CHAPITRE 1
La Sainte Vierge
Marie, Mère de Dieu, parle à Sainte Brigitte de la beauté de
Jésus-Christ, et comment les Juifs étant affligés, s'en allaient
pour voir la face et pour en être consolés.
La Mère de Dieu parlait
à l'épouse, disant : Je suis la Reine du ciel. Mon Fils vous aime de
tout son cœur. Partant, je vous conseille de n'aimer rien que lui,
car il est si désirable, il est si beau que la beauté des éléments
et de la lumière comparée à son éclat, n'est qu'ombre, d'où vient
que, quand je nourrissais mon fils, je le voyais être si beau que
même ceux qui le regardaient, étaient soulagés de leurs douleurs et
consolés en leur tristesse. C’est pourquoi les Juifs disaient, quand
ils étaient plongés en quelque tristesse : Allons voir le Fils de
Marie, afin que nous soyons consolés.
Et bien qu’ils
ignorassent qu’il fût Fils de Dieu, néanmoins, ils recevaient une
grande consolation de le voir. Son corps était si pur que jamais
vermine ne s’y trouva, car les vermisseaux rendaient l’honneur et le
respect à leur auteur, et il ne se trouva jamais en ses cheveux
aucune crasse, aucun immondice.
CHAPITRE 2
Notre-Seigneur parle
à son épouse d’un qui avait mal vécu, et qui, en la mort, avait eu
une bonne volonté de s’amender, s’il vivait, et dit qu’à cause de
cette bonne volonté, il ne fut pas condamné à la peine éternelle,
mais aux peines horribles du purgatoire.
Le Fils de Dieu parle à
son épouse, disant : Celui qui est maintenant infirme, pour lequel
vous priez, a été fort lâche à mon endroit, et toute sa vie a été
contraire à la mienne. Mais maintenant, faites-lui dire que, s’il a
volonté de s’amender s’il évite la mort, je lui donnerai la gloire.
Qu’on l’avertisse donc de s’amender, d’autant que je compatis à lui
avec une grande miséricorde.
Or, lorsque ce malade
mourait avant le premier chant du coq, Notre-Seigneur apparut
derechef à l’épouse et lui dit : Considérez combien juste je suis en
mon jugement : celui-ci, qui était infirme, est venu à mon jugement,
et bien qu’à raison de sa bonne volonté, il ait été jugé à la grâce,
néanmoins, avant qu'il soit entièrement purifié; son âme endurera en
purgatoire un supplice si cuisant, qu'il n'y a mortel qui le puisse
comprendre. Hélas ! qu'est-ce que ceux-là qui ont leurs volontés
liées au monde, et ne sont affligés par aucune tribulations ?
CHAPITRE 3
Manière dont Sainte
Brigitte voyait quelque démon s'enfuyant avec confusion d'un homme
qui priait, lequel le démon avait fort troublé par ses tentations,
et en quelle manière le bon ange déclare la vision à l'épouse.
L'épouse voyait un
démon auprès d'un homme qui priait ; et ayant demeuré là une heure
les mains liées, soudain ce démon s'écria d'une voix horrible et
épouvantable, et tout confus, se retira de celui qui priait, duquel
le bon ange parla à Sainte Brigitte, disant : Ce démon a troublé
quelque temps cet homme ; et d'autant qu'il ne l'a pu vaincre, il
paraît les mains liées, car cet homme avait généreusement résisté au
diable, de sorte que c'était un juste jugement de Dieu que le démon
n'ait pu faire ce qu'il voulait.
Le démon pourtant a
encore quelque attente de la surmonter ; mais à cette heure, il a
été vaincu en choses faciles, mais jamais il ne sera surmonté. Or,
depuis, la grâce de Dieu de jour en jour, et partant, le démon
criait de toutes ses forces, disant qu'il avait perdu celui qu'il
avait tant de fois combattues pour le vaincre et le supplanter.
DÉCLARATION
L'homme dont il est
parlé en ce chapitre fut un Frère tenté douze ans sur le saint
Sacrement, et sur le nom de la Sainte Vierge, qu'il ne pouvait
prononcer sans quelque sale pensée. Par les prières de Sainte
Brigitte, il fut délivré de la tentation, en telle sorte qu'il ne
pouvait se réjouir qu'au jour où il communiait, et le nom de la
Sainte Vierge lui fut à l'avenir très doux à la bouche et au cœur.
D'ailleurs, un prêtre,
ensorcelé par une enchanteresse, concernant les mauvais désirs
charnels, priait Sainte Brigitte de vouloir prier Dieu pour lui,
laquelle étant ravie en esprit, ouït : Vous admirez, ô ma fille,
pourquoi le diable domine en l'homme : Il fait cela par
l'inconstance de la volonté des hommes, comme vous pourrez le voir
en ce prêtre qui a été ensorcelé et charmé par une femme.
Sachez donc que cette
femme a trois choses, savoir, l'infidélité, l'endurcissement, les
désirs et les cupidités de l'argent et de la chair. C'est pourquoi
le diable, s'approchant d'elle, lui fournit de la lie amère de son
poison. Sachez aussi que la langue de cette femme sera sa fin, ses
mains seront sa mort, et le diable sera le conducteur de son
testament.
Toutes ces choses
arrivèrent de la sorte, car la troisième nuit, cette sorcière fut
furieuse, et ayant pris un couteau, elle se frappa en l'aine, criant
à la présence et audience de tous : Venez, ô diable ! Suivez-moi. Et
soudain, elle finit la vie avec une horrible voix. Mais le prêtre
susdit fut affranchi des tentations de la chair, et soudain il entra
en religion, où il fit un fruit agréable à Dieu.
CHAPITRE 4
Jésus-Christ dit à
l'épouse que tout homme vertueux et sage prêche généreusement les
paroles contenues en ce livre, et la grâce aux peuples qui la
désirent, ne la refusant tant aux pauvres qu'aux riches, et de cela,
il aura Dieu pour prix éternel.
Celui qui a l'or de la
sapience divine est tenu de faire trois choses : Le distribuer à
tous ceux qui le veulent et à ceux qui ne le veulent pas ; Il doit
être patient et modéré ;
il doit être
raisonnable et équitable en la distribution, Car l'homme qui a ces
excellentes vertus, a mon or, c'est-à-dire, ma sagesse. Qu'y a-t-il
en effet de plus précieux entre les métaux que l'or ? De même, en
mes écritures, il n'y a rien de si digne que la sagesse. Je remplis
de cette sagesse celui pour lequel vous me priez, et partant, il
doit :
1. Prêcher sans rien
craindre, comme mon soldat, ma sainte parole. Non-seulement il doit
annoncer ma grâce à ceux qui la veulent ouïr, mais encore à ceux qui
ne la veulent point ouïr.
2. Qu'il soit lui-même
patient pour l'amour de mon nom, sachant qu'il a un seigneur qui a
souffert toute sorte d'opprobres.
3. Je dis qu'il soit
juste et équitable en la distribution, tant au pauvre qu'au riche ;
qu'il ne pardonne à personne ! Qu'il ne craigne aucun, car je suis
en lui et lui est en moi.
Quel est celui qui lui
nuira, puisque je suis tout-puissant en lui et hors de lui ? Je lui
donnerai un stipende fort riche pour son labeur, non certes corporel
ou terrestre, mais moi-même, en qui est tout bien, en qui est toute
sorte d'abondance.
CHAPITRE 5
Ici Notre Seigneur
menace grandement les religieux hypocrites et superbes qui troublent
en se moquant la simplicité des simples et innocents, par les cornes
de médisance et des mauvaises œuvres. Il les avertit néanmoins
pieusement qu'ils se convertissent, et que, sans délai, ils
s'adonnent à la vertu, autrement ils seront punis très grièvement.
Je suis le Créateur de
toutes choses, qui ne suis point créé, mais je suis l'auteur des
créatures. Il y a longtemps que j'ai détourné mes yeux de ce
lieu-ci, à raison de l'iniquité des habitants ; car comme les
premiers fondateurs se hâtaient d'aller de vertu en vertu, de même
maintenant ces modernes vont de mal en pis ; un chacun tâche de
perdre l'autre et se glorifie de son péché. Or, maintenant, les
prières de ma Mère très-chère me fléchissent à miséricorde ; mais il
demeure encore quelque racine de cette méchante race, comme vous
l'entendrez mieux par quelque similitude.
Il y avait un pasteur
qui dit à son Seigneur, son Dieu : Mon Seigneur, en votre bercail,
il y a peu de brebis, et encore, entre celles-là, il y en a bien peu
de douces. Il y a encore des béliers colères qui troublent les
bonnes, tête desquels n'est utile à rien ; leur peau est corrompue ;
leur chair est pourrie, et leurs intestins sont puants.
Le maître répondit :
Que mes brebis douces ne se troublent point ! Je couperai la tête
des béliers avec un couteau tranchant ; je leur ôterai la peau, qui
ne porte point de laine ; la chair et les intestins seront jetés aux
champs comme pourris et puants, et on les donnera aux oiseaux qui ne
savent discerner ce qui est pur de ce qui est impur.
Je suis le Seigneur qui
ai en ce lieu des brebis simples, entre lesquelles il y a comme des
béliers affreux en leurs cornes, qui, déchirant les brebis,
arrachant la laine, et les poussant avec leurs cornes, les jettent à
terre : De même eux, se moquant de la simplicité des innocents, les
troublent et les jettent par terre avec les cornes de la médisance
et des mauvaises œuvres. Partant, leur tête, c'est-à-dire, leur
intention, élevée par les cornes de l'arrogance et de la
présomption, leur sera coupée par mon jugement sévère, qui est un
glaive très aigu ; leur peau, c'est-à-dire, leur hypocrisie, de
laquelle ils sont revêtus au lieu de la simplicité religieuse, leur
sera ôtée, et pour l'hypocrisie, le diable déchirera leur âme et les
privera de toute sorte de biens. Aussi ils étaient une chose et en
montraient une autre sous un masque emprunté et dissimulé ; Ils me
servaient de bouche et me contrariaient par œuvres. Leur chair
voluptueuse, qui, devant moi, est comme une vilaine femme, sera
brûlée et consommée par le feu sans miséricorde ; leurs intestins,
c'est-à-dire, leurs pensées et leurs affections qu'ils ont au monde
et non à moi, lesquelles affections mes ennemis sont fomentés, et
non moi, seront ruinées par les démons, de sorte qu'il n'y aura
point méchante affection pour laquelle ils ne soient grandement
tourmentés.
Partant, pendant qu'il
en est temps encore, que leur tête, c'est-à-dire, que leur volonté
déréglée et leur superbe soient changées en humilité d'une peau
simple ; Que la chair soit retenue des voluptés ; que les intestins,
c'est-à-dire, les pensées monstrueuses, soient guéris par la
pénitence salutaire, de peur que je n'exige avec rigueur et justice
les peines de leurs démérites, et que ne les soumette à la puissance
de Satan, de sorte qu'ils ne pourraient faire que ce qui plaira aux
diables, et seraient par eux poussés d'un mal à un autre.
ADDITION
Notre Seigneur parle
encore sous la parabole du père de famille sur cette maison, les
habitants de laquelle disent : Pourquoi Dieu a-t-il fait cette
maison de la sorte ? On répond : D'autant qu'on n'a pas voulu faire
les paroles de celui qui avertissait, car je leur donnerai des
gardes regardant d'en haut, et la terre de leur volupté sera mise en
servitude, et le pain leur sera donné en mesure, et on les pourra
nombrer à cause de leur petit nombre.
CHAPITRE 6
Jésus-Christ reprend
l'épouse de quelque impatience qu'elle eut, l'instruisant qu'elle ne
doit plus se fâcher à l'avenir, ni répondre un seul mot à ceux qui
la provoquent à cela, jusqu'à ce que l'émotion soit pacifiée, et
qu'elle voie qu'elle peut profiter par ses paroles.
Je suis votre Créateur
et votre Époux ; et vous, ma nouvelle épouse, vous avez maintenant
péché en quatre manières en la colère.
1.Vous avez eu de
l'impatience en votre cœur contre les paroles qu'on vous a dites, et
moi j'ai souffert pour vous les coups de fouets, et étant devant le
juge, je n'ai pas dit un seul mot.
2.Vous avez répondu
rudement, et avez trop élevé votre voix en dédaignant, et moi, j'ai
été cloué en un gibet ; je regardais le ciel et ne disais mot.
3.Vous m'avez méprisé,
moi pour l'amour duquel vous deviez souffrir toutes choses.
4.D'autant que vous
n'avez pas édifié votre prochain, car si vous eussiez été patiente
aux injures, vous l'eussiez gagné ; c'est pourquoi je vous dis que
désormais vous ne vous colériez point.
Quand vous serez
provoquée à colère par quelqu'un, ne parlez point jusqu à ce que la
colère, l'émotion et l'occasion de la colère, cessent en votre
cœur ; parlez avec douceur ou taisez-vous. Que si vous voyez que vos
paroles ne profitent point, il est plus méritoire de se taire.
CHAPITRE 7
Jésus-Christ
commanda par son épouse à un certain diacre fort dévot, de prêcher
la parole de Dieu avec ferveur et courage à ses compagnons et aux
autres pécheurs, instruisant les infirmes, reprenant les déréglés,
et exposant son âme à la mort pour le salut des âmes.
Je suis votre Dieu et
le Créateur de toutes choses, bien que je sois méprisé. Vous direz à
celui pour lequel vous priez, et qui m'aime, vous le savez : Quand
on vous a fait diacre, on vous a donné la charge de prêcher ; vous
en avez reçu l'autorité, afin d'instruire les infirmes et de
reprendre les déréglés. Je n'ai pas refusé de faire cela pour
moi-même ; cela même ont fait mes apôtres et mes disciples, qui,
pour acquérir une âme à Dieu, ont parcouru divers lieux, cités et
villes, et ont donné leurs âmes pour le salut des âmes. D'autant
donc que votre office est de prêcher, il n'est pas décent ni
expédient que vous vous taisiez, car mes ennemis sont autour de
vous, et vous marchez au milieu d'eux. En vérité leur maudite gueule
m'est aussi odieuse que si on mangeait même de la viande le vendredi
saint. Ils sont comme des vases ouverts de chaque bout, qui si on y
versait toute la mer, ne seraient pas pourtant remplis, ni ne
pourraient être rassasiés, la gourmandise desquels est augmentée par
le péché de lasciveté.
Ils chassent et
éloignent d'eux mes anges, qui sont destinés à leur garde, et
appellent les démons, qui sont maintenant plus proches d'eux que les
bons. Ils assistent au chœur, non pour me plaire, mais afin qu'ils
ne soient repris des autres et afin de ne leur déplaire. Ils se
montrent imitateurs des Pères anciens, mais ils sont devant moi
menteurs et dissimulés pipeurs, car ils m'ont faussé la foi qu'ils
m'avaient promise, et trompent les âmes, du bénéfice desquelles
elles vivent, sans en être reconnaissants ni par la vie ni par les
prières.
Partant, je jure devant
les anges et les saints, qu'en vérité je suis la vérité et que de ma
bouche il n'est jamais sorti que la vérité. Que s'ils s'amendent, je
permettrai que peu de temps ils marchent par la voie de leurs
volontés, et après, je les conduirai par la voie semblable aux
épines et à des pointes aiguës ; et afin qu'ils ne puissent s'en
écarter, je mettrai à droite et à gauche mes serviteurs, qui les
empêcheront de s'en détourner, et ils les contraindront d'aller ; et
de là, comme un corps mort tombe à terre, de même promptitude leurs
âmes tomberont dans les précipices de l'enfer, si profondément que
jamais ils n'en sortiront.
CHAPITRE 8
Notre Seigneur donne
courage à l'épouse, qui craignait de reprendre fidèlement quelques
religieux plongés en des péchés abominables, chez lesquels elle
était logée, lui assurant que sa répréhension ne lui serait point
imputée à péché, mais à mérite, bien qu'ils s'en scandalisassent et
s'en endurcissent.
O épouse, vous avez
pensé à part vous ce qui suit : Puisque mon Dieu Seigneur de toutes
choses, tout-puissant, et a patiemment souffert le traître, pourquoi
ne souffrirai-je sa créature, ceux qui demeurent avec moi, de peur
que, de mon avertissement et répréhension, ils ne deviennent pires ?
Je réponds maintenant à
cette pensée, qu'elle était en partie pieuse mais moins fervente,
car un bon soldat qui est entre les mauvais, voyant l'offense de son
seigneur, s'il ne peut corriger par œuvre la faute, parle pour le
moins de la bonté de son maître, et souffre patiemment les
contumélies qui résultent de là : de même vous, parlez-leur
fidèlement de leurs excès, qui, à raison de la diuturnité des péchés
dans lesquels ils croupissent, me sont rendus abominables ; et bien
qu'ils s'endurcissent en quelque manière que ce soit, à raison de
votre répréhension, il ne vous sera pas imputé à péché, mais bien à
plus grande récompense. Car comme les apôtres, qui prêchaient à
plusieurs, et tous ne se convertissaient pas, n'étaient pas pour
cela privés de la récompense, de même vous en arrivera-t-il, car
bien que tous ne vous écoutent point, néanmoins, il y en aura
quelques-uns qui seront édifiés par vos paroles et qui seront
guéris.
Dites-leur donc que,
s'ils ne s'amendent, il viendra promptement et sévèrement à eux, et
tous ceux qui l'entendront en gémiront de crainte et d'effroi, et
tous ceux qui goûteront ma sévérité, défaudront. Je les jugerai
comme des larrons, par des confusions inexprimables devant les anges
et tous les saints, et ce, d'autant qu'ils ont reçu l'habit de
religion, non pour bien vivre. C'est pourquoi ils sont devant moi
comme des larrons qui possèdent les biens qui ne leur appartiennent
pas, mais sont à ceux qui vivent bien, et comme défraudateurs, je
les jugerai et les condamnerai à mon glaive, qui coupera leurs
membres de la tête jusqu’aux pieds. Je les remplirai encore d'un feu
bouillant qui ne s'éteindra jamais.
Je les en ai avertis,
comme un père plein de pitié, et ils n'ont point voulu m'écouter !
Je leur ai montré les paroles de ma bouche plus que jamais je
n'avais fait auparavant, et ils m'ont méprisé ! Si j'eusse envoyé
mes paroles aux païens, peut-être se fussent-ils convertis et
eussent fait pénitence. Partant, je ne leur pardonnerai point, ni ne
recevrai point les prières ni celles que ma Mère et mes saints, font
pour eux, mais ils seront tout autant dans la peine que je serai
dans la gloire qui sera sans fin. Néanmoins, tant que leur âme sera
dans leur corps, ma miséricorde leur sera ouverte.
CHAPITRE 9
Jésus-Christ révèle
à son épouse combien il est abominable devant Dieu qu'un prêtre
célèbre en péché mortel, et en quelle manière les diables y
assistent. Il traite aussi de la célébration de la messe, et de sa
très horrible peine, s'il ne s'amende.
Le prêtre pour lequel
vous me priez est comme une pincette avec laquelle il attire l'or de
ma vertu ; il est comme un souffle dégénéré qui ne se soucie
d'entendre la voix de la mère. Quand il vient à l'autel, deux
diables assistent à ses deux côtés, l'âme duquel ils possèdent,
d'autant qu'elle est morte devant moi.
Quand il met le
surhuméral, les démons couvrent son âme et l'occupent ailleurs, afin
qu'elle ne pense et n'entende combien il est horrible d'approcher de
mon autel, et combien pur doit être celui qui s'approche de moi, qui
suis très pur.
Quand il s'habille de
l'aube, il se revêt de la dureté du cœur et de l'indévotion,
d'autant qu'il croit que son péché n'est pas grand, que le supplice
éternel ne sera pas si dur, et il ne lui arrive jamais à l'esprit
qu'elle est la joie des bienheureux.
Quand il met l'étole,
le diable pose un grand joug lourd et pesant sur son col, d'autant
que la douceur du péché lui plaît grandement ; et ainsi, il charge
son âme, ne la laisse pas gémir ni considérer son péché.
Quand il prend la
manipule, toutes les œuvres divines lui sont à charge, à honte, et
les œuvres terrestres lui sont faciles.
Quand il prend la
ceinture, lors sa volonté est liée au diable, de sorte qu’il propose
aucunement de mourir en son péché ; et lors, ma charité se retire de
lui, d’autant que sa volonté se porte à tout ce que le diable veut
et lui suggère, excepté quand les jugements effroyables de ma juste
indignation le retiennent.
Quand il prend la
chasuble, lors le diable le revêt de perfidie.
Quand il dit le
Confiteor, les diables répondent et disent : Tu as menti ! Nous en
sommes témoins : ta confession est semblable à celle de Judas,
d’autant qu’il a une chose au cœur et une autre à la bouche.
Quand il s’approche de
l’autel, lors je détourne ma face de lui.
Quand il dit la messe,
soit de ma Mère ou de quelque’autre saint, il m’est aussi agréable
que si une méchante femme offrait un vase immonde à quelque
seigneur, ou si quelqu’un disait à son ennemi :Donnez vous garde, je
cherche votre mort.
Quand il consacre mon
cœur et dit : Ceci est mon corps, lors les diables s’enfuient de
lui, et son corps demeure comme un tronc, car son âme est morte
devant mes yeux.
Quand il approche mon
corps de sa bouche, de la présomption qu’il a de le recevoir sans
craindre, toute la troupe des démons retourne à lui, d’autant qu’il
ne m’aime point. En vérité, je suis si miséricordieux que, s’il
disait d’un cœur contrit et avec résolution de s’amender : Seigneur,
je vous en supplie, pardonnez mes péchés par le mérite de votre
passion et de votre amour, je le prendrais, et les diables ne
retourneraient point à lui. Mais hélas ! il n’a que la méchanceté du
monde en la bouche ; dans son cœur grouillent les vers à troupes,
qui l’empêchent de goûter ma parole ; les paroles inutiles de son
cœur le rongent incessamment et l’occupent, afin qu’il ne pense
point à moi. Voilà pourquoi il n’arrivera jamais à mon autel.
Or, quel est mon autel,
si ce n’est la table céleste et a gloire dans les cieux, dont les
anges et les saints se réjouissent ? Cela est représenté par l’autel
de pierre qui est dans l’église, et sur lequel est sacrifié le corps
qui fut autrefois crucifié en la croix. Les sacrifices signifiaient
jadis ce qui se fait maintenant et l’Eglise. Or, que marque la table
céleste, si ce n’est la jubilation et la joie des anges ?
Or, ce prêtre ne
goûtera jamais cette joie indicible en la gloire éternelle ; il
n’assistera jamais devant ce mien autel, ni ne verra jamais ma face.
Je suis comme le vrai pélican, qui leur donne mon propre sang, et
les réfectionne, en cette vie et en la vie future, jusqu’à
rassasiement. Or, cet aigle abominable les repaîtra, l’aigle dont la
coutume est de ravir à ses petits quelquefois les choses
nécessaires, de sorte que la maigreur de la faim paraît en eux tout
le temps de leur vie : de même le diable repaît de ses délectations
quelque temps, afin qu’après, il ressente la famine de la joie, faim
qui durera éternellement en lui. Néanmoins, je lui ferai
miséricorde, s’il se convertit pendant qu’il vit.
DECLARATION
Ce prêtre fut avocat et
collecteur d’argent. Il fut déposé de sa charge à la persuasion de
sainte Brigitte. Etant furibond, il lui dit : Vous m’avez privé de
mon honneur et de mon office : quel gain en avez-vous ? Il vous eût
été meilleur de demeurer en votre maison, et non pas de semer des
discordes.
Elle répondit : Tout ce
que le roi a fait, je lui ai conseillé pour le salut de votre âme et
pour votre honneur, car un prêtre peut faire une telle charge sans
le danger de son âme.
Il lui répondit :
Qu’avez-vous à faire de mon âme ? Laissez-moi passer en ce monde
comme je pourrai, car mon âme se contentera bien en l’autre.
Elle lui repartit :
C’est pourquoi je vous dis, et cela sans doute comme je l’ai ouï
dans les jugements de Dieu, que si vous ne vous amendez et ne vous
corrigez, vous n’esquiverez point le jugement et la mort effroyable,
aussi vrai que je m’appelle Brigitte !
C’est pourquoi aussi,
peu de temps après, l’évêque l’ayant privé de l’église, il mourut
d’une mort inouïe, car lorsqu’on fondait une cloche, le métal fondu
sortit du fourneau, l’environna et le brûla tout à l’entour.
CHAPITRE 10
La
Mère de Dieu raconte à l’épouse sa grandeur et sa dignité, et les
bienfaits que tout le monde reçoit d’elle. Elle enseigne aussi la
manière et es suffrages pour lesquels l’âme d’un grand prince
décédé, pour lequel sainte Brigitte priait, pouvait être affranchie
du purgatoire. Ce document est très bon.
Je suis la Reine du
ciel et la Reine de miséricorde. Je suis la voie et l’entrée des
pécheurs vers Dieu, car il n’y a peine au feu du purgatoire qui ne
soit, pour l’amour de moi, plus légère, plus soulagée et plus facile
à porter. Il n’y a pas homme si maudit qui ne puisse avoir ma
miséricorde tandis qu’il vit,d’autant qu’il n’est pas si rudement
tenté qu’il le serait, si je ne l’empêchais ; pas un n’est si
éloigné de Dieu, à moins qu’il ne soit tout à fait maudit, qui, s’il
m’invoque, ne puisse retourner à Dieu et sentir les effets de ma
miséricorde, car moi qui suis miséricordieuse et qui ai obtenu
miséricorde de mon Fils, je veux vous montrer comment votre ami
défunt, duquel vous êtes affligée, pourra être sauvé des sept plaies
que mon Fils vous a manifestées.
En premier lieu, il
sera sauvé du feu qu’il souffre à raison de sa luxure, si quelqu’un
veut, pour l’amour de lui, faire trois biens selon les trois ordres
de l’Eglise, des mariés, des veuves et des vierges : marier une
pauvre fille, mettre l’autre en religion, et nourrir une pauvre
veuve, et ce, d’autant qu’il a excédé, 1° au péché de luxure, même
dans le mariage ; 2° à raison de sa superbe et ostentation, en
méprisant plusieurs ; 3° pour avoir trop demeuré à table et laissé
Dieu.
En deuxième lieu, que
celui qui voudra colliger et loger trois pauvres à l’honneur de Dieu
un et trine, pour cette triple gueule, un an entier, leur
administrant et servant de tels de tels mets qu’il avait accoutumé
de manger, ne mange pas qu’il ne voie manger les pauvres, afin que,
par ceci, le long temps qu’il a demeuré à table soit récompensé ; et
d’ailleurs, qu’il leur donne des vêtements et des lits, comme il
verra leur être expédient et convenable.
En troisième lieu, pour
la superbe dont il a été bouffi en plusieurs sortes, doit, qui
voudra, assembler sept pauvres chaque semaine pendant un an, le jour
qu’il voudra ; il leur lavera les pieds humblement, s’entretenant:
En cette première demande : Seigneur Jésus-Christ, qui avez été pris
par les Juifs, ayez miséricorde de lui.
En cette deuxième :
Seigneur Jésus-Christ, qui avez été lié à la colonne, ayez
miséricorde de lui. En cette troisième : Seigneur Jésus-Christ, qui
avez été jugé, étant innocent, par les coupables, ayez miséricorde
de lui. En cette quatrième : Seigneur Jésus-Christ, qui avez été
dépouillé de vos propres habits, et avez été revêtu de vêtements de
dérision, ayez miséricorde de lui.
En cette cinquième :
Seigneur Jésus-Christ, qui avez été fouetté si cruellement qu’on
voyait les côtes et qu’il n'y avait point de santé en vous, ayez
miséricorde de lui. En cette sixième : Seigneur Jésus-Christ, qui
avez été souffleté et couvert de crachats, ayez pitié de lui. En
cette septième : Seigneur Jésus-Christ, qui avez été étendu sur un
gibet, les pieds et les mains cloués, la tête meurtrie de la
couronne d’épines, vos yeux pleins de sang, ayez miséricorde de lui.
Et ayant lavé les
pauvres, qu’il leur donne la réfection le mieux qu’il pourra et le
plus convenablement, et qu’il les prie afin qu’ils prient pour l’âme
du décédé.
En quatrième lieu, il a
péché en paresse en quatre manières : 1° à aller à l’église ; 2° à
gagner des indulgences ; 3° à visiter les lieux saints.
Qui voudra donc
satisfaire pour le premier, qu’il aille à l’église une fois par mois
pendant un an pour son âme, et qu’il fasse dire une messe pour les
défunts.
Pour le deuxième, qu’il
aille autant de fois qu’il pourra commodément aux lieux où sont
données des indulgences, et où il verra pratiquer plus de dévotion.
Pour le troisième, qu’il envoie, par quelque homme juste et fidèle,
des offrandes aux saints principaux de ce royaume de Suède, et là où
le peuple a accoutumé de s’assembler pour gagner des indulgences
comme à Saint-Erice à Saint-Sigfride, et autre semblables, et qu’il
récompense celui qui porte les offrandes.
En cinquième lieu,
d’autant qu’il a péché en vaine gloire et joie déréglée, qu’il
assemble, s’il lui plaît, tous les pauvres de la cour, ou lieux
circonvoisins, une fois chaque mois pendant un an, et iceux
assemblés en une église, qu’il leur fasse dire une messe des
défunts, et que le prêtre, avant de commencer, les avertisse de
prier pour l’âme du défunt. La messe étant dite, que tous les
pauvres soient réfectionnés en sorte qu’ils sortent contents de la
table, afin que l’âme du défunt se réjouisse de leurs prières, et
que les pauvres se réjouissent de la réfection.
En sixième lieu, que
jusques à la dernière maille, il paiera et demeurera dans la peine
jusques à ce que tout soit récompensé et payé.
Vous devez savoir qu’à
la fin de sa vie, il fut en bon état et avait une bonne volonté, non
certes si fervente qu’il payât tout, mais il fut pourtant du nombre
des sauvés. Donc, l’homme doit considérer combien grande est la
miséricorde de mon Fils, qui, pour si peu d’amour, donne un repos
éternel ; et s’il n’eût eu une si bonne volonté, il eût été condamné
éternellement.
Partant, ses parents,
qui ont hérité de ses biens, doivent avoir la volonté de payer pour
lui ; et de fait, ils doivent payer ses dettes à tous ceux à qui il
devait, et en les payant, ils doivent leur demander pardon, de peur
qu’ils n’aient été incommodés par la longue attente, autrement, les
parents du défunt porteront son péché. Après, qu’ils envoient à un
chacun des monastères de ce royaume une offrande telle qu’ils
voudront, et qu’on y fasse dire une messe ; et avant qu’on dise la
messe, qu’on prie Dieu pour cette âme, afin que Dieu soit apaisé.
Après, qu’on dise la messe pour les défunts en chaque église
paroissiale en laquelle il a eu des biens, et le prêtre dira avant
de célébrer : On dit cette messe pour l’âme du défunt. S’il vous a
offensé par parole, fait ou commandement, je vous supplie de lui
pardonner. Et après, qu’il s’approche de l’autel.
Pour le septième, il
était juge, et il a commis le jugement à des lieutenants iniques,
c’est pourquoi il est affligé par les mains des diables. Mais parce
que ses lieutenants faisaient mal contre leur volonté, néanmoins,
parce qu’il n’en eut pas le soin qu’il devait, il peut être
affranchi de cette peine, si on l’aide par prières, et surtout par
le saint et auguste sacrement de l’autel, qui est le corps immolé de
mon Fils tous les jours sur l’autel ; car le pain qui est mis en
l’autel avant ces paroles : CECI EST MON CORPS, n’est que pain ;
mais les paroles étant prononcées, il se transubstantie en corps de
mon Fils, qu'il a pris de moi et qui a été cloué au gibet. Lors le
Père est honoré et doré en esprit par les membres de mon Fils. Le
Fils se réjouit en la puissance et la majesté du Père. Moi, sa Mère,
qui vous parle, je suis honorée de toute la cour céleste qui se
tourne vers celui que j’ai engendré et l’adore, et les âmes des
justes me rendent grâces de ce qu’elles ont été rachetées par lui.
Oh ! combien est horrible aux misérables de toucher avec des mains
indignes un si grand Seigneur !
Ce corps donc, qui est
mort d’amour pour l’amour, il le peut délivrer. Partant, qu’on dise
une messe de chaque solennité de mon Fils, savoir, une de la
Nativité, une de la Circoncision, de l’Epiphanie, de la Fête-Dieu,
de la Passion, de la Pâques, de l’Ascension et de la Pentecôte. Et
d’ailleurs, une messe pour chaque solennité à mon honneur et gloire,
et encore neuf messes en l’honneur des neuf ordres des anges. Et
quand on les dira, on donnera le vivre et le vêtement, afin que les
anges gardiens qui ont été offensés, soient apaisés par cette petite
oblation, et qu’ils puissent offrir son âme à Dieu. Après, qu’on
dise une messe généralement pour tous les défunts, afin que, par
ceux-ci ils obtiennent le repos, et qu’elle soit seulement avec un
digne repos.
DECLARATION
Cet homme-ci fut un
gentilhomme miséricordieux qui apparut à sainte Brigitte, disant :
Il n’y a rien qui me soulage tant des peines, que l’oraison des
justes et le saint Sacrement de l’autel. Mais d’autant que j’ai été
juge et ai commis mes jugements à d’autres qui n’aimaient guère la
justice, c’est pour cela aussi que je suis encore détenu en cet
exil.. Mais je serais bientôt affranchi, si ceux qui m’appartiennent
avaient pitié de moi avec plus de douceur. Il sera parlé du même en
ce livre, Chapitre XXI.
CHAPITRE 11
La Mère de Dieu
avertit son épouse de se souvenir tous les jours de la passion
douloureuse du Fils de Dieu, car à cette heure de la passion toutes
choses c'étaient troublées, l'humanité, la Mère, les anges, et tous
les éléments, et les âmes des vivants et des morts, voire les
démons.
Pour le jour de la
Passion.
La Mère de Dieu parle à
son épouse, disant :En la mort de mon Fils, toute choses s'étaient
troublées, car la Divinité, qui ne s’est séparée jamais non pas même
en cette heure de 1a mort, en laquelle il semblait que la Divinité
bien que 1a Divinité, ne puisse souffrir ni douleur ni peine,
d’autant qu’elle est impassible et immuable, le Fils pâtissait une
douleur très amère en tous ses membres., et voire même dans le cœur,
qui néanmoins était immortel selon la Deïté. Son âme était aussi
immortelle et pâtissait beaucoup en la séparation. Les anges aussi
assemblés, semblaient se troubler de voir Dieu pâtir en l’humanité.
Mais comment les anges
se peuvent-ils troubler, étant immortels? Certainement, comme le
juste, voyant son ami pâtir quelque chose dont il lui revenait une
grande gloire, se réjouirait tic l’acquisition de la gloire, et
s’affligerait de ce qu’il pâtit, de même les anges se contristaient
de sa peine, bien qu’ils soient impatibles, et se réjouissaient de
la gloire et du mérite de sa passion.
Tous les éléments aussi
se troublèrent: le soleil et la lune perdirent leur splendeur; la
terre trembla ; les pierres se fendirent; les sépulcres s’ouvrirent
à l’heure de la mort de mon Fils.
Tous les Gentils se
troublaient en tous lieux où ils étaient, car il y avait alors en
leur coeur comme une pointe de douleur, bien qu’ils ignorassent d’où
en venait le sujet. Le coeur aussi de ceux qui le crucifiaient, se
troubla à cette heure mais non certes à leur gloire. Les malins
esprits étaient encore troubles à cette heure, et étaient comme
assemblés en un. Or, ceux qui étaient dans le sein d’Abraham,
étaient beaucoup troublés, en telle sorte qu’ils. eussent mieux aimé
être éternellement en l'enfer que de voir une si horrible peine en
leur Seigneur.
Mais moi, Vierge Marie,
sa Mère, j'étais devant mon Fils. Pensez aussi quelle était ma
douleur Certes, personne ne le peut comprendre.
Partant, ô ma fille!
souvenez vous de la passion de mon très cher Fils. Fuyez
l’inconstance du monde, qui n’est qu’une vie passagère et une fleur
qui se fane et se fletrit soudain.
CHAPITRE 12
La Mère de celui qui
est engendré de toute éternité, dit qu’elle est semblable à un
essaim d’abeilles, d’autant que son Fils, comme une abeille bénie, a
rempli tout le monde de son miel très doux, quand il descendit en
son ventre, de sorte que tout venin a été ôté.
La bienheureuse Vierge
parle à l’épouse, disant : O épouse de mon Fils, vous me saluez et
me comparez à un essaim d’abeilles. Certainement, j’ai été une
ruche, car mon corps fut au centre de ma Mère comme un bois avant
que l’âme y fût infuse. Mon corps fut aussi comme un bois, quand
l’âme en fut séparée jusqu'à la Divinité. Ce bois a été fait en
essaim d’abeilles, quand cette bienheureuse mouche, mon Fils, sortit
du ciel, et descendit Dieu vivant dans mon sein. En moi enfin fut
quelque très doux et très-pur rayon de miel, qui était préparé en
toutes manières pour recevoir le très suave miel de la grâce du
Saint-Esprit. Ce rayon a été lors rempli, quand le Fils de Dieu
éternel vint en moi avec sa puissance, son amour et son honnêteté.
Il vint avec sa
puissance, d’autant qu’il est mon Dieu et mon Seigneur. Il vint avec
amour, car l’amour lui a fait prendre chair humaine et la mort sur
un gibet. Il vint avec l’honnêteté, car toute la vilenie du péché
d’Adam fut éloignée de moi, d’où vient que le Fils de Dieu très pur
prit la chair très pure. Mais il a l’aiguillon avec lequel néanmoins
il ne pique pas, s’il n’y est provoqué : de même l’aiguillon de la
justice sévère de mon Fils ne pique point, s’il n’est provoqué par
les péchés.
On a mal récompensé
cette abeille, car sa puissance a été donnée aux mains des iniques,
son amour aux mains des cruels ; son honnêteté a été dépouillée et
fouettée très cruellement. Bénie soit donc cette abeille qui a fait
de mon bois une ruche, et l’a remplie de son miel avec tant
d’abondance, que, par sa douceur qui m’a été communiquée, l’amertume
du venin a été ôtée de la bouche de tous !
Jésus-Christ avertit
son épouse de ranger tout son temps selon la volonté de Dieu, et de
ne rien faire, si ce n’est ce qu’elle croit plaire à Dieu, et
qu’elle conserve toujours la volonté de persévérer toujours en la
volonté de Dieu, et qu’elle élève toujours on esprit au ciel, et
qu’elle mortifie tellement son corps en cette vie, qu’il puisse
ressusciter en l’autre.
CHAPITRE 13
Le Fils de Dieu
parle à son épouse : Vous devez avoir trois choses : la première,
n’allez qu’à mes volontés ; la deuxième, ne vous arrêter que pour
mon honneur ; la troisième, ne vous asseoir que pour l’utilité de
votre époux. Or, Vous allez lors à mes volontés, quand vous ne
mangez, dormez, ni faites quelque autre chose, sinon comme vous
connaissez qu’il plaît à Dieu. Or vous vous arrêtez, quand vous avez
une volonté constante de demeurer et persévérer à mon service. Or,
vous êtes assise, quand vous élevez incessamment votre esprit aux
choses célestes, considérant quelle est la gloire des saints et la
vie éternelle.
Vous devez ajouter à
ceci trois autres choses : 1-vous devez être disposée et préparée
comme une fille qu’on veut marier, qui pense en cette sorte :
J’amasserai pour mon époux tout ce que je pourrai des biens de mon
père, puisque je dois être en adversité et nécessité. Vous en devez
faire même, car votre corps est comme votre père, duquel vous devez
exiger toute sorte de travail et toute sorte de biens pour les
départir aux pauvres, afin que vous puissiez vous réjouir en moi
comme en votre époux, car votre corps mourra, et il ne faut pas
l’épargner en cette vie, afin qu’en l’autre il ressuscite à une vie
meilleure.
En second lieu,
considérez à part vous comme une épouse : Si mon époux m’aime,
pourquoi m’inquièterais-je ? S’il est pacifique avec moi, pourquoi
craindrais-je? Partant, afin qu’il ne se courrouce point, je lui
rendrai toute sorte d’honneur et ferai toujours sa volonté.
En troisième lieu,
pensez que votre époux est éternel et très riche, avec lequel vous
aurez un honneur perpétuel et des richesses éternelles ; et partant,
ne liez point vos affections aux richesses périssables, afin
qu’éternellement vous puissiez acquérir les richesses permanentes.
CHAPITRE 14
Notre-Seigneur
déclare à l’épouse comment il l’a fait nourrir en la vie spirituelle
et dans les vertus, par un ange à la façon d’un enfant. Il la
recommande encore à la Vierge. Il raconte encore comment, par une
subtile ruse, il l’a arrachée au monde et l’a conduite au port du
salut, et lui commande de déclarer toutes ses tentations aux pères
spirituels, et qu’elle fera une bonne fin.
Un des anges parlait à
Jésus-Christ, disant : Louange vous soit, O Seigneur, de toute votre
troupe, pour l’amour que vous nous portez ! Vous avez commis cette
épouse à ma garde : je vous la recommande aussi, car je l’attirais
comme une petite fille à vous, en lui donnant des pommes ; et après
les pommes, je lui disais : Suivez-moi encore, et je vous donnerai
du vin très-doux, d’autant qu’en la pomme, il n’y a qu’un peu de
saveur, mais au vin, il y a une grande douceur et un sujet de joie à
l’âme. Or, ayant goûté le vin, je lui ai dit derechef : Avancez
encore plus avant, car je vous dispose ce qui est éternel et en quoi
est tout le bien.
Ces choses étant dites,
Notre-Seigneur dit à l’épouse : Il est vrai que mon serviteur me
parlait de vous, vous l’entendant ; il vous attirait à moi comme
avec des pommes, lorsque vous pensiez que toutes choses venaient de
moi et me rendiez grâces de tout ce que vous aviez reçu de moi ; car
comme en la pomme, il n’y a qu’une petite saveur et un médiocre
rassasiement, de même mon amour ne vous était pas alors à grand
goût, si ce n’est que quelque suavité fût en votre cœur de penser à
moi. Mais lors vous avez passe plus outre quand vous pensiez ceci :
La gloire de Dieu est éternelle, et la joie du monde fort courte et
trop inutile à la fin du monde. Que me sert-il d’aimer de la sorte
les choses temporelles ?
Après avoir eu cette
pensée, vous commençâtes de vous abstenir courageusement des
délectations du monde, et faire les biens que vous pouviez à
l’honneur de mon nom ; et lors vos désirs furent plus grands à mon
endroit. Après que vous eûtes pensé que j’étais tout-puissant et
Seigneur, duquel, comme de la source, dépendent toute sorte de
biens, et renonçâtes à vos volontés, faisant miennes, lors de droit
vous été faite mienne ; je vous ai acceptée et ai fait que vous
fussiez mienne.
Cela étant dit,
Notre-Seigneur dit à l’ange : Mon serviteur, vous êtes riche en
moi ; votre honneur est éternel ; le feu de votre amour est
inextinguible ; ma vertu est indéficiente ; vous m’avez recommandé
mon épouse, mais je veux que vous la gardiez encore jusqu'à ce
qu’elle soit arrivée à l’âge ; gardez-la bien, afin que le diable ne
lui présente à l’inconsidéré quelque chose mauvaise. Ayant soin de
la vêtir des robes des vertus, vêtements de toute sorte d’éclat et
de beauté ; entretenez-la de mes paroles, qui sont comme de la chair
fraîche, par lesquelles le sang est amélioré, la chair infirme s’en
porte mieux, et une sainte délectation est excitée en son ame, car
j’ai fait à cette mienne épouse comme quelqu’un à accoutumé de faire
à son ami, lequel il attire et allèche par amour, lui disant : Mon
ami, entrez en ma maison, et voyez ce qui s’y fait et ce que vous y
devez faire à l’entrée.
Celui qui l’a attiré
dans la maison ne lui montre pas d’abord les serpents et les lions
farouches qui sont en la maison, afin que son ami ne soit
épouvanté ; mais pour la consolation de son ami, il lui fait voir
les serpents comme des brebis douces, et les lions comme des
ouailles très-belles, disant à son ami : Mon ami, sachez que je vous
aime et que je vous ai attiré pour votre bien. Partant, dites à vos
amis tout ce que vous verrez, car ils vous consoleront et vous
garderont, de sorte que ma captivité vous sera plus agréable que
votre propre liberté.
De même en ai-je fait à
votre égard, O ma fille bien-aimée ! Je vous ai comme attirée et
captivée, quand je vous ai retirée de l’amour du monde et vous ai
liée au mien ; quand je vous ai retirée des dangers du monde dans ce
port de salut, dans lequel ceux que pensez être vierges par
continence, sont vraiment des lions par malice, ceux que vous croyez
des brebis par la contemplation divine, sont comme des serpents
rampants à terre, et par la ventre de la gueule et cupidités
insatiables. Partant, ne rapportez point ailleurs ce que vous verrez
et entendrez, mais bien à mes amis qui vous gardent et vous
instruisent, car l’Esprit qui vous a conduite au port, celui-là même
vous conduira à la patrie ; et celui qui vous a conduite à un bon
principe, celui-là vous dirigera à une meilleure fin.
CHAPITRE 15
Notre-Seigneur
Jésus-Christ dit à son épouse que les prélats, les grands et savants
qui se glorifient et s’enrichissent de leur savoir et en vivent mal,
sont comparés aux courtisanes et aux ivrognes, qui précipitent les
autres et eux-mêmes dans les abîmes des péchés. Bien que pourtant
ils eussent obligations d’être meilleurs que les autres, ma
miséricorde néanmoins ira au-devant de celui qui se convertira,
comme un père ayant recouvré son fils qui s’était perdu.
Ce prélat pour lequel
vous priez détourne ses yeux de moi et se convertit au monde avec
l’ornement et l’éclat de la dignité. S’il voulait être à moi, il me
regarderait tous les jours ; il lirait mon livre avec plus
d’attention, et considérerait non avec tant de soin du monde ma loi,
qu’est ce qui est dit à l’Église.
Elle lui répondit : La
loi de l’Église n’est-elle pas votre loi ?
Notre-Seigneur
répondit. Elle était ma loi, tant que les miens l’ont lue et
observée pour l’amour de moi. Or, maintenant, elle n’est point à
moi, d’autant qu’on la lit en la maison des dés qui jettent trois
points sur un dé, qui, pour une petite justice qu’ils trouvent en la
loi de l’Église, en acquièrent une grande somme d’argent. On ne la
lit plus pour mon honneur, mais pour acquérir des richesses.
Aux maisons des joueurs
de dés se trouvent les courtisanes et les ivrognes : tels maintenant
sont ceux qui lisent les lois de mon Église ; tels maintenant se
nomment savants et sages, quoiqu’ils soient vraiment fous : car
qu’est-ce qu’une courtisane a accoutumé de faire ? certainement,
elle est babillarde, légère en ses mœurs, belle de face par le
plâtre, et bien vêtue : tels sont maintenant ceux qui apprennent mes
lois : ils sont babillards en plaisanteries, muets à prêcher ma
parole et à me louer, si légers en leurs mœurs, que même les
séculiers ont honte du dérèglement de leurs mœurs ; et non-seulement
ils se perdent, mais ils ravagent et précipitent les autres par
leurs pernicieux exemples ; ils n’affectionnent ni n’affectent rien
tant que d’être vus du monde, d’être honnêtes et honorés, et d’aller
pompeux en leurs vêtements, d’acquérir richesses et honneurs.
Mes paroles et mes
préceptes leur sont fort amers ; ma vie et ma voie leur sont
abominables. En vérité, leur conversation et leur vie sont aussi
puantes devant moi qu’une courtisane, qui est la plus vile et la
plus abjecte des femmes. De même ceux-là me sont odieux par-dessus
les autres ; ils disent et se glorifient de savoir mes lois, mais
c’est pour décevoir et tromper les simples, pour assouvir leurs
voluptés.
En la maison où ma loi
se lit, il y a des ivrognes et des incontinents, la gloire desquels
est d’exceller, voire excéder les autres, et de pousser leur nature
aux superfluités : tels sont maintenant les maîtres de la loi, qui
se réjouissent des superfluités, qui ont bien peu honte de leur
excès, et qui ne s’affligent nullement des offenses et des péchés
d’autrui. Néanmoins, s’ils lisaient vraiment ma loi, ils
trouveraient qu’ils doivent être plus continents que les autres, et
qu’ils sont plus obligés de vivre plus parfaitement.
Or, je suis comme un
seigneur puissant, aimant les brebis de plusieurs cités, lequel,
bien qu’il soit puissant, n’usurpe point les brebis des cités
circonvoisines ; il n’en veut d’autres que celles que la justice
l’oblige d’avoir. De même moi, qui suis Créateur de toutes choses et
suis très puissant, je ne reçois pas pourtant, sinon ceux que je
dois avoir par justice, et qui se connaissent être à moi par amour.
En vérité, quiconque se sera retiré de moi, voudra retourner à moi
et voudra ouïr ma voix, pourra être sauvé. Une brebis errante de son
propre bercail, si elle entendait la voix de sa mère, ne
retournerait-elle pas soudain à sa mère ?
Et semblablement, quand
la mère entend la voix de celui qu’elle a enfanté, elle court de
toute sa force au-devant de lui, de sorte que, s’il est en sa
puissance libre, il n’y a ni labeur ni peine qui l’empêche de
courir : de même, moi, Créateur de toutes choses, je reçois
librement ceux qui oient ma voix, et je leur vais au-devant avec
joie, et je me réjouis d’avoir retrouvé l’enfant perdu, et comme une
mère, je me réjouis du retour de mon agneau.
DÉCLARATION
L’homme dont il est
ici parlé fut prévôt de l’Église de Saint-Pierre, puis cardinal.
Plusieurs qui sont le sort de Dieu et aumôniers de Dieu,
thésaurisent au autres les dons de Dieu, car le clerc, qui est le
sort de Dieu, n’a point d’autres biens hors le vivre et le vêtir,
mais est des pauvres tout ce qui est par-dessus cela, d’où vient que
celui-là est heureux qui amasse en l’été ce dont il puisse vivre en
hiver.
Car voyez comme ses
parents ont évidemment dispersé ce que celui-ci avait amassé, ne se
souciant point de son âme ; mais néanmoins, d’autant qu’il a eu une
bonne volonté de distribuer ses biens, il est parvenu à ce qu’il
désirait ; néanmoins, il eût été plus heureux s’il les eût dispensés
pendant sa vie.
Quelque saint dit à
l’épouse que, si l’homme mourait chaque jour pour Dieu, il ne
saurait assez remercier et reconnaître Dieu pour la gloire éternelle
qu’il lui réserve. Il raconte aussi des peines terribles qu’une
femme endurait pour les délectations de la chair qu’elle avait eues
en sa vie.
CHAPITRE 16
Un
des saints parlait à sainte Brigitte, disant : Si j’avais souffert
pour l’amour de Dieu autant de morts qu’il y a d’heures au monde, et
que je fusse à toute heure ressuscité, je ne pourrais pourtant avec
tout cela reconnaître Dieu pour l’amour qu’il m’a porté ; sa louange
ne se retire jamais de ma bouche, sa joie de mon cœur ; sa gloire et
son honneur ne sont jamais cachés de ma vue, ni ses concerts de mon
oreille.
Lors Notre-Seigneur dit
au même saint : Dites à cette épouse assistante ce que mérite celui
qui se soucie plus du monde que de Dieu, qui aime plus la créature
que le Créateur, et quel supplice cette femme endure, qui, pendant
qu’elle à vécu, a cherché les plaisirs de la chair.
Ce saint répondit : Son
supplice est très cruel, car pour la superbe qu’elle a eue en tous
ses membres, sa tête, ses mains, ses bras et ses pieds, sont allumés
comme d’un foudre horrible. Sa poitrine est piquée comme d’une peau
de hérisson, les épines duquel percent sa peau comme des épines, et
l’affligent sans consolation. Ses bras et le reste des membres,
qu’elle étendait pour embrasser avec douceur les hommes, sont comme
deux serpents qui l’environnent, la rongent et le déchirent sans
cesse avec désolation continuelle ; son ventre est misérablement
tourmenté, comme si, avec une grande force, on s’efforçait d’y
planter un pal. Ses cuisses et ses genoux sont comme de la glace
dure et inflexible, n’ayant point de repos ni de chaleur. Ses pieds
aussi, avec lesquels, elle se portait aux délices, avec lesquels
elle a attiré les autres à soi, sont comme des rasoirs aigus que la
taillent incessamment.
DÉCLARATIONS
Cette dame abhorrait
fort les confessions et suivait ses volontés ; étant atteinte d’une
tumeur à la gorge, elle est morte sans confession. On l’a vue être
au jugement de Dieu, laquelle tous les diables accusaient, disant et
criant : Voici cette femme qui a voulu se cacher de vous et être
connue de nous.
Le juge répondit : La
confession est une bonne lavandière ; et d’autant qu’elle ne s’est
pas voulu laver en temps et saison, elle sera maintenant noircie de
vos immondices ; et d’autant qu’elle n’a pas voulu se confondre
devant peu de gens, il est juste qu’elle soit confondue de tous
devant tous.
CHAPITRE 17
...Lors le démon dit à
la Sainte Vierge : Vierge, donnez-moi puissance sur celle-ci.
La Vierge lui dit :
Pourquoi ne la recevez-vous en votre puissance ?
Le démon lui dit : Je
ne puis pas, d’autant que je ne puis pas séparer le sang du sang
étant dans un vase pèle mêle : le sang de la charité de Dieu est
mêlé avec le sang de la charité de son cœur.
La Sainte Vierge Marie
lui dit derechef : Pourquoi ne la laissez-vous en repos?
Le diable dit : Je ne
le ferai jamais, car si je ne puis la faire tomber en péché mortel,
je ferai en sorte qu’elle soit fouettée pour le péché véniel. Et si
je ne puis encore faire cela, je jetterai en son esprit plusieurs
pensées qui l’inquiéteront.
Lors la Vierge dit : Je
veux l’aider, car toutes les fois qu’elle chasse ces pensées et les
jette à votre front, tout autant de fois les péchés lui seront
pardonnés, et son prix et sa couronne s’augmenteront.
DÉCLARATION
Un jour, sainte
Brigitte était tentée de gourmandise ; et lors, ravie en esprit,
elle vit un Éthiopien qui avait en la main comme une bouchée de
pain, et un jeune homme qui avait un vase d’or.
Lors le jeune homme dit
à l’Éthiopien : Pourquoi la sollicitez-vous et la tentez-vous, elle
qui est commise à ma garde ?
L’Éthiopien répondit :
Je la tente, d’autant qu’elle se glorifie de l’abstinence qu’elle
n’avait pas eue : c’est pourquoi je lui présente mon pain, afin que
le pain le plus bis lui soit à goût. Jésus-Christ n’a-t-il pas jeûné
quelque temps sans manger ? Les prophètes n’ont-ils pas mangé le
pain et bu à mesure ? D’où ils ont mérite ce qui est excellent et
sublime. Et comment donc celle-ci méritera-t-elle, qui est toujours
saoule ?
Le jeune homme
répartit : Jésus-Christ à enseigné de jeûner, non pas à débiliter
notablement son corps : il ne demande pas ce qui est impossible à la
nature, mais la modération ; et il ne demande pas compte de la
quantité et de la qualité des viandes, mais il considère l’intention
et l’amour avec lequel on les prend, car il faut garder la coutume
de la bonne éducation avec action de grâces, afin que la chair ne
soit débilitée plus qu’il ne faut.
Lors le diable
disparut, et elle fut affranchie de la tentation.
CHAPITRE 18
Notre-Seigneur dit
que les religieux et les personnes spirituelles qui reçoivent des
consolations du Saint-Esprit, s’ils n’en remercient très humblement
Dieu, mais négligent la grâce et s’enorgueillissent, se délectant au
monde, sont semblables au pauvre ingrat qui, après avoir bu, jette
la boisson avec mépris devant les yeux de celui qui lui avait donné
à boire.
Quelques-uns sont comme
un homme pauvre, indigent, qui souffre la soif, ce que le père de
famille sachant, il lui donne la meilleure boisson qu’il a. Or,
ayant reçu la boisson et l’ayant goûtée, il dit : Ce breuvage ne me
plaît point, et je ne vous en rends point grâces ; et il jette la
boisson en présence de celui qui la lui a donnée, lui rendant
contumélie pour charité. Le père de famille, ayant reçu une telle
injure d’icelui, étant tout plein de douceur et de bénignité, pense
à part soi : Voici que mon hôte m’a fait une grande injure, mais je
ne veux pas pourtant me venger de lui avant de venir au jugement et
que le temps en soit arrivé, car lors les taches, les notes et les
injures seront ôtées de sa face.
De même m’en font
plusieurs religieux, car en leur pauvreté et humiliation, ils crient
à moi et disent : Seigneur, nous sommes accablés de mépris et de
tribulations ; donnez-nous quelque consolation. Lors, j’en ai
compassion, et leur donne pour consolation le meilleur vin que faire
se peut, c’est-à-dire, mon Esprit, la douceur duquel remplit les
âmes, et l’ardeur duquel fait qu’ils ne se soucient point ni du
mépris ni de la pauvreté. Or, ayant goûté le vin du Saint-Esprit et
l’ayant eu quelque temps en leur cœur, ils le négligent et ne me
remercient point, mais le jettent en ma présence, lorsqu’ils
choisissent les délectations du monde, et quand ils se rendent
orgueilleux de mes grâces et de mes faveurs.
Celui que vous
connaissez s’est comporté de la sorte avec moi, lequel étant pauvre
et délaissé, mon Saint-Esprit le consolait ; quand il était méprisé
et qu’il n’avait point la joie de son cœur, je le réjouissais, car
bien que je ne lui parlasse point d’une voix corporelle et qu’il ne
l’ouît pas sensiblement, néanmoins, mon Saint-Esprit l’avertissait
de faire bien, et je l’excitais, en le réjouissant, à ce qui était
le meilleur. Mais lui, ayant goûté mon Esprit et ayant reçu les
grâces de mes consolations, répute à néant ce que je lui ai donné,
et délibère en son esprit de jeter devant ma face les divines et
amoureuses liqueurs ; Il ne les a pas pourtant jetées encore.
Voyez et considérez en
ce fait combien je suis patient et miséricordieux, car je ne le
souffre pas seulement avec patience, mais je lui distribue des biens
pour ses ingratitudes ; car il est maintenant plus honoré et plus
estimé des hommes, et les biens qu’il avait accoutumé de recevoir,
lui arrivent avec plus d’abondance qu’auparavant, mais lui me sert
moins pour cela qu’auparavant. Il répute mes grâces pour néant et ma
dilection à nulle estime. Or, il s’arrête comme un homme qui
délibère de jeter les faveurs devant la face de celui qui l’en a
enrichi, et ce, d’autant que le monde qu’il aime lui plaît plus que
moi ; la vie spirituelle qu’il avait embrassée lui est onéreuse et à
dégoût, et afin que vous éprouviez ceci, expérimentez que l’odeur
qui sortait de ses vêtements pendant qu’il me servait, n’est plus,
ni n’est pas de merveilles, car les anges tous pleins de force et de
vertu, protègent mes amis.
Or, maintenant, sa
volonté étant changée, l’odeur l’est aussi, et cette odeur montre
aujourd’hui quelles sont son intention et sa volonté. Or, qu’est-ce
que je dois faire, quand on jette devant ma face, mes grâces et mes
faveurs ? Véritablement, je le souffrirai patiemment comme un homme
débonnaire, jusqu'à ce que le jour de jugement arrive et sentence
générale, afin qu’alors apparaissent l’ingratitude et la présomption
de ce présomptueux, et la patience du Seigneur qui l’a souffert.
DÉCLARATION
L’homme dont il est ici
parlé fut moine du monastère de Saint-Paul, qui, ayant eu contrition
de ses fautes, mourut heureusement.
CHAPITRE 19
Notre-Seigneur se plaint des hommes qui se plaisent dans les délices
temporelles, méprisant la gloire future et les bénéfices de sa
passion, l’oraison desquels est comparée à la voix d’une canne et au
cliquetis des pierres ; tels seront damnes, et lors ils ne verront
pas la gloire de Dieu dans le ciel, hors, dessous et en tout lieu, à
leur confusion.
Celui que vous
connaissez chante : Seigneur, délivrez-moi de l’homme mauvais. Cette
voix est à mes oreilles comme la voix d’un flageolet, comme
l’harmonie d’une canne et comme le son du cliquetis des pierres. Or,
qui pourra répondre à leur son, vu qu’on ignore ce qu’il signifie ?
car son cœur crie à moi comme par trois voix.
La première dit : Je
veux avoir les volontés. Je dormirai et me lèverai quand il me
plaira ; je prendrai plaisir en mes paroles. Ce qui me plaît et
délecte entrera en ma bouche. Je ne me soucie point de la sobriété,
mais je cherche l’assouvissement de la nature ; je lui donnerai à
suffisance ce qu’elle désire : je désire avoir de l’argent en ma
bourse, la douceur et la mollesse des vêtements. Quand j’aurai
toutes ses choses, je serai content, et je répute à félicité d’avoir
ce que je désire.
La deuxième voix crie
et dit : La mort n’est pas si dure qu’on le dit ; le jugement n’est
pas si sévère qu’il est écrit. Les prédicateurs nous menacent de
plusieurs choses dures pour nous faire prendre garde à bien vivre,
mais elles seront plus douces à raison de la miséricorde divine.
Mais pour que je puisse accomplir ici mes volontés, faire ce qui me
plaît et jouir du meilleur, que l’âme aille où elle pourra.
La troisième voix
criait et disait : Dieu ne m’aurait pas créé, s’il ne voulait me
donner le ciel ; il n’aurait pas souffert, s’il ne voulait
m’introduire dans la patrie des vivants. Et pourquoi aurait-il voulu
endurer une mort si cruelle ? Qui l’y a contraint ? Ou bien quelle
utilité en résulterait-il ? Je ne puis entendre ni comprendre que
par l’ouïe ce qu’est le royaume céleste ; je ne vois pas sa bonté ;
je ne sais si je le dois croire ou non. Je sais et tiens pour
royaume céleste ce que je tiens.
Voilà quelles étaient
ses pensées et ses volontés ; c’est pourquoi aussi sa voix m’est
comme le cliquetis des pierres. Mais je veux répondre à la première
voix de son cœur. Mon ami, votre voix ne tend point au ciel ; la
considération de ma passion ne vous est pas à goût : c’est pourquoi
l’enfer vous est ouvert, d’autant que votre vie désire les choses
basses et les aime.
Je réponds à la
deuxième voix : Mon fils, la mort vous sera très dure ; le jugement
vous sera intolérable ; il est impossible que vous les fuyiez ; vous
aurez une peine très amère, si vous ne vous amendez pas.
Je réponds à la
troisième voix de votre cœur : Mon frère, tout ce que j’ai fait par
amour, je l’ai fait pour l’amour de vous, afin que vous me fussiez,
et que, vous étant retiré de moi, vous puissiez revenir à moi. Or,
maintenant, ma charité été éteinte en vous ; Mes œuvres vous sont
pesantes et onéreuses ; mes paroles vous semblent des fadaises, mes
voies vous paraissent difficiles : c’est pourquoi il vous reste un
supplice amer et la compagnie des diables, et vous ne changez votre
cœur en mieux, si vous me tournez le dos, à moi qui suis votre très
débonnaire Seigneur et Créateur ; vous aimez mon ennemi en me
méprisant ; vous foulez aux pieds mes trophées et dressez ceux de
mon ennemi.
Hélàs ! Voici comment
ceux qui semblent être à moi sont contre moi ; voyez en quelle sorte
ils s’en sont retirés. Je vois ces choses et les souffrances, et
encore, ils sont si endurcis qu’ils ne veulent prendre garde à ce
que j’ai fait pour eux et comme j’ai été devant eux.
1. – J’ai été devant
eux comme un homme dont un couteau aigu perçait les yeux ;
2. – comme un homme
dont un glaive transperçait le cœur ;
3. – comme un homme
dont tous les membres ont été roidis à raison de l’amertume et de la
douleur de ma douloureuse passion : C’est de la sorte que j’ai été
devant eux.
Or, qu’est-ce que mon
œil signifie, sinon mon corps, auquel le ressentiment de ma passion
fut aussi amer que la douleur en la prunelle de l’œil ? Néanmoins,
je souffrais tout cela patiemment avec un grand amour. Mais le
glaive signifie la douleur de ma très chère Mère, qui affligea plus
mon cœur que la douleur même.
En troisième lieu, tous
mes membres et toutes les parties intérieures se roidirent en ma
passion, et c’est ce que j’ai pâti pour eux. Mais hélas ! Les
misérables ! Ils méprisent tout cela comme un fils qui méprise sa
mère. Eh quoi ! Ne leur ai-je pas été comme une mère qui, ayant dans
le ventre son enfant, désire l’heure de l’enfantement, afin que
l’enfant naisse vivant ? Que s’il peut être baptisé, la mère n’a pas
tant de peine de la mort qu’elle en aurait autrement. J’en ai fait
de même : j’ai enfanté comme une mère, par ma passion, l’homme des
ténèbres de l’enfer au jour éternel. Je l’ai porté et nourri comme
dans mon sein avec de grandes difficultés, lorsque j’ai accompli les
prophéties qui parlaient de moi ; je l’ai nourri de mon lait, quand
je lui ai montré les paroles saintes et lui ai donné les préceptes
de vie. Mais lui, comme un méchant fils, méprisant les douleurs de
sa mère, me rend haine pour amour ; pour la douleur, des sujets de
pleurs, et surajoute à mes plaies de nouvelles infirmités ; il donne
à ma faim des pierres, et pour étancher ma soif, il me donne de la
boue.
Or, quelle est cette
douleur que l’homme me cause, vu que je suis sans changement,
impassible et Dieu éternel ? En vérité, lors l’homme me fait comme
endurer, quand il se sépare de moi par le péché, non pas que je sois
sujet à quelque douleur, mais seulement d’une manière ineffable,
comme un homme a compassion d’un autre. Or, l’homme me causait alors
de la douleur, quand il ignorait la gravité et la laideur du péché,
lorsqu’il n’avait ni prophètes ni loi, ni n’avait encore les paroles
de ma bouche. Or, il me cause maintenant une double douleur comme un
pleur, bien que je sois impassible, quand, ayant connu mes volontés,
ressenti mon amour, il s’agit contre mes commandements, et pèche
impudemment contre la raison de sa conscience ; et c’est pourquoi
plusieurs sont plus profondément précipités dans l’enfer, ayant la
connaissance de mes volontés, que s’ils ne l’eussent pas eue et
n’eussent reçu mes commandements ; et certes, lors l’homme faisait
en moi quelques plaies, bien que je sois invulnérable, lorsqu’il
ajoutait péché sur péché.
Or, maintenant, ils
ajoutent sur mes plaies quelque malheur vénéneux, lorsque,
non-seulement ils multiplient les péchés, mais lorsqu’ils s’en
glorifient et ne s’en repentent point. Or, quand l’homme me donne
encore des pierres au lieu de pain, et de la boue au lieu de
boisson, remarquez que, par le pain, sont entendus le profit des
âmes, la contrition du cœur, le désir divin et l’humilité fervente
en charité : au lieu de ces choses, l’homme me donne des pierres,
savoir, par l’endurcissement de son cœur. Il me donne de la boue par
l’impénitence et vaine confiance.
Il méprise de revenir à
moi par les avertissements salutaires ; et par les adversités, il
dédaigne de me regarder, et de peser et considérer la grandeur de
mon amour. Partant, je puis me plaindre à juste sujet, car je les ai
enfantés comme une mère en la lumière par la douleur de ma passion ;
mais ils aiment mieux être plongés dans les ténèbres palpables. Je
les ai repus et je les repais du lait de ma douceur, et ils me
méprisent, et ajoutent impudemment la boue de leur malice à la
douleur de l’ignorance. Ils me rassasient du péché, bien qu’ils me
dussent arroser des larmes de leurs vertus. Ils me présentent des
pierres, bien qu’ils soient obligés de me présenter leur cœur plein
de douceur. Partant, ayant patience comme un juste juge en la
justice, et en la justice miséricorde, et en la miséricorde sagesse,
je me lèverai contre eux en leur temps, et leur rendrai selon leurs
mérites ; et ils verront ma gloire dans le ciel, dedans, dehors, de
toutes parts, dans les vallées, sur les collines ; et ceux qui
seront damnés seront confus et honteux de leur propre honte et
confusion.
DÉCLARATION
Celui-ci fut religieux,
moine du monastère de Saint-Laurent, dissolu et dissipé, qui fut
occis par ses ennemis et enseveli en l’Église de Saint-Laurent.
Saint-Laurent a été vu
parler au juge, disant : Qu’est-ce que ce volage fait avec les élus,
lesquels ont répandu leur sang ? Ce moine a aime les voluptés. Et
cela étant dit, son corps a été jeté du sépulcre puant et infect.
Après, le juge dit à
l’âme qui était là présente : Allez, maudite, aux incirconcis et
abortifs que vous avez suivis, d’autant que vous n’avez voulu ouïr
la voix de votre Père ! Et la vision disparut de la sorte.
CHAPITRE 20
La
Mère de miséricorde dit que l’homme qui a la contrition et la
volonté de s’amender, et qui néanmoins est froid en la dévotion et
en l’amour de Dieu, doit impétrer de Dieu une bluette de feu divin,
par la fréquente méditation de la passion de Jésus-Christ ; et de
là, elle échauffera son âme par le divin amour, et elle sera
allaitée des mamelles virginales, c’est-à-dire, de la vertu, de la
crainte divine et de l’obéissance.
La Vierge Marie dit :
Je suis comme une mère qui a deux enfants ; mais ils ne peuvent
atteindre aux mamelles de leur mère, d’autant qu’elles sont trop
froides et sont en une maison trop froide. Néanmoins, la mère les
aime tellement qu’elle les couperait volontiers, s’il était
possible, pour leur utilité.
Je suis en vérité Mère
de miséricorde, d’autant que je fais miséricorde à tous ces
misérables qui me la demandent. J’ai deux enfants : l’un s’appelle
la contrition de ceux qui faillent contre Dieu, mon Fils ; le second
est la volonté de se corriger des fautes commises. Mais les deux
enfants sont trop froids, et ils n’ont aucune chaleur d’amour, et ne
ressentent aucun plaisir divin, et la maison de leur âme est si
froide des flammes des consolations divines, qu’ils ne peuvent
s’approcher de mes divines mamelles.
Lors, mon Fils me
répondit : Ma Mère bien-aimée, j’enverrai pour l’amour de vous une
scintille de feu en leur maison, de laquelle on pourra allumer un
grand feu. Qu’on garde, fomente et nourrisse La scintille, et qu’on
en chauffe vos enfants, afin qu’ils puissent recevoir vos mamelles.
Après, la Mère parlait
à l’époux, disant : celui-là pour l’amour duquel vous me priez eut
une spéciale dévotion envers moi ; et bien qu’il se soit plongé en
des misères infinies, il se confiait néanmoins en mon secours, et
eut quelque amour envers moi, mais point envers mon Fils, ni
crainte ; et partant, s’il eût été alors appelé du monde, il eût été
tourmenté éternellement. Mais d’autant que je suis pleine de
miséricorde, c’est pour cela aussi que je ne l’ai pas oublié ; mais
il y a encore quelque espérance du bien à ma considération. S’il se
voulait aider soi-même, car il a maintenant contrition des péchés
commis, et volonté de s’en amender ; mais il est trop froid en la
charité et dévotion ; partant, afin qu’il puisse être chauffé et
recevoir mes mamelles, on doit envoyer ma scintille en son âme,
c’est-à-dire, la considération de la passion de mon Fils, qu’il doit
assidûment méditer.
Et de fait, qu’il
considère ce que le Fils de Dieu et le Fils de la Vierge, qui est un
Dieu avec le Père et le Saint-Esprit, a souffert et enduré ; comment
il a été lié, souffleté ; comment on lui a craché au visage ;
comment il a été fouetté jusqu’au dedans, de sorte qu’on arrachait
la chair avec les fouets ; comment ayant tous les os désemboités et
tous les nerfs étendus, il était pendu au gibet avec grande
douleur ; comment, criant en la croix, il rendit l’esprit.
S’il souffle souvent
cette bluette, il s’échauffera, et je l’appliquerai à mes mamelles,
c’est-à-dire, à deux vertus que j’ai eues, savoir : la crainte de
Dieu et l’obéissance ; car bien que je n’aie jamais péché, je
craignais toutefois à toute heure afin que, ni par parole ne par
démarche, je n’offensasse mon Dieu. Par cette crainte, j’allaiterai
mon fils, savoir, la contrition de celui qui m’est dévot, pour
lequel vous priez, afin qu’il se repente de ce qu’il a fait, mais
encore il craindra le supplice et craindra d’offenser désormais mon
Fils Jésus-Christ. J’allaiterai aussi sa volonté à la mamelle de mon
obéissance, car de fait, je suis celle qui n’a jamais été
désobéissante à Dieu. Je ferai donc que celui qui a été échauffé de
la charité de mon Fils, obéira en tout ce qu’on lui commandera.
DÉCLARATION
Celui-ci fut allié de
sainte Brigitte et était grandement mondain ; il se convertit, et
eut contrition de ses péchés par un avertissement divin. Il avait
coutume de dire : Tant que j’ai eu horreur de la pénitence, je me
suis senti chargé comme d’un grand et pesant faix de chaînes ; et
lorsque je commençai de fréquenter les confessions, je me suis senti
fort allége, et mon esprit a été fort paisible, de sorte que je ne
me souciais point des honneurs et des ambitions mondaines, mais rien
ne m’était si doux que de parler ou d’ouïr parler de Dieu. Celui-ci,
ayant reçu les sacrements et ayant en la bouche le nom vénérable de
Jésus, dit : O doux Jésus, ayez miséricorde de moi ! et s’endormit
en Notre-Seigneur.
CHAPITRE 21
La Sainte Vierge
priant pour un défunt, son ami, Jésus-Christ lui dit que les biens
que ses successeurs ont faits pour son âme, lui ont peu profité,
d’autant qu’ils l’avaient fait, plus par vanité que par charité et
amour de Dieu, et que néanmoins, sa peine était soulagée par les
prières de la Vierge.
La Sainte Vierge Marie
parle, disant : Béni soit votre nom, ô mon Fils ! Vous êtes le Roi
de gloire et le Seigneur tout-puissant, ayant la miséricorde avec la
justice. Votre corps, qui a été engendré et nourri en mon ventre
sans péché, a été aujourd’hui consacré pour cette âme. Je vous prie
donc, ô mon très cher Fils ! Qu’il profite à son âme et que
miséricorde lui soit faite.
Le Fils répondit : Béni
soyez-vous, ô ma Mère, bénie de toute créature, d’autant que votre
miséricorde est infinie ! Je suis semblable à l’homme qui a acheté à
grand prix un petit champ de cinq pieds dans lequel était caché le
bon or. Ce champ est l’homme qui a cinq sens, que j’ai acheté et
racheté par mon sang, dans lequel il y avait un or précieux,
c’est-à-dire, l’âme créée par ma Divinité, laquelle est maintenant
séparée du corps et demeure seule en terre. Ses successeurs sont
semblables à un homme puissant qui, allant au jugement, crie au
bourreau : Séparez avec le couteau la tête de son corps ; ne
permettez point qu’il vive plus ; ne pardonnez point à son sang. De
même en font-ils, car ils vont comme au jugement, quand ils prient
pour l’âme de leur père ; mais on crie au bourreau : Séparez leur
tête du corps.
Qui est ce bourreau que
le diable, qui sépare de son Dieu l’âme qui consent à ses
suggestions ? Ils lui crient : Séparez, quand, ayant méprisé
l’humilité, ils font par superbe le bien pour l’âme ou pour
l’honneur du monde, plus que par charité et amour de Dieu. Par la
superbe, Dieu est séparé de l’homme et est uni à lui par l’humilité,
car ils crient : Ne souffrez pas qu’ils vivent longtemps, quand ils
ne se soucient point de bien faire pour le mort ; ils crient qu’il
ne faut pardonner au sang, quand ils ne se soucient point de
soulager sa grande peine, ni ne se soucient du temps qu’il y
demeurera, pourvu qu’ils puissent accomplir leurs volontés ; ils ne
se soucient de rien plus, tant ils sont liés aux honneurs du monde
et réputent à peu ma passion.
Lors la Sainte Vierge
répondit : J’ai vu votre justice, ô mon Fils, grandement sévère, à
laquelle je ne m’adresse point, mais bien à votre infinie
miséricorde. Partant, pour l’amour de mes prières, ayez miséricorde
de celui-ci : il disait tous les jours les heures pour mon honneur,
et n’imputez point à superbe les biens que ses successeurs font pour
lui : ils se réjouissent, et celui-ci pleure et est puni sans
consolation aucune.
Le Fils répondit :
Bénie soyez-vous, ma Mère très-chère ! Vos paroles sont toutes
pleines de clémence et sont plus douces que le miel ; vos paroles
procèdent et sortent d’un cœur tout plein de miséricorde, c’est
pourquoi vos paroles ne prêchent que miséricorde.
Celui pour lequel vous
priez aura trois sortes de miséricorde pour l’amour de vous :
1 - Il sera affranchi
des mains des démons, qui l’affligent comme des corbeaux, car comme
les oiseaux, oyant quelque grand son, laissent la proie qu’ils
tiennent, à cause de la peur qu’ils ont, de même les diables
quitteront, à cause de la crainte qu’ils auront de vous, et ils ne
la toucheront désormais ni ne l’affligeront.
2 - Cette âme sera
transférée d’une peine plus ardente à une moins ardente ;
3 - mes anges la
consoleront ; elle n’est pas entièrement affranchie ; elle a encore
besoin de secours, car vous savez et voyez la justice qui est en
moi, et que personne ne peut entrer en la béatitude, s’il n’est
purifié comme de l’or par le feu ; partant, en son temps, pour
l’amour de vos prières, elle sera entièrement affranchie.
CHAPITRE 22
Notre-Seigneur
Jésus-Christ reçoit à miséricorde quelque évêque par les prières de
sa Mère, bien qu’il fût dénué de bonnes œuvres ; mais s’étant depuis
peu converti à la contrition et à une sainte résolution de mieux
vivre, il l’a prévenu de miséricorde et de douceur, montrant comme
il devait vivre humblement, sans cupidité et de la manière dont il
doit corriger ses sujets défaillants, avec miséricorde et justice.
Le Fils de Dieu parle :
Ce prélat pour lequel vous me priez, ô mon épouse ! est déjà revenu
à moi en trois manières :
1 - comme un homme nu ;
2 - comme ayant en sa
main un glaive ;
3 - comme étendant la
main et demandant pardon ; et moi, pour l’amour des prières de ma
Mère, je me tourne vers lui, et je lui irai au-devant comme une mère
à son enfant qui avait été perdu ; et bien que mes apôtres, par
leurs prières, me l’aient recommandé, ils avaient néanmoins obtenu
peu, d’autant que celui-ci me fut contraire, lorsqu’il eut la
dignité de l’Église, ni ne se comporta pas envers elle comme prélat.
Or, je l’ai revêtu
maintenant, afin qu’il ne soit plus nu. Quelle est sa nudité, sinon
le peu de bonnes œuvres, lesquelles, certes, doivent revêtir de
l’éclat des vertus son âme qui, hélas ! paraît nue devant ma face,
bien qu’elle pense être habillée ? Je lui donnerai secours
maintenant par les prières de ma très-chère Mère et de mes saints,
afin qu’il puisse être touché et revêtu, car il s’en venait
autrement tout nu devant moi. Or, c’est lorsqu’il venait nu qu’il
s’entretenait en ces pensées : je n’ai rien de bon de moi ; je ne
puis rien de bien sans Dieu ; je ne suis pas digne de quelque bien,
car si je savais comment je puis plaire à Dieu et qu’est-ce qui lui
plaît, bien que je dusse mourir ; je le ferais franchement. Par une
telle pensée, il vient nu à moi. C’est pourquoi je lui irai
au-devant et je le revêtirai.
Il eut aussi le glaive
en ses mains, quand il considérait la rigueur et la fureur de mes
jugements, disant à part soi : Le jugement de Dieu est intolérable,
et il est impossible de l’éviter ; partant, tout ce que Dieu veut de
moi, je le veux librement, et ma volonté est disposée à faire la
sienne ; je n’ai point de bonnes œuvres.
Que sa volonté soit
faite et non la mienne. Cette pensée et cette résolution arrachèrent
de mes mains le glaive de ma fureur, et lui attirèrent ma
miséricorde.
En troisième lieu, il
étendit sa main, quand il s’occupait en ces pensées : Je sais que
j’ai péché outre mesure, et que je suis digne de la rigueur du
jugement ; néanmoins, me confiant en votre bonté, j’espère secours,
car vous n’avez pas méprise saint Paul persécuteur, ni rejeté
Magdelène pécheresse. C’est pourquoi j’ai mon recours à votre
secours, afin que vous me fassiez selon votre grande pitié et
miséricorde.
Pour cette pensée et
désir, je lui donnerai ma main miséricordieuse, et je lui
augmenterai ma douceur, s’il accomplit généreusement ces trois
choses, car il doit : 1- chasser de lui tout orgueil et toute
ostentation, et embrasser l’humilité ; 2- qu’il arrache de son cœur
toute sorte de cupidités, afin qu’il se gouverne dans les choses
temporelles comme un bon dispensateur qui doit rendre raison à son
maître ; 3- qu’il ait soin que les péchés propres et les siens ne
soient négligés, mais qu’il les corrige avec miséricorde et justice,
considérant mes œuvres, de moi qui ai pardonné et fréquenté les
publicains et les courtisanes, qui ai néanmoins méprisé les
superbes.
N’est-il pas écrit que
quelqu’un, venant à moi et disant : Maître, je vous suivrai où vous
irez ? Il répondit : Non, car les renards ont des tanières ? Et
pourquoi l’ai-je méprisé, si ce n’est que j’ai vu son cœur et sa
volonté qui désiraient la gloire et la nourriture sans rien faire ?
et partant, ma justice a voulu qu’il fût repoussé. Qu’il en fasse de
même, car quiconque viendra à lui, s’humiliant et promettant de
s’amender, demandant pardon, il est tenu de lui faire miséricorde.
Mais celui qu’il attrapera en la volonté de croupir dans son vice ni
ne voudra se convertir, il le châtiera avec modération et avec des
verges ; on le changera avec de l’argent.
Qu’il prenne néanmoins
garde qu’il ne fasse pas le châtiment pour assouvir sa cupidité,
mais par amour et pour l’amour de la justice, et qu’il convertisse
l’argent qu’il a en tels usages qu’il en puisse rendre compte à Dieu
un jour, savoir, qu’il ait pris l’argent du délinquant par droit et
justice, et qu’il soit employé en de bons et divins usages. Que si,
ayant été puni une fois en la bourse, il ne s’amende point, qu’il le
prive après du bénéfice et du plus haut degré d’honneur, afin
qu’étant ainsi confus, il demeure là comme un âne, qui, portant
auparavant une selle dorée, était en grande réputation et en grand
mépris, et qui, quand elle lui a été ôtée, a été regardé comme s’il
était insensé : de même en fais-je, moi qui suis le Créateur de
toutes choses : je châtie l’homme,
1 - par la tribulation
temporelle ;
2 - par les infirmités
de corps et d’esprit, par les résistances et contradictions de sa
volonté ; et si lors, il ne veut se convertir, je le laisse et
l’abandonne aux peines qui lui sont dues de droit et de justice.
CHAPITRE 23
La Sainte Vierge
Marie apparut à l'épouse, priant son Fils pour un grand seigneur
qu'elle comparait à un larron. Notre-Seigneur lui disait ses
détestables péchés, et il lui faisait, en considération de ses
prières, trois grâces, car il lui donna un maître spirituel. La
connaissance des peines effroyables et éternelles, et l'espérance
droite de la miséricorde avec la crainte discrète.
La Sainte Vierge parle
à son Fils et lui dit : Mon Fils, béni soyez-vous ! Je vous demande
miséricorde pour ce larron, pour lequel votre épouse pleure en
priant.
Le Fils répondit et
dit : Pourquoi, ô ma Mère, priez-vous pour lui ? Il a fait trois
larcins : 1° il a dérobé les anges et mes élus ; 2° il a dérobé les
corps de plusieurs hommes, séparant leurs âmes du corps avant le
temps ; 3° il a dépouille plusieurs de leurs biens, car : 1° il a
dérobé les anges, en tant que plusieurs âmes qui devaient être unies
et associées avec les anges, en ont été séparées par lui par
cajoleries, mauvaises œuvres, exemples mauvais, par occasions et
attrait du mal, et en ce qu'il souffrait les méchants en leur
malice, lesquels il devait punir justement, 2° Il a commande que
plusieurs innocents fussent punis et occis par colère et
indignation ; 3° il a usurpe les biens des innocents, et mis
d'intolérables calomnies sur les misérables.
Il a encore trois
autres maux avec ces trois-ci : 1° une insatiable cupidité du
monde ; 2° une vie incontinente, car bien qu'il soit lie par
mariage, il n'en use pas par charité divine, mais pour assouvir ses
cupidités ; 3° une superbe insupportable, de sorte qu'il ne pense
pas qu'aucun lui soit semblable. Voyez quel est celui pour lequel
vous priez ; vous voyez ma justice et savez ce qui est dû à chacun.
Quand la mère de
Jacques vint à moi et qu'elle m'eut demande que l'un de ses enfants
fut assis à la droite et l'autre à la gauche, je lui répondis que
celui qui aurait plus travaille et qui se serait plus humilie,
serait assis à ma droite et à ma gauche. Comment donc pourra
quelqu'un être assis à ma gauche ou à ma droite sans rien faire, qui
n'est pas pour moi, mais contre moi ?
La Mère repartit : Béni
soyez-vous O mon Fils, plein de justice et miséricorde. Je vois
votre justice terrible comme un feu embrase, et pas un ne s'en ose
approcher ; et au contraire, je vois votre miséricorde très
débonnaire, et c'est à elle que je m'adresse, que je parle ; c'est
d'elle que je m'approche, car quoique j'aie bien peu de droit et de
justice en votre endroit de la part du larron, et que je voie que,
de ce côté-là, il ne sera pas sauvé si votre grande miséricorde n’y
intervient, il est certainement semblable à un enfant qui, bien
qu’il ait la bouche, les yeux, les mains et les pieds, ne peut pas
pourtant parler de la bouche, ni discerner de ses yeux entre le feu
et la clarté du soleil, ni ne peut marcher de ses pieds, ni
travailler de ses mains : de même en est-il de ce larron : il a
accru, depuis sa naissance, en œuvres du diable ; ses oreilles ont
été endurcies pour ouïr le bien ; ses yeux ont été obscurcis pour
entendre les choses futures ; sa bouche a été close à votre louange,
et ses mains ont été tout à fait débiles aux bonnes œuvres, en sorte
que toute vertu et toute bonté étaient comme éteintes en lui ;
néanmoins, il s’arrêtait sur un pied comme en un chemin fourchu.
Or, ce pied n’est autre
que son désir, qui attendait que quelqu’un lui dit en quelle manière
il pourrait s’amender, comment il pourrait apaiser Dieu, car encore
que je dusse mourir pour lui, je le ferai franchement, disait-il. Le
premier de ses pas était la crainte et la considération de la peine
éternelle ; le deuxième, la douleur de la perte du royaume des
cieux. Partant, ô mon Fils très-débonnaire ! je vous en conjure, par
votre bonté et par mes prières, et parce que je vous ai porté en mon
sein, ayez miséricorde de lui.
Le Fils répondit :
Bénie soyez-vous, ô Mère très-débonnaire ! Vos paroles sont pleines
de sapience et de justice ; et d’autant qu’en moi sont toute justice
et toute miséricorde, je donne au larron trois biens pour trois
autres qu’il m’a offert ; car d’autant qu’il a eu un bon propos de
s’amender, je lui ai montré mon ami, qui lui montrera la vie. Pour
le deuxième, c’est-à-dire, pour la connaissance sérieuse du supplice
éternel, je lui ai augmenté la connaissance de la gravité du
supplice éternel, afin qu’il entende et ressente en son cœur combien
dure et amère est la peine éternelle. Pour le troisième, savoir,
pour la perte du royaume des cieux, j’ai illuminé son espérance,
afin qu’il fût maintenant plus sage qu’il n’avait été, et afin qu’il
eût une crainte plus discrète. Lors derechef la Mère de Dieu parla :
Béni soyez-vous, mon
Fils, de toute créature, au ciel et en la terre, que vous ayez donné
ces trois choses à ce larron par votre justice ! Maintenant, je vous
supplie de lui donner aussi votre miséricorde, car aussi vous ne
faites rien sans miséricorde. Donnez-lui donc une grâce de
miséricorde en considération de mes prières et une autre pour
l’amour de votre serviteur, qui me sollicite de prier pour ce
larron ; mais donnez-lui la troisième grâce pour les larmes de ma
fille, votre épouse sainte Brigitte.
Le Fils lui répartit :
Béni soyez-vous, ô ma
Mère très-chère, Dame des anges, Reine de tous les esprits! Vos
paroles me sont très-douces et délectables comme un vin très-bon,
voire par-dessus tout ce qui se peut penser et qu’on peut trouver en
la sapience et justice.
Bénies soient votre
bouche et vos lèvres, desquelles toute miséricorde s’écoule sur les
pécheurs ! Vous êtes publiée Mère de Miséricorde, et l’êtes, attendu
que vous considérez les misères de tous, et me fléchissez à
miséricorde ; demandez donc ce que vous désirez, car votre
charitable demande ne peut être vaine.
Lors la Mère répondit :
Ce larron, ô mon Fils et mon Seigneur, est trop exposé aux dangers ;
il ne se soutient que d’un pied : donnez-lui la grâce de pouvoir
s’arrêter plus ferme ; donnez-lui votre saint et auguste corps que
vous avez pris du mien ; votre corps est un très-salutaire secours
aux infirmes ; il rend la vue aux aveugles, l’ouïe aux sourds,
redresse les boiteux ; il est le très-doux et très-fort emplâtre
avec lequel les malades guérissent souvent. Donnez-lui cette faveur
qu’il ressente en soi ce secours, qu’il se plaise avec la ferveur de
l'amour.
En second lieu, je vous
en supplie, daignez lui montrer ce qu'il faut faire et comment il
vous pourra plaire. En troisième lieu, je vous en prie, que les
ardeurs de sa chair soient apaisées, en considération des prières de
ceux qui vous en supplient.
Le Fils répondit : Ma
chère Mère, vos paroles sont très douces comme le miel en mes
oreilles ; mais d'autant que je suis juste et que rien ne vous peut
être refuse, c'est pourquoi je veux délibérer sur votre demande
comme un sage seigneur, non pas que, pour cela, il y ait en moi
quelque changement, ou bien que vous ne sachiez et voyiez tout en
moi, mais je le fais afin que mon épouse assistante puisse entendre
ma sagesse.
CHAPITRE 24
...est avec discrétion
et que votre volonté tend à la miséricorde. C’est pourquoi je ferai
miséricorde à ce larron.
La Mère répondit :
Donnez-lui donc ce qui m’est si cher, savoir est votre corps et
votre grâce, car ce larron en est affamé, et il est privé de tout
bien. Donnez-lui donc la grâce, afin que sa faim soit rassasiée, sa
faiblesse affermie, et sa volonté enflammée au bien, qui a jusques à
maintenant croupi dans les ordures sans charité.
Le Fils répondit :
Comme l’enfant à qui on ôte la viande meurt bientôt, de même
celui-ci qui, dès son enfance, a été nourri du diable, ne pourra
point revivre, s’il n’est repu de ma viande. Partant, s’il désire
prendre et recevoir mon corps ; s’il désire être rafraîchi de ses
fruits, qu’il s’approche de moi avec ces trois vertus, savoir,
contrition des fautes commises avec volonté de s’amender et de
persévérer à bien faire.
Je réponds aux prières
de ceux qui les font pour lui. Il faut que le larron fasse ce que je
lui dirai, s’il cherche son salut : premièrement, d’autant qu’il a
osé résister au Roi de gloire, pour amendement de ce forfait, il
doit défendre la foi de mon Église sainte, et donner sa vie pour sa
protection, s’il en est besoin, et que, comme il a auparavant
travaillé pour les commodités mondaines, il en fasse de même,
maintenant, afin que ma foi augmente, que les ennemis de la foi
soient opprimés, et qu’il attire à la foi tous ceux qu’il pourra,
par sa parole et par son exemple, comme auparavant il a retiré
plusieurs du droit chemin.
Je vous jure pour
certain que, quand il n’aurait fait que prendre le bouclier pour mon
honneur, avec intention de défendre la foi, il lui sera réputé pour
la foi, s’il est appelé en ce point même que si les ennemis
s’approchent de lui, pas un ne lui nuira.
Partant, qu’il
travaille généreusement, car il a un maître puissant quand il me
possède ; qu’il combatte virilement : les stipendes sont très
grandes, savoir est la vie éternelle. Pour ce qu’il a offensé les
anges et tué des hommes, qu’il fasse dire tous les jours une messe
de tous les saints, un an entier, où il lui plaira, donnant au
prêtre qui les dire aumône pour vivre, afin que, par ses sacrifices,
les anges soient apaisés et qu’ils tournent leurs yeux vers lui.
Certes, un tel sacrifice les apaise, savoir, quand on prend mon
corps, qui est un royal sacrifice, avec charité et humilité.
Après, d’autant qu’il a
ravagé le bien d’autrui, fait injure aux veuves et aux orphelins, il
doit rendre humblement tout ce qu’il sait avoir injustement, priant
ceux qu’il a injuriés de lui pardonner miséricordieusement ; et
d’autant qu’il ne saurait satisfaire à tous ceux qu’il a injuriés et
à qui il a dérobé, qu’il fasse bâtir en quelque église un autel, où
il lui sera plus convenable, auquel il laisse de quoi célébrer une
messe jusques au jour du jugement. Et afin que ceci demeure ferme et
stable, il donnera autant de revenu qu’un chapelain puisse être
entretenu. Mais d’autant qu’il n’a point eu d’humilité, il doit
maintenant s’humilier autant qu’il pourra, et rappeler à la paix et
concorde tous ceux qu’il a offensés autant convenablement que faire
se pourra. Et quand il entendra louer ou vitupérer les péchés qu’il
a commis, qu’il ne les défende jamais, ni ne se justifie, ni ne s’en
glorifie jamais, mais qu’avec humilité il dise : Hélas ! que le
péché m’a trop plu ! Hélas ! que m’a-t-il profité ? J’ai excédé trop
en présomption, et si j’eusse voulu, je m’en fusse donné garde.
Partant, ô mes frères,
priez Notre-Seigneur qu’il me donne l’esprit de m’en repentir, de me
convertir et de m’amender. Quant à ce qu’il m’a offensé par les
excès de la chair, qu’il règle son corps par une tempérance modérée.
Que s’il écoute mes paroles et les accomplit par œuvres, il sera
lors sauvé et aura la vie éternelle. S’il fait autrement, j’exigerai
de lui jusques à la dernière maille de ses péchés, et il aura une
peine plus amère de ce que je lui fais dire ceci, et il n’en a rien
fait.
CHAPITRE 25
Après trois ans,
sainte Brigitte eut la suivante révélation concernant ledit larron.
Le Fils de Dieu,
parlant à son épouse, lui dit : Je vous ai dit autrefois une
plaisante chanson du susdit larron ; mais maintenant, je vous dis,
non un cantique, mais une lamentation et malheur : S’il ne se
convertit soudain de l’autre côté, il sentira horriblement les
fureurs de ma justice, car ses jours seront abrégés, sa semence ne
fructifiera pas ; les autres dissiperont ses richesses, et lui sera
jugé comme un larron pernicieux, et comme un fils rebelle qui a
méprisé les avertissements de son père.
CHAPITRE 26
Notre-Seigneur dit à
son épouse priant pour un roi, qu’il s’efforce, pour le conseil des
hommes spirituels et sages, de réparer les murs de Jérusalem,
c’est-à-dire, l’Église et la foi catholique, qui sont comme perdues,
les murs de laquelle sont signifiés par la communauté des chrétiens,
et les vases par le clergé et par les religieux.
Le Fils de Dieu parle :
Que celui, dit-il, qui, de membre du diable, a été fait membre de
Dieu, travaille comme ceux qui édifient les murs de Jérusalem, qui
travaillaient pour le rétablissement de la loi, qui remettaient les
vases qui avaient été écartés de la maison de Dieu.
Mais je me plains de
trois choses :
1. - que les murailles
de Jérusalem sont détruites. Quelles sont les murailles de
Jérusalem, sinon les corps et les âmes des chrétiens ? car de
celles-la, mon Église doit être bâtie, les murailles de laquelle
sont maintenant tombées, d’autant qu’elles ont fait leur volonté, et
non la mienne ; elles détournent maintenant leurs yeux de moi, et ne
veulent ouïr ma parole ; mes paroles leur sont insupportables, mes
œuvres vaines, et ma passion leur est abominable à méditer, ma vie
intolérable, et ils disent qu’il est impossible de l’imiter.
2. - Je me plains que
les instruments de ma maison sont transportés en Babylone. Quels
sont les instruments de ma maison et mes vases divers, si ce n’est
la disposition et la conversation des prêtres et des religieux ?
Leur bonne disposition et ornement ont été transportés de mon temple
en la superbe du monde eu aux volontés et plaisirs propres. Ma
sapience et ma doctrine leur sont vaines, mes commandements
onéreux ; ils ont enfreint mes promesses ; ils ont profané ma loi et
les constitutions de leurs prédécesseurs, mes amis, et ont pour lois
leurs inventions.
3. - Je me plains que
la loi de mes dix commandements est perdue. Eh quoi ! Ne lit-on pas
en l’Évangile que, quand quelqu’un m’interrogeait, disant : Maître,
que ferai-je pour avoir la vie éternelle ? Je lui répondis : Gardez
mes commandements, qui sont maintenant perdus et négligés. C’est
pourquoi ce roi pour lequel vous priez, doit assembler des hommes
spirituels, sages de ma sagesse, s’enquérir de ceux qui ont mon
esprit, et leur demander comment les murs de Jérusalem doivent être
réédifiés parmi les chrétiens. Il faut que l’honneur soit rendu à
Dieu, que la foi droite fleurisse, que l’amour divin soit fervent,
et que ma passion soit imprimée dans les cœurs des hommes. Qu’il
considère aussi comment il pourra rétablir les vases en leur premier
état, c’est-à-dire, comment les prêtres et les religieux, ayant
quitté la superbe, pourront embrasser l’humilité ; que les innocents
aiment la chasteté, et comment les mondains pourront quitter les
appétits désordonnés du monde et être lumière aux autres.
Qu’il s’efforce aussi
de faire aimer l’observance de mes commandements, et le tout avec
force et sagesse. Qu’il assemble les chrétiens qui sont justes, afin
qu’avec eux il réédifie ce qui a été détruit. En vérité, mon Église
est trop éloignée de moi, de sorte que si les prières de ma Mère n’y
intervenaient, il n’y aurait point espérance de miséricorde. Or,
entre tous les états des laïques, les soldats ont plus apostasié que
toute leur apostasie et supplice, comme il vous a été montré
ci-dessus.
CHAPITRE 27
Notre-Seigneur
défend à son épouse d’ouïr des choses nouvelles, des œuvres des
mondains et guerres des illustres. Hélas ! pourquoi vous
occuperiez-vous de choses si inutiles et si vaines, puisque je suis
le Seigneur de toutes choses, et qu’aucune délectation ne doit être
chérie que la mienne ?
Que si vous vouliez
ouïr les faits des seigneurs et considérer les actions magnifiques,
vous devriez occuper votre esprit en la considération de mes faits,
qui sont incompréhensibles et prodigieux à la pensée des hommes, et
admirables à l’ouïe. Or bien que le diable meuve les grands du monde
à sa volonté ; bien qu’ils prospèrent par un mien juste jugement,
néanmoins, je suis leur Seigneur, et ils seront jugés par mon juste
jugement. Ils ont entrepris et formé une nouvelle loi contre ma loi,
et ils emploient tout leur soin à être honorés du monde, à savoir
comment ils pourront acquérir des richesses, en quelle manière ils
pourront accomplir leur volonté, dilater leur race.
C’est pourquoi je jure
en ma Divinité et humanité que, s’ils meurent en tel état, ils
n’entreront point en cette terre qui était promise en figure aux
enfants d’Israël, terre où découlaient le lait et le miel ; mais il
arrivera comme à ceux qui désiraient les pots de viandes, qui
mouraient d’une soudaine mort ; car comme ceux-là mouraient d’une
mauvaise mort corporelle, de même ceux-ci meurent d’une mort de
l’âme.
Mais ceux qui font mes
volontés entreront en la terre où découle le miel, c’est-à-dire, en
la gloire, en laquelle il n’y a point de terre dessous ni dessus, ni
de ciel plus haut ; mais moi-même, Seigneur et Créateur de toutes
choses, je suis au-dessous, au-dessus, aux côtés, dehors et dedans,
d’autant que je remplis toutes choses de ma gloire, et rassasie mes
amis d’une gloire, non de miel, mais d’une admirable suavité, de
sorte qu’ils ne désirent que moi, n’ont besoin que de moi, en qui
est tout le bien. Mes ennemis ne goûteront jamais ce bien, s’ils ne
se convertissent de leur méchanceté, car s’ils considéraient ce que
j’ai fait pour eux ; s’ils pensaient à ce que je leur ai donné, ils
ne me provoqueraient jamais de la sorte à ire et à indignation.
Certes, je leur ai donné tout ce qui était nécessaire, utile et
désirable, avec la due tempérance ; je leur ai permis d’avoir des
honneurs avec modération.
Quiconque penserait à
part soi : Puisque je suis en honneur, je veux avoir avec modération
et honnêteté ce dont j’ai besoin, selon mon état. Je rendrai à Dieu
honneur et révérence ; je n’opprimerai personne ; je fomenterai les
moindres ; j’aimerai tout le monde : un tel, certes, me plaît en son
degré d’honneur. Mais celui qui a des richesses et s’entretient en
ces pensées : Puisque je suis riche, je ne prendrai rien
injustement ; je ne ferai injure à pas un ; je me donnerai garde des
péchés mortels, j’aiderai les pauvres : celui-ci m’est agréable en
ses richesses. Mais celui qui est plongé dans les voluptés, s’il
pense : Ma chair est fragile, ni ne pense pas me pouvoir contenir :
c’est pourquoi soudain que j’aurai une femme légitime, je ne
désirerai point la femme de mon prochain et me préserverai de la
turpitude, celui-là me peut aussi plaire.
Mais d’ordinaire, tous
ceux-là préfèrent leur loi à la mienne, d’autant qu’en leurs
honneurs, ils ne veulent point avoir de supérieurs ; ils ne se
peuvent jamais rassasier de leurs richesses ; ils excèdent en leurs
voluptés par-dessus les manières louables. Partant, s’ils ne
s’amendent et ne commencent une autre voie, ils n’entreront point en
ma terre, en laquelle le lait et le miel sont spirituels,
c’est-à-dire, ma douceur et l’admirable assouvissement ; ceux qui
les goûtent ne désirent rien de plus et n’ont besoin de rien.
CHAPITRE 28
Une âme damnée pour
de grands péchés et pour n’avoir eu douleur des plaies que
Jésus-Christ souffrit en sa passion. Cette âme est damnée comme un
enfant abortif. Ceux qui gardaient le sépulcre sont marques par ceux
qui poursuivaient malicieusement Jésus-Christ en ses prédications,
et par ceux qui le crucifiaient.
Une grande troupe
paraissait être devant Jésus-Christ, à laquelle il parlait, disant :
Voilà que cette âme n’est plus à moi. Elle ne s’est non plus souciée
de mes plaies et de la blessure de mon cœur que si on eût percé le
bouclier de son ennemi ; elle s’est autant souciée des trous de mes
mains que si un drap fripé était rompu; elle a eu autant en estime
les plaies de mes pieds que si on eût coupé une pomme pourrie.
Lors Notre-Seigneur
parlait à elle, disant : Vous avez souvent en votre vie demandé
pourquoi j’avais voulu mourir : Or, maintenant, je vous demande
pourquoi vous êtes morte.
Elle répondit :
D’autant que je ne vous ai point aimé.
Vous m’avez été,
dit-il, comme un enfant abortif est à sa mère, pour lequel elle
endure tout autant que s’il était vivant. De même je vous ai
rachetée avec tant de prix et d’amertume comme un des saints, bien
que vous vous en soyez souciée bien peu. Mais comme l’enfant abortif
ne goûte point la douceur des mamelles de sa mère, ni consolation de
ses paroles, ni n’est échauffé en son sein, de même vous ne jouirez
jamais de la douceur ineffable de mes élus, d’autant que vous n’avez
recherché autre douceur que le vôtre. Vous n’oyez jamais ma parole
pour votre avancement. Les paroles de votre bouche et celles du
monde vous plaisaient trop, et les paroles de ma bouche vous étaient
amères. Vous ne ressentirez jamais les effets de mon amour ni de ma
bonté, d’autant que vous avez été froide à faire toute sorte de
biens. Allez donc au lieu où on a accoutumé de jeter les abortifs,
où vous vivrez en votre mort éternelle, car vous n’avez pas voulu
vivre en la lumière et en ma vie.
Après, Dieu parlait à
la troupe : O mes amis, si toutes les étoiles et planètes étaient
changées en langues ; si tous les saints me priaient, je ne lui
ferais point miséricorde, d’autant qu’elle oblige ma justice à la
damper.
Cette âme fut semblable
à trois sortes de gens : Premièrement à ceux qui suivaient de malice
mes prédications, afin de pouvoir trouver occasion en mes paroles et
en mes faits de m’accuser et de me trahir ; ils ont vu mes bonnes
œuvres et mes merveilles qu’autre que Dieu ne pouvait faire ; ils
ont ouï ma sapience, ont approuvé ma vie louable et néanmoins, ils
enrageaient d’envie contre moi, et ils conçurent de la haine ; mais
pourquoi cela ? d’autant que mes œuvres étaient bonnes et que leurs
œuvres étaient mauvaises, et parce que je n’approuvais, mais je
reprenais aigrement leurs péchés : de même cette âme me suivait avec
son corps, non pas par le mouvement et l’attrait du divin amour,
mais icelle était traînée à me suivre encore pour paraître devant
les hommes ; elle oyait mes commandements et les voyait de ses
yeux ; elle prenait de là sujet de se fâcher et s’en moquait ; elle
ressentait ma bonté, et elle n’y croyait point ; elle voyait mes
amis profiter, et elle les envoyait, mais pourquoi ? d’autant que
mes paroles et celles de mes élus étaient contre sa malice, mes
préceptes et mes avertissements contre sa volupté, mon amour et mon
obéissance contre sa volonté ; néanmoins, sa conscience lui dictait
que je devais être honoré par-dessus tout.
Par les mouvements des
astres, elle entendait que j’étais son Créateur, et par les fruits
de la terre et par le bel ordre et la disposition de toutes les
choses, elle savait que j’en étais l’auteur ; et bien qu’elle le
sut, elle s’en fâchait et abhorrait mes paroles, d’autant que je
reprenais ses mauvaises œuvres.
En deuxième lieu, il
était semblable à ceux qui me tuèrent, et qui disait ensemble :
Faisons-le mourir sans crainte ; il ne ressuscitera point le
troisième jour. Or, moi, j’avais prédit à mes disciples que je
ressusciterais le troisième jour ; mais mes ennemis, les amateurs du
monde, ne croyaient point que je ressuscitasse avec ma justice, et
ce, d’autant que les Juifs me virent comme homme pur, et ne
percèrent point jusques à la Divinité, qui était en moi : c’est
pourquoi ils péchèrent, non avec tant de gravité, car s’ils eussent
su que j’étais Dieu, ils ne m’eussent jamais occis.
Cette âme pensait en
elle-même : Je fais ma volonté comme il me plait. Je le ferai mourir
sans craindre par mes volontés et par les œuvres qui me plaisent et
lui déplaisent ; elles ne me nuisent en rien : pourquoi ne les
ferai-je donc ? car il ne ressuscitera pas pour juger ; il ne jugera
pas selon les œuvres des hommes, car s’il voulait juger si
rigoureusement, il nous eût pas rachetés ; et s’il avait tant de
haine contre le péché, il ne supportait pas les pécheurs avec tant
de patience.
En troisième lieu, il
est semblable à ceux qui gardaient ma sépulture, qui s’armèrent et
environnèrent de soldats mon tombeau, afin que je ne ressuscitasse
point, disant : Gardons diligemment de peur qu’il ne ressuscite et
qu’il faille le servir. De même en faisait cette âme : elle s’armait
de l’endurcissement du péché, car elle gardait diligemment le
sépulcre, c’est-à-dire, la conversation de mes élus, sur lesquels je
me repose ; elle les gardait avec grand soin, afin que mes paroles
et leurs avertissements n’entrassent en son cœur, pensant en
soi-même : Je prendrai garde de n’entendre point leurs discours de
peur qu’étant piqué de quelque juste ressentiment, je ne vienne à
laisser mes voluptés, et que je n’entende ce qui déplairait à ma
volonté ; et de la sorte, par la malice, il se sépara d’eux, avec
lesquels la charité le devait unir.
DÉCLARATION
Cette personne damnée
fut noble et se souciant peu de Dieu. Un jour, étant à table,
blasphémant les saints, éternuant, elle mourut soudain sans les
sacrements, et son âme a été vue comparaître en jugement, à laquelle
le Juge disait : Vous avez parlé comme vous avez voulu, et avez fait
comme vous avez pu : il est donc raisonnable que vous gardiez le
silence maintenant et que vous écoutiez.
Répondez-moi donc,
sainte Brigitte l’entendant.
Bien que je sache
toutes choses, n’avez-vous pas ouï ce que j’ai dit ? Je ne veux
point la mort du pêcheur, mais sa conversion. Pourquoi donc, le
pouvant, n’êtes-vous pas revenue à moi ?
L’âme répondit :
Certes, je l’ai ouï, mais je ne m’en suis pas souciée.
Le Juge lui dit
derechef : N’avez-vous pas ouï : Allez au feu, maudits ! et venez,
mes élus ! Pourquoi ne veniez-vous donc pas ?
Je l’ai ouï, dit-elle,
mais je n’en croyais rien.
Le Juge lui dit
encore : N’avez-vous pas ouï que j’étais juste Juge et éternellement
formidable ? Pourquoi donc ne m’avez-vous pas eu en crainte ?
Je l’ai ouï, dit-elle,
mais je m’aimais trop, et j’ai clos mes oreilles, afin de n’ouïr le
jugement ; j’ai endurci mon cœur, afin de ne pas y penser.
Le Juge dit : Il est
donc juste que la tribulation et l’angoisse ouvrent votre esprit,
puisque vous n’avez pas voulu entendre quand vous le pouviez.
Lors l’âme a été
rejetée du jugement, gémissant et criant : Hélas ! Hélas ! Quelle
récompense ! Mais aura-t-elle fin ?
Soudain une voix a été
ouïe qui disait : Comme le premier principe de toutes choses n’aura
point de fin, de même votre misère n’en aura point.
CHAPITRE 29
Il est commandé à
sainte Brigitte de recevoir souvent le corps de Notre-Seigneur,
figuré par la manne du désert et par la farine dont la veuve
rassasia le prophète. Il raconte aussi les grandes vertus, grâces et
faveurs qui arrivent à l’âme qui communie comme il faut.
Je suis votre Dieu et
Seigneur, la voix duquel Moïse ouït au désert au buisson, et Jean au
Jourdain.
Dès ce jour, je veux
que vous receviez souvent mon corps, car il est le médicament et la
viande qui affermit l’âme : celui qui est infirme d’esprit et débile
en l’exercice de l’esprit, en est guéri et affranchi. N’est-il pas
écrit que le prophète était envoyé à la femme qui le nourrissait
d’un peu de farine, et que la farine ne diminuait point jusqu’à ce
que la pluie tombât sur la terre ?
Je suis ce prophète en
figure, et mon corps est figuré par la farine. Cette nourriture de
l’âme ne se consomme point et ne diminue point, mais nourrit l’âme,
et demeure sans être consommée, car la viande corporelle à trois
choses :
1 - étant mâchée, elle
se rend liquide ; 2 - elle s’anéantit ; 3 - elle nourrit pour
quelque temps ; mais ma viande est, 1 - mâchée quant aux accidents,
et n’est point mâchée quant à la Divinité et humanité ; 2 - elle
n’est point anéantie, mais elle demeure la même ; 3 - elle ne
rassasie point pour un temps, mais éternellement.
Cette viande est
préfigurée en la manne, que les anciens Pères ont mangée dans le
désert ; elle est cette viande que j’ai promise en mon Évangile, et
qui rassasie éternellement. Donc, le malade croît en force par la
viande corporelle ; de même aussi tous ceux qui reçoivent mon corps
dignement et avec bonne intention, croissent en force spirituelle.
Elle est ce fort médicament qui, entrant en l’âme, l’affermit et la
rassasie. Ceci est caché aux sens, et la foi le découvre à l’esprit
demis. Cette viande est à dégoût aux méchants et à ceux qui goûtent
les douceurs du monde, à ceux dont les yeux ne voient que cupidité,
dont l’esprit ne discerne ni n’estime que les propres volontés.
CHAPITRE 30
Jésus-Christ
commande à son épouse sainte Brigitte de conformer entièrement sa
volonté à la volonté de Dieu, tant en prospérité qu’en adversité,
car la volonté est comparée à la racine de l’arbre : que si elle est
bonne, c’est-à-dire, si l’âme est bonne, elle produit de bons
fruits ; que si elle est inconstante, alors elle est rongée par la
taupe, c’est-à-dire, par le diable, et l’âme est lors remplie des
vents des adversités, ou bien elle se sèche sous les chaleurs du
soleil, c’est-à-dire, de l’amour vain du monde.
Le Fils parlait à son
épouse : Bien que je sache toutes choses, dites-moi néanmoins en
votre langage quelle est votre volonté.
Soudain l’ange répondit
pour l’épouse, disant : Sa volonté est comme on lit : Votre volonté
soit faite en la terre comme au ciel.
C’est ce que je
demande, dit Notre-Seigneur, c’est ce que je veux, et c’est ce qui
m’est une obéissance très-agréable. Vous devez donc, ô mon épouse,
être comme un arbre bien enraciné, qui ne craint point trois sortes
d’accidents : 1 - Si l’arbre est bien enraciné, les taupes ne
l’arracheront point ; 2 - Il n’est point ébranlé par l’impétuosité
des vents ; 3 - Il ne sèche point par l’ardeur du soleil.
Votre âme est un arbre
dont la principale racine est la bonne volonté de Dieu. En vérité,
de cette bonne racine pullulent autant de vertus qu’il y a de
racines en l’arbre. Or, la racine de laquelle les autres dépendent,
doit être forte, grosse et plus profondément enfoncée en la terre :
de même votre volonté doit être forte en patience, grosse en la
divine charité, et profondément abaissée en la vraie humilité ; et
si votre volonté est ainsi enracinée, elle ne doit point craindre
les taupes.
Mais qu’est-ce que
signifie la taupe fouillant sous la terre, sinon le diable, qui va
invisiblement, trompant et troublant l’âme ? Le diable, par sa
morsure, fend la racine de la bonne volonté, si elle est constante à
pâtir, et en la fendant de sa morsure, il la dissipe quand il
suggère de mauvaises affections au cœur, tire votre volonté à
diverses choses, et fait désirer ce qui est contre votre volonté,
dit Jésus-Christ à sainte Brigitte. Mais la première racine étant
empoisonnée, toutes les autres le sont, et le tronc se sèche,
c’est-à-dire, la volonté et l’affection sont corrompues ; toutes les
autres vertus sont empoisonnées et me déplaisent, si on ne s’amende
par pénitence ; l’âme est digne d’être sujette à la domination de
Satan, bien que sa volonté ne parvienne à l’effet extérieur. Que si
la racine de la volonté est forte et grosse, la taupe le peut
ronger, mais non pas la fendre, et lors, par la morsure, la racine
devient plus forte : de même, si votre volonté est toujours forte
dans les adversités et les prospérités, le diable la peut bien
ronger, c’est-à-dire, il peut lui suggérer de mauvaises pensées,
mais si elle y résiste et n’y consent point de volonté, lors elles
ne seront point adjugées à supplice, mais bien à plus grand mérite,
si on les souffre avec patience, et à plus grande sublimité de
vertu.
Que s’il arrive que
vous tombiez par impatience ou à l’improviste, relevez-vous soudain
par la pénitence et contrition, et lors je remets le péché, et donne
patience et force contre les suggestions de Satan.
En deuxième lieu, si
l’arbre est bien enraciné, il ne doit point craindre les
impétuosités des vents. De même si votre volonté est conforme à la
mienne, vous ne devez point vous soucier des adversités du monde,
qui sont comme un vent, pensant en vous-même que peut-être il vous
est expédient que les tribulations du monde vous fassent souffrir.
Vous ne devez pas aussi vous troubler du mépris du monde ni des
affronts car j’exalte et j’abaisse ceux que je veux. Vous ne devez
pas vous plaindre des douleurs du corps, car je le puis guérir et
blesser, et je ne fais rien sans raison et sujet. Or, celui qui a
une volonté contraire à la mienne, celui-là est affligé maintenant,
d’autant qu’il ne peut accomplir ce qu’il désire, et il sera encore
puni en l’autre vie, à raison de sa mauvaise volonté ; que s’il
résignait et consignait sa volonté en moi, il pourrait souffrir
facilement toutes les adversités.
En troisième lieu, un
arbre bien enraciné ne craint point les chaleurs excessives,
c’est-à-dire, ceux qui ont une volonté accomplie ne se dessèchent
point de l’amour de Dieu par les excès de l’amour du monde, ni ne
sont pas retirés de l’amour de Dieu par l’homme corrompu. Mais ceux
qui sont inconstants, leur âme est bientôt ébranlée de leur
suggestion du diable, ou par les contrariétés du monde ou de l’amour
vain, désirent ce qui est inutile. Partant, cet homme n’est pas un
bon arbre, duquel vous pensez maintenant : La principale racine
d’icelui est coupée, savoir : Votre volonté soit faite en la terre
comme au ciel, car il a embrasse l’austérité de la vie conscient, et
lors je remets le pêche, et donne patience et force contre les
suggestions de Satan.
En deuxième lieu, si
l'arbre est bien enraciné, il ne doit pas craindre les impétuosités
des vents. De même si votre volonté est conforme à la mienne, vous
ne devez point vous soucier des adversités du monde, qui sont comme
un vent, pensant en vous-même que peut-être il vous est expédient
que le tribulat insidu vous fasse souffrir. Vous ne devez pas vous
troubler du mépris du monde et des affronts car j'exalte et
j'abaisse ceux que je veux. Vous ne devez pas vous plaindre des
douleurs du corps, car je le puis guérir et blesser, et je ne fais
rien sans raison et sujet. Or, celui qui a une volonté contraire à
la mienne, celui-là est affligé maintenant, d'autant qu'il ne peut
accomplir ce qu'il désir, et il sera encore puni en l'autre vie, à
raison de sa mauvaise volonté ; que s'il résignait et consignait sa
volonté en moi, il pourrait souffrir facilement toutes les
adversités.
En troisième lieu, un
arbre bien enraciné ne craint point les chaleurs excessives,
c'est-à-dire, ceux qui ont une volonté accomplie ne se dessèchent
point de l'amour de Dieu par les excès de l'amour du monde, ni ne
sont pas retirés de l'amour de Dieu par l'homme corrompu. Mais ceux
qui sont inconstants, leur âme est bientôt ébranlée de leur
entreprise et de l'amour de Dieu, ou par la suggestion du diable, ou
par les contrariétés du monde ou de l'amour vain, désirant ce qui
est inutile. Partant, cet homme n'est pas un bon arbre, duquel vous
pensez maintenant :La principale racine d'icelui est coupée,
savoir : Votre volonté soit faite en la terre comme au ciel, car il
a embrassé l'austérité de la vie continente, mais l'ardeur de
l'amour se refroidit en lui. Je l'ai aide a raison des prières de ma
Mère. Il avait trois choses : la pauvreté sans les richesses,
l'infirmité en ses membres et défaut en la science. Ma volonté était
que, s'il eut demeuré patiemment en ces trois choses, il aurait eu
une abondance éternelle, éternelle santé, beauté, connaissance et
vision de Dieu. Et pour obtenir ces choses, je l'avais grandement
aidé, lui donnant la force spirituelle, lui inspirant ma volonté.
Mais sa volonté est contraire a la mienne, se fâche de la pauvreté,
non pour l'amour de moi, mais pour son utilité; il se fâche de son
infirmité, se fâchant de pâtir ; il s'inquiète de ne savoir, de peur
d'être méprisé des autres.
Partant, par le secret
de ma science, il a obtenu les trois choses dont il était trouble,
car il jouit d'une plus grande abondance qu'il n'avait auparavent de
necessite corporelles ; il a une plus grande science et une plus
grande reputation. Partant, quand le diable le touche avec la
tentation, il doit craindre la chute, d'autant que la volonté
principale est rompue, et que l'amour du monde est échauffé en lui,
soudain il quitte le bien et avance chemin aux cupidités. Que la
tribulation l'accable partout, du tout il est abattu comme un arbre
frappé des vents ; il n'est stable en rien, mais querelleur en tout.
Que si le vent d'honneur souffle, il ne sera pas moins sollicité par
les pensées de plaire à tout le monde et d'être par tous estime bon.
Et comment pourra-t-il parer sagement les coups au revers de
fortune ? Voyez combien d'inconstance provient de la racine
vicieuse.
Or, que ce que je dois
faire ? Je suis comme un bon jardinier : en mon jardin, il y a
plusieurs arbres infructueux et peu plantureux. Si on coupe tous les
bons arbres, quel est celui qui entrera après dans ce jardin ? Que
si on arrache entièrement tous les arbres infructueux, le jardin
sera trop difforme et désagréable, a raisin de la fosse et de la
poudre : de même si j'appelai de cette vie tous les bons, qui
entrerait après dans le jardin de mon Eglise ? Si j'en arrachais
tous les mauvais tout d'un coup, mon Eglise apparaîtrait trop
difforme, à raison des fosses et puis les autres me servaient par la
crainte de la peine, et non par amour.
C'est pourquoi je fais
comme le bon enteur qui retranche du tronc tout ce qui est aride et
sec et le met au feu, et ente là-dessus du bon fruit : de même je
planterai des arbres doux ; je ferai des parterres de vertus et
enterai là-dessus ; et de temps en temps, j'en retrancherai ce qui
est sec et le jetterai au feu ; je nettoierai mon jardin, de peur
qu'il n'y demeure quelque chose d'infructueux qui puisse empêcher
les rameaux nouveaux et les fruits.
DÉCLARATION
Il est traité en ce
chapitre d'un certain prieur qui s'étant excite à la contrition par
les paroles de Jésus-Christ, se rendit après grandement dévot. Ce
prieur vis Jésus-Christ lui tendant la main et lui disant : Par ces
os si durs les clous sont entres.
Ce prieur étant mort,
Notre-Seigneur dit à sainte Brigitte : Ce frère, ton ami, n'est pas
mort, mais il vit, d'autant qu'il a accompli par œuvres ce que le
nom de frère signifie. Mais vous me pourriez demander ce que
signifie le nom de frère. Je vous réponds : celui-là est
véritablement frère, qui, selon la maxime commune, porte tout ce
qu'il a sur son dos, qui ne désire que Dieu, qui se contente du
nécessaire, qui connaît que Dieu incarné est son frère et l'aime
comme frère.
Ce frère ne pouvait
qu'à grand'peine se persuader que sainte Brigitte eut tant de grâces
de Dieu. Dieu, en un ravissement, la lui montra, elle et le feu qui
descendait du ciel sur elle ; et admirant cela et croyant que
c'était illusion, étant éveillé de ce sommeil, il fut plongé dans la
même vision, en laquelle il ouït une voix qui lui dit deux fois :
Aucun ne peut empêcher que ce feu ne sorte, car de ma puissance,
j'enverrai ce feu à l'orient et à l'occident, au septentrion et au
midi, et il enflammera le cœur de plusieurs.
Après ceci, ce frère
crut aux révélations, et les défendit et accomplit, et parfît par
œuvres ce que le nom de frère signifie, et finit très heureusement
sa vie.
D'ailleurs dans ce même
chapitre, il est traité de quelque frère infirme depuis trois ans,
le pied duquel se pourrissait et la moëlle en coulait. Ce frère
exerça tant de patience qu'il avait toujours Jésus dans son cœur et
en sa bouche, disant : O Jésus très digne ! Je désire, je désire,
oui, je désire ce que je ne peux dire. Jésus, mon désir, venez à
moi. Ayant été interroge sur ce qu'il désirait, il répondit : Dieu !
du désir que j'en ai, et de la vision je m'en réjouis ; voire
tressaille de tel contentement, que, pour le posséder, je donnerais
franchement cent ans en cette infirmité.
Après ceci, le même
frère, se réjouissant, mourut à minuit environ entre les mains des
frères. Mais le jour suivant, qui était un dimanche, sainte
Brigitte, étant ravie, en esprit, ouït : O fille, parce que les
seigneurs et les maïtres ne veulent point venir à moi, je ramasse et
attire à moi les pauvres et les moins fervents, car ce pauvre idiot
a aujourd'hui trouvé plus de sagesse que Salomon, des richesses qui
ne vieillissent jamais, et une couronne qui ne se flétrira jamais.
Dites aussi au frère
qui l'a servi en la maladie, que son service lui servira comme
pénitence pour ses fautes, qu'il sera affranchi des tentations, et
qu'il aura une nouvelle force dans l'exercice des choses
spirituelles, qu'il arrivera à la fin de ses joies, et qu'il
veillera dans le repos de Lazare.
CHAPITRE 31
L'épouse voyait au
jugement divin un démon, et une âme semblable à la forme horrible
d'un animal ; et elle était damnée, d'autant qu'elle avait persévéré
dans le mal, et ne s'en était repentie à la fin. Comment
Jésus-Christ est charitable et bénin aux bons, et vigoureux aux
mauvais, et comment une autre âme montait.
L'épouse voyait au
jugement divin comme deux démons semblables en tous leurs membres,
la bouche desquels était ouverte ; leurs yeux étaient flamboyants,
leurs oreilles pendantes comme celles des chiens ; leur ventre était
enflé, grandement étendu et vaste ; leurs mains étaient comme des
griffes, leurs cuisses sans jointures, leurs pieds comme boiteux et
comme coupes au milieu.
Lors, un d'iceux dit au
Juge : Donnez-moi pour femme cette âme qui m'est semblable.
Le Juge lui dit : Quel
droit y avez-vous ?
Le démon répondit : Je
vous la demande en premier lieu, puisque vous êtes juste : a-t-on
pas accoutumé de dire que quand un animal est semblable à un autre,
cet animal est fils d'un lion, car il lui ressemble, ou d'un loup,
pour la même raison ? etc. Or donc, de quelle espèce est cette âme,
ou a qui est-elle semblable, aux anges ou aux démons ?
Le Juge lui repartit et
lui dit : Elle n'est pas semblable aux anges, mais à toi et à tes
semblables, comme il parait.
Lors le démon, comme en
se moquant, dit : Cette âme étant créée des ferveurs de votre amour,
vous était semblable ; mais maintenant, ayant méprise votre douceur
et clémence, elle est à moi par trois sortes de droits : 1° d'autant
qu'elle est semblable à moi en ses dispositions ; 2° attendu qu'elle
a un semblable goût ; 3° parce que nous avons un même accord de
volontés.
Le Juge répondit : Bien
que je sache toutes choses, néanmoins, pour l'amour de mon épouse
ici présente, dites comment cette âme est semblable à vous en
disposition.
Le démon dit : Si nous
avons des membres conformes, nous avons aussi des actes conformes,
car nous avons les yeux ouverts, et nous ne voyons rien ; et de
fait, je ne veux voir chose quelconque qui vous appartienne ; ni
elle n'a aussi voulu voir, quand elle pouvait, ce qui concernait le
salut de son âme, mais elle s'amusait aux choses temporelles.
Nous avons aussi des
oreilles, mais nous n'entendons rien pour notre avancement.
De même celle-ci n'a
rien voulu ouïr qui appartînt ou touchât à votre honneur ; à moi
tout ce qui est de vous m'est très amère, c'est pourquoi la voix de
votre doux concert n'entrera jamais en nos oreilles pour notre
consolation et utilité. Nous avons les oreilles ouvertes, car comme
elle a eu sa bouche ouverte à toutes les suavités du monde, et close
aux louanges et pour vous louer, de même ai-je la bouche ouverte
pour vous offenser et pour vous troubler, si je pouvais. Et de fait,
si je pouvais, je vous troublerais toujours, et vous descendrais et
débouterais du trône de votre gloire.
Ses mains sont comme
les mains d'un griffon, car tout ce qu'il a pu prendre, il l'a
retenu sans le laisser, et l'eût plus longuement tenu, si vous
eussiez permis qu'il eût vécu davantage. De même tous ceux qui
viennent dans les mains de ma puissance, je les tiens si fermement
que je ne les laisserais jamais aller, s'ils ne m'étaient ôtés
contre mon gré par votre justice.
Son ventre est enflé,
d'autant que ses cupidités insatiables étaient sans bornes. Il était
plutôt rempli qu'assouvi. En vérité sa cupidité était si ardente que
toute la terre ne pouvait l'assouvir ; il eut voulu encore régner
dans le ciel. J'ai aussi une semblable cupidité, car si je pouvais
ravager les âmes qui sont au ciel, sur la terre et au purgatoire, je
le ferai franchement ; et s'il m'en restait une seule âme, je ne
laisserai pas celle-là franche de tourments, pour assouvir mes
cupidités.
Sa poitrine est aussi
froide que la mienne, car elle ne vous aima jamais, ni ne prit goût
à vos avertissements, de même que moi, qui ne suis touché en votre
endroit d'aucune atteinte d'amour, voire à raison de l'envie enragée
qui me déchire au-dedans, je me laisserais tuer d'une mort amère, et
désirerais que ce supplice me fût renouvelé incessamment, pourvu que
je vous puisse défaire, et que cela fût possible.
Nos cuisses sont sans
jointures, d'autant que nous n'avons qu'une même volonté, car
presque dès le commencement de la création, ma volonté s'est mue
contre vous, ne voulant jamais ce que vous vouliez : de même la
volonté de cette âme fut toujours contraire à vos préceptes et
commandements.
Nos pieds sont comme
boiteux et mutilés, car comme avec les pieds on court aux utilités
corporelles, de même on s'approche de Dieu avec l'amour et les
bonnes œuvres.. Cette âme non plus que moi, ne s'est jamais voulu
approcher de vous par amour no par bonnes œuvres, et partant, nous
sommes semblables en tout et en l'usage des membres.
Nous avons encore un
semblable goût, car bien que nous sachions que vous êtes le
souverain bien, nous ne vous goûtons pas pourtant ni ne savons pas
combien doux et bon vous êtes. Donc, puisque nous sommes semblables
en tout, jugez-nous conjointement.
Lors un des anges
répondit devant Notre-Seigneur : Seigneur Dieu m après que cette âme
fut unie au corps, je la suivais toujours ni ne me séparai point
d'elle, tant que je trouvai quelque bien en elle ; or, maintenant,
je la laisse comme un sac vide de toute sorte de biens. Elle a eu
enfin trois sortes de maux : 1° Elle réputait vos paroles à
mensonge, ô Dieu ! 2° Elle croyait que votre jugement était faux. 3°
Elle réputât votre miséricorde pour néant, voire la miséricorde fut
comme morte en elle.
Cette âme fut unie en
mariage avec une seule femme, et garda la fidélité du mariage, non
pour l'amour de Dieu, mais d'autant qu'il aimait si tendrement sa
femme qu'il n'en désirait point d'autre. Elle oyait aussi des messes
et assistait aux offices, non par esprit de dévotion, mais afin
qu'il ne fût séparé des chrétiens et noté par eux. Elle allait aussi
souvent à l'église afin d'obtenir de vous la santé corporelle, et
que vous lui conservassiez les richesses et les honneurs du monde,
non afin que vous la protégiez des chutes. O Seigneur, vous avez
plus donné à cette âme qu'elle ne vous a servi au monde. Vous lui
avez donné des enfants fameux, la santé corporelle, vous lui avez
conservé les richesses et l'avez protégée des infortunes qu'elle
craignait. Les secrets de votre justice lui ont donné
l'accomplissement de ses cupidités, de sorte que vous lui avez donné
cent pour un, et tout ce qu'elle a fait a été récompensé. Partant,
je la quitte maintenant vide de toute sorte de biens.
Lors le démon
répondit : Donc ô Juge, puisqu'elle a suivi mes volontés, puisque
vous l'avez récompensée au centuple, jugez-la être associée avec
nous. N'est-il pas écrit en votre loi que là où il y aura une même
volonté et un consentement de mariage, là se pouvait une conjonction
de loi ? Or, il en est de même entre cette âme et les diables, car
sa volonté a été la nôtre, et la nôtre, la sienne. Pourquoi
serons-nous frustrés de la société et conjonction mutuelle ?
Le Juge repartit et
dit : Que l'âme dise ce qu'il lui semble de votre mariage avec elle.
Elle dit au Juge :
J'aime mieux être dans les peines de l'enfer que de venir dans les
joies du ciel, afin que vous, ô Dieu, n'ayez consolation de moi !
Vous m'êtes à tant de haine que je ne me soucie point des peines,
pourvu que vous n'ayez joie aucune de moi.
Lors le démon dit au
Juge : J'ai aussi les mêmes volontés. J'aimerais mieux être
éternellement tourmente que de jouir de votre gloire, si vous deviez
avoir de là quelque contentement !
Lors le Juge dit à
l'âme : Votre volonté est votre juge, et vous souffrirez le jugement
selon icelle.
Et lors le Juge s'étant
tourne vers moi (sainte Brigitte), qui voyais tout ceci, me dit :
Malheur à cette âme ! Elle est pire que le larron : elle a eu son
âme vénale ; elle a été insatiable des immondices de la chair ; elle
a trompe son prochain, c'est pourquoi tous crient vengeance contre
elle ; les anges détournent leur face de devant elle ; les saints
fuient sa compagnie.
Lors le démon,
s'approchant de cette âme qui lui était semblable, lui dit : O Juge,
me voici, moi qui suis plein de malice, qui ne suis point racheté ni
ne serai point racheté. Cette âme est comme un autre à moi, car elle
est rachetée, et elle s'est rendue semblable à moi, obéissant plutôt
à moi qu'à vous. Partant, adjugez-la-moi.
Le Juge lui dit : Si
vous vous humiliiez, je vous donnerais la gloire, et si cette âme
eut demande pardon avec résolution de s'amender au dernier point de
la vie, elle ne fut jamais tombée en tes mains ; mais d'autant
qu'elle persévéra jusqu'à la fin en ton obéissance, la justice veut
qu'elle soit éternellement a toi. Néanmoins, les biens qu'elle a
faits en sa vie, s'il y en a quelqu'un, restreindront ta malice,
afin que tu ne la puisses tourmenter autant que tu veux.
Le démon repartit :
Elle est chez moi, et comme par manière de dire, sa chair est ma
chair, bien que je ne sois pas charnel, et son sang est mon sang,
bien que je sois un esprit. Et le diable semblait se réjouir
grandement de ces choses, et en menait un grand applaudissement.
Le juge lui dit :
Pourquoi vous réjouissez-vous tant de la perte d'une âme ? Dites-le
en sorte que mon épouse, ici assistante, l'entende.
Le démon dit : Quand
cette âme brûle, je brûle plus ardemment, et quand je l'allume, plus
je suis allumé ; mais d'autant que vous l'avez rachetée par votre
sang et l'avez tellement aimée que vous vous étés donne à elle ;
lorsque je la puis arracher de vous par mes suggestions, je me
réjouis.
Le juge lui dit : Ta
malice est grande, mais regarde, je le permets.
Voici une étoile qui
montait au plus haut des cieux ; et le démon la voyant, devint muet.
Notre-Seigneur lui
dit : A qui est-elle semblable ?
Le démon répondit :
Elle est plus luisante que le soleil, comme je suis plus noir que la
fume ; elle est toute pleine de douceur et jouit des dilections
divines, et moi je suis tout plein de malice et d'amertume.
Et Notre-Seigneur lui
dit : Quelles pensées en avez-vous en votre cœur, et qu'est-ce que
vous voudriez donner pour qu'elle fut en votre puissance ?
Le démon répondit : Je
donnerais toutes les âmes qui sont descendues en enfer depuis Adam
jusques à maintenant, pour avoir celle-là, et voudrais endurer les
peines les plus dures et les plus amères, comme si on donnait autant
de coups de poignard sur moi si multiplies qu'il n'y eut pas
l'espace de la pointe d'une aiguille, voire je descendrais du plus
haut du ciel jusques à l'enfer pour l'avoir en ma puissance !
Notre-Seigneur lui
repartit : Ta malice est grande contre moi et contre mes élus, et
moi je suis si charitable que, s'il en était besoin, je mourrais une
autre fois et j'endurerais pour chaque âme et pour chacun des
esprits immondes, le même supplice que j'ai endure une fois sur la
croix pour toutes les âmes ! Mais vous êtes si envieux que vous ne
voudriez pas qu'une seule âme vint à moi.
Lors Notre-Seigneur dit
à cette bonne âme qu'on voyait comme une étoile : Venez, ma
bien-aimée, jouir des contentements indicibles que vous avez tant
désirés ; venez à la douceur qui ne finira jamais ; venez à votre
Dieu et Seigneur, que vous avez tant de fois désiré. Je vous
donnerai moi-même, en qui sont tout bien et toute douceur ; venez à
moi du monde qui est semblable à la douleur et à la peine, car en
lui, il n'y a que misère.
Et lors Notre-Seigneur,
se tournant vers moi (sainte Brigitte), qui voyais tout cela en
esprit, me dit: Ma fille, tout ceci a été fait en moi en un
instant ; mais parce que vous ne pouvez entendre les choses
spirituelles que par les similitudes, je vous les ai voulu montrer
de la sorte, afin que l'homme comprenne combien je suis rigoureux
aux méchants, et combien débonnaire aux bons.
DÉCLARATION
Une âme était présentée
au juge ; elle était suivie de quatre Éthiopiens, qui dirent au
juge : Voici la proie : suivons-la, et nous marquerons tous ses
pas ; et étant une fois tombée en nos mains, qu’en ferons-nous ?
Le juge leur dit :
Qu’avez-vous à intenter contre elle ?
Le premier Éthiopien
dit : Vous, Dieu, avez dit : Je suis juste et miséricordieux
par-dessus les péchés. Or, cette âme s’est en telle sorte comportée
comme si elle avait été créée pour la damnation éternelle.
Le deuxième Éthiopien
dit : O Seigneur, vous avez dit que l’homme devait être juste avec
son prochain et ne le tromper en rien. Or, cette âme a fraudé et
trompé son prochain, a changé ce qu’elle a pu, et a pris ce qu’elle
a voulu, sans dessein d’en restituer rien.
Le troisième Éthiopien
dit : Vous avez dit que l’homme ne doit point aimer la créature
par-dessus son Créateur. Or, cette âme a aimé toutes choses fors
vous.
Le quatrième Éthiopien
dit que pas un ne peut entrer dans le ciel, si ce n’est de tout son
cœur ; mais cette âme ne désirait rien de bon, ni les choses
spirituelles ne lui plurent jamais. Mais tout ce qu’elle faisait qui
avait quelque apparence que c’était pour l’amour de vous, elle le
faisait afin de n’être marquée des chrétiens qu’elle n’était pas
chrétienne.
Lors le Juge dit à
l’âme : Que dites-vous de vous-même ?
Elle répondit : Je vous
désire toute sorte de maux, bien que vous soyez mon Créateur et mon
Rédempteur, et mon cœur est entièrement endurci ; néanmoins étant
contrainte, je dirai la vérité. Je suis comme un avorton aveugle et
boiteux, méprisant les avertissements du père. Ma conscience profère
mon jugement : il faut que je suive aux peines ceux-là dont je
suivis les mœurs et les conseils en la terre.
Ces choses étant dites,
l’âme est sortie de devant Dieu avec de grandes larmes. Lors la
vision disparut.
A la fin de cette
révélation, il est fait mention de frère Algotte, prieur et docteur
en théologie, qui, ayant été trois ans aveugle et tourmenté de la
pierre, finit ses jours heureusement ; car sainte Brigitte, priant
pour lui afin qu’il le guérît, ouït en esprit cette réponse : Il est
une étoile luisante. Il n’est pas expédient que, pour le désir de la
santé, son âme soit noircie, car elle a déjà combattu, vaincu et
consommé sa course. Il ne reste que la couronne, et cela ne lui sera
enseigné que de cette heure ; les douleurs de la chair lui seront
soulagées, et l’âme sera enflammée des feux de mon amour.
CHAPITRE 32
Paroles de
Jésus-Christ à son épouse, lui marquant comment les parents qui
élèvent leurs enfants dans les mœurs mondaines, à acquérir les
honneurs et la gloire mondaine, sont désignés par les serpents qui,
nourrissant leurs petits, leur enseignent à combattre avec
l’aiguillon et venin mortifère.
Quand le mâle et le
femelle des serpents s’accouplent, ils se communiquent le venin, et
de leur nature, ils engendrent un serpent venimeux ; mais le
serpent, étant conçu, ne peut avoir vie que par ma faveur, car rien
ne peut être sans moi, ni recevoir l’esprit sans ma puissance et ma
vertu. Mais le serpent étant né, la mère, n’ayant point de lait pour
le nourrir, se pose en telle sorte sur lui et l’échauffe tellement
que peu s’en faut qu’elle ne l’étouffe. Ce serpenteau, sentant
au-dessus un trop grand chaud, et au-dessous un grand froid, poussé
par la nécessité, applique sa bouche à la terre, et commence à sucer
et à manger peu à peu la terre.
Après, sa mère le pique
à la queue, pour lui enseigner de serpenter, le poussant et le
retirant. Après, la mère considère le lieu où l’ardeur du soleil
est, et là, elle traîne son serpenteau, allant devant lui lentement,
afin qu’il apprenne à aller et à suivre ; et le voyant au soleil, la
mère pense si son petit a du venin pour empoisonner, et connaissant
qu’il en a, elle lui enseigne à piquer. Mais parce qu’il a
l’aiguillon tendre encore, la mère pense : Si je lui donne quelque
chose de dur, son aiguillon tendre sera bientôt rompu ; c’est
pourquoi la mère lui apporte quelque chose de mou devant lui, et
puis sa mère l’excite à la colère et à la fureur, jusques à ce que
son petit serpenteau pique le corps mou, et que de la sorte il
apprenne à piquer et à renforcer son aiguillon ; et l’ayant après
fortifié, il pique les pierres et les corps durs, et la mère,
l’ayant de la sorte instruit, le laisse.
De telle trempe est
l’homme que vous connaissez : il est de fait comme un serpenteau
nouveau-né, d’autant qu’il est né d’un père et d’une mère qui
imitent la nature du serpent, car tous deux conviennent en la nature
du serpent, c’est-à-dire, en la superbe damnable, qui nuit à l’âme
plus que nuit au corps le venin corporel. Or, enfin, ce serpent,
ayant une grande affection aux ambitions et d’inextinguibles feux de
volupté, brûlait en l’amour impur de sa femelle, et elle brûlait
d’une pareille volupté en lui, c’est pourquoi ils s’approchèrent
ensemble, bouffis d’orgueil, ayant oublié la crainte de Dieu, et
engendrèrent un serpent venimeux d’une semence vénéneuse.
Et moi, parce que je
suis miséricordieux, ma justice l’exigeant de la sorte, j’ai créé
l’âme. Mais d’autant que la mère n’avait point, pour nourrir son
fils, les mamelles de la dilection divine, elle nourrit dessous soi,
c’est-à-dire, selon l’amour du monde, et le fit élever avec les plus
superbes, désirant d’une passion insatiable comment il le pourra
rendre fameux parmi les grands du monde ; et l’incitant à sa ruine,
il lui parle, disant : Si vous aviez ce domaine ou cette
principauté, vous pourriez être semblable à votre père. Un tel
honneur vous est convenable, et pour l’acquérir, vous devez faire
tous vos efforts.
Un tel serpenteau,
étant ainsi nourri par sa mère, échauffé aux choses terrestres,
refroidi du divin amour, commence de désirer les choses terrestres,
de s’y attacher, de s’y échauffer de plus en plus. Après, afin qu’il
apprenne à remuer les membres et à dresser la tête, la mère le pique
lors à la queue, quand elle le pousse à attirer les autres à soi par
promesses, et à se les associer par paroles et faveurs ; quand elle
lui commande de ne point pardonner aux bons, afin qu’il soit appelé
bon, ne pardonner à sa vie, et afin qu’il soit appelé généreux,
n’avoir point de repos, et enfin elle lui enseigne d’éterniser son
nom. Elle lui enseigne de ramper et de serpenter, le conduisant aux
ardeurs du soleil, quand elle l’incite à vivre superbement et
dissolument, lui disant en particulier et en public : C’est de la
sorte qu’ont vécu votre père et vos prédécesseurs.
C’est ainsi que les
grands doivent faire ; c’est une honte de vouloir être plus saint
qu’eux, et c’est un déshonneur de vouloir être plus humble qu’ils
n’ont été, eux, par leurs discours doux, flatteurs et emmiellés, se
sont acquis les faveurs des hommes, et en se conformant à leurs
mœurs, ils ont été grandement renommés. Par ces funestes
avertissements, le serpent né, attiré par les vanités et les
allèchements de la mère, la suit d’un péché à un autre, jusqu’à ce
qu’il soit arrivé aux ardeurs de la lubricité, comme aux ferveurs du
soleil ; et là où il pensait commencer ses plaisirs, là il a trouvé
ses douleurs, et de là sont sortis les inquiétudes, les fureurs et
les combats, qui lui ont été enseignés par la mère.
Mais d’autant que la
mère considérait ses infirmités et ses faiblesses en ses forces,
elle commença de lui persuader ce qui est mol, savoir, l’acquisition
des choses temporelles de moindre réputation, afin de là faire
progrès aux honneurs médiocres qui semblent au commencement des
choses douces et molles ; après, acquiesçant aux conseils envenimés,
il afflige les pauvres misérables, ravissant leurs biens ; voyant
qu’ils sont faibles pour leur résister, il injurie les uns, il pique
par la haine les autres, il tue ses ennemis. Après, ayant affermi
son aiguillon ès choses basses, étant soufflé par les ambitions de
la mère, il commence de monter plus haut, portant envie aux plus
grands, tendant aux trahisons, suscitant des querelles, semant des
discordes, de sorte qu’il ne doute point d’étendre son aiguillon
jusques aux injures de l’Église, si on ne s’en donne garde
soigneusement et sagement.
Pour arracher la malice
de cet aiguillon, il n’y a qu’un seul remède, savoir : il faut
couper la langue du serpent. Or, les sages doivent discerner cette
langue et la manière dont il la faut couper.
Après, Notre-Seigneur
dit : Comme on transperce le drap sans qu’il s’en sente, et comme la
pomme est écorchée sans que le maître s’en sente, de même ma passion
et mes peines sont au cœur de ce serpent, bien qu’il ne les
considère jamais, car il met sa foi en la prédestination, disant :
Si Dieu a prévu que je serais damné, pourquoi ne travaillerai-je
plus ? S’il a prévu que je serais sauvé, facilement il acceptera ma
pénitence. Malheur à lui, s’il ne s’amende promptement, car aucun
n’est damné par ma présence ! Sachez aussi que la mère de ce serpent
n’aura jamais ce qu’elle désire follement, ni même ses enfants, ni
sa génération ne prospérera point, voire elle mourra en l’amertume
et dans le chagrin, et sa mémoire sera éteinte.
ADDITION
Le Fils de Dieu parle,
disant : Qu’on se donne bien garde de cette espèce de serpent, et
qu’on ne se confie point à ses inventions, car le jugement de Dieu
approche, et ses jours ne seront point prolongés.
Une autre fois,
Notre-Seigneur apparut, disant : Sachez pour certain que ces diables
n’obtiendront point ce qu’ils désirent, ni ses enfants ne
prospèreront point, ni sa mémoire ne sera point provignée en
générations.
CHAPITRE 33
Dieu le Père parle à
son Fils, montrant comme il est semblable à l’époux, qui a tant aimé
l’épouse qu’il a été crucifié pour l’amour d’elle ; mais elle a aimé
l’adultère et a tué l’époux. En quelle manière sont signifiés l’âme
par l’épouse, le lit nuptial par l’Église, les portes du cabinet par
la volonté, l’adultère par les délectations de la chair. Il prédit
aussi que l’épouse sera l’épouse de Jésus-Christ.
Le Père parle à son
Fils, lui disant : Vous êtes semblable à l’époux qui a épousé une
épouse belle de face et honnête en ses mœurs, l’a introduite en son
lit nuptial et l’a aimée comme soi-même. De même vous, ô mon Fils,
vous avez épousé une épouse nouvelle, quand vous avez brûlé de tant
d’amour et de charité envers les âmes, que vous avez voulu être
déchiré et mourir au gibet de la croix pour l’amour d’elles, et les
avez introduites en votre sainte Église, que vous avez dédiée par
votre sang, comme en un lit nuptial. Mais hélas ! son épouse est
maintenant adultère ; les portes du cabinet nuptial sont closes, et
au lit de la vraie épouse. L’adultère est couchée très méchamment,
qui s’entretient en ces pensées : Quand mon mari sera endormi,
dépouillé dans son lit, lors je lui mettrai le poignard au sein et
le tuerai, car il ne me contente point.
Or, qu’est-ce que l’âme
signifie, sinon les âmes que vous avez rachetées de votre sang,
lesquelles, bien qu’elles soient plusieurs en nombre, ne sont
néanmoins qu’une épouse à raison de l’unité de la foi et de la
charité, et plusieurs de celles-ci sont maintenant adultères,
d’autant qu’elles aiment le monde plus que vous, ô mon Fils ! Elles
cherchent le plaisir d’autrui, et non le vôtre. Les portes de votre
cabinet nuptial, c’est-à-dire, de l’Église, sont closes. Qu’est-ce
que signifient les portes, sinon la bonne volonté, par laquelle Dieu
entre dans les âmes ?
Elle est close comme ne
contentant rien de bon, mais elles font la volonté de leurs ennemis,
car tout ce qui leur plaît, tout ce qui est délectable à leur corps,
c’est tout ce qu’elles désirent, honorent et poursuivent, et c’est
ce qu’elles estiment être bon et saint. Mais votre volonté, qui est
ce que les hommes devaient choisir avec ferveur, désirer avec ardeur
et donner tout pour vous, est négligée et méprisée ; et aussi
quelques-unes, par aventure, entrent quelquefois en dedans des
portes de vos cabinets nuptiaux, mais ce n’est pas pour accomplir
vos volontés, pour vous y aimer de tout leur cœur, mais seulement
par honte des hommes, de peur d’être estimés iniques, et afin
qu’elles ne soient reconnues publiquement ce qu’elles sont devant
Dieu.
Si donc la porte de
votre lit nuptial est mal close, et il y a plus de plaisir à
fréquenter les adultères que vous, elles conspireront de vous tuer
quand vous serez couché en votre lit : en vérité, c’est lorsque vous
leur avez paru tout nu, quand vous avez reçu le corps des pures
entrailles de la Sainte Vierge sans laisser l’humanité ; et
lorsqu’ils vous voient au saint et auguste sacrement, ils pensent
qu’il n’y a que le seul pain, bien que vous y soyez vrai Dieu et
vrai homme, que les yeux obscurcis des ténèbres du monde ne peuvent
voir ne pénétrer.
Vous leur semblez
encore endormi quand vous les souffrez sans les punir, et c’est ce
qui les fait entrer impudemment dans votre temple, pensant en
eux-mêmes : J’entrerai et je recevrai le corps de Jésus comme les
autres ; néanmoins, je ferai ce que bon me semblera quand je l’aurai
reçu, car que me profite ou nuit-il de le recevoir ou de ne le
recevoir pas ? Hélas ! qu’ils sont misérables ! car lors ils vous
tuent en quelque manière dans leurs cœurs, afin que vous ne régniez
pas en eux, bien que vous soyez immortel, et en tout lieu, par la
puissance de votre Divinité.
Mais parce qu’il n’est
pas décent que vous soyez sans une bonne épouse, c’est pourquoi
j’enverrai mes amis, afin qu’ils vous amènent une épouse très-pure,
belle, nouvelle, honnête en mœurs, désirable, et qu’ils
l’introduisent en votre lit nuptial. Or, ces miens amis seront aussi
prompts que des oiseaux, d’autant que mon Esprit les conduira ; ils
seront forts comme ceux devant les mains desquels les murailles sont
renversées. Ils seront magnanimes comme ceux qui ne craignent point
la mort et sont prêts à donner leur vie. Ceux-ci vous amèneront une
épouse nouvelle, c’est-à-dire, les âmes de mes élus, et ce avec
grand honneur, éclat, dévotion et charité, avec labeur et
persévérance invincible. Je suis celui qui parle maintenant, qui ai
crié au Jourdain et au désert : Celui-ci est mon Fils bien-aimé. Mes
paroles seront bientôt accomplies.
CHAPITRE 34
La Mère de Dieu
déclare à l’épouse par une similitude comment la Sainte Vierge
impétra de son Fils les paroles de ce livre, pour servir de prière,
et s’applique aux élus qui sont au monde. Ces paroles promettent
malédiction aux superbes, miséricordes aux humbles. Ce livre
contient encore des paroles par lesquelles il est donné pouvoir à
certaines personnes de chasser les démons, et d’accorder ceux qui
ont dissension, spécialement les rois de France et d’Angleterre.
La Sainte Vierge Marie
dit : Mon Fils est semblable à un roi qui a une cité en laquelle il
y a soixante-dix princes. En tout ce domaine, il n’y en avait qu’un
seul qui était fidèle au roi. Lors les fidèles, voyant que les
infidèles n’attendaient que la mort et la damnation, écrivirent à
une dame très familière au roi, la priant de prier Dieu pour eux, et
qu’elle dit au roi qu’il leur écrivît quelques avertissements par
lesquels ils retournassent à leur devoir. Elle parla au roi de
l’importance du salut des infidèles.
Le roi lui dit : Il ne
leur reste que la mort, et ils en sont dignes. Néanmoins, en
considération de vos prières, je leur écrirai deux mots. Au premier
sont trois choses : La damnation qu’ils méritent ; 2- la pauvreté et
la confusion ; 3- la honte et la confusion comme à des pourceaux. Le
deuxième mot est que celui qui s’humiliera aura la grâce et jouira
de la vie.
Mais quand la lettre où
étaient ces deux paroles, fut parvenue à ces infidèles, quelques-uns
d’entre eux dirent : Nous sommes aussi forts que le roi, et partant,
défendons-nous. Les autres dirent : Nous ne nous soucions point de
la mort ni de la vie, nous en négligeons l’évènement. Les autres
dirent : Aussi, tout ce que nous avons ouï est faux et controuvé ;
cette lettre n’a jamais été de la bouche et de l’intention du roi.
Ayant donc ouï ces
réponses, ces fidèles écrivirent à ladite dame familière du roi,
disant : Ces infidèles ne croient point aux paroles du roi ni aux
nôtres, c’est pourquoi demandez au roi qu’il leur envoie un signe
signalé, afin qu’ils croient que la lettre est du roi.
Ce que le roi oyant,
dit : Deux choses appartiennent spécialement au roi, la couronne et
le bouclier. Personne ne peut porter la couronne royale que le roi.
Le bouclier du roi pacifie et réconcilie ceux qui ont débat entre
eux. Je leur enverrai donc ces deux choses, pour voir s’ils se
convertiront de leur malice et s’ils croiront à mes paroles.
Ce roi ne signifie que
mon Fils, qui est Roi de gloire, Fils de Dieu éternel et le mien. Il
a le monde auquel il y a soixante-dix langues comme autant de
domaines, et en chaque langue, un ami de mon Fils, c’est-à-dire, il
n’y a point langue en laquelle mon Fils n’ait quelque ami, qu’on
signifie néanmoins en un, à raison de l’unité de foi et d’amour.
Mais moi, je suis la Dame très-familière au roi, et mes amis, voyant
les misères du monde, m’ont envoyé leurs prières, me suppliant
d’apaiser mon Fils irrité contre le monde, mon Fils qui, étant
fléchi par mes paroles et celles des saints, a envoyé au monde ces
paroles de sa bouche, qui étaient presçues de toute éternité ; et
afin que la cruauté et mécréance des hommes ne pensassent que
c’étaient des paroles controuvées, j’ai impétré la couronne et le
bouclier du Roi, en signe, la couronne pour la puissance qui sera
donnée à un sur les esprits immondes ; le bouclier pour les ouvrages
de la paix, qui seront donnés à un autre, savoir, réformer et
pacifier les cœurs à un cœur, et la mutuelle charité. Or, les
paroles de mon Fils ne sont quasi que deux mots, savoir, malédiction
contre ceux qui s’endurcissent, et humilité à ceux qui s’humilient.
Ces choses étant dites,
le Fils parlait à la Mère : Bénie soyez-vous comme une mère qui est
envoyée afin de prendre une épouse pour son Fils ! C’est aussi ainsi
que je vous envoie à mes amis, afin qu’ils unissent les âmes à moi
par un mariage spirituel, tel qu’il est décent et convenable à Dieu.
Partant, en considération de votre grande miséricorde et du fervent
amour dont vous aimez les âmes, je vous donne autorité sur cette
couronne et ce bouclier, afin que, non-seulement vous la puissiez
communiquer à deux, mais à ceux auxquels vous voudrez. Vous êtes
pleine de miséricorde, et partant, vous attirez toute ma miséricorde
sur les pécheurs. Bienheureux soit celui qui vous servira, car il ne
sera délaissé ni en la vie ni en la mort !
Après, la Mère de Dieu
parla à l’épouse : Il est écrit que saint Jean-Baptiste alla
au-devant de la face de mon Fils, lequel tout le monde ne vit pas,
d’autant qu’il était retiré dans les déserts : de même je vais
au-devant du jugement effroyable de mon Fils avec miséricorde et
clémence. Dites donc de ma part à celui qui a la couronne que toutes
fois et quantes qu’il ressentira en soi l’Esprit d’amour et de
ferveur de mon Fils, et que le mauvais esprit le vexera, il dise ces
paroles : Dieu le Père, qui êtes avec le Fils et le Saint Esprit,
Créateur de toutes choses et Juge d’icelles ; qui avez envoyé votre
Fils au sein de la Vierge pour notre salut. Je te commande, ô esprit
immonde ! je te commande de sortir, pour sa gloire et pour les
prières de la Sainte Vierge, de cette créature de Dieu, au nom de
celui qui est né de la Vierge, Jésus-Christ, un Dieu, qui est Père,
Fils et Saint-Esprit.
Après, on dira de ma
part à l’autre qui a le bouclier : Vous m’avez envoyé souvent comme
votre messager à Dieu, et j’ai prié souvent mon Fils pour vous. Or,
maintenant, je vous prie d’aller, vrai messager, au souverain chef
de l’Église, car bien que Lucifer y soit, néanmoins, les paroles de
mon Fils y seront accomplies selon da volonté. Mais quand il sera
arrivé en France, ayant assemblé les princes, qu’il leur dise devant
eux ces paroles : Que Dieu, qui est avec le Père et le Saint-Esprit,
Créateur de toutes choses, qui a daigné descendre dans les
entrailles de la Sainte Vierge, et unir l’humanité au Verbe, sans se
séparer de la Divinité ; qui a eu un si grand amour envers la
créature, que, voyant la lance, les clous aigus et tous les
instruments de mort devant soi, il aima mieux mourir, souffrir
toutes les peines horribles, avoir les nerfs déchirés, les mains et
les pieds percés, que de se départir de l’amour qu’il portait à
l’homme ; que Dieu, par sa passion, vous réunisse tous en un cœur,
dont vous êtes depuis si longtemps séparés ; enfin qu’il lui propose
les peines horribles de l’enfer, les joies indicibles des justes, et
les supplices des mauvais, comme mon Esprit le lui a inspiré.
CHAPITRE 35
Notre-Seigneur
montre à l’épouse la manière dont un moine était purifié en cette
vie par les infirmités du corps, et sa gloire était manifestée sous
espèce d’une étoile. En quelle manière l’âme damnée d’un autre
religieux était attendue par neuf démons devant le prince des
démons ; et il lui est rendu raison pourquoi les mauvais religieux
sont tolérés de Dieu.
Le Fils de Dieu parlait
à l’épouse : Vous avez vu, dit-il, l’âme de ce moine rayonnante
comme une étoile, et à bon droit, car il était luisant et ardent en
sa vie comme une étoile, et il m’a aimé par-dessus toutes les
créatures. Il a vécu en l’observance et en la fidélité de ses
résolutions. Cette âme aussi vous était montrée avant qu’elle mourût
en cet état, où elle était avant qu’elle fût arrivée au dernier
période de sa vie, et quand les signes évidents de la mort
commençaient à paraître.
Cette âme donc,
s’approchant du dernier période de sa vie, vint en purgatoire, et ce
purgatoire était son corps, dans lequel elle était purifiée par le
feu de ses douleurs et de ses infirmités. Et c’est pourquoi elle
vous était montrée comme une étoile enclose dans un vase, et cela,
pour montrer comme elle avait brûlé des feux de mon amour ; c’est
pourquoi elle est maintenant en moi et je suis en elle ; car si une
étoile venait en un feu très lumineux, elle ne paraîtrait pas plus
éclatante, de même ce religieux enclos en moi et moi en lui d’une
manière ineffable, se réjouira de cette joie qui n’a point de fin.
Or, étant en purgatoire, il brûlait d’un si grand amour en mon
endroit, et moi envers lui, qu’il réputait la véhémence de la
douleur très légère. Sa joie a commencé en tristesse et a fait son
progrès en l’éternité. Ce que le diable regardant, et voulant
trouver en elle quelque formalité de droit pour l’amour qu’elle
m’avait porté, il eût volontiers donné toutes les âmes pour
celle-ci.
Une autre âme vous
était montrée, que le diable possédait par neuf sortes de droits. Je
vous ai montré son jugement ci-dessus ; maintenant, je vous veux
montrer son supplice, et comme toutes choses se sont passées en un
point devant Dieu, bien que, pour votre intelligence, elles ne
puissent être représentées que corporellement.
Cette âme donc étant
parvenue au supplice, soudain sept démons allèrent au-devant de leur
prince, disant : Cette âme est à nous. Le démon de superbe disait en
premier lieu : Elle est mienne, d’autant qu’elle n’a réputé personne
être légal, et a autant voulu être sur les autres que je le suis.
Le démon de cupidité
disait : En deuxième lieu, elle n’a jamais pu être assouvie comme
moi : partant, elle est à moi.
Le troisième démon de
rébellion disait : Cette âme était liée et obligée à l’obéissance ;
mais elle a été en tout rebelle à Dieu et obéissante à la chair :
partant, elle est à moi.Le quatrième démon de la gourmandise
disait : elle a excédé à manger ès heures illicites, comme je lui
suggérais, et n’a point voulu l’abstinence : partant, elle est à
moi.
Le cinquième démon de
vaine gloire disait : Elle a chanté pour la vaine gloire et
ostentation ; et lorsque la voix lui manquait, elle se fâchait, et
lors, j’élevais sa voix et l’aidais à chanter plus haut : partant,
elle est à moi.
Le sixième démon de
propriété disait : Elle devait être pauvre au monde et n’avoir rien
de propre ; mais au contraire, elle amassait comme une fourmi tout
ce qu’elle pouvait, et le possédait sans l’avoir demandé à son
supérieur : partant, elle est à moi.
Le septième démon, qui
est le mépris de la religion, disait : Elle était obligée d’observer
en certain temps, et toutes ses actions, les temps ordonnés ; mais
au contraire, elle avait tout déréglé : elle mangeait et buvait
quand elle voulait ; dormait, veillait, parlait quand il lui
plaisait, et le tout sans discipline régulière : partant, elle est à
moi.
Lors, le prince des
démons disait : Par exemple, vous, ô esprit de superbe ! d’autant
que vous l’avez possédée dedans et dehors, entrez en elle ; et
partant, entrez en elle, et serrez-la si fortement que, si elle
avait le corps, le cerveau et la moelle des os, les yeux, les os et
les jointures, tout s’écoulât et se fracassât.
Il dit au deuxième
démon : Esprit de cupidité, vous l’avez possédée selon votre désir,
et elle n’était jamais rassasiée : partant, entrez en elle avec un
venin très ardent, et comme un plomb fondu, brûlez-la si
misérablement qu’elle en soit et tout et partout affligée sans fin
et sans repos.
Il dit au troisième
diable : Esprit de rébellion : Vous l’avez possédée en tout, et elle
vous a plutôt obéi qu’à Dieu : partant, entrez en elle comme un
glaive très aigu, et demeurez en elle sans en sortir, comme un
glaive qui perce le cœur, qui ne peut sortir.
Il dit au quatrième
démon, c’est-à-dire, à l’esprit de gourmandise : Elle a consenti à
toutes les intempérances : partant, brisez-la de vos dents et
déchirez son cœur, afin que les sept esprits ci-dessus mentionnés en
aient chacun sa part, et qu’ils l’affligent sans cesse et sans la
consommer.
Il dit au cinquième
démon de vaine gloire : Entrez en elle, et ne permettez pas qu’en
toute sa vie, elle jouisse tant soit peu de quelque repos ; et pour
la vanité du chant, ne sortez jamais de sa bouche. Toute la joie
qu’elle cherchait au monde sera changée en pleurs et misères
éternelles.
Il dit au sixième
diable : Esprit de propriété, entrez en elle avec l’amertume, et
faites qu’elle ne jouisse jamais d’aucun contentement ; mais en son
lieu, elle sera riche des confusions éternelles, des damnations
horribles, et des malheurs qui n’auront jamais de fin.
Il dit au septième
diable, c’est-à-dire, à l’esprit de mépris de religion : D’autant
qu’elle a aimé et pratiqué le dérèglement, qu’elle ait un temps tout
déréglé, où la rigueur du froid et l’ardeur du chaud ne finiront
jamais.
Lors soudain en un
moment apparurent deux démons devant le prince des diables, disant :
Nous avons aussi part en cette âme. Le premier dit : Cet homme fut
un prêtre, et il n’a pas vécu comme un prêtre, et partant, il est ma
part.
Le deuxième démon dit :
Il avait en sa tête quelque lieu où la couronne de gloire devait
être posée, et il ne l’a pas eue, et partant, il est à moi.
Le prince des démons
répondit et dit : Qu’on lui change le nom de prêtre et qu’il soit
appelé Satan. Et d’autant qu’il a négligé d’avoir la couronne de
gloire, qu’on pose en sa place l’opprobre de malédiction et de
déjection éternelle.
Après, Notre-Seigneur
parlait à son épouse : Voici, mon épouse, quelle est cette
récompense et combien elle est différente de l’autre : ces deux âmes
ont été d’une même profession, mais bien inégales en leur
récompense. Ne savez-vous pas pourquoi je vous montre ces choses ?
Certainement, c’est afin que les bons soient récompensés, et que les
mauvais, sachant cet horrible jugement, ses convertissent. En vérité
je vous dis que les hommes de cette profession se retirent
grandement de moi, comme vous le pourrez entendre par un exemple.
Je suis semblable au
père de famille qui a pris des ouvriers auxquels il a commis le
fossoir pour cultiver la terre, la pelle pour nettoyer les fossés,
et le vase pour transporter la boue. Mais les ouvriers, méprisant le
commandement de leur maître, rapportèrent les ustensiles à leur
Seigneur, et dirent : Le fossoir n’est point aigu et la terre est
trop sèche, et nous ne pouvons point travailler en icelle ; le balai
est trop faible et le vase trop pesant : nous ne le saurions porter.
Ces professeurs en font
de même, car je leur ai commis comme à ceux qui cultivent la terre,
la parole pour la prêcher, et la puissance de cultiver les cœurs par
la terreur de mes jugements ; mais hélas ! ils ne s’en servent
point, mais ils les méprisent et en prennent d’autres, d’autant
qu’ils emploient mes paroles et mon institution au soulagement du
corps, à plaire aux hommes et à s’enrichir de plus en plus ; les
cœurs des hommes sont maintenant trop durs, et les paroles de
Notre-Seigneur moins aiguës pour exciter la dévotion : et partant,
ils proposent aux hommes des sujets agréables ; ils cachent ma
justice ; ils dissimulent de reprendre les péchés, en quoi ils font
que les pécheurs croupissent confidemment en leurs péchés, et s’en
repentent avec moins de douleur.
En deuxième lieu, je
leur ai commis le balai pour nettoyer la terre du fossé,
c’est-à-dire, je voulais qu’ils aimassent l’humilité et la pauvreté,
mais elle est maintenant trop faible, car ils disent : Si nous ne
voulons rien avoir, comment vivrons-nous ? Si nous sommes
entièrement humiliés, qui nous retirera ? Trompés donc et déçus de
ce faux prétexte, ils sont autant superbes sur les autres qu’ils
devraient être humbles.
Je leur ai encore donné
un vase pour porter la terre, c’est-à-dire, afin qu’ils
pratiquassent l’abstinence des choses corporelles ; mais ils ont
jeté ce vase à mes pieds, disant : Si nous voulons vivre en mêmes
labeurs que nos pères, nous défaudrons et seront méprisés du tout en
cette abstinence, de sorte donc que tout ce qu’il y a de bon dans la
religion leur est pesant, et ils font ce que bon leur semble.
Or, qu’est-ce que je
dois faire, mes instruments étant jetés par terre, et eux refusant
de travailler ? Certainement je leur dirai : Vivez selon votre
volonté, faites vos œuvres propres, et vous trouverez votre fruit ;
ayez l’honneur du monde pour l’honneur éternel, ses richesses et son
amitié pour les choses célestes, les voluptés du siècle pour les
délices qui n’auront jamais de fin. Je jure en ma vérité que si je
n’avais égard à deux biens qui me les font souffrir, une maison de
ceux-là ne demeurerait pas sur pied : le premier est la prière de ma
très chère Mère, qui me prie incessamment avec leur patron ; le
second est ma justice, car bien que je sois tenu de leur faire
aucune miséricorde à raison de leur malice, néanmoins, pour les
offrandes qui me sont agréables, je les tolère, car elles sont comme
des instruments qui profitent aux autres ; car de leur chant et
prédication, les autres sont excités de plus en plus à la dévotion,
et prennent sujet et occasion de profiter ; mais ceux-là s’abaissent
jusques aux fondrières infortunées, d’autant que, non pour
l’éternité, mais véritablement pour le lucre, ils sont serviteurs ;
et peu s’en trouvent d’autres, et si peu qu’à peine s’en trouve-t-il
un sur cent !
DÉCLARATION
Une âme apparut,
revêtue du scapulaire et horriblement difforme en tout. Lors
Jésus-Christ dit : Quelque peuple ouït le peuple d’Israël remporter
la victoire partout, et craignant de lui être sujet, envoya des
légats ayant aux pieds de vieux souliers, et du pain fort dur en
leurs sacs, afin qu’en mentant, ils feignissent d’être des terres
les plus lointaines. Mais la vérité étant connue, ils furent réduits
en perpétuelle servitude.
De même plusieurs
religieux, feignant de ne l’être pas, servent le monde sous l’habit
de religion, sont exclus de l’héritage éternel, du nombre desquels
est celui-ci, dont l’âme est possédée du diable par neuf sortes de
droits.
1. D’autant qu’étant
superbe, il se préfère aux autres, faisant semblant d’être vertueux,
étant néanmoins tout plein de vices.
2. D’autant qu’il
désirait ce qu’il voyait, n’étant pas content du nécessaire.
3. D‘autant qu’il obéit
seulement à ce qui le contente ; le reste, il le fait par
contrainte, ou il cherche l’occasion de fuir.
4. D‘autant qu’il se
plaît à l’intempérance, compagne de ceux qui font un Dieu de leur
ventre.
5. D‘autant qu’il
cherche à être loué de tous, et non de Dieu ; c’est pourquoi il
prêche des choses sublimes, chante les hauts accords, fait des
choses signalées.
6. D‘autant qu’il se
glorifie dans les choses superflues et a un habit étranger, la
propriété duquel devait être la vraie pauvreté.
7. D‘autant qu’il ne se
réglait pas aux heures, mais suivait en tout les désirs de la chair.
8. D‘autant qu’il
allait à l’autel impudiquement et effrontément, sanctifiant et
absolvant les autres, et lui, croupissant dans les liens du péché,
et étant en tout digne de répréhension.
9. D‘autant
qu’indignement il porte le signe de gloire en sa tête, ayant
confédération et alliance avec mon ennemi : partant, s’il ne
s’amende, il boira et sentira les rigueurs de ma justice.
Elle répondit : O mon
Dieu ! Il dit les messes, il prêche, et ses prédications agréent à
plusieurs : Peut-il donc être ailleurs qu’en votre Esprit ?
Notre-Seigneur
répondit : Ses prédications sont de mon Esprit ; mais quand il ne
prêche point avec charité ni avec la pure intention avec lesquelles
un prédicateur doit prêcher, il n’a pas l’effet de la prédication ;
et lors mon Esprit n’opère point en lui ; il mâche le fourrage, il
suce la queue du serpent et cherche les fleurs périssables. Lors
elle repartit : O Seigneur, je n’entends pas ce que vous dites :
partant, expliquez-le moi, je vous en supplie.
Notre-Seigneur lui
dit : Lors il mâche le fourrage, quand pain éternel ne lui est point
à goût, quand la divine sapience n’entre point dans son cœur, ma
sapience qui dit : Venez à moi, humbles, et je vous réfectionnerai.
Or, lors il suce la queue du serpent, quand la boisson de la divine
intelligence ne lui est point à goût, mais bien la prudence du
diable, qui dit : Mangez, et vos yeux vous seront ouvert. Il cherche
les fleurs périssables, quand il ne se soucie point du fruit de la
divine et éternelle douceur, mais a incessamment en la bouche les
paroles du monde et de la chair.
CHAPITRE 36
Notre-Seigneur
Jésus-Christ révèle à son épouse comment, à raison de trois biens
qui étaient aux cœurs vides et purs des apôtres, le Saint-Esprit y a
été envoyé en trois manières. Comment le Saint-Esprit n’entre point
dans les cœurs des hommes pleins de cupidité et de superbe.
Notre-Seigneur veut que le vin des paroles de ce livre soit
communiqué à ses amis, lesquelles paroles seront ensuite publiées
aux autres.
Pour le jour de la
sainte Pentecôte.
Je suis celui qui vous
parle à vous, qui, un tel jour, ai envoyé à mes apôtres le
Saint-Esprit, qui est venu à eux en trois manières :
1 - comme un torrent ;
2 - comme un feu ;
3 - en espèce de
langues.
Or, il est venu à eux,
les portes étant closes, d’autant qu’ils étaient retirés, et ils
avaient trois sortes de biens, car 1 - ils avaient la volonté de
garder la chasteté et de vivre chastement en tout ; 2 - ils avaient
une profonde humilité ; 3 - tout leur désir était envers Dieu,
d’autant qu’ils ne soupiraient qu’après lui.
Ils étaient comme trois
vases purs et vides, c’est pourquoi le Saint-Esprit descendit en eux
et les remplit. Il vint comme un torrent, les remplissant
entièrement de sa douceur et de sa divine consolation. Il vint comme
un feu, car il enflamma tellement leurs cœurs des ferveurs du divin
amour, qu’ils n’aimaient et ne craignaient que Dieu. En troisième
lieu, il vint en espèce de langues, car comme la langue est dans la
bouche, et que néanmoins elle ne nuit point la bouche, mais est
utile pour parler, de même le Saint-Esprit, étant dans leurs âmes,
ne leur faisait désirer autre que lui-même ; la sapience divine les
avait rendus éloquents, la vertu du Saint-Esprit, faisant l’office
de la langue, disait toute vérité.
Donc, ces vases, étant
vides, et d’ailleurs, grandement désireux, furent dignes de recevoir
le Saint-Esprit, car il n’entre point en ceux qui sont remplis et
pleins. Or, ceux-là sont remplis qui ont leur cœur rempli de péchés
et de vilenies, et ceux-là sont comme trois vases sales : le premier
est plein de fiente si puante des hommes que personne n’en peut
souffrir la puanteur ; le deuxième est plein comme de la corruption
et pollution très vile, que personne ne peut goûter ; le troisième
est plein de sang très corrompu et pourri, que pas un ne peut
regarder à raison de l’abomination.
De même les méchants
sont pleins des abominations et des cupidités du monde, qui sont
puantes devant ma face et devant celles de mes saints, bien plus que
la fiente des hommes, car que sont les choses temporelles, sinon
fiente ? Les misérables se plaisent en cette méchante vilenie.
Au deuxième vase, il
n’y a que luxure et incontinence en toutes ses œuvres ; cette
incontinence m’est plus amère que la corruption. Je ne souffrirai
point cela, et encore moins entrerai-je en eux par ma grâce. Comment
pourrais-je, moi qui suis la pureté même, entrer en ces corrompus ?
Comment moi, qui suis le vrai feu de la vraie dilection,
enflammerais-je ceux qu’un grand feu de luxure enflamme ?
Le troisième est de
superbe : elle m’est comme un sang corrompu, car c’est elle qui
corrompt les hommes au-dedans et au dehors, ôte la grâce que Dieu
donne, et rend l’homme abominable devant Dieu et le prochain. Or,
celui qui sera rempli de la sorte, ne pourra être rempli de la grâce
du Saint-Esprit.
Or, je suis comme un
homme qui a du vin à vendre, lequel, en voulant boire, en donne
plutôt à ses amis et à ses familiers pour le goûter, et après, le
fait crier par les carrefours, disant que ce vin est bon, que qui en
voudra vienne : de même, j’ai un vin très bon, c’est-à-dire, une
douceur ineffable, laquelle j’ai fait goûter à mes amis, qui ont ouï
les paroles qui procèdent de ma bouche. Entre tous ceux qui
croyaient que le vin était bon, était celui qui est venu à moi
aujourd’hui, ayant comme trois vases à remplir, car il est venu
ayant la volonté d’être continent, de se retirer de la vanité, de
s’humilier profondément et de désirer tout ce qui me plaît.
C’est pourquoi j’ai
aujourd’hui rempli ses vases, car 1. il sera plus éclatant par ma
sapience divine, plus éclairé pour comprendre mes mystères, et plus
prompt à la contemplation qu’auparavant. 2. Je l’ai rempli de
charité, et il sera plus fervent que jamais à tout bien. 3. Je lui
ai donné une crainte discrète, de sorte qu’il ne craint que moi et
ne cherche que ce qui me plaît. Afin donc qu’il sache appeler les
autres à goûter mon vin, qu’il écoute les paroles que j’ai
prononcées, qui sont écrites, afin qu’ayant oui combien je suis
charitable et juste, il ait autant de soin d’appeler les autres à
goûter la douceur de mon vin incomparable.
DÉCLARATION
Ce frère suivait sainte
Brigitte au voyage de Saint-Jacques. Il vit en esprit sainte
Brigitte comme couronnée de sept diadèmes, et vit le soleil comme
tout noirci ; de quoi s’étonnant, il ouït une voix qui lui disait :
Ce soleil obscurci signifie le prince de votre terre, qui ayant
relui comme un soleil, sera méprisé par l’opprobre des hommes ; et
cette femme que vous voyez aura l’épi d’une grâce de Dieu septuple,
laquelle est signifiée par la couronne septuple que vous avez vu, et
ceci vous sera en signe que vous serez guéri de cette infirmité.
Vous retournerez aux vôtres et serez élevé à une plus grande
dignité.
Etant retourné, il fut
fait abbé, faisant progrès de vertu en vertu.
CHAPITRE 37
La Sainte Vierge
parle à l’épouse. En quelle manière la Sainte Vierge est saluée de
quatre sortes d’hommes : des vrais amis par amour, des autres par
crainte de la peine, des autres pour être riches, des hypocrites par
la présomption d’obtenir pardon. Les deux premiers sont récompenses
entre les spirituels, le troisième temporellement, le quatrième
abominablement.
La Sainte Vierge Marie
disait : Il y a quatre sortes de gens qui me servent:
Les premiers sont ceux
qui laissent en mes mains leur volonté, leur conscience et tout ce
qu’ils font pour mon honneur ; leur salutation m’est agréable comme
une boisson très douce.
Les deuxièmes sont ceux
qui craignent la peine, et par la crainte, péché. Je leur donne,
s’ils persévèrent, la diminution de la mauvaise crainte,
l’accroissement de la vraie charité, et la science par laquelle ils
apprennent à aimer Dieu avec raison et sagesse.
Les troisièmes sont
ceux qui élèvent éminemment mes louanges ; mais ils n’ont autre
affection ni intention, sinon que les richesses et les honneurs
temporels leur soient accrus. Et partant, comme un seigneur à qui on
envoie quelque don, et qui en renvoie un égal, de même, d’autant
qu’eux demandent des choses temporelles ni ne désirent rien si
chèrement, je leur donne ce qu’ils demandent, et je les récompense
en cette vie présente.
Les quatrièmes sont
ceux qui feignent d’être bons, et néanmoins, ont le péché en
délectation, car ils pêchent en secret quand ils peuvent, de peur
qu’il ne semble aux hommes que soudain qu’on implore la Sainte
Vierge, on obtient soudain le pardon ; leur voix me plaît comme le
son d’un vase argenté par dehors, et qui, au dedans, est plein de
fiente très puante que personne ne peut souffrir.
Tels sont quelques-uns
par la mauvaise volonté qu’ils ont de pécher. |