LA VOIE MYSTIQUE

adveniat regnum tuum

RÉVÉLATIONS CÉLESTES

Livre V
PROLOGUE DU “LIVRE DES QUESTIONS”

— Chapitres 8 à 13 —

CHAPITRE VIII

Jésus-Christ parle à son épouse, disant que, quant aux hommes qui se plaisent dans les choses charnelles et dans les délices terrestres, qui méprisent les désirs célestes, l’amour divin et la mémoire de ma passion et du jugement éternel, leur oraison est comme la collision de deux pierres, et ils sont jetés de devant Dieu abominablement, comme des abortifs et des souillés.

Celui-là dont nous avons parlé ci-dessus, chantait : Délivrez-moi, ô Seigneur, de l’homme mauvais. Cette voix m’est autant agréable que le son qui résulte de la collision de deux pierres, car son cœur crie à moi comme de trois voix.

La première voix dit : Je veux avoir ma volonté en ma main, dormir, me lever et avoir mes plaisirs. Je donnerai à la nature ce qu’elle désire. Je désire avoir de l’argent en la bourse, la mollesse des vêtements. Quand j’aurai cela, je m’estimerai plus heureux que si j’avais tous les autres dons et les vertus spirituelles de l’âme.

La deuxième voix dit : La mort n’est pas trop dure; le jugement n’est pas si sévère qu’il est écrit. On nous menace de grandes peines par finesse, et on donne moins que tout cela par la miséricorde; mais que je puisse faire ma volonté en cette vie, mon âme ira où bon lui semblera.

La troisième voix dit : Dieu n’aurait point racheté l'homme, s’il ne lui voulait pas donner le paradis, ni il n’aurait pas pâti, s’il ne voulait pas nous ramener en la patrie. Ou bien, pourquoi aurait-il pâti, ou qui l’aurait contraint à ce faire? Je n’entends point les choses célestes, si ce n’est par l’ouïe, et je ne sais si je dois croire aux Écritures. Si je pouvais accomplir mes volontés, ce serait mon fait, et je les recevrais au lieu du ciel.

Telle est la volonté de cet homme misérable; c’est pourquoi son oraison est à mes oreilles comme le son qui résulte de la collision de deux pierres. Mais, ô mon ami! je réponds à la première voix : Votre voie ne tend point au ciel, ni ma passion amoureuse n’est pas à votre goût. C’est aussi pour cela que l'enfer vous est ouvert; et d’autant que vous aimez les choses infimes et terrestres, vous irez au plus bas des fondrières de l’enfer.

Je réponds à la deuxième voix : Mon fils, la mort vous sera très dure, le jugement intolérable et la fuite impossible, si vous ne vous amendez.

A la troisième voix, je vous dis : Mon frère, j’ai fait toutes mes œuvres par l’esprit et mouvement de charité, afin que vous me fussiez semblable, et que, vous étant retiré de moi, cette ressemblance vous servît pour retourner à moi. Or, maintenant, mes œuvres sont mortes en vous; mes paroles vous sont fâcheuses, et vous méprisez ma vie, c’est pourquoi il ne vous reste que le supplice pour récompense, et la compagnie de la furie des démons pour récréation, d’autant que vous me tournez le dos, que vous foulez aux pieds les signes de mon insigne humilité, et ne considérez pas comment j’ai été mis pour vous et devant vous sur un gibet.

Certainement, j’ai été en la croix en trois manières pour l'amour de vous : 1° comme un homme dont un couteau percerait l’œil; 2° comme un homme dont une épée percerait le cœur; 3° comme un homme, les membres duquel trembleraient par l’appréhension d’un déluge de tribulations qui va fondre sur lui. Certes, ma passion m’était plus amère que les coups qu’on donnait à mes yeux; néanmoins, je les pâtissais très amoureusement. La douleur aussi de ma Mère a plus ému mon cœur que la mienne propre : toutefois, je souffris le tout par amour. En vérité, tous mes membres et tout ce qui est en moi d’extérieur et d’intérieur, tremblèrent, ma passion s’approchant. Tout cela néanmoins ne me fit pas reculer d’un seul point, et c’est de la sorte que j’ai souffert pour l’amour de vous! Et vous, hélas! vous oubliez tout, vous négligez et méprisez tout. C’est pourquoi vous serez rejeté comme abortif et comme souillé.

INTERROGATION XIII

I. D’ailleurs, le même religieux apparut en même lieu que dessus, disant : O juge, je vous le demande, pourquoi votre grâce est-elle plutôt soustraite aux uns qu’aux autres? Pourquoi plusieurs sont-ils longtemps tolérés en leurs méchancetés?

II. Pourquoi quelques-uns sont-ils prévenus des grâces dès leur enfance, et quelques autres en sont-ils privés en leur vieillesse?

III. Pourquoi quelques-uns sont-ils affligés outre mesure, et quelques autres sont-ils quasi à l’abri des tribulations?

IV. Pourquoi est-il donné à quelques-uns un entendement grandement et incomparablement docile, et pourquoi d’autres sont-ils comme des âmes sans entendement?

V. Pourquoi quelques-uns sont-ils trop endurcis, et d’autres sont-ils gratifiés de contemplations indicibles?

VI. Pourquoi est-il donné aux mauvais une plus grande prospérité en ce monde qu’aux bons?

VII. Pourquoi l’un est-il appelé au commencement, l’autre à la fin?

REPONSE DE JESUS-CHRIST

I. Le Juge répondit : Mon ami, toutes les œuvres exécutées dans le temps sont de toute éternité en ma prescience, et tout ce qui a été fait pour le soulas et consolation des hommes, est créé. Mais d'autant que l'homme préfère sa volonté à ma volonté, c’est pour cela aussi que, de droit, les biens lui sont ôtés, bien qu’ils lui aient été donnés gratuitement, afin que, par-là, l’homme apprenne que tout ce qui est juste et raisonnable vient de Dieu; et d’autant que plusieurs sont ingrats de mes grâces et en sont autant indévotieux que plus les dons leur sont multipliés, c’est pour cette raison aussi que les dons leur sont soudain ôtés, afin que les conseils de ma Divinité soient plus promptement manifestés, et afin que l'homme n’abuse de mes grâces à sa plus grande condamnation.

Je tolère quelques-uns longtemps en leur malice, d'autant qu’entre leurs malheurs, ils ont quelque chose de tolérable. Car de fait, ou ils profitent aux autres ou les tiennent sur leurs gardes, comme il arriva à Saül, quand il était repris par Samuel, qui semblait avoir bien peu péché devant le peuple, et David semblait avoir offensé beaucoup. Néanmoins, quand l’épreuve arriva, Saül fût rebelle, se révolta contre moi, et consulta la pythonisse; mais David se rendit plus fidèle au temps de tentation, souffrant avec patience les injures qu’on vomissait sur lui, et croyant que cela lui arrivait justement pour ses péchés. En cela donc que j’ai souffert patiemment Saül, c’est en cela que son ingratitude se montre, et la puissance de ma Divinité se manifeste. Or, que David soit élu, en cela se montrent ma prescience et l’humilité future de David et sa contrition.

II. Pourquoi la grâce est-elle ôtée à quelques-uns en la vieillesse? La grâce est donnée à un chacun, afin que l’auteur de la grâce soit aimé. Mais d'autant que plusieurs en sont ingrats à la fin de leur vie, comme Salomon, c’est aussi que, pour cela, il est juste et raisonnable qu’elle leur soit ôtée à la fin, puisqu’ils ne l’ont point gardée avant la fin. Et de fait, mes dons et mes grâces sont quelquefois ôtés à ceux qui les avaient, à raison de leur négligence, car ils ne considéraient pas ce qu’ils ont reçu et ce qu’il faillait rendre, et quelquefois aussi, pour tenir en avertissement les autres, afin que celui qui est en grâce craigne toujours et craigne la chute des autres, parce que les sages sont tombés par négligence, et encore ceux qui semblaient mes amis ont été supplantés par l’ingratitude.

III. Je suis le Créateur de toutes choses, et aucune affliction ne vient sans ma permission, comme il est écrit : Je suis Dieu, créant le mal, qui n’afflige pas même les païens sans ma permission et sans juste sujet, car mes prophètes ont prédit plusieurs choses des adversités des Gentils, afin que les négligents et ceux qui abusent de la raison, fussent instruits par les verges; afin que, par ma permission, je fusse connu de tous et fusse glorifié de toutes les nations. Si donc je ne pardonne pas les païens de fouets, moins pardonnerai-je à ceux qui ont largement goûté de mes douceurs divines.

Quant à ce que la tribulation est plus grande aux uns qu’aux autres, je permets cela, afin que les hommes se retirent du péché, et par la tribulation présente, obtiennent la consolation en l’autre vie; d’autant que tous ceux qui sont jugés et se jugent en cette vie, ne seront point au jugement futur, d'autant qu’ils passeront de la mort à la vie. Quant à ce que quelques-uns sont assistés en ce qu’en leurs afflictions, ils ne murmurent jamais, c’est afin qu’ils ne tombent en un plus grand et plus rude jugement, d'autant qu’il y en a qui ne méritent point d’être affligés en ce monde.

Il y en a certainement d’autres qui, en cette vie, ne sont affligés ni au corps ni en l’esprit, qui vivent avec autant d’assurance que s’il n’y avait point de Dieu pour les punir, ou bien par l’appui qu’ils ont en leurs œuvres, Dieu leur pardonne, car certainement, il est à craindre et est digne de compassion que je ne leur pardonne, et les épargne tellement en cette vie, qu’ils ne soient damnés en l’autre.

Quelques autres ont la santé corporelle, et sont affligés en l’âme du mépris du monde. D’autres ne jouissent ni de la santé du corps ni de la consolation intérieure de l’esprit, et néanmoins, ils persévèrent de tout leur pouvoir en mon service et la recherche de mon honneur. Quelques autres sont affligés dès le ventre de leur mère jusques au dernier période de leur vie, par des infirmités importunes, lesquelles je leur dispose, afin que rien ne se fasse en eux sans mérite et sans raison. Certainement, les yeux de plusieurs sont ouverts dans les tribulations fâcheuses, qui étaient endormis avant les tentations et dans la prospérité.

IV. Pourquoi quelques-uns ont-ils meilleur esprit que les autres? Il ne profite de rien d’avoir un meilleur esprit et une plus grande intelligence, si on n’est reluisant en bonne vie; voire il serait plus profitable de n’avoir pas tant de science et avoir meilleure vie. Partant, j’ai modéré et mesuré le savoir à un chacun, avec lequel il se peut sauver, s’il vit avec autant de piété. Néanmoins, la science est dissemblable en plusieurs, selon la naturelle et spirituelle disposition, car comme l'homme, par la divine ferveur et les solides vertus, profite dans les progrès de la perfection, de même, par la mauvaise volonté, la mauvaise disposition de la nature, par la mauvaise éducation et la mauvaise nourriture, l'homme s’écoule dans les malheurs et s’élève dans les vanités, et la nature défaut dans l’effort du péché.

Ce n’est donc pas sans sujet que la science est grande en plusieurs, mais inutile, comme en ceux qui ont du savoir, mais non pas une bonne vie. En d’autres, la science est petite, mais l’usage en est meilleur. En quelques-uns, la science et la vie s’accordent, et en d’autres, la vie ni la science ne s’accordent point. Cette variété arrive de ma disposition divine pour l’utilité de l'homme, ou pour son humiliation, ou pour son instruction à mieux vivre. A quelques-uns cela arrive à raison de leur ingratitude et tentation, quelquefois à cause de la défectuosité de la nature et des péchés cachés. Dieu le permet encore pour éviter qu’on ne tombe en de grands péchés, et quelquefois parce que la nature n’a point aptitude à de plus grandes choses.

Que tout homme donc qui a la grâce d’intelligence et de science, craigne que de là il ne soit plus rudement jugé, s’il en est plus négligent à bien faire et pire en ses mœurs. Mais que celui qui n’a pas tant d’esprit ni de subtilité, se réjouisse d’en avoir peu, et qu’il opère avec celui-là autant qu’il pourra, car le libertinage est cause ou occasion de ruine à plusieurs. Saint Pierre l’apôtre, en sa jeunesse, fût fort oublieux; saint Jean était idiot; mais en leur vieillesse, ils ont appris la vraie sapience, la recherchant dans le principe de la sapience. Salomon était docile dès sa jeunesse, Aristote subtil; ils n’ont pas embrassé la source et l’auteur de la sapience, ni n’ont pas glorifié l'auteur de la sapience comme ils devaient, ni n’ont pas suivi ce qu’ils savaient, et n’ont pas appris pour eux, mais pour les autres.

Mais même Balaam a eu la science, qu’il n’a pas suivie, c’est pourquoi son ânesse reprit sa folie, et Daniel, jeune enfant, jugeait les anciens. Certainement, les lettres ne me plaisent point sans la bonne vie. Partant, il est nécessaire que ceux qui abusent des sciences, soient repris, car moi, qui suis le Dieu de tous et leur Seigneur, je donne la science aux hommes, et je corrige les sages et les fous.

V. Pourquoi quelques-uns s’endurcissent-ils? Pharaon fut endurci par sa faute, d'autant qu’il ne voulait pas se conformer à ma divine volonté, car l’endurcissement n’est autre chose que la soustraction de ma grâce, laquelle je retire, d'autant que l’homme n’attribue pas à moi les biens d’icelle, ce qu’il pourrait faire ayant le libre arbitre, comme vous l’entendrez par un exemple d’un champ fructueux et d’un champ infructueux.

Il y avait un homme qui possédait deux champs, l’un desquels était inculte; l’autre fructifiait en certain temps. Son ami lui dit : Je m’émerveille qu’étant sage et riche, vous ne cultiviez pas mieux vos champs, ou pourquoi vous ne les baillez à cultiver à quelque autre. Il répondit : Quelque diligence que j’y apporte, ce champ ne produit que de mauvaises herbes; les bêtes venimeuses l’occupent, le salissent et le rendent épouvantable. Si je le fume, il est pire; s’il y arrive quelque peu de blé, la zizanie l’étouffe tout, et c’est ce qui fait que je ne moissonne point, d’autant que je désire cueillir du blé qui soit pur. Il m’est donc plus profitable de laisser ce champ tout inculte, car pour le moins, lors les bêtes venimeuses n’occuperont point ce lieux-là, ni ne se cacheront point dans les herbes. Que s’il y arrive quelques herbes amères, elles seront utiles aux brebis, en tant qu’ayant goûté leur amertume, elles apprendront à ne pas se dégoûter des bonnes.

L’autre champ est disposé selon le tempérament des temps et saisons; l’une de ses parties est pierreuse et a besoin d’être fumée, et l’autre humide, et elle a besoin de chaleur; l’autre sèche, elle désire l’humidité; partant, je la veux cultiver selon ses tempéraments.

Moi, Dieu, je suis semblable à cet homme. Le premier champ signifie le mouvement libre de la volonté donnée à l’homme, qui s’émeut plus contre moi que pour moi; que si elle me plaît en quelque chose, elle me déplaît en plusieurs, d’autant que la volonté de l’homme et la mienne ne s’accordent point. De même en fit Pharaon, qui, connaissant par certains signes ma puissance, néanmoins endurcit sa volonté contre moi, persistant en sa malice; c’est pourquoi il a aussi ressenti ma justice, d'autant qu’il est juste que celui qui n’use bien des choses petites, ne puisse se glorifier des grandes.

L’autre champ est l’obéissance d’un bon esprit et l’objection de la volonté propre. Si un tel esprit est aride en la dévotion, il doit attendre la pluie de ma grâce divine. S’il est pierreux par l’impatience et l’endurcissement, qu’il souffre généreusement la correction et se laisse purifier en cela. S’il est humide par la mollesse de la chair, qu’il embrasse l’abstinence, et qu’il soit comme un animal préparé à la volonté du possesseur, car je me glorifie d’un tel esprit.

Si quelques-uns donc s’endurcissent, cela provient de la volonté des hommes, qui m’est contraire, car bien que je veuille que tous soient sauvés, cela néanmoins ne s’accomplit point, si l’homme ne coopère, conformant sa volonté à ma volonté.

Quant à ce qu’à tous n’est pas donnée la grâce d’avancer, cela vient d’un occulte jugement de moi, qui sais modérer et donner à un chacun ce qui lui est expédient et ce qui lui est dû; qui retiens aussi les efforts des hommes, afin qu’ils ne tombent plus malheureusement; car plusieurs ont de grands talents de la grâce qui pourraient faire beaucoup, mais ils ne veulent point; d’autres se gardent du péché par la crainte du supplice, et d’autant qu’ils n’ont point les occasions de pécher, ou bien d’autant que le péché leur déplaît, c’est pourquoi je ne donne point de plus grands dons à quelques-uns, car moi, qui connais seul l’esprit des hommes, je sais distribuer les dons comme il faut.

VI. Pourquoi, le plus souvent, les méchants prospèrent-ils mieux que les bons? Cela est un indice, dit Dieu, de ma grande patience, de mon amour et de la probation des justes, car si je donnais à mes amis seulement les biens temporels, les méchants se désespéreraient et les bons s’enorgueilliraient. Mais je donne à tous des biens temporels, afin que moi, leur Dieu, auteur et Créateur de tout, sois aimé de tous, et afin que, quand les bons se rendent superbes, ils soient instruits par les mauvais à être justes. Tous savent aussi que les choses temporelles ne sont point à aimer, ni ne doivent être préférées à moi, mais on en doit seulement user pour le seul entretien, et afin qu’ils soient d’autant plus fermes à mon service, que moins ils trouvent de stabilité dans les choses temporelles.

VII. Pourquoi un est-il appelé au commencement de sa vie, et d’autres le sont-ils à la fin? Je suis comme une mère qui, voyant en ses enfants l’espérance de vie, donne aux uns des choses fortes, aux autres des choses légères et faibles.

Mais elle compatit et fait ce qu’elle peut en ceux desquels il n’y a point d’espérance de vie. Mais malheur! ces enfants devenant pires par le médicament de la mère, qu’est-il besoin de travailler pour eux? J’en fais de même à l’homme, la volonté duquel est prévue être plus fervente, et l’humilité et la stabilité plus constantes; à celui-ci je donne la grâce au commencement, et elle le suit à la fin. Mais celui qui au milieu de ses maux, s’efforce et devient meilleur, celui-là mérite d’être appelé à la fin. Mais celui qui est ingrat ne mérite point d’être admis à l’intelligence des paroles de l’Église, notre sainte Mère.

CHAPITRE IX

Jésus-Christ, parlant à son épouse sainte Brigitte, lui montre en quelle manière elle a été affranchie de la maison du monde et de celle des vices, et comment elle est conduite maintenant pour demeurer en la maison du Saint-Esprit; c’est pourquoi il l’avertit de se conformer au Saint-Esprit, persévérant toujours en l’humilité, pureté et dévotion.

Le Fils de Dieu parle à son épouse : Vous êtes celle qui, étant nourrie en une pauvre maison, avez été élevée en une grande compagnie. En vérité, il se trouve trois choses en la maison pauvre, savoir : les murailles mal polies, la fumée nuisible et la suie luisante. Mais vous avez été conduite en la maison où sont la beauté sans tache, la chaleur sans fumée, la suavité sans dégoût. La maison pauvre n’est autre chose que le monde, dont les murailles sont la superbe et l’oubli de Dieu, l’abondance du péché et l’inconsidération des choses futures. Ces murailles ne sont pas seulement mauvaises, mais elle tachent toutes les bonnes œuvres, les anéantissant toutes, et cachent à l’homme la présence divine.

La fumée est l’amour du monde, qui nuit aux yeux, d'autant qu’il offusque l’esprit et le rend soigneux des choses superflues. La suie est la volupté, laquelle, bien qu’elle délecte pour quelque temps, ne rassasie pas pourtant, ni ne remplit pas comme la bonté éternelle. Vous êtes retirée d’icelle et êtes conduite en la demeure du Saint-Esprit, qui est en moi et moi en lui, qui vous enveloppe aussi en lui; il est très pur, très fort et la constance même, et de fait, il soutient toutes choses. Conformez-vous donc à l’habitant de la maison, demeurant pure, humble et dévote.

INTERROGATION XIV

I. Le même religieux apparut, disant : O Juge, je vous demande pourquoi les animaux souffrent des incommodités, ne peuvent point être bienheureux ni n’ont point l’usage de la raison.

II. Pourquoi naissent-ils avec douleur, puisqu’en leur naissance, il n’y a point de péché?

III. Pourquoi l’enfant porte-t-il l’iniquité du père, puisqu’il ne sait pas pécher?

IV. Pourquoi arrive-t-il plus souvent ce qui est hasardeux que ce qui est prévu?

V. Pourquoi le mauvais meurt-il d’une bonne mort, comme souvent le juste, et le juste d’une mauvaise mort, comme l’injuste?

REPONSE DE JESUS-CHRIST

I. Le Juge, Jésus-Christ, répond : Mon ami, bien que votre demande ne soit point charitable, néanmoins, je veux répondre à vos demandes pour l’amour des autres. Vous demandez pourquoi les animaux souffrent des incommodités : c’est parce qu’en eux, l’ordre est en tout, car je suis le Créateur de toute la nature, et j’ai donné à chacune son tempérament et son ordre, auquel chaque chose aurait son mouvement et sa vie.

Mais après que l'homme, pour lequel toutes choses ont été créées, eut péché et se fût opposé à Dieu, son conducteur, toutes choses commencèrent leur déréglement, et celles qui devaient l’honorer, se révoltèrent contre lui, et c’est de ce déréglement que les incommodités arrivent aux animaux aussi bien qu’aux hommes. Au reste, les animaux pâtissent aussi souvent à raison de l’intempérament de leur nature, souventefois aussi pour adoucir leur fureur et pour purger leur nature; d’autres fois à raison des péchés des hommes, afin que l’homme soit affligé et souffre, les voyant souffrir, et connaisse de quelle peine il est digne, lui qui a plus de raison pour le connaître. Certainement, si les péchés des hommes ne l’exigeaient point, les animaux ne seraient pas affligés en tant de manières, et même les animaux ne souffrent pas sans un grand sujet et sans justice, car, ou cela leur sert pour mourir plus promptement, ou pour l’amoindrissement des labeurs et des misères, ou pour le changement du temps, ou pour le peu de soin des hommes, les faisant trop travailler.

Que l’homme craigne donc par-dessus tout moi, qui suis Dieu, et qu’il en soit d’autant plus doux envers les créatures et les animaux, auxquels il doit pardonner pour l'amour de moi, leur Créateur. C’est pourquoi aussi j’ai établi le jour du sabbat jour de repos, pour marquer le soin que j’ai de toutes les créatures.

II. Pourquoi tous les animaux naissent-ils avec douleur? Soudain que l’homme eut méprisé les vraies délectations dans le jardin d’Éden, il tomba dans les labeurs et dans une vie pénible; et d'autant que le déréglement a commencé en l'homme par l'homme, ma justice veut aussi que les créatures, qui sont pour l'homme, ressentent quelque amertume pour tempérer le plaisir que l'homme aurait pris en elles, et pour avoir moins de nourriture d’elles. L'homme donc naît avec douleur et avance avec labeur, afin qu’il se hâte d’arriver au vrai repos. Il naît nu et pauvre, afin qu’il contienne ses mouvements déréglés et afin qu’il craigne la future discussion. Les animaux mettent au jour leurs petits avec douleur, afin que l'excès soit tempéré par l’amertume, et que les hommes participent, en les voyant souffrir, à leurs douleurs et labeurs. Que l’homme donc m’aime tout autant par-dessus les créatures qu’il est plus excellent qu’elles.

III. Pourquoi l’enfant porte-t-il le péché de son père? Tout ce qui procède du monde pourrait-il être pur? C’est pourquoi le premier homme, quand il perdit la beauté de son innocence, à cause de sa rébellion, fût chassé du paradis des joies indicibles, se plongea et s’abîma dans les choses immondes. Donc, pour recouvrer cette innocence, pas un des hommes n’a été trouvé suffisant et capable. Partant, moi, Dieu miséricordieux, venant prendre la chair humaine, j’ai institué le baptême, afin que l’enfant fût affranchi de la souillure du péché ; et partant, à raison de ceci, pas un des enfants ne portera l’iniquité de son père, mais chacun portera son péché et mourra en icelui.

Mais néanmoins, il arrive souvent que les enfants imitent les péchés des parents, c’est pourquoi souvent les péchés des parents sont punis dans les enfants, non pas qu’il faille que, pour cela, les péchés des parents demeurent en eux impunis, bien que la peine de leurs péchés soit différée en un autre temps, mais un chacun mourra en son péché et il en sera puni. Souventefois aussi, les péchés des pères sont visités, comme il est écrit, en la quatrième génération, car la divine justice veut que les enfants, ne se souciant pas d’apaiser ma juste colère, ni pour eux ni pour leur parents, soient souvent punis avec leurs pères, qu’ils ont suivis, s’opposant contre moi.

IV. Pourquoi ce qu’on ne prévoit point arrive-t-il plus souvent ? Il est écrit que, par les mêmes choses qu’il a péché, l’homme soit puni. Et quel sera celui qui entendra les conseils occultes de Dieu ? Hélas ! qu’il y en a qui me cherchent, non, pour mon amour, mais pour celui du monde ! D’autres me craignent plus qu’il ne faut ; d’autres présument ; d’autres s’enorgueillissent de leurs conseils. Partant, moi, Dieu, qui opère la salut de tous, je fais que souvent l’homme craint, et quelquefois je lui ôte la crainte, et il m’aime sans bornes. Souventefois aussi, ce qu’on prévoit et ce qu’on désire avec plus de soin, s’éloigne, afin que l’homme craigne, aime et considère son Dieu.

V. Pourquoi l’homme mauvais meurt-il souvent d’une bonne mort comme le juste ? Les mauvais ont souvent quelques biens, et font quelques œuvres de justice, pour lesquelles il les faut récompenser en cette vie présente. De même les justes ont quelques maux pour lesquels il les faut punir en cette vie et les attendre à bonne fin. Et d’autant qu’en la vie présente, toutes choses sont incertaines et toutes choses sont réservées pour l’avenir ; et d’autant que l’entrée de tous au monde est égale, l’issue doit être aussi semblable en quelque chose, car l’issue ne rend pas bienheureux, mais la vie sainte et bonne.

Néanmoins, que l’issue soit égale au bons et aux mauvais, ma divine justice le permet ainsi, car ils désirent tous cette issue ; car le diable, prévoyant l’issue de ses amis, leur annonce et leur prédit le temps de leur mort, conformément à leur présomption, vaine gloire, et pour les décevoir, comme on le voit dans les livres qui sont appelés apocryphes, que quelques méchants sont loués après leur mort. Au contraire, il arrive que les justes font une issue déplorable pour leur plus grand mérite, afin qu’eux aussi qui ont aimé la vertu en leur vie, s’envolent au ciel, francs et libres, par une mort contemptible, afin qu’ils ne soient pas même trouvés dans le monde dignes de moquerie, comme il est écrit que le lion tua le prophète désobéissant, et ne mangea point son corps, mais le garda.

En l’occision de ce corps on voir ma permission, afin que la désobéissance de l’apôtre fût punie. Quant à ce que le lion ne mangea point de son corps, les bonnes œuvres de l’apôtre ont été manifestées, afin qu’étant purifié en cette vie, il fût trouvé juste en l’autre. Partant, qu’on prenne bien garde de ne sonder et éplucher par trop mes divins jugements, car comme je suis incompréhensible en vertu et en puissance, de même suis-je terrible en conseils et jugements : ceux qui les ont voulu curieusement comprendre en leur science, sont tombés de l’espérance.

CHAPITRE X

Jésus Christ, parlant à son épouse, l’avertit de ne point se troubler, si les paroles qu’il lui révèle en l’oraison sont souvent obscures, quelquefois douteuse, quelquefois incertaines, d’autant que cela est pour de certaines raisons déduites en ce lieu par les secrets de la justice divine. Je vous ai néanmoins conseillé d’attendre l’événement avec patience et craint, avec persévérance et humilité, comme aussi mes promesses, de peur que, par l’ingratitude, la grâce promise ne soit retirée. Il dit que plusieurs choses ont été dites corporellement, qui ne s’accompliront pas pourtant corporellement, mais spirituellement.

Le fils de Dieu parle à son épouse : Ne vous travaillez pas, dit-il, si je vous dis quelques paroles obscures, quelques autres plus claires, ou si j’appelle maintenant quelqu’un, tantôt serviteur, tantôt mon ami, et soudain on voit le contraire, d’autant que mes paroles sont prises en diverses manières, comme je vous l’ai dit d’un quidam que sa main serait sa mort, et d’un autre, qu’il n’approcherait plus de ma table. Ces choses sont dites pourquoi je l’avais dit la sorte, ou bien vous en verriez à la fin de l’œuvre la vérité, comme il appert en ces deux exemples.

Je dis aussi quelquefois quelques choses obscures afin que vous ayez une pure joie, et que les choses n’arrivent d’une autre manière, à raison de ma patience, de moi qui connais les changements et les vicissitudes des cœurs. Réjouissez-vous aussi d’autant que ma volonté est toujours accomplie. Car comme aussi en l’ancienne loi, j’ai dit plusieurs choses qui devaient être plutôt entendues spirituellement que corporellement : comme du temple de David et de Jérusalem, c’est afin que les hommes charnels apprissent à désirer ardemment les choses spirituelles. Car pour prouver la constance de la foi et le soin de mes amis, j’ai dit et promis plusieurs choses qui peuvent être entendues diversement des bons et des mauvais, et en la manière que plusieurs peuvent être exercés par moi en divers états, être éprouvée et être enseignés par moi.

Quant à ce que plusieurs choses ont été dites obscurément, ma justice l’exige de la sorte, afin que mes conseils éternels soient cachés, et qu’un chacun attendit ma gloire, de peur que si mes conseils étaient toujours marqués en temps certain, tous ne l’alentissent en leur attente. J’ai promis aussi plusieurs choses qui sont ôtées pour l’ingratitude des hommes, et plusieurs choses ont été dites corporellement, qui seront accomplies spirituellement, comme de Jérusalem et de Sion, car les Juifs sont comme il est écrit, le peuple du Seigneur, le peuple aveugle et sourd.

INTERROGATION XV

I. Le même religieux apparut en disant : O Juge, je vous demande pourquoi plusieurs choses qui semblent de nulle utilité, sont créées.

II. Pourquoi ne voit-on point au commencement les âmes qui sont dans les corps, ou qui sont sorties du corps?

III. Pourquoi vos amis ne sont-ils pas toujours exaucés quand ils prient?

IV. Pourquoi n’est-il pas permis à plusieurs de faire le mal qu’ils veulent?

V. Pourquoi les maux arrivent-ils à plusieurs qui ne les ont pas mérités?

VI. Pourquoi ceux qui ont l’Esprit de Dieu pèchent-ils?

VII. Pourquoi le diable suit-il toujours quelques-uns, et d’autres jamais?

REPONSE DE JESUS-CHRIST

I. Le Juge répondit : Mon ami, comme mes œuvres sont en grand nombre, aussi sont-elles admirables et incompréhensibles. Que si mes œuvres sont en grand nombre, elle ne le sont pas sans sujet. Certainement, l’homme est semblable à un enfant nourri dans la prison et dans les ténèbres, qui, si on lui disait qu’il y a une belle lumière et des astres, ne le croirait pas, d’autant qu’il ne les a jamais vus : de même, quand il a laissé une fois la lumière vraie, il ne se plaît que dans les ténèbres, conformément à la maxime vulgaire :

Celui qui est accoutumé au mal, le mal lui est doux. Donc, bien que l’esprit de l’homme soit aveuglé en moi, néanmoins, il n’y a pas obscurité ni changement tel que je n’ai disposé avec tant de tempérance, sapience et honnêteté toutes choses, qu’il n’y a rien qui soit fait sans sujet et sans utilité, voire même les montagnes les plus hautes, les déserts, les lacs, les bêtes, les reptiles voire les animaux venimeux. Mais comme je pourvois à l’homme, de même ai-je soin des animaux.

Je suis semblable à l’homme qui a des lieux pour se promener ; d’autres pour la garde des animaux apprivoisés ; d’autres pour les animaux farouches ; d’autres pour tenir soin conseil ; d’autres parce que la disposition de la terre le requiert ainsi ; d’autres pour la correction des hommes. De même j’ai range toute choses avec raison, les unes pour l’utilité de l’homme ; les autres pour son plaisir ; les autres pour le divertissement des animaux ; quelques autres pour retenir dans les bornes de la raison la cupidité des hommes ; les autres pour la congruité des éléments ; quelques autres pour l’admiration de mes œuvres ; quelques autres pour la punition des péchés ; d’autres pour la convenance des supérieurs et des inférieurs ; d’autres pour des causes et sujets réservés et connus de moi seul.

Car voici une abeille petite qui sait choisir des fleurs le miel en grande quantité, comme un nombre d’autres petites créatures qui font leur fonction, et surpassent l’homme en industrie et au choix des herbes, et en la considération et acquisition de leur utilité, et plusieurs choses leur sont utiles, qui sont néanmoins nuisibles à l’homme.

Qu’est-il donc de merveille si les soins des hommes sont faibles pour discerner et entendre mes merveilles, vu de petites créatures les surpassent ? Qu’y a-t-il de plus difforme que la grenouille et le serpent ? Quoi de plus contemptible que l’ortie et autres herbes ? et néanmoins, elles sont fort utiles à ceux qui savent discerner et connaître l’excellence de mes œuvres. Et partant, tout ce qui sert à quelque usage et utilité, et tout ce qui a mouvement, cherche sa conservation et son affermissement.

D’autant que toutes mes œuvres sont admirables et toutes me louent en leur manière, l’homme, qui est plus excellent que les autres créatures, est plus obligé de rechercher en tout mon honneur. Certainement, si les montagnes ne bornaient les digues des rivières, l’impétuosité des eaux vous submergeaient tous, et si les bêtes n’avaient ou se retirer, comment pourraient-elles échapper à l’insatiable cupidité des hommes ? Que si toutes choses étaient soumises à la dévotion de l’homme, il ne désirerait pas lors les richesse célestes. Si les bêtes ne travaillaient ni ne craignaient, elles se perdraient et s’affaibliraient. Partant, plusieurs de mes œuvres ont été cachées afin que moi, Dieu admirable et incompréhensible, sois connu et honoré des hommes, par l’admiration de la créature de tant de diverses et différentes créatures.

II. Pourquoi l’homme ne voit-il pas les âmes ? L’âme est d’une meilleure nature que le corps, d’autant qu’elle a été créée par la vertu de ma main toute puissante, et qu’elle a l’immortalité avec les anges. Elle est plus excellente que toutes les planètes, plus éminente que tout le monde. D’autant donc que l’âme est d’une excellente nature, donnant au corps le vivification et la chaleur, et d’autant plus qu’elle est spirituelle, elle ne peut être vue corporellement ni entendue que par des similitudes corporelles.

III. Pourquoi mes amis ne sont-ils pas toujours exaucés quand ils me prient ? Je suis comme la mère qui, voyant que son fils la prie comme son salut, diffère d’exaucer sa demande, retenant ses pleurs avec quelque menace d’indignation, laquelle n’est pas colère, mais grande miséricorde. De même moi, Dieu, je n’exauce pas toujours mes amis, d’autant que je vois mieux ce sui est utile pour leur salut.

Eh quoi ! saint Paul et d’autres ne m’ont-ils pas prié efficacement, et néanmoins, ils n’ont point été exaucés, pourquoi ? d’autant que mes amis même ont quelques faiblesse et quelque chose à purifier en l’abondance des vertus ; c’est pourquoi ils ne sont point exaucés, afin qu’ils en soient d’autant plus humbles et plus fervents qu’ils sont conservés par ma grâce sains et saufs en la charité ès tentation du péché. C’est donc un jugement de grande dilection que mes amis ne soient pas exaucés en leur oraison, pour leur plus grand mérite et pour éprouver leur constance, car comme le diable s’efforce de corrompre la vie du juste par le péché ou par la mort contemptible, afin qu’il puisse relâcher la constance des fidèles, de même je permets, non sans grand sujet, que le juste soit éprouvé, afin que sa constance soit connue aux autres, et que lui soit plus excellemment couronné ; et comme le diable ne craint point de tenter les siens, qu’il voit enclin à pécher, de même je n’épargne point mes élus, que je vois préparés au bien.

IV. Pourquoi n’est-il pas toujours permis de faire le mal que quelques-uns veulent ? Quiconque a deux enfants, l’un obéissant, l’autre rebelle, le père résiste au rebelle autant qu’il lui plaît, afin qu’il n’excède en sa malice, et il éprouve l’obéissant, l’excitant à de plus grandes choses, afin que le rebelle en soit excité à des choses meilleures. De même je ne permets pas que les mauvais pèchent, qui font bien parmi leur malheurs, avec lesquels ils profitent, ou à eux, oui aux autres. Partant, ma justice veux qu’ils ne soient pas soudain donnés au diable, et qu’ils n’aient pas toujours la puissance d’accomplir leurs pernicieux desseins.

V. Pourquoi les maux assaillent-ils ceux qui ne les ont point pas mérités ? Celui qui est bon est connu de moi seul, et je sais ce qu’il mérite. Certes, plusieurs choses semblent belles, bien qu’elles ne le soient pas. Le feu éprouve l’or. Or, le juste est souventefois affligé, afin qu’il serve d’exemple aux autres et soit richement couronné. Job a été éprouvé de la sorte, qui était néanmoins bon avant l’affliction ; mais dans les afflictions, il fut épuré et connu des hommes. Mais qui et celui qui voudra sonder et éplucher pourquoi je l’ai affligé, si ce n’est moi-même qui l’ai prévenu de mes bénédictions, qui l’ai conservé afin qu’il ne péchât point, qui l’ai soutenu en ses tentations ? et comme je l’ai prévenu de ma grâce dans aucun sien mérite, de même je l’ai éprouvé avec ma justice et ma miséricorde, car pas un ne sera justifié devant moi, sinon par ma grâce.

VI. Pourquoi ceux qui ont mon Esprit pèchent-ils ? L’Esprit divin n’est pas attaché, mais il inspire où il veut, se retire quand il veut, et il n’habite point en un vase plein de péché, mais en celui qui est plein de charité et d’amour, d’autant que moi, Dieu, je suis la charité, et là où je suis, la liberté se trouve. Celui donc qui reçoit mon Esprit peut pécher s’il veut, car tout homme a le libéral arbitre. C’est pourquoi quand l’homme est averti d’amender sa volonté, Balaam voulut maudire mon peuple, mais je ne le permis pas. Bien qu’il fût mauvais et ambitieux prophète, il parlait néanmoins, et disait quelque chose de bon, non de soi, mais de mon Esprit, car souvent fois le don de mon Esprit est donné aux bons et aux mauvais ; autrement ces grands éloquents n’eussent pas tant disputé des choses sublimes, s’ils n’eussent eu mon Esprit, ni les fous n’eussent pas tant déliré, s’ils n’eussent fait contre moi, et se fusent laissés emporter à la superbe, voulant savoir plus qu’il ne fallait.

VII. Pourquoi le diable est-il plus présent aux uns qu’aux autres ? Le diable est comme le bourreau et l’épreuve des bons, c’est pourquoi, par ma permission, il vexe quelques âmes lesquelles pèchent contre la raison, s’abandonnent à l’immondicité, à l’avarice, à l’infidélité. Il trouble leurs consciences et leur corps, qui sont ici tourmentés et purifiés pour quelques péchés. Cette vexation et peine sont communes à tous les enfants, tant des païens que des chrétiens, et cela à raison du peu de soin des parents, ou le défaut de la nature, ou bien pour épouvanter les autres, ou pour l’humiliation d’autrui, ou bien pour quelques péchés, ma justice en disposant et permettant des peines, afin que ceux auxquels l’occasion du péché est ôtée, ne soient punis plus rudement, ou afin qu’ils soient couronnés plus richement. De semblables choses arrivent aux autres animaux, ou bien à raison des péchés des hommes, ou bien pour abréger leur vie, ou bien l'intemperie de leur nature.

Quant à ce que le diable est plus voisin et plus près des uns que des autres, je le permets de la sorte pour une plus grande humiliation et pour qu'ils soient mieux sur leurs gardes, ou pour une plus grande couronne, ou pour exciter un plus grand soin à me rechercher, ou pour purifier leurs péchés en cette vie, ou bien que la peine de quelques-uns, à raison de leur méchanceté, commence déjà en ce monde pour ne finir jamais.

CHAPITRE XI

Le Fils de Dieu, parlant à son épouse sainte Brigitte, lui dit pourquoi et comment il commença de lui donner de divines révélations en vision spirituelle. Il lui dit encore que les révélations contenues en ces livres, contiennent principalement ces quatre vertus : elles ressuient ceux qui désirent la vraie charité, échauffent les froids, réjouissent les troublés, et affermissent les faibles.

Le Fils de Dieu parle, disant que, par les choses naturelles, il se peut faire un breuvage salutaire, savoir est d'une pierre salutaire et d'un dur caillou, d'un arbre aride et d'une herbe amère. Mais comment cela ? Certainement, si l'acier tombait avec violence sur une montagne de soufre, lors de l'entrechoc de l'acier contre la pierre s'allumerait un feu qui allumerait la montagne.

De la chaleur de ce feu, les oliviers qui sont à l'entour, bien qu'ils soient verts, néanmoins, à raison de la graisse intime, commenceraient à distiller une certaine gomme, de laquelle les herbes qui sont sous l'olivier, commenceraient à quitter leur amertume et à prendre une douceur, et c'est de là que se ferait une boisson très salutaire. J'en ai fait de même à vous spirituellement, car votre coeur était comme un acier froid en mon amour, duquel néanmoins sortait quelque petite scintille de ce feu amoureux, savoir, lorsque vous pensiez que j'étais digne d'amour par-dessus tout. Mais votre coeur tomba sur une montagne de soufre, quand la gloire et la délectation mondaine vous contrariaient, et votre mari, que vous avez aimé charnellement par-dessus tout, vous fut ôté en mourant.

En vérité, la volupté et la délectation mondaine sont fort à propos, comparées à la montagne de soufre, d'autant qu'elles mènent avec soi la vanité de l'esprit, la puanteur de la concupiscence et l'ardeur de la peine ; et alors, en la mort de votre mari, votre esprit étant touché de peines et troublés, la scintille de mon amour, qui était cachée, commença à paraître, car lorsque vous eûtes considéré la vanité du monde, vous résignâtes votre volonté en mes mains, m'aimant et me désirant sur toutes choses, Et par la vertu de cette scintille amoureuse, l'olive m'agréa, c'est-à-dire, les paroles de l'Evangile, et la conversation de mes docteurs commencèrent à vous plaire, et l'abstinence vous plût en telle sorte que les choses qui vous semblaient amères au commencement, commencèrent à être très douces. Mais quand l'olivier commença à distiller sa liqueur, et que les révélations commencèrent à être répandues en votre esprit, un quidam cria du haut de la montagne, disant : La soif est étanchée par ce breuvage ; l'homme froid est échauffé ; le troublé est réjoui, et l’infirme est raffermi.

Je suis Dieu qui crie : Les paroles que vous oyez en vos révélations rassasient comme une bonne boisson ceux qui désirent la charité ; en deuxième lieu, elles échauffent les froids ; en troisième lieu, elles apaisent les troublés ; en quatrième lieu, elles affermissent les faibles d’esprit.

INTERROGATION XVI

I. Le même religieux que dessus apparut, disant : O Juge, je vous demande pourquoi, selon que l’évangile dit : Les chevreuils seront mis à la gauche et les brebis à la droite, vous vous plaisez à cela.

II. Puisque vous êtes le Fils de Dieu, égal au Père, pourquoi est-il écrit que ni vous ni les anges ne savez l’heure du jour du jugement?

III. Pourquoi y a-t-il tant de désaccord entre les évangélistes, puisque le Saint-Esprit leur a parlé?

IV. Puisqu’il y a tant de salut en votre incarnation,, pourquoi avez-vous tant différé de l’accomplir?

V. Puisque l’âme de l’homme est meilleure que tout le monde, pourquoi n’envoyez-vous pas partout des prédicateurs, vos amis?

REPONSE DE JESUS-CHRIST

I. Le Juge répondit : Mon ami, vous ne demandez pas pour savoir, mais afin que votre malice soit comme. En ma divinité, il n’y a rien de charnel ni rien de formé charnellement, d’autant que ma Divinité est un esprit ; et avec moi les bons et les mauvais ne peuvent pas demeurer non plus que la lumière et les ténèbres ; ni ma droite ni ma gauche ne sont pas corporellement formées ; ni ne sont pas plus heureux ceux qui sont à ma droite que ceux qui sont à ma gauche.

Qu’est-ce qu’on doit entendre par ma droite, sinon la sublimité de la gloire divine ; par la gauche, sinon la privation et la défaillance de tout bien ? Ni les brebis ni les boucs ne sont point en cette gloire admirable, où il n’y a rien de corporel ni de corrompu ou sujet à la vicissitude. Mais en la figure et similitude de l’âme, les mœurs des hommes sont signifiées, comme par la brebis est signifiée l’innocence, par le bouc la lubricité ; c’est-à-dire, il signifie l’homme incontinent qui doit être mis à la main gauche, où il y a privation de toute sorte de biens. Sachez donc que moi, Dieu, j’use souvent de paroles humaines et de similitudes, afin que l’enfant ait de quoi sucer, que les parfaits aient de quoi s’entretenir, et afin que l’Ecriture soit accomplie. Le Fils de la Vierge a été mis en contradiction, afin que les pensées de plusieurs cœurs soient révélées.

II. Pourquoi, étant Fils de Dieu, ai-je dit que j’ignore, l’heure du jugement ? Il est écrit que Jésus profitait et avançait en sagesse et en âge. Or, toute chose qui avance ou défaut, est muable, mais Dieu est immuable. Quand à ce que le Fils de Dieu profitait et avançait, cela se doit entendre selon mon humanité. Quant à ce que j’ignore, cela était selon mon humanité, car quand à la Déité, je savais et sais tout, car le Père ne fait rien que je ne fasse. Le Père pourrait-il savoir quelque chose que le Fils et le Saint-Esprit ne le sachent aussi ? Non, certes. Or, le seul Père, avec lequel je suis Fils et le Saint-Esprit, une substance, une Déité et volonté, sait cette heure du jugement, et non pas les anges ni autre créature quelconque.

III. Si le Saint-Esprit a parlé aux évangélistes, pourquoi ne s ‘accordent-ils pas ? Il est écrit que le Saint-Esprit est divers en ses œuvres, attendu qu’il distribue ses biens à ses élus en plusieurs manières. D’ailleurs, le Saint-Esprit est comme un homme qui a une balance en sa main, qui accorde et rend convenables et égales ses extrémités en plusieurs manières, jusques à ce que la balance demeure en égalité, laquelle balance peut être accommodée, par les uns, d’une manière, et par les autres, d’une autre toute différente, car autrement la dispose le faible, autrement le fort.

De même l’esprit monte tantôt dans les cœurs comme une balance, et tantôt il en descend. Or, il y monte quand il élève l’esprit par la subtilité de l’esprit, par la dévotion de l’âme et par l’inflammation des désirs spirituels. Il y descend, quand il permet que l’esprit s’enveloppe dans les difficultés, s’afflige des superfluités et se trouble des tribulations. Comme donc la balance n’a rien de certain, si elle n’est réglée, modérée et conduite par la main, de même il est nécessaire que la modération et le règlement s’ensuivent en l’opération du Saint-Esprit, comme aussi la bonne vie, la simple intention, et la discrétion des bonnes œuvres et des vertus.

Partant, moi, Fils de Dieu, visible en ma chair, prêchant en divers lieux diverses choses, j’ai eu divers imitateurs et auditeurs, car les uns me suivaient par amour, les autres par occasion et par curiosité ; quelques-uns aussi des suivants étaient d’un subtile esprit ; quelques autres étaient fort simples ; c’est pourquoi j’ai dit des choses simples, afin que les simples en fussent instruits ; j’ai dit des choses hautes, pour ravir en admiration les sages. Quelquefois je parlais en paraboles et en énigmes, dont quelques-uns prenaient occasion de parler, et quelquefois je redisais ce que j’avais dit pour l’inculquer davantage ; quelquefois j’exagérais, et quelquefois je diminuais ; c’est pourquoi il n’est pas de merveille si ceux qui ont rangé l’ordre de l’Evangile, ont mis des choses diverses, mais néanmoins vraies, car quelques-uns ont mis le mot, quelque autres ont mis le sens, et non les paroles ; quelques autres ont écris ce qu’ils ont ouï et non vu ; d’autres ont écrit des choses passées, les autres plusieurs chose de ma Divinité, et enfin chacun comme le Saint-Esprit l’inspirait.

Néanmoins, je veux que vous sachiez qu’il faut seulement recevoir ces évangélistes que mon Eglise reçoit, car plusieurs ont taché d’écrire par un zèle, mais non selon ma science, car voici que j’ai dit, comme il a été lu en l’Evangile d’aujourd’hui : Ruinez ce temple, et je le réédifierai.

Ceux qui témoignaient avoir ouï ceux-ci, furent vrais témoins selon ouïe, mais faux témoins selon leur intelligence et selon leur dire, d’autant qu’ils n’entendaient ni ne considéraient point le sens de mes paroles, d’autant que j’entendais ces paroles de mon corps, et eux les entendaient du temple matériel. Semblablement quand je dis : Si vous ne mangez ma chair, vous n’aurez point la vie, plusieurs se retirèrent de moi, car ils ne s’avisaient point de la clause ajoutée, que mes paroles sont esprit et vie, c’est-à-dire, elles ont un sens spirituel et une vertu efficace ; ni n’est pas de merveille s’ils erraient, d’autant qu’ils ne me suivaient point par amour. Partant, le Saint-Esprit monte en nos cœurs comme une balance, parlant maintenant corporellement, maintenant spirituellement ; il descend quand le cœur de l’homme s’endurcit contre Dieu, ou par hérésies, ou il s’intrigue dans les affaires du monde et s’aveugle lui-même.

Lors en même moment, le Juge dit au religieux qui faisait ces demandes : Vous, ô mon ami ! vous m’avez si souvent demandé des choses subtiles, et moi maintenant je vous interroge pour l’amour de mon épouse, qui est ici présente. Pourquoi votre âme, qui a l’intelligence des choses caduques, du bien et du mal, choisit-elle plutôt les choses terrestres et périssables que les choses célestes et permanentes, ni ne vivez pas selon l’intelligence que vous avez?

Le religieux répondit : D’autant que je fais contre la raison, et que les sens charnels entraînent la raison.

Et Notre-Seigneur lui dit : C’est pourquoi votre conscience sera votre juge.

Après, Jésus-Christ dit à l’épouse : Voyez, ô ma fille ! combien peut en l’homme, non seulement la malice du diable, mais encore la conscience dépravée ; et cela provient de ce que l’homme ne combat pas comme il faut contre les tentations. Or, le maître qui vous est connu n’en fait pas de la sorte, car quand cet esprit tentateur descend pour le tenter, il le tente, en sorte que tout lui semble des hérésies, qui toutes l’entourent, lui disant d’un accord : Nous n’avons point de vérité. Mais lui n’a pas cru à ses sentiments ni ne s’est pas élevé par curiosité sur soi-même, c’est pourquoi il a été affranchi des tentations, et a été savant depuis l’Alpha jusques à l’Oméga, comme il le lui avait promis. (DECLARATION. Le même docteur dont il est ici parlé, qui allait selon Dieu, fut Matthias, chanoine, confesseur de sainte Brigitte ; il lut la bible depuis le commencement de la Genèse jusqu’à l’Apocalypse, où sont cet Alpha et cet Oméga. (Il est aussi parlé de ce chanoine au livre I, chap. 3, et au chap. 2 ; au livre VI, chap. 75, jusqu’au chap. 89.)

IV. Pourquoi ai-je tant différé de m’incarner ? En vérité, il était nécessaire que je m’incarnasse, afin que, par mon incarnation, la malédiction fût abolie, et que toutes choses fussent pacifiées au ciel et en la terre ; et néanmoins, il était nécessaire que l’homme fût plus tôt instruit en la loi naturelle, et après, en la loi écrite,car par la loi naturelle, il apparut combien grande était la délectation de l’homme ; par la loi écrite, il a compris ses infirmités, ses faiblesses et ses misère, et lors, il commença de rechercher les médecines. Il fut donc lors juste que le médecin vint, puisque l’infirmité et la maladie étaient connues, afin que là où la maladie abondait, la médecine surabondât. En vérité, en la loi naturelle et en la loi écrite, il y eut plusieurs justes, et plusieurs avaient le Saint-Esprit, qui prédisaient plusieurs choses, en instruisaient les autres aux choses honnêtes, m’attendaient, moi, leur Sauveur ; et ceux-ci s’approchaient de ma miséricorde, et non des supplices éternels.

V. Puisque l’âme est meilleure que le monde, pourquoi n’envoie-t-on pas des prédicateurs en tout le monde ? Véritablement, l’âme est plus excellente et plus digne que tout le monde, plus constante que tout l’univers, et est plus digne, d’autant qu’elle est spirituelle et égale aux anges, et créée pour la gloire éternelle. Elle est plus excellente, d’autant qu’elle est faite à l’image et à la ressemblance de Dieu, et est immortelle et éternelle.

D’autant donc que l’homme est plus digne et plus noble que toutes les créatures, il doit vivre plus excellemment que toutes les créatures, car il est enrichi de raison par-dessus les autres.

Que si l’homme abuse de la raison et des dons de Dieu, qu’est-il de merveille si je le punis au temps de justice, puisqu’il m’a oublié en temps de miséricorde ? C’est pourquoi les prédicateurs ne sont pas toujours envoyés partout, car moi, Dieu, voyant l’endurcissement du cœur de plusieurs, je pardonne et soulage le labeur et la peine de mes élus, de peur qu’ils ne se travaillent en vain. Et d’autant que plusieurs pêchent à dessein, et délibèrent de croupir plutôt dans les péchés que se convertir, c’est aussi que, pour cela, ils ne sont pas dignes d’ouïr les nonces du salut.

Mais, ô mon ami ! Je finirai maintenant avec la réponse à vos pensées, et vous finirez la vie et expérimenterez à quoi votre éloquence infâme et votre faveur humaine vous ont profité. Oh ! Que vous auriez été heureux, si vous eussiez vécu selon votre profession, et si vous eussiez gardé vos vœux!

D’ailleurs, l’Esprit dit à l’épouse : Ma fille, celui-ci, qui semblait rechercher tant et tant de questions, vit encore selon le corps, mais il ne passera pas un jour ; les pensées de son cœur vous ont été montrées par similitudes, non pas pour son plus grand opprobre, mais pour le salut des âmes. Mais voici que son espérance et sa vie finiront avec ses pensées et ses affections.

Jésus-Christ, parlant à son épouse sainte Brigitte, dit qu’elle ne se doit pas troubler de ce qu’il ne fait soudain la justice sur l’homme, qui est un grand et détestable pécheur, d’autant qu’il diffère sa sentence, afin que sa justice soit manifestée en l’exécution. Il dit aussi que les paroles de ses révélations doivent croître et fructifier jusques a la pleine maturité, et puis, elles produiront leur effet et leur vertu dans le monde. Ces paroles sont comme de l’huile en la lampe, c’est-à-dire en l’âme vertueuse, par lesquelles elle est engraissée ; et le Saint-Esprit survenant, elles la font éclater de lumière et brûler d’amour. Il ajoute encore que ces révélations seront quelque temps cachées, et puis elles fructifieront plus ailleurs qu’au royaume de Suède, où elles ont commencé d’être faites à l’épouse sainte Brigitte.

CHAPITRE XII

Le Fils de Dieu parle, disant : Pourquoi vous troublez-vous, ô mon épouse, si je supporte si patiemment ce religieux ? Ne savez-vous pas combien il est cruel de brûler éternellement ? C’est pourquoi je le souffre jusques au dernier point de sa vie, afin qu’en lui ma justice soit manifestée ; c’est pourquoi comme les herbes qui servent à faire des couleurs, si elles sont moissonnées avant le temps, n’ont point la force ni la vivacité de colorer vivement, comme elles l’auraient eue, si elles eussent été fauchées à leur temps et saison, de même mes paroles, qui doivent être manifestées avec justice et miséricorde, et doivent fructifier jusques à l’entière plénitude et maturité, ou lors, par ma vertu, coloreront mieux les sujets auxquels elles seront appliquées.

Pourquoi vous troublez-vous aussi qu’il se défie de mes paroles, si ce n’est qu’on lui montre des signes plus évidents ? Eh quoi ! l’avez-vous engendré, ou connaissez-vous son intérieur comme moi ? Il est certainement comme une lampe ardente et luisante, en laquelle l’huile étant mise, soudain le feu brûle la mèche. Celui-ci est aussi une lampe de vertus disposée pour recevoir la grâce divine. Je verserai bientôt en lui mes paroles, et elles se liquéfieront et se fondront dans son cœur avec perfection. Et qu’est-il de merveille si là l’huile se fond et si elle fait brûler la lampe ? Ce feu, c’est mon Esprit qui est et parle en vous, et ce même Esprit est et parle en lui, bien que d’une manière plus occulte et plus utile pour lui. Ce feu allume la lampe de son cœur pour travailler pour mon amour, et allumer l’âme pour recevoir mes grâces et mes paroles, desquelles l’âme est plus profondément touchée et plus pleinement engraissée, quand on vient aux œuvres.

Partant, ne craignez point, mais demeurez constamment en la foi. Si ces paroles venaient de votre esprit ou de l’esprit de ce monde, vous les devriez craindre à bon droit ; mais puisqu’elles sont de mon Esprit, que les saints prophètes ont eu, il ne faut pas que vous craigniez, mais que vous vous réjouissiez, si ce n’est que peut-être vous craigniez plutôt la vanité du nom du monde que l’attouchement de mes divines paroles.

Ecoutez encore ce que je dis : Ce royaume est mêlé avec un grand péché impuni depuis longtemps, c’est pourquoi aussi mes paroles n’y peuvent fructifier, comme je vous le déclarerai maintenant par une similitude. Si le noyau était planté en terre, sur lequel on mettrait un grand faix lourd et pesant, il l’empêcherait de monter ; le noyau, étant bon, ne pouvant pousser en haut, pousserait en bas, et étendrait fort profondément ses racines ; et après, non seulement il porte de bons fruits, mais encore il anéantit tout ce qui s’oppose à son ascendant, et s’étend par-dessus son poids. Ce noyau signifie ma parole, qui ne peut fructifier en ce royaume, à raison, du péché ; elle profitera plus ailleurs, jusques à ce que l’endurcissement de cette terre et de ce royaume, ma miséricorde croissant, soit ôté.

CHAPITRE XIII

Dieu le Père parle à sainte Brigitte, l’instruisant subtilement de la vertu de cinq lieux qui sont en Jérusalem et Bethléem, et des grâces que reçoivent les pèlerins visitant ces lieux-là avec humilité dévote et vraie charité, disant qu’en les susdits lieux, il y avait un vase clos et non clos ; il y naissait un lion qu’on voyait et qu’on ne voyait pas ; il y avait un tondu et un non tondu ; on y mettait un serpent qui demeurait gisant, et qui ne demeurait pas ; il y avait aussi un aigle qui volait et ne volait pas. Et il expose ce que dessus en figure.

Dieu le Père parle : Il y eut un seigneur à qui son serviteur dit : Voilà que votre terre qu’on sème de deux en deux ans, est cultivée, et que les racines sont arrachées. Quand faudra-t-il semer le blé?

Le seigneur dit : Bien que les racines semblent être arrachées, néanmoins, les vieux troncs et les tiges sont laissées, qui seront ôtés et perdus par les vents et les pluies. Partant, attendez avec patience le temps propre pour semer.

Le serviteur repartit : Qu’est-ce qu’il faut que je fasse entre le printemps et l’été?

Son maître lui dit : Je sais cinq lieux. Tous ceux qui iront, auront cinq sortes de fruits, s’ils y viennent purs, vides de superbe et fervent d’amour. Au premier lieu, il y avait un vase clos et non clos, petit et non petit, lumineux et non lumineux, vide et non vide, pur et non pur.

Au deuxième lieu, il y naissait un lion qu’on voyait et on ne voyait pas ; il était ouï et il n’était pas ouï ; il était touché et il n’était pas touché ; il était connu et il n’était pas connu ; il était tenu et il n’était pas tenu.

Au troisième lieu, il y avait un agneau tondu et non tondu ; un agneau blessé et non blessé, criant et non criant, patient et non patient, mourant et non mourant.

Au quatrième lieu, il y avait un serpent qui gisait et ne gisait pas ; qui se mouvait et ne se mouvait pas ; qui oyait et n’oyait pas ; qui voyait et ne voyait pas ; qui sentait et ne sentait pas.

Au cinquième lieu, il y avait un aigle qui volait et ne volait pas ; qui est vu au lieu d’où il ne s’est jamais retiré ; qui se repose et ne s’est jamais reposé ; qui se renouvelait et n’était pas renouvelé ; qui se réjouissait et ne se réjouissait point ; qui était honoré et n ‘était pas honoré.

EXPOSITION ET DECLARATION
DES CHOSES PREDITES EN FIGURE

Le Père parle :

1° Ce vase dont je vous ai parlé fut Marie, fille de Joachim, mère de l’humanité de Jésus-Christ, car elle fut un vase clos et non clos : clos au diable et non à Dieu. Car comme un torrent, désirant de sortir de son lit, cherche les tranchées et les sorties, de même le diable, comme un torrent de vices, désirait de toutes ses inventions et subtilités, de s’approcher du cœur de la Sainte Vierge ; mais il n’a jamais pu enlever son âme à quelque péché, d’autant qu’elle était close à toutes les tentations, car le torrent de mon Esprit s’était épandu en elle, et avais rempli son cœur de la grâce spirituelle.

2° Marie, Mère de mon Fils, fut un vase petit et non petit ; petit en humilité et mépris de soi-même, grand et non petit en l’amour de ma Divinité.

3° La Sainte Vierge Marie fut un vase vide et non vide ; vide de toute sorte de voluptés et de péchés, et non vide, mais plein de la douceur céleste et de toute bonté.

4° La Sainte Vierge fut un vase lumineux et non lumineux ; lumineux, d’autant que l’âme est créée de moi en son éclat ; mais Jésus a créé l’âme de Marie en toute perfection de lumière, de sorte que mon Fils s’est incarné en son âme, de la beauté duquel le ciel et la terre se réjouissaient ; mais ce vase divin ne fut pas lumineux devant les hommes, d’autant que Marie méprisait les honneurs et les richesses du monde.

5° Marie fut un vase pur et non pur ; pur, d’autant qu’elle était toute belle, et qu’il ne se trouva jamais d’immondice en elle de la largeur et grandeur d’une pointe d’aiguille. Mais elle n’a pas été pure en tant que sortie de la racine d’Adam et née de pécheurs, bien que conçue sans péché, afin que mon Fils naquît d’elle sans péché.

Celui donc qui viendra où Marie est née, où elle a été nourrie et élevée, non seulement sera purifié, mais il me sera vase en honneur.

Le deuxième lieu est Bethléem, où mon Fils est né comme lion, qui était vu et tenu comme un lion selon l’humanité ; mais il était invisible et inconnu selon la Divinité.

Le troisième est le Calvaire, où mon Fils a été blessé comme un agneau innocent et sans tache, et où il est mort ; il était pourtant impassible et immortel selon la Divinité.

Le quatrième lieu fut le jardin du sépulcre de mon Fils, où il fut caché comme un serpent contemptible ; là était gisante son humanité, bien qu’il fût partout selon la Divinité.

Le cinquième lieu est le mont des Olives, duquel mon Fils vola comme un aigle, selon l’humanité, dans le ciel, où il était toujours selon la Divinité, qui fut renouvelé et se reposa selon l’humanité, car selon la Divinité, il était toujours en repos et le même.

Celui donc qui viendra purement en ces lieux avec une bonne et parfaite volonté, goûtera combien doux et suave je suis, moi son Dieu et son tout. Quand vous serez arrivée en ces lieux, je vous montrerai plusieurs choses.

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