LA VOIE MYSTIQUE

adveniat regnum tuum

RÉVÉLATIONS CÉLESTES

Livre VI

— Chapitres 38 à 66 —

CHAPITRE 38

Notre-Seigneur Jésus-Christ dit à son épouse qu’il y a deux esprits, l’un bon et l’autre mauvais. Or, les signes du Saint-Esprit sont la douceur de l’esprit et la gloire ; et les signes du mauvais esprit sont l’anxiété et l’inquiétude de l’esprit procédant de la cupidité ou de la colère.

Le Fils de Dieu parle à son épouse, disant : Le bon esprit est au cœur de l’homme. Or, quel est ce bon esprit, sinon Dieu ? qu’est Dieu sinon la gloire et la douceur des saints ? Dieu est en eux, ils sont en lui ; et lors ils ont tout le bien quand ils ont Dieu, sans lequel rien n’est bon. Partant, celui qui a l’Esprit de Dieu a Dieu, et toute la milice céleste et tout bien ; Semblablement, quiconque a le mauvais esprit en soi, a tout le mal en soi. Or, quel est cet esprit mauvais, sinon le diable ?

Or, le diable n’est que peine et tout mal. Celui donc qui a le diable a en soi la peine et tout le mal. Or, comme l’homme de bien ne ressent point d’où ou comment est versées en soi la douceur du Saint-Esprit, ni ne la peut goûter parfaitement, bien qu’en partie, de même l’homme mauvais, quand il est angoissé par les cupidités, quand il soupire après les ambitions, quand il est blessé de colère, ou corrompu par la luxure ou d’autres vices, a une peine du diable et un indice de l’éternelle inquiétude, bien qu’en cette vie, on ne puisse la comprendre comme elle est. Malheur à ceux qui adhèrent à cet esprit !

L’épouse voyait que le démon présentait au jugement divin sept livres contre l’âme d’un soldat décédé ; mais le bon ange présenta pour lui un livre où l’âme n’était point damnée éternellement, d’autant que, le diable l’ignorant, elle s’était repentie intimement à la fin de ses jours. Elle est néanmoins condamnée, dans le purgatoire, à sept peines, à raison de ses péchés, jusques au jour du jugement, car elle avait autant désiré de vivre. Mais Jésus-Christ révèle trois remèdes par lesquels elle pourrait être affranchie plus tôt ; et de fait, soudain trois peines lui ont été remises par les prières de la Sainte Vierge et des saints. La supplication du bon ange ne fut pas soudain exaucée, mais différant à quelque temps, Jésus-Christ la met en délibération.

CHAPITRE 39

Un démon apparut au jugement divin, qui tenait une âme d’un décédé toute tremblante comme un cœur pantelant. Ce démon dit alors au Juge : Voici de la proie. Ton ange et moi avons suivi cette âme depuis sa naissance jusques à la fin de ses jours, mais lui pour la conserver, et moi pour la ruiner. Tous deux nous la guettions comme des chasseurs ; mais néanmoins, elle est à la fin tombée en mes mains, et pour gagner à moi, je me suis comporté avec toute sorte d’impétuosité, comme un torrent quand la brèche est faite, à qui rien ne résiste, sinon quelque digue, c’est-à-dire, votre justice, laquelle n’est pas encore éprouvée contre cette âme ; c’est pourquoi je ne la possède pas encore assurément. Je la désire aussi avec autant d’ardeur qu’un animal affamé, voire si enragé de faim qu’il mande ses membres. Donc, d’autant que vous êtes juste Juge, pourquoi est-elle plutôt tombée en mes mains qu’en celles de son ange ?

Le Juge répondit : d’autant que ses péchés sont en plus grand nombre que ses bonnes œuvres. Puis le Juge demanda : Montrez lesquelles.

Le démon répondit : J’ai un livre tout plein de ses péchés.

Le Juge lui dit : Quel est le nom de ce livre ?

Le démon répondit : Son nom est Désobéissance. En ce livre sont sept livres, et chacun a trois colonnes, et chaque colonne a plus de mille paroles, mais non moins de mille ; quelques-uns en ont plus.

Le Juge répondit : Dites les noms de ces livres, car bien que je sache toutes choses, néanmoins, dites-les, afin que votre volonté et ma bonté soient connues.

Le démon répondit : Le nom du premier livre est la Superbe, et en icelui sont trois colonnes : la première est la superbe spirituelle en sa conscience, d’autant qu’il s’enorgueillissait de la bonne vie, qu’il croyait avoir meilleure que les autres ; il s’enorgueillissait encore de son esprit et de sa conscience, qu’il estimait plus sages que les autres La deuxième colonne était d’autant qu’il s’enorgueillissait des biens qui lui avaient été donnés, des vêtements et des autres choses. La troisième était d’autant qu’il s’enorgueillissait de la beauté de ses membres, de sa noble race et de ses œuvres. Et en ces trois colonnes, il y avait des paroles infinies comme vous connaissez mieux.

Le deuxième livre était la Cupidité. Ce livre avait trois colonnes : la première était spirituelle, d’autant qu’il a cru que ses péchés n’étaient pas si grands qu’on le disait, et indignement a-t-il désiré le royaume céleste, qui ne se donne qu’aux purs. La deuxième, d’autant qu’il a plus désiré d’être au monde qu’il n’était nécessaire, et que sa volonté ne tendait qu’à rendre recommandables son nom et sa race, afin de nourrir ses héritiers, non à l’honneur de Dieu, mais à l’honneur du monde.

La troisième fut qu’il désirait l’honneur du monde et d’exceller par-dessus les autres, et en ces choses, comme vous connaissez, il y a des paroles innombrables par lesquelles il recherchait les faveurs et bienveillances, par lesquelles il acquérait des biens temporels.

Le troisième livre est l’Envie. Celui-ci a trois colonnes : La première fut en l’esprit ; il enviait ceux qui excellaient sur lui et avaient plus que lui. La deuxième, d’autant qu’il a reçu par envie les biens de ceux qui en avaient plus besoin que lui. La troisième, que, par envie, il a nui secrètement au prochain par ses conseils, tant par lui que par les siens, et aussi publiquement, tant par paroles que par faits, tant par soi que par les siens, et a aussi incité les autres à des choses semblables.

Le quatrième livre est l’Avarice, dans lequel il y avait trois colonnes : La première était l’avarice dans son esprit, car il ne voulut jamais enseigner ce qu’il savait, dont les autres eussent pu prendre quelque consolation ou profit, pensant à ce qui suit : Quel profit m’en reviendra-t-il, si je donne tel ou tel conseil ? Quelle récompense en aurai-je, si je lui profite, en lui donnant conseil ? Et ainsi, celui qui lui demandait conseil, s’en retournait grandement affligé, pouvant être instruit de lui et ne l’étant point, le pouvant édifier et ne le faisant point.

La deuxième colonne est que, pouvant purifier ceux qui étaient en dissension, il ne le voulait point faire, et pouvant consoler ceux qui étaient en trouble, il n’en voulait rien faire. La troisième colonne était l’avarice en ses biens, d’autant que, s’il lui fallait donner un denier pour Dieu, il s’en affligeait grandement, et il en eût donné cent pour l’honneur du monde. Or, en ces colonnes sont des paroles infinies, comme vous le savez très-bien. Vous savez toutes choses, et rien ne vous peut être cache ; mais vous me contraignez de parler par votre puissance, afin que les autres profitent.

Le cinquième livre est la Paresse ; il a aussi trois colonnes : La première : il était fainéant aux bonnes œuvres pour votre honneur et pour accomplir vos préceptes, car pour avoir repos ne son corps, il a perdu son temps. L’utilité et la volupté de son corps lui étaient très-chères. La deuxième colonne : il était oisif en ses pensées, car quand vous lui inspirez quelque pensée, la contrition ou quelque connaissance spirituelle, elles lui semblaient trop longues, et il en retirait son esprit, et le portait aux joies du monde, qui lui plaisaient beaucoup. La troisième : il était lâche à parler, à prier pour son utilité et celle d’autrui, et surtout pour votre honneur, et fervent à dire des paroles de gausserie et cajolerie. Or, combien grand en est le nombre et la quantité, vous seul le connaissez.

Le sixième livre était la Colère ; il avait trois colonnes : La première : d’autant qu’il se colérait contre son prochain des choses qui ne lui étaient point utiles. La deuxième : d’autant qu’il a laissé le prochain par sa colère en ses œuvres, d’autres fois en aliénant le sien. La troisième : d’autant que, par sa colère, il troublait son prochain.

Le septième livre était la Volupté ; il avait aussi trois colonnes : La première : d’autant qu’il était impudique dans ses paroles et dans ses actes.

La deuxième : il était trop pétulant en ses paroles impures. La troisième était qu’il nourrissait trop délicatement son corps, se préparant des superfluités de mets délicats pour contenter sa sensualité et pour être estimé grand. En cette colonne, il y a plus de mille paroles. Il demeurait à table plus longtemps qu’il ne devait, ne considérant pas le temps qu’il y restait, non pour cajoler ni pour recevoir plus que la nature ne requérait mais bien pour prier ou travailler.

Voici, ô Juge, que mon livre est rempli. Adjugez-moi donc cette âme.

Or, le Juge ne disant mot, la Mère de miséricorde, qui semblait être fort loin, s’approchant, dit : Mon fils, je veux disputer de la justice contre ce diable.

Le Fils répondit : Ma chère Mère, si la justice n’est pas déniée au diable, pourquoi vous serait-elle déniée, à vous qui êtes ma Mère et la Reine des anges ? Vous pouvez aussi et savez toutes choses en moi, mais vous parlerez, afin que les autres connaissent combien je vous aime.

Lors la Mère parlait au diable, disant : Je te commande de répondre à trois choses que je te demande ; et bien que tu le fasses à regret, tu y es obligé par la justice, d’autant que je suis ta maîtresse. Dis-moi, ne sais-tu pas toutes les pensées des hommes ?

Le diable dit : Non, sinon celles-là qui se manifestent par l’œuvre extérieure, et ce que j’en puis conjecturer de sa disposition, celles que je suggère dans le cœur, car bien que j’aie perdu ma dignité, néanmoins, par la subtilité de ma nature, il m’est demeuré tant de sagesse que par la disposition de l’homme, j’entre dans l’état de l’esprit, mais je ne puis pas connaître les bonnes pensées des hommes.

La Sainte Vierge lui dit encore : dis-le-moi, ô diable, bien que contraint : qu’est-ce qui peut effacer les écrits de ton livre ?

Le diable répondit : Une seule chose, qui est la charité, car quiconque l’obtient dans son cœur, soudain l’écriture de mon livre est effacée.

La Sainte Vierge lui dit pour la troisième fois : Dis-moi, ô diable ! quelqu’un peut-il être si méchant et si corrompu qu’il ne puisse venir à résipiscence pendant qu’il vit ?

Le diable répondit : Il n’y en a pas un qui, s’il veut, ne le puisse avec la grâce, car quand quelque pécheur que ce soit change sa mauvaise volonté en une bonne, est atteint des feux de la charité divine et veut demeurer ferme en icelle, tous les démons ne sauraient le retenir.

Ces choses étant ouïes, la Mère de miséricorde dit à ceux qui étaient à l’entour d’elle : Cette âme, à la fin de sa vie, s’est convertie à moi et m’a dit : Vous êtes Mère de miséricorde et faites miséricorde aux misérables. Je suis indigne de prier votre Fils, d’autant que mes péchés sont trop grands et ne trop grande quantité ; j’ai trop provoqué sa colère, aimant plus mes voluptés et le monde que Dieu, mon Créateur : partant, je vous supplie d’avoir miséricorde de moi, car vous ne la refusez à pas un qui vous la demande ; et partant, je me convertis à vous, et je vous promets que, si je vis, je veux m’amender, convertir ma volonté à votre Fils, et n’aimer autre chose que lui. Mais je suis surtout marri de n’avoir rien fait pour l’amour de votre Fils, mon Créateur : partant, je vous prie, ô très-clémente Dame, d’avoir compassion de moi, car je n’ai mon refuge qu’en vous. Par telles pensées et paroles, cette âme vint à moi à la fin de ses jours ; et ne la devais-je pas exaucer ? car qui est celui-là qui, priant un autre de tout son cœur et avec résolution de s’amender, ne mérite d’être exaucé ? Combien plus dois-je ouïr ceux qui crient à moi, qui suis Mère de miséricorde !

Le diable répondit : Je n’ai rien su d’une telle volonté ; mais si cela est comme vous dites, prouvez-le par des raisons évidentes.

La Mère répondit : Tu es indigne que je te parle. Néanmoins, parce que cela peut servir au prochain, je te répondrai : O misérable, tu as dit ci-dessus qu’en ton livre rien ne peut être effacé que par la divine charité. Et lors la Sainte Vierge, s’étant tournée à lui, dit au Juge : O mon Fils, que le diable ouvre donc maintenant son livre, qu’il le lise, et qu’il voie si toutes choses sont là entièrement écrites, ou s’il y a quelque chose d’effacé.

Lors le Juge dit au diable : Où est ton livre ?

Et le diable dit : En mon ventre et ma mémoire, dit le diable, car comme dans le ventre sont toutes immondices et toute puanteur, de même en ma mémoire sont toute malice et toute méchanceté, qui sont puantes devant moi comme une corruption ; car quand je me suis retiré de vous et de votre lumière par la superbe, lors j’ai trouvé en moi toute sorte de malice, et ma mémoire a été obscurcie ès biens divins, et en cette mienne mémoire est écrite toute l’iniquité des pécheurs.

Lors le Juge dit au diable : Je te commande de voir diligemment ce qui écrit dans ton livre, ce qui est effacé des péchés de cette âme, et de le dire publiquement.

Le diable répondit : Je vois dans mon livre être écrit des choses que je n’ai jamais pensées, car je vois que ces sept choses sont effacées, et il ne demeure rien de plus en mon livre que moquerie.

Après, le Juge dit au bon ange qui était là présent :Où sont les bonnes œuvres de cette âme ?

Elles sont en votre présence, dit le bon ange. Tout vous est connu. Nous voyons toutes choses en vous, de sorte qu’il ne nous est pas nécessaire d’en parler. Mais d’autant que vous voulez montrer votre charité, c’est pourquoi vous marquez votre volonté à ceux qu’il vous plaît, pourquoi, depuis que cette âme fut jointe à son corps, j’ai été toujours avec elle. J’ai écrit aussi un livre de ses biens : si vous voulez ouïr ce livre, il est en votre puissance.

Le Juge répondit : Je ne puis juger sans les avoir ouï d’avance ; et ayant connu les biens et les maux, lesquels étant bien considérés, la justice demande alors qu’il soit jugé ou à la mort ou à la vie.

L’ange répondit :

Mon livre est son obéissance par laquelle il vous a obéi, et en icelle, il y a sept colonnes : La première est le baptême.

La deuxième est l’abstinence, au jeûne, des œuvres illicites, péchés, et aussi des voluptés et des tentations de la chair.

La troisième est l’oraison et le bon propos qu’il a eu.

La quatrième est les bonnes œuvres en aumônes et autres œuvres de miséricorde.

La cinquième est l’espérance qu’il avait en vous.

La sixième est la foi qu’il a eue comme chrétien.

La septième est la divine charité.

Ces choses étant dites, le Juge lui dit encore : Où est votre livre ?

En votre vision et amour, ô mon Seigneur ! dit l’ange.

Alors la Sainte Vierge, détrônant le diable : Comment, dit-elle, avez-vous gardé votre livre ? Comment s’est effacé ce qui y était écrit ?

Lors le diable dit : Malheur ! Malheur ! vous m’avez déçu !

Après, le Juge dit à sa très-bénigne Mère : Vous avez avec raison, obtenu en ce fait absolution et avez avec justice gagné cette âme.

Le diable cria après : J’ai perdu ! je suis vaincu ! Mais dites-moi, ô Juge, combien de temps tiendrai-je cette âme pour les moqueries et cajoleries qu’elle a faites.

Le Juge lui dit : Je te le montrerai. Les livres sont ouverts et lus. Mais dis-moi, ô diable ! bien que je sache toutes choses, si cette âme doit entrer au ciel selon la justice, ou non. Je te permets de voir et savoir maintenant la vérité de la justice.

Le diable dit : La justice est en toi. Que si quelqu’un décède sans péché mortel, qu’il n’entre point en enfer, et quiconque a la divine charité de justice, doit avoir le ciel. Cette âme donc, n’étant point morte en péché mortel et ayant eu la divine charité, est prête à entrer dans le ciel, après qu’elle aura été purifiée.

Le Juge répondit : Puisque donc je te permets de dire la vérité de ma justice, dis, ceux-ci l’oyant, qu’est-ce qui me plaît et quelle doit être la justice de cette âme.

Le diable répondit : Qu’elle soit purifiée en telle sorte qu’il n’y reste aucune tâche, car bien qu’elle soit à vous, pourtant elle ne peut arriver à vous avant qu’elle ne soit purifiée. Et d’autant que vous, ô Juge, m’avez demandé, je vous demande maintenant, comment elle doit être purifiée et combien de temps elle sera en mes mains.

Le Juge répondit : Je te demande que tu n’entres point en elle et que tu ne l’absorbe pas en toi, mais tu la dois purifier jusqu’à ce qu’elle soit pure, et qu’elle ait enduré la peine selon la grandeur de la faute, car elle a péché en trois manières : trois en la vue, trois en l’ouïe, trois en l’attouchement, et partant, elle doit être punie triplement en la vue : 1. Elle doit voir ses péchés et ses abominations ; 2. elle te doit voir en ta malice ; 3. elle doit voir les peines terribles des autres âmes ; et que semblablement elle soit affligée en l’ouïe en trois manières :

1. Elle doit ouïr les malheurs horribles, d’autant qu’elle a voulu ouïr les louanges propres et les délectations du monde ; 2. elle doit ouïr les cris épouvantables et les moqueries des démons, 3. les opprobres et les misères effroyables, d’autant qu’elle a écouté avec plaisir plus les amours, les frayeurs du monde que celles de Dieu.

Elle est aussi affligée en trois manières en l’attouchement : 1. elle sera brûlée d’un feu très-ardent, tant au-dedans qu’au dehors, de sorte qu’il n’y aura pas la moindre tâche qui ne soit purifiée dans le feu ; 2. elle pâtira une grande rigueur de froid, d’autant qu’elle brûlait en ses cupidités et était glacée en ma charité ; 3. elle sera aux mains du diable, afin qu’il n’y ait pas la moindre pensée qui ne soit purifiée, jusqu’à ce qu’elle soit comme l’or passé par la coupelle à la volonté du possesseur.

Lors le diable demanda derechef combien de temps cette âme serait en cette peine.

Le Juge répondit : Tout autant de temps que sa volonté était de vivre au monde ; et d’autant qu’elle aurait voulu vivre en son corps jusques à la fin du monde, elle est obligée d’endurer cette peine jusques à la fin du monde, car telle est ma justice que quiconque a ma charité et me désire ardemment, souhaitant d’être avec moi et d’être séparé du monde, celui-là mérite d’avoir le ciel sans peine, d’autant que l’exercice de cette vie présente est sa purification. Or, celui qui craint la mort pour la peine de la mort et pour la peine qui suit la mort, et voudrait à raison de cela vivre plus longtemps afin de s’amender, celui-là aurait une peine plus légère dans le purgatoire ; mais celui qui a volonté de vivre jusques au jour du jugement, bien qu’il ne péchât mortellement, mais seulement pour l’amour qu’il a à cette vie, celui-là doit souffrir les peines du purgatoire jusques au jour du jugement.

Lors la Sainte Vierge Marie, pleine de miséricorde, dit : Béni soyez-vous, ô mon Fils, pour votre justice, qui est en toute miséricorde ! car bien que nous voyions et sachions toutes choses en vous, néanmoins, pour l’instruction des autres, dites-nous quel remède on peut appliquer pour diminuer un si long temps de peine, et quel pour éteindre un feu si ardent, et comment aussi cette âme peut être affranchie des mains des diables.

Le Fils répondit : Rien ne peut vous être refusé, car vous êtes la Mère de miséricorde, et vous cherchez et procurez la consolation à tous. Il y a trois choses qui diminuent un si long temps de peine, qui éteignent ce feu et délivrent des mains des démons : la première, si on rend par quelque peine ce qu’il a pris injustement ou devait rendre aux autres justement, car ma justice veut que cette âme soit purifiée, ou par les prières des saints, ou par aumônes, bonnes œuvres des amis, ou par quelque purification digne pour cela. La deuxième est par des aumônes très-grandes, car par elles, le péché est éteint comme le feu par l’eau. La troisième est par les messes et sacrifices, et par les prières des amis. Ce sont ces trois choses qui la délivreront de ces trois peines.

La Mère de miséricorde répondit derechef : Qu’est-ce que lui profitent maintenant les bonnes œuvres qu’il a faites pour vous ?

Le Fils répondit : Vous ne le demandez pas parce que vous l’ignorez, puisque vous savez toutes choses et les voyez en moi, mais vous le demandez afin que mon amour soit manifesté aux autres. Certainement, il n’y aura pas la moindre parole ni la moindre pensée pour mon honneur, qu’elles n’aient leur récompense, car toutes les choses qu’il a faites pour l’amour de moi, sont maintenant devant lui, et en sa peine, elles lui servent de soulagement, et moindres sont les rigueurs du feu qu’elles ne seraient. Après, la Sainte Vierge dit à son Fils : Pourquoi est-ce que cette âme demeure immobile, ne bougeant ni remuant contre ses ennemis, bien qu’elle soit vivante ?

Le Juge répondit : Le prophète a écrit de moi que je fus comme un agneau muet devant le tondeur : véritablement, je garde silence devant mes ennemis, et ma justice veut que, comme cette âme se soucia peu de ma mort, elle soit maintenant comme un enfant qui ne sait crier contre ses ennemis.

La Mère répondit : Béni soyez-vous, ô mon doux Fils, qui ne faites rien sans justice ! Vous avez déjà dit que vos amis pourraient secourir cette âme, et vous savez que cette âme m’a servie en trois manières : 1- par abstinence, jeûnant les vigiles de mes fêtes, et, et le faisant pour mon nom ; 2- elle disait mes heures ; 3- elle chantait de sa propre bouche pour mon honneur. O mon Fils ! puisque vous exaucez ceux qui vous prient en la terre, daignez exaucez aussi ma prière.

Le Fils répondit : Plus quelqu’un est ami de quelque seigneur, plus ses prières sont exaucées et le plus tôt ; et d’autant que vous m’êtes la plus chère par-dessus tous, demandez ce que vous voudrez, et il vous sera donné.

La Mère répondit : Cette âme souffre trois sortes de peines en la vue, trois en l’ouïe et trois en l’attouchement : je vous supplie donc, ô mon Fils très-cher,

1 - de lui vouloir diminuer une peine de la vue, savoir, qu’elle ne voie point les diables horribles, mais qu’elle souffre les deux autres peines, puisque votre justice l’exige de la sorte, et à laquelle je ne puis aller contre, selon la justice de votre miséricorde.

2 - Je vous supplie de lui diminuer une des peines de l’ouïe, savoir, qu’elle n’entende l’opprobre et la confusion. 3- Je vous supplie de lui diminuer une des peines de l’attouchement, savoir, qu’elle ne ressente pas un froid si rigide qu’elle mérite de ressentir, d’autant qu’elle était froide en votre charité.

Le Fils répondit : Bénie soyez-vous, ma Mère très-chère ! Rien ne peut vous être refusé. Que votre volonté soit faite.

La Mère répondit : Béni soyez-vous, ô, mon très-cher Fils, pour l’amour et la miséricorde que vous portez aux âmes !

Puis, on vit soudain un des saints avec une grande milice, qui disait : Louange vous soit, Seigneur Dieu, Créateur et Juge de tous ! Cette âme dévote m’a servi en sa vie ; elle a jeûné pour mon honneur ; elle m’a loué, moi et tous les amis qui vous environnent. Partant, de leur part et de la mienne, je vous en supplie, Seigneur, faites-lui miséricorde pour l’amour de nos prières. Donnez-lui le repos en une des peines, savoir, que les démons n’aient point puissance d’obscurcir sa conscience, car leur malice obscurcit tellement son âme, s’ils n’en sont empêchés, qu’elle n’attendrait point la fin de sa misère ni l’acquisition de la gloire, si ce n’est que vous jetiez les yeux de votre grâce sur lui, et cela lui sera le plus grand supplice des supplices. Donnez-lui, ô Seigneur plein de miséricorde, en considération de nos prières, la grâce de savoir certainement que sa peine finira, et qu’il possédera un jour la gloire éternelle.

Le Juge répondit : Ma justice veut que les démons obscurcissent son âme, d’autant que, quand elle vivait, elle retirait son esprit et sa pensée de la contemplation spirituelle, les tournait aux choses corporelles, et ne se souciait d’être sans connaissance et d’agir contre moi. Mais d’autant que vous, ô mes amis ! avez ouï et reçu mes paroles et mes inspirations, et les avez accomplies par œuvres, il n’est pas raisonnable que je refuse et rejette vos demandes, mais je ferai ce que vous demanderez.

Or, lors tous les saints répondirent : Béni soyez-vous, ô Dieu, en votre justice, qui jugez justement, qui ne laissez rien d’impuni !

Après, l’ange gardien dit au Juge : J’ai accompagné cette âme des que l’âme fut unie à ce corps, et le suivais comme votre providence charitable l’avait ordonné, et elle faisait quelquefois ma volonté. Partant, je vous en prie maintenant, ô mon Seigneur, ayez miséricorde d’elle.

Lors Notre-Seigneur dit : Nous voulons délibérer sur ce sujet. Et Lors la vision disparut.

DÉCLARATION

L’homme dont il est parlé en ce chapitre fut un soldat doux et ami des pauvres. Sa femme fit de grandes aumônes pour l’amour de lui, qui mourut à Rome, comme il avait été prédit d’elle au livre III, chapitre XII.

CHAPITRE 40

Quatre ans après que sainte Brigitte, épouse, eut eu la susdite vision, où on voyait une âme condamnée à être au purgatoire jusques au jour du jugement, elle vit derechef la même âme être présentée au jugement divin par l’ange, comme à demie revêtue, pour laquelle il priait Notre-Seigneur avec la milice céleste, et laquelle Notre-Seigneur affranchit entièrement des peines, et la transporta en la gloire comme une étoile reluisante, par les prières des anges et des saints, et par les larmes et les prières de ses amis vivants.

Pour le jour des morts.

Après que quatre ans se furent écoulés, sainte Brigitte vit derechef l’âme susdite comme un jeune enfant très-beau à demi vêtu. Or, lors elle dit au Juge, qui était assis sur un trône éminent, assisté de mille millions des saints, qui tous l’adoraient à raison de sa patience et de son amour : O juge souverain, cette âme, pour laquelle je priais, vous me dites que vous l’affranchiriez. Or, maintenant, nous tous assemblés vous prions et demandons miséricorde pour elle ; et bien que nous sachions que tout est en votre dilection, néanmoins, à raison de votre épouse ici présente, nous parlons d’une manière humaine, bien que cela ne soit en nous de même manière.

Le Juge répondit : Si un chariot était plein de gerbes et qu’un chacun en prît une poignée, le nombre et le poids diminueraient : de même en est-il maintenant, car plusieurs larmes de charité m’ont été présentées pour cette âme : partant, le jugement veut qu’elle vienne à votre garde ; et vous, apportez-la au repos que l’œil n’a vu, que l’oreille ne peut ouïr, qu’elle-même ne saurait comprendre, si elle était en la chair, là où il n’y a point de ciel au-dessus ni de terre au-dessous, où la hauteur est incompréhensible, la longueur indicible, la largeur admirable et la profondeur incompréhensible ; où Dieu est sur toutes choses au delà et entre toutes choses, régit, contient toutes choses, sans être contenu par aucune.

Or, après, on vit que cette âme montait au ciel aussi reluisante que l’éclat d’une étoile. Et lors le Juge dit : Le temps viendra bientôt où je proférerai mes jugements et ferai ma justice contre la famille de ce défunt, car cette race monte avec superbe, mais elle descendra par la récompense de la superbe.

CHAPITRE 41

Notre-Seigneur Jésus-Christ reprend un roi et les hommes temporels qui attribuent les victoires, non à Dieu, mais à leur industrie et à la grandeur de leur armée, et leur force corporelle, disant : Nous allons à la guerre contre les ennemis, à l’exemple de David contre Goliath, mettant notre espérance en Dieu, avec néanmoins la discrétion humaine, car celui qui a Dieu pour coopérateur, vaincra très facilement.

Le Fils de Dieu parle à son épouse et lui dit que ce roi est un enfant. Vous le pourrez conjecturer en sa conduite et en son armée innombrable. David, étant pasteur, ne vainquit-il pas le géant ? Mais comment ? Fut-ce par la sagesse et la puissance ? non, certes, mais par la vertu divine, car si Dieu n’eût étonné l’audace du géant et n’eût animé l’esprit de David, comment un enfant aurait-il assailli un géant, et comment une pierre aurait terrassé un si fort et eût touché un si docte et expert, si, en cette pierre, il n’y eût pas eu la vertu de Dieu ?

Certainement, celui qui combat avec Dieu vainc facilement, et celui qui s’appuie en la vertu divine n’a pas besoin de tant de force corporelle, mais bien de foi et de charité. Les hommes du monde pensent vaincre par la force corporelle, et mettent l’heureuse issue de leur combat et l’industrie des hommes, et quand ils ont vaincu, ils attribuent plus la victoire à l’industrie des hommes qu’à la vertu divine, bien que ni les bons ni les mauvais ne puissent être vainqueurs sans la permission divine et sans sa justice, car souvent on voit les bons qui prospèrent sur les mauvais, et quelquefois, par un juste et occulte jugement de Dieu, les mauvais sur les justes ; et d’autant qu’il y a peu d’hommes qui considèrent la patience et la justice de Dieu, à raison de leur grande négligence, c’est pourquoi, c’est pourquoi la vertu divine est peu estimée dans les combats, mais on attribue tout a l’homme comme puissant.

Je n’ai pas dit sans sujet que ce roi est un enfant, car quand l’enfant voit deux pommes, l’une toute dorée à l’extérieur, mais très-bonne et fraîche au-dedans, il choisit plutôt celle qui est belle à l’extérieur et corrompue à l’intérieur, d’autant qu’il ne sait considérer que l’extérieur. De même en fait ce roi : il lui est avis qu’il est beau et excellent de marcher avec une grande armée, mais il ne considère pas la misère qui est au-dedans ; il ne considère pas combien de famines, de douleurs et d’angoisses s’ensuivront, et combien de misérables mourants de faim y sont entrés et s’en retourneront plus misérables. Or, il lui semble vil et abject de marcher avec une petite armée, mais une grande utilité y est cachée.

Qu’il aille donc avec une petite armée et avec humilité : je remplirai sa conscience de la divine sapience ; je fortifierai son corps de la force divine, car je puis faire d’un infirme un fort, un sublime d’un humble, un honorable d’un abject. Partant, dites-lui qu’il ne craigne point, qu’il mette son espérance en moi, et qu’il fasse ce qu’il pourra avec la sapience divine et la considération humaine : ce qu’il pourra de la sorte, où la sagesse humaine manquera, la charité et la bonne volonté l’excuseront.

ADDITION

Le Fils de Dieu parle : Celui qui désire visiter les terres des infidèles, doit avoir cinq choses :

1 - il doit décharger sa conscience par la contrition et vraie confession, comme s’il devait mourir soudain.

2 - Il doit déposer toutes les légèretés de ses mœurs et de ses vêtements, ne prenant point garde aux modes nouvelles, mais aux modes louables que ses prédécesseurs ont instituées ;

3 - ne vouloir avoir autre temporel que ce qui est nécessaire pour vivre et pour l’honneur de Dieu, et que, s’il sait qu’il ait acquis quelque chose d’injuste, lui ou ses parents, qu’il le restitue, bien qu’il soit grand ou petit. 4- Qu’il s’efforce que les infidèles viennent à la vraie foi, ne désirant point leurs richesses ni chevances, si ce n’est ce qui est nécessaire à leur corps. 5- Vouloir franchement mourir pour l’honneur du Dieu, et de la sorte se disposer afin qu’il mérite d’arriver à une mort louable.

CHAPITRE 42

La Mère de Dieu se loue du soin qu’elle a eu de plaire à Dieu. Elle dit aussi qu’en cela, elle ne cherche pas sa propre louange, mais l’honneur de Dieu. Elle demande à son Fils, pour l’épouse, les vêtements célestes des vertus, la viande sacrée de son corps, et un esprit plus fervent que son Fils donnera, si son épouse a l’humilité, la crainte et l’action de grâce.

La Mère de Dieu parle : Dès ma jeunesse, j’ai pensé à l’honneur de mon Fils, et j’ai été toujours soigneuse de lui plaire. Bien que l’honneur soit moindre en la bouche propre, néanmoins, je ne parle pas à la façon du monde, qui cherche sa propre louange, mais je cherche en ceci l’honneur de Dieu, mon Fils, qui a d’une manière admirable attaché le soleil à la poudre ; il a enclos le feu non consumant, mais enflammant en l’aridité ; il a produit le fruit très-digne et très-doux sans humidité.

Après, se tournant vers le Fils, elle dit : Béni soyez-vous, mon Fils ! Je suis quasi comme cette femme qui est exaucée devant Dieu pour les coupables, et demande miséricorde pour les plus faibles : de même je vous prie pour ma fille, car elle est honteuse ; elle est votre épouse, l’âme de laquelle vous avez rachetée de votre sang ; vous l’avez illuminée et échauffée de vos feux d’amour, excitée par votre bonté et épousée par votre miséricorde. Mon Fils, je vous supplie humblement de lui donner trois choses :

1 - des vêtements convenables à la fille et à l’épouse du Roi des rois, car si l’épouse du roi n’est point revêtue des vêtements royaux, elle est méprisée ; si elle est trouvée moins décente, elle est en opprobre. Donnez-lui des vêtements non terrestres, mais célestes, non de ceux qui sont reluisants au dehors, mais ceux qui reluisent de charité et de chasteté au-dedans. Donnez-lui l’habitude des vertus, afin qu’elle ne mendie point l’extérieur, et faites qu’elle ait au-dedans l’abondance, afin qu’elle puisse reluire au-dedans par-dessus les autres.

2 - Donnez-lui la viande très-délicate, car votre épouse est accoutumée aux viandes grossières, et maintenant elle est accoutumée à vos viandes, car c’est cette viande qui touche et N’est point vue ; on la tient et on ne la sent pas ; elle rassasie, et les sens n’en savent rien, elle entre et elle est partout où les hosties sont consacrées. Cette viande est votre précieux corps, que l’agneau rôti préfigurait, car l’humanité que vous avez prise de moi a accompli cela. La Déité avec l’humanité montre que cela est heureusement accompli. Donnez donc, ô mon très-cher Fils, cette viande à votre épouse, car sans elle, elle défaut, et par elle et avec elle, elle est renouvelée comme un malade à toute sorte de biens.

3 - Donnez-lui, ô mon Fils, un esprit plus fervent, car il est un feu qui ne s’éteint jamais, qui nous rend vil tout ce qui est délectable en ce monde, et nous fait espérer les joies futures. Donnez-lui donc cet esprit, ô mon Fils !

Lors le Fils répondit, disant : Ma très-chère Mère, vos paroles sont très-douces, mais comme vous savez, il est nécessaire que celui qui cherche les choses sublimes, fasse les fortes et les humbles. Partant, trois choses lui sont nécessaires :

1 - l’humilité, par laquelle on obtient la sublimité, afin qu’il sache qu’il a les biens de la grâce, et non de ses mérites ; 2 - qu’il rende le service qu’il doit à l’auteur de la grâce ; 3 - la crainte qu’il ne perde la grâce donnée. Afin donc qu’il obtienne et possède les trois choses que vous avez demandées ; qu’il ne néglige les trois précédents avis, car il ne lui sert de rien d’avoir obtenu, s’il ne sait posséder ce qu’il a obtenu ; et plus douloureusement afflige d’avoir perdu ce qu’on avait obtenu, que si on ne l’avait jamais possédé.

CHAPITRE 43

L’épouse se troublait de ce qu’elle n’obéissait point au Père spirituel avec patience et joie. Jésus-Christ dit que si elle prend la résolution de parfaitement obéir, bien que quelquefois la volonté y résiste, elle a néanmoins, obéissant de la sorte, un grand mérite, et les péchés passés en sont purifiés. Notre-Seigneur donne aussi les armes spirituelles du combat, c’est-à-dire, les vertus par lesquelles les justes combattent et surmontent, et les injustes sont terrassés et vaincus.

Le Fils de Dieu parle à son épouse, lui disant : Pourquoi vous troublez-vous ? Et bien que je sache toutes choses, néanmoins je le veux comme connaître par votre dire, afin que vous sachiez aussi qu’est-ce que je vous réponds.

L’épouse répondit : Je crains deux choses et me trouble de deux choses : 1 - d’autant que je suis trop impatiente à obéir et moins joyeuse à pâtir ; 2 - que vos amis sont assaillis de tribulations et que vos ennemis les surmontent.

Notre-Seigneur répondit : Je suis celui à qui vous vous êtes donnée pour obéir, et partant, à toute heure et à chaque moment que vous consentez à obéir et que vous voulez obéir, bien que la chair y résiste, il vous sera imputé à mérite et à purification de vos péchés. Au deuxième, savoir, que vous vous troublez de la contrariété de mes amis, je réponds par un exemple. Deux hommes combattent, l’un deux jette ses armes et l’autre s’en munit. Celui qui a jeté ses armes ne sera-t-il pas vaincu plus facilement que celui qui les amasse ?

Il en est de même maintenant, car mes ennemis jettent leurs armes tous les jours. Trois sortes d’armes sont nécessaires pour combattre : la première est ce qui porte l’homme, comme un cheval, etc. La deuxième, ce par quoi l’homme se défend, comme le glaive, etc. La troisième, ce qui munit le corps, comme la cuirasse, etc.

Mais mes ennemis ont perdu, en premier lieu, le cheval de l’obéissance, par lequel ils étaient portés à toute sorte de biens, car c’est celle-là qui conserve l’amitié avec Dieu et garde à Dieu la foi promise. Ils ont encore jeté le glaive de la crainte divine, par lequel le corps est retiré des voluptés, et le diable se sépare de l’âme et n’ose s’en approcher. Ils ont encore perdu la cuirasse, qui les défendait des dards, c’est-à-dire, ils ont perdu la divine charité, qui réjouit dans les choses adverses, protège dans les prospères, purifie dans les tentations et adoucit les douleurs. Leur cuirasse, qui est la sagesse divine, croupit dans la boue. Les armes du col, c’est-à-dire, les pensées divines, sont aussi tombées, car comme par le col la tête est mue, de même, par les divines pensées, l’esprit doit prendre mouvement à tout ce qui concerne la gloire divine.

Mais hélas ! les divines pensées sont maintenant tombées, c’est pourquoi la tête est maintenant gisante avec les infirmes et est agitée des vents. Les armes aussi de sa poitrine sont oubliées et négligées, c’est-à-dire, la contrition avec la résolution de s’amender n’est plus. Ils se réjouissent dans leurs péchés, et désirent être plongés en eux tant qu’ils vivent. Les armes de leurs bras, c’est-à-dire, les bonnes œuvres leur sont vaines et odieuses, car ils font audacieusement ce qu’ils veulent, et n’en ont point de honte.

Mais mes chers amis se munissent de plus en plus des armes, car ils courent sur le cheval de l’obéissance, comme de fidèles serviteurs, laissant l’empire de leurs volontés à Dieu. Ils combattent contre les vices en la crainte de Dieu, comme de bons soldats. Ils souffrent avec amour toutes les rencontres fâcheuses, comme de généreux combattants, attendant le secours de Dieu, se munissent de la sapience divine et de la patience contre les médisants et criminateurs, comme ceux qui se sont retirés et éloignés du monde. Ils sont prompts et agiles aux choses divines, comme l’air qui va partout. Ils sont fervents vers Dieu plus que l’épouse aux embrassements de son cher époux. Ils sont prompts comme des cerfs, et forts pour fouler aux pieds toutes les délectations du monde, soigneux au travail comme des fourmis, vigilants comme des sentinelles.

Tels sont mes amis, et ils se munissent chaque jour des armes des vertus, lesquelles les ennemis méprisent, et partant, ils sont vaincus facilement. Donc, le combat spirituel qui est avec patience et amour divin, est plus noble et plus éminent que le combat corporel, et plus odieux au diable, car le diable ne s’efforce point d’ôter les choses corporelles, mais bien de corrompre les vertus, et de ravir la patience et la constance ès vertus. Partant, ne vous troublez pas, si quelques choses contraires assaillent mes amis, car il leur revient de là de grandes récompenses.

CHAPITRE 44

Notre-Seigneur dit à son épouse qu’il est semblable au vitrier qui replace les vitres cassées, c’est-à-dire, les âmes, jusqu’à ce que le royaume céleste soit plein. Il se dit aussi semblable à l’abeille, qui convertit en miel les herbes, c’est-à-dire, qu’il convertit les païens, desquels il tirera de grandes douceurs, c’est-à-dire, plusieurs âmes.

Je suis comme un bon vitrier qui fait de cendres plusieurs vases ; et bien que plusieurs se gâtent, il ne cesse pas pourtant d’en faire de nouveaux, jusques à ce que le nombre des vases soit rempli. J’en fais de même, d’autant que, d’une infime matière, je fais une créature excellente, savoir, l’homme ; et bien que plusieurs se soient retirés de moi par leurs mauvaises œuvres, je ne cesse pas pourtant d’en former d’autres, jusqu’à ce que le chœur des anges et les lieux vides du ciel soient remplis.

Je suis aussi semblable à une bonne mouche à miel qui, sortant de sa ruche, vole sur les belles herbes qu’elle a vues de loin, sur lesquelles elle cherche les belles et odoriférantes fleurs ; mais quand elle s’en approche, elle les trouve sèches et trouve l’odeur évaporée. Mais après cela, elle cherche une nouvelle herbe plus âpre, dont la fleur est plus petite, dont l’odeur n’est pas trop forte, dont la suavité est plaisante, mais elle est petite. La mouche à miel fiche son pied en cette herbe, en tire de la liqueur, et la porte à sa ruche jusqu’à ce qu’elle l’ait emplie.

Or, je suis cette mouche à miel, moi, Créateur et Seigneur de toutes choses, qui sortis de la ruche, lorsqu’étant né, j’apparus en forme humaine visible. Or, je cherchai une herbe fort belle, c’est-à-dire, le genre humain, qui est beau par la foi, doux par la charité et fructueux par la bonne conversation ; mais maintenant, il dégénère et déchoit de son premier effet, semble seulement beau de nom, mais paraît difforme d’effet, fructueux pour le monde et pour la chair, et stérile à Dieu et à l’âme, très-doux pour soi et très-amer à moi, c’est pourquoi il tombe et s’anéantit.

Or, moi, je suis comme une mouche à miel, qui élis une autre herbe en quelque manière âpre, c’est-à-dire, les païens rebutés de moi par leurs mœurs, quelques-uns desquels ont des fleurs petites et quelque peu de douceur, c’est-à-dire, la volonté par laquelle ils se convertiraient franchement et me serviraient, s’ils savaient comment et s’ils avaient qui les ouît. De cette herbe j’en tirerai autant de douceur que j’en aurai besoin pour remplir ma ruche, et je ne veux autant approcher d’eux qu’il ne leur manquera point de suavité, afin que la mouche à miel ne soit frustrée de son travail ; et ce qui est vil et abject croîtra à merveille et parviendra à une grande beauté, mais ce qui semble beau diminuera et se rendra laid et difforme.

CHAPITRE 45

Jésus-Christ dit à sa Mère que les hommes aveugles d’esprit peuvent recouvrer la vue, de sorte qu’ils pourront voir Dieu et l’aimer par-dessus tout en trois choses : en la considération de la justice temporelle, de la bonté, savoir, par la beauté des créatures, et de la toute-puissance et sapience. Or, tous ceux qui croient que le mal et le bien viennent des constellations des astres, se trompent.

La Sainte Vierge Marie parle : Béni soyez-vous, ô mon Fils, mon Dieu et mon Seigneur ! Bien que je ne puisse m’attrister, néanmoins, j’ai compassion du genre humain, de trois choses :

1 - d’autant que l’homme a des yeux et est aveugle, car il voit sa captivité et la suit ; il se moque de votre justice, et il rit quand il satisfait à sa cupidité ; il tombe en un point dans les peines éternelles, et il perd la gloire qui n’a point de fin.

2 - J’ai compassion de l’homme, d’autant qu’il affecte et regarde avec joie la monde, ne considère point votre miséricorde, cherche ce qui est petit et rejette tout ce qui est grand.

3 - Je compatis, d’autant que vous étant Dieu de tous, néanmoins votre honneur est oublié et négligé de tous, et vos œuvres sont mortes devant eux : partant, ô mon Fils très doux, ayez miséricorde d’eux.

Le Fils répondit : Tous ceux qui sont au monde et qui sont de bonne conscience voient qu’au monde la justice règne, par laquelle les pécheurs sont punis. Si donc les excès corporels sont punis des hommes par la justice, combien plus il est juste que l’âme immortelle soit punie de Dieu immortel ! L’homme pourrait voir et entendre ceci, s’il voulait ; mais d’autant qu’il tourne ses yeux vers le monde et ses affections à ses voluptés, c’est pourquoi il suit la nuit, comme l’homme suit les biens fugitifs et a à haine les biens permanents.

En second lieu, l’homme peut voir et considérer, s’il veut, que, s’il y a de la beauté dans les plantes, les arbres ; que si, en ce qui est au monde, il y a quelque chose désirable, combien plus Dieu est beau et désirable, le Seigneur et Créateur de toutes choses ! Que si la gloire temporelle, passagère et périssable, est désirée avec tant d’ardeur, combien plus est désirable la gloire éternelle ! Cet homme pourrait voir cela, car il a bien l’intelligence pour comprendre que ce qui est plus grand et plus excellent doit être plus aime que ce qui est moindre et ce qui ne vaut guère. Mais d’autant que l’homme penche toujours aux choses inférieures, comme les animaux irraisonnables, bien qu’il doive tendre et regarder toujours en haut, c’est pourquoi toutes ses œuvres sont comparées à la toile d’araignée. Il laisse la beauté des anges ; il suit les choses passagères, c’est pourquoi il fleurit comme le foin pour peu de temps, et tombe aussi bientôt comme le foin.

En troisième lieu, ils savent en conscience, et certes, ils ont créé afin de connaître qu’il y a un Dieu, créateur de toutes choses, car s’il n’y avait pas un créateur de celles-ci, tout ce qui est réglé serait en désordre, quoique toutes choses soient bien réglées, excepté celles que l’homme déréglé ; et bien qu’il semble aux hommes qu’en l’ordre de la nature, il y a du dérèglement, d’autant qu’il ignore le cours des planètes et le cours du temps, d’autant que Dieu les leur a cachés à raison des péchés. Si donc, il y a un seul Dieu, et celui-là bon, d’autant que tout bien dépend de lui, pourquoi l’homme ne l’honore-t-il pas par-dessus tous, puisque la raison lui dicte qu’il doit être honoré par-dessus tous, puisque tout dépend de lui ?

Mais l’homme, comme vous avez dit, a deux yeux, et il ne voit rien, voire lui-même s’aveugle par les blasphèmes malheureux, d’autant qu’il rapporte aux étoiles la bonté ou le malheur des hommes, ou bien au destin et à la fortune, l’évènement des choses prospères ou adverses, comme si en eux, il y avait quelque chose de divin qui pût engendrer ou faire quelque chose, bien que le destin ou la fortune ne soit rien pour tout, car la disposition de l’homme et de toutes choses a été prévue en la prescience divine, et est conduite constamment selon l’exigence de chaque chose ; certainement les étoiles ne font pas que l’homme soit bon ou mauvais, bien qu’on voie en celles-ci plusieurs choses raisonnables, savoir est, selon les conditions et qualités de la nature et l’exigence des saisons. Les hommes pourraient-ils, s’ils voulaient, prévoir ces choses ?

La Mère de Dieu répondit : Tout homme qui a bonne conscience entend fort bien que Dieu est plus aimable que toute autre chose, et qu’il doit témoigner cela par œuvres ; mais d’autant qu’une membrane a couvert ses yeux, bien que la paupière soit saine, c’est pourquoi ils n’y voient pas tous. Mais qu’est-ce que cette membrane signifie, sinon la considération des choses futures, qui a couvert la connaissance de plusieurs.

Partant, je vous supplie, ô mon très-cher Fils, de vouloir manifester à quelqu’un quelle est votre justice, non pas afin que sa honte et sa misère s’accroissent, mais afin que la peine qu’il mérite soit diminuée, et afin qu’on connaisse et qu’on craigne votre justice ; car là où le sac est plein de quelque chose, et où le vase est plein de lait, l’homme ne saura ce qui y est contenu, s’il ne le vide, de même, bien que votre justice soit grande, si vous ne la manifestez par un manifeste jugement, elle sera crainte de peu, d’autant que vos œuvres admirables se sont avilies par la longueur du temps et par la grandeur des péchés.

En deuxième lieu, je vous supplie qu’il vous plaise manifester votre miséricorde par quelqu’un de vos chéris pour la dévotion des autres et pour la consolation des misérables.

En troisième lieu, je vous supplie que votre nom soit honoré, afin que les diligents le connaissent et que les tièdes en soient allumés.

Le Fils répondit : Où plusieurs amis entrent et prient, ils sont dignes d’être exaucés : combien plus quand une très-chère dame entre ! Qu’il soit donc fait comme vous désirez. Ma justice sera si évidemment manifestée, que les membres de ceux qui l’expérimenteront, et desquels les œuvres viendront en public, trembleront.

En deuxième lieu, je donnerai à une personne miséricorde, autant qu’elle en pourra prendre et qu’elle en aura besoin ; son corps sera exalté et son âme glorifiée, en sorte que ma miséricorde en sera manifestée.

Après, la Mère de Dieu parla, disant : Les lieux des religieux sont éloignés du bien ; ils sont fondés sur la glace ; leur fondement était autrement d’or très-pur. Dessous ces lieux, il y a une cave très vaste. Quand la chaleur du soleil sera en vigueur, la glace fondra, et ce qui a été édifié tombera dans l’abîme. Partant, ô mon Fils, ayez miséricorde d’eux. La chute est horrible ; les ténèbres et les peines y sont sans fin.

CHAPITRE 46

Sainte Brigitte prie la Sainte Vierge d’obtenir de Dieu son parfait amour. Elle lui répondit : Pour l’obtenir, qu’elle suive six paroles de l’Évangile contenues en ce chapitre.

Sainte Brigitte prie la Sainte Vierge disant : Oh ! que Dieu est doux ! Ceux qui le prient ressentent de la consolation en toutes leurs douleurs. Partant, ô très bénigne Mère, je vous supplie d’arracher de mon cœur toutes les affections des choses du monde, en sorte que votre très-cher Fils soir mon très cher et bien-aimé jusques à la mort.

La Mère répondit : D’autant que vous désirez avoir chèrement mon Fils, suivez les paroles que lui-même a proférées en l’Évangile : Matthieu 18. V. 21

1 - Ce que j’ai dit au riche : Vendez ce que vous avez, donnez-le aux pauvres et suivez-moi. 2 - Ne soyez point soigneux du lendemain. 3 - Voyez comme les passereaux sont repus : combien plus le Père céleste repaîtra les hommes ! 4 - Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. 5 - Cherchez en premier lieu le royaume de Dieu. 6 - Vous tous qui avez faim, venez à moi, et je vous réfectionnerai.

Certainement, celui-là semble vendre tout, qui ne se conserve que la substance nécessaire pour la nourriture de son corps, et distribue le reste aux pauvres pour l’honneur de Dieu, et non pour l’honneur du monde, à l’intention d’avoir l’amitié avec Dieu, comme il apparaît en saint Grégoire, et en autres rois et princes qui ont été aimés de Dieu, bien qu’ils eussent des richesses et en donnassent aux autres, comme ceux qui ont laissé toutes choses tout d’un coup pour servir Dieu, mendiant après les autres ; car ceux qui ont eu les richesses seulement pour l’honneur de Dieu, s’en fussent librement privés, si la volonté de Dieu eût été telle.

Or, les autres ont embrassé une autre sorte de pauvreté, laquelle ils désiraient pour la gloire de Dieu. C’est pourquoi à tout homme qui a des biens justement acquis, ou bien des pensions, il est permis d’en recevoir les fruits pour son entretien, pour sa famille et pour la gloire de Dieu, et qu’il donne le superflu aux amis de Dieu. En deuxième lieu, il ne doit se soucier du lendemain, car bien que vous n’ayez que le corps nu, espérez en Dieu, et celui qui nourrit les passereaux vous nourrira, puisqu’il vous a rachetée de son sang.

Je lui répondis : O Dame très chère, qui êtes belle, riche et vertueuse : belle, d’autant que vous n’avez jamais péché ; riche, d’autant que vous êtes très aimée de Dieu ; vertueuse, d’autant que vous êtes parfaite en toutes vos œuvres : partant, oyez-moi, ô ma Dame, moi qui suis riche de péchés et pauvre de vertus. Nous avons aujourd’hui le vivre et ce qui nous est nécessaire ; demain nous ne manquerons. Comment donc pourrions-nous être sans soins, quand nous n’avons rien ? car bien que l’âme ait ses consolations de Dieu, l’autre néanmoins, qui est le corps, désire et appète sa vie.

La Sainte Vierge répondit : Si vous avez quelque chose de superflu et dont vous vous puissiez passer, vendez ou engagez-le, et vivez sans soins.

Je lui répondis : Nous avons des vêtements dont nous nous servons la nuit et le jour, et peu de vaisselle pour notre table. Le prêtre a trois livres, et avons pour la messe un calice et les autres ornements.

La Sainte Vierge repartit : Le prêtre ne doit pas être sans livres, ni vous sans messes, ni on ne doit dire la messe sans ornements très-purs. Votre corps ne doit point être nu, mais revêtu pour les hontes et pour éviter le froid, partant, vous avez besoin de toutes ces choses.

Sainte Brigitte répondit : Ne dois-je pas emprunter de l’argent pour quelque temps ?

La Mère répondit : Si vous êtes assurée de la rendre à temps fixe, empruntez-en, et non autrement, car il vous profite beaucoup plus de ne manger de tout un jour que d’exposer votre foi à l’incertitude.

Et moi, je lui dis : Ne dois-je pas travailler pour gagner ma vie ?

La Mère lui repartit : Qu’est-ce que vous faites tous les jours et maintenant ?

J’apprends la grammaire, j’écris et je prie.

Lors la Mère dit : Il ne faut laisser tel travail corporel.

Et moi, je lui dis : Et qu’aurons-nous pour vivre demain ?

La Mère dit : Demandez-en au nom de Jésus, si vous n’avez autre chose.

CHAPITRE 47

La Mère de Dieu dit de l’homme qui parle de Dieu, que, s’il est méprisé et moqué à raison de cela et qu’il prenne patience, son âme est alors rendue belle. Celui qui afflige son corps pour l’honneur de Dieu, ressentira les divines douceurs et sera enrichi des faveurs divines. Si l’on médit de lui et qu’il ne porte point de haine, son âme sera revêtue de vêtements précieux et agréables à Dieu. Les amis de Dieu s’affligent afin d’attirer les âmes.

La Mère de Dieu dit à sainte Brigitte : Ne vous troublez pas, s’il vous faut parler de Dieu à ceux qui ne vous entendent pas franchement, car quiconque est confus et le supporte franchement pour l’amour de Dieu, cela rendra belle son âme, d’autant que l’âme de l’homme qui entend la détraction faite contre soi, et néanmoins ne hait point le médisant, est ornée comme de vêtements très-riches, de sorte que l’Époux, qui est un Dieu en trois personnes, désire que cette âme soit plongée dans les dilections éternelles de la Déité.

Que les amis de Dieu donc tâchent avec peine de convertir ceux qui aiment mieux les cupidités et l’orgueil que Dieu, car ils gisent comme sous une montagne, voilà pourquoi il faut tâcher de les arracher aux dépends mêmes de leur vie ; car comme celui qui voit ses frères gisants sur la pente d’une montagne, souvent frappe la montagne pour en arracher des pierres, quelquefois les coupe doucement, afin que, tombant au-dessous, elles ne se brisent, quelquefois frappe plus fort, afin qu’il se retire du danger, de même les amis de Dieu travaillent, afin que les âmes soient sauvées. Partant, comme il y en a peu qui aient eu la foi droite quand mon Fils monta au ciel, de même maintenant ceux qui accomplissent ce commandement : Vous aimerez Dieu sur toutes choses et le prochain comme vous-mêmes, c’est-à-dire, les amis de Dieu vont maintenant à la conversion des chrétiens, qui autrefois allaient aux païens ; car comme il est impossible que ceux-là puissent obtenir le ciel, qui, ayant reçu la foi, ne l’ont point gardée, de même il est impossible que les chrétiens qui meurent sans charité jouissent de la gloire.

CHAPITRE 48

Jésus-Christ se compare à un médecin. Des médecines et des malades.

Notre-Seigneur Jésus parle à son épouse : Je suis comme un bon médecin, auquel courent tous ceux qui savent que sa potion est douce. Or, ceux qui goûtent la douceur de sa médecine, considérant qu’elle est salutaire, soudain vont à la maison de l’apothicaire ; mais ceux qui la trouvent aigre, s’en retirent.

Il en est de même de la médecine spirituelle, qui est le Saint-Esprit, car l’Esprit de Dieu est doux au goût, affermit tous les membres et s’écoule dans le cœur, afin de le réjouir et de le fortifier contre les tentations.

Moi, Dieu, je suis ce médecin, qui suis prêt à donner ce breuvage à tous ceux qui le désirent avec amour. Or, celui-là est sain et propre à le recevoir qui n’a pas volonté de croupir dans le péché ; mais ayant goûté une fois cette divine potion, il s’y plaît toujours ; au contraire, ceux qui ont désir de demeurer dans le péché, ne se plaisent point à avoir l’Esprit de Dieu.

CHAPITRE 49

La Mère de Dieu montre qu’elle a été conçue sans péché.

La Mère de Dieu parle : Si quelqu’un, voulant jeûner, avait le désir de manger, mais que la volonté résistât au désir, que le supérieur à qui il doit obéir lui commandât de manger, et qu’il mangeât par obéissance, manger serait alors de plus grand mérite que le jeûne : de même manière arriva en la conjonction de mes parents, quand je fus conçue. La vérité est que je fus conçue sans péché originel, car comme il n’y a que mon Fils et moi qui n’ayons péché, aussi il n’y a pas eu de mariage plus honnête que celui de mes parents.

CHAPITRE 50

La Vierge Marie dit à l’épouse qu’il n’y a rien qui plaise tant à Dieu que d’être aimé des hommes, et le montre par un exemple d’une femme païenne qui aima fort son Créateur.

La Mère de Dieu parle à sainte Brigitte, lui disant qu’il n’y a rien qui plaise tant à Dieu que quand l’homme l’aime sur toutes choses. Je vous en donnerai une similitude d’une femme païenne : ne sachant rien de la foi catholique, elle s’entretenait en ces pensées : Je sais de quelle manière je suis, et je connais mes parents. Je crois aussi qu’il est impossible que j’eusse le corps, les membres, les entrailles, les sens, si quelqu’un ne me les eût donnés ; et partant, il y a quelque Créateur qui m’a faite une si belle créature, et non une créature difforme, comme les vermisseaux et les serpents.

Il me semble aussi que, bien que j’eusse plusieurs maris, et que, si tous m’appelaient, je courrais plutôt à mon Créateur qui m’appelle qu’aux voix de tous ceux-là. J’ai aussi plusieurs fils et filles : néanmoins, si j’avais de la viande en ma main et savais que mon Créateur en désire, je l’ôterais franchement à mes enfants et la présenterais à mon Créateur. J’ai aussi plusieurs possessions dont je dispose selon mes vouloirs : si je savais néanmoins que la volonté de mon Créateur est autre, je les laisserais, renonçant à ma volonté, et en disposerais à l’honneur de mon Créateur.

Mais voyez, ma fille, ce que Dieu a fait avec cette femme païenne, car il lui a envoyé un de ses amis qui l’a instruite en la foi sainte, et Dieu a visité son cœur de lui-même, comme vous le pourrez entendre des paroles de la susdite femme, car quand cet homme de Dieu lui prêchait qu’il y avait un seul Dieu sans commencement et sans fin, créateur de toutes choses, elle lui dit : Il est bien croyable que celui qui m’a créée et qui a créé toutes choses, n’a pas par-dessus soi de créateur, et il est vraisemblable que sa vie est éternelle, puisqu’il m’a pu donner la vie.

Mais quand cette femme ouït que le même Créateur avait pris l’humanité d’une Vierge, qu’il avait prêché lui-même, elle dit : Il est bien fait de croire que Dieu fait de bonnes œuvres. Mais vous, ô mon ami ! dites-moi quelles furent les paroles qui furent proférées de la bouche du Créateur, car je veux renoncer à ma volonté et lui obéir selon qu’il a parlé.

Or, l’ami de Dieu prêchant et lui parlant de la passion, de la croix et de la résurrection, la femme, ayant les larmes aux yeux, lui dit : Béni soit Dieu qui a manifesté son amour en la terre tel qu’il l’avait au ciel ! Partant, comme je l’aimais auparavant, je suis maintenant obligée de l’aimer comme voie droite et comme Rédempteur, me rachetant de son propre sang. Je suis encore obligée de l’aimer de toutes mes forces et de le servir de tous mes membres. D’ailleurs, je suis obligée d’arracher de moi tous les désirs que j’ai eus en mes passions, fils et parents, et seulement aimer et désirer mon Créateur en la gloire et en la vie qui ne finissent jamais.

La Mère de Dieu dit : Voyez, ma fille, que cette femme a eu une grande récompense, à raison de la dilection : de même la récompense est donnée à un chacun selon qu’il aime Dieu pendant qu’il vit au monde.

CHAPITRE 51

Il est traité d’une doctrine fort utile contre les ennemis de l’âme, et contre les envieux qui désirent aux hommes la confusion, le dommage et la vie courte.

Cet homme que vous reconnaissez a trois ennemis : le premier est auprès de lui ; il est là où il est ; il dort et veille avec lui, et il ne le voit point. Le deuxième lui est familier, il est près de lui quand il veille, et il ne l’entends point. Le troisième ne lui est pas familier ; il ne le connaît pas, et celui-ci le hait.

Le premier ennemi est le diable, qui le tente de superbe, de cupidité, et de plusieurs autres choses ne plusieurs manières. Contre cet ennemi, il doit se munir d’un fouet, pensant : O diable, vous ne donnez rien de bon : pourquoi me rendrai-je superbe ? Vous me cherchez aussi pour me perdre, et Jésus-Christ me donne la vie. Partant, il est raisonnable que je fuie ta volonté et que je suive la volonté de Dieu et ses préceptes. Partant, quiconque veille ou dort avec une telle intention, menace de son fouet le diable, qui, en étant épouvanté, s’enfuit.

Le deuxième ennemi, ce sont ses familiers et ses serviteurs qui lui disent : Vous encourez de grands dommages, si vous êtes trop juste ; vous pourrez faire votre profit en dissimulant plusieurs choses ; si vous êtes trop humble, vous serez méprisé : c’est pourquoi amassez des richesses, et faites-nous riches tous ; désirez les honneurs du monde, et nous nous réjouirons avec vous. Cet ennemi se fait ouïr tous les jours, et partant, il faut édifier un grand mur contre cet ennemi, afin qu’on ne l’entende : ce mur est la bonne volonté, savoir, qu’il désire embrasser plutôt la pauvreté avec la justice que les richesses avec l’injustice, et plutôt avoir la confusion avec l’humilité que l’honneur avec la superbe, et qu’il réponde à son ennemi, mauvais conseiller : Si je fais contre Dieu, priez et avertissez-moi, car lors je me réjouirai plutôt que je ne m’en attristerai. Qu’on mette donc entre l’ennemi et lui un tel mur, de sorte que le vent de ses paroles flatteuses frappe contre le mur, et non contre le cœur, afin qu’il ne s’éloigne de l’amour divin.

Le troisième ennemi est celui qu’il ne connaît pas. Ceux-là désirent sa honte et confusion, son dommage et sa vie très-courte, afin qu’ils jouissent des prospérités et obtiennent ses richesses. Partant, qu’il ait contre cet ennemi une corde forte, c’est-à-dire, l’amour de Dieu et du prochain, désirant souffrir tout ce que Dieu veut qu’il pâtisse, ne voulant endommager personne ; et lors l’opprobre et la confusion que ses ennemis voulaient jeter en son front, lui réussira à honneur, le dommage à utilité, la vie courte à longs jours, et l’ennemi est tellement lié qu’il ne peut plus nuire.

CHAPITRE 52

L’épouse admire et se répute indigne devant Jésus-Christ de la grâce qu’elle a de voir et d’ouïr en esprit ce qui se fait au ciel, en purgatoire et en enfer, et plusieurs autres choses excellentes qui sont déclarées en ce chapitre.

Louange vous soit, ô mon Dieu ! pour toutes les choses créées, dit sainte Brigitte, et honneur pour toutes vos vertus ! Que tous vous servent pour l’amour que vous leur portez. Moi, indigne et pécheresse dès ma jeunesse, je vous rends grâces, ô mon Dieu, d’autant que vous ne refusez la grâce à ceux qui vous la demandent, quoique pécheurs, mais vous leur faites miséricorde et pardon, ô Dieu très-doux ! Ce que vous faites avec moi est admirable : quand il vous plaît, vous endormez mon cœur d’un sommeil spirituel, et excitez et relevez mon âme pour voir, ouïr et sentir les choses spirituelles. O mon Dieu, que vos paroles sont douces à mon âme !

Elle les avale comme une douce liqueur, et elles entrent dans mon cœur avec grande joie, car quand j’entends vos paroles, je suis rassasiée, et même je suis famélique : rassasiée, d’autant qu’il n’y a rien qui me plaise que vos paroles ; famélique, d’autant que je désire de les ouïr avec ferveur. Partant, ô mon Dieu ! donnez-moi la grâce de faire toujours votre volonté.

Jésus-Christ répondit : Je suis sans commencement et sans fin, et tout ce qui est créé par ma puissance, disposé par ma sagesse et gouverné par mon jugement ; toutes mes œuvres sont aussi rangées par la charité : partant, rien ne m’est impossible. Mais ce cœur est trop dur, qui ne n’aime ni ne me craint, bien que je sois gouverneur et juge de toutes choses, mais fait plutôt la volonté du diable, qui est son bourreau, qui donne à boire largement le venin par le monde, qui ne peut donner la vie aux âmes, mais bien la mort de l’enfer. Ce venin est la péché, qui est doux au goût, bien qu’amer à l’âme, et tous les jours, il est répandu par les mains du diable sur plusieurs. Mais qui a ouï de telles choses, que la vie soit offerte aux hommes et qu’ils choisissent la mort ? Néanmoins, moi, Dieu de tous, je suis patient et je compatis à leurs misères. Je fais certainement comme le roi qui, envoyant du vin à ses serviteurs, leur dit : Buvez-en en quantité, car il est bon et salutaire : il donne aux malades la santé, aux tristes la joie, un cœur généreux à ceux qui se portent bien, et ce vin n’est envoyé que dans les grappes mêmes.

De même j’envoyai mes paroles, qui sont comparées au vin, à mes serviteurs, par vous, qui êtes mon vase. Certainement, mon Saint-Esprit vous enseignera où il vous faut aller et ce qu’il vous faut dire : c’est pourquoi parlez courageusement, et faites sans crainte ce que je vous commande, car pas un ne me surmontera.

Lors je lui répondis : O Roi de toute gloire et celui qui verse la sagesse et qui donne toutes les vertus, pourquoi m’employez-vous à un tel office, moi qui ai consommé ma jeunesse en péchés ? Je suis certainement comme un âne insensé, et suis défectueuse en toute sorte de vertus. J’ai manqué en tout, et ne me suis amendée en rien.

Le Saint-Esprit répondit : Qui serait étonné si quelque seigneur faisait de la monnaie ou du métal qu’on lui offrirait, des couronnes, des anneaux, ou des coupes pour son usage ? De même, il n’est pas de merveilles si je choisis et reçois les cœurs de mes amis qui me sont offerts, et si je fais en eux ma volonté. Et d’autant que l’un a plus petit entendement que l’autre, de même je me sers de la conscience et de l’esprit d’un chacun, selon que je vois expédient pour mon honneur, car le cœur du juste, c’est ma monnaie : c’est pourquoi soyez prompte et constante à faire mes volontés.

Ensuite la Mère de Dieu me parla : Qu’est-ce que les femmes superbes disent en votre royaume ?

Je suis une de celles-là, c’est pourquoi je suis confuse de parler en votre présence.

Et la Mère de Dieu dit : Bien que je sache cela mieux que vous, néanmoins je le veux ouïr de votre bouche.

Quand on nous prêchait l’humilité vraie, nous disions que nos parents possédaient des possessions très amples et de mœurs très excellentes. Pourquoi ne les imiterons-nous donc ? Notre mère allait de pair avec les premiers ; elle était excellemment et noblement vêtue, et avait plusieurs serviteurs ; elle nous a élevés avec honneur : pourquoi mes filles ne doivent-elles hériter de telles choses, auxquelles j’appris de se comporter noblement et de vivre avec joie corporelle ? Je leur ai enseigné de mourir avec de grandes dignités.

La Mère de Dieu dit : Toute femme qui suit cette route et ces discours par œuvres, va par une voie droite dans l’enfer ; et partant, une telle réponse est dure et amère, car que profite tout cela, puisque le Créateur de toutes choses n’a jamais porté une robe superbe, tant qu’il a demeuré en terre ? Certainement, telles femmes ne considèrent point la face de Jésus, quelle elle était en la croix, sanglante et pâle de peines et de tourments, et ne soucient point des opprobres qu’il a ouïs, ni de la mort ignominieuse qu’il a choisie et soufferte pour nous, ni ne se souviennent point du lieu où il a rendu l’esprit ; car là où les larrons reçurent les supplices qu’ils méritaient, c’est là que mon Fils a été crucifié ; et moi, la plus chère de toutes les créatures, et qui suis la vraie humilité, j’assistai là.

Et partant, ceux qui se gouvernent superbement et pompeusement, et donnent aux autres sujets de les imiter, sont semblables à un aspersoir qui, étant plongé dans une liqueur ardente, brûle et tache tous ceux qui en sont aspergés : de même quand les superbes donnent sujet de mauvais exemple et de mauvaise édification, ils brûlent les âmes ; et partant, je veux faire maintenant comme une bonne mère qui, déterrant ses enfants, leur montre les verges, lesquelles les serviteurs voient aussi ; mais les enfants, les voyant, craignent d’offenser la mère, la remerciant de les avoir menacés pour éviter les coups. Mais les serviteurs craignent d’être fouettés, s’ils manquent, et de la sorte, par cette crainte, les enfants font plusieurs biens, et les serviteurs moins de mal qu’ils ne faisaient.

Partant, d’autant que je suis Mère de miséricorde, je veux vous montrer la peine du péché, afin que les amis de Dieu soient fervents de l’amour de Dieu, et les pécheurs, sachant de danger, fuient pour le moins le péché par la crainte ; et de la sorte, je fais miséricorde aux bons, afin qu’ils obtiennent une plus grande couronne au ciel, et au mauvais, afin qu’ils endurent moins de peines, et il n’y a pas pécheur si grand que je ne sois toute prête à lui aller au-devant et que mon Fils ne soit disposé à lui donner la grâce, s’il demande miséricorde avec amour.

Et après cela apparurent trois femmes : la mère, la fille et la nièce ; mais la mère et la nièce apparurent mortes, et la fille apparut vive. Or, la susdite mère apparaissait morte, semblait ramper par terre dans un lieu fort obscur et boueux, le cœur de laquelle semblait arraché, et les lèvres semblaient coupées. Le menton tremblait, et les dents, blanches et longues, grinçaient en la bouche. Les narines étaient rongées, et ses yeux arrachés pendaient aux joues avec deux nerfs. Son front semblait creux et avalé, et au lieu du front était un grand et ténébreux abîme.

En la tête, il n’y avait point de crâne, et son cerveau bouillait comme du plomb fondu et de la poix échauffée. Son col était aussi secoué comme un bois qui tourne autour, lequel un fer très aigu coupé sans cesse. Sa poitrine ouverte était pleine de vermisseaux longs qui grouillaient l’un sur l’autre, et ses bras ressemblaient à un manche d’un tailleur de pierres ; ses mains étaient comme des clous à nœuds et longs, et toutes les jointures étaient désemboitées, de sorte que quand l’une montait, l’autre descendait sans cesse. Un serpent long et grand était du plus haut de l’estomac jusques en bas, qui, baissait sa tête avec la queue envenimait ses entrailles, et tournait incessamment comme une roue. Ses cuisses et ses jambes ressemblaient à deux bâtons épineux pleins de pointes très aiguës. Ses pieds étaient comme des pieds de crapauds.

Lors cette mère, qui était comme morte, parlait à sa fille qui était vivante, lui disant : Oyez, lézarde et fille pleine de venin. Malheur à moi que j’aie été votre mère ! Je suis celle qui vous ai mise au nid de superbe, où vous croissiez, y étant échauffée, jusqu’à ce que vous avez atteint l’âge ; et elle vous a tellement plu que vous avez consommé en icelle tout votre temps. Partant, je vous dis que tout autant de fois que vous tournez les yeux superbement sur quelqu’un, comme je vous ai enseigné, tout autant de fois vous jetez à mes yeux du venin tout bouillant avec une intolérable ardeur ; et toutes fois et autant que vous proférez des paroles orgueilleuses que vous avez apprises de moi, tout autant de fois j’avale des breuvages très-amers ; toutes fois et autant que vos oreilles sont remplies de vent de superbe, qui excite les orages de l’arrogance, qui sont : ouïr les louanges de votre corps bien proportionné, désirer les honneurs du monde, ce que vous avez appris de moi, tout autant de fois frappe en mes oreilles un son horrible qui m’étourdit avec un vent brûlant. Malheur donc à moi qui suis en l’extrême pauvreté et misère ! Je suis pauvre, d’autant que je n’ai rien de bon ni n’en ressens ; misérable, parce que je suis assaillie de toute sorte de maux.

Mais vous, ma fille, vous êtes semblable à la queue de la vache, qui va par les lieux boueux, qui toutes les fois qu’elle meut la queue, salit tous ceux qui sont auprès d’elle. De même en faites-vous, ma fille, vous qui n’avez point la divine sagesse, et allez selon vos désirs et les mouvements de votre corps. Partant, toutes les fois que vous imitez les coutumes que j’ai fait couler en votre esprit en la jeunesse, savoir, les péchés que je vous ai enseigné de faire, tout autant de fois ma peine est renouvelée et mes feux brûlent avec plus d’ardeur. Partant, ma fille, pourquoi vous enorgueillissez-vous de votre sang ? Quel honneur avez-vous d’avoir été en mon ventre auprès de l’ordure et nourrie d’ordure ? Votre sortie a été honteuse, et les immondices de mon sang étaient votre robe en la naissance. Or, maintenant, mon ventre, qui vous a portée, est rongé par les vers.

Mais pourquoi me plaindre de toi, ma fille, puisque j’ai plus de sujet de me plaindre de moi-même ? car il y a trois choses qui affligent le plus mon cœur : 1- étant créée de Dieu pour la gloire céleste, j’abusais de ma conscience, et me suis disposée pour les peines de l’enfer ; 2-Dieu m’ayant créée belle comme un ange, je me suis rendue difforme moi-même, de sorte que je suis plus semblable au diable qu’à l’ange de Dieu ; 3- j’ai mal changé le temps qui m’était donné ; j’ai préféré le moment c’est-à-dire, la délectation du péché, pour lequel je ressens maintenant des maux infinis dans l’enfer, à l’éternité glorieuse !

Et lors, elle dit à l’épouse : Vous qui me voyez, vous ne me concevez que par similitudes. Certes, si vous me voyiez comme je suis, vous mourriez d’effroi, car tous mes membres sont comme des démons. Et partant, l’Écriture est vraie quand elle dit que, comme les justes sont membres de Dieu, de même les pécheurs sont membres du diable. J’en fais maintenant l’expérience. Les démons sont comme cloués à mon âme, d’autant que moi-même je me suis disposée à une si grande difformité.

Mais écoutez encore davantage. Il vous semble que mes pieds sont comme des crapauds : cela est d’autant qu’opiniâtrement je me suis arrêtée dans le péché ; c’est pourquoi aussi les diables sont toujours avec moi, me rongeant sans jamais se rassasier ; mes jambes et mes cuisses sont comme des bâtons épineux, d’autant que ma volonté a suivi les concupiscences de la chair et les voluptés. Mais les os de mon dos sont tous désemboités, et l’un s’émeut contre l’autre, d’autant que mon esprit se plaisait trop aux consolations mondaines, et s’affligeait trop des adversités et des fâcheries du monde. Et comme le dos s’émeut selon le mouvement de la tête, de même ma volonté ne devait se mouvoir que selon les volontés de Dieu, qui est l’origine de tout bien. Mais d’autant que je n’ai pas fait cela, je pâtis justement ce que vous voyez. Mais d’autant qu’un serpent se glisse du bas de l’estomac jusques en haut, et étant comme un cercle, environne mon ventre, cela est d’autant que mes voluptés ont été déréglées, et voulaient tout posséder, pour pouvoir dépendre beaucoup avec indiscrétion ; c’est pourquoi le serpent court incessamment par mon intérieur, sans me donner trêve ni repos.

Quant à ce que ma poitrine est ouverte et rongée des vers, cela montre la vraie justice divine. Certes, j’aimais la pourriture plus que Dieu, et mon cœur était lié aux choses passagères ; et partant, comme de petits vermisseaux s’engendrent les grands, de même mon âme est remplie de démons, comme engendrés de l’amour que j’avais pour la pourriture et l’ordure. Mes bras semblent aussi comme démanchés, d’autant que mon désir tendait à la longue vie et à vivre longtemps dans le péché.

Je désirais aussi que le jugement de Dieu fût plus doux que l’Écriture ne dit ; et néanmoins, la conscience me disait bien que mon temps était court et que le jugement de Dieu était effroyable ; mais au contraire, les désirs des voluptés et des péchés me dictaient faussement que ma vie serait longue, et que le jugement de la fureur divine ne serait pas si effroyable ; et de telles suggestions renversaient ma conscience, et après, ma volonté et ma raison suivaient mes délectations et mes voluptés. C’est pourquoi aussi le diable s’émeut en mon âme contre ma volonté, et ma conscience entend et ressent que le jugement de Dieu est juste.

Mes mains sont comme une massue longue, d’autant que je n’ai pas gardé les commandements de Dieu ; et par la même raison, mes mains me servent à la pesanteur et non à l’usage.Mon col tourne comme un bois au tour et qui est taillé avec un ciseau, et c’est parce que les paroles divines n’ont point été à goût à mon cœur, mais lui étaient amères, d’autant qu’elles reprenaient ses délectations et ses voluptés : c’est pourquoi un fer aigu est toujours fiché à mon gosier.

Mes lèvres sont coupées, d’autant qu’elles étaient promptes à parler de la vanité et superbe et de la cajolerie, mais grandement lâches à parler de Dieu. Ma joue paraît tremblante et les dents me grincent, d’autant que je donnais de la viande à mon corps, afin que je parusse belle, désirable, saine et forte à toutes les délices du corps ; et mes dents sont en continuel grincement, d’autant que tout leur ouvrage a été inutile pour le bien de l’âme. Mes narines sont coupées, d’autant que même vous punissez de telle peine ceux qui sont atteints des crimes dont celui-ci est atteint, afin qu’il ait de la honte, et moi, j’en ai la confusion éternelle !

Quant à ce que les yeux sont pendus par deux nerfs jusques aux joues, cela est juste, car comme les yeux se plaisaient en la beauté des joues par ostentation de superbe, de même maintenant ils sont arrachés par trop pleurer, et pour confusion, pendant aux joues. Justement aussi mon front est avalé, et à sa place sont des ténèbres palpables, d’autant que j’ai couvert mon front du voile de superbe, et j’ai voulu me glorifier et paraître belle ; mon front est maintenant obscur et difforme ; mais d’autant que le cerveau bout et s’écoule, comme le plomb s’émeut et est flexible selon la volonté, qui était en mon cerveau, allait selon les mouvements de mon cœur, bien que je susse fort bien ce qu’il fallait faire.

Mais même la passion du Fils de Dieu n’était point gravée dans mon cœur, mais s’enfuyait et s’en écoulait comme chose que je savais bien, et m’en souciais bien peu. D’ailleurs, j’étais autant attentive au sang qui coulait des membres du Fils de Dieu qu’à la poix, et je fuyais les paroles de charité comme de la poix, de peur qu’elles ne me détournassent des délices corporelles, et qu’elle ne me troublassent quand j’en jouissais. Quelquefois néanmoins, j’entendaiss la parole de Dieu pour le respect des hommes, mais elle sortait avec la même facilité de mon cœur qu’elle y était entrée. C’est pourquoi aussi mon cerveau s’écoule comme une poix ardente. Mes oreilles sont aussi bouchées avec des pierres fort dures, d’autant que les paroles de superbe entraient en elles avec joie, et de là s’écoulaient doucement Dans mon cœur. Et d’autant que j’ai fait toutes choses pour l’amour du monde et pour la vanité, mes oreilles n’entendront jamais les concerts et les agréables mélodies.

Mais vous me pourriez demander si je n’ai fait aucune bonne œuvre. Je vous réponds : J’ai fait comme celui qui rogne la monnaie et la rend à son maître, car je jeûnais, je faisais des aumônes et d’autres bonne œuvres, mais tout cela par crainte de l’enfer et pour éviter les douleurs corporelles. Mais d’autant que la charité n’était point en mes œuvres, elles ne m’ont point servi pour obtenir le ciel ; elles n’ont pas été pourtant sans récompense.

Vous pourriez encore vous enquérir quelle je suis intérieurement en ma volonté, puisque je suis difforme au-dedans. Je vous réponds : Ma volonté est comme l’homicide et le parricide : de même je désire toute sorte de maux à mon Créateur, qui m’a été néanmoins très-bon et très-doux.

Après, la nièce morte de la susdite bisaïeule, morte aussi, parla à la mère qui vivait encore : Oyez, ô scorpion, ma mère ! Malheur à moi, d’autant que vous m’avez déçue, car vous m’avez montré un visage doux, mais vous m’avez cruellement percé le cœur. Vous m’avez donné trois mauvais conseils ; j’ai appris trois autres choses de vos actions, et vous m’avez montré trois voies en votre procédé. Le premier conseil a été d’aimer charnellement pour obtenir les amitiés charnelles ; le deuxième, de dépenser prodigalement les biens pour l’honneur du monde ; le troisième, d’avoir le repos pour les plaisirs de la chair. Certainement, ces conseils m’ont été grandement dommageables, car d’autant que j’ai aimé charnellement, j’ai maintenant la honte et l’envie spirituelle ; et parce que j’ai prodigalement dépensé les biens, je suis privée des dons de Dieu en la vie, et après la mort, j’ai été remplie de confusion ; et d’autant que je me plaisais aux délices charnelles, à l’heure de la mort, les ingratitudes et les chagrins de l’esprit me saisirent sans considération aucune.

J’ai aussi appris trois choses de vos œuvres, savoir :1-d’en faire quelques bonnes sans quitter le péché qui me plaisait, comme celui qui, mêlant le venin avec le miel, n’offrait que du venin au juge qui, étant justement irrité, l’épandit sur celui qui le lui offrait ; de même j’expérimente le même avec beaucoup de douleur et de tribulation ; 2-une façon et mode admirable de m’habiller, savoir des souliers mignons à mes pieds, des gants façonnés à mes mains, montrer ma gorge toute nue.

Ce linge délié marquait l’éclat de mon corps, qui a tellement offusqué l’éclat de mon âme que je ne me souciai de sa beauté. Mes souliers ou sandales, découverts au-dessus, signifiaient ma foi sans les œuvres, qui ont laissé mon âme toute nue. Les gants aux mains signifiaient la vaine espérance que j’ai eue, car j’appuyais mes espérances en mes œuvres, dont j’attendais miséricorde, sans que j’aie jamais considéré la justice divine, ni n’ai point ressenti sa fureur, ce qui me donna le libertinage au péché. Mais quand la mort s’approchait, mon linge tomba de mes yeux sur terre, c’est-à-dire, sur mon cœur, lors l’âme se connut et se vit toute nue, voyant que mes péchés étaient grands et mes œuvres fort petites, et j’en avais tant de honte et de confusion que je ne pus entrer dans le palais du Roi des cieux. Or, lors les démons me trouvèrent, et me donnèrent de grandes peines et douleurs, où j’étais moquée avec confusions insupportables.

La troisième que j’appris de vous, ma Mère, c’est de revêtir le serviteur des habillements du maître, et le maître, des habillements du serviteur. Ce maître est l’amour de Dieu ; le serviteur est la volonté de pécher. Partant, la charité devant régner dans mon cœur, j’ai posé la volonté de pécher, laquelle j’ai lors revêtue des vêtements du Seigneur, quand je me suis servie des créatures pour l’assouvissement de mes voluptés, et j’ai donné au Seigneur quelques restes, et encore iceux par crainte et non par amour. Mon cœur donc se réjouissait du succès de mes voluptés, d’autant que le Seigneur en était chassé et banni, et le serviteur bien reçu et caressé.

J’ai appris de vous ces trois choses. Vous m’avez aussi montré trois voies en votre démarche : la première était éclatante, en laquelle étant entrée, je fus aveuglée de sa splendeur. La deuxième fut courte, et labile comme la glace, en laquelle je tombais pas à pas. La troisième était trop longue, et quand j’y marchais, un torrent impétueux m’emporta sur une montagne en une fosse profonde qui était là.

En la première voie est marqué le progrès de ma superbe, qui fut trop brillante, car l’ostentation, fille de la superbe, donna tant d’éclat à mes yeux que je ne considérai point la fin, et partant, je fus aveugle.

En la deuxième voie est marquée la rébellion.

Le temps de rébellion n’est pas long en cette vie, car après la mort, l’homme est contraint d’obéir. En vérité, il m’a été fort long, car quand je passai par un pas, c’est-à-dire, par l’humilité de la confession, soudain je retombai à mes péchés ; c’est pourquoi je n’ai point été constante en l’obéissance, mais je tombais soudain dans mes péchés comme celui qui chemine sur la glace. Ma volonté était froide, d’autant que je ne quittais les délectations du péché, de sorte que quand j’avançais un pas à la confession, confessant mes péchés, je retombais en un autre pas, d’autant que je voulais le péché et je me plaisais à me confesser souvent.

La troisième voie fut que je m’attendais à pouvoir pécher sans avoir une grande peine, pouvoir vivre longtemps et ne m’approcher point de l’heure de la mort. Et ayant avancé chemin par cette voie, un torrent impétueux, savoir, la mort, qui donne à un autre, m’enleva et me chargea de peines, renversant mes pieds. Or, quels sont ces pieds, si ce n’est que, les infirmités m’accablant, je ne pouvais avoir soin des utilités de mon corps, et moins de celles de l’âme ? C’est pourquoi je tombai en une profonde fosse, quand le cœur, qui était haut et superbe, endurci dans le péché, creva, et l’âme tomba en la fosse de la peine du péché. Et partant, cette voie a été trop longue commençait. Malheur donc à moi, ô ma mère ! car tout ce que j’appris de vous avec joie, je le pleure maintenant avec amertume !

D’ailleurs, cette fille morte parlait encore à l’épouse, qui voyait ceci : Oyez, vous qui me voyez. Il vous semble que ma tête et ma face sont comme un tonnerre qui fulmine au-dedans, et mon col est mis comme dans une presse garnie de clous. Mes bras et mes pieds sont comme des serpents très-longs ; mes jambes et mes cuisses sont comme deux canaux d’eau coulants du toit tout glacés. Mais encore une peine m’est la plus amère de toutes : car comme si une personne avait tous les canaux des esprits vitaux bouchés, et comme si toutes les veines pleines de vent se serraient dans le cœur et crèveraient à raison de la violence du vent, de même je suis disposée au-dedans misérablement, à raison du vent de la superbe qui m’a été très-agréable. Néanmoins, je suis en la voie de la miséricorde, car lorsque j’étais accablée d’infirmités, je les louai le mieux qu’il me fut possible, mais néanmoins avec un esprit de crainte.

Mais la mort s’approchant, la considération de la passion de Jésus-Christ me vint en l’esprit, savoir, qu’elle était beaucoup plus douloureuse que la douleur que je méritais à raison de mes fautes, et par une telle considération, j’ai obtenu les larmes, gémissant, voyant que Dieu m’avait tant aimée, et que je l’avais aimé si peu ; car lors je le regardai des yeux de l’esprit et lui dis : O Seigneur, je crois que vous êtes mon Dieu. Ayez miséricorde de moi, ô Fils de la Vierge, pour l’amour de votre amère passion. J’amenderais maintenant ma vie, si j’en avais le temps. Et en ce point-là, je fus soudain allumée d’une scintille de charité en mon cœur, de sorte que la passion de Jésus me semblait plus amère que ma mort. Et lors mon cœur creva, et mon âme vint ès mains des démons, pour être présentées au jugement de Dieu, car il était indigne que les anges d’un grand éclat et d’une grande beauté portassent une âme si difforme.

Or, au jugement de Dieu, les démons criant que mon âme fût condamnée à l’enfer, le Juge répondit : Je vois une scintille de charité en son cœur, qui ne doit être éteinte, mais qui doit être devant moi, et partant, je juge l’âme à être purifiée jusques à ce qu’étant dignement purifiée, elle mérite de me posséder.

Vous pourriez encore vous enquérir si je serai participante de tous les biens qu’on fait pour moi. Je vous réponds par similitude : car comme si vous voyiez une balance, et s’il y avait en l’un des bassins du plomb qui l’abaissât, en l’autre une chose légère qui l’enlevât en haut, plus on la chargerait, voire emporterait le poids du plomb : de même en est-il de moi, car d’autant plus ai-je hanté le péché, d’autant plus suis-je descendue en peine. Et partant, tout ce qu’on fait à l’honneur de Dieu pour moi, cela m’enlève de la peine, et spécialement l’oraison, et les biens que font les hommes justes et amis de Dieu et les charités qu’on fait des biens bien acquis. Telles choses m’approchent de Dieu de jour en jour.

Après cela, la Mère de Dieu parla à l’épouse : Vous admirez comment moi, qui suis Reine du ciel, et vous, qui vivez au monde, et cette âme, qui est en purgatoire, et l’autre en enfer, parlent ensemble. Je vous dirai cela. Je ne me retire jamais du ciel, d’autant que je ne serai jamais séparée de la vision de Dieu, ni l’âme qui est en enfer ne sera jamais séparée des peines, ni l’autre du purgatoire, qu’elle ne soit entièrement purifiée, ni vous ne viendrez à nous avant la séparation du corps ; mais votre âme et votre intelligence sont élevées dans le ciel, pour y entendre les paroles de Dieu, et il vous est permis de faire savoir quelques peines de l’enfer et du purgatoire aux mauvais, afin qu’ils prennent garde à eux et aux bons, pour consolation et avancement. Or, sachez que votre corps et votre âme sont unis en terre, et le Saint-Esprit vous donne l’intelligence, afin que vous connaissiez ses saintes volontés.

DÉCLARATION

Il est parlé en ce chapitre de trois femmes, l’une desquelles entra dans un monastère, faisant pénitence tout le temps de sa vie avec grande perfection.

CHAPITRE 53

Notre-Seigneur reprend la superbe des prélats, etc. Ils doivent corriger leurs sujets, de peur qu’à l’exemple d’Héli, ils ne soient damnés.

Le Fils de Dieu parle à son épouse, lui disant : C’est une grande chose, voire c’est un monstre horrible que là où le Roi de gloire s’est humilié, là l’homme obligé à rendre compte, s’enorgueillisse, car si quelqu’un est supérieur aux autres, il ne doit s’enorgueillir d’être prélat, mais plutôt craindre, car tous sont égaux en nature et toute puissance est de Dieu. En vérité, si celui que Dieu fait supérieur est bon, il profite à son salut et à celui des autres ; s’il est mauvais, c’est la permission de Dieu, pour la correction des sujets et à sa plus grande condamnation, ni n’est point de merveille, mais digne et juste, que l’homme qui a négligé de se soumettre à son Créateur, expérimente la domination de l’inférieur et ses conseils.

Donc, quand quelqu’un est contraint d’être supérieur ou désire l’être, qu’il se montre tel à ses sujets, qu’il soir désirable à raison de ses mœurs et de sa bonne vie, utile en la justice et équité. Enfin de sa nature, celui qui est prélat doit s’humilier et ses mesurer par sa propre mesure, afin qu’il ne s’élève par-dessus soi-même, et qu’il apprenne en soi d’avoir compassion des autres. Qu’il craigne aussi que, de la même mesure qu’il mesure les autres, on ne le mesure (Matt.4.Luc. 16.), car moi, Dieu et homme, je me suis tellement tempéré que, bien que je connusse les défauts des hommes par ma science infaillible, je les ai voulu connaître par les peines, par les croix, en les expérimentant ; et enfin, pour me donner en exemple à eux, j’ai commencé plutôt par faire que par commander et enseigner ; j’ai voulu servir, et non être servi. De même en a fait ma très-chère Mère, car bien qu’elle fût maîtresse des apôtres, elle a été la plus humble de tous, et elle a été quasi un des moindres : c’est pourquoi aussi elle a monté à la souveraine félicité.

Que le prélat donc apprenne en ses propres infirmités à supporter les défauts des sujets, et qu’il prenne garde qu’il ne donne sujet ou occasion aux autres de péché et de ruine par ses paroles et ses exemples, en abusant de sa puissance, car il n’y a rien qui provoque tant l’ire de Dieu, attire, entraîne même les hommes à pécher, que la lasciveté des prélats, car si Héli, le grand-prêtre, fût demeuré en la vigueur du sacerdoce et eût aimé ses enfants spirituellement, comme jadis Phinées et Moïse, toute sa génération eût été sauvée ; mais d’autant qu’il voulut plaire charnellement à ses enfants, il laissa sa mémoire en tribulation et sa postérité en confusion.

CHAPITRE 54

Jésus-Christ dit que le monde était comme une solitude, et il a illuminé le monde et a montré le chemin du ciel. Il a envoyé ce livre ; ceux qui le recevront et le garderont par œuvre, seront sauvés.

La Sainte Vierge Marie parle à sa fille, disant : Béni soyez-vous, ô mon Fils ! Vous êtes le principe, sans principe du temps, et puissance sans laquelle nul n’est puissant. Je vous en prie, mon Fils, achevez puissamment ce que vous avez sagement commencé. Le Fils répondit : Vous êtes comme un boisson douce à celui qui a soif, et comme une fontaine arrosant les choses arides, d’autant que, par vous, tout grâce fleurit. C’est pourquoi je ferai ce que vous demandez.

Le Fils parle encore : Le monde, avant mon incarnation, était comme une solitude en laquelle il y avait un puits dont l’eau était fort trouble et immonde. Tous ceux qui en buvaient avaient plus de soif, et ceux qui avaient mal aux yeux s’en trouvaient pis. Auprès de ce puits, il y avait deux hommes, l’un desquels criait, disant : Buvez en assurance, car le médecin est venu qui ôtera toutes les langueurs. L’autre disait : Buvez joyeusement. Il est vain et inutile de désirer ce qui est incertain.

Sept voies conduisaient à ce puits, c’est pourquoi ce puits était désiré de tous. Ce monde est semblable à la solitude, où sont les bêtes, les arbres infructueux et les eaux immondes ; car l’homme désirait comme une bête épandre le sang de son prochain ; il était infructueux ès œuvres de justice, et immonde par l’incontinence et cupidité. Les hommes cherchaient un puits trouble en cette solitude, qui était l’amour du monde, et son honneur, qui est haut en orgueil, trouble en la sollicitude et soin de la chair, et par les sept péchés capitaux. L’entrée était ouverte à ce puits. Les deux hommes qui étaient auprès du puits sont les docteurs des Gentils et des Juifs, car les docteurs des Juifs étaient orgueilleux de leur loi qu’ils avaient et qu’ils n’observaient pas ; et d’autant qu’ils étaient infatigables en leur cupidité, ils incitaient le peuple à chercher les richesses temporelles, disant : Vivez assurément, car le Messie viendra, et il restituera toutes choses. Les docteurs des Gentils disaient : Usons des créatures que vous voyez, d’autant que le monde fut créé pour nous réjouir.

L’homme demeurant ainsi plongé en son aveuglement, et ne considérant pas la grandeur divine ni les choses futures, lors moi, un avec le Père et le Saint-Esprit, suis venu au monde, et m’étant revêtu de l’humanité, je prêchai, disant que ce que Dieu avait promis et que Moïse avait écrit, était accompli. Aimez donc les choses célestes, car les choses mondaines passent, et je donnerai les choses célestes.

J’ai aussi montré sept voies par lesquelles l’homme se retire de la vanité, car j’ai montré la pauvreté et l’obéissance ; j’ai enseigné les jeûnes et l’oraison ; je fuyais quelquefois les hommes et demeurais seul en prière. J’ai embrassé les opprobres ; j’ai choisi les douleurs et les labeurs ; j’ai soutenu les peines et la mort ignominieuse.

Or, j’ai montré par moi-même cette voie par laquelle mes amis marcheraient dès longtemps ; mais maintenant cette voie est ruinée. Les gardiens dorment, les passants se plaisent aux vanités et nouveautés, c’est pourquoi je me lèverai et ne me tairai pas. J’ôterai la voix de la joie, et je louerai ma vigne à d’autres, qui rendront les fruits en son temps. En vérité, selon la commune maxime, entre les ennemis se trouvent des amis : partant, j’enverrai à mes amis mes paroles plus douces que le miel, plus précieuses que l’or, et ceux qui les auront et les garderont, auront un trésor qui ne s’épuise jamais et qui s’augmente jusqu’à la vie éternelle.

CHAPITRE 55

La Mère de Dieu explique en ce chapitre de grandes choses touchant sa Conception.

Pour le jour de la Conception de la Vierge Marie.

La Mère de Dieu dit : Quand mon père et ma mère s’unirent par le lien du mariage, l’obéissance eut plus de pouvoir que la volonté ; plus opéra là la charité divine que la volupté charnelle, car l’heure en laquelle je fus conçue se peut bien appeler heure dorée et précieuse, d’autant que les autres mariés s’unissent par volupté charnelle, et mes parents s’unirent par obéissance et par le commandement divin.

Donc, ma conception a été à bon droit dorée, car lors le principe de salut prit en quelque manière quelque commencement, et les ténèbres s’allaient rendre à la lumière, car Dieu a voulu faire en son œuvre une chose rare et signalée, qui a été cachée aux siècles, comme il fit jadis en la verge fleurissante. Mais sachez que ma conception n’a pas été connue de tous, car Dieu a voulu que, comme devant la loi écrite, la loi naturelle procédât, et le choix libre du bien et du mal, et qu’après, la loi écrite vînt, qui retiendrait le frein à tous les mouvements effrénés, de même il a plu à Dieu que ses amis aient douté pieusement de ma conception, afin qu’un chacun montrât son zèle jusqu’à ce que la vérité parût au temps que la sagesse avait ordonné.

CHAPITRE 56

La Sainte Vierge montre que sa Nativité est la porte des vraies joies, etc. Elle se plaint des femmes qui ne considèrent cela avec dévotion.

Pour le jour de la Nativité.

La Sainte Vierge Marie parle : Quand ma mère m’engendra, je sortis par la porte commune, car aucun ne doit naître par autre manière, excepté Jésus-Christ, qui, étant le Créateur de tout le monde, a voulu aussi naître admirablement et d’une manière tout ineffable. Mais quand je fus née, les diables le surent et pensèrent en eux-mêmes : Voici qu’une Vierge est née, qu’est-ce que nous ferons, car il arrivera en elle quelque chose de grand ? Si nous lui appliquons tous les rets des finesses de notre malice, elle les rompra comme des étoupes. Si nous regardons son intérieur, nous la trouverons grandement munie, ni on ne trouve en elle aucune tache où on puisse mettre la pointe du péché : C’est pourquoi il est à craindre que sa pureté nous donnera de la peine, sa grâce dissipera toute notre force, sa constance nous foulera à ses pieds.

Or, les amis de Dieu, qui attendaient depuis longtemps, disaient, Dieu les inspirant : Pourquoi nous affligerons-nous davantage ? Il nous faut plutôt réjouir, car la lumière qui illuminera nos ténèbres est née ; nous désirs sont accomplis. Les anges se réjouirent aussi, bien que leur joie soit toujours en la vision divine, disant : Quelque chose de désirable est né en la terre, et c’est une merveille d’amour par laquelle la paix du ciel et de la terre sera affermie, et nos ruines seront réparées.

De vrai, ma fille, je vous dis que ma naissance fut le commencement des joies, car lors apparut cette verge d’où est éclose la fleur que les rois et les prophètes désiraient voir. Après que j’ai été plus âgée et que j’ai pu comprendre mon Créateur, j’ai été intimement touchée d’un amour indicible, et je désirais Dieu de tout mon cœur. J’ai été aussi conservée d’une grâce admirable, en sorte qu’en mes jeunes et tendres années, je ne consentais pas au péché, d’autant que l’amour de Dieu, le soin des parents, la nourriture et honnête éducation, la conservation des faveurs et la ferveur de connaître éminemment Dieu, persévéraient en moi.

Or, maintenant je me plains que les femmes qui sont engendrées et engendrent avec horreur, naissant avec immondices, se délectent en icelles, et ne considèrent point la pureté de ma naissance, mais sont pires que les juments, d’autant qu’elles vivent sans raison ; elles vivent de vrai selon la chair : c’est pourquoi leur volupté passera ; l’esprit de pureté se retira ; les joies éternelles s’enfuiront d’elles ; l’esprit d’impureté qu’elles suivent les enivrera.

CHAPITRE 57

La Vierge Marie dit à sainte Brigitte pourquoi elle se purifia, etc. et elle parle aussi du glaive qui transperça son cœur.

Pour le jour de la Purification.

La Sainte Vierge Marie dit à l’épouse de son Fils : Ma fille, sachez que je n’avais point besoin de purification comme les autres femmes, car mon Fils, qui est né de moi, m’avait purifiée, et je n’avais pas contracté une des plus petites taches, lorsque j’engendrai mon Fils, qui est la pureté même. Mais néanmoins, afin que la loi et les prophètes fussent accomplis, j’ai voulu vivre en la loi, ni je ne vivais pas selon les apparents du siècle, mais je conversais humblement avec les humbles. Je n’ai voulu avoir en moi quelque chose de particulier, tant j’aimais tout ce qui touchait l’humilité !

Un jour, comme aujourd’hui, ma douleur prit accroissement, car bien que je susse par l’inspiration divine que mon Fils pâtirait, néanmoins, lorsque Siméon dit qu’il me serait le glaive de douleur et qu’il me serait le signe que l’on contredirait, cette douleur perça mon cœur avec plus d’amertume, douleur, certes, qui ne se retira jamais de mon cœur, jusqu'à ce qu’en corps et en âme je montai au ciel, bien qu’il fût tempéré par les consolations du Saint-Esprit. Je veux que vous sachiez que, ce jour-là, ma douleur fut en six manières :

1 - En ma connaissance, car autant de fois que je le regardai, que je l’emmaillotai, que je voyais ses mains et ses pieds, tout autant de fois mon esprit était comme plongé en une nouvelle douleur, car je pensais comment on le crucifierait.

2 - En mon ouïe, car tout autant de fois que j’entendais les opprobres qu’on vomissait contre mon Fils, les mensonges et les embûches, mon esprit était comme emporté par la douleur, de sorte qu’à grand peine il se pouvait tenir ; mais la vertu divine donna la manière et l’honnêteté, afin qu’on ne remarquât en moi rien d’imparfait.

3 - En la vue, car quand je vis qu’on fouettait mon Fils, qu’on le clouait, qu’on le pendait en un gibet, je tombai comme morte ; mais prenant courage, je demeurai auprès, debout et souffrant tout cela si patiemment que mes ennemis ni autres ne trouvaient en moi que douleur.

4 - En l’attouchement, car moi et les autres descendîmes mon Fils de la croix ; je l’enveloppai et le mis dans le sépulcre, et de la sorte, ma douleur augmentait tellement qu’à peine mes mains et mes pieds avaient-ils la force de me soutenir. Oh ! que volontiers j’eusse voulu alors être ensevelie avec mon Fils !

5 - Je souffrais à raison du désir véhément que j’avais d’aller au ciel, après que mon Fils y fut monté, car la longue demeure que je fis en terre après son départ augmentait grandement ma douleur.

6 - Je souffrais de la tribulation des apôtres et des amis de Dieu, la douleur desquels était ma douleur, craignant toujours qu’ils ne succombassent aux tentations et tribulations, et dolente, d’autant que les paroles de mon Fils étaient contrariées par tout. Or, bien que la grâce de Dieu persévérât toujours avec moi et que ma volonté fût selon la sienne, néanmoins ma douleur fut continuelle, mêlée avec la consolation, jusqu’à ce que je fusse au ciel, en corps et en âme auprès de mon Fils. Partant, ô ma fille, que cette douleur ne se retire jamais de votre cœur, car sans les tribulations, peu de gens seraient sauvés.

CHAPITRE 58

La Sainte Vierge parle à sainte Brigitte des douleurs qu’elle eut quand il fallut fuir en Égypte.

La Sainte Vierge Marie parle à l’épouse de son Fils, disant : Je vous ai parlé de mes douleurs ; mais la douleur que j’avais quand il fallut fuir en Égypte avec mon Fils ne fut pas des moindres, ni quand j’ouïs qu’on tuait les enfants innocents, qu’Hérode poursuivait mon Fils ; et bien que je susse ce qui était écrit de mon Fils, néanmoins mon cœur, à raison de la grandeur de l’amour que j’avais envers mon Fils, était rempli de douleur et d’amertume. Or, maintenant, vous me pourriez demander qu’est-ce que fit mon Fils tout ce temps-là avant sa passion. Je réponds comme l’Évangile : Il était soumis à ses parents, et il se gouverna comme les autres enfants, jusqu’à ce qu’il fût arrivé à un grand âge.

Il fit des merveilles en sa jeunesse, montrant comment les créatures servaient leur Créateur. Comment les idoles se turent et comment plusieurs idoles tombèrent à son arrivée en Égypte ; comment les Mages prédirent que mon Fils serait le signe de grandes choses futures ; comment aussi le ministère des anges apparut ; comment il n’apparut jamais en son corps ni en ses cheveux aucune immondice, il n’est pas besoin que vous sachiez toutes ces choses, puisqu’en l’Évangile, il y a des signes de la Divinité et humanité qui peuvent édifier vous et les autres.

Or, quand il eut atteint un plus grand âge, il était continuellement en la prière et obéissance. Il monta avec nous aux fêtes ordonnées en Jérusalem et en autres lieux ; sa vue et sa parole étaient agréables et admirables, de sorte que plusieurs qui étaient affligés disaient : Allons voir le Fils de Marie, afin que nous soyons consolés. Et augmentant en âge et sagesse dont il était plein dès le commencement, il travaillait de ses mains tout ce en quoi décence n’était point lésée ; il nous parlait, nous disait en particulier des paroles de consolation et des discours de Dieu, de sorte que nous étions remplis continuellement de joies indicibles. Mais quand les craintes de la pauvreté nous assaillaient, il ne nous faisait point de l’or ni de l’argent, mais il nous exhortait à la patience, et il nous défendit et nous protégea des envieux. Quant aux nécessités, les gens de bien et notre propre travail nous y aidaient, de sorte que nous étions seulement secourus pour la seule nécessité sans superfluité aucune, car nous ne cherchions qu’à servir Dieu. Après cela, il conférait familièrement en la maison avec ceux qui venaient voir pour les difficultés de la loi et signification des figures, et disputait publiquement quelquefois avec les sages, de sorte qu’ils admiraient et disaient : Voici que le fils de Joseph enseigne les maîtres : quelque grand esprit parle en lui.

Un jour, j’étais plongée en la considération de sa passion ; j’en étais saisie de tristesse. Il dit : Ne croyez-vous pas, ma Mère, que je suis en mon Père et que mon Père est en moi ? Quoi ! avez-vous été polluée en mon entrée et en ma sortie ? avez-vous été triste ? Pourquoi donc vous affligez-vous ? car la volonté de mon Père veut que je souffre la mort, voire ma volonté est telle avec celle de mon Père. Ce que j’ai de mon Père ne peut pas pâtir, mais bien la chair que j’aie reçue de vous, afin que la chair d’autrui soit rachetée et que l’esprit soit sauvé. Il était aussi si obéissant que quand Joseph lui disait quelquefois sans y penser : Faites cela ou cela, il le faisait, et de la sorte, il cachait la puissance de sa Divinité, que Joseph et moi étions seuls à connaître, d’autant que nous l’avons vu souvent entouré d’une lumière admirable, et avons ouï les voix et concerts des anges qui chantaient sur lui. Nous avons aussi vu les esprits immondes qui n’avaient pu être chassés par les exorcistes approuvés en notre loi, sortir à la vue de mon Fils.Que ces choses soient continuellement en votre mémoire, et remerciez Dieu d’avoir voulu manifester par vous son enfance.

CHAPITRE 59

La Sainte Vierge raconte à sainte Brigitte ce qui arriva en la visitation de sainte Élisabeth, etc.

La Mère de Dieu dit à sainte Brigitte : Quand l’ange m’annonçait que le Fils de Dieu naîtrait de moi, soudain que j’eus consenti, je ressentis en moi quelque chose d’admirable et d’inaccoutumé ; et partant, admirant cela, soudain je montai, afin de la consoler, à sainte Élisabeth, ma cousine, qui était enceinte, et pour parler avec elle de ce que l’ange m’avait dit ; mais m’étant venue au-devant auprès d’une fontaine, et nous étant baissées et embrassées, son enfant se réjouit en son ventre d’une manière admirable. Je fus alors touchée en mon cœur d’un nouveau ressentiment de joie, de sorte que ma langue proférait des paroles de Dieu incompréhensibles, et à grand peine mon âme les comprenait-elle, tant elle était dans les ressentiments de la joie !

Or, Élisabeth admirant la ferveur de l’Esprit qui parlait en moi, et moi admirant semblablement en elle la grâce de Dieu, nous demeurâmes quelques jours ensemble, bénissant Dieu. Après cela, une pensée commença à solliciter mon esprit avec quelle dévotion et comment je me devais gouverner après avoir reçu une si grande grâce ; qu’est-ce que je devais répondre à ceux qui me demanderaient comment j’aurais conçu, ou qui était le père de l’enfant qui devait naître, ou que dirais-je à Joseph, si l’ennemi le tentait et entrait en soupçon de moi.

Pendant que ces pensées roulaient en mon esprit, un ange, semblable à celui qui m’était apparu auparavant, me dit : Notre Dieu, qui est éternel, est avec vous et en vous : ne craignez donc, car lui vous donnera la grâce de parler ; il dirigera vos pas et vos lieux ; il accomplira son œuvre avec vous puissamment et sagement. Or, Joseph, à qui vous êtes recommandée, s’étonnera quand il apprendra que vous êtes enceinte, et se réputera indigne d’habiter avec vous.

Et comme Joseph était en anxiété et ne savait ce qu’il fallait faire, l’ange lui dis dans son sommeil : Ne vous retirez pas de la Vierge qui vous est recommandée, car comme vous l’avez ouï d’elle, ainsi est-il, car elle a conçu de l’Esprit de Dieu, et elle enfantera un Fils qui sera le Sauveur du monde. Servez-la donc fidèlement, et soyez témoin et gardien de sa pudeur.

Depuis ce jour-là, Joseph me servit comme sa maîtresse, et moi je m’humiliai aux plus petites de ses œuvres. Après, j’étais en continuelle oraison, étant rarement vue, voyant rarement, et sortant très-rarement, si ce n’était aux fêtes principales. J’étais fort attentive aux vigiles et leçons que nos prêtres disaient, ayant quelque temps destiné aux œuvres manuelles. Je fus discrète au jeûne, selon qui ma nature le pouvait supporter pour le service de Dieu. Tout ce que nous avions de superflu, nous le donnions aux pauvres, contents de ce que nous avions.

Mais Joseph me servit si fidèlement qu’on n’ouït jamais de sa bouche une parole de cajolerie murmure, jamais courroux, car il était très patient en la pauvreté, soigneux en son labeur où il était nécessaire, doux à ceux qu’il reprenait, obéissant à mon service, prompt défenseur de ma virginité, très fidèle témoin des merveilles de Dieu. Il était aussi tellement mort au monde et à la chair qu’il ne désirait que les choses célestes. Il était aussi si croyant aux promesses de Dieu qu’il disait incessamment : Plût à Dieu que je vive, et que je vive, et que je voie les volontés de Dieu accomplies ! car rarement venait-il aux assemblées des hommes et a leurs conseils, car tout son désir fut d’obéir aux volontés divines, c’est pourquoi sa gloire est maintenant grande.

CHAPITRE 60

La Mère de Dieu dit à l’épouse de son Fils que saint Jérôme ne douta point de son assomption au ciel, etc.

La Mère de Dieu parla à sainte Brigitte : Que vous a dit ce docteur, inventeur de paroles, que l’épître de saint Jérôme qui parle de mon assomption ne doit être lue en l’Église de Dieu, d’autant qu’il lui semble que saint Jérôme douta de mon assomption au ciel, d’autant qu’il dit qu’il ne sait pas si je suis montée au ciel en corps et en âme, ou par qui j’ai été portée, moi, Mère de Dieu ?

Je réponds à ce docteur et dis que saint Jérôme ne douta point de mon assomption ; mais d’autant que Dieu ne lui avait point déclaré ouvertement la vérité, il voulut plutôt en douter pieusement que la définir, Dieu ne l’ayant point montrée. Mais souvenez-vous, ma fille, de ce que je vous ai dit ci-dessus, que saint Jérôme aimait les veuves, imitateur des moines parfaits, asserteur et défenseur de la vérité, qui vous a aussi mérité l’oraison avec laquelle vous me saluez. Partant, j’ajoute maintenant que saint Jérôme fut une trompette fléchissante par laquelle parlait le Saint-Esprit, et la flamme embrassée de ce feu qui vint sur moi et sur les apôtres le jour de la Pentecôte. Heureux donc sont ceux qui oient cette trompette et la suivent !

CHAPITRE 61

La Mère de Dieu montre en ce chapitre pourquoi elle vécut longtemps après l’ascension de son Fils.

La Mère de Dieu parle, disant : Souvenez-vous, ma fille, que quatre fois j’excusai saint Jérôme discourant de mon assomption. Or, maintenant, je vous montrerai la vérité de mon assomption.

J’ai vécu longtemps après l’ascension de mon Fils, et Dieu l’a voulu, afin que les âmes fussent converties à Dieu, ayant vu ma patience invisible et le règlement de mes mœurs, que mes apôtres et mes élus fussent affermis. Et de fait aussi, la naturelle disposition de mon corps requérait que je vécusse durement, afin que ma couronne fût augmentée, car tout le temps que j’ai vécu après l’ascension de mon Fils, j’ai visité les lieux où il a pâti et où il a manifesté ses merveilles, aussi sa passion était empreinte dans mon cœur.

Mes sens aussi étaient abstraits et retirés de ce qui est du monde, d’autant que j’étais incessamment enflammée de nouveaux désirs, et réciproquement exercée par des douleurs ; mais néanmoins, ma douleur et ma joie étaient si tempérées que je n’omettais rien de ce qui touchait le service de Dieu. Je conversais aussi parmi les hommes, et je prenais bien peu de ce qui plaisait aux hommes. Mais d’autant que mon assomption n’a été connue à plusieurs et prêchée de par Dieu, qui est mon Fils, il l’a voulu de la sorte, afin que la foi de son ascension fût enracinée dans les cœurs des hommes, car les hommes étaient endurcis en la créance de son ascension, combien plus si mon assomption eût été prêchée dès le commencement!

CHAPITRE 62

La Sainte Vierge narre à sainte Brigitte l’annonciation que l’ange lui fit de sa mort, et ce qui advint après.

La Mère de Dieu parle, disant : Un jour, après que quelques années se furent écoulées de l’ascension de mon Fils, je m’affligeais beaucoup à raison du désir que j’avais d’arriver dans le ciel pour voir mon Fils. Je vis un ange reluisant, comme je l’avais vu auparavant, qui me dit : Votre Fils, qui est Dieu et notre Seigneur, m’envoie pour vous annoncer que le temps est arrivé où vous devez venir corporellement à votre Fils, pour recevoir la couronne qui vous est préparée.

Je lui répondis : connaissez-vous le jour et l’heure où je dois m’en aller de ce monde en l’autre ?

Et l’ange répondit : Les amis de votre Fils enseveliront votre corps.

Ces choses étant dites, l’ange disparut, et moi, je me préparai à l’issue, visitant tous les lieux, à mon accoutumée, où mon Fils avait souffert. Un jour, mon esprit étant suspens en l’admiration de la divine charité, lors mon âme fut remplie, en cette contemplation, de tant de plaisirs, qu’à grand peine mon âme les pouvait soutenir, et en cette contemplation et joie, mon âme fut séparée de mon corps. Mais hélas ! que de choses magnifiques mon âme vit alors, et de quel honneur le Père, le Fils et le Saint-Esprit l’accueillirent, et de quelle multitude d’anges elle fut élevée, vous ne le pouvez comprendre, et moi, je ne le puis exprimer, sans que votre âme soit aussi séparée de votre corps, bien que je vous en aie montré quelque chose en cette oraison que mon Fils vous a inspirée.

Or, ceux qui étaient lors avec moi en la maison quand je rendis l’esprit, comprirent fort bien, par la lumière non accoutumée, quelles choses divines agissaient lors en moi. Après cela, les amis de mon Fils, envoyés divinement, ensevelirent mon corps en la vallée de Josaphat, avec lesquels il y avait une infinité d’anges comme des atomes du soleil. Mais les malins esprits n’osaient s’en approcher. Mon corps demeura quelques jours en terre, et après, il fut ravi et emporté au ciel par une grande multitude d’anges. Ce temps n’est pas sans grand mystère, d’autant qu’à la septième heure sera la résurrection des morts, et à la huitième, la béatitude des âmes et des corps sera accomplie.

La première heure fut depuis le commencement du monde jusques à ce temps où la loi était donnée par Moïse.

La deuxième, depuis Moïse jusques à l’incarnation de mon Fils.

La troisième fut quand mon Fils institua le baptême et adoucit la rigueur de la loi.

La quatrième, quand il prêchait par la parole et confirmait son dire par exemple.

La cinquième, quand mon Fils voulut pâtir et mourir, et quand il ressuscita et prouva sa résurrection par plusieurs miracles.

La sixième, quand il monta au ciel et envoya le Saint-Esprit.

La septième sera quand il viendra en jugement, et que tous sortiront pour aller au jugement.

La huitième, quand tout ce qui a été promis et prophétisé sera arrivé ; et lors la béatitude sera parfaite ; lors on verra Dieu en sa gloire, et les saints resplendiront comme des soleils, et il n’y aura plus de douleurs.

CHAPITRE 63

En ce chapitre, Notre-Seigneur donne des paroles à son épouse, pour les envoyer au pape Clément, pour faire la paix entre le roi de France et d’Angleterre.

Le Fils de Dieu parle à l’épouse sainte Brigitte, lui disant : Ecrivez de ma part au pape Clément (sans doute Clément VI, l'an 1352) ces paroles : Je vous ai exalté et vous ai fait monter par-dessus tous les degrés d’honneur : sortez donc pour faire la paix entre le roi de France et le roi d’Angleterre (Philippe de Valois et Edouard III), qui sont des bêtes périlleuses et les pertes des âmes. Venez après en Italie, et annoncez là la parole et l’an de salut et de la délectation divine, et voyez la place et les carrefours arrosés du sang de mes martyrs, et je vous donnerai la récompense qui ne finit jamais.

Considérez aussi le temps passé, où vous m’avez provoqué à la colère avec effronterie, et je l’ai tu, où vous avec fait ce que vous avez voulu et ne deviez pas faire, et moi, comme ne jugeant point, j’ai eu patience, car mon temps s’approche, et je demanderai vos négligences et l’audace de votre temps ; et comme je vous ai fait monter par tous les degrés, de même descendrez-vous par tous les degrés spirituels, lesquels vous expérimenterez au corps et en l’esprit, si vous n’obéissez à mes paroles ; et votre langue gardera le silence des grandes choses, et votre nom, qui est grand en terre, sera en oubli devant moi et en opprobre devant mes saints.

Je demanderai encore de vous combien indignement vous êtes monté à tous ces degrés d’honneur, quoique j’aie permis ce que je sais et ce que votre conscience négligente a oublié. J’exigerai encore de vous combien froid vous avez été à former la paix des rois, et combien vous avez penché en la partie contraire. D’ailleurs, je n’oublierai point combien l’ambition a été grande et la cupidité insatiable en l’Eglise, et a augmenté de votre temps, ce que vous pouviez beaucoup réformer et amender ; mais vous, qui aimez la chair, n’avez voulu.

Sortez donc, avant que la dernière heure qui s’approche, vous surprenne, et éteignez en ce temps, par le zèle, les négligences du passé. Que si vous doutez de quel esprit ces paroles sont, le royaume et la personne vous sont connus où ont été opérés les merveilles et les prodiges. La justice et la miséricorde s’approchent par toute la terre. Votre conscience dit que ce que je vous dis est raisonnable, et charité ce que je vous conseille ; et si ma patience ne vous eût conservé, vous fussiez descendu plus bas que vous prédécesseurs. Partant, fouillez au livre de votre conscience, et voyez si je vous dis la vérité.

CHAPITRE 64

Jésus-Christ menace les pécheurs qui, ayant oublié les péchés passés et les voies de Dieu, vivent avec trop d’assurance. Dieu leur pardonne, s’ils s’amendent.

Le Fils de Dieu parle, disant à sainte Brigitte : Ne vous attendez pas à ces débauchés, car je viendrai bientôt à eux, non comme ami, mais comme celui qui prendra vengeance d’eux. Malheur à eux, car en leur temps de paix, ils n’ont pas voulu chercher le bien éternel ! Je vois que de leur race sont sortis des hommes d’amertume, qui ont moissonné le fruit de vanité et de leur cupidité, c’est pourquoi ils descendront maintenant. La pauvreté, la captivité, la honte, l’humiliation et la douleur, vous assailleront, mais ceux qui s’humilieront trouveront grâce devant mes yeux.

CHAPITRE 65

Notre-Seigneur donne en ce chapitre à sainte Brigitte les enseignements de la vie active et contemplative.

Le Fils de Dieu parle, disant : Il y a deux vies qui sont comparées, l’une à Marthe, l’autre à Magdelène : celui qui les voudra imiter et suivre doit faire premièrement une pure confession de tous ses péchés, s’excitant à une vraie contrition et résolution de ne plus pécher à l’avenir.

La première vie que je témoigne que Marie a embrassée, conduit à la contemplation des choses célestes, car celle-là est la meilleure part de la vie éternelle. A celui donc qui désire tenir la vie de Marie, il lui suffit d’avoir seulement les nécessités corporelles, savoir, des vêtements sans ostentation, le boire et le manger avec sobriété, et non en superfluité, la chasteté sans aucune mauvaise délectation, et qu’il garde les jeûnes selon les constitutions de l’Église. Or, que celui qui jeûne prenne garde de n’être malade par l’excès de quelque jeûne, et que ce jeûne ne lui fasse diminuer l’oraison ni les prédications, ou bien qu’il n’omette quelque autre bien à raison de cela, qui puisse profiter à soi ou à son prochain ; qu’il prenne encore prudemment garde que le jeûne ne le rende lâche à la rigueur de la justice, ou paresseux aux œuvres de piété, car la force de corps et d’esprit est requise pour punir les rebelles et pour assujettir les infidèles.

Partant, tout infirme qui voudrait mieux jeûner pour l’honneur de Dieu que manger, aura égale récompense à raison de sa bonne volonté, comme celui qui jeûne, ému de charité : semblablement celui qui mange par obéissance, voulant plus jeûner que manger, aura la même récompense que celui qui jeune.

En deuxième lieu, Marie ne doit se réjouir de l’honneur du monde ni de ses prospérités, ni s’affliger des adversités, mais qu’elle se réjouisse seulement en cela que les impies deviennent dévots, que les amateurs du monde aiment Dieu, que les bons avancent au bien, et combattant pour le service de Dieu, deviennent plus dévots. Qu’elle soit encore marrie de ce que les pêcheurs tombent de pis en pis, que Dieu ne soit point aimé de sa créature et que le commandement de Dieu soit méprisé.

En troisième lieu, Marie ne doit point être oisive, ni Marthe, mais que le sommeil étant achevé, elle se lève et remercie Dieu de bon cœur, d’autant que, par sa bonté et son amour, il a créé toutes choses, montrant, par sa passion et par sa mort, l’amour qu’il portait à l’homme, amour si grand qu’il n’eut jamais d’égal.

Que Marie rende encore grâces à Dieu pour tous ceux qui ont été sauvés, pour tous ceux qui sont au purgatoire et pour ceux qui sont au monde, priant humblement Dieu qu’il ne permette qu’ils soient tentés par-dessus leurs forces. Que Marie soit aussi discrète en l’oraison et dans les louanges de Dieu, afin que tout soit réglé, car si elle a les nécessités de la vie en la solitude, elle doit faire les oraisons plus prolixes ; que si elle se dégoûte en priant et que les tentations s’accroissent, elle peut travailler de ses mains à quelque ouvrage honnête, utile pour soi ou pour les autres. Que si elle se dégoûte en l’un et en l’autre, elle pourra lors avoir quelque occupation honnête ou écouter des paroles d’édification avec toute honnêteté, sans aucune cajolerie, jusques à ce que le corps et l’âme se rendent plus habiles à l’œuvre de Dieu.

Que si Marie n’a point ce qui est nécessaire pour sustenter son corps, si elle ne travaille, lors qu’elle fasse une plus courte oraison, à raison de l’œuvre nécessaire, et ce labeur sera perfection et accroissement d’oraison. Que si Marie ne sait travailler ou qu’elle ne le puisse, qu’elle n’ait point honte de mendier, mais qu’elle se réjouisse de m’imiter, moi qui suis Fils de Dieu, qui me suis fait pauvre pour enrichie l’homme. Que si Marie est sujette à l’obéissance, qu’elle vive selon l’obéissance de son prélat, et sa couronne lui sera redoublée plus que si elle était en liberté.

En quatrième lieu, Marie ne doit point être avare, ni aussi Marthe, ni aussi elle ne doit être trop prodigue, car comme Marthe donne le temporel pour l’amour de Dieu, de même Marie doit distribuer le spirituel, car si Marie a chèrement Dieu dans son cœur, qu’elle se donne garde de cette maxime : Il me suffit. Si je puis aider mon âme, que m’importent les œuvres du prochain ? ou si je suis bien, que m’importe la vie d’autrui ? O ma fille, si ceux qui pensent et disent telles choses voyaient leur ami être déshonoré et affligé, ils y courraient jusques à la mort, afin de l’affranchir de la tribulation. Marie en doit faire de même, car elle doit être marrie que Dieu soit offensé, que son frère, qui est le prochain, soit scandalisé ; ou si quelqu’un tombe en péché, que Marie, s’efforce autant qu’elle pourra de l’en arracher, avec discrétion néanmoins ; que si, pour cela, Marie est poursuivie, qu’elle cherche un autre lieu plus assuré, car moi, Dieu, j’ai dit : Quand on vous poursuivra en une cité, fuyez en une autre, car Paul en fit de même, d’autant qu’il était nécessaire pour un autre temps, c’est pourquoi, il a été mis dehors en une corbeille par la muraille.

Afin donc que Marie soit universelle et pieuse, cinq choses lui sont nécessaires : 1. la maison en laquelle dorment les hôtes ; 2. les vêtements pour vêtir les nus ; 3. la viande pour les malades, c’est-à-dire, paroles de consolation avec la charité divine.

La maison du Marie est son cœur, les mauvais hôtes duquel sont tout ce qui trouble ce cœur, savoir, ire, tristesse, cupidité, superbe et autres choses semblables qui entrent par les cinq sens. Tous ces vices donc doivent être ou gisants ou dormants, comme ceux qui sont en un profond repos, car comme l’hospitalier reçoit les bons et les mauvais hôtes avec patience, de même Marie doit tout supporter avec paix pour l’amour de Dieu, et ne consentir en la moindre chose aux vices ni se plaire en eux, mais bien les repousser de son cœur autant qu’elle pourra avec la grâce de Dieu. Que si elle ne les peut chasser, qu’elle les souffre patiemment contre sa volonté, comme des hôtes, sachant pour certains qu’ils lui profitent à de plus grandes couronnes, et non à damnation.

Marie a des vêtements pour couvrir les hôtes, savoir, l’humilité intérieure et extérieure, et la compassion de l’esprit en l’affliction du prochain. Que si Marie est méprisée des hommes, elle revienne soudain en son esprit, pensant comme moi, Dieu, était content, et étant méprisé, je souffrais patiemment, et comme étant juge, je me tus, comment je ne murmurais point quand j’étais fouetté et couronné d’épines. Que Marie considère aussi qu’elle ne montre point signe d’ire et d’impatience à ceux qui la reprennent aigrement, mais qu’elle bénisse ceux qui la poursuivent, afin que ceux qui la voient bénissent Dieu.

Que Marie imite, et Dieu lui donnera bénédiction pour la malédiction. Que Marie se donne encore garde qu’elle ne médise ou impropère ceux qui lui sont fâcheux, car c’est une chose damnable de médire et d’écouter les médisants et d’injurier le prochain par impatience.

Partant, que Marie donne de bons exemples d’humilité et de patience parfaite ; qu’elle tâche d'avertir ceux qui médisent d’autrui, et leur marque le danger dans lequel ils se précipitent, et qu’avec charité, elle les porte à la vraie humilité, employant à cela sa parole et son bon exemple. D’ailleurs, le vêtement de Marie doit être la compassion, car si elle voit que son prochain pèche, elle en doit avoir compassion, priant Dieu qu’il lui pardonne ; que si elle voit qu’il souffre les injures, dommages, mépris, qu’elle en ait douleur avec lui ; qu’elle l’aide par ses prières, secours, et de soin, même parmi les puissants du siècle, car la vraie compassion ne cherche point ses intérêts, mais bien ceux de son prochain. Que si Marie est telle que les princes ne l’écoutent point et qu’elle ne profite de rien de leur parler, qu’elle prie lors Dieu pour les affligés, et Dieu, qui est celui qui regarde le cœur, convertira le cœur des hommes pour la paix de l’affligé, pour l’amour de celle qui le prie, ou bien il l’affranchira de la tribulation, ou Dieu lui donnera la patience pour la supporter, et afin que sa couronne soit redoublée. Telle doit donc être la robe d’humilité au cœur de Marie, car il n’y a rien qui attire tant Dieu dans le cœur que l’humilité et la compassion du prochain.

3. Que Marie ait du pain et du vin pour les hôtes, car dans le cœur de Marie sont logés de grands hôtes, savoir : quand le cœur est ravi au dehors et appète des choses délectables, avoir les choses terrestres, posséder les temporelles ; quand l’oreille désire ouïr ses propres louanges ; quand la chair désire ses appétits charnels ; quand l’esprit s’excuse sur sa fragilité et diminue ses fautes ; quand le dégoût des choses bonnes la saisit ; l’oubli du futur ; quand elle a grande estime de ses bonnes œuvres ; quand elle croit que ses maux soient petits, ou qu’elle les oublie. Contre tels hôtes, elle a besoin de conseil et de ne point dormir en dissimulant. Que Marie donc, animée par la foi, se lève fortement, et qu’elle réponde en cette sorte à ces hôtes : Moi, je ne veux rien posséder du temporel, mais je me contente de ma petite nourriture ; je n’en veux point ; je veux employer jusques au moindre moment du temps à l’honneur de Dieu ; je ne veux point occuper mon esprit à ce qui est beau ou laid, utile ou inutile à la chair, ce qui est à goût ou à dégoût, si ce n’est autant que cela plaît à Dieu et touche à l’utilité de l’âme. Certes, je ne me saurais plaire à vivre un seul moment que pour l’honneur de Dieu : une telle volonté est la viande des hôtes, et une telle réponse éteint les délectations déréglées.

4. Que Marie ait du feu pour chauffer les hôtes et pour les éclairer. Ce feu est l’amour du Saint-Esprit, car il est impossible que quelqu’un puisse entièrement renoncer à ses propres volontés, ou aux affections charnelles de ses parents, ou à l’amour des richesses, sans l’inspiration et le mouvement du Saint-Esprit ; ni même Marie, bien qu’elle soit parfaite, ne peut commencer ni continuer la vie bienheureuse sans la dilection et l’inspiration du Saint-Esprit.

Afin donc que Marie reluise aux hôtes qui arriveront, qu’elle pense à ceci : Dieu m’a créée afin que je l’honorasse sur toutes choses, et qu’en l’honorant, je l’aimasse avec crainte. Il est aussi né de la Vierge, afin de m’enseigner la voie du ciel, laquelle je devais suivre, en l’imitant avec humilité. Par sa mort, il a ouvert le ciel, afin que je soupirasse là en y allant. Que Marie examine encore toutes ses œuvres, pensées et affections, savoir, comment elle a offensé Dieu, combien patiemment Dieu supporte les hommes, et en combien de manières Dieu appelle l’homme à soi.

Telles ou semblables pensées sont les hôtes de Marie, qui sont quasi en ténèbres, s’ils ne sont illuminés par les feux du Saint-Esprit. Ces feux viennent lors au cœur, quand Marie considère qu’il est raisonnable de servir Dieu, quand elle voudrait plutôt souffrir toute autre peine que provoquer à dessein Dieu à la colère, par la bonté duquel l’âme est créée et rachetée de son précieux sang. Lors aussi le cœur reçoit la lumière de ce bon feu, quand l’âme considère et discerne pour quelle intention l’hôte vient, c’est-à-dire, une chacune des pensées, quand elle examine si sa pensée tend à la joie éternelle ou à la joie passagère, si elle n’admet aucune pensée sans l’avoir reconnue, et nulle sans punition.

Afin donc qu’on obtienne ce feu, et que, l’ayant obtenu, il soit conservé, il est besoin que Marie y porte du bois sec pour le nourrir, c’est-à-dire, elle doit prendre garde aux mouvements de la chair, afin que la chair ne se rende insolente et qu’elle apporte toute sorte de diligence, afin que les œuvres de piété et les oraisons dévotes s’augmentent, esquelles le Saint-Esprit se plaît et se délecte. Mais il faut prendre garde et considérer que là où le feu est allumé en un vase bouché sans issue, soudain il s’éteint et le vase se refroidit : de même en est-il quand il est expédient à Marie, si elle ne veut vivre pour autre chose, si ce n’est pour l’honneur de Dieu, d’ouvrir la bouche, et que la flamme de l’amour en sorte. Or, on ouvre lors la bouche, quand, en parlant, poussé par l’amour divin, on engendre des enfants d’amour à Dieu. Mais que Marie prenne diligemment garde que là elle ouvre la bouche de sa prédication, où les bons deviennent fervents et où les mauvais se rendent bons, où la justice peut être augmentée et où les coutumes dépravées peuvent être abolies, car Paul, mon apôtre, voulant parler quelquefois, mon Esprit le lui défendit, qui le fit parler et se taire à propos, qui lit fit user de paroles douces et rudes, qui proféra toutes ses paroles pour la gloire de Dieu et pour l’affermissement de la foi.

Que Marie, si elle ne peut prêcher, en ayant néanmoins la volonté et la science, fasse comme le renard, qui, voyant plusieurs montagnes, fait sa tanière là où il trouve le plus de repos : de même que Marie prenne garde à ses paroles, à ses exemples et aux oraisons du cœur de plusieurs, et quand elle trouve des cœurs disposés à recevoir la parole divine, qu’elle demeure là, persuadant et conseillant tout ce qu’elle pourra.

Que Marie travaille aussi afin qu’une issue convenable soit donnée à sa flamme, car plus grande est la flamme, plus plusieurs en sont illuminés et enflammés. Or, lors l’issue est convenable, quand Marie ne craint point le blâme ni ne cherche sa propre louange, quand elle ne craint point l’adversité ni ne s’attache point à la prospérité ; et lors elle est plus acceptable à Dieu, quand Marie fait plutôt les bonnes œuvres en public qu’en particulier, de sorte que ceux qui les voient glorifient Dieu.

Nous devons savoir qu’il faut que Marie envoie deux flammes, une en public, l’autre en cachette, c’est-à-dire, elle doit avoir deux sortes d’humilité : l’une intérieure, dans le cœur, l’autre extérieure.

La première consiste à ce que Marie s’estime indigne et inutile à tout bien, et qu’elle ne se préfère à pas un, ni ne veuille être louée ; qu’elle ne désire être vue et qu’elle fuie l’arrogance, désirant et aimant Dieu sur toutes choses et imitant toutes choses. Or, si Marie jette telles flammes, signes de bonnes œuvres, lors son cœur sera illuminé, et elle surmontera toutes les adversités et les supportera facilement.

En deuxième lieu, que sa flamme soit en public, car si elle a la vraie humilité dans le cœur, elle doit paraître dans le vêtement, être ouïe en la bouche et être accomplie en l’œuvre. Or, c’est lorsque la vraie humilité est dans les habits que Marie choisit la robe de moindre valeur, de laquelle elle reçoit plus d’utilité et de service que d’une autre qui a plus d’éclat, de superbe et d’ostentation, car la robe qui est de peu de valeur est appelée vile et abjecte devant les hommes, et belle devant Dieu, d’autant qu’elle aide à l’humilité ; mais la robe qui est de grand prix est appelée belle devant les hommes et vile devant Dieu, d’autant qu’elle ôte la beauté des anges, qui est l’humilité. Que si Marie est obligée d’avoir une meilleure robe pour quelque chose raisonnable contre sa volonté, qu’elle ne se trouble pas pour cela, car de là ses récompenses s’augmentent. D’ailleurs, Marie doit avoir l’humilité en la bouche, savoir, parlant humblement et de choses humbles, évitant les cajoleries, se gardant de trop parler, ne subtilisant ses paroles, ne les préférant aux autres.

Que si Marie oyait se louer pour quelque bonne œuvre, qu’elle ne s’élève point, mais qu’elle dise : Louange soit à Dieu, qui a donné toutes choses ! car que suis-je autre chose que poudre devant la face du vent ? Ou bien : Quel bien peut-on attendre de moi, qui suis une terre sèche et sans eau ? Que si elle est blâmée, qu’elle ne s’afflige point, mais qu’elle dise : Je suis digne de cela, car j’ai tant de fois péché contre Dieu et n’en ai point fait pénitence, que je mérite de plus grandes afflictions ; partant, priez pour moi, afin que, tolérant les opprobres temporels, j’évite les éternels.

Que si Marie est provoquée à colère par la méchanceté du prochain, elle se garde de dire des paroles d’indiscrétion, car la colère est souvent accompagnée de la superbe : partant, le conseil veut que, la colère la pressant, elle contienne sa langue jusques à ce qu’elle puisse demander à Dieu la grâce de pâtir, et de délibérer avec paix sur ce qu’elle doit répondre et comment, afin qu’elle puisse se surmonter elle-même, car lors la colère est adoucie dans son cœur, et lors l’homme répond sagement aux fous.

Sachez aussi que le diable envie grandement Marie : que s’il ne la peut empêcher par l’infraction des commandements de Dieu, lors il l’excite à la colère, ou à s’épandre et dilater en vaine joie, ou aux paroles dissolues et provoquant le rire : partant, que Marie demande toujours à Dieu le secours ; que toutes ses paroles et ses œuvres soient gouvernées par lui et dirigées vers lui. D’ailleurs, que Marie ait l’humilité en ses œuvres, afin qu’elle ne fasse rien pour la louange mondaine, qu’elle n’entreprenne rien de nouveau, que l’humilité ne lui soit point honteuse, qu’elle fuie la singularité, qu’elle défère à tous, qu’elle se répute indigne de tous. D’ailleurs, que Marie élise plutôt d’être avec les pauvres qu’avec les riches, d’obéir plutôt que de commander, de se taire que de parler, d’être plutôt solitaire que d’être avec les grands, et de converser avec ses parents. Que Marie ait aussi en haine se propre volonté ; qu’elle médite toujours sa mort ; qu’elle ne soit point curieuse murmurante ni oublieuse de la justice de Dieu et de ses affections. Que Marie se confesse souvent aussi ; qu’elle prenne garde à ses tentations, ne désirant vivre pour autre chose que pour l’honneur de Dieu et le salut des âmes.

Marie donc, étant telle que nous avons dit, pourra être élue en Marthe ; et étant obéissante par l’esprit d’amour, qu’elle entreprenne le gouvernement des âmes de plusieurs, car elle aura une double couronne, comme je vous le montrerai par une similitude.

Il y avait un seigneur qui était grandement puissant, qui avait un navire chargé de marchandises précieuses. Il dit à ses domestiques : Allez à un tel port ; là je dois gagner beaucoup et recevoir quasi un fruit inestimable. Si les vents s’élèvent, travaillez généreusement, et ne perdez point courage ; gardez-vous de la lâcheté, car votre récompense sera grande.

Or, les serviteurs cinglant en la mer, les vents les assaillirent, les orages s’élevèrent, les flots s’enflèrent, et le navire fut brisé en plusieurs lieux. Lors le pilote eut grande peur, et tous désespéraient de leur vie. Ils résolurent d’aborder à un autre port, où les vagues les portaient, et non à celui où le maître leur avait recommandé d’aller ; ce qu’oyant, un des plus fidèles serviteurs, étant marri de cette résolution, prit courageusement le gouvernail, et de ses forces pourra le navire au port que son maître désirait. On doit donc donner à ce domestique une plus grande récompense.

De même en est-il d’un bon prélat qui, pour l’amour de Dieu et pour le salut des âmes, a reçu le gouvernement des âmes, ne se souciant de l’honneur. Or, celui-là aura une double récompense : la première, d’autant qu’il sera participant de tous les biens de ceux qu’il a conduits au port de salut ; la deuxième, parce que sa gloire augmentera sans fin. Le contraire sera de ceux qui briguent les charges, honneurs et dignités : ils seront participants de toutes les peines et de tous les péchés de ceux dont ils ont entrepris le gouvernement. En deuxième lieu, leur confusion sera sans fin, car les prélats qui ambitionnent les honneurs, sont plus semblables aux prostituées qu’aux prélats, d’autant qu’ils déçoivent les âmes par leurs mauvais exemples et par leurs paroles, et sont indignes du nom de Marie ou de Marthe, s’ils n’en font pénitence.

5. Marie doit donner des médecines à ses hôtes, c’est-à-dire, les réjouir par de bonnes paroles, car en tout ce qui lui peut arriver de triste ou de joyeux, elle doit dire : Je veux tout ce que Dieu veut que je veuille, et je suis prête à obéir à ses volontés, quand même j’irais en enfer. Une telle volonté est la médecine du cœur, et cette volonté est la délectation ès tribulations et le tempérament ès prospérités. Mais d’autant que Marie a plusieurs ennemis, c’est pourquoi elle se doit confesser souvent, car tandis qu’elle demeure sciemment en péché, ayant temps de se confesse, le néglige ou ne le considère, lors elle doit être plutôt appelée apostate devant Dieu que Marie. D’ailleurs, sachez, quant aux actions de Marthe, que, bien que la part de Marie soit la meilleure, la part de Marthe n’est pas mauvaise, mais louable et agréable à Dieu ; c’est pourquoi je vous dirai maintenant comment elle doit être formée.

Elle doit avoir, aussi bien que Marie, cinq sortes de biens : 1. une foi droite en l’Église de Dieu ; savoir, 2. les commandements de Dieu et les conseils de la vérité évangélique, et elle doit les accomplir par amour et par œuvre ; 3. elle doit retenir sa langue de toute mauvaise parole, et doit contenir l’esprit des cupidités insatiables et des plaisirs déréglés, se savoir contenter de ce qu’on lui donne, sans vouloir le superflu; 4. accomplir avec raison et humilité les œuvres de miséricorde, afin que, s’appuyant en ses œuvres, elle n’offense Dieu ; 5. aimer Dieu sur toutes choses et plus que soi-même.

C’est de la sorte que Marthe se comporta, car elle se donna à moi fort joyeusement, suivant mes paroles et mes œuvres ; et puis, elle donna tous ses biens pour l’amour de moi, et elle se dégoûta des choses temporelles et recherchait les célestes ; c’est pourquoi elle souffrait toutes choses patiemment, et avait autant de soin des autres que de soi-même ; elle considérait incessamment l’amour que je lui avais porté et les douleurs que j’avais souffertes, et se réjouissait en ses prières, et comme une mère, elle aimait tout le monde. Marthe me suivait aussi tous les jours, ne désirant qu’ouïr la parole de vie ; elle compatissait avec les affligés ; elle consolait les infirmes ; elle ne disait mal de personne, mais elle semblait ne voir les méchancetés du prochain ; n’y pouvant remédier, elle priait Dieu pour leur conversion. Celui donc qui désire avoir la charité en la vie active, doit suivre Marthe, aimant le prochain pour obtenir le ciel, mais non pas en entretenant ses vices, fuyant la louange propre, toute superbe, duplicité, ire, envie.

Mais remarquez que Marthe, priant pour le Lazare, son frère mort, vint la première à moi ; mais soudain son frère ne ressuscita pas. Mais Marie vint après, étant appelée, et lors, pour l’amour de toutes les deux, le Lazare ressuscita. De même en est-il dans la vie spirituelle, car celle qui désire être parfaitement à Marie, doit être premièrement Marthe, travaillant corporellement pour l’amour de moi, et elle doit plutôt savoir résister aux désirs charnels et aller au-devant des tentations du diable, que monter franchement au degré de Marie, car celle qui est éprouvée et tentée et qui n’a pas vaincu les mouvements charnels, comment pourra-t-elle s’unir continuellement ès choses célestes ? car souvent une bonne œuvre se fait avec un intention indiscrète et d’un esprit indéterminé ; et partant, en son progrès, elle est avec lâcheté et froideur ; mais afin que la bonne œuvre me soit agréable, elle ressuscité et revit par Marthe, c’est-à-dire, quand le prochain est sincèrement aimé et désiré sur toutes choses ; et lors toute bonne œuvre est agréable à Dieu ; c’est pourquoi je dis en mon Evangile que Marie avait choisi la meilleure part, car la part de Marthe est lors bonne, quand elle est dolente des péchés du prochain, et lors la part de Marthe est meilleure, quand elle travaille, afin que les hommes vivent sagement et honnêtement, et lorsqu’elle fait cela pour la seule dilection et amour divin ; mais la part de Marie est meilleure, quand elle contemple le ciel et le gain des âmes.

Lors Notre-Seigneur entre en la maison de Marthe et de Marie, quand le cœur est rempli de bonnes affections et qu’il est en repos du tumulte du monde ; quand il considère toujours Dieu présent, et non seulement contemple l’amour divin, mais travaille nuit et jour pour posséder Dieu.

CHAPITRE 66

En ce chapitre, Jésus-Christ montre à sainte Brigitte les devoirs d’une épouse, ses ornements, etc ; puis il y est parle d’une âme condamnée en purgatoire, etc.

Le Fils de Dieu parle, disant : Un seigneur épousa une fille à laquelle il édifia une maison, lui donnant des serviteurs et des filles de chambre, et tout ce qui était nécessaire pour la nourriture, et lui après s’en alla fort loin. Or, revenant, il ouït que sa femme était une infâme, que ses serviteurs étaient rebelles, que ses filles étaient impudiques. Courroucé de cela, il mit sa femme en jugement, les serviteurs à la torture et les servantes au fouet.

Je suis ce seigneur-là, qui, ayant, par ma toute-puissante main, fait éclore du néant l’ame de l’homme, l’ai prise en épouse, désirant prendre avec elle les plaisirs indicibles. Or, je l’ai épousée en foi, dilection et en persévérance de vertus. J’ai bâti une maison à cette âme, quand je lui ai donné le corps mortel, dans lequel elle devait être éprouvée et exercée de vertus.

Cette maison a quatre propriétés : la noblesse, la mortalité, mutabilité et corruptibilité. Ce corps est noble, d’autant que c’est l’œuvre de Dieu, et il participe à tous les éléments, et ressuscitera au dernier jour pour vivre éternellement ; mais l’âme surpasse sa noblesse, d’autant qu’il est terrestre et que l’âme est spirituelle. Mais d’autant qu’il a quelque espèce de noblesse, il doit être orné de vertus, afin qu’au jour du jugement, il puisse être glorifié. Le corps est mortel, d’autant qu’il est de terre, c’est pourquoi il doit s’opposer fortement aux plaisirs au milieu desquels, s’il succombe, il perd Dieu. Le corps est encore changeant, et partant, il doit être constant par la raison, car s’il suit ses mouvements, il n’est point différent des bêtes brutes ; il est corruptible : partant, qu’il se tienne en pureté, car le diable le pousse à l’immondicité, afin d’éloigner de lui la garde des anges.

Que celui donc qui habite en cette maison de ce corps, qui est l’âme, dans lequel elle est enfermée comme dans une maison, vivifie ce corps, car sans l’union de l’âme, il est puant, horrible et affreux à regarder.L’âme a aussi cinq serviteurs qui la servent pour le soulagement de la maison : Le premier c’est la vue, qui doit être comme une bonté échauguette qui discerne les amis et les ennemis. Or, lors les ennemis viennent, quand les yeux désirent de voir des faces belles, ce qui est délectable à la chair et ce qui est nuisible et déshonnête. Or, lors les amis viennent, quand l’âme se plaît à voir et à contempler ma passion, les œuvres de mes amis et ce qui touche à l’honneur de Dieu.

Le deuxième serviteur est l’ouïe, qui est comme un bon portier qui ouvre la porte aux amis et la ferme aux ennemis ; or, il ouvre lors aux amis, quand il prend plaisir a ouïr la parole divine, et la ferme ; quand il n’écoute point les médisantes et les paroles excitant au rire.

Le troisième serviteur est le goût au manger et au boire, et celui-là est comme un bon médecin qui range et ordonne la réfection pour la nécessité, non à la superfluité et volupté, car on doit prendre les aliments comme des médicaments. Partant, on doit considérer deux choses au goût, savoir, qu’on n’en prenne plus grande ni plus petite quantité qu’il ne faut, car la quantité nous cause l’infirmité, l’abstinence téméraire nous engendre le dégoût au service de Dieu.

Le quatrième serviteur est l’attouchement qui doit être comme un bon laboureur gagnant sa vie de ses propres mains pour sustenter le corps, travaillant avec discrétion pour les délices de la chair, travaillant avec amour pour obtenir la béatitude éternelle.

Le cinquième serviteur est l’odorat de ce qui est délectable ; celui-ci se peut mortifier en plusieurs choses pour la gloire éternelle : partant, que ce serviteur soit comme un bon dispensateur ; qu’il veille à ce qui est expédiant à son âme, à ce qu’elle mérite, si le corps pourra subsister avec cela ou cela ; que si l’âme considère que le corps peut subsister sans ces parfums, qu’elle s’en prive pour l’amour de Dieu, et ainsi elle méritera une grande récompense devant Dieu, car la mortification est grandement agréable à Dieu, quand l’âme s’abstient même de ce qui lui est licite.

Or, puisque l’âme a tels serviteurs, elle doit avoir aussi cinq servantes bien ornées, qui la gardent et la défendent des dangers et plaisirs :

Que la première soit la crainte affectueuse, afin que l’époux ne soit en rien offensé ou que l’épouse ne soit trouvée négligente.

Que la deuxième soit la dévote, afin qu’elle ne cherche que l’honneur de l’époux et l’utilité de sa maîtresse.

Que la troisième soit la modestie et la constance, afin que l’épouse ne s’écoule en joie ni qu’elle succombe en adversités.

Que la cinquième soit la pudeur et la chasteté, afin qu’on ne trouve en elle quelque chose d’indécent ou de dissolu en la parole ou en l’action.

Que si donc l’âme a une telle maison que dessus, des servitudes si vertueux, des servantes si honnêtes, il serait déshonnête si l’âme, qui est la maîtresse, était déshonnête et n’était belle.

Partant, je vous veux montrer l’ornement de l’âme et son éclat : elle doit être raisonnable à discerner ce qu’elle doit au corps et à Dieu, car elle participe avec la raison et en la dilection : partant, 1. qu’elle traite la chair comme un âne, lui donnant avec modération les nécessités de la vie, l’exerçant par le travail, la corrigeant par la crainte et par l’abstinence, prenant garde à ses mouvements, afin qu’elle ne condescende aux infirmités de la chair, en telle sorte que Dieu en soit offensé. 2. Que l’âme soit céleste, puisqu’elle a l’image de Dieu : c’est pourquoi elle ne doit jamais chercher ses plaisirs ni ses goûts en la chair, de peur qu’elle ne se conforme à l’image du diable. 3. Qu’elle soit fervente en l’amour divin, d’autant qu’elle est sœur des anges, immortelle et éternelle. 4. Qu’elle soit belle et enrichie en toute sorte de vertus, car elle verra la beauté éternelle du Dieu vivant.

Que si elle consent au corps, elle sera éternellement difforme. L’âme a aussi besoin des viandes, qui sont la mémoire des bienfaits de Dieu, la considération de ses terribles jugements, et la délectation en l’amour et commandements divins ; et partant, que l’âme prenne diligemment garde qu’elle ne soit jamais gouvernée par la chair, car lors tout sera déréglé : oui, lors les yeux veulent voir les objets plaisants, les oreilles ouïr les cajoleries ; le goût cherche les choses douces, et le corps veut travailler pour l’honneur du monde. Lors aussi la raison est séduite ; l’impatience domine ; la dévotion diminue, la lâcheté s’y glisse ; les fautes sont rendues légères, et on ne considère point les choses éternelles. Lors aussi la viande spirituelle est rendue vile et tout le service de Dieu est onéreux, car comment pourrait être agréable la continuelle mémoire de Dieu, là où règne la délectation de la chair ? ou comment pourrait se conformer l’âme à la divine volonté, là où sont seulement les plaisirs de la chair ? ou comment le vrai peut-il être discerné du faux, là où tout ce qui est de Dieu est chargé ? De telle maison on peut dire qu’elle est péagère et tributaire de Satan.

Telle est l’âme du défunt que vous voyez, car le diable la possède par neuf sortes de droits : 1. d’autant que volontairement elle a consenti au péché. 2. D’autant qu’elle a méprisé la qualité et la dignité de son baptême. 3. D’autant qu’elle ne se soucia point de la confirmation que l’évêque lui avait donnée. 4. D’autant qu’elle n’a point considéré le temps qui lui était donné pour faire pénitence. 5. D’autant qu’elle ne m’a point craint en ses œuvres, ni mes jugements, mais à dessein elle s’est retirée de moi. 6. D’autant qu’elle a méprisé ma patience, comme si je n’étais ou comme si je ne voulais point juger. 7. D’autant qu’elle se souciait moins de mes conseils et de mes préceptes que des hommes. 8. D’autant qu’elle ne rendait point grâces à Dieu de cœur des bienfaits dont Dieu l’avait enrichie, d’autant que son cœur était tout au monde. 9. D’autant que ma passion était comme morte dans son cœur.

C’est pourquoi elle souffre aussi neuf sortes de peines : 1. tout ce qu’elle pâtit, elle ne le pâtit pas par amour, mais avec une mauvaise volonté. 2. D’autant qu’elle laisse le Créateur et suit les créatures, toutes les créatures l’auront en abomination. 3. La douleur d’avoir perdu tout ce qu’elle aimait, et tout cela est contre elle. 4. Une ardeur et soif, d’autant qu’elle désirait plus les choses périssables que les choses éternelles. 5. Une terreur et puissance des démons, parce qu’elle n’a pas eu, quand elle devait, la crainte de Dieu. 6. La privation de la vision divine, d’autant qu’en son temps, elle n’a point considéré la passion de Dieu. 7. Un désespoir de pardon, d’autant qu’elle ne sait pas si elle sera sauvée ou non. 8. Un remords de conscience, d’autant qu’elle a perdu le bien et a fait le mal. Page 403 9. Le froid et les larmes, d’autant qu’elle ne désirait point l’amour de Dieu.

Mais d’autant que cette âme a eu deux sortes de biens, l’un est que cette âme a eu une grande foi à ma passion, et résista autant qu’elle put à ceux qui en médisaient ; l’autre qu’elle aimait ma Mère et mes saints, et les honorait par des jeûnes : partant, pour l’amour des prières des saints qui prient pour elle, je vous dirai comment elle pourra être sauvée : 1. par ma passion, car elle a eu la foi de l’Église ; 2. par le sacrifice de mon corps, qui est l’antidote des âmes ; 3. par les oraisons des saints qui sont au ciel ; 4. par les bonnes œuvres qui se font continuellement en l’Église ; 5. par les prières de ceux qui vivent au monde ; 6. par les aumônes faites des biens bien acquis ; 7. par le travail des justes qui sont en pèlerinage en ce monde pour le salut des âmes ; 8. par les indulgences concédées par les souverains pontifes ; 9. par les pénitences des vivants.

Voilà, ma fille, que saint Ericus, que cette âme a servi autrefois, vous a mérité cette révélation. Viendra le temps où le zèle des âmes s’excitera dans les cœurs de plusieurs et où la malice se refroidira.

   

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