CHAPITRE VIII
Jésus-Christ parle à
son épouse, disant que, quant aux hommes qui se plaisent dans les
choses charnelles et dans les délices terrestres, qui méprisent les
désirs célestes, l’amour divin et la mémoire de ma passion et du
jugement éternel, leur oraison est comme la collision de deux
pierres, et ils sont jetés de devant Dieu abominablement, comme des
abortifs et des souillés.
Celui-là dont nous
avons parlé ci-dessus, chantait : Délivrez-moi, ô Seigneur, de
l’homme mauvais. Cette voix m’est autant agréable que le son qui
résulte de la collision de deux pierres, car son cœur crie à moi
comme de trois voix.
La première voix dit :
Je veux avoir ma volonté en ma main, dormir, me lever et avoir mes
plaisirs. Je donnerai à la nature ce qu’elle désire. Je désire avoir
de l’argent en la bourse, la mollesse des vêtements. Quand j’aurai
cela, je m’estimerai plus heureux que si j’avais tous les autres
dons et les vertus spirituelles de l’âme.
La deuxième voix dit :
La mort n’est pas trop dure; le jugement n’est pas si sévère qu’il
est écrit. On nous menace de grandes peines par finesse, et on donne
moins que tout cela par la miséricorde; mais que je puisse faire ma
volonté en cette vie, mon âme ira où bon lui semblera.
La troisième voix dit :
Dieu n’aurait point racheté l'homme, s’il ne lui voulait pas donner
le paradis, ni il n’aurait pas pâti, s’il ne voulait pas nous
ramener en la patrie. Ou bien, pourquoi aurait-il pâti, ou qui
l’aurait contraint à ce faire? Je n’entends point les choses
célestes, si ce n’est par l’ouïe, et je ne sais si je dois croire
aux Écritures. Si je pouvais accomplir mes volontés, ce serait mon
fait, et je les recevrais au lieu du ciel.
Telle est la volonté de
cet homme misérable; c’est pourquoi son oraison est à mes oreilles
comme le son qui résulte de la collision de deux pierres. Mais, ô
mon ami! je réponds à la première voix : Votre voie ne tend point au
ciel, ni ma passion amoureuse n’est pas à votre goût. C’est aussi
pour cela que l'enfer vous est ouvert; et d’autant que vous aimez
les choses infimes et terrestres, vous irez au plus bas des
fondrières de l’enfer.
Je réponds à la
deuxième voix : Mon fils, la mort vous sera très dure, le jugement
intolérable et la fuite impossible, si vous ne vous amendez.
A la troisième voix, je
vous dis : Mon frère, j’ai fait toutes mes œuvres par l’esprit et
mouvement de charité, afin que vous me fussiez semblable, et que,
vous étant retiré de moi, cette ressemblance vous servît pour
retourner à moi. Or, maintenant, mes œuvres sont mortes en vous; mes
paroles vous sont fâcheuses, et vous méprisez ma vie, c’est pourquoi
il ne vous reste que le supplice pour récompense, et la compagnie de
la furie des démons pour récréation, d’autant que vous me tournez le
dos, que vous foulez aux pieds les signes de mon insigne humilité,
et ne considérez pas comment j’ai été mis pour vous et devant vous
sur un gibet.
Certainement, j’ai été
en la croix en trois manières pour l'amour de vous : 1° comme un
homme dont un couteau percerait l’œil; 2° comme un homme dont une
épée percerait le cœur; 3° comme un homme, les membres duquel
trembleraient par l’appréhension d’un déluge de tribulations qui va
fondre sur lui. Certes, ma passion m’était plus amère que les coups
qu’on donnait à mes yeux; néanmoins, je les pâtissais très
amoureusement. La douleur aussi de ma Mère a plus ému mon cœur que
la mienne propre : toutefois, je souffris le tout par amour. En
vérité, tous mes membres et tout ce qui est en moi d’extérieur et
d’intérieur, tremblèrent, ma passion s’approchant. Tout cela
néanmoins ne me fit pas reculer d’un seul point, et c’est de la
sorte que j’ai souffert pour l’amour de vous! Et vous, hélas! vous
oubliez tout, vous négligez et méprisez tout. C’est pourquoi vous
serez rejeté comme abortif et comme souillé.
INTERROGATION XIII
I. D’ailleurs, le même
religieux apparut en même lieu que dessus, disant : O juge, je vous
le demande, pourquoi votre grâce est-elle plutôt soustraite aux uns
qu’aux autres? Pourquoi plusieurs sont-ils longtemps tolérés en
leurs méchancetés?
II. Pourquoi
quelques-uns sont-ils prévenus des grâces dès leur enfance, et
quelques autres en sont-ils privés en leur vieillesse?
III. Pourquoi
quelques-uns sont-ils affligés outre mesure, et quelques autres
sont-ils quasi à l’abri des tribulations?
IV. Pourquoi est-il
donné à quelques-uns un entendement grandement et incomparablement
docile, et pourquoi d’autres sont-ils comme des âmes sans
entendement?
V. Pourquoi
quelques-uns sont-ils trop endurcis, et d’autres sont-ils gratifiés
de contemplations indicibles?
VI. Pourquoi est-il
donné aux mauvais une plus grande prospérité en ce monde qu’aux
bons?
VII. Pourquoi l’un
est-il appelé au commencement, l’autre à la fin?
REPONSE DE JESUS-CHRIST
I. Le Juge répondit :
Mon ami, toutes les œuvres exécutées dans le temps sont de toute
éternité en ma prescience, et tout ce qui a été fait pour le soulas
et consolation des hommes, est créé. Mais d'autant que l'homme
préfère sa volonté à ma volonté, c’est pour cela aussi que, de
droit, les biens lui sont ôtés, bien qu’ils lui aient été donnés
gratuitement, afin que, par-là, l’homme apprenne que tout ce qui est
juste et raisonnable vient de Dieu; et d’autant que plusieurs sont
ingrats de mes grâces et en sont autant indévotieux que plus les
dons leur sont multipliés, c’est pour cette raison aussi que les
dons leur sont soudain ôtés, afin que les conseils de ma Divinité
soient plus promptement manifestés, et afin que l'homme n’abuse de
mes grâces à sa plus grande condamnation.
Je tolère quelques-uns
longtemps en leur malice, d'autant qu’entre leurs malheurs, ils ont
quelque chose de tolérable. Car de fait, ou ils profitent aux autres
ou les tiennent sur leurs gardes, comme il arriva à Saül, quand il
était repris par Samuel, qui semblait avoir bien peu péché devant le
peuple, et David semblait avoir offensé beaucoup. Néanmoins, quand
l’épreuve arriva, Saül fût rebelle, se révolta contre moi, et
consulta la pythonisse; mais David se rendit plus fidèle au temps de
tentation, souffrant avec patience les injures qu’on vomissait sur
lui, et croyant que cela lui arrivait justement pour ses péchés. En
cela donc que j’ai souffert patiemment Saül, c’est en cela que son
ingratitude se montre, et la puissance de ma Divinité se manifeste.
Or, que David soit élu, en cela se montrent ma prescience et
l’humilité future de David et sa contrition.
II. Pourquoi la grâce
est-elle ôtée à quelques-uns en la vieillesse? La grâce est donnée à
un chacun, afin que l’auteur de la grâce soit aimé. Mais d'autant
que plusieurs en sont ingrats à la fin de leur vie, comme Salomon,
c’est aussi que, pour cela, il est juste et raisonnable qu’elle leur
soit ôtée à la fin, puisqu’ils ne l’ont point gardée avant la fin.
Et de fait, mes dons et mes grâces sont quelquefois ôtés à ceux qui
les avaient, à raison de leur négligence, car ils ne considéraient
pas ce qu’ils ont reçu et ce qu’il faillait rendre, et quelquefois
aussi, pour tenir en avertissement les autres, afin que celui qui
est en grâce craigne toujours et craigne la chute des autres, parce
que les sages sont tombés par négligence, et encore ceux qui
semblaient mes amis ont été supplantés par l’ingratitude.
III. Je suis le
Créateur de toutes choses, et aucune affliction ne vient sans ma
permission, comme il est écrit : Je suis Dieu, créant le mal, qui
n’afflige pas même les païens sans ma permission et sans juste
sujet, car mes prophètes ont prédit plusieurs choses des adversités
des Gentils, afin que les négligents et ceux qui abusent de la
raison, fussent instruits par les verges; afin que, par ma
permission, je fusse connu de tous et fusse glorifié de toutes les
nations. Si donc je ne pardonne pas les païens de fouets, moins
pardonnerai-je à ceux qui ont largement goûté de mes douceurs
divines.
Quant à ce que la
tribulation est plus grande aux uns qu’aux autres, je permets cela,
afin que les hommes se retirent du péché, et par la tribulation
présente, obtiennent la consolation en l’autre vie; d’autant que
tous ceux qui sont jugés et se jugent en cette vie, ne seront point
au jugement futur, d'autant qu’ils passeront de la mort à la vie.
Quant à ce que quelques-uns sont assistés en ce qu’en leurs
afflictions, ils ne murmurent jamais, c’est afin qu’ils ne tombent
en un plus grand et plus rude jugement, d'autant qu’il y en a qui ne
méritent point d’être affligés en ce monde.
Il y en a certainement
d’autres qui, en cette vie, ne sont affligés ni au corps ni en
l’esprit, qui vivent avec autant d’assurance que s’il n’y avait
point de Dieu pour les punir, ou bien par l’appui qu’ils ont en
leurs œuvres, Dieu leur pardonne, car certainement, il est à
craindre et est digne de compassion que je ne leur pardonne, et les
épargne tellement en cette vie, qu’ils ne soient damnés en l’autre.
Quelques autres ont la
santé corporelle, et sont affligés en l’âme du mépris du monde.
D’autres ne jouissent ni de la santé du corps ni de la consolation
intérieure de l’esprit, et néanmoins, ils persévèrent de tout leur
pouvoir en mon service et la recherche de mon honneur. Quelques
autres sont affligés dès le ventre de leur mère jusques au dernier
période de leur vie, par des infirmités importunes, lesquelles je
leur dispose, afin que rien ne se fasse en eux sans mérite et sans
raison. Certainement, les yeux de plusieurs sont ouverts dans les
tribulations fâcheuses, qui étaient endormis avant les tentations et
dans la prospérité.
IV. Pourquoi
quelques-uns ont-ils meilleur esprit que les autres? Il ne profite
de rien d’avoir un meilleur esprit et une plus grande intelligence,
si on n’est reluisant en bonne vie; voire il serait plus profitable
de n’avoir pas tant de science et avoir meilleure vie. Partant, j’ai
modéré et mesuré le savoir à un chacun, avec lequel il se peut
sauver, s’il vit avec autant de piété. Néanmoins, la science est
dissemblable en plusieurs, selon la naturelle et spirituelle
disposition, car comme l'homme, par la divine ferveur et les solides
vertus, profite dans les progrès de la perfection, de même, par la
mauvaise volonté, la mauvaise disposition de la nature, par la
mauvaise éducation et la mauvaise nourriture, l'homme s’écoule dans
les malheurs et s’élève dans les vanités, et la nature défaut dans
l’effort du péché.
Ce n’est donc pas sans
sujet que la science est grande en plusieurs, mais inutile, comme en
ceux qui ont du savoir, mais non pas une bonne vie. En d’autres, la
science est petite, mais l’usage en est meilleur. En quelques-uns,
la science et la vie s’accordent, et en d’autres, la vie ni la
science ne s’accordent point. Cette variété arrive de ma disposition
divine pour l’utilité de l'homme, ou pour son humiliation, ou pour
son instruction à mieux vivre. A quelques-uns cela arrive à raison
de leur ingratitude et tentation, quelquefois à cause de la
défectuosité de la nature et des péchés cachés. Dieu le permet
encore pour éviter qu’on ne tombe en de grands péchés, et
quelquefois parce que la nature n’a point aptitude à de plus grandes
choses.
Que tout homme donc qui
a la grâce d’intelligence et de science, craigne que de là il ne
soit plus rudement jugé, s’il en est plus négligent à bien faire et
pire en ses mœurs. Mais que celui qui n’a pas tant d’esprit ni de
subtilité, se réjouisse d’en avoir peu, et qu’il opère avec celui-là
autant qu’il pourra, car le libertinage est cause ou occasion de
ruine à plusieurs. Saint Pierre l’apôtre, en sa jeunesse, fût fort
oublieux; saint Jean était idiot; mais en leur vieillesse, ils ont
appris la vraie sapience, la recherchant dans le principe de la
sapience. Salomon était docile dès sa jeunesse, Aristote subtil; ils
n’ont pas embrassé la source et l’auteur de la sapience, ni n’ont
pas glorifié l'auteur de la sapience comme ils devaient, ni n’ont
pas suivi ce qu’ils savaient, et n’ont pas appris pour eux, mais
pour les autres.
Mais même Balaam a eu
la science, qu’il n’a pas suivie, c’est pourquoi son ânesse reprit
sa folie, et Daniel, jeune enfant, jugeait les anciens.
Certainement, les lettres ne me plaisent point sans la bonne vie.
Partant, il est nécessaire que ceux qui abusent des sciences, soient
repris, car moi, qui suis le Dieu de tous et leur Seigneur, je donne
la science aux hommes, et je corrige les sages et les fous.
V. Pourquoi
quelques-uns s’endurcissent-ils? Pharaon fut endurci par sa faute,
d'autant qu’il ne voulait pas se conformer à ma divine volonté, car
l’endurcissement n’est autre chose que la soustraction de ma grâce,
laquelle je retire, d'autant que l’homme n’attribue pas à moi les
biens d’icelle, ce qu’il pourrait faire ayant le libre arbitre,
comme vous l’entendrez par un exemple d’un champ fructueux et d’un
champ infructueux.
Il y avait un homme qui
possédait deux champs, l’un desquels était inculte; l’autre
fructifiait en certain temps. Son ami lui dit : Je m’émerveille
qu’étant sage et riche, vous ne cultiviez pas mieux vos champs, ou
pourquoi vous ne les baillez à cultiver à quelque autre. Il
répondit : Quelque diligence que j’y apporte, ce champ ne produit
que de mauvaises herbes; les bêtes venimeuses l’occupent, le
salissent et le rendent épouvantable. Si je le fume, il est pire;
s’il y arrive quelque peu de blé, la zizanie l’étouffe tout, et
c’est ce qui fait que je ne moissonne point, d’autant que je désire
cueillir du blé qui soit pur. Il m’est donc plus profitable de
laisser ce champ tout inculte, car pour le moins, lors les bêtes
venimeuses n’occuperont point ce lieux-là, ni ne se cacheront point
dans les herbes. Que s’il y arrive quelques herbes amères, elles
seront utiles aux brebis, en tant qu’ayant goûté leur amertume,
elles apprendront à ne pas se dégoûter des bonnes.
L’autre champ est
disposé selon le tempérament des temps et saisons; l’une de ses
parties est pierreuse et a besoin d’être fumée, et l’autre humide,
et elle a besoin de chaleur; l’autre sèche, elle désire l’humidité;
partant, je la veux cultiver selon ses tempéraments.
Moi, Dieu, je suis
semblable à cet homme. Le premier champ signifie le mouvement libre
de la volonté donnée à l’homme, qui s’émeut plus contre moi que pour
moi; que si elle me plaît en quelque chose, elle me déplaît en
plusieurs, d’autant que la volonté de l’homme et la mienne ne
s’accordent point. De même en fit Pharaon, qui, connaissant par
certains signes ma puissance, néanmoins endurcit sa volonté contre
moi, persistant en sa malice; c’est pourquoi il a aussi ressenti ma
justice, d'autant qu’il est juste que celui qui n’use bien des
choses petites, ne puisse se glorifier des grandes.
L’autre champ est
l’obéissance d’un bon esprit et l’objection de la volonté propre. Si
un tel esprit est aride en la dévotion, il doit attendre la pluie de
ma grâce divine. S’il est pierreux par l’impatience et
l’endurcissement, qu’il souffre généreusement la correction et se
laisse purifier en cela. S’il est humide par la mollesse de la
chair, qu’il embrasse l’abstinence, et qu’il soit comme un animal
préparé à la volonté du possesseur, car je me glorifie d’un tel
esprit.
Si quelques-uns donc
s’endurcissent, cela provient de la volonté des hommes, qui m’est
contraire, car bien que je veuille que tous soient sauvés, cela
néanmoins ne s’accomplit point, si l’homme ne coopère, conformant sa
volonté à ma volonté.
Quant à ce qu’à tous
n’est pas donnée la grâce d’avancer, cela vient d’un occulte
jugement de moi, qui sais modérer et donner à un chacun ce qui lui
est expédient et ce qui lui est dû; qui retiens aussi les efforts
des hommes, afin qu’ils ne tombent plus malheureusement; car
plusieurs ont de grands talents de la grâce qui pourraient faire
beaucoup, mais ils ne veulent point; d’autres se gardent du péché
par la crainte du supplice, et d’autant qu’ils n’ont point les
occasions de pécher, ou bien d’autant que le péché leur déplaît,
c’est pourquoi je ne donne point de plus grands dons à quelques-uns,
car moi, qui connais seul l’esprit des hommes, je sais distribuer
les dons comme il faut.
VI. Pourquoi, le plus
souvent, les méchants prospèrent-ils mieux que les bons? Cela est un
indice, dit Dieu, de ma grande patience, de mon amour et de la
probation des justes, car si je donnais à mes amis seulement les
biens temporels, les méchants se désespéreraient et les bons
s’enorgueilliraient. Mais je donne à tous des biens temporels, afin
que moi, leur Dieu, auteur et Créateur de tout, sois aimé de tous,
et afin que, quand les bons se rendent superbes, ils soient
instruits par les mauvais à être justes. Tous savent aussi que les
choses temporelles ne sont point à aimer, ni ne doivent être
préférées à moi, mais on en doit seulement user pour le seul
entretien, et afin qu’ils soient d’autant plus fermes à mon service,
que moins ils trouvent de stabilité dans les choses temporelles.
VII. Pourquoi un est-il
appelé au commencement de sa vie, et d’autres le sont-ils à la fin?
Je suis comme une mère qui, voyant en ses enfants l’espérance de
vie, donne aux uns des choses fortes, aux autres des choses légères
et faibles.
Mais elle compatit et
fait ce qu’elle peut en ceux desquels il n’y a point d’espérance de
vie. Mais malheur! ces enfants devenant pires par le médicament de
la mère, qu’est-il besoin de travailler pour eux? J’en fais de même
à l’homme, la volonté duquel est prévue être plus fervente, et
l’humilité et la stabilité plus constantes; à celui-ci je donne la
grâce au commencement, et elle le suit à la fin. Mais celui qui au
milieu de ses maux, s’efforce et devient meilleur, celui-là mérite
d’être appelé à la fin. Mais celui qui est ingrat ne mérite point
d’être admis à l’intelligence des paroles de l’Église, notre sainte
Mère.
CHAPITRE IX
Jésus-Christ, parlant à
son épouse sainte Brigitte, lui montre en quelle manière elle a été
affranchie de la maison du monde et de celle des vices, et comment
elle est conduite maintenant pour demeurer en la maison du
Saint-Esprit; c’est pourquoi il l’avertit de se conformer au
Saint-Esprit, persévérant toujours en l’humilité, pureté et
dévotion.
Le Fils de Dieu parle à
son épouse : Vous êtes celle qui, étant nourrie en une pauvre
maison, avez été élevée en une grande compagnie. En vérité, il se
trouve trois choses en la maison pauvre, savoir : les murailles mal
polies, la fumée nuisible et la suie luisante. Mais vous avez été
conduite en la maison où sont la beauté sans tache, la chaleur sans
fumée, la suavité sans dégoût. La maison pauvre n’est autre chose
que le monde, dont les murailles sont la superbe et l’oubli de Dieu,
l’abondance du péché et l’inconsidération des choses futures. Ces
murailles ne sont pas seulement mauvaises, mais elle tachent toutes
les bonnes œuvres, les anéantissant toutes, et cachent à l’homme la
présence divine.
La fumée est l’amour du
monde, qui nuit aux yeux, d'autant qu’il offusque l’esprit et le
rend soigneux des choses superflues. La suie est la volupté,
laquelle, bien qu’elle délecte pour quelque temps, ne rassasie pas
pourtant, ni ne remplit pas comme la bonté éternelle. Vous êtes
retirée d’icelle et êtes conduite en la demeure du Saint-Esprit, qui
est en moi et moi en lui, qui vous enveloppe aussi en lui; il est
très pur, très fort et la constance même, et de fait, il soutient
toutes choses. Conformez-vous donc à l’habitant de la maison,
demeurant pure, humble et dévote.
INTERROGATION XIV
I. Le même religieux
apparut, disant : O Juge, je vous demande pourquoi les animaux
souffrent des incommodités, ne peuvent point être bienheureux ni
n’ont point l’usage de la raison.
II. Pourquoi
naissent-ils avec douleur, puisqu’en leur naissance, il n’y a point
de péché?
III. Pourquoi l’enfant
porte-t-il l’iniquité du père, puisqu’il ne sait pas pécher?
IV. Pourquoi
arrive-t-il plus souvent ce qui est hasardeux que ce qui est prévu?
V. Pourquoi le mauvais
meurt-il d’une bonne mort, comme souvent le juste, et le juste d’une
mauvaise mort, comme l’injuste?
REPONSE DE JESUS-CHRIST
I. Le Juge,
Jésus-Christ, répond : Mon ami, bien que votre demande ne soit point
charitable, néanmoins, je veux répondre à vos demandes pour l’amour
des autres. Vous demandez pourquoi les animaux souffrent des
incommodités : c’est parce qu’en eux, l’ordre est en tout, car je
suis le Créateur de toute la nature, et j’ai donné à chacune son
tempérament et son ordre, auquel chaque chose aurait son mouvement
et sa vie.
Mais après que l'homme,
pour lequel toutes choses ont été créées, eut péché et se fût opposé
à Dieu, son conducteur, toutes choses commencèrent leur déréglement,
et celles qui devaient l’honorer, se révoltèrent contre lui, et
c’est de ce déréglement que les incommodités arrivent aux animaux
aussi bien qu’aux hommes. Au reste, les animaux pâtissent aussi
souvent à raison de l’intempérament de leur nature, souventefois
aussi pour adoucir leur fureur et pour purger leur nature; d’autres
fois à raison des péchés des hommes, afin que l’homme soit affligé
et souffre, les voyant souffrir, et connaisse de quelle peine il est
digne, lui qui a plus de raison pour le connaître. Certainement, si
les péchés des hommes ne l’exigeaient point, les animaux ne seraient
pas affligés en tant de manières, et même les animaux ne souffrent
pas sans un grand sujet et sans justice, car, ou cela leur sert pour
mourir plus promptement, ou pour l’amoindrissement des labeurs et
des misères, ou pour le changement du temps, ou pour le peu de soin
des hommes, les faisant trop travailler.
Que l’homme craigne
donc par-dessus tout moi, qui suis Dieu, et qu’il en soit d’autant
plus doux envers les créatures et les animaux, auxquels il doit
pardonner pour l'amour de moi, leur Créateur. C’est pourquoi aussi
j’ai établi le jour du sabbat jour de repos, pour marquer le soin
que j’ai de toutes les créatures.
II. Pourquoi tous les
animaux naissent-ils avec douleur? Soudain que l’homme eut méprisé
les vraies délectations dans le jardin d’Éden, il tomba dans les
labeurs et dans une vie pénible; et d'autant que le déréglement a
commencé en l'homme par l'homme, ma justice veut aussi que les
créatures, qui sont pour l'homme, ressentent quelque amertume pour
tempérer le plaisir que l'homme aurait pris en elles, et pour avoir
moins de nourriture d’elles. L'homme donc naît avec douleur et
avance avec labeur, afin qu’il se hâte d’arriver au vrai repos. Il
naît nu et pauvre, afin qu’il contienne ses mouvements déréglés et
afin qu’il craigne la future discussion. Les animaux mettent au jour
leurs petits avec douleur, afin que l'excès soit tempéré par
l’amertume, et que les hommes participent, en les voyant souffrir, à
leurs douleurs et labeurs. Que l’homme donc m’aime tout autant
par-dessus les créatures qu’il est plus excellent qu’elles.
III. Pourquoi l’enfant
porte-t-il le péché de son père? Tout ce qui procède du monde
pourrait-il être pur? C’est pourquoi le premier homme, quand il
perdit la beauté de son innocence, à cause de sa rébellion, fût
chassé du paradis des joies indicibles, se plongea et s’abîma dans
les choses immondes. Donc, pour recouvrer cette innocence, pas un
des hommes n’a été trouvé suffisant et capable. Partant, moi, Dieu
miséricordieux, venant prendre la chair humaine, j’ai institué le
baptême, afin que l’enfant fût affranchi de la souillure du péché ;
et partant, à raison de ceci, pas un des enfants ne portera
l’iniquité de son père, mais chacun portera son péché et mourra en
icelui.
Mais néanmoins, il
arrive souvent que les enfants imitent les péchés des parents, c’est
pourquoi souvent les péchés des parents sont punis dans les enfants,
non pas qu’il faille que, pour cela, les péchés des parents
demeurent en eux impunis, bien que la peine de leurs péchés soit
différée en un autre temps, mais un chacun mourra en son péché et il
en sera puni. Souventefois aussi, les péchés des pères sont visités,
comme il est écrit, en la quatrième génération, car la divine
justice veut que les enfants, ne se souciant pas d’apaiser ma juste
colère, ni pour eux ni pour leur parents, soient souvent punis avec
leurs pères, qu’ils ont suivis, s’opposant contre moi.
IV. Pourquoi ce qu’on
ne prévoit point arrive-t-il plus souvent ? Il est écrit que, par
les mêmes choses qu’il a péché, l’homme soit puni. Et quel sera
celui qui entendra les conseils occultes de Dieu ? Hélas ! qu’il y
en a qui me cherchent, non, pour mon amour, mais pour celui du
monde ! D’autres me craignent plus qu’il ne faut ; d’autres
présument ; d’autres s’enorgueillissent de leurs conseils. Partant,
moi, Dieu, qui opère la salut de tous, je fais que souvent l’homme
craint, et quelquefois je lui ôte la crainte, et il m’aime sans
bornes. Souventefois aussi, ce qu’on prévoit et ce qu’on désire avec
plus de soin, s’éloigne, afin que l’homme craigne, aime et considère
son Dieu.
V. Pourquoi l’homme
mauvais meurt-il souvent d’une bonne mort comme le juste ? Les
mauvais ont souvent quelques biens, et font quelques œuvres de
justice, pour lesquelles il les faut récompenser en cette vie
présente. De même les justes ont quelques maux pour lesquels il les
faut punir en cette vie et les attendre à bonne fin. Et d’autant
qu’en la vie présente, toutes choses sont incertaines et toutes
choses sont réservées pour l’avenir ; et d’autant que l’entrée de
tous au monde est égale, l’issue doit être aussi semblable en
quelque chose, car l’issue ne rend pas bienheureux, mais la vie
sainte et bonne.
Néanmoins, que l’issue
soit égale au bons et aux mauvais, ma divine justice le permet
ainsi, car ils désirent tous cette issue ; car le diable, prévoyant
l’issue de ses amis, leur annonce et leur prédit le temps de leur
mort, conformément à leur présomption, vaine gloire, et pour les
décevoir, comme on le voit dans les livres qui sont appelés
apocryphes, que quelques méchants sont loués après leur mort. Au
contraire, il arrive que les justes font une issue déplorable pour
leur plus grand mérite, afin qu’eux aussi qui ont aimé la vertu en
leur vie, s’envolent au ciel, francs et libres, par une mort
contemptible, afin qu’ils ne soient pas même trouvés dans le monde
dignes de moquerie, comme il est écrit que le lion tua le prophète
désobéissant, et ne mangea point son corps, mais le garda.
En l’occision de ce
corps on voir ma permission, afin que la désobéissance de l’apôtre
fût punie. Quant à ce que le lion ne mangea point de son corps, les
bonnes œuvres de l’apôtre ont été manifestées, afin qu’étant purifié
en cette vie, il fût trouvé juste en l’autre. Partant, qu’on prenne
bien garde de ne sonder et éplucher par trop mes divins jugements,
car comme je suis incompréhensible en vertu et en puissance, de même
suis-je terrible en conseils et jugements : ceux qui les ont voulu
curieusement comprendre en leur science, sont tombés de l’espérance.
CHAPITRE X
Jésus Christ, parlant à
son épouse, l’avertit de ne point se troubler, si les paroles qu’il
lui révèle en l’oraison sont souvent obscures, quelquefois douteuse,
quelquefois incertaines, d’autant que cela est pour de certaines
raisons déduites en ce lieu par les secrets de la justice divine. Je
vous ai néanmoins conseillé d’attendre l’événement avec patience et
craint, avec persévérance et humilité, comme aussi mes promesses, de
peur que, par l’ingratitude, la grâce promise ne soit retirée. Il
dit que plusieurs choses ont été dites corporellement, qui ne
s’accompliront pas pourtant corporellement, mais spirituellement.
Le fils de Dieu parle à
son épouse : Ne vous travaillez pas, dit-il, si je vous dis quelques
paroles obscures, quelques autres plus claires, ou si j’appelle
maintenant quelqu’un, tantôt serviteur, tantôt mon ami, et soudain
on voit le contraire, d’autant que mes paroles sont prises en
diverses manières, comme je vous l’ai dit d’un quidam que sa main
serait sa mort, et d’un autre, qu’il n’approcherait plus de ma
table. Ces choses sont dites pourquoi je l’avais dit la sorte, ou
bien vous en verriez à la fin de l’œuvre la vérité, comme il appert
en ces deux exemples.
Je dis aussi
quelquefois quelques choses obscures afin que vous ayez une pure
joie, et que les choses n’arrivent d’une autre manière, à raison de
ma patience, de moi qui connais les changements et les vicissitudes
des cœurs. Réjouissez-vous aussi d’autant que ma volonté est
toujours accomplie. Car comme aussi en l’ancienne loi, j’ai dit
plusieurs choses qui devaient être plutôt entendues spirituellement
que corporellement : comme du temple de David et de Jérusalem, c’est
afin que les hommes charnels apprissent à désirer ardemment les
choses spirituelles. Car pour prouver la constance de la foi et le
soin de mes amis, j’ai dit et promis plusieurs choses qui peuvent
être entendues diversement des bons et des mauvais, et en la manière
que plusieurs peuvent être exercés par moi en divers états, être
éprouvée et être enseignés par moi.
Quant à ce que
plusieurs choses ont été dites obscurément, ma justice l’exige de la
sorte, afin que mes conseils éternels soient cachés, et qu’un chacun
attendit ma gloire, de peur que si mes conseils étaient toujours
marqués en temps certain, tous ne l’alentissent en leur attente.
J’ai promis aussi plusieurs choses qui sont ôtées pour l’ingratitude
des hommes, et plusieurs choses ont été dites corporellement, qui
seront accomplies spirituellement, comme de Jérusalem et de Sion,
car les Juifs sont comme il est écrit, le peuple du Seigneur, le
peuple aveugle et sourd.
INTERROGATION XV
I. Le même religieux
apparut en disant : O Juge, je vous demande pourquoi plusieurs
choses qui semblent de nulle utilité, sont créées.
II. Pourquoi ne voit-on
point au commencement les âmes qui sont dans les corps, ou qui sont
sorties du corps?
III. Pourquoi vos amis
ne sont-ils pas toujours exaucés quand ils prient?
IV. Pourquoi n’est-il
pas permis à plusieurs de faire le mal qu’ils veulent?
V. Pourquoi les maux
arrivent-ils à plusieurs qui ne les ont pas mérités?
VI. Pourquoi ceux qui
ont l’Esprit de Dieu pèchent-ils?
VII. Pourquoi le diable
suit-il toujours quelques-uns, et d’autres jamais?
REPONSE DE JESUS-CHRIST
I. Le Juge répondit :
Mon ami, comme mes œuvres sont en grand nombre, aussi sont-elles
admirables et incompréhensibles. Que si mes œuvres sont en grand
nombre, elle ne le sont pas sans sujet. Certainement, l’homme est
semblable à un enfant nourri dans la prison et dans les ténèbres,
qui, si on lui disait qu’il y a une belle lumière et des astres, ne
le croirait pas, d’autant qu’il ne les a jamais vus : de même, quand
il a laissé une fois la lumière vraie, il ne se plaît que dans les
ténèbres, conformément à la maxime vulgaire :
Celui qui est accoutumé
au mal, le mal lui est doux. Donc, bien que l’esprit de l’homme soit
aveuglé en moi, néanmoins, il n’y a pas obscurité ni changement tel
que je n’ai disposé avec tant de tempérance, sapience et honnêteté
toutes choses, qu’il n’y a rien qui soit fait sans sujet et sans
utilité, voire même les montagnes les plus hautes, les déserts, les
lacs, les bêtes, les reptiles voire les animaux venimeux. Mais comme
je pourvois à l’homme, de même ai-je soin des animaux.
Je suis semblable à
l’homme qui a des lieux pour se promener ; d’autres pour la garde
des animaux apprivoisés ; d’autres pour les animaux farouches ;
d’autres pour tenir soin conseil ; d’autres parce que la disposition
de la terre le requiert ainsi ; d’autres pour la correction des
hommes. De même j’ai range toute choses avec raison, les unes pour
l’utilité de l’homme ; les autres pour son plaisir ; les autres pour
le divertissement des animaux ; quelques autres pour retenir dans
les bornes de la raison la cupidité des hommes ; les autres pour la
congruité des éléments ; quelques autres pour l’admiration de mes
œuvres ; quelques autres pour la punition des péchés ; d’autres pour
la convenance des supérieurs et des inférieurs ; d’autres pour des
causes et sujets réservés et connus de moi seul.
Car voici une abeille
petite qui sait choisir des fleurs le miel en grande quantité, comme
un nombre d’autres petites créatures qui font leur fonction, et
surpassent l’homme en industrie et au choix des herbes, et en la
considération et acquisition de leur utilité, et plusieurs choses
leur sont utiles, qui sont néanmoins nuisibles à l’homme.
Qu’est-il donc de
merveille si les soins des hommes sont faibles pour discerner et
entendre mes merveilles, vu de petites créatures les surpassent ?
Qu’y a-t-il de plus difforme que la grenouille et le serpent ? Quoi
de plus contemptible que l’ortie et autres herbes ? et néanmoins,
elles sont fort utiles à ceux qui savent discerner et connaître
l’excellence de mes œuvres. Et partant, tout ce qui sert à quelque
usage et utilité, et tout ce qui a mouvement, cherche sa
conservation et son affermissement.
D’autant que toutes mes
œuvres sont admirables et toutes me louent en leur manière, l’homme,
qui est plus excellent que les autres créatures, est plus obligé de
rechercher en tout mon honneur. Certainement, si les montagnes ne
bornaient les digues des rivières, l’impétuosité des eaux vous
submergeaient tous, et si les bêtes n’avaient ou se retirer, comment
pourraient-elles échapper à l’insatiable cupidité des hommes ? Que
si toutes choses étaient soumises à la dévotion de l’homme, il ne
désirerait pas lors les richesse célestes. Si les bêtes ne
travaillaient ni ne craignaient, elles se perdraient et
s’affaibliraient. Partant, plusieurs de mes œuvres ont été cachées
afin que moi, Dieu admirable et incompréhensible, sois connu et
honoré des hommes, par l’admiration de la créature de tant de
diverses et différentes créatures.
II. Pourquoi l’homme ne
voit-il pas les âmes ? L’âme est d’une meilleure nature que le
corps, d’autant qu’elle a été créée par la vertu de ma main toute
puissante, et qu’elle a l’immortalité avec les anges. Elle est plus
excellente que toutes les planètes, plus éminente que tout le monde.
D’autant donc que l’âme est d’une excellente nature, donnant au
corps le vivification et la chaleur, et d’autant plus qu’elle est
spirituelle, elle ne peut être vue corporellement ni entendue que
par des similitudes corporelles.
III. Pourquoi mes amis
ne sont-ils pas toujours exaucés quand ils me prient ? Je suis comme
la mère qui, voyant que son fils la prie comme son salut, diffère
d’exaucer sa demande, retenant ses pleurs avec quelque menace
d’indignation, laquelle n’est pas colère, mais grande miséricorde.
De même moi, Dieu, je n’exauce pas toujours mes amis, d’autant que
je vois mieux ce sui est utile pour leur salut.
Eh quoi ! saint Paul et
d’autres ne m’ont-ils pas prié efficacement, et néanmoins, ils n’ont
point été exaucés, pourquoi ? d’autant que mes amis même ont
quelques faiblesse et quelque chose à purifier en l’abondance des
vertus ; c’est pourquoi ils ne sont point exaucés, afin qu’ils en
soient d’autant plus humbles et plus fervents qu’ils sont conservés
par ma grâce sains et saufs en la charité ès tentation du péché.
C’est donc un jugement de grande dilection que mes amis ne soient
pas exaucés en leur oraison, pour leur plus grand mérite et pour
éprouver leur constance, car comme le diable s’efforce de corrompre
la vie du juste par le péché ou par la mort contemptible, afin qu’il
puisse relâcher la constance des fidèles, de même je permets, non
sans grand sujet, que le juste soit éprouvé, afin que sa constance
soit connue aux autres, et que lui soit plus excellemment couronné ;
et comme le diable ne craint point de tenter les siens, qu’il voit
enclin à pécher, de même je n’épargne point mes élus, que je vois
préparés au bien.
IV. Pourquoi n’est-il
pas toujours permis de faire le mal que quelques-uns veulent ?
Quiconque a deux enfants, l’un obéissant, l’autre rebelle, le père
résiste au rebelle autant qu’il lui plaît, afin qu’il n’excède en sa
malice, et il éprouve l’obéissant, l’excitant à de plus grandes
choses, afin que le rebelle en soit excité à des choses meilleures.
De même je ne permets pas que les mauvais pèchent, qui font bien
parmi leur malheurs, avec lesquels ils profitent, ou à eux, oui aux
autres. Partant, ma justice veux qu’ils ne soient pas soudain donnés
au diable, et qu’ils n’aient pas toujours la puissance d’accomplir
leurs pernicieux desseins.
V. Pourquoi les maux
assaillent-ils ceux qui ne les ont point pas mérités ? Celui qui est
bon est connu de moi seul, et je sais ce qu’il mérite. Certes,
plusieurs choses semblent belles, bien qu’elles ne le soient pas. Le
feu éprouve l’or. Or, le juste est souventefois affligé, afin qu’il
serve d’exemple aux autres et soit richement couronné. Job a été
éprouvé de la sorte, qui était néanmoins bon avant l’affliction ;
mais dans les afflictions, il fut épuré et connu des hommes. Mais
qui et celui qui voudra sonder et éplucher pourquoi je l’ai affligé,
si ce n’est moi-même qui l’ai prévenu de mes bénédictions, qui l’ai
conservé afin qu’il ne péchât point, qui l’ai soutenu en ses
tentations ? et comme je l’ai prévenu de ma grâce dans aucun sien
mérite, de même je l’ai éprouvé avec ma justice et ma miséricorde,
car pas un ne sera justifié devant moi, sinon par ma grâce.
VI. Pourquoi ceux qui
ont mon Esprit pèchent-ils ? L’Esprit divin n’est pas attaché, mais
il inspire où il veut, se retire quand il veut, et il n’habite point
en un vase plein de péché, mais en celui qui est plein de charité et
d’amour, d’autant que moi, Dieu, je suis la charité, et là où je
suis, la liberté se trouve. Celui donc qui reçoit mon Esprit peut
pécher s’il veut, car tout homme a le libéral arbitre. C’est
pourquoi quand l’homme est averti d’amender sa volonté, Balaam
voulut maudire mon peuple, mais je ne le permis pas. Bien qu’il fût
mauvais et ambitieux prophète, il parlait néanmoins, et disait
quelque chose de bon, non de soi, mais de mon Esprit, car souvent
fois le don de mon Esprit est donné aux bons et aux mauvais ;
autrement ces grands éloquents n’eussent pas tant disputé des choses
sublimes, s’ils n’eussent eu mon Esprit, ni les fous n’eussent pas
tant déliré, s’ils n’eussent fait contre moi, et se fusent laissés
emporter à la superbe, voulant savoir plus qu’il ne fallait.
VII. Pourquoi le diable
est-il plus présent aux uns qu’aux autres ? Le diable est comme le
bourreau et l’épreuve des bons, c’est pourquoi, par ma permission,
il vexe quelques âmes lesquelles pèchent contre la raison,
s’abandonnent à l’immondicité, à l’avarice, à l’infidélité. Il
trouble leurs consciences et leur corps, qui sont ici tourmentés et
purifiés pour quelques péchés. Cette vexation et peine sont communes
à tous les enfants, tant des païens que des chrétiens, et cela à
raison du peu de soin des parents, ou le défaut de la nature, ou
bien pour épouvanter les autres, ou pour l’humiliation d’autrui, ou
bien pour quelques péchés, ma justice en disposant et permettant des
peines, afin que ceux auxquels l’occasion du péché est ôtée, ne
soient punis plus rudement, ou afin qu’ils soient couronnés plus
richement. De semblables choses arrivent aux autres animaux, ou bien
à raison des péchés des hommes, ou bien pour abréger leur vie, ou
bien l'intemperie de leur nature.
Quant à ce que le
diable est plus voisin et plus près des uns que des autres, je le
permets de la sorte pour une plus grande humiliation et pour qu'ils
soient mieux sur leurs gardes, ou pour une plus grande couronne, ou
pour exciter un plus grand soin à me rechercher, ou pour purifier
leurs péchés en cette vie, ou bien que la peine de quelques-uns, à
raison de leur méchanceté, commence déjà en ce monde pour ne finir
jamais.
CHAPITRE XI
Le Fils de Dieu,
parlant à son épouse sainte Brigitte, lui dit pourquoi et comment il
commença de lui donner de divines révélations en vision spirituelle.
Il lui dit encore que les révélations contenues en ces livres,
contiennent principalement ces quatre vertus : elles ressuient ceux
qui désirent la vraie charité, échauffent les froids, réjouissent
les troublés, et affermissent les faibles.
Le Fils de Dieu parle,
disant que, par les choses naturelles, il se peut faire un breuvage
salutaire, savoir est d'une pierre salutaire et d'un dur caillou,
d'un arbre aride et d'une herbe amère. Mais comment cela ?
Certainement, si l'acier tombait avec violence sur une montagne de
soufre, lors de l'entrechoc de l'acier contre la pierre s'allumerait
un feu qui allumerait la montagne.
De la chaleur de ce
feu, les oliviers qui sont à l'entour, bien qu'ils soient verts,
néanmoins, à raison de la graisse intime, commenceraient à distiller
une certaine gomme, de laquelle les herbes qui sont sous l'olivier,
commenceraient à quitter leur amertume et à prendre une douceur, et
c'est de là que se ferait une boisson très salutaire. J'en ai fait
de même à vous spirituellement, car votre coeur était comme un acier
froid en mon amour, duquel néanmoins sortait quelque petite
scintille de ce feu amoureux, savoir, lorsque vous pensiez que
j'étais digne d'amour par-dessus tout. Mais votre coeur tomba sur
une montagne de soufre, quand la gloire et la délectation mondaine
vous contrariaient, et votre mari, que vous avez aimé charnellement
par-dessus tout, vous fut ôté en mourant.
En vérité, la volupté
et la délectation mondaine sont fort à propos, comparées à la
montagne de soufre, d'autant qu'elles mènent avec soi la vanité de
l'esprit, la puanteur de la concupiscence et l'ardeur de la peine ;
et alors, en la mort de votre mari, votre esprit étant touché de
peines et troublés, la scintille de mon amour, qui était cachée,
commença à paraître, car lorsque vous eûtes considéré la vanité du
monde, vous résignâtes votre volonté en mes mains, m'aimant et me
désirant sur toutes choses, Et par la vertu de cette scintille
amoureuse, l'olive m'agréa, c'est-à-dire, les paroles de l'Evangile,
et la conversation de mes docteurs commencèrent à vous plaire, et
l'abstinence vous plût en telle sorte que les choses qui vous
semblaient amères au commencement, commencèrent à être très douces.
Mais quand l'olivier commença à distiller sa liqueur, et que les
révélations commencèrent à être répandues en votre esprit, un quidam
cria du haut de la montagne, disant : La soif est étanchée par ce
breuvage ; l'homme froid est échauffé ; le troublé est réjoui, et
l’infirme est raffermi.
Je suis Dieu qui crie :
Les paroles que vous oyez en vos révélations rassasient comme une
bonne boisson ceux qui désirent la charité ; en deuxième lieu, elles
échauffent les froids ; en troisième lieu, elles apaisent les
troublés ; en quatrième lieu, elles affermissent les faibles
d’esprit.
INTERROGATION XVI
I. Le même religieux
que dessus apparut, disant : O Juge, je vous demande pourquoi, selon
que l’évangile dit : Les chevreuils seront mis à la gauche et les
brebis à la droite, vous vous plaisez à cela.
II. Puisque vous êtes
le Fils de Dieu, égal au Père, pourquoi est-il écrit que ni vous ni
les anges ne savez l’heure du jour du jugement?
III. Pourquoi y a-t-il
tant de désaccord entre les évangélistes, puisque le Saint-Esprit
leur a parlé?
IV. Puisqu’il y a tant
de salut en votre incarnation,, pourquoi avez-vous tant différé de
l’accomplir?
V. Puisque l’âme de
l’homme est meilleure que tout le monde, pourquoi n’envoyez-vous pas
partout des prédicateurs, vos amis?
REPONSE DE JESUS-CHRIST
I. Le Juge répondit :
Mon ami, vous ne demandez pas pour savoir, mais afin que votre
malice soit comme. En ma divinité, il n’y a rien de charnel ni rien
de formé charnellement, d’autant que ma Divinité est un esprit ; et
avec moi les bons et les mauvais ne peuvent pas demeurer non plus
que la lumière et les ténèbres ; ni ma droite ni ma gauche ne sont
pas corporellement formées ; ni ne sont pas plus heureux ceux qui
sont à ma droite que ceux qui sont à ma gauche.
Qu’est-ce qu’on doit
entendre par ma droite, sinon la sublimité de la gloire divine ; par
la gauche, sinon la privation et la défaillance de tout bien ? Ni
les brebis ni les boucs ne sont point en cette gloire admirable, où
il n’y a rien de corporel ni de corrompu ou sujet à la vicissitude.
Mais en la figure et similitude de l’âme, les mœurs des hommes sont
signifiées, comme par la brebis est signifiée l’innocence, par le
bouc la lubricité ; c’est-à-dire, il signifie l’homme incontinent
qui doit être mis à la main gauche, où il y a privation de toute
sorte de biens. Sachez donc que moi, Dieu, j’use souvent de paroles
humaines et de similitudes, afin que l’enfant ait de quoi sucer, que
les parfaits aient de quoi s’entretenir, et afin que l’Ecriture soit
accomplie. Le Fils de la Vierge a été mis en contradiction, afin que
les pensées de plusieurs cœurs soient révélées.
II. Pourquoi, étant
Fils de Dieu, ai-je dit que j’ignore, l’heure du jugement ? Il est
écrit que Jésus profitait et avançait en sagesse et en âge. Or,
toute chose qui avance ou défaut, est muable, mais Dieu est
immuable. Quand à ce que le Fils de Dieu profitait et avançait, cela
se doit entendre selon mon humanité. Quant à ce que j’ignore, cela
était selon mon humanité, car quand à la Déité, je savais et sais
tout, car le Père ne fait rien que je ne fasse. Le Père pourrait-il
savoir quelque chose que le Fils et le Saint-Esprit ne le sachent
aussi ? Non, certes. Or, le seul Père, avec lequel je suis Fils et
le Saint-Esprit, une substance, une Déité et volonté, sait cette
heure du jugement, et non pas les anges ni autre créature
quelconque.
III. Si le Saint-Esprit
a parlé aux évangélistes, pourquoi ne s ‘accordent-ils pas ? Il est
écrit que le Saint-Esprit est divers en ses œuvres, attendu qu’il
distribue ses biens à ses élus en plusieurs manières. D’ailleurs, le
Saint-Esprit est comme un homme qui a une balance en sa main, qui
accorde et rend convenables et égales ses extrémités en plusieurs
manières, jusques à ce que la balance demeure en égalité, laquelle
balance peut être accommodée, par les uns, d’une manière, et par les
autres, d’une autre toute différente, car autrement la dispose le
faible, autrement le fort.
De même l’esprit monte
tantôt dans les cœurs comme une balance, et tantôt il en descend.
Or, il y monte quand il élève l’esprit par la subtilité de l’esprit,
par la dévotion de l’âme et par l’inflammation des désirs
spirituels. Il y descend, quand il permet que l’esprit s’enveloppe
dans les difficultés, s’afflige des superfluités et se trouble des
tribulations. Comme donc la balance n’a rien de certain, si elle
n’est réglée, modérée et conduite par la main, de même il est
nécessaire que la modération et le règlement s’ensuivent en
l’opération du Saint-Esprit, comme aussi la bonne vie, la simple
intention, et la discrétion des bonnes œuvres et des vertus.
Partant, moi, Fils de
Dieu, visible en ma chair, prêchant en divers lieux diverses choses,
j’ai eu divers imitateurs et auditeurs, car les uns me suivaient par
amour, les autres par occasion et par curiosité ; quelques-uns aussi
des suivants étaient d’un subtile esprit ; quelques autres étaient
fort simples ; c’est pourquoi j’ai dit des choses simples, afin que
les simples en fussent instruits ; j’ai dit des choses hautes, pour
ravir en admiration les sages. Quelquefois je parlais en paraboles
et en énigmes, dont quelques-uns prenaient occasion de parler, et
quelquefois je redisais ce que j’avais dit pour l’inculquer
davantage ; quelquefois j’exagérais, et quelquefois je diminuais ;
c’est pourquoi il n’est pas de merveille si ceux qui ont rangé
l’ordre de l’Evangile, ont mis des choses diverses, mais néanmoins
vraies, car quelques-uns ont mis le mot, quelque autres ont mis le
sens, et non les paroles ; quelques autres ont écris ce qu’ils ont
ouï et non vu ; d’autres ont écrit des choses passées, les autres
plusieurs chose de ma Divinité, et enfin chacun comme le
Saint-Esprit l’inspirait.
Néanmoins, je veux que
vous sachiez qu’il faut seulement recevoir ces évangélistes que mon
Eglise reçoit, car plusieurs ont taché d’écrire par un zèle, mais
non selon ma science, car voici que j’ai dit, comme il a été lu en
l’Evangile d’aujourd’hui : Ruinez ce temple, et je le réédifierai.
Ceux qui témoignaient
avoir ouï ceux-ci, furent vrais témoins selon ouïe, mais faux
témoins selon leur intelligence et selon leur dire, d’autant qu’ils
n’entendaient ni ne considéraient point le sens de mes paroles,
d’autant que j’entendais ces paroles de mon corps, et eux les
entendaient du temple matériel. Semblablement quand je dis : Si vous
ne mangez ma chair, vous n’aurez point la vie, plusieurs se
retirèrent de moi, car ils ne s’avisaient point de la clause
ajoutée, que mes paroles sont esprit et vie, c’est-à-dire, elles ont
un sens spirituel et une vertu efficace ; ni n’est pas de merveille
s’ils erraient, d’autant qu’ils ne me suivaient point par amour.
Partant, le Saint-Esprit monte en nos cœurs comme une balance,
parlant maintenant corporellement, maintenant spirituellement ; il
descend quand le cœur de l’homme s’endurcit contre Dieu, ou par
hérésies, ou il s’intrigue dans les affaires du monde et s’aveugle
lui-même.
Lors en même moment, le
Juge dit au religieux qui faisait ces demandes : Vous, ô mon ami !
vous m’avez si souvent demandé des choses subtiles, et moi
maintenant je vous interroge pour l’amour de mon épouse, qui est ici
présente. Pourquoi votre âme, qui a l’intelligence des choses
caduques, du bien et du mal, choisit-elle plutôt les choses
terrestres et périssables que les choses célestes et permanentes, ni
ne vivez pas selon l’intelligence que vous avez?
Le religieux répondit :
D’autant que je fais contre la raison, et que les sens charnels
entraînent la raison.
Et Notre-Seigneur lui
dit : C’est pourquoi votre conscience sera votre juge.
Après, Jésus-Christ dit
à l’épouse : Voyez, ô ma fille ! combien peut en l’homme, non
seulement la malice du diable, mais encore la conscience dépravée ;
et cela provient de ce que l’homme ne combat pas comme il faut
contre les tentations. Or, le maître qui vous est connu n’en fait
pas de la sorte, car quand cet esprit tentateur descend pour le
tenter, il le tente, en sorte que tout lui semble des hérésies, qui
toutes l’entourent, lui disant d’un accord : Nous n’avons point de
vérité. Mais lui n’a pas cru à ses sentiments ni ne s’est pas élevé
par curiosité sur soi-même, c’est pourquoi il a été affranchi des
tentations, et a été savant depuis l’Alpha jusques à l’Oméga, comme
il le lui avait promis. (DECLARATION. Le même docteur dont il est
ici parlé, qui allait selon Dieu, fut Matthias, chanoine, confesseur
de sainte Brigitte ; il lut la bible depuis le commencement de la
Genèse jusqu’à l’Apocalypse, où sont cet Alpha et cet Oméga. (Il est
aussi parlé de ce chanoine au livre I, chap. 3, et au chap. 2 ; au
livre VI, chap. 75, jusqu’au chap. 89.)
IV. Pourquoi ai-je tant
différé de m’incarner ? En vérité, il était nécessaire que je
m’incarnasse, afin que, par mon incarnation, la malédiction fût
abolie, et que toutes choses fussent pacifiées au ciel et en la
terre ; et néanmoins, il était nécessaire que l’homme fût plus tôt
instruit en la loi naturelle, et après, en la loi écrite,car par la
loi naturelle, il apparut combien grande était la délectation de
l’homme ; par la loi écrite, il a compris ses infirmités, ses
faiblesses et ses misère, et lors, il commença de rechercher les
médecines. Il fut donc lors juste que le médecin vint, puisque
l’infirmité et la maladie étaient connues, afin que là où la maladie
abondait, la médecine surabondât. En vérité, en la loi naturelle et
en la loi écrite, il y eut plusieurs justes, et plusieurs avaient le
Saint-Esprit, qui prédisaient plusieurs choses, en instruisaient les
autres aux choses honnêtes, m’attendaient, moi, leur Sauveur ; et
ceux-ci s’approchaient de ma miséricorde, et non des supplices
éternels.
V. Puisque l’âme est
meilleure que le monde, pourquoi n’envoie-t-on pas des prédicateurs
en tout le monde ? Véritablement, l’âme est plus excellente et plus
digne que tout le monde, plus constante que tout l’univers, et est
plus digne, d’autant qu’elle est spirituelle et égale aux anges, et
créée pour la gloire éternelle. Elle est plus excellente, d’autant
qu’elle est faite à l’image et à la ressemblance de Dieu, et est
immortelle et éternelle.
D’autant donc que
l’homme est plus digne et plus noble que toutes les créatures, il
doit vivre plus excellemment que toutes les créatures, car il est
enrichi de raison par-dessus les autres.
Que si l’homme abuse de
la raison et des dons de Dieu, qu’est-il de merveille si je le punis
au temps de justice, puisqu’il m’a oublié en temps de miséricorde ?
C’est pourquoi les prédicateurs ne sont pas toujours envoyés
partout, car moi, Dieu, voyant l’endurcissement du cœur de
plusieurs, je pardonne et soulage le labeur et la peine de mes élus,
de peur qu’ils ne se travaillent en vain. Et d’autant que plusieurs
pêchent à dessein, et délibèrent de croupir plutôt dans les péchés
que se convertir, c’est aussi que, pour cela, ils ne sont pas dignes
d’ouïr les nonces du salut.
Mais, ô mon ami ! Je
finirai maintenant avec la réponse à vos pensées, et vous finirez la
vie et expérimenterez à quoi votre éloquence infâme et votre faveur
humaine vous ont profité. Oh ! Que vous auriez été heureux, si vous
eussiez vécu selon votre profession, et si vous eussiez gardé vos
vœux!
D’ailleurs, l’Esprit
dit à l’épouse : Ma fille, celui-ci, qui semblait rechercher tant et
tant de questions, vit encore selon le corps, mais il ne passera pas
un jour ; les pensées de son cœur vous ont été montrées par
similitudes, non pas pour son plus grand opprobre, mais pour le
salut des âmes. Mais voici que son espérance et sa vie finiront avec
ses pensées et ses affections.
Jésus-Christ, parlant à
son épouse sainte Brigitte, dit qu’elle ne se doit pas troubler de
ce qu’il ne fait soudain la justice sur l’homme, qui est un grand et
détestable pécheur, d’autant qu’il diffère sa sentence, afin que sa
justice soit manifestée en l’exécution. Il dit aussi que les paroles
de ses révélations doivent croître et fructifier jusques a la pleine
maturité, et puis, elles produiront leur effet et leur vertu dans le
monde. Ces paroles sont comme de l’huile en la lampe, c’est-à-dire
en l’âme vertueuse, par lesquelles elle est engraissée ; et le
Saint-Esprit survenant, elles la font éclater de lumière et brûler
d’amour. Il ajoute encore que ces révélations seront quelque temps
cachées, et puis elles fructifieront plus ailleurs qu’au royaume de
Suède, où elles ont commencé d’être faites à l’épouse sainte
Brigitte.
CHAPITRE XII
Le Fils de Dieu parle,
disant : Pourquoi vous troublez-vous, ô mon épouse, si je supporte
si patiemment ce religieux ? Ne savez-vous pas combien il est cruel
de brûler éternellement ? C’est pourquoi je le souffre jusques au
dernier point de sa vie, afin qu’en lui ma justice soit manifestée ;
c’est pourquoi comme les herbes qui servent à faire des couleurs, si
elles sont moissonnées avant le temps, n’ont point la force ni la
vivacité de colorer vivement, comme elles l’auraient eue, si elles
eussent été fauchées à leur temps et saison, de même mes paroles,
qui doivent être manifestées avec justice et miséricorde, et doivent
fructifier jusques à l’entière plénitude et maturité, ou lors, par
ma vertu, coloreront mieux les sujets auxquels elles seront
appliquées.
Pourquoi vous
troublez-vous aussi qu’il se défie de mes paroles, si ce n’est qu’on
lui montre des signes plus évidents ? Eh quoi ! l’avez-vous
engendré, ou connaissez-vous son intérieur comme moi ? Il est
certainement comme une lampe ardente et luisante, en laquelle
l’huile étant mise, soudain le feu brûle la mèche. Celui-ci est
aussi une lampe de vertus disposée pour recevoir la grâce divine. Je
verserai bientôt en lui mes paroles, et elles se liquéfieront et se
fondront dans son cœur avec perfection. Et qu’est-il de merveille si
là l’huile se fond et si elle fait brûler la lampe ? Ce feu, c’est
mon Esprit qui est et parle en vous, et ce même Esprit est et parle
en lui, bien que d’une manière plus occulte et plus utile pour lui.
Ce feu allume la lampe de son cœur pour travailler pour mon amour,
et allumer l’âme pour recevoir mes grâces et mes paroles, desquelles
l’âme est plus profondément touchée et plus pleinement engraissée,
quand on vient aux œuvres.
Partant, ne craignez
point, mais demeurez constamment en la foi. Si ces paroles venaient
de votre esprit ou de l’esprit de ce monde, vous les devriez
craindre à bon droit ; mais puisqu’elles sont de mon Esprit, que les
saints prophètes ont eu, il ne faut pas que vous craigniez, mais que
vous vous réjouissiez, si ce n’est que peut-être vous craigniez
plutôt la vanité du nom du monde que l’attouchement de mes divines
paroles.
Ecoutez encore ce que
je dis : Ce royaume est mêlé avec un grand péché impuni depuis
longtemps, c’est pourquoi aussi mes paroles n’y peuvent fructifier,
comme je vous le déclarerai maintenant par une similitude. Si le
noyau était planté en terre, sur lequel on mettrait un grand faix
lourd et pesant, il l’empêcherait de monter ; le noyau, étant bon,
ne pouvant pousser en haut, pousserait en bas, et étendrait fort
profondément ses racines ; et après, non seulement il porte de bons
fruits, mais encore il anéantit tout ce qui s’oppose à son
ascendant, et s’étend par-dessus son poids. Ce noyau signifie ma
parole, qui ne peut fructifier en ce royaume, à raison, du péché ;
elle profitera plus ailleurs, jusques à ce que l’endurcissement de
cette terre et de ce royaume, ma miséricorde croissant, soit ôté.
CHAPITRE XIII
Dieu le Père parle à
sainte Brigitte, l’instruisant subtilement de la vertu de cinq lieux
qui sont en Jérusalem et Bethléem, et des grâces que reçoivent les
pèlerins visitant ces lieux-là avec humilité dévote et vraie
charité, disant qu’en les susdits lieux, il y avait un vase clos et
non clos ; il y naissait un lion qu’on voyait et qu’on ne voyait pas
; il y avait un tondu et un non tondu ; on y mettait un serpent qui
demeurait gisant, et qui ne demeurait pas ; il y avait aussi un
aigle qui volait et ne volait pas. Et il expose ce que dessus en
figure.
Dieu le Père parle : Il
y eut un seigneur à qui son serviteur dit : Voilà que votre terre
qu’on sème de deux en deux ans, est cultivée, et que les racines
sont arrachées. Quand faudra-t-il semer le blé?
Le seigneur dit : Bien
que les racines semblent être arrachées, néanmoins, les vieux troncs
et les tiges sont laissées, qui seront ôtés et perdus par les vents
et les pluies. Partant, attendez avec patience le temps propre pour
semer.
Le serviteur repartit :
Qu’est-ce qu’il faut que je fasse entre le printemps et l’été?
Son maître lui dit : Je
sais cinq lieux. Tous ceux qui iront, auront cinq sortes de fruits,
s’ils y viennent purs, vides de superbe et fervent d’amour. Au
premier lieu, il y avait un vase clos et non clos, petit et non
petit, lumineux et non lumineux, vide et non vide, pur et non pur.
Au deuxième lieu, il y
naissait un lion qu’on voyait et on ne voyait pas ; il était ouï et
il n’était pas ouï ; il était touché et il n’était pas touché ; il
était connu et il n’était pas connu ; il était tenu et il n’était
pas tenu.
Au troisième lieu, il y
avait un agneau tondu et non tondu ; un agneau blessé et non blessé,
criant et non criant, patient et non patient, mourant et non
mourant.
Au quatrième lieu, il y
avait un serpent qui gisait et ne gisait pas ; qui se mouvait et ne
se mouvait pas ; qui oyait et n’oyait pas ; qui voyait et ne voyait
pas ; qui sentait et ne sentait pas.
Au cinquième lieu, il y
avait un aigle qui volait et ne volait pas ; qui est vu au lieu d’où
il ne s’est jamais retiré ; qui se repose et ne s’est jamais reposé
; qui se renouvelait et n’était pas renouvelé ; qui se réjouissait
et ne se réjouissait point ; qui était honoré et n ‘était pas
honoré.
EXPOSITION ET
DECLARATION
DES CHOSES PREDITES EN FIGURE
Le Père parle :
1° Ce vase dont je vous
ai parlé fut Marie, fille de Joachim, mère de l’humanité de
Jésus-Christ, car elle fut un vase clos et non clos : clos au diable
et non à Dieu. Car comme un torrent, désirant de sortir de son lit,
cherche les tranchées et les sorties, de même le diable, comme un
torrent de vices, désirait de toutes ses inventions et subtilités,
de s’approcher du cœur de la Sainte Vierge ; mais il n’a jamais pu
enlever son âme à quelque péché, d’autant qu’elle était close à
toutes les tentations, car le torrent de mon Esprit s’était épandu
en elle, et avais rempli son cœur de la grâce spirituelle.
2° Marie, Mère de mon
Fils, fut un vase petit et non petit ; petit en humilité et mépris
de soi-même, grand et non petit en l’amour de ma Divinité.
3° La Sainte Vierge
Marie fut un vase vide et non vide ; vide de toute sorte de voluptés
et de péchés, et non vide, mais plein de la douceur céleste et de
toute bonté.
4° La Sainte Vierge fut
un vase lumineux et non lumineux ; lumineux, d’autant que l’âme est
créée de moi en son éclat ; mais Jésus a créé l’âme de Marie en
toute perfection de lumière, de sorte que mon Fils s’est incarné en
son âme, de la beauté duquel le ciel et la terre se réjouissaient ;
mais ce vase divin ne fut pas lumineux devant les hommes, d’autant
que Marie méprisait les honneurs et les richesses du monde.
5° Marie fut un vase
pur et non pur ; pur, d’autant qu’elle était toute belle, et qu’il
ne se trouva jamais d’immondice en elle de la largeur et grandeur
d’une pointe d’aiguille. Mais elle n’a pas été pure en tant que
sortie de la racine d’Adam et née de pécheurs, bien que conçue sans
péché, afin que mon Fils naquît d’elle sans péché.
Celui donc qui viendra
où Marie est née, où elle a été nourrie et élevée, non seulement
sera purifié, mais il me sera vase en honneur.
Le deuxième lieu est
Bethléem, où mon Fils est né comme lion, qui était vu et tenu comme
un lion selon l’humanité ; mais il était invisible et inconnu selon
la Divinité.
Le troisième est le
Calvaire, où mon Fils a été blessé comme un agneau innocent et sans
tache, et où il est mort ; il était pourtant impassible et immortel
selon la Divinité.
Le quatrième lieu fut
le jardin du sépulcre de mon Fils, où il fut caché comme un serpent
contemptible ; là était gisante son humanité, bien qu’il fût partout
selon la Divinité.
Le cinquième lieu est
le mont des Olives, duquel mon Fils vola comme un aigle, selon
l’humanité, dans le ciel, où il était toujours selon la Divinité,
qui fut renouvelé et se reposa selon l’humanité, car selon la
Divinité, il était toujours en repos et le même.
Celui donc qui viendra
purement en ces lieux avec une bonne et parfaite volonté, goûtera
combien doux et suave je suis, moi son Dieu et son tout. Quand vous
serez arrivée en ces lieux, je vous montrerai plusieurs choses.
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