que ce prêtre ne voulait l’absoudre ; c’est pourquoi elle se mit en
oraison pour le prêtre et pour le pécheur, et en même temps, elle
ouït la voix du Père qui disait des cieux : Dites au prêtre que, de
ma part, il absolve tous ceux qui viendront à lui de sa nation, leur
enjoignant pénitence selon la grâce qui lui sera donnée, selon que
la droite raison lui suggéra, et selon aussi que le pénitent la
pourra supporter, et qu’il l’absolve avec assurance jusqu’à ce qu’un
semblable pécheur se présente et que je lui dise : Il ne faut pas
l’absoudre. Qu’il prenne néanmoins garde aux censures
ecclésiastiques et aux crimes notoires qui doivent être juges
publiquement par les prélats de l’Église.
CHAPITRE 72
Jésus-Christ commande qu’on se donne garde qu’on ne reçoive de
l’argent pour l’absolution des péchés. Les prêtres de paroisse
peuvent absoudre de tous les péchés occultes.
Le Fils de Dieu dit :
Il y a deux taches ès ecclésiastiques : l’une que peu sont absous
sans que l’on donne de l’argent ; l’autre que les prêtre des
paroisses n’osent absoudre de tous les péchés occultes ; mais ils
assurent ne pouvoir les absoudre en certains cas réservés à
l’évêque, pour lesquels ils les envoient à l’évêque ; et on les
examine si longtemps que les occultes sont manifestés à tous.
Partant, ceux qui ont le zèle des âmes doivent obvier à tels
accidents, de peur que les âmes ne meurent en péché mortel, ou par
honte, ou par obstination.
CHAPITRE 73
Notre-Seigneur dit que l’absolution d’un mauvais pénitencier qui
était à Rome est bonne. Il prédit sa mort soudaine.
Ce pénitencier de Rome
était lépreux, hardi comme un milan, superbe comme un lion, et
partant, il tombera à terre comme un papillon, qui a les ailes
grandes et le corps petit. Sachez néanmoins que son absolution est
bonne de l’autorité de l’Église, aussi bien que l’absolution d’un
prêtre juste. Dites-lui : Vous aurez ce que vous désirez, mais vous
ne le posséderez pas, voire les étrangers emporteront ce que vous
avez amassé. Il obtint un archiépiscopat et mourut le même jour.
CHAPITRE 74
Ici
est une vision des bâtiments qui devaient être pour les cardinaux et
conseillers du Pape.
Je vis à Rome, du
palais du pape jusques au Château Saint-Ange, et de ce château
jusques à la maison du Saint-Esprit et jusques à l’église de
Saint-Pierre, comme s’il y avait une plaine ; et cette plaine était
entourée d’un mur où il y avait diverses loges. Lors j’ouï une voix
qui me disait : Ce pape-là, qui aime son épouse d’une telle
dilection de laquelle moi et mes amis nous l’aimons, possédera ce
lieu avec ses successeurs, afin qu’il puisse facilement convoquer
son conseil.
CHAPITRE 75
Jésus-Christ commande à un docteur en théologie que les âmes
purifiées voient Dieu, et que ceux qui désirent toujours vivre pour
pécher toujours seront tourmentés éternellement.
Un docteur en
théologie, de Suède, qui a composé le prologue de ce livre, prêchant
un jour, un soldat s’écria, comme furieux, disant : Si mon âme ne va
point au ciel, qu’elle s’en aille comme une bête, mangeant la terre
et l’écorce des arbres. La demeure jusques au jour du jugement est
trop longue, car avant ce jour-là, pas un ne verra la gloire de
Dieu.
Ce qu’oyant, l’épouse
sainte Brigitte, qui assistait à ce sermon, pleura et dit : O
Seigneur, Roi de gloire, je sais que vous êtes miséricordieux et
fort patient, car tous ceux qui taisent la vérité et dissimulent la
justice, sont loués au monde ; mais ceux qui ont votre zèle et le
montrent, sont méprisés ; partant, ô Seigneur, donnez, donnez à ce
docteur la constance et la ferveur de parler.
Lors l’épouse vit en un
excès d’esprit le ciel ouvert, l’enfer ardent, et une voix lui
disait : Voyez le ciel ; voyez de quelle gloire les âmes sont
revêtues. Dites donc à ce maître : Dieu, Créateur et Rédempteur, dit
ces choses : Prêchez assurément ; prêchez constamment ; prêchez
importunément et opportunément que les âmes purifiées voient Dieu ;
prêchez avec ferveur, car vous en serez récompensé, comme un enfant
qui ouït la voix de son père. Si vous doutez qui je suis, moi qui
parle, sachez que je suis celui-là qui vous retire des tentations.
Or, ayant ouï ces
choses, elle vit encore l’enfer, de la part duquel tremblant
d’effroi, elle ouït une parole disant : Ne craignez point les
esprits que vous voyez : leurs mains, c’est-à-dire leurs puissances,
sont liées et ne peuvent rien sans ma permission. Qu’est-ce donc que
les hommes présumant d’eux pensent ? Ne prendrai-je pas vengeance
d’eux, moi qui assujettis même les démons à ma volonté?
L’épouse répondit : O
Seigneur, ne vous indignez pas si je parle. Vous qui êtes tout
miséricordieux, le punirez-vous éternellement, lui qui ne peut
pécher perpétuellement ? Les hommes ne peuvent croire que cela soit
convenable à votre Divinité, vous qui surexaltez la miséricorde par
le jugement, ni les hommes ne punissent point perpétuellement les
hommes qui les ont offensés.
L’esprit répondit : Je
suis la vérité et la justice, qui donne à chacun selon ses œuvres,
qui sonde les cœurs et les volontés ; et comme le ciel est distant
de la terre, de même mes voies et mes jugements sont éloignés des
conseils et conceptions des hommes. Partant, puisque l’homme ne se
corrige point pendant qu’il vit et qu’il peut, qu’est-il de
merveilles s’il est puni où il ne peut rien ? ou comment peuvent
demeurer en mon éternité très-pure ceux qui veulent éternellement
vivre et éternellement pécher ? Et partant, celui qui corrige son
péché quand il peut, doit demeurer éternellement avec moi, qui puis
tout et vis de toute éternité.
DÉCLARATION
Cet homme était marié,
qui tenait une concubine publiquement en sa maison ; et quelqu’un
l’en avertissant, poussé de colère, il la tua, et lui, mourut le
quatrième jour, endurci, sans sacrements et enseveli ; et pendant
plusieurs nuits fut entendue une voix qui disait : Malheur !
Malheur ! Je brûle ! Je brûle ! Cela ayant été rapporté à sa femme,
on ouvrit en sa présence la sépulture, où l’on ne trouva qu’un petit
haillon de son suaire et de ses souliers. La sépulture étant
derechef couverte, on n’entendit plus la voix.
CHAPITRE 76
Il
est ici parlé des corrections que Jésus-Christ fait à son épouse,
etc.
L’épouse sainte
Brigitte étant logée en une ville, il advint que ses vêtements et ce
qu’elle avait de plus précieux fut brûlé, et encore ce qui était de
ses amis. Notre-Seigneur lui dit pendant qu’elle priait : Il est
écrit que le prince des cuisiniers brûla le temple de Jérusalem.
Or, qui est ce prince,
sinon ceux qui cherchent les délices de la chair plus que les
amertumes de ma passion ? De même vous cherchez en votre famille, et
les y tolérez, les beautés, l’éclat des habits, et vous ne reprenez
point les mœurs dépravées, de peur qu’ils vous trouvent fâcheux ;
c’est pourquoi vous recevez maintenant le dommage que vous voyez,
afin que vous compreniez qu’il ne suffit point, pour aller à la
perfection, de se corriger soi-même, mais encore les autres, et
principalement ceux de la famille, les attirant à l’honnêteté de la
vie, car ce que vous pouvez corriger, et ne le faites pas à raison
de quelque considération humaine, cela vous sera imputé à jugement
et à péché.
D’ailleurs, sachez que
l’habitant de cette maison a deux vices, savoir, 1. d’infidélité,
d’autant qu’il croit que toutes choses sont régies par le destin ;
2. il use des enchantements et de quelques paroles diaboliques, afin
qu’il prenne une grande multitude de poissons d’un étang ; et
d’autant qu’il est de votre famille, avertissez-le afin qu’il
s’amende, autrement vous verrez de vos yeux que le diable qu’il est
prévaudra sur lui.
Celui-là oyant
l’avertissement de l’épouse de Jésus-Christ et le méprisant, on le
trouva mort subitement ayant le col renversé.
CHAPITRE 77
Jésus-Christ reprend un religieux à raison de quelque dispute.
Le Fils de Dieu dit à
son épouse : Que vous dit ce frère babillard?
Elle répondit : Que les
Gentils qui n’ont été appelés à la vigne ne jouiront pas du fruit de
la vigne.
Notre-Seigneur lui
dit : Dites-lui que le temps viendra que tout sera un bercail et un
pasteur, une fois et une claire connaissance de Dieu. Et lors
plusieurs qui ont été appelés à la vigne seront reprouvés, et ceux
qui n’y sont appelés et qui ont fait tout ce qu’ils ont pu, auront
quelque miséricorde et quelque soulagement en leurs supplices, bien
qu’ils n’entrent en ladite vigne. D’ailleurs dites-lui : Il vous
serait plus profitable de dire le Pater avec simplicité que de
disputer sophistiquement et avec tant de subtilité des vanités du
monde. Partant, pensez que vous êtes entré en religion, et sachez
que bientôt vous mendierez le pain ailleurs. Néanmoins, si vous
changez votre volonté, Dieu modifiera sa sentence.
CHAPITRE 78
De
l’expulsion du diable d’une maison par les paroles de Jésus-Christ,
etc.
L’épouse sainte
Brigitte était logée une nuit en une maison où le diable parlait
ouvertement, donnait les réponses et prédisait plusieurs choses. Or,
cette sainte étant présente, le diable ne dit mot, et elle ouït,
étant en l’oraison, une voix qui lui disait : En cette maison ont
été faits quelques maux par les habitants du passé et du présent,
car ils honorent les dieux tutélaires et ne fréquentent point les
églises, si ce n’est pour la honte des hommes, ni ils n’entendent
jamais la parole divine ; c’est pourquoi le diable domine en ce
lieu.
Partant, que votre
confesseur, ayant assemblé tous les habitants de cette maison et les
voisins, leur dise ces paroles : Dieu est un et trine, par qui
toutes choses ont été faites, et sans lui rien ne peut être fait.
Or, le diable est sa créature qui ne peut pas mouvoir un de vos
pieds sans que Dieu le permette.
Mais d’autant plus vous
aimez et cherchez les créatures et le monde plus que Dieu, et
cherchez d’être riches contre les volontés de Dieu, lors le diable
commence de posséder vos âmes, vous faisant (la justice de Dieu le
permettant de la sorte), prospérer ès choses temporelles. Partant,
croyez en Dieu, et chassez les serpents desquels vous sucez le lait,
et ne donnez point des prémices d’aucune chose à vos dieux
tutélaires. Ne dites jamais que la fortune a fait cela ou cela, mais
que Dieu l’a permis ainsi. Ne dites pas aussi qu’à l’autel n’est
immolé autre chose qu’un gâteau, mais croyez fermement que là est
vraiment le corps de Jésus-Christ qui a été crucifié en la croix, et
croyez vraiment aux sacrements de baptême, confirmation et
extrême-onction, et lors le diable s’enfuira de vous. Nous croyons,
dirent-ils en criant, et promettons de nous amender.
Soudain on ouït le
diable dans une fournaise, d’où il donnait les réponses, disant : Je
n’aurai jamais plus ici de lieu. Et ainsi, il se retira tout confus,
et désormais on n’entendit point de voix ni terreur.
CHAPITRE 79
D’un homme qui avait dit la messe sans avoir reçu les ordres.
Un certain homme qui
n’avait jamais été ordonné prêtre, célébrait et disait la sainte
messe, lequel, étant présente au Juge, fut condamné au feu. Sainte
Brigitte priant pour lui, Notre-Seigneur lui dit : Voyez ma
miséricorde : si cet homme eût demeuré impuni, il serait damné. Or,
maintenant, il a obtenu la contrition : c’est pourquoi, par le
supplice qu’il souffre maintenant, il s’approche de ma grâce et du
repos.
Mais maintenant, vous
me pouvez demander si le peuple qui entendait les messes et qui
recevait les sacrements de cet homme, péchait mortellement.
Je vous réponds que,
pour cela, il n’est point damné, mais la foi l’a sauvé, car il
croyait que l’évêque l’eût ordonné et que je fusse à l’autel en ses
mains. La foi des parents a aussi profité à ceux qui ont été
baptisés par lui, car la foi croit de Dieu des choses dignes par la
charité des œuvres. Il ne sera pas sans récompense, et son désir ne
sera pas frustré.
CHAPITRE 80
D’une femme tourmentée d’un diable incube.
Une femme étant vexée
par le démon, son ventre s’enfla soudain, de sorte qu’il semblait
qu’elle enfanterait à l’instant, et soudain il se désenfla, comme si
elle n’eût rien eu au ventre. Or, étant ainsi longtemps tourmentée
du malin esprit et son ventre s’enflant comme le ventre de celles
qui sont prêtes à enfanter, sa maîtresse consulta sur cela sainte
Brigitte, épouse de J.C., qui lui dit : Comme entre les esprits, il
y en a un plus subtil que l’autre, de même entre les malins, il y en
a un plus malicieux que l’autre, car en ce royaume, il y a
spécialement trois sortes de démons : les uns sont de feu et de
flamme, qui dominent les gourmands et les gloutons ; le deuxième est
diabolique, qui possède les corps et les âmes des hommes ; le
troisième est le plus abominable de tous, qui excite les hommes à
luxure contre nature.
Et parce que cette
femme a été incontinente et infidèle, le démon domine en elle ; et
d’autant que, par honte, elle n’a pas confessé un péché et s’est
approchée du saint Sacrement, le diable domine en elle. Partant,
qu’elle confesse le péché celé depuis longtemps et que les amies de
Dieu prient pour elle, et après, qu’elle communie, car je veux
qu’elle soit affranchie par les larmes et les prières de mes amis.
Et cela étant fait, cette femme fut délivrée.
CHAPITRE 81
D’un enfant et de sa mère affranchis des vexations du diable.
Un enfant de trois ans
n’avait jamais repos, sinon lorsqu’on l’aspergeait d’eau froide ; ce
que voyant, sainte Brigitte admira grandement. Jésus-Christ lui
dit : Voyez la justice et la permission de Dieu. La mère de cet
enfant a été longtemps tourmentée d’un diable incube, car le diable,
qui est un esprit, se fait et s’applique un corps d’air, dans lequel
se faisant luxurieux, il se montre visible, exerçant avec cette
femme sa malice et sa méchanceté. Et bien que l’enfant soit né du
père et de la mère, le diable néanmoins a grande puissance sur lui,
d’autant qu’il n’est point baptisé, sinon à la manière dont
baptisent les femmes qui ignorent les paroles de la sainte Trinité.
Partant, que l’enfant
soit baptisé au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et il sera
guéri. Que la mère confesse son péché, et qu’elle dise, quand le
diable approchera d’elle : Jésus-Christ, Fils de Dieu, qui êtes né
de la Vierge Marie pour le salut des hommes, qui avez été crucifié
et qui maintenant régnez au ciel, ayez miséricorde de moi.
Cela étant fait, la
femme fut guérie.
CHAPITRE 82
Notre-Seigneur reprend les hommes qui vont à la pythonisse.
Un soldat consulta un
jour la pythonisse,
à savoir, si les sujets se devaient rebeller contre le roi de Suède
ou non, et l’effet arriva comme la pythonisse l’avait prédit ; ce
qu’étant fait, le soldat racontait au roi, en la présence de
l’épouse, ce que la pythonisse avait dit, et elle, s’étant un peu
détournée du roi, ouït la voix de Jésus-Christ qui lui disait : Vous
avez ouï comment ce soldat a consulté la pythonisse et comment ce
soldat a consulté la pythonisse et comment elle lui a prédit la paix
future : partant, dites au roi que ces choses se font par ma
permission à raison de la mauvaise foi des peuples, car le diable,
par la subtilité de sa nature, peut connaître plusieurs choses
futures, lesquelles il manifeste à ceux qui croient en lui, afin de
les décevoir.
Partant, dites encore
au roi qu’il chasse telle sorte de gens de la compagnie des gens de
bien, car ils sont ceux qui déçoivent les âmes qui se donnent au
diable et lui rendent hommage pour le bien temporel, afin que, par
eux, plusieurs soient perdus ; ni n’est pas de merveilles, car
d’autant que l’homme désire savoir plus que Dieu ne veut, et être
enrichi contre les vouloirs de Dieu, lors le diable, tentant son
esprit et le voyant penché et enclin à ses suggestions, envoie ses
coadjuteurs, savoir, les pythonisses et autres adversaires de la
foi, pour le tromper, et acquérant quelque peu du temporel, il perd
ce qui est éternel.
CHAPITRE 83
De
la dévotion des païens à la fin des jours.
Le Fils de Dieu parle à
son épouse, disant : Sachez que les païens auront tant de dévotion
que les chrétiens ne seront que leurs serviteurs en la vie
spirituelle ; et lors les écritures seront accomplies, que le
peuple, ne l’entendant point, me glorifiera ; et lors les déserts
seront édifiés, et tous chanteront: Gloire soit au Père, au Fils et
au Saint-Esprit, et honneur à tous les saints!
CHAPITRE 84
Ici
Notre-Seigneur reprend ceux qui prennent plusieurs vêtements pour le
froid et la vanité.
L’épouse sainte
Brigitte, étant arrivée au royaume de Suède au milieu des rigueurs
du froid en une île en naviguant, et tous ceux qui étaient dans le
navire dormant, et elle, ne voulant les inquiéter, demeura jusques
au jour dans le navire avec un domestique qui pâtissait de froid
outre mesure, et elle avait un grand chaud, et eux, la touchant et
l’expérimentant, l’admirèrent. Et elle priant Dieu à l’aurore,
Notre-Seigneur lui dit : Oh ! que les hommes se défient de moi, qui
se chargent de vêtements comme un érinacé de pommes, et comme un
paon de plumes, et s’enorgueillissent tout autant que le paon
s’enorgueillit de ses plumes, vu qu’ils ne peuvent échauffer sans
moi ni être beaux sans qu’ils soient de moi.
Or, s’ils mettaient
leur espérance en moi, je leur donnerais la chaleur du corps et de
l’âme, et les rendrais beaux devant mes saints. Or, maintenant, ils
sont difformes, d’autant qu’ils ne se contentent du nécessaire et
aiment avec plus de ferveur la créature que le Créateur.
CHAPITRE 85
Du
bien mal acquis; des peines et des aumônes d’iceux.
Il y avait un homme qui
était demeure quarante ans en purgatoire et qui apparut à l’épouse,
disant : A raison de mes péchés et pour les biens que vous savez,
j’ai souffert longtemps en purgatoire, car j’ai ouï souvent en la
vie que ces biens étaient mal acquis par mes parents, mais je ne
m’en souciai pas ni ne les restituai pas. Or, Dieu, l’inspirant à
quelques-uns de mes parents ayant bonne conscience, les restituèrent
après mon décès à ceux à qui il s’appartenaient, et lors, par les
oraisons de l’Église, je fus délivré du purgatoire.
Après, Notre-Seigneur
dit à son épouse : Qu’est-ce que les hommes croient, en détenant le
bien d’autrui injustement et sciemment ? Eh quoi ! entreront-ils en
paradis ? Certainement non, pas plus que Lucifer ; ni les aumônes
des biens mal acquis ne leur profiteront de rien, mais passeront en
la consolation de ceux auxquels ils appartiennent. Mais ceux qui ont
ignoramment les biens mal acquis en seront pas punis, ne ceux-là ne
perdent point le ciel, qui ont la volonté parfaite de restituer, et
font en cela tout leur possible, car lors Dieu supplée à leur bonne
volonté en cette vie ou en l’autre.
CHAPITRE 86
Comment sainte Brigitte vit le feu descendre du ciel, et en la main
du prêtre, un agneau.
Un prêtre célébra, le
jour de la Pentecôte, sa première messe en monastère ; Lorsqu’il
élevait l’hostie, sainte Brigitte vit que le feu descendait du ciel
sur l’autel, et elle vit entre les mains du prêtre les espèces du
pain, et en icelles, un agneau vivant, et en l’agneau, une face
comme d’un homme fort reluisante ; Et lors elle ouït une voix qui
lui disait : Comme vous voyez maintenant que le feu descend du ciel
en l’autel, de même le Saint-Esprit descendit sur mes apôtres en ce
même jour, enflammant leurs cœurs. Le pain, par paroles
sacramentelles, est transsubstantié en l’agneau vivant,
c’est-à-dire, en mon corps ; et la face est en l’agneau, et l’agneau
en la face, d’autant que le Père est dans le Fils, le Fils dans le
Père, et le Saint-Esprit en tous deux. Et elle vit encore en la main
du prêtre, à l’élévation de la sainte Eucharistie, un enfant d’une
beauté admirable, qui lui dit : Je bénis les croyants et je serai
juge des mécréants.
CHAPITRE 87
Il
est ici parlé d’un excommunié.
Sainte Brigitte, étant
un jour assise avec un évêque et autres seigneurs, sentit une
puanteur insupportable, comme si elle sortait des écailles d’un
poisson pourri ; et les autres admirant qu’elle seule sentît cette
odeur, soudain entra en la maison un homme qui était excommunié ;
mais à raison de sa grandeur, il ne se souciait du lieu de
l’excommunication.
Le propos étant fini,
Notre-Seigneur dit à sainte Brigitte : Comme la puanteur des
écailles des poissons pourris est plus dangereuse au corps que les
autres, de même l’excommunication est une infirmité spirituelle plus
dangereuse à l’âme que les autres, car non seulement elle nuit à
l’excommunié, mais aussi à ceux qui conversent avec lui et qui
consentent à ses desseins. Partant, que l’évêque fasse en sorte
qu’un tel soit puni, de peur que, par sa participation, les autres
ne soient marqués et tachés.
CHAPITRE 88
Notre-Dame enseigne à sainte Brigitte ce que signifient les
mouvements du cœur.
La nuit de la Nativité
de Notre-Seigneur, sainte Brigitte fut touchée d’une si grande et si
extraordinaire joie intérieure, qu’à grand’peine elle la pouvait
soutenir ; et soudain elle sentit dans son cœur un grand mouvement
si admirable qu’il semblait qu’elle avait en son corps un petit
enfant qui s’émouvait ; et ce mouvement durant assez longuement,
elle le montra à son Père spirituel et à ses amis spirituels, de
peur que ce ne fût quelque illusion, lesquels, ayant vu et touché,
en admirant l’effet.
Le même jour, à la
messe, la Mère de Dieu lui apparut et lui dit : Ma fille, vous
admirez le mouvement que vous ressentez en votre cœur : sachez qu ce
n’est point une illusion, mais bien une manifestation aucunement
semblable à la joie, exultation et miséricorde qui me furent faites
en ce soir ; car comme vous ignorez comme une exultation et joie
sont arrivées si soudainement à votre cœur, de la même manière
l’arrivée de mon Fils au monde fut soudaine et admirable, car quand
je consentis à l’ange, lorsqu’il m’annonçait la conception du Fils
de Dieu, soudain je sentis en moi quelque chose d’admirable et de
vivant, et naissant de moi, il sortait d’une admirable vitesse,
d’une joie indicible, sans léser le cloître virginal. Partant, ma
fille, ne craignez point l’illusion, mais réjouissez-vous, parce que
les mouvements que vous sentez sont les signes de l’avènement de mon
Fils en votre cœur.
Partant, comme mon Fils
vous a imposé le nom d’une nouvelle épouse sienne, de même
maintenant je vous appelle ma bru, car comme les pères et mères
vieillissants mettent la charge sur la bru et lui disent tout ce
qu’il faut faire en la maison, de même Dieu et moi, comme vieillis
et refroidis ès cœurs des hommes, voulons marquer à nos amis et au
monde par vous notre volonté. Ce mouvement de votre cœur croîtra
selon la capacité de votre cœur.
CHAPITRE 89
Notre-Seigneur certifie à sainte Brigitte, par saint Jean, que
l’Apocalypse est de lui, et que la glose du docteur Mathias sur la
bible est du Saint-Esprit.
Quand le docteur
Mathias, du royaume de Suède, gloseur de la bible, glosait sur
l’Apocalypse, il priait une fois l’épouse de Jésus qu’elle sût en
esprit le temps de l’Antéchrist, et lui demandait si l’Apocalypse
avait été écrite par saint Jean l’évangéliste, d’autant que
plusieurs tenaient le contraire. Elle fut donc ravie en esprit, et
lors elle vit comme une personne ointe d’huile, mais grandement
éclatante, à qui Jésus-Christ parlant, dit : Dites qui est celui qui
a composé l’Apocalypse.
Il répondit : Je suis
Jean, à qui vous avez recommandé votre Mère, lorsque vous étiez en
croix. O Seigneur, vous m’avez inspiré les mystères qui y sont, et
je l’ai écrite pour la consolation de la postérité, afin que vous
fidèles ne fussent renversés à raison des divers accidents.
Et Notre-Seigneur dit à
l’épouse : Ma fille, je vous dis que comme Jean a écrit de mon
Esprit les choses futures qu’il a vues, de même Mathias, votre
confesseur et Père, a entendu et compris, inspiré du même Esprit, et
écrit les vérités spirituelles de la sainte Ecriture. D’ailleurs,
dites au même docteur que j’ai rendu docteur, qu’il y a plusieurs
antéchrists ; mais comment et quand il viendra, ce malin Antéchrist,
je le lui montrerai par vous.
CHAPITRE 90
Il
est ici traité d’une répréhension et punition d’un religieux trop
babillard.
Ce docteur Mathias
parlant avec un religieux de grande autorité et familiarité, de la
grâce des visions célestes qui était divinement donnée à sainte
Brigitte, le religieux dit : Il n’est pas croyable ni ne s’accorde
point avec l’Écriture que Dieu se retire de ceux qui se contiennent
et ont abandonné le monde, et qu’il manifeste ses secrets à des
femmes magnifiques. Or, le docteur alléguant plusieurs choses
là-dessus, l’autre ne consentit point.
Or, l’épouse, oyant
ceci, vit que le docteur en était troublé ; elle se mit en oraison,
et lors, ravie en esprit, elle ouït Notre-Seigneur qui lui disait :
Cette périlleuse infirmité en a assailli plusieurs ; et à celui qui
se rend malade du remède, il ne faut pas lui en donner davantage, de
peur qu’il ne soit pis. Or, je suis la médecine des infirmes, la
vérité des errants. Mais ce religieux babillard ne désire point de
médecine, d’autant que la fiente et l’ordure de la science vaine
sont dans son cœur. Partant, je lui donnerai de ma main un soufflet,
et tout le monde saura que je suis, non un Dieu babillard, mais
puissant et redoutable.
Ce religieux, après la
tribulation, s’humilia et mourut paralytique.
CHAPITRE 91
Jésus-Christ commande à son épouse d’affermir le corps, afin que
l’âme ne soit empêchée des choses divines.
L’épouse sainte
Brigitte ayant un jour trop jeûné et veillé, la tête et le corps lui
défaillaient, et Jésus-Christ lui parlant, elle ne comprit pas bien,
parce qu’elle était débile. Lors Notre-Seigneur lui dit : Allez,
donnez au corps avec modération ce qui lui est nécessaire, car c’est
mon plaisir que la chair ait modérément le nécessaire, et que l’âme
ne soit empêchée des choses spirituelles par faiblesse.
CHAPITRE 92
Jésus-Christ reprend un moine qui disait devant un roi que sainte
Brigitte était trompée.
Un moine porta un jour,
le livre des Vies des Pères devant le roi de Suède et ses
conseillers, lisant en icelui que plusieurs Pères avaient été
trompés à raison des excessives et indiscrètes abstinences ; et
partant, il dit qu’il craint que cette sainte ne le soit aussi.
Sainte Brigitte, priant, ouït Jésus-Christ qui lui disait :
Qu’est-ce que ce moine dit que plusieurs de mes saints furent
trompés?
Véritablement, ce sac
de paroles a parlé comme il a voulu, mais non pas comme il devait,
car aucun de mes amis n’a été trompé, car ils m’ont aimé sagement ;
mais ceux qui, s’enorgueillissant de leur abstinence et de leur
justice, se préféraient aux autres, et qui n’ont voulu obéir aux
hommes, ceux-là certes ont été trompés ; et d’autant que ce moine a
porté contre moi le livre des saints Pères, desquels il n’est pas
imitateur, je porterai aussi le livre de justice et de fureur contre
lui ; et celui qui est loué en sa sagesse viendra devant la mienne,
et lors il verra que la vraie sapience n’est pas en la sublimité de
la parole, mais en la conscience pure et en la vraie humilité. Oh !
que les professeurs de cet ordre se sont retirés loin des vertiges
de leurs pères ! car il a été comme l’édificateur de la haine
dissipée, et comme un homme qui a suivi les pas des parfaits.
CHAPITRE 93
D’une vision remarquable d’une dame que Notre-Dame et saint Pierre
soutenaient, afin qu’elle ne tombât, etc.
Sainte Brigitte vit en
esprit une femme assise sur une corde, l’un des pieds de laquelle
soutenait un homme merveilleusement beau, l’autre une vierge d’une
beauté incomparable.
Et lors la Sainte
Vierge, lui apparaissant, lui dit : Cette femme qui vous est connue
étant embrouillée dans les soins et sollicitudes de la chair, a été
conservée des chutes d’une manière admirable ; certainement elle a
eu plusieurs fois la volonté de pécher, mais elle n’a trouvé ni le
lieu ni le temps, et ce bien lui a été donné par l’oraison de saint
Pierre et de mon Fils, que cette femme aime ; quelquefois elle en a
eu le lieu et le temps, mais non pas la volonté et cela par ma
charité, de moi qui suis Mère de Dieu ; et d’autant que son temps
s’approchait, saint Pierre lui conseilla de faire quelque austérité
en l’habit, déposant ses habits glorieux à son exemple, qui, dans
les prisons, avait enduré la nudité et la faim, bien qu’il fût
puissant au ciel et sur la terre.
Mais moi, Mère de Dieu,
qui n’ai pas passé une heure sans quelque tribulation et angoisse de
cœur, je vous conseille de n’être point honteuse de vous humilier et
d’obéir aux amis de Dieu.
Après cela, saint
Pierre l’apôtre apparut, disant à l’épouse : Vous êtes nouvelle
épouse de mon Seigneur. Allez, et demandez à cette femme si elle
voulait être entièrement ma fille, puisque je l’aime et la conserve.
Elle répondit qu’elle
le voulait être de tout son cœur.
J’en aurai soin,
dit-il, comme de ma fille Pétronille, et la recevrai en ma garde.
Et soudain cette dame
changea sa vie, et après, elle fut malade tout le temps de sa vie,
jusques à ce qu’étant purifiée, elle rendit l’esprit. Mais étant
quasi au dernier période de sa vie, elle vit saint Pierre l’apôtre
revêtu pontificalement, et saint Pierre, martyr de l’ordre des
Frères prêcheurs, car elle les avait aimés tous deux. Et lors elle
dit clairement : Qu’est cela, O mon Seigneur ? Et ceux qui étaient
auprès d’elle lui demandant si elle avait vu quelque chose : Des
merveilles, dit-elle, car je vois saint Pierre revêtu en pontife, et
saint Pierre le martyr en l’habit de prédicateur, lesquels j’ai
toujours aimés et ai espéré en leurs prières. Et soudain elle cria
et dit : Béni soyez-vous, ô mon Dieu! Je viens à vous. Et ainsi elle
décéda.
CHAPITRE 94
La
Mère de Dieu révèle où demeurèrent les âmes que Jésus-Christ
affranchit de l’enfer, et les corps qui ressuscitèrent à sa mort,
etc.
La Mère de Dieu dit :
Mon Fils ressuscita un tel jour qu’aujourd’hui, fort comme un lion,
car il brisa la puissance du diable, et affranchit les âmes de ses
élus, qui montèrent avec lui aux joies célestes. Mais vous pourriez
demander où étaient ces âmes
(1)
qu’il avait délivrées de l’enfer jusqu’à ce qu’il monta au ciel.
Elles étaient, dit la
Sainte Vierge, en un lieu connu de mon Fils, car là étaient la joie
et la gloire, comme il dit au larron : Vous serez aujourd’hui en
paradis avec moi. Plusieurs saints aussi ressuscitèrent en
Jérusalem, lesquels nous avons vu, et les âmes desquels montèrent au
ciel avec mon Fils ; mais leurs corps attendent encore avec les
autres le jugement et la résurrection. Mais quant à moi, qui suis
Mère de Dieu, étant plongée en la douleur après sa mort, mon Fils
m’apparut avant qu’aux autres, et se montra sensiblement à moi, me
consolant et me disant qu’il monterait visiblement avec moi dans le
ciel. Et bien que cela ne soit écrit par mon humilité, néanmoins
cela est véritable que mon Fils apparut à moi la première. Or,
d’autant que mon Fils m’a consolée un jour comme celui-ci, je veux
aussi diminuer vos tentations et vous enseigner le moyen d’y
résister.
Vous admirez pourquoi
croissent en la vieillesse les tentations que vous n’avez eues ni en
la jeunesse ni dans le mariage. Je vous réponds que cela se fait,
afin que vous sachiez que vous n’êtes rien et que vous ne pouvez
rien sans mon Fils ; et si mon Fils ne vous avait gardée, il n’y a
péché dans lequel vous ne fussiez plongée.
Partant, je vous donne
trois remèdes contre vos tentations : quand vous êtes assaillie des
tentations sales, dites : Jésus, Fils de Dieu, qui connaissez toutes
choses, aidez-moi, afin que je ne me délecte en la vanité de ces
pensées. Quand vous êtes tentée de parler, dites : Jésus, Fils de
Dieu, qui vous êtes tu devant le juge, tenez ma langue jusqu’à ce
que j’aie pensé ce que je dois dire et comment. Quand vous vous
plaisez à faire quelque œuvre, manger ou reposer, dites : Jésus,
Fils de Dieu, qui avez été lié, gouvernez mes mains, tous mes
membres et mes œuvres, afin qu’elles tendent à une bonne fin : cela
vous sera en signe de ce que je dis, que désormais votre corps ne
prévaudra point sur votre esprit.
ADDITION
Sainte Brigitte fut
tentée en son oraison. La Sainte Vierge Marie lui dit : Le diable
est comme un explorateur envieux cherchant sujet d’accuser et
d’empêcher les bons, afin qu’ils ne soient exaucés en leurs
oraisons. Partant, quoique vous soyez assaillie en l’oraison de
quelque tentation que ce soit, ne désistez point, et efforcez-vous
de mieux faire, car cet effort et ce désir seront réputés devant
Dieu pour l’effet de l’oraison ; et si vous ne pouvez rejeter les
pensées sales, l’effort vous sera des couronnes, pourvu que vous n’y
consentiez et qu’elles soient contre votre volonté.
CHAPITRE 95
D’un prince juste qui craignait d’accepter la royauté, et ce que la
Mère de Dieu lui dit.
Au royaume de Suède, un
grand et illustre, qui s’appelait Israël, étant souvent prié par le
roi de prendre le gouvernement du royaume, le refusa, tant il
brûlait de désir de combattre contre les païens, de mourir pour la
foi au service de Dieu, et de n’avoir inclination aucune à la
dignité royale ! Lors la Sainte Vierge dit à sainte Brigitte, qui
était en oraison : Si ceux qui ont et savent la justice, qui la
désirent, qui la peuvent faire, refusent d’entreprendre la charge et
la peine pour l’amour de Dieu, comment le royaume demeurera-t-il en
sa vigueur ? Malheur ! Il ne sera pas royaume, mais une volerie, une
caverne de tyrans où les méchants commandent et où les justes sont
foulés aux pieds.
Et partant, l’homme
juste et bon doit être attiré par l’amour de Dieu et par le zèle au
gouvernement, afin qu’il profite à plusieurs. Et ceux qui
ambitionnent les dignités pour l’honneur du monde, ne sont pas de
vrais princes, mais des tyrans très-méchants. Que donc Israël, mon
ami, entreprenne le gouvernement pour l’honneur de Dieu, ayant en la
bouche les paroles de vérité, et en la main le glaive de justice, ne
regardant ni inclinant aux faveurs du monde, ni aux alliés, ni ayant
acception de personnes.
Je ne vous dis pas ce
qui se dira de celui-ci de la bouche des hommes. Il est sorti
généreusement de sa patrie ; il a honoré sincèrement : partant,
sachez que je le conduirai à ma patrie par une autre voie.
Ces choses arrivèrent
ensuite en même manière, car quelques années s’étant écoulées, ce
seigneur alla contre les fidèles et vint aux Allemagnes, où il fut
grandement malade ; et sentant que la mort s’approchait, il monta
avec quelques-uns à l’église cathédrale, et là, il mit son anneau au
doigt d’une image de Notre-Dame qu’il avait tant aimée, et qui était
là honorée avec une très-grande révérence ; et laissant là son
anneau, il dit : Vous êtes ma Dame et me l’avez été toujours
très-douce, sur quoi je vous appelle à témoin. Je vous laisse moi et
mon âme à votre providence et miséricorde. Et ayant très-dévotement
pris les sacrements, il mourut.
Après, l’épouse priant
pour lui, la Mère de Dieu parlait de lui, disant : Il m’a donné
l’anneau de son amour, me désirant pour épouse. Sachez, ma fille,
qu’en vérité il m’a aimée de tout son cœur, et il a craint mon Fils
en toutes ses œuvres et jugements : c’est pourquoi je le conduis par
la grâce et coopération de Dieu, mon Fils, par les voies les plus
nécessaires et à lui plus utiles, et l’ai présenté à la troupe des
saints et des anges, desquels il était aimé, afin que, s’il fût mort
en la main de ses parents, les consolations temporelles ne l’eussent
empêché de plus grands biens. En vérité, sa bonne volonté a autant
plu à Dieu que s’il fût mort parmi les païens, combattant contre eux
pour la sainte foi catholique.
DÉCLARATION
Ce Seigneur était frère
de sainte Brigitte.
CHAPITRE 96
Pourquoi, un jour, les cloches de l’église de Saint-Pierre de Rome
brûlaient.
Peu avant la mort d’un
pape, les cloches brûlaient d’une manière admirable, ce que l’épouse
voyant, s’en étonnait, et Jésus-Christ lui apparut en cet
étonnement, disant : Ma fille, ceci est un grand signe, car il est
écrit que tous les éléments comme compatissaient à ma mort, quand
ils retirèrent leur splendeur accoutumée et leurs effets : de même
les éléments et les créatures combattent souvent et jugent les
jugements de Dieu, et manifestent en leurs cœurs l’ire et
l’indignation divine, et les signes évidents des évènements futurs.
Or, maintenant, les
cloches brûlent, et quasi toutes crient que le seigneur est mort. Le
pape est décédé. Que ce jour soit béni, mais non pas ce seigneur. O
chose admirable ! Là où tous devaient crier : Qu’il meure et qu’il
ne ressuscite point ! Il n’est pas de merveilles, car celui qui
devait leur dire : Venez, et vous trouverez le repos de vos âmes,
criait et disait : Venez, et voyez-moi en ma pompe et en mon
ambition plus que Salomon. Venez à ma cour et videz vos bourses, et
vous trouverez la perdition de vos âmes. C’est de la sorte qu’il
criait par paroles et par exemples : et partant, le temps de l’ire
s’approche, et je le jugerai comme un dissipateur du troupeau de
saint Pierre. Hélas ! Hélas ! Quel jugement lui reste-t-il ?
Véritablement, s’il voulait encore se convertir à moi, je lui irais
au-devant au milieu du chemin comme un père clément.
CHAPITRE 97
Comment Dieu veut que le pêcheurs soient avertis de confesser leurs
fautes.
Un grand seigneur selon
le monde n’avait pas été à confesse depuis longtemps, et tant qu’il
différait d’y aller, il était malade. L’épouse, en ayant compassion,
priait pour lui. Mais Notre-Seigneur, apparaissant lors à l’épouse,
lui parlait, disant : Dites à votre confesseur qu’il visite ce
malade et qu’il oie sa confession.
Le confesseur étant
arrivé auprès du malade, le malade lui dit qu’il n’avait point
besoin de confession, disant qu’il s’était souvent confessé.
Le lendemain,
Jésus-Christ commanda que le confesseur y retournât. Il y retourna,
et le malade lui dit comme dessus.
Le confesseur y
retournant le troisième jour par la révélation qui en avait été
faite à sainte Brigitte, lui dit : Jésus-Christ, Fils de Dieu, vous
parle aussi et le diable en cette manière : Vous avez en vous sept
démons : l’un est au cœur, le liant afin que vous n’ayez contrition
de vos péchés. L’autre est aux yeux, afin que vous ne voyiez ce qui
est plus utile à votre âme. Le troisième est en votre bouche, afin
que vous ne disiez des paroles à l’honneur de Dieu. La quatrième est
ès parties inférieures, c’est pourquoi vous aimez toute sorte
d’impuretés. Le cinquième est en vos pieds et en vos mains, c’est
pourquoi vous ne craignez point de tuer et de dépouiller les hommes.
Le sixième est dans votre intérieur, c’est pourquoi vous êtes adonné
à l’ivrognerie. Le septième est en votre âme, où Dieu devrait être,
et est son ennemi. Partant, faites au plutôt pénitence, car Dieu
vous sera encore propice.
Lors ce malade dit, les
larmes aux yeux : Comment me pourriez-vous persuader que Dieu me
pardonnera, à moi qui suis enveloppé en tant et tant de crimes
publics?
Le confesseur
répondit : Je vous le jure, et je l’ai expérimenté, qu’encore que
vous eussiez commis les plus grands crimes du monde, vous pouvez
être sauvé par la sainte confession et la contrition.
Il dit encore en
pleurant : Je désespère du salut de mon âme, d’autant que j’ai fait
hommage au diable qui m’apparut souvent ; c’est pourquoi je ne me
suis jamais confessé, bien que j’aie soixante ans, ni n’ai jamais
reçu le corps de Jésus-Christ, mais je feignais d’avoir des
affaires, quand il y fallait aller. Or, maintenant je confesse que
je ne sache jamais avoir eu des larmes de cette manière.
Ce jour-là il se
confessa quatre fois, et le lendemain il communia, après s’être
encore confessé. Après cela, il mourut le sixième jour.
Jésus-Christ, parlant
de ce pécheur à son épouse, lui dit : Cet homme servait un larron,
le péril duquel je vous ai montré ci-dessus, et le diable se retire
maintenant de lui à qui il faisait hommage, et cela à raison de la
contrition qu’il a eue, et maintenant il va se purifiant, et le
signe de son affranchissement fut la contrition finale.
Mais vous me pouvez
demander comment pouvait mériter la contrition celui qui était
plongé en tant de crimes. Je vous réponds : Ma dilection l’a fait et
voulu ainsi, car j’attends la conversion des hommes jusques au
dernier point de leur vie, et le mérite de ma Mère y a aidé ; car
bien que cet homme ne l’ait pas aimée de cœur, néanmoins, d’autant
qu’il avait accoutumé d’avoir compassion de sa douleur, tout autant
de fois qu’il l’oyait nommer et la considérait, c’est pourquoi il a
trouvé le salut et il est sauvé.
CHAPITRE 98
D’une abbesse qui, par la propriété et autres crimes, était pour ses
Sœurs un exemple de perdition.
Pour les Bénédictins.
Le Fils de Dieu parle :
Cette abbesse est comme une des vaches grasses, qui plongeant et
trempant sa queue dans les ordures, en salit les autres : en effet,
elle scandalise ses Sœurs par son exemple pernicieux ; son habit
plissé et affecté montre bien qu’elle n’est pas fille de saint
Benoît ni épouse humble, d’autant qu’elle a mis en oubli ses saintes
épousailles, car sa règle dit qu’elle doit avoir la plus rude et la
plus vile, et elle en porte des plus molles, des plus belles et des
plus délectables.
La règle commande aussi
de manger ce qui est nécessaire avec sobriété et crainte, et défend
d’avoir quelque chose de propre ; mais celle-ci a du propre, du quel
elle s’engraisse comme une vache du diable, suivant sa propre
volonté.
La règle dit aussi que
toutes choses sont ès mains de l’abbesse, ne considérant par
l’intention de mon saint Benoît, qui a tout mis en la main de
l’abbé, afin qu’il fût discret, l’exemple des vertus et celui qui
suit de plus près la règle.
Mais cette abbesse a
reçu le nom et la parole de puissance pour sa dissolution et se
ruine, ne considérant point qu’elle me rendra raison de toutes les
âmes de ses Sœurs. Partant, sachez que si elle ne corrige ses mœurs
et celles de ses Sœurs, elle s’en ira en enfer avec les vaches
grasses, et les corbeaux de l’enfer la déchireront toute,
puisqu’elle n’a pas voulu voler dans le ciel avec les humbles et
avec les sobres.
DÉCLARATION
Cette abbesse, étant
morte, apparut à sainte Brigitte un peu blanche, mais comme
enveloppée dans un rets de fer ; sa langue semblait de feu ; ses
mains et ses pieds semblaient de plomb et ses yeux remplis de
larmes ; et elle dit à sainte Brigitte : Vous vous étonnez pourquoi
je parais si difforme : telle est la rétribution de la justice
divine. Ma blancheur signifie la virginité de mon corps, mais le
filet de fer marque que je n’ai pas gardé les observances régulières
et le bien de la patience ; car comme aux rets plusieurs anneaux
sont enlacés, de même j’endure plusieurs tourments pour l’omission
de tant de bonnes œuvres que je ne faisais pas, quand j’en avais le
temps.
Quant à ce que ma
langue paraît de feu, j’en suis digne, d’autant que, contre ma
profession, je la lâchais en paroles de vanité et de cajolerie.
Mes mains et mes pieds
apparaissent de plomb, et à bon droit, d’autant que mes œuvres, qui
sont désignées par mes mains qui devaient être éclatantes comme de
l’or, sont molles et dissolues comme du plomb.
Mes pieds aussi, par
lesquels je devais aller donner à mes Sœurs de bons exemples et de
saintes conversations, se glissèrent ès façons mondaines, et étaient
paresseux à tout bien spirituel.
Mes yeux vous
apparaissent tout éplorés, et à juste raison, d’autant que je me
gardais de pleurer quand je devais laver les crimes de ma vie. Je
suis néanmoins en état de miséricorde et en attente d’une bonne
espérance, pour les prières qui se font en l’Église par les saints
et par le sang de Jésus-Christ.
CHAPITRE 99
D’un diable qui induisait des moniales à la propriété pour faire des
aumônes.
On voyait un
épouvantable et horrible Ethiopien en un monastère, entre les
religieuses voilées, revêtu d’un habit noir, en forme de moine, sur
quoi l’épouse admirant, Jésus-Christ lui dit : Il est écrit dans mon
Évangile qu’il se faut donner garde de ceux qui vont revêtus de
vêtements de brebis, et qui, au dedans, sont des loups ravissants :
je vous en dis de même maintenant : cet Ethiopien, qui paraissait
entre les moniales avec l’habit de moine, est un diable de cupidité
qui suggère aux filles d’amasses des richesses et des métairies,
afin d’en vivre avec plus de largesse et d’en faire des aumônes,
afin que, sur ce prétexte de religion, se retirant de la pauvreté,
qui m’est tant agréable, elles soient peu à peu en entière
dissolution, et prévariquant contre la règle, et s’éloignant de la
première observance, elles perdent les âmes.
Partant, sachez que, si
elles ne se donnent garde de ce loup de cupidité, savoir, se
contentant de ce qu’elles ont en commun et ne voulant en rien
accroître en possessions ni richesses passagères, elles seront
toutes gâtées, même les plus saintes à leur damnation, et après,
elles seront déchirées sans miséricorde par les loups, car je prends
plus de plaisir qu’elles vivent en leur pauvreté pacifique et sainte
qu’elles professent, que s’intriguant dans les soins temporels,
elles se glorifient en vain de la distribution de leurs aumônes.
CHAPITRE 100
Jésus-Christ assure de ce qui est révèle en ses œuvres, etc.
L’épouse craignait que
les paroles de ses livres divinement révélées ne fussent infirmées
et calomniées des envieux et des méchants. Notre-Seigneur lui dit :
J’ai deux bras : avec l’un j’embrasse le ciel et tout ce qui y est ;
avec l’autre j’embrasse la terre et la mer. J’étends le premier à
mes élus, les honorant et les consolant en la terre et au ciel.
J’étends le second sur les malices des hommes, les souffrant
miséricordieusement, les retenant afin qu’ils ne fassent autant de
mal qu’ils voudraient.
Partant, ne craignez
point, d’autant que pas un ne pourra infirmer mes parole, mais elles
parviendront aux lieux et aux nations qui me sont agréables.
Néanmoins, sachez que ces paroles sont comme de l’huile, c’est
pourquoi elles doivent être mâchées, considérées et expliquées,
maintenant par les envieux, maintenant par ceux qui veulent savoir,
maintenant par ceux qui cherchent occasion que mon honneur et ma
patience soient employé.
CHAPITRE 101
Notre-Seigneur commande à sainte Brigitte de mettre par écrit tout
ce qu’il lui a dit.
Le Fils de Dieu parle à
son épouse, disant : Je suis comme un seigneur dont l’ennemi
tellement enchanté et opprimé les enfants qu’ils le glorifient même
dans les captivités, qu’ils ne veulent par même lever les yeux ni à
leur père ni à leur héritage. Partant, écrivez ce que vous oirez de
moi, et l’envoyez à mes enfants et à mes amis, afin qu’eux sèment
cette doctrine parmi les nations, afin qu’elles connaissent leur
ingratitude et ma patience, car je veux montrer aux nations ma
justice et ma charité.
CHAPITRE 102
Notre-Seigneur avertit une infirme d’être patiente. Grandeur des
indulgences.
Une dame de Suède,
étant malade depuis longtemps à Rome, dit à sainte Brigitte comme en
riant : Le bruit est qu’en ce lieu, il y a absolution des coulpes et
des peines, mais il n’y a rien d’impossible à Dieu, car
j’expérimente pour le moins la peine.
Le matin suivant,
l’épouse ouït en esprit une voix qui lui disait : Ma fille, cette
femme m’est agréable, d’autant qu’elle a vécu dévotement et a nourri
ses filles pour mon honneur ; mais elle n’a pas tant eu de
contrition en ses peines qu’elle en eût eu en ses péchés, si mon
amour ne l’eût retenue et conservée. Mais d’autant que je pourvois à
chacun en la santé et en l’infirmité, comme je vois être expédient à
un chacun, je ne dois être fâché de pas un ni jugé, mais être craint
et révéré partout.
Dites-lui aussi que les
indulgences de Rome sont plus grandes que les hommes ne le croient,
car ceux qui viennent à Rome pour gagner les indulgences avec les
dispositions requises, pénitents et confès, non-seulement obtiennent
la rémission de leurs péchés, mais obtiennent aussi la gloire
éternelle, car si l’homme endure mille morts pour l’amour de Dieu,
il ne serait pas digne de la moindre gloire qui est donnée aux
saints ; et bien que l’homme en puisse vivre tant de milliers
d’années, néanmoins, d’autant qu’il a des péchés infinis en malice
et en objet, sont dues peines infinies auxquelles l’homme ne saurait
satisfaire en cette vie ; c’est pourquoi les maux sont relaxés à
raison des indulgences ; les peines dures et longues sont changées
en courtes, et ceux qui ont gagné les indulgences avec une charité
parfaite et qui décèdent, non-seulement sont délivrés des péchés,
mais encore de la peine due aux péchés, d’autant que moi, Dieu, je
ne donnerai pas seulement à mes saints et à mes élus ce qu’ils
demandent, mais je le doublerai et le multiplierai avec amour.
Partant, avertissez cette malade qu’elle prenne patience et qu’elle
soit constante, car je ferai ce qui sera le plus utile à son salut.
DÉCLARATION
Sainte Brigitte vit que
l’âme de cette dame montait comme tout embrasée, vers laquelle
accoururent plusieurs Éthiopiens, de la vue desquels l’âme fut
étonnée et effrayée ; et soudain elle vit comme une Vierge
très-belle venir à son secours, qui dit aux Éthiopiens :
Qu’avez-vous affaire avec cette âme, qui est de la famille des
nouvelles épouses de mon Fils ? Et soudain les Éthiopiens,
s’enfuyant, la suivaient de loin.
Or, l’âme étant arrivée
au jugement de Dieu le Juge lui dit : Qui répondra pour cette ame et
qui est son avocat?
Et à l’instant, on vit
saint Jacques là présent : Je suis tenu, ô mon Seigneur, de parler
pour elle, car elle s’est souvenue de moi en ses grandes angoisses.
O Seigneur, ayez miséricorde d’elle, car elle a voulu et n’a pu.
Le Juge dit :
Qu’a-t-elle voulu qu’elle ne l’ait pu ?
Elle vous a voulu
servir de tout son cœur, mais elle n’a pas été si forte, d’autant
que les infirmités l’en ont retardée.
Lors le Juge dit à
l’âme : Allez, car votre foi et votre volonté vous ont sauvée.
Et soudain l’âme est
sortie de la présence du Juge avec une grande joie, et était
reluisante comme une étoile ; et ceux qui étaient là présents
dirent : Bénie soyez-vous, ô Dieu ! qui étiez, êtes et serez, qui ne
retirez jamais votre miséricorde de ceux qui espèrent en vous !
CHAPITRE 103
Comment saint Nicolas apparut à sainte Brigitte, et des merveilles.
Sainte Brigitte,
visitant les reliques de saint Nicolas de Baro en son sépulcre,
commença à penser à la liqueur de l’huile qui coulait de son corps,
et lors ravie hors de soi en esprit, elle vit une personne ointe
d’huile et parfumée, qui lui dit : Je suis Nicolas, évêque, qui vous
apparais en telle forme que j’avais, avec les dispositions que
j’avais en l’âme quand je vivais, car tous mes membres étaient
tellement habitués au service de Dieu, comme les choses qui sont
ointes, qui sont flexibles à ce qu’on veut ; et partant, mon âme
louait Dieu avec une joie indicible, et ma bouche prêchait la parole
divine, et en mes œuvres on trouvait la patience, outre les vertus
d’humilité et de chasteté que j’ai aimées singulièrement ; mais
d’autant que maintenant il y a plusieurs os aride de l’humeur
divine, c’est pourquoi ils donnent le son de vanité et font du
bruit ; ils sont inhabiles pour produire les fruits de justice, et
sont en abomination devant Dieu.
Or, sachez que comme la
rose donne l’odeur et le raisin la douceur, de même Dieu donne à mon
corps d’épandre et de distiller de l’huile et une singulière
bénédiction, d’autant qu’il n’honore pas seulement les saints au
ciel, mais les réjouit et les exalte en la terre, afin que plusieurs
soient édifiés et participent aux grâces qui me sont données.
CHAPITRE 104
Sainte Anne enseigne à sainte Brigitte une oraison pour l’honorer et
pour impétrer de Dieu des enfants.
Le sacristain du
monastère de Saint-Paul hors les murs de Rome, donna à sainte
Brigitte des reliques de sainte Anne, mère de la Mère de Dieu ; or,
elle, pensant comment elle pourrait les enchâsser et les honorer,
saint Anne lui apparut, disant : Je suis Anne, la dame de tous les
mariés fidèles qui sont après la loi, d’autant que Dieu a voulu
naître de ma race : partant, vous, ma fille, honorez Dieu en cette
manière :
Béni soyez-vous, Jésus,
Fils de Dieu et Fils de la Vierge, qui vous êtes choisis une Mère du
mariage d’Anne et de Joachim ! Partant, ayez miséricorde de tous les
mariés pour l’amour des prières de sainte Anne, afin qu’ils
fructifient à Dieu. Dirigez aussi tous ceux qui tendent au mariage,
pour que Dieu soit honoré en eux. Les reliques que vous avez de moi
seront en soulagement aux bien-aimés, jusques à ce qu’il plaise à
Dieu d’honorer plus hautement le jour de la résurrection dernière.
CHAPITRE 105
La
Mère de Dieu exhorte à visiter les saints lieux de Rome, etc.
La Mère de Dieu dit à
l’épouse sainte Brigitte : pourquoi vous troublez-vous?
Elle répondit : Je me
trouble d’autant que je ne visite pas les saints lieux qui sont à
Rome.
La Mère lui repartit :
Il vous est permis de les visiter avec l’humilité, révérence et
dévotion, car à Rome, il y a de plus grandes indulgences que les
hommes ne croient, lesquelles les saints et amis de Dieu ont mérité
d’impétrer de mon Fils par leur sang et par leurs prières.
Néanmoins, ma fille, ne quittez point l’étude de la grammaire ni la
sainte obéissance de votre Père spirituel.
CHAPITRE 106
Il
est traité d’un dissimulateur qui, feignant d’avoir quitté le monde,
demandait à sainte Brigitte en quel état il pourrait servir Dieu.
Un homme disait qu’il
voulait servir Dieu et voulait savoir en quel état il plairait plus
à Dieu : il consulta pour cela sainte Brigitte, désirant avoir en
cela la réponse divine ; duquel Notre-Seigneur parlant, dit à son
épouse : Celui-ci n’est point encore arrivé au Jourdain, et moins,
l’a-t-il passé, comme on écrit d’Élie qu’ayant passé le Jourdain et
étant arrivé au désert, il ouït les secrets divins.
Mais quel est ce
Jourdain, sinon le monde, qui s’écoule comme de l’eau, d’autant que
les choses temporelles montent tantôt avec l’homme, tantôt
descendent ; maintenant l’élèvent en honneur et prospérités, ores
l’oppriment par l’adversité, de sorte que l’homme n’est jamais sans
soin et tribulation ? il est donc nécessaire que celui qui désire
les choses célestes retire de son esprit toutes les affections
terrestres, car celui à qui Dieu est doux, les choses caduques et
passagères lui son véritablement viles. Mais cet homme n’est pas
encore parvenu à ce point qu’il méprise toutes choses, voire il a
encore sa volonté en ses mains. Partant, il n’ouïra point les
secrets du ciel, jusques à ce que plus parfaitement il méprise le
monde et qu’il résigne sa volonté en la main de Dieu.
CHAPITRE 107
Notre-Seigneur dit qu’il garde ses élus comme l’aigle ses petits. Il
conseille à sainte Brigitte de visiter le corps de saint André.
Le Fils de Dieu parle à
son épouse, disant : L’aigle voit d’en haut celui qui veut nuire à
ses petits, et le prévient par son vol très-prompt, les défendant :
de même je prévois tout ce qui vous est de plus salutaire. C’est
pourquoi je dis souvent : Attendez. Et derechef je dis : Allez. Mais
d’autant qu’il est maintenant temps, allez maintenant à la cité d’Amaphre
à mon apôtre André, le corps duquel a été mon temple très-orné de
toute sorte de vertus ; c’est pourquoi il a été là le dépositaire
des fidèles et le secours des pêcheurs, car ceux qui vont là d’une
âme fidèle, non-seulement seront déchargés des péchés, mais auront
la vie éternelle ; ni n’est pas de merveilles, car lui n’a pas eu
honte de ma croix, mais il la porta joyeusement ; et partant, je
n’ai pas honte d’ouïr et de recevoir ceux pour lesquels il prie, car
sa volonté est la mienne. Quand vous serez chez lui, tournez soudain
à Naples pour ma Nativité.
L’épouse dit : O
Seigneur, notre temps et notre âge se passe, les infirmités
s’approchent, et le soutien temporel se diminue.
Notre-Seigneur lui
dit : Je suis l’auteur de la nature, le Seigneur et le réformateur.
Je suis aussi aide dans les nécessités, protecteur et distributeur ;
car comme celui qui a un cheval qui lui est char n’épargne point son
pré, bien qu’il soit agréable, afin que là ce cheval paisse, de même
moi, qui ai toutes choses et ne manque de rien, qui regarde l’esprit
de tous, j’inspirerai aux cœurs de ceux qui m’aiment de faire du
bien à ceux qui m’aiment, car j’avertis même ceux qui ne m’aiment
point, afin qu’ils fassent du bien à mes amis et qu’ils deviennent
meilleurs par leurs prières.
CHAPITRE 108
D’une apparition faite à sainte Brigitte à Rome de saint Etienne,
etc.
Pour le jour de saint Etienne.
Sainte Brigitte,
épouse, priait au sépulcre de saint Etienne à Rome hors les murs,
disant : Béni soyez-vous, ô saint Etienne ! qui êtes du même mérite
que saint Laurent, car comme il prêchait aux infidèles, de même vous
prêchiez aux juifs ; et comme saint Laurent a souffert le feu avec
joie, de même cous avez enduré les pierres : C’est pourquoi vous
êtes loué le premier des martyrs.
Lors saint Etienne lui
apparut, disant : J’ai commencé dès ma jeunesse d’aimer Dieu
chèrement, car j’ai eu des parents soigneux du salut de mon âme. Or,
quand Notre-Seigneur Jésus-Christ fut incarné et qu’il commença de
prêcher, lors je l’écoutais de tout mon cœur, et soudain après son
ascension, je m’unis avec les apôtres, servant avec humilité en la
charge qui m’étais enjointe. Je prenais joyeusement occasion de
parler constamment avec les Juifs qui blasphémaient Jésus-Christ. Je
reprenais l’endurcissement de leur cœur, étant prêt à mourir pour la
vérité et à imiter mon Seigneur. Mais il y avait trois choses qui
coopéraient à ma couronne, dont je me réjouis maintenant : la
première fut ma bonne volonté ; la deuxième l’oraison des apôtres ;
la troisième la passion et l’amour de Dieu.
C’est pourquoi je
possède aussi trois sortes de biens : le premier est que je vois
incessamment la face et la gloire de Dieu ; la deuxième est que je
peux tout ce que je veux, et je ne veux sinon ce que Dieu veut ; le
troisième que ma joie sera sans fin, et d’autant que vous vous
réjouissez de ma gloire, mon oraison vous aidera pour avoir une plus
grande connaissance de Dieu, et l’Esprit de Dieu persévérera avec
vous. Vous irez en Jérusalem, lieu de ma passion.
CHAPITRE 109
Répréhension et avis
que la Sainte Vierge Marie donne à un spirituel.
La Mère de Dieu parle :
Là où est une très-bonne viande, si on y verse quelque amertume,
elle est soudain vile et méprisée : de même quelqu’un pourrait avoir
toutes les vertus ; s’il se plaît en quelque péché, il ne plaît
point à Dieu : partant, ô Brigitte, dites à ce mien ami que, s’il
désire plaire à mon Fils et à moi, il ne se confie point en sa
vertu ; qu’il contienne sa langue d’une grande quantité et vanité de
paroles provoquant le rire ; qu’il garde qu’en ses mœurs on ne
trouve point de légèreté, car il doit porter les fleurs à la bouche,
afin d’attirer les autres aux fruits.
Que si on trouve
quelque chose d’amer entre les fleurs, les fleurs sont méprisées et
on ne désire pas les fruits, quoique bons : partant, dites-lui que
comme l’homme et sa femme s’aiment quelquefois pour la seule
sustentation du corps, et que comme quelquefois on est dans le
monastère pour le seul bien du corps, de même cet homme que vous
connaissez désire être dans le monastère pour le bien corporel, afin
de ne souffrir rien de contraire ; il désire aussi d’être pauvre à
condition que rien en lui manque : partant, qu’il laisse donc sa
propre volonté, car Dieu aime plus qu’on vive au monde justement et
qu’on travaille de ses propres mains, que dans le désert ou religion
sans l’amour de Dieu.
CHAPITRE 110
Jésus-Christ dit à l’épouse ce que signifient les sept tonnerres.
Un docteur demanda une
fois à sainte Brigitte ce que signifiaient les sept tonnerres. Elle,
étant ravie en esprit, ouït de Jésus-Christ ce qui suit : Ne croyez
pas, ma fille, qu’il faille penser qu’en ma Divinité il y ait
quelque chose temporelle, ni qu’il y ait des tonnerres, des vents,
ou des créatures sensibles ayant une voix humaine.
Mais Jean vit par mon
inspiration les dangers futurs de l’Église sous des espèces
corporelles, lesquelles choses, s’il les eût écrites devoir venir en
un certain temps, les auditeurs les eussent eues en horreur, et les
attendant, ils se fussent séchés de crainte et d’effroi. Partant, il
lui fut commandé de marquer ce qu’il vit, mais non pas de l’écrire,
car là où quelque chose est marquée, c’est un signe qui porte de la
crainte et de l’effroi, comme nous voyons aux hurlements des
tonnerres, des foudres et des vents, car ils signifiaient les
menaces furieuses des tyrans qui troublaient mon Église, lesquelles
Jean voyait si véhémentes par esprit de prophéties qu’il fallait
plutôt les marquer que les déclarer par écrit ; car comme celui qui
écrit ou dit une petite parabole qui signifie beaucoup, afin que les
auditeurs aient sujet de craindre les choses futures, de même j’ai
montré les choses futures, mais je ne les ai point exposées, afin
que les hommes en eussent crainte ; et d’autant que le temps n’était
pas arrivé qu’on cassât la noix et qu’on en retirât le noyau, je les
ai voulu montrer fort obscurément, car on doit plutôt préparer le
vase qu’y verser la liqueur. Sachez aussi que de si grands tonnerres
et foudres viendront en mon Eglise que plusieurs de ceux qui vivent
maintenant le verront avec une si grande douleur qu’ils désireront
la mort, et elle s’enfuira d’eux.
CHAPITRE 111
L’obéissance est préférée à la chasteté, et elle introduit à la
gloire.
Le Fils de Dieu dit à
saint Brigitte : Que craignez-vous ? Bien que vous mangeassiez dix
fois le jour par le commandement de l’obéissance, certainement il ne
vous serait point imputé à péché, car la virginité mérite la
couronne, la viduité s’approche de Dieu, mais l’obéissance les
introduit tous en la gloire.
CHAPITRE 112
De
la peau qui fut ôtée à la circoncision à Notre-Seigneur, et du sang,
qui furent donnés en garde à saint Jean.
La sainte Mère de Dieu
dit : Lorsque mon Fils fut circoncis, je gardai la membrane avec un
grand honneur partout où l’allais, car comment eussé-je pu la
remettre en la terre, ayant été engendrée de moi sans péché ? Quand
le temps de mon départ du monde s’approchait, je la donnai en garde
à saint Jean, mon gardien, avec le sang précieux qui était demeuré
dans les plaies quand nous l’eûmes descendu de la croix. Après cela,
saint Jean et ses successeurs étant morts, la malice et la perfidie
des infidèles croissant, les fidèles qui restaient lors la cachèrent
en un lieu très-pur sous terre, où elle fut longtemps inconnue,
jusqu’à ce que l’ange de Dieu la révélât à ses amis.
O Rome ! ô Rome ! si
vous saviez, vous vous réjouiriez ! Certainement si vous saviez,
vous pleureriez même incessamment, d’autant que vous avez un trésor
qui m’est très cher, et vous ne l’honorez pas!
CHAPITRE 113
De
l’état des frères d’Alvastre.
Sainte Brigitte, étant
ravie en prière, vit en esprit une grande maison, et sur la maison
le ciel grandement serein ; et le regardant, elle l’admirait. Elle
vit aussi deux colombes qui montaient et pénétraient dans le ciel,
lesquelles quelques Éthiopiens tachaient d’empêcher, mais ils ne
pouvaient pas. Au-dessus de la maison, on voyait un cahos dans
lequel il y avait trois ordres de frères : les premiers étaient
simples comme des colombes, c’est pourquoi aussi ils montaient fort
facilement ; les deuxièmes venaient en purgatoire ; les troisièmes
sont ceux qui avaient un pied dans la mer, et l’autre dans un
navire, le jugement desquels s’approche maintenant ; et afin que
vous sachiez et que vous éprouviez que l’un passera après l’autre,
selon que je vous en exprime les noms, ce qui arriva, car la
mortalité en ravagea trente-trois.
CHAPITRE 114
Du
péché véniel, qui est fait mortel par le mépris.
Un jour sainte Brigitte
se confessant, son confesseur fut appelé par quelque prêtre, et y
allant, il oublia de donner l’absolution à sainte Brigitte. Elle, se
voulant aller coucher et s’agenouillant, le Saint-Esprit lui dit :
Humiliez-vous, ma fille pour recevoir l’absolution, le Saint-Esprit
lui dit : Ceux qui ne prennent garde aux choses petites tombent dans
les grandes, car même le péché véniel dont la conscience remord, si
on le continue avec mépris, sera mortel et sera rudement puni.
CHAPITRE 115
La
bonne volonté suffit au pénitent, quand il ne peut trouver un
confesseur.
Un certain homme était
venu d’un diocèse à Rome ; ignorant l’idiome et la langue, ne
trouvant à Rome pas un qui l’entendit et ne pouvant avoir de
confesseur, il se conseilla avec sainte Brigitte afin de savoir ce
qu’il ferait. Lors Jésus-Christ lui dit : Cet homme qui vous a
consultée pleure d’autant qu’il n’a personne qui l’oie en
confession. Dites-lui que la volonté lui suffit, car qu’est-ce qui
profita au larron en la croix ? ne fut-ce pas la bonne volonté et
les affections déréglées.
Lucifer n’a-t-il pas
été bien créé ?
ou moi, qui suis la
bonté et la vertu même, aurais-je créé quelque mal ? non certes,
aucun. Mais après que Lucifer eut abusé de sa volonté et la porta au
dérèglement, il a été lui-même déréglé et mauvais par sa mauvaise
volonté. Partant, que le pauvre homme demeure stable et qu’il ne se
retire point de ses bonnes résolutions ; quand il sera en son pays,
qu’il cherche et qu’il oie ce qui est salutaire à son âme ; qu’il
soumette sa volonté et qu’il obéisse plutôt au conseil des sages et
des justes qu’à sa volonté, ou autrement, s’il meurt par le chemin,
il en sera comme du bon larron : Vous serez ce jourd’hui en paradis.
CHAPITRE 116
Combien la simplicité est agréable à Dieu.
Un certain homme ne
savait pas à grand-peine le Pater noster ; il demanda un conseil
pour son âme à sainte Brigitte, à laquelle Notre-Seigneur dit : Plus
me plait la simplicité de ce pauvre homme simple que la prudence des
superbes, d’autant que leur superbe les éloigne de Dieu, et en
celui-ci, l’humilité introduit Dieu dans son cœur, partant,
dites-lui qu’il continue comme il a fait, et il aura la récompense
avec ceux dont j’ai dit : Venez, vous qui avez travaillé, et je vous
soulagerai avec le pain éternel ; car si je lui dis comme j’ai dit à
Judas quand il me demandait conseil trompeusement : Gardez les
commandements et vendez ce que vous avez ; il ne pourra le souffrit,
d’autant que la vieillesse fuit la reforme et que la pauvreté n’a
rien à vendre.
Néanmoins, les
commandements de Dieu sont nécessaires à ceux qui tendent à la vie
éternelle, car sans eux l’homme ne peut être sauvé, s’il peut en
être instruit. Mais quant à cet homme, sa docte folie et sa bonne
volonté me plaisent en telle sorte comme les deux deniers de la
veuve que j’ai préférés aux présents des rois, car en sa folie, il a
toute la sagesse, car il m’aime de tout son cœur. Mais d’où vient
cet amour, sinon de mon Esprit? et ceci semble folie aux sages du
monde de n’aimer les richesses et de ne savoir parler des grandes
choses ; Partant, je l’appelle docte folie, d’autant qu’il puise de
moi la sagesse, qui consiste à aimer Dieu.
Ne vous semble-t-il pas
sage, celui qui ne sait qu’une parole : aimer ? Par cette délection,
il garde tous les commandements de la loi de Moise ; par icelle, il
donne à Dieu ce qu’il lui faut donner ; par icelle, il garde tous
les conseils ; par icelle, il garde tout le droit et les lois ; par
icelle, il aime son prochain, ne désirant point le bien d’autrui, ne
trompant point son prochain ; par icelle, il se souvient
incessamment de la mort et du jugement, dont je le dois juger : et
partant, celui qui veut venir à moi ne se doit inquiéter de
l’ignorance de la loi, pourvu qu’il veuille se servir de sa
conscience, qui dit qu’il veut pâtir ce qu’elle voudrait faire à
autrui.
Car pourquoi l’homme
feuillette-t-il tant et tant de livres ? n’est-ce pas pour me
servir ? n’est-ce pas plus pour sa curiosité, ostentation et pour
être appelé docte ? Véritablement, chacun sait en sa conscience et
chacun est jugé par icelle. Partant, ma fille, celui qui dit d’une
foi parfaite et d’une bonne volonté ces paroles : Jésus, ayez
miséricorde de moi, me plaît plus que celui qui dire cent versets
sans attention.
CHAPITRE 117
Du
grand bien qu’il y a d’invoquer la Sainte Vierge Marie.
Pour les Bénédictions.
La Sainte Vierge Marie
dit : Il n’y a pas si grand pécheur plongé en des crimes si sales,
qui, s’il m’invoque, ne soit par moi secouru. Car qu’y a-t-il de
plus vil que de soigner une tête galeuse ? Si quelqu’un m’invoque,
je le guérirai. Qu’y a-t-il de plus sordide que l’instrument avec
lequel on nettoie les ordures ? Néanmoins, si celui-là qui est aussi
souillé m’invoque, je le nettoierai. Qu’y a-t-il de plus vil que de
laver les pieds à un lépreux ? et néanmoins je laverai ce
lépreux-là.
L’épouse répondit : O
très sainte Dame, je sais que vous êtes très humble, très puissante
et très bénigne. Aidez cette âme pour laquelle je vous ai priée si
souvent.
La Mère répondit :
Cette âme a eu trois choses en sa vie : 1. elle a voulu avoir le
monde, mais le monde ne l’a pas voulue ; 2. elle a aimé la chair par
l’incontinence, d’autant qu’elle n’a pas voulu se marier ; 3. elle a
aimé Dieu moins qu’elle ne devait, bien qu’elle fut constante en la
foi ; elle est maintenant affranchie de ces choses-là, et elle
participe à la table de ma piété. Quelques choses encore lui
restent, desquelles étant purifiée, elle sera délivrée des peines.
CHAPITRE 118
Jésus-Christ conseille à sainte Catherine, fille de sainte Brigitte,
de ne s’en retourner point au pays, car son mari mourra bientôt.
Le Fils de Dieu parle à
sainte Brigitte : Consultez cette dame, et priez-la de demeurer
quelque temps avec vous, car il vous est plus utile de vous en
retourner, car je lui ferai comme le père fait à sa fille, qui est
aimée de deux et est demandée en mariage, l’un desquels est pauvre
et l’autre riche, et tous deux sont aimés de la fille. Le père donc,
qui est sage et prudent, voit l’affection de la fille se porter vers
celui qui est pauvre ; il donne au pauvre des vêtements et des dons,
et donne au riche sa fille : j’en veux faire de même. Celle-là
m’aime et aime son mari ; partant, puisque je suis plus riche et le
Seigneur de toutes choses, je le veux combler de mes dons, qui lui
seront utiles pour son âme.
Il me plaît de
l’appeler bientôt, et la maladie dont il est atteint est un signe de
son décès, car il est très décent que celui qui tend à un très
puissant soit connu en ses raisons, et qu’il soit dépêtré des choses
charnelles. Je la
veux conduire et réduire en son pays jusques à ce qu’elle soit
propre à l’œuvre à laquelle je l’ai appelée de toute éternité et que
je veux manifester.
Un peu de temps s’étant
écoulé après que sainte Catherine eut fait vœu de demeurer à Rome
avec sa mère, étant ébranlé de l’horreur d’une vie inaccoutumée et
étant mémorative de la liberté passée, étant en anxiété, demanda à
sa mère qu’elle put retourner en Suède. Sa mère priant pour cette
tentation, Notre-Seigneur lui dit : Dites à cette fille vierge
qu’elle est veuve, et que je lui conseille de demeurer avec vous,
car ma providence en doit avoir le soin.
CHAPITRE 119
Des
trois états de mariage, viduité et virginité.
Jésus-Christ parle :
L’état commun et louable m’a été agréable, car Moise, conducteur de
mon peuple, m’agréa, bien qu’il fût marié. Saint Pierre a été appelé
à l’apostolat pendant le vivant de sa femme, et en cela il me plut,
car il faut monter aux choses parfaites des moins parfaites, et il
fallait que le peuple charnel fût instruit par des choses sensibles,
signes et œuvres, afin qu’il comprît les choses spirituelles.
De même Judith, à
raison de sa viduité et pour le bien de la viduité, trouva grâce en
ma présence, et elle fut digne, à raison de la continence, de
délivrer son peuple. Mais Jean, à la garde duquel je commis ma mère,
ne m’a point déplu pour avoir été vierge, voire il me plut
grandement, car la vie très parfaite en la chair est de ne vivre
point charnellement et d’être semblable aux anges, c’est pourquoi il
mérita d’être gardien de la chasteté et de lui montrer des signes
signalés de charité. J’en dis de même maintenant : la viduité de
cette dame me plaît plus que son mariage, d’autant qu’une veuve
humble m’est plus agréable qu’une vierge superbe ; et plus mérita
Magdelène en son humilité et ses larmes que si elle eût demeuré en
ses propres volontés.
CHAPITRE 120
La
charité est comparée à un arbre entre les vertus ; l’obéissance
tient le premier rang entre les morales.
Jésus-Christ, Fils de
l’Éternel, parle : Comme sur un arbre à plusieurs rameaux, ceux qui
sont plus hauts participent plus aux ardeurs du soleil et des vents,
de même en est-il des vertus. La charité est comme un arbre ; d’elle
procèdent toutes les vertus, entre lesquelles l’obéissance tient le
premier rang, pour l’amour de laquelle je n’ai pas hésité de subir
la mort et la croix : c’est pourquoi l’obéissance m’est
très-agréable comme le fruit qui m’est très doux, car comme la paix
est très paisible, de même cet homme m’est très bon ami, qui se
soumet aux autres par humilité, et met et consigne ses vouloirs aux
vouloirs des autres. Partant, il me plaît que cette dame
obéisse, renonçant à sa volonté pour sa plus grande couronne et pour
avoir un plus grand amour. Abraham, renonçant à sa volonté, a été
plus aimable, et Ruth a été plus chère à Dieu en son peuple,
d’autant qu’elle n’obéit pas à sa propre volonté.
Notre-Seigneur parla
derechef : Cette dame ne mourra point, comme le médecin dit, mais
elle vivra un temps convenable, car je la veux nourrir sous la
protection de ma main droite, et je lui donnerais la sapience, afin
qu’elle me donne des fruits amoureux et qu’elle vive pour mon
honneur.
CHAPITRE 121
De
l’excellence de l’obéissance, etc.
Notre-Seigneur
Jésus-Christ dit : L’obéissance est une vertu par laquelle les
choses imparfaites sont parfaites, et toutes les négligences sont
éteintes ; car moi, Dieu, la perfection même, j’ai obéi à mon Père
jusques à la mort de la croix, afin de montrer par mon exemple
combien il est agréable à Dieu de renoncer à ses propres volontés.
Mais plusieurs, ne
considérant point l’excellence de l’obéissance ni n’ayant un zèle
discret, suivent la conception de leur esprit, et ainsi, en peu de
temps, ils affligent indiscrètement leur chair et sont après
longtemps inutiles à eux-mêmes et aux autres, de quoi ils plaisent
moins à Dieu et sont à charge aux autres ; et ceux-là considérant
après leurs défauts et voulant rétracter les choses passées, soudain
la confusion les saisit de laisser ce qu’ils avaient commencé, et
adhurtés à leur vanité, ils n’osent reprendre la première vie.
De telle condition est
cet homme que vous voyez, qui ne considère point les conseils des
hommes éprouvés ni ne pense aux paroles que j’en ai dites : Je ne
veux point la mort de la chair, mais du péché : partant, il faut
craindre qu’il ne tombe en de plus grandes tribulations, voire en
défaut d’esprit.
Néanmoins, s’il obéit
aux sages, et s’il soumet et démet son esprit de ses propres
pensées, la couronne lui sera redoublée, et la dévotion s’augmentera
en lui ; autrement, il lui sera fait comme il est écrit : L’homme
est venu et a surmené la zizanie, et les épines naissantes ont
suffoqué la bonne semence.
CHAPITRE 122
Le
Fils de Dieu montre par son exemple la modestie à l’oraison, etc.
Jésus-Christ parle :
Moi, étant en l’humanité, j’ai tellement tempéré mes oraisons, mes
labeurs et mes jeûnes, que ceux qui me voyaient n’en étaient
scandalisés ni les absents n’en étaient point offensés, mais tous
ceux qui voulaient, pouvaient imiter mes paroles, mes œuvres et
suivre mes exemples.
Or, cette dame que vous
voyez a des gestes admirables ; elle n’est pas sans un grand remords
de conscience : c’est pourquoi le conseil veut qu’elle modère avec
plus de tempérance ses façons de faire, et qu’elle fasse ce qu’elle
fait plus en cachette qu’en public, autrement son labeur sera vain
et son oraison lui réussira moins à sa couronne.
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