CHAPITRE 76
La Mère de Dieu parle à
l’épouse de Jésus-Christ : Pourquoi vous troublez-vous, ô ma fille?
Parce que, dit-elle, je crains d’être envoyée aux endurcis de cœur.
La Mère lui dit : D’où entendez-vous qu’il y a des endurcis de Dieu?
Je ne sais discerner, dit-elle, ni je n’ose le juger de personne,
car en premier lieu, deux hommes m’ont été montrés, l’un desquels
apparaissait très humble et très saint selon le jugement des hommes;
l’autre large et ambitieux, l’intention et la volonté desquels
néanmoins étaient différentes de l’œuvre, et l’un et l’autre
épouvantèrent grandement mon esprit.
La Mère répondit : Il est permis de juger des choses qui
apparaissent ouvertement mauvaises, savoir, par un esprit de
compassion et de correction ; mais quant aux choses douteuses, qui
ne sont certainement évidentes de quel esprit elles ont été faites,
vous n’en devez pas juger. Partant, je vous veux montrer quels sont
ceux qui sont amis de Dieu : sachez donc que ceux-là sont amis de
Dieu, qui, ayant reçu les dons de Dieu, sont encore timides, et
rendent grâces à Dieu de ceux-là à toute heure, et ne désirent point
les choses superflues, mais se contentent de ce qui leur est donné.
Mais où se trouvent telle sorte de personne?
Recherchons-les en premier lieu dans les communautés. Quelle est
celle d’entre elles qui dit jamais : C’est aussi ; je ne cherche
rien de plus grand ? Cherchons-les parmi les soldats et chevaliers,
et autres seigneurs. Quel est celui d’entre eux qui pense ceci : Les
biens que je possède, je les ai de mon héritage, et d’iceux je
désire et prends ma nourriture modérée et conforme à mon état, selon
qu’il est agréable à Dieu et convenable aux hommes ; le superflu, je
le communiquerai et départirai à Dieu et aux pauvres ? Que si je
savais que ces biens héréditaires fussent mal acquis, je les
restituerais ou les laisserais, ne les pouvant restituer selon le
conseil des Pères spirituels et bons serviteurs de Dieu ? O ma
fille! Une telle pensée est rare maintenant en la terre. Voyons
aussi si, parmi les rois et les ducs, nous les trouverons.
Quel est celui d’entre eux qui se contienne en son état?
Certainement celui-là est roi, qui est réglé et composé en ses mœurs
comme un Job, et humilié comme un David, en zèle de la loi comme un
Phinées, en mansuétudes et patience comme un Moïse. Celui-là est
aussi vrai duc, qui régit les armées du roi, et leur donne les
formes et les manières de guerre, qui a sa confiance en Dieu et sa
crainte comme un Josué, qui cherche plus l’utilité de son maître que
la sienne propre, comme un Joab ; qui aime le zèle de la loi et les
utilités du prochain, comme un Judas Macchabées. Un tel duc est
semblable à la licorne qui a une corne fort aiguë au front, et sous
la corne, une pierre précieuse.
Or, qu’est-ce que la corne d’un duc, si ce n’est son cœur magnanime
et généreux, quand il faut batailler fortement, blesser et abattre
les ennemis de la foi ? Or, la pierre précieuse qui est sous la
corne du duc, est la charité divine, qui, demeurant incessamment
dans son cœur, le rend à tout prompt, agile et victorieux. Mais lors
les ducs sont semblables aux chevreuils lascifs, quand ils
bataillent en tout pour la chair, et non pour l’âme ni pour Dieu.
Cherchons maintenant parmi les rois : quel est celui d’entre eux qui
ne foule ses sujets à raison de sa superbe ? Quel est celui qui
maintient son état selon les rentes de sa couronne ? Quel est celui
qui restitue ce qui n’appartient point à sa couronne d’équité et de
justice ? Quel est celui-là qui laisse ses occupations pour faire la
justice pour l’amour de Dieu ? Plût à Dieu, ma fille, qu’au monde,
on trouvât de tels rois, afin que Dieu fût glorifié!
Cherchons maintenant si, parmi le clergé, nous en trouverons. Ils
doivent aimer la continence, la pauvreté et la dévotion.
Certainement, ceux-là aussi se sont retirés de la droite voie. Or,
que sont les prêtres, sinon les pauvres et les aumôniers de Dieu,
afin que, vivant d’aumônes et d’oblation à Dieu, ils fussent autant
humbles et fervents envers Dieu qu’ils doivent être retirés des
soins et sollicitudes du monde ? C’est pourquoi l’Église est sortie
de la tribulation et a pris naissance de la pauvreté, afin que Dieu
fût leur héritage, et afin qu’ils se glorifiassent, non au monde ni
en la chair, mais en Dieu.
Mais, ma fille, Dieu n’eût-il pas pu élire les rois et les ducs en
apôtres, et enrichir aussi l’Église de leur héritage ? Certainement,
il l’eût pu. Mais Dieu, qui est la richesse même, est venu pauvre au
monde pour nous en donner l’exemple, afin qu’il nous montrât que les
choses terrestres sont passagères et périssables, et afin que
l’homme s’unît à son Dieu et qu’il n’eût honte de la pauvreté, mais
qu’il se hâtât, par la pauvreté, d’arriver aux richesses permanentes
et éternelles. C’est pourquoi Dieu commença la très belle et
éclatante disposition de l’Église, et le mit en sa place, afin qu’il
vécût, non de l’héritage du monde, mais de celui de Jésus-Christ.
C’est pourquoi la naissance de l’Église fut par trois sortes de
biens :
1- la ferveur de la foi ;
2- la pauvreté ;
3- les effets des vertus et des miracles.
Ces trois choses aussi furent en saint Pierre, car il eut la ferveur
de la foi, quand il confessa d’une franche volonté son Dieu et
n’hésita pas à mourir pour lui.
Il eut aussi la pauvreté, quand, en voyageant, il mendiait, et se
nourrissait du travail de ses mains. En vérité, il était riche dans
les choses spirituelles, car ce fut bien plus de faire marcher un
boiteux, ce qu’aucun des princes ne peut, que de lui donner de l’or
et de l’argent. Mais quoi ! Saint Pierre n’aurait-il pas pu obtenir
de Dieu de l’or, qui eût pu ressusciter un mort ? Oui, certainement
; mais il se déchargea du poids des richesses, afin qu’affranchi de
tout, il entrât dans le ciel, et que, comme maître des brebis, il
leur donnât exemple d’humilité, d’autant que la pauvreté corporelle
ou spirituelle et l’humilité sont l’entrée du ciel.
En troisième lieu, il fut en lui l’effet des miracles, car laissant
les grands et sublimes, les infirmes et malades étaient guéris par
l’ombre de saint Pierre. D’autant donc qu’il avait la perfection des
vertus, qui est de se contenter du nécessaire, c’est pourquoi sa
langue a été faite la clef du ciel, et son nom est en bénédiction en
terre et au ciel.
Or, ceux qui ont voulu célébrer leur nom en la terre et ont aimé la
fiente de la terre, sont méprisés et sont écrits au livre de la
fureur de la justice d’un Dieu tout-puissant. En vérité, Dieu,
voulant montrer que, ni la pauvreté de saint Pierre, ni celle des
saints, n’étaient pas contraintes, mais libres, excitant l’esprit de
plusieurs à leur donner et leur départir de leurs biens, mais eux se
réjouissaient plus en leur extrême pauvreté que dans les épines
poignantes des richesses, de sorte que, plus leur pauvreté
croissait, plus leur dévotion augmentait.
Et certes, ce n’est pas de merveille si ceux qui n’ont que Dieu pour
leur joie, Dieu ne leur manque jamais. A ceux qui désiraient
ardemment les richesses du monde, comment, je vous prie, Dieu
pouvait-il leur être à goût ? Voire il n’était que comme un passant
devant leurs yeux. Mais par la suite du temps, les amis de Dieu
devenant plus fervents et plus deliés pour prêcher la parole divine,
et afin qu'on sut que la richesse n'est point mauvaise , mais
seulement l'abus qu'on en fait , partant, sous Sylvestre et autres,
les biens temporels ont été donnes à l'Eglise, lesquels les hommes
saints ont dispenses de longtemps pour leur seule nécessité et pour
l'entretien des pauvres, amis de Dieu.
Sachez donc que tels sont les amis de Dieu, qui se contentent des
dispositions divines, lesquels, bien qu'ils ne vous soient point
connus, mon Fils voit fort clairement, d'autant qu'en un métal dur,
souvente fois on trouve de l'or, et d'un dur caillou, on tire des
scintilles de feu. Allez donc assurée, d'autant qu'il faut en
premier lieu, crier, et puis faire, d'autant que mon Fils demeurant
en la chair, n'a converti toute la Judée, ni les apôtres ensemble,
ni la gentilité en une fois, mais il faut un plus long temps pour
parfaire les œuvres de Dieu.
Ici sont les paroles de l'épouse à Jésus-Christ, qui manifestent la
grande et magnifique miséricorde que Jésus-Christ a faite avec elle;
et les paroles de Jésus-Christ à la même épouse, confirmant la même
miséricorde en elle. En quelle manière il l'a élue un vase qui doit
être rempli de vie, et par elle doit être donne à boire aux
serviteurs de Dieu. De l'humble et agréable demande de l'épouse à
Jésus-Christ.
CHAPITRE 77
Honneur et gloire à
Dieu Tout-Puissant pour toutes les choses qu’il a créées ! Louange
lui soit pour toute ses vertus ! Que le Ios lui en soit rendu et
service pour toute la charité ! Moi (1) , indigne
créature , qui , dès ma jeunesse , ai beaucoup offensé la divine
bonté , je vous rends grâces , ô mon doux Jésus ! et pour cela
singulièrement , d’autant qu’il n’y a créature si criminelle à qui
vous refusiez votre miséricorde , qui vous la demande avec charité
et vraie humilité, avec résolution de s’amender.
O mon très cher Jésus et le plus clément de tous ! ce que vous
m’avez fait est admirable devant les yeux de tous , car quand il
vous plaît , vous assoupissez mon corps , non pas toute fois avec un
sommeil corporel , mais par une paix spirituelle . Or , vous
m’excitez comme quasi du sommeil , pour voir , ouïr et sentir
spirituellement . O Seigneur Dieu ! oh ! que douces sont vos paroles
à ma bouche ! Il me semble que toutes fois et quand est que
j’entends les paroles de votre Esprit , mon âme les engloutit en
elle-même avec quelque sentiment ineffable de votre douceur signalée
, comme une viande très douce qui semble tomber dans le cœur de mon
corps avec une grande joie et une ineffable consolation . Néanmoins
, cela me semble admirable que , quand j’entends vos paroles , je
demeure rassasiée et affamée : je suis rassasiée , d’autant qu’alors
rien ne me satisfait , si ce n’est vos paroles ; affamée , parce que
mon appétit augment toujours.
Béni soyez-vous donc , ô Jésus-Christ , mon Dieu ! Donnez-moi , je
vous supplie , le secours que je vous demande , afin que tous les
jours de ma vie , je puisse faire ce qui vous est agréable.
Or , Notre-Seigneur répondit , disant : Je suis sans commencement et
sans fin . Toutes choses sont créées de ma main toute-puissante , et
disposées et réglées par mon inscrutable sapience ; mon jugement
régit toutes choses , et rien ne met impossible . Et de fait ,
toutes mes œuvres sont disposées avec charité . Et partant , ce cœur
est trop dur , qui ne veut m’aimez ni me craindre , puisque je suis
nourricier de toutes choses et Juge . Or , le diable , qui est mon
bourreau , est traité des hommes et servi , et on accomplit ses
volontés . Enfin , ce diable a donné à boire au monde un venin si
pestiféré et mortifère , que l’âme qui le goûte avec délectation ne
saurait vivre , mais morte à la grâce , elle tombe misérablement
dans l’enfer , pour vivre d’une mort animée de misères éternelles .
Ce venin est le péché , qui , bien qu’il soit goûté de plusieurs au
commencement, à la fin néanmoins est horriblement amer.
Certainement , ce venin est bu et reçu de la main du diable à toute
heure avec délectation , qui engage aux malheurs : et qui a jamais
ouï telles choses , ou quoi est plus admirable , voire étonnant ? La
vie est présentée aux hommes , et ils choisissent misérablement la
mort et embrassent volontairement les supplices éternels.
Mais moi (Jésus-Christ) , qui suis puissant sur toutes choses , je
compatis à leurs misères et à leurs pressantes angoisses . J’ai fait
comme un roi riche et charitable qui , envoyant à ses plus familiers
serviteurs le vin le plus précieux , leur dirait : Buvez et
donnez-en à boire à plusieurs , car il est très salutaire : il rend
la santé aux malades , aux triste la consolation , et donne un cœur
généreux aux hommes sains . On n’envoie point aussi le vin sans vase
. Véritablement , j’en ai fait de même en ce royaume , car j’ai
envoyé à mes serviteurs mes paroles , qui sont comparées au vin le
plus précieux , et eux le donneront aux autres , d’autant qu’elles
sont très bonnes et salutaires. Par le vase , j’entends vous-même ,
qui écoutez mes paroles , car vous avez fait l’un et l’autre ; car
vous avez écouté et prêché mes paroles, attendu que vous êtes mon
propre vase. Je le remplirai aussi quand je le voudrai, et j’y
puiserai quand il me plaira . Et partant , mon Esprit vous montrera
où vous devez aller , ce que vous devez dire . Et ne craigniez
personne , si ce n’est moi ; mais vous devez aller avec joie là où
je voudrai , et dire sans crainte ce que je vous enverrai dire , car
rien ne me peut résister , et je veux demeurer avec vous.
L’épouse parlait après : Moi , qui est entendu cette voix , je
répondis en ces termes avec larmes : O Seigneur , mon Dieu , je suis
en votre puissance comme un petit ver. Je vous prie de me donner
licence de vous répondre.
Or , la voix répondit , disant : J’ai connu votre épouse avant que
vous l’ayez conçue . En vérité , je vous donne néanmoins licence de
parler.
Lors l’épouse dit : Je vous le demande , ô Roi de gloire ! vous qui
versez en nous la sapience , et qui opérez en nous toutes les vertus
, vous êtes la vertu même , pourquoi me voulez-vous choisir pour un
tel office et charge , moi qui ai consommé mon corps en péchés , qui
suis , touchant la sagesse , semblable à l’âme débile et lâche pour
l’exercice de toute sorte de vertus ? Ne vous courroucez pas , à
raison de cela , contre moi , qui vous ai interrogé de la sorte ,
car il ne faut en rien se défier de vous, car vous pouvez faire tout
ce que vous voulez de moi . Je m’étonne grandement , d’autant que je
vous ai grandement offensé , et me suis amendée.
La voix répondit , disant : Certainement , je vous réponds par
similitude : Si on présentait à un roi riche et puissant diverses
monnaies , lesquelles le roi ferait fondre après et en ferait ce que
bon lui semblerait , comme , par exemple , couronnes , anneaux , de
la monnaie d’or , des vases à boire , de la monnaie d’argent , des
chaudrons et des poêles , de la monnaie de cuivre et que le roi se
servît de toutes ces choses pour son honneur et sa commodité ;
puisque vous ne vous étonneriez pas qu’il en usât de la sorte , il
ne faut donc pas que vous vous étonniez que je reçoive les cœurs de
mes amis , quand ils me sont franchement offert par eux-mêmes ,
faisant d’eux tout ce que bon me semble ; et bien que quelques-uns
aient un plus grand sens , d’autres un sens moindre , néanmoins ,
quand il me présentent leur cœur , lors je me sers des uns pour une
chose , des autre pour une autre , de tous néanmoins pour mon
honneur et pour ma gloire , car le cœur du juste est une monnaie qui
me plaît grandement ; et partant , je puis disposer des choses qui
sont à moi comme je veux ; et puisque vous êtes à moi , vous ne
devez vous étonner des choses que je veux faire avec vous , mais
soyez constante et ferme pour soutenir , et volontaire pour faire
tout ce que je vous commanderai , car je suis puissant en tous lieux
pour vous donner tout ce qui vous est nécessaire.
Paroles qui ont été divinement révélées à l’épouse sainte Brigitte ,
voire déclarées et envoyées à elle par la bouche très douce de la
glorieuse Vierge Marie.
CHAPITRE 78
J’ai , veuve , signifié
à votre honorable paternité quelque choses qui ont été révélées ,
quelques choses grandement prodigieuses , lorsque cette personne
était en son pays , choses qui ont été examinées diligemment et
approuvées par des évêques , par des prêtres séculiers et par des
moines , qui tous ont dit avoir procédé d’une pensée et merveilleuse
influence du Saint-Esprit , ce que le roi et la reine de ce pays-là
ont aussi connu par des raisons très probables.
La même femme veuve , étant assez incommodément à la ville de Rome ,
un jour en l’Eglise de sainte Marie-Majeure , occupée en oraison ,
fut ravie en une vision spirituelle , son corps étant comme malade
et appesanti , non pas toutefois qu’elle fût plongée dans le
sommeil.
En cette heure-là lui apparut quelque très révérende vierge . Mais
cette femme , étant troublée de l’admiration de la vision ,
connaissant sa fragilité , craignait la déception de Satan , c’est
pourquoi elle suppliait intimement la divine piété q’elle ne permît
point qu’elle tombât dans les tourments du diable . La Vierge donc
qui lui apparaissait , lui dit : Ne craignez point ce que vous voyez
, et oyez maintenant , pensant que cela soit du malin esprit ; car
comme de l’approche du soleil deux choses nous arrivent , savoir ,
la lumière et la chaleur qui ne suivent jamais , mais chassent les
ombres épaisses , de même quand le Saint-Esprit est en une âme ,
deux choses arrivent en son cœur , savoir , l’ardeur de la divine
charité et la parfaite lumière de la foi catholique . Or , vous
sentez ces deux choses en vous , de sorte que vous n’aimez rien tant
que Dieu , et il ne vous manque pas un seul point de l’intégrité de
la foi . Mais le malin esprit qui est comparé aux ombres épaisses et
palpables , ne suit pas ses deux choses.
Après , la même vierge ajouta , disant à la même femme : Vous devez
envoyer de ma part mes paroles à un tel prélat.
La femme lui répondit avec un grand regret au cœur , disant : O ma
révérende vierge , il ne me croira pas , mais , comme je pense , il
aura mes paroles à risée plutôt que de les estimer être de la divine
vérité.
La Vierge répondit , disant : Quoique je connaisse fort bien la
disposition de son cœur et la réponse qu’il fera , et la fin de sa
vie , néanmoins vous lui devez envoyer mes paroles.
Certainement , Je lui fais connaître que , du côté droit de l’Eglise
, le fondement est grandement ruiné , de sorte que la voûte menace
de si grandes ruines périlleuses que plusieurs y perdront leur vie .
La plus grande partie des colonnes qui tendaient en haut, sont
maintenant toutes courbées en bas jusqu’à terre , et tout le pavé
est tellement fossoyé que les aveugles qui y entrent tombent avec
grand danger ; voire même cela arrive souvent à ceux qui voient
clair , à raison des fosses dudit pavé ; et pour toutes ces choses,
l’Eglise de Dieu est en de grand dangers . Et que doit-il résulter
de là ? Soudain on le verra , car certainement , elle souffrira une
ruine totale , si on ne la répare ; et sa ruine sera si grande
qu’elle sera ouï par toute la chrétienté , et ces choses doivent
être entendues spirituellement.
Quand à moi , je suis cette Vierge au ventre de laquelle le Fils de
Dieu a daigné venir avec la Déité et le Saint-Esprit , sans aucune
mauvaise délectation corporelle . Et celui qui est Fils de Dieu
éternel est né de mon ventre sans rupture , avec la Déité de
l’humanité , et le Saint-Esprit avec une grande consolation et sans
peine.
J’ai aussi demeuré auprès de la croix , quand lui surmontait l’enfer
avec la vraie patience , et ouvrait le ciel avec le sang de son cœur
. Véritablement j’étais en la montagne , quand le même Fils de Dieu,
qui en vérité est mon Fils , montait au ciel. Enfin , j’ai connu
clairement toute la foi catholique , laquelle il a enseignée en
évangélisant tous ceux qui veulent entrer dans le ciel.
Je demeure donc au monde avec mon oraison assidue envers mon très
cher Fils , comme l’arc sur les nuées du ciel , qui semble
s’abaisser jusques à la terre et la toucher de ses deux bouts .
Partant , j’entends moi-même ; et de fait , je m’abaisse aux
habitants de l’univers , savoir , en les touchant des deux bouts de
mon oraison , savoir , les bons et les mauvais . Je m’abaisse aux
bons , afin qu’ils soient constants et fermés en tout ce que la
Sainte Mère l’Eglise commande , et aux mauvais , afin qu’ils
n’avancent en leur malice et ne se rendent pires.
Je signifie donc à ceux auxquels j’envoie mes paroles , que d’une
partie de la terre sortent des nuées très horribles contre l’éclat
de la beauté de l’arc , par lesquelles j’entends les hommes
incontinents et les insatiables richesses , comme la mer des
ruisseaux , qui donnent aussi les biens prodigalement et
irraisonnablement pour la pompe mondaine et pour la vanité , comme
un torrent épand son eau en son impétuosité.
Les pourvoyeurs de la sainte Mère l’Eglise exercent d’ordinaire ces
trois horribles forfaits , dont les péchés abominables montent au
ciel , et s’élèvent de la terre devant Dieu comme des nuées pour
noircir et offusquer l’éclat signalé et la beauté nom pareille de
mon arc ; et de la sorte , ceux qui devaient avec moi apaiser Dieu ,
provoquent misérablement sur leur tête l’ire et l’indignation d’un
Dieu tout-puissant , et telle sorte de gens ne devraient pas être
rehaussés et loués dans l’Eglise ,mais bien être déprimés.
Que quiconque donc voudra avoir soin que les fondements de l’Eglise
demeurent fermes et stables , et que le pavé demeurent plein et égal
par un bon et nouvel établissement , désire ardemment de renouveler
cette bienheureuse vigne que Jésus a plantée et arrosée de son sang
. Que s’il se croit pour cela insuffisant et incapable , moi , Reine
du ciel , avec toutes les troupes des anges , viendrai à son aide et
secours , arrachant les racines fabuleuses , coupant les arbres
infructueux pour les brûler , et plantant en leur lieux des arbres
fructueux . Par la vigne , j’entends notre Mère la sainte Eglise ,
en laquelle il faudrait renouveler dans les cœurs de ses enfants
l’humilité et la charité.
Cette vierge glorieuse qui apparut à cette femme , a commandé de
vous envoyer ceci par écrit , d’où votre révérende paternité pourra
connaître que moi , qui envoie la présente lettre , jure par le vrai
Jésus et le Dieu tout-puissant , et par sa très digne Mère Marie ,
voulant qu’ils m’aident de la sorte au corps et à l’âme , comme je
n’ai envoyé cette lettre pour quelque honneur du monde , pour
quelque cupidité , ou pour quelque faveur mondaine . Mais entre
autres choses qui ont été dites à la même femme en cette révélation
spirituelle , toutes les choses qui sont écrites en ce papier , on
m’a commandé de les envoyer à votre dignité.
Ici est un poème notable dans lequel sont contenus plusieurs bons
avis qui ont été révélés à la même épouse sainte Brigitte , sur une
information qui est contenue dans le chapitre précédent.
CHAPITRE 79
Louange , honneur et
gloire soient à Dieu tout-puissant pour toute ses œuvres admirables
! Que soit aussi honneur éternel à celui qui a commencé de vous
donner la grâce ! Nous voyons que , quand la surface de la terre est
couverte de neige et de froid ,il est certain que les semences qui
ont été semées ne peuvent germer qu’en quelques lieux où le soleil
darde ses rayons et les échauffe , lesquels lieux aussi , par le
bienfait du même soleil , naissent les feuilles et les herbes , et
on voit éclore des fleurs , lesquelles on peut voir et connaître de
quelle espèce et de quelle vertu elles sont.
En vérité , tout le monde me semble être saisi et couvert du froid
de la superbe insupportable , de la cupidité insatiable et de la
brutale volupté .Hélas ! qu’il y en a peu dont on puisse connaître ,
par leurs paroles et œuvres que la parfaite charité de Dieu demeure
dans leurs cœurs ! d’où il faut savoir que , comme les amis de
Lazare se sont réjouis de le voir ressuscité pour la gloire de Dieu
, de même maintenant les amis de Dieu peuvent se réjouir de voir
ressusciter quelques-uns de ces trois vices , qui sont vraiment une
mort éternelle.
D’ailleurs , il faut remarquer que, comme le Lazare , étant
ressuscité, après sa résurrection , en acquit une double haine ( car
il avait quelques ennemis corporels, qui étaient aussi ennemis de
Dieu, et ceux-là haïssaient corporellement le Lazare , il avait
aussi quelques ennemis spirituels, savoir, les démons, qui ne
désirent jamais être amis de Dieu , et ceux-là le haïssaient
spirituellement), de même maintenant, quiconque ressusciterait des
vices et péchés mortels, voulant garder la chasteté, fuir l’orgueil
et les ambitions, tombé en la double haine du diable et des hommes,
car les hommes qui sont ennemis de Dieu , leur désirent nuire
corporellement.
Et le diable désire aussi les damner par deux manières : il
s’efforce de leur nuire spirituellement , car en premier lieu , les
hommes du monde les blâment et les vitupèrent par des paroles
médisantes et venimeuses ; en second lieu , ils les molestent , les
fâchent et les inquiètent en leurs œuvres , afin qu’ils les rendent
semblables à eux , tant en leur vie qu’en leurs œuvres , les
arrachant des bonnes entreprises et résolutions . Mais l’homme de
Dieu nouvellement converti à la vie spirituelle , peut fort bien
vaincre telle sorte de gens malins , si , contre leurs paroles
vaines , il s’arme de patience , et si lors , en leur présence , il
s’exerce ès œuvres spirituelles et divines avec plus de ferveur et
d’assiduité.
Les démons infernaux s’efforcent aussi de les décevoir par deux
autres différentes manières : ils désirent impatiemment de faire
rechuter l’homme qui est converti de nouveau . Que s’ils ne peuvent
, lors la malice des démons , qui n’aura jamais d’égale , le
sollicité encore et le tente , afin qu’il fasse ses œuvres
spirituelles irraisonnablement et sans discrétion , savoir est , en
veilles excessives , en abstinences indiscrètes , afin que ,de la
sorte , ses forces soient bientôt épuisées , et qu’il soit infirme
pour le reste du temps à faire les œuvres spirituelles.
Contre le premier il y a un très bon remède , savoir , la fréquente
et pure confession de ses péchés et une grande et intime contrition.
Contre le deuxième , le meilleur remède est l’humilité basse et
profonde , qui le porte à plutôt obéir et à se soumettre à quelque
personne ancienne , spirituelle , que se gouverner soi-même ès
choses spirituelles et ès pénitences qu’il fait . En vérité , cette
médecine est grandement utile , de sorte que , bien que celui qui la
conseillerait fût plus indigne que celui qui se conseille , il
faudrait néanmoins espérer certainement que la divine Sapience
coopérera , par son secours , à ce que celui qui donne le conseille
ne se trompe , mais lui conseille tout ce qui est utile . Tous deux
ont la volonté de chercher en tout l’honneur et la gloire de Dieu.
Or , maintenant , ô mon bien-aimé ! d’autant que tous deux nous
sommes sortis des péchés , prions Dieu tout-puissant qu’il nous
donne son aide et son secours , à moi en disant , et à vous en
obéissant.
Et nous devons d’autant plus prier et remercier Dieu de ce qu’il a
permis que vous , qui êtes riche , sage et noble , ayez daigné
prendre conseil de moi , indigne , inconnue et peu intelligente . Et
de fait, j’espère que Dieu regardera bénignement votre humilité et
vous donnera la grâce de faire tout ce qui sera utile , et dont je
vous écris pour son honneur et gloire.
Instruction révélée à son épouse grandement discrète . Elle est fort
utile pour un prêtre , contenant la manière de bien vivre , tant
spirituellement que corporellement.
CHAPITRE 80
En premier lieu , je
vous conseille de demeurer en votre logis , auprès de votre Eglise
de Sainte-Marie , Vierge ; d’avoir seulement un seul serviteur ; de
rendre à vos créditeurs tout ce qui sera superflu , les dépenses
nécessaires en étant déduites , satisfaisant entièrement à vos
dettes ; car il n’est pas raisonnable ni licite de donner beaucoup
d’argent aux pauvres , moins aux amis qui sont riches et parents ,
qu’on n’ait entièrement payé et baillé tout ce qui sera par-dessus
la dépense de vous et votre serviteur ; et ayant payé , vous pourrez
donner le superflu aux pauvres , à l’honneur et à la gloire de Dieu.
Ayez votre habit de prêtre honnête et édificatif , étant diligemment
attentif , et prenant soigneusement garde quand la qualité de
l’étoffe ni en la forme de l’habit , il n’y ait quelque pompe ou
vanité , mais qu’on y remarque la seul et honnête nécessité ,
utilité et décence corporelle . Soyez content de deux vêtements
égaux , un pour les jours de fête , l’autre pour les jours
ordinaires . N’ayez que deux paires de chausses ou chaussures et
souliers ; tout ce qui sera par-dessus , changez-le en autre usages
ou à payer des dettes . Laissez les vêtements de linge , tant la
nuit que le jour , pour toute cette année.
Ayez votre Eglise de Sainte-Marie toute cette année pour église
claustrale , pour trois choses : 1° afin que , si vous y êtes jamais
entré , enflé de superbe , vous y demeuriez à l’avenir en l’honneur
de la Vierge Marie , très-humble , et ce , par la vertu de
l’obéissance . Et si , par aventure , vous avez retiré les chanoines
et bénéficies de cette église du service de Dieu par vos paroles
déshonnêtes ,et les avez alléchés à la concupiscences mauvaise
,efforcez-vous maintenant ,par le secours de Dieu ,par les paroles
spirituelles et divines , de retirer quelqu’un des concupiscences
pernicieuses , aux délectation du divin amour . Et si peut-être ,
par vos mauvaises mœurs , vous avez donné mauvais exemple à
quelqu’un , tâcher maintenant , en aimant , par vos bonnes œuvres et
honnêtes mœurs , de donner à ces âmes , qui ont vu votre désordre ,
un bon et profitable exemple.
Après , ô mon ami bien-aimé ! vous devez ranger le temps du jour et
de la nuit pour la louange de Dieu , car j’ai prit garde que vous
clochez souvent à des heures ordonnées . Et partant , je vous
conseille , soudain que vous les ouïrez la nuit , de sortir du lit ,
et avec cinq génuflexions , autant de Pater noster et Ave Maria , de
vous souvenir des cinq plaies de Notre-Seigneur Jésus-Christ , et
des douleurs de sa très digne Mère.
Après cela , commencez matines de la Sainte Vierge , et dites les
autres prières que vous avez accoutumées , jusqu’à ce que les
chanoines viennent au chœur pour psalmodier . Il est meilleur que
vous veniez à l’Eglise avec les premiers qu’avec les derniers.
Vous devez donc chanter matines dévotement et honnêtement ,
demeurant tantôt debout , tantôt assis , comme il sera plus décent .
Mais vous ne devez parler à pas un , si ce n’est qu’on vous
interroge , et lors même , vous devez répondre avec peu de paroles ,
non hautes , sans donner aucun signe qu’elles vous fâchent et
qu’elles vous impatientent , si faire se peut , car vous vous
comporteriez fort modestement et honnêtement , si vous étiez devant
quelque grand seigneur temporel et terrestre ; c’est pourquoi vous
vous devez mieux comporter avec toute sorte d’honnêteté , modestie ,
humilité et révérence intérieure et extérieure , en la présence et
au service du Roi éternel des cieux , qui est toujours et en tous
lieux présent et voyant tout.
Et si , par aventure , vous êtes contraint , par nécessité et pour
de grandes choses qui touchent à un autre , de parler emmi vos
heures , sortez du chœur , et dites-en ce qui vous en semble en peu
de paroles , sans crier ni parler trop haut , retournant sans délai
à votre chœur ; et si vous pouvez le différer , différez-le en autre
temps , afin que le culte divin ou l’honneur de Dieu ne soit diminué
ou empêché.
Donnez-vous garde aussi de n’aller par l’Eglise, en vous y promenant
quand on chante les heures, car cela marque un esprit vague,
inconstant, tiède, de peu d’amour et de dévotion. Or , priez Dieu
entre les intervalles des heures ; priez, ou lisez des choses utiles
à votre âme et profitables à celle d’autrui, gardant et observant
ceci incessamment, que de l’heure que vous vous levez de votre lit
pour aller à matines, vous ne vous employiez et plongiez librement
dans les affaires , si ce n’est à votre chant , lecture oraison ou
étude, jusques à ce que la grande messe soit dite , si ce n’est
qu’en votre chapitre , il fallût traiter entre vous de quelques
affaires concernant les affaires de l’Eglise, ou pour établir un
meilleur ordre ou état entre vous: La grande messe étant célébrée ,
il est convenable de parler des utilités corporelles, des commodités
et des honnêtes et vertueuses complexions.
Or , quand vous vous mettez à table , que les bénédictions de table
soient lues , et soit que vous soyez hôte d’un autre , soit que vous
soyez logé chez autrui , commencez , en mangeant par parler de Dieu
, ou bien de sa très digne Mère , ou bien de quelque saint , pour
l’édification et utilité des conviés , voire des serviteurs de table
, ou moins quelque peu , ou bien interrogez les autres sur Dieu ,
sur sa Mère ou sur quelque saint . Et lorsque vous serez seul à
table avec le serviteur , faites-en de même , et ayez la lecture que
les frères ont en leur monastère . Mais ayant pris votre réfection ,
ayant rendu grâces à Dieu et à vos bienfaiteurs ; parlez de vos
affaires avec quelques personnes honnêtes telles qu’il vous plaira
l’espace d’une heure , et après , entrez soudain en votre cabinet ,
et ayant fléchi les genoux cinq fois , dites cinq fois le Pater et
autant de fois l’Ave Maria , pour l’amour des plaies de
Notre-Seigneur Jésus-Christ et pour les douleurs de la Sainte Vierge
Marie.
Cela étant fait , employez la moitié du temps , jusque à vêpres , à
l’étude , à lire et à vous reposer un peu , si ce n’est que vous
fussiez employé à quelque affaire qui touchât vos amis . L’autre
moitié du temps , vous l’emploierez pour récréer le corps , afin que
vous soyez plus fort aux louanges divines.
Quand on sonnera les vêpres , allez et entrez soudain dans l’église
pour chanter dans le chœur , et comportez-vous-y en même manière que
nous avons dite ci-dessus . Et ayant dit complies , dites tous les
jours pour les morts les vigiles à trois leçons , et ce , avant
souper . Mais ayant soupé , exercez-vous comme nous avons dit au
dîner ; après avoir dit grâces , allez vous promener , disant des
paroles utiles et de consolation jusqu'à votre coucher.
Lors aussi , avant de vous mettre au lit , mettez-vous devant le lit
, et là , dites dévotement cinq fois le Pater et l’Ave Maria pour
l’amour de la passion de Jésus-Christ , et après , entrez en votre
lit et donnez à votre corps tout autant de sommeil et de repos qu’il
en faut pour qu’il ne vous faille dormir , à raison de la brièveté
du sommeil , quand il faut veiller et chanter.
Tous les vendredis , dites les sept psaumes avec les litanies , et
donnez aussi en ces jours cinq deniers à cinq pauvres , pour la
révérence des cinq plaies de Notre-Seigneur . Partant , ô mon frère
et ami très cher ! je vous conseille de garder la souscrite
abstinence toute cette année-ci , en satisfaction de vos péchés . 1°
Jeûnez tout le carême , ne faisant qu’une réfection de poisson , et
le semblable en l’avent , toutes les vigiles de Notre-Dame au pain
et à l’eau, et en poisson les vigiles des apôtres . Tous les
mercredis , mangez du fromage , des œufs et du poisson ; tous les
vendredis , en pain et vin seulement , et s’il vous agrée plus avec
de l’eau seule et du pain , je vous le conseille ; tous les samedis
en poisson et huile et un repas seulement . Mais les dimanches ,
lundis , mardis et jeudis , vous mangerez de la viande deux fois par
jour , pourvu que l’Eglise ne vous commande de jeûner.
Remarquez , ô mon frère bien-aimé ! que je vous ai voulu écrire et
conseiller ces choses pour trois raisons : 1° afin que l’envie de
Satan et son astuce ne vous attirassent à ce que soudain vous vous
consommiez , et que vos sens et vos forces étant bientôt épuisées,
défaillant, vous serviez Dieu tout le reste de votre vie moins qu’il
ne faut . En second lieu , que si les mondains remarquent en vous,
en vos sens et vos forces, quelque défaut, ou voient que vous vous
rendiez lâche en vos entreprises et résolutions , ils vous auront à
horreur , et craindront de s’occuper des œuvres divines.
En troisième lieu, d’autant que j’espère qu’en vous assujettissant
plutôt au conseil d’autrui qu’au vôtre , et ne vous gouvernant par
votre jugement, vous plairez plus à Dieu.
Réponse de la Sainte Vierge à l’épouse touchant trois hommes , pour
lesquels l’épouse intercédait auprès de Dieu . Quelles sont les
larmes méritoires , et quelles non . Manière dont l’amour de Dieu
s’augmente par la méditation de l’humilité de Jésus-Christ . Comment
la crainte non filiale ici commençant est bonne.
CHAPITRE 81
Cet homme-là est comme
un sac plein d’arêtes ,duquel , si on en ôtait une , dix y seraient
remises . Oui , vraiment , tel est celui pour lequel vous me priez ,
dit la Sainte Vierge Marie , attendu qu’il laisse un péché pour la
crainte de Dieu , et en commet dix pour l’honneur du monde . Quand à
l’autre homme pour lequel vous me priez , je vous dis que la coutume
n’est pas de donner de bonnes sauces à chair pourrie et puante .
Vous demandez que des tribulations lui soient données pour l’utilité
de son âme, mais sa volonté est contraire à votre demande , car il
désire ardemment les honneurs du monde , et souhaite plus les
richesses périssables que la pauvreté , et son cœur est confit en
volupté , à raison de quoi son âmes est pourrie et puante devant moi
; et partant , les sauces précieuses , c’est-à-dire , les
tribulations de la justice , ne doivent pas lui être appliquées.
Quant au troisième, dans les yeux duquel vous voyez flotter les
larmes, je vous dis que vous voyez le corps , et moi je sonde le
cœur; car comme vous voyez que quelquefois une nuée ténébreuse
s’élève de la terre et monte jusques au ciel, obscurcissant le
soleil, et que cette nuée produit la pluie, la neige largement, et
la grêle, et après, la nuée se dissipe et se perd , d’autant qu’elle
avait pris connaissance des immondices de la terre, de même tout
homme est comparé à cette nuée, quand il se nourrit dans le péché et
se plonge dans les infâmes et abominables voluptés jusques à sa
vieillesse. Mais la vieillesse arrivant, il commence à craindre la
mort, et pense au danger qui le menace ; mais néanmoins , le péché
demeure par délectation dans son esprit.
Donc, comme ces nuées tirent les immondices de la terre jusques au
ciel, de même la conscience de cet homme se tire des immondices
corrompues et puantes du corps et des péchés abominables, et elle
donne trois sortes de larmes. Les premières larmes sont comparées
aux eaux, qui sont pour les choses charnellement, qui l’aime comme
par exemple, il pleure quand il perd ses amis, ou les biens
temporels, qui ne servaient point pour son salut ; lors il se dépite
et se chagrine contre l’ordre des disposition divines, et lors il
jette de grands ruisseaux de larmes , avec une grande indiscrétion.
Les secondes larmes sont comparées à la neige, car quand l’homme
commence à penser aux périls de son corps qui s’approchent, les
peines de la mort affreuse et les misères incomparables De l’enfer,
lors il commence à pleurer, non d’amour et de charité, mais de
crainte et d’effroi. Et partant, comme la neige se fond , de même
ses larmes cessent soudain.
La troisième sorte de larmes est comparée aux nuées, car quand
l’homme pense combien douce lui est et lui était la volupté
charnelle, et que , l’ayant eue à horreur, combien de consolation
lui en resterait au ciel, il commence à débonder les larmes, se
lamentant sur sa perte et sa damnation, ne se souciant de pleurer
d’avoir déshonoré Dieu par ses détestables abominations ; ni ne
considérait pas qu’il perdait une âme qu’il avait rachetée par son
précieux sang, ne se souciant si elle verra et possèdera Dieu ou non
après la mort, ne considérant ni ne désirant que d’avoir une demeure
au ciel ou en terre , où il ne sentirait aucune peine, mais où elle
jouirait d’une volupté éternelle. C’est pourquoi telle larmes sont
fort à propos comparées aux nuées , d’autant que le cœur d’un tel
homme est trop dur, et n’a aucun sentiment ni mouvement d’amour
envers Dieu . Partant, telles larmes ne le portent pas au ciel.
Mais maintenant , je vous veux montrer les larmes qui ravissent
l’âme au ciel et qui sont semblables à la rosée, car quelquefois,
quelque vapeur sort de la douceur de la terre et monte au ciel sous
le soleil, laquelle, étant dissoute par les rayons du soleil ,
descend derechef en terre , et rend plantureux tous les fruits de la
terre , et cela est appelé par vous rosée , comme il paraît aux
feuilles des roses, lesquelles , opposées à la chaleur , donnent de
l’humidité, et puis, l’humeur descend. De même en est-il de l’homme
spirituel.
En vérité, tous ceux qui considèrent la terre bénie, qui est le
corps de Notre-Seigneur , et les paroles que Jésus-Christ, Fils de
l’Eternel , prononçait de sa bouche propre , quelles grâces il a
faites au monde, et quelle peine dure et amère il a soufferte, mû à
cela par les ardeurs des divines amours dont il brûlait pour les
âmes, lors l’amour qu’il a envers Dieu monte au cerveau, qui est
comparé au ciel ; son cœur aussi , qui est comparé au soleil , se
remplit des divines amours ; ses yeux s’abîment dans les larmes,
pleurant d’avoir offensé un Dieu infiniment bon, qui n’aura jamais
d’égal en clémence , désirant maintenant plutôt d’endurer toute
sorte de supplices pour l’honneur de Dieu , que de jouir de tous les
autres plaisirs et être séparer de Dieu. C’est pourquoi ces bonnes
larmes sont comparées à la rosée qui tombe des cieux, d’autant
qu’elles donnent la vertu de faire des bonnes œuvres fructueuses
devant Dieu, et que , comme les fleurs écloses et croissantes
attirent à elles la rosée qui tombe, et que la rosée est enclose en
la fleur, de même les larmes.
Qui sont épanchées par les feux de la divine charité , enferment
Dieu en l’âme d’une manière du tout signalée , et Dieu , d’un
pouvoir amoureux , attire et ravit l’âme à soi : néanmoins , il est
bon de craindre à raison de deux choses : 1° d’autant que
l’abondance des œuvres faites avec crainte peut être si grande en
quantité qu’elles attirent après quelque scintille de grâce au cœur
pour obtenir la charité. Vous le pourrez comprendre par similitude.
Par exemple : il y avait un orfèvre qui mettait quantité d’or sur
les balances , auquel le charbonnier vint, lui disant : Monsieur,
j’ai du charbon pour l’usage de vos œuvres ; donnez-moi ce qu’il
vaut.
Il lui répondit : Le charbon est taxé en sa valeur.
Et lui ayant donné de l’or pour son paiement, l’orfèvre disposa les
charbons selon la règle de son art, et l’or pour son entretien.
De même en est-il des choses spirituelles , car les œuvres faites
sans charité sont semblables aux charbon , et la charité à l’or.
Partant, celui qui fait ses bonnes œuvres, par l’esprit de crainte ,
ayant néanmoins le désir d’acquérir le salut de son âme avec ses
œuvres , cet homme-ci , bien qu’il ne souhaite voir Dieu au ciel ,
mais craint seulement de loger en enfer, a néanmoins de bonne
œuvres, mais froides, et qui apparaissent devant Dieu comme des
charbons. Mais Dieu est comparé à un orfèvre, qui sait en la justice
spirituelle par quelles manières il faut récompenser les œuvres, ou
par quelle justice divine la charité divine est acquise ; Il
l’ordonne ainsi de la sorte dans les arrêts et décrets de sa
providence divine, que l’homme ait la charité pour les bonnes œuvres
faites avec crainte, laquelle l’homme dispose pour le salut de son
âme.
Comme donc l’orfèvre , plein d’amour et de charité , se sert de
charbons pour son ouvrage, de même Notre-Seigneur Jésus-Christ use
des œuvres froides pour son honneur et sa gloire.
Le deuxième : il est bon de craindre , d’autant que tout autant de
péchés que l’homme laisse pour la crainte, il sera délivré et
affranchi d'autant de peines du péché dans l'enfer ; néanmoins,
d'autant qu'il n'a pas eu de la charité, il n'a pas aussi de la
justice pour monter au ciel, car sa volonté est telle que, s'il
pouvait, il voudrait vivre éternellement en ce monde.
Hélas, au cœur de celui-la la charité n'y est point, et les faits de
Notre-Seigneur et Rédempteur sont quasi aveugles devant lui;
partant, il pèche mortellement et sera jugé et condamné à l'enfer.
Néanmoins, n'est pas tenu de brûler dans l'enfer, mais d'être assis
et plongés dans les ténèbres épaisses, celui qui a cessé de pécher à
raison des peines et supplices, mais il ne ressentira pas les joies
indicibles du ciel, d'autant qu'il ne les a pas désirées pendant le
cours de sa vie; c'est pourquoi il sera assis comme un aveugle et
muet comme un homme qui n'a ni pieds ni jambes, car son âme comprend
les peines de l'enfer, et bien peu les joies indicibles du ciel.
DECLARATION
Cette déclaration est de trois chevaliers: le premier fut de Scania,
duquel a été faite une telle révélation. Sainte Brigitte vit cette
âme comme revêtue d'écarlate deux fois teinte, mais parsemée un peu
de noir comme de petites gouttes; et l'ayant vue soudain, elle
sortit de sa présence. Trois jours après, elle vit la même âme toute
rouge mais reluisante en pierreries et perles enlacées en or. Tandis
qu'elle admirait cela, l"Esprit de Dieu lui dit : Cette âme a été
occupée aux soins du monde; mais ayant une vraie foi, elle est venue
gagner les indulgences à Rome, à intention d'obtenir la charité, la
divine dilection et la volonté ferme de ne pécher à l'avenir à
escient.
L'âme que vous avez vu revêtue d'écarlate, signifie qu'avant la mort
du corps, elle a obtenu la divine dilection, bien qu'imparfaite.
Quant à ce que vous l'avez vue parsemée de gouttes noires, cela
signifie qu'elle avait quelques mouvements et ressentiments d'amour
charnel envers ses parents, et de retourner en son pays; néanmoins
elle résigna sa volonté a la mienne, c'est pourquoi elle a mérité
d'être purifiée et d'être disposée à des choses sublimes. Quant à ce
que vous l'avez vue entre les pierres éclatantes en couleur rouge,
cela signifie que pour la bonne volonté et par l'effet des
indulgences , il s'approchait de la couronne tant désirée.
Voyez donc ma fille, et considérez quels biens apportent les
indulgences de cette ville aux hommes qui viennent ici avec
l'intention sainte de les gagner; car si on donnait à quelqu'un
mille milliers d'années, comme elle sont données à raison de la foi
et dévotion de ceux qui y viennent, la proportion et le poids ne
seraient pas encore digne d'obtenir la divine charité sans la grâce
divine, laquelle charité est vraiment donnée et méritée à raison de
ces indulgences que mes saints ont méritées par leur sang.
Le Fils de Dieu parle en la même révélation de deux chevaliers qui
ont été de Mallande. Que vous a dit ce babillard plein de vanité, ce
souffle du vent ? N'est-ce pas que plusieurs doutent de mon suaire,
s'il est vrai ou non? Mettez-lui constamment quatre choses que je
vous dis : 1° que plusieurs thésaurisent et ne savent pour qui; 2°
que celui qui n'expédie et n'exploite le talent que Dieu lui a
commis avec joie et plaisir, et le retient au contraire inutilement,
tombe dans les jugements effroyables de Dieu Tout-Puissant ;
3° que celui qui aime plus la terre et le sang que Dieu, ne sera
point en la compagnie de ceux qui ont faim et soif de la justice; 4°
que celui qui n'exauce point ceux qui crient a lui, criera lui-meme
et ne sera point exaucé.
Quant à mon suaire, qu'il sache que, comme la sueur de mon sang
coula de mon corps, lorsque je m'approchais de ma passion très amère
et quand je priais mon Père, de même cette sueur coula de ma face,
pour la grandeur et qualité de celui qui priait pour la consolation
de la postérité.
Le troisième chevalier fut de Suède, duquel telle révélation a été
faite. Le Fils de Dieu parle: Il est écrit que l'homme est sauve par
la femme fidèle: de même la femme de ce soldat s'est avancée et a
conçu promptement pour délivrer son mari de la gueule de Satan, car
d'une main, elle l'a arrache des mains du diable, savoir, avec des
larmes, oraisons et œuvres de charité. De l'autre main, elle l'a
affranchi de la captivité du dragon infernal, par ses salutaires
avertissements, par son exemple et sa doctrine, de sorte qu'il
s'approche de la voie du salut.
Partant, il faut considérer trois choses qui sont écrites en la loi
vulgaire, car en elle il y a trois choses remarquables : l'une est
portée en titre au frontispice : posséder ; l'autre s'appelle vendre
; la troisième acheter . Au premier, qui est posséder, je dis: Rien
n'est justement possédé, si ce qui est justement acquis, car tout ce
qui est acquis par des inventions frauduleuses, par des occasions de
malice, par des prix inégaux, n'est pas agréable à Dieu. Au
deuxième, qui est vendre, je dis que quand quelque chose est vendue
par pauvreté et crainte, et quelquefois par violence et jugement
injuste, une conscience doit être sondée pour voir si la compassion
et la charité sont en son cœur.
Au troisième qui est acheter je dis que celui qui veut acheter
quelque chose doit sonder si la chose qui se vend est justement
acquise, et aussi ce avec quoi on l'achète . Et de fait, en la loi,
rien n'a été agréable de ce qui a été acquis par exaction injuste.
Partant, celui-ci doit sonder diligemment en son esprit et savoir
pour certain qu'il me rendra raison de toutes choses, voire de ce
que ses parents lui ont laisse, s'il dépend tout cela plus pour le
monde , et en outre, s'il l'a dépendu plus pour l'utilité
raisonnable que pou Dieu. Qu'il sache aussi qu'il me rendra raison
de sa malice , avec quelle intention il la reçoit en son cœur,
pourquoi et comment il la conserve, et en quelle manière il
accomplit le vœu qu'il m'a fait.
Notre-Seigneur Jésus-Christ, parlant a son épouse, lui dit que l'âme
dévote doit avoir, comme une épouse, la bouche plaisante, les
oreilles pures, les yeux pudiques et le cœur constant, exposant fort
bien toutes ces parties spirituellement.
CHAPITRE 82
Le Fils de Dieu
éternel, engendre de toute éternité, parle : Vous devez avoir, comme
une chère amante et épouse, les yeux pudiques et le cœur constant.
Et de la sorte, l'âme doit être disposée car la bouche signifie
l'esprit épuré, afin qu'il n'entre rien en lui, sinon ce qui me
plait.
Que sa bouche aussi, c'est-à-dire, son esprit , soit agréable et
délectable par l'odeur des bonnes et sublimes pensées, et de la
continuelles mémoire de ma passion amère. Que son esprit soit range
comme sa bouche, c'est-à-dire, fervent d'amour divin, afin qu'il
opère ce qu'il entend, car comme on ne désire point baiser la bouche
qui est pale, de même l'âme ne me plait point, si ce n'est qu'elle
soit belle et fasse de bonnes œuvres de bonne et franche volonté.
L'esprit aussi doit avoir, comme la bouche, deux lèvres,
c'est-à-dire deux affections, l'une afin de désirer ardemment les
choses du ciel, l'autre afin de mépriser les choses terrestres. Le
palais inférieur de l'âme doit être la crainte de la mort
effroyable, par laquelle l'âme est séparé du corps, et laquelle elle
doit appréhender comme un décret irrévocable. Que le palais de
dessus soit l'effroi du jugement terrible et épouvantable. Entre ces
deux, la langue de l'âme doit être mise . Or, quelle est la langue
de l'âme , si ce n'est que la fréquente considération de ma
miséricorde intime?
Considérez donc ma miséricorde, comment je vous ai créée et
rachetée, comment je vous souffre. Considérez aussi combien je suis
juge sévère, moi qui ne laisse rien impuni, et voyez combien
incertaine est l'heure de la mort. Que les yeux de l'âme soient
simples comme des colombes, qui regardent le vautour dans le courant
des eaux, c'est-à-dire, que votre pensée soit incessamment occupée
en la charité, en ma passion, et ès œuvres et paroles de mes chers
élus, lesquels vous pourrez entendre comment le diable vous pourra
décevoir, afin que vous ne vous assuriez jamais en vous ni de vous.
Que vos oreilles soient pures, et que vous n’affectiez point d’ouïr
les plaisanteries et les bouffonneries, ou ce qui émeut à rire. Que
votre cœur soit stable, afin que vous ne craigniez point la mort, et
que, gardant la foi, vous n’ayez point honte des opprobres du monde.
Ne vous troublez point des dommages corporels, mais souffrez-les
pour l’amour de moi, qui suis votre Dieu.
Notre-Seigneur Jésus-Christ parle à l’épouse, disant qu’elle le doit
aimer comme le bon serviteur aime son maître, comme un bon fils aime
son père, et comme aime son mari une femme fidèle, qui ne doit
jamais se séparer de lui. Il explique les choses susdites
spirituellement et généreusement.
CHAPITRE 83
Le Fils du Père
éternel, engendré avant le temps, parle à sainte Brigitte en ces
termes : Je vous aime comme un bon maître aime son serviteur, comme
un père chérit son fils, et comme un époux est plein de dilection
envers son épouse, car le maître dit à serviteur : Je vous donnerai
les vêtements, une nourriture convenable et un labeur modéré. Le
père dit à son fils : Tout ce que j’ai est à vous. L’époux dit à
l’épouse : Mon repos est en votre repos, et ma consolation est la
vôtre.
Que répondront donc ces trois à une si grande dilection ?
Certainement, si le serviteur est bon, il dira à son maître : Je
suis de condition servile : j’aime mieux vous servir qu’en servir un
autre. Et le fils dira à son père : D’autant que j’ai tout bien de
vous, c’est pourquoi je ne veux être séparé de vous. Mais l’épouse
dira à son époux : D’autant que je suis nourrie et sustentée par vos
infatigables travaux, que j’ai la chaleur de votre poitrine et la
douceur de vos paroles, partant, j’aime mieux mourir que me séparer
de vous.
Or, moi, qui suis votre Seigneur, je suis cet époux, et l’âme est
mon épouse, qui se doit consoler en moi, qui suis son centre et son
repos, et se réfectionner de la viande divine, qui donne la force de
vouloir plutôt mourir et souffrir toute sorte de tourments que de se
séparer de moi, car sans moi, elle n’a ni consolation ni honneur.
Mais deux choses sont requises au mariage sacré :
1- des biens d’où les mariés se puissent sustenter ;
2- un fils qui reçoive leur héritage, et que le serviteur soit pour
obéir, car comme nous lisons : Abraham se troublait, parce qu’il
n’avait pas un fils; or, l’âme a lors des biens pour se sustenter,
quand elle est pleine de vertus ; elle a aussi un fils, quand elle a
la vertu de discrétion, quand elle a raison de discerner les vertus
des vices, et quand elle discerne cela même selon Dieu ; elle a
aussi un serviteur, c’est-à-dire, l’affection charnelle, qui ne vit
point selon la concupiscence de la chair, mais comme il est
expédient et convenable au corps et selon que l’âme avance en la
perfection.
Je vous aime donc comme un époux son épouse, car mon repos est votre
repos. Partant, vous devez plus franchement souffrir toute sorte de
tribulations que me provoquer à ire et à indignation. Je vous chéris
aussi comme un père son fils, d’autant que je vous ai donné la
discrétion et la franche volonté. Je vous aime aussi comme un maître
son serviteur, à qui j’ai commandé d’avoir les choses nécessaires
avec modération, et le labeur avec tempérament. Mais ce serviteur,
c’est-à-dire, le corps, est si insensé qu’il veut plutôt servir le
diable que moi, bien que le diable ne lui donne jamais ni repos ni
relâche des sollicitudes du monde.
Notre Seigneur Jésus-Christ, parlant à l’épouse, dit qu’il y a trois
sortes d’hommes qui ont été supplantés par les femmes, l’un desquels
est comparé à l’âne couronné ; l’autre a le cœur d’un lièvre, et le
troisième est comparé au basilic. Et partant, la femme doit toujours
être sujette à son mari.
CHAPITRE 84
Le Fils de Dieu,
engendré au-delà du monde dans le sein de son Père, parle en ces
termes : On lit que trois sortes d’hommes ont été supplantés à
raison des femmes.
Le premier était un roi qu’Amasia frappa à la face, quand il ne la
contentait pas, d’autant qu’il était fol, et il ne la retenait point
ni ne se souciait de son honneur. Cet homme était semblable à l’âne
à raison de sa sottise, et à l’âne couronné à raison de sa dignité
royale.
Le deuxième fut Samson, qui, bien qu’il fût très fort, fut néanmoins
vaincu par une femme. Celui-ci eut le cœur d’un lièvre, d’autant
qu’il n’avait pu dompter une femme.
Le troisième était Salomon, qui a été comme un basilic, qui tue de
sa vue et est tué par un miroir : de même la sapience de Salomon
excédait tous ; néanmoins, la face d’une femme le tua. Partant, il
faut que la femme soit soumise à l’homme.
Jésus-Christ dit à l’épouse que, devant lui, il y a deux feuillets
d’un livre : en l’un est écrit une triple miséricorde, et en l’autre
la justice, qui l’avertit que, pendant qu’elle a le temps, elle se
convertisse à la miséricorde, de peur qu’après elle ne soit punie de
la justice.
CHAPITRE 85
Le Fils de Dieu et le
Fils de la Vierge parle à son épouse, disant : Je suis le Créateur
de toutes choses. Devant moi sont comme deux feuillets : en l’un est
écrite la miséricorde, en l’autre la justice. Partant, que celui qui
sera contrit de ses péchés propose de ne pécher désormais. Ma
miséricorde dit à celui-là que mon Esprit l’allumera et le poussera
à faire de bonnes œuvres. Quiconque donc voudra franchement se
délivrer les vanités de ce monde, mon Esprit le rendra plus fervent
; mais celui qui est même préparé et disposé à mourir pour moi, mon
Esprit l’embrasera tellement des feux de mon amour qu’il sera tout à
moi et que je serai tout en lui.
En l’autre feuillet est écrite la justice, qui dit : Quiconque ne
s’amende quand il en a le temps, et s’éloigne sciemment de Dieu, le
Père éternel ne défendra pas celui-là, ni le Fils ne lui sera
propice, ni le Saint-Esprit ne l’embrassera pas des feux de son
divin amour. Partant, pendant qu’il en est temps, considérez
mûrement le feuillet de la miséricorde divine, car quiconque sera
sauvé, sera purifié, ou par l’eau, ou par le feu, c’est-à-dire, par
quelque médiocre labeur de pénitence en ce temps, ou par le feu du
purgatoire en l’autre monde, jusqu’à ce qu’il soit entièrement
purifié.
Sachez aussi que j’ai montré à un homme que vous connaissez ces deux
feuillets du livre de la miséricorde et de la justice. Mais il
méprise maintenant le feuillet de ma miséricorde, et ce qui est à
gauche, il le répute à droite ; et comme l’oiseau qu’on nomme
hérodius veut exceller par-dessus les oiseaux, de même il désire
surpasser tous les hommes en vanité ; et partant, il doit craindre
que, s’il ne prend garde diligemment, il mourra en riant, et sera
misérablement enlevé des yeux du monde.
Cela arriva après, car sortant de table joyeux et content, il fut
tué de nuit par ses ennemis.
La Mère de Dieu parle, disant d’elle-même qu’elle est semblable à la
fleur de laquelle les abeilles cueillent la douceur, car les
abeilles sont les serviteurs et les élus de Dieu, qui, tous les
jours, cueillent et puisent les douceurs de la grâce, et ont des
ailes et des pieds spirituels.
CHAPITRE 86
La Mère de Dieu parle :
Je suis la Reine et la Mère de miséricorde. Mon Fils, créateur de
toutes choses, est touché de tant de douceur en mon endroit, qu’il
m’a donné l’intelligence spirituelle de toutes choses créées.
Partant, je suis semblable à une fleur, de laquelle les mouches à
miel cueillent la douceur ; bien qu’elles ne cueillent beaucoup,
néanmoins la douceur lui demeure : de même je puis impétrer les
grâces à tous, et j’en surabonde. Voire même mes élus sont
semblables aux abeilles, qui , de toute l’étendue de leur dévotion,
sont touchés des atteintes de mon honneur ; car comme des abeilles,
ils ont deux pieds, savoir, le désir continuel d’augmenter mon
honneur.
En second lieu, ils travaillent en cela avec un grand soin, faisant
à ces fins tout ce qu’ils peuvent. Ils ont aussi deux ailes, savoir,
qu’ils se réputent par humilité indignes de me louer. En deuxième
lieu, ils obéissent à tous en ce qui concerne mon honneur, ils ont
aussi un aiguillon, et si cet aiguillon leur manque, ils mourront.
De même les amis de Dieu sont assaillis d’un torrent de tribulations
du monde, lesquelles, pour la conservation des vertus, ne leur
seront pas ôtées avant la fin de leur vie ; mais quoi, qui suis
l’océan et le Dieu de toute consolation, je les consolerai.
Notre Seigneur Jésus-Christ parle à son épouse, disant qu’elle doit
avoir ses membres beaux et sans tache, comparant spirituellement
tous ses membres à la parfaite dilection de Dieu et du prochain, et
singulièrement des amis de Dieu. Il conclut aussi qu’il faut faire
spirituellement ce que le phénix fait corporellement : il amasse de
petites bûchettes pour se brûler lui-même par icelles.
CHAPITRE 87
Le Fils du Père
éternel, la splendeur de la gloire, parle à son épouse en ces termes
: Je vous ai dit en premier lieu que vous devez avoir les yeux
clairs et sereins, afin que vous voyiez les maux que vous avez faits
et le bien que vous avez omis ; que votre bouche, c’est-à-dire,
votre esprit, soit sans aucune tache ; les lèvres sont les deux
désirs, l’un de quitter tout pour l’amour de moi, l’autre la volonté
de demeurer avec moi, et que ces lèvres soient de couleur rouge, qui
est la plus décente des couleurs et qui se voit de plus loin. Or, la
couleur signifie beauté, et toute beauté et éclat sont en la vertu,
car cela est plus acceptable et agréable à Dieu, quand on lui offre
ce que les hommes aiment le plus et dont les âmes prennent un plus
grand et juste sujet d’édification.
Il faut donc donner à Dieu ce que l’homme a de plus cher, soit en
effet, soit en œuvre. Partant, on lit que Dieu s’est réjoui de la
perfection de ses œuvres : de même Dieu se réjouit quand l’homme
s’offre tout à lui, voulant être indifféremment, selon les volontés
divines, en supplice ou en joie. Les bras doivent être légers et
flexibles à l’honneur et à la gloire de Dieu. Donc, le bras gauche
est la considération des biens et bénéfices dont je vous ai
enrichie, vous créant du néant, vous rachetant par le prix de mon
sang, et la pensée de vos insupportables ingratitudes. Mais le bras
droit est la dilection si fervente à mon endroit, que vous aimeriez
mieux endurer les tourments durs et cruels, que de me perdre et de
me provoquer à ire et à indignation. Entre ces deux bras je me
repose franchement, et votre cœur sera mon cœur, car je suis comme
un feu de la divine dilection, et partant, je veux être là aimé avec
plus de ferveur.
Or, les ôtes qui défendent votre cœur sont les parents, non
charnels, mais mes chers élus, lesquels vous devez aimer comme moi
et plus que les parents charnels, car de fait, ils sont vos parents
qui vous ont régénérée à la vie éternelle. Or, la peau de l’âme doit
être si belle qu’elle n’ait aucune souillure. Par la peau, on entend
le prochain. Si vous aimez le prochain comme vous-même, mon amour et
celui de tous mes saints seront gardés inviolables en vous ; que si
vous le haïssez, le cœur est lésé, et les côtés seront dénuées de la
chair, c’est-à-dire, l’amour de mes saints sera moindre en vous. La
peau ne doit avoir aucune tache, d’autant que vous ne devez point
haïr le prochain, mais l’aimer selon Dieu, car lors mon cœur est
sain avec votre cœur.
D’ailleurs, je vous ai dit ci-devant que je veux être aimé avec
beaucoup de ferveur, d’autant que je suis le feu de la divine
dilection, car en mon feu, il y a trois merveilles :
la première est que ce feu brûle et ne s’allume jamais ;
la deuxième, il ne s’éteint point ;
la troisième, qu’il brûle incessamment et n’est jamais consumé.
De même, ma charité du commencement était si ardente envers l’homme
né de ma Déité, qu’elle brûla plus en l’assomption de l’humanité, et
brûle tellement qu’elle ne s’éteindra jamais : mais elle rend l’âme
plus fervente et ne la consume pas, mais elle la fortifie et
l’affermit de plus en plus, comme vous le pourrez colliger du
phénix, qui, étant en ses dernières années, amasse de petites
bûchettes en une montagne très haute, et ces bûchettes étant
allumées par la chaleur du soleil, il se jette dans le feu, et étant
consumé par le feu, il revit : de même l’âme qui est embrasée des
feux du divin amour, est d’elle comme un autre phénix meilleur et
plus fort.
Jésus-Christ, parlant à son épouse, lui dit que toutes choses créées
ont été à sa volonté, excepté les hommes. Il lui dit aussi qu’il y a
trois sortes de personnes au monde qui sont comparées à trois
navires flottants en mer, l’un desquels est en danger de faire
naufrage ; le deuxième chancelle sur les vagues, lorsque le
troisième jouit du calme.
CHAPITRE 88
L’Engendré de toute
éternité dans le sein du Père, et l’engendré dans le sein de la Mère
dans le temps, Jésus-Christ parle en ces termes : Je suis le
créateur des esprits bons et mauvais. Je suis aussi le conducteur et
le modérateur de tous les esprits. Je suis encore créateur de tous
les animaux et des choses qui ont l’être, et non la vie. Partant,
tout ce qui est compris dans le pourpris de l’univers, et toutes
choses font ma volonté, excepté l’homme seul.
Sachez aussi qu’il y a des hommes qui sont comme des navires qui ont
perdu le gouvernail et le mât, qui vaguent ça et là à la merci des
flots agités par les tempêtes de la mer, jusqu’à ce qu’ils soient
arrivés au rivage des îles de la mort. En ce navire sont tous ceux
qui se jettent et s’abandonnent comme quasi au désespoir et à toute
sorte de voluptés.
D’autres hommes sont comme des navires qui ont encore le mât, un
gouvernail et une ancre avec deux cordes. Mais l’ancre principale
est rompue, et le gouvernail est bientôt fracassé, si les
impétuosités des vagues se mettent entre le navire et le gouvernail.
Qu’on y prenne donc garde, car tant que le gouvernail et le navire
sont unis ensemble, ils ont comme quelque chaleur entre eux. Le
troisième navire a tout ce qui est requis pour voguer et cingler
quand on voudra.
La première ancre dont nous avons parlé ci-dessus est la discipline
de la religion, qui est soulagée par la patience et la ferveur de la
divine dilection. Il est maintenant défait et rompu, d’autant que
l’institution et l’instruction des Pères est maintenant foulée aux
pieds ; ce qui leur semble utile, ils ont cela pour religion, et de
la sorte, ils sont changeants et inconstants comme le navire au
milieu des flots.
La deuxième ancre, qui est encore saine, comme j’ai dit ci-dessus,
est la volonté de servir Dieu, liée avec deux cordes par l’espérance
et la foi, d’autant qu’ils me croient Dieu et s’appuient en moi,
croyant que je les veux sauver. Je suis le gouvernail de ceux-là :
tant que je serai en leur navire, les flots et les orages n’y
entreront point, et il y a entre eux et moi quelque chaleur.
Or, lors je suis uni au navire d’iceux, quand eux n’aiment rien tant
que moi ; je suis lors comme attaché à eux comme par trois clous,
savoir, par la crainte, l’humilité, et la considération de mes
œuvres. Mais que, s’ils aiment quelque chose plus que moi, lors
l’eau de dissolution est entrée en eux, et lors les trois clous sont
arrachés, savoir, la crainte, l’humilité et la divine considération
; lors l’ancre de la bonne volonté est rompue, et les cordes de la
foi et de l’espérance ferme sont coupées. Mais ceux qui voguent en
ce navire sont grandement inconstants, et partant, ils avancent
chemin aux écueils et aux dangers.
Dans le troisième navire dont j’ai parlé, qui avait tout ce qui
était utile et nécessaire pour voguer, sont mes très chers et
fidèles amis.
Jésus-Christ parle à son épouse, lui enseignant la manière que le
soldat spirituel doit tenir au combat, savoir, qu’il se doit confier
en Dieu, et non en ses propres forces. Il lui donne deux oraisons
fort courtes pour les dire tous les jours ; il lui dit aussi qu’il
doit être armé des armes spirituelles contenues en ce chapitre.
CHAPITRE 89
Le Fils du Père éternel
parle en ces termes : Que quiconque veut combattre soit magnanime à
se lever ; s’il tombe, qu’il se confie, non en ses propres forces,
mais en ma miséricorde, car celui qui se défie de ma bonté, pensant
ainsi à part soi : Si je commence quelque chose, mortifiant ma chair
par jeûnes, la travaillant par des veilles, je ne pourrai persévérer
ni m’abstenir des vices, car Dieu ne m’aide point ; celui-ci tombe à
bon droit. Que celui donc qui veut combattre spirituellement, se
confie en moi qu’il pourra accomplir ses desseins par la coopération
de ma grâce.
Après, qu’il ait la volonté de faire le bien, de laisser le mal, et
de se relever tout autant de fois qu’il tombera, disant cette
oraison : Seigneur, Dieu tout-puissant, qui conduisez tous les
hommes au bien, je, pécheur, me suis par trop éloigné de vous par
mes crimes: je vous rends grâces de ce que vous m’avez ramené à la
voie droite. Partant, je vous prie, mon très pieux Jésus, d’avoir
miséricorde de moi, vous qui avez été sanglant, douloureux au gibet
de la croix pour l’amour de moi ; et je vous prie et conjure par vos
cinq plaies, et par les douleurs excitées en vos veines quand on les
perçait, et qui montaient au cœur, qu’il vous plaise me conserver ce
jourd’hui, afin que je ne tombe en péché. Donnez-moi encore la force
et la vertu de résister puissamment aux flèches de mes ennemis, et
que je me relève généreusement, si je tombe.
Quant à ce que le combattant puisse glorieusement persévérer en
bonnes œuvres, qu’il prie en cette manière : Seigneur Dieu, à qui
rien n’est impossible et qui pouvez toutes choses, donnez-moi la
force de faire de bonnes œuvres et de persévérer incessamment en
icelles. Après, qu’il prenne les armes en main, c’est-à-dire, la
pure confession, qui doit être bien limée et resplendissante par la
sainte considération ; limée par une diligente discussion et examen
de sa conscience : comment, combien, en quel lieu il aura failli, et
pourquoi. Après, elle doit être resplendissante, savoir, qu’il ne
cache rien de honte, ni qu’il ne dise autrement qu’il a péché.
Ce glaive doit avoir deux côtés tranchants, savoir, la volonté de
n’offenser Dieu à l’avenir, et le désir d’amender ce qu’il a
confessé. La pointe de ce glaive est la contrition, par laquelle le
diable est tué, lorsque l’homme s’attriste tout autant qu’il avait
pris du plaisir au péché, qu’il s’en repent et gémit, d’autant qu’il
m’a provoqué à courroux. Ce glaive doit avoir aussi la considération
de la grande miséricorde de Dieu, dont la miséricorde est si grande
qu’il n’y a pécheur si grand qui ne l’obtienne, s’il la demande avec
volonté de se corriger avec cette intention, savoir, que Dieu est
miséricordieux sur toutes choses. Il faut tenir le glaive de la
confession ; mais afin que, par aventure, le taillant ne blesse la
main, que les gardes qui sont entre la lame et la poignée
l’empêchent ; et afin que le glaive ne tombe de la main, que la
poignée le préserve.
Semblablement, que celui qui a le glaive de la confession, espérant
de la miséricorde divine que ses péchés lui seront pardonnés et
qu’il en sera purifié, se donne aussi de garde qu’il ne tombe par la
présomption d’obtenir pardon : partant, que la crainte de Dieu ne
l’empêche, craignant que Dieu ne lui ôte la grâce et lui donne sa
fureur, à raison de sa trop grande présomption. Mais de peur qu’il
ne soit blessé, et que la main de l’œuvre ne soit affaiblie et
diminuée par la grande ferveur et l’activité du labeur, et par
l’indiscrétion, que le fer qui est entre la main et l’acier,
c’est-à-dire, la considération de l’équité de Dieu, le conserve des
extrémités, car bien que je sois juste, de sorte que je ne laisse
rien impuni et sans examen, je suis néanmoins si miséricordieux et
si équitable que je ne demande point plus loin que ce que la nature
peut faire et supporter facilement, et je pardonne, à raison de la
bonne volonté, un grand supplice et un grand crime pour un petit
amendement.
La cotte de mailles d’un soldat est l’abstinence, car comme la cotte
de mailles est composée et tissue de plusieurs chaînons, de même
l’abstinence résulte de plusieurs vertus, savoir, de la
mortification des yeux, de l’abnégation et anéantissement de tous
les sens, des viandes, de la fuite de toute sorte de lubricités, de
toutes les choses superflues, et de plusieurs autres choses que
saint Benoît défend. Mais cette cotte de mailles ne peut être
personnellement accommodée à quelqu’un sans le secours d’un autre.
Partant, ma Mère, la Sainte Vierge, doit être invoquée et honorée,
d’autant qu’en elle sont tous les moyens de la vie et toute la forme
des vertus. Certes, si on l’invoque constamment, elle nous montrera
en quoi consiste la parfaite abstinence.
Le heaume est la parfaite espérance, qui a comme deux trous par
lesquels le soldat regarde : le premier est la considération mûre et
prudente de ce qu’il faut faire; le deuxième est la pensée de ce
qu’il faut omettre, attendu que tout homme qui espère en Dieu pense
toujours à ce qu’il doit faire selon Dieu, et à ce qu’il doit
omettre pour Dieu. Or, que le bouclier soit la patience, qui lui
fait pâtir et souffrir invinciblement et franchement tout ce qui lui
arrive.
Notre-Seigneur Jésus-Christ dit que ses amis sont comme son bras,
d’autant que lui, comme un bon médecin, coupe et taille leur chair
pourrie et tout ce qui leur est nuisible, et conjoint à soi la bonne
chair, les transformant en soi.
CHAPITRE 90
Le Fils de Dieu dit que
ses amis sont comme son bras. Il a cinq choses au bras : la peau, le
sang, les os, la chair et les moelles. Mais moi, je suis comme un
sage médecin, qui taille en premier lieu tout ce qui est nuisible;
après, il unit la chair à la chair et l’os à l’os, et de la sorte
applique le médicament salutaire. J’en ai fait de même à mes amis :
en premier lieu, je leur ai ôté toute la cupidité mondaine et les
désirs illicites de la chair, et puis j’ai conjoint ma moelle à leur
moelle.
Quelle est ma moelle, sinon la puissance de mon adorable Déité? Car
comme sans moelle tout homme est mort, de même celui qui ne
communique à ma Déité est mort. J’ai conjoint lors cette moelle à
leur infirmité, quand ma sagesse les goûte et les fructifie en eux,
et quand leur âme comprend et entend ce qu’il faut faire et ce qu’il
faut omettre. Or, les os signifient ma force infinie : je la
conjoins à leur force, quand je les rends forts pour faire le bien.
Le sang signifie ma volonté : je la conjoins lors à leur volonté,
quand leur volonté est selon mon vouloir, et quand ils ne désirent
ni ne cherchent que moi seul. La chair signifie ma patience : je
l’ai lors conjointe à leur patience, quand ils sont patients comme
je l’ai été, lorsque, du sommet de la tête jusqu’à la plante des
pieds, il n’y avait point de santé en moi. La peau signifie ma
dilection : lors je l’ai conjointe à moi, quand ils n’aiment rien
tant que moi, et quand, avec ma grâce, ils veulent mourir pour
l’amour de moi.
Jésus-Christ avertit son épouse de s’humilier en quatre manières,
savoir : devant les potentats du monde; devant les pécheurs; devant
les amis de Dieu spirituels et devant les pauvres de ce monde.
CHAPITRE 91
Le Fils de l’Éternel,
la Sapience infinie, parle à sa très-chère amante l’épouse, lui
disant : Vous vous devez humilier en quatre manières :
1° devant les puissants et potentats du monde, car soudain que
l’homme méprisa d’obéir à Dieu, il a été sujet d’obéir à l’homme, et
d’autant que l’homme ne peut subsister sans gouverneur, c’est
pourquoi il est juste qu’il se soumette à l’homme;
2° devant les pauvres spirituels, c'est-à-dire, devant les pécheurs,
priant pour eux et remerciant Dieu, d’autant que, peut-être, vous
n’avez pas été ni ne serez telle;
3° devant les riches spirituels, c'est-à-dire, devant les amis de
Dieu, vous estimant être véritablement digne de les servir et de
converser avec eux;
4° devant les pauvres du monde, les aidant, les revêtant et lavant
leurs pieds.
Jésus-Christ avertit l’épouse d’avancer et de persévérer dans les
vertus, imitant la vie des saints, afin qu’elle soit le bras de
Jésus. Il prouve aussi que les saints transformés sont les bras de
Jésus-Christ.
CHAPITRE 92
L’engendré avant le
temps, de toute éternité dans le sein du Père éternel, parle, disant
: Mes amis sont comme mon bras. Véritablement cela est de la sorte,
car le Père éternel, le Fils tout sage, le Saint-Esprit et la Vierge
le sont aussi. La Déité est comme la moelle sans laquelle personne
ne vit. Mes os sont l’humanité, qui fut forte pour pâtir et
souffrir. Or, le Saint-Esprit est comme le sang, d’autant qu’il
remplit et réjouit toutes choses.
Ma Mère, en laquelle ont été la Déité, l’humanité et le
Saint-Esprit, est comme la chair. La peau est toute la milice
céleste, car comme la peau couvre la chair, de même ma très-chère
Mère excelle par-dessus tous les saints en éminence de vertu, car
bien que les anges soient purs, elle est pourtant plus pure; et bien
que les prophètes aient été remplis de l’Esprit de Dieu et que les
martyrs aient beaucoup souffert, néanmoins, l’Esprit d’amour a été
plus fervent en ma Mère, et elle a été plus que martyre; et bien que
les confesseurs se soient abstenus de toutes choses mauvaises, et
même de quelques-unes licites, ma très-chère Mère eut néanmoins une
plus parfaite abstinence, car elle eut ma Déité avec mon humanité.
Quand donc mes amis m’ont en eux, ma Déité est en eux, qui vivifie
leur âme; la force de mon humanité est en eux, qui les fortifie
jusque à la mort, et mon sang est en eux, par lequel leur volonté a
les mouvements à toute sorte de biens. Leur chair aussi est remplie
de mon sang et de ma chair, quand ils ne veulent en rien se salir,
se conservant inviolables en la chasteté par ma grâce. Ma peau est
aussi conjointe à leur peau quand on imite la vie et les mœurs de
mes saints. Et de la sorte, mes saints sont à bon droit appelés mon
bras, desquels vous devez être aussi les membres par les désirs
ardents d’avancer au bien, en les imitant autant que vous pourrez;
car comme je les unis à moi par la conjonction de mon corps, de même
vous devez vous unir à eux et à moi par le même corps qui est le
mien.
Jésus-Christ parle à son épouse, lui commandant trois choses : 1°
qu’elle ne désire que la vie et le vêtement; 2° qu’elle ne désire
les choses spirituelles, si ce n’est selon les volontés divines; 3°
qu’elle ne s’attriste de rien, si ce n’est de ses péchés et de ceux
d’autrui. Il dit encore que ceux qui n’ont pas voulu amender leurs
péchés par la pénitence, seront rudement punis au jugement divin.
CHAPITRE 93
Le Verbe éternel, le
Fils de Dieu, commande trois choses à sainte Brigitte : 1° de ne
rien désirer que la vie et les vêtements; 2° de ne désirer les
choses spirituelles que conformément aux volontés divines; 3° de ne
s’affliger que de ses péchés et de ceux d’autrui. Si vous en voulez
avoir de la douleur, considérez la rigueur et la fureur du jugement
effroyable, laquelle vous pourrez mieux pénétrer en un homme déjà
jugé, qui, étant entré en un monastère, eut trois choses en l’âme,
savoir, d’être sans peine, d’avoir la nourriture sans soin,
d’esquiver les tentations de la chair sans en venir à l’exécution;
c’est pourquoi il a été assailli de trois sortes d’afflictions, car,
1° voulant être sans labeur et sans peine, il y a été contraint par
parole et par le fouet; 2° il a souffert la faim et la nudité; 3° il
a été méprisé de tous, de sorte qu’il n’a pu se délecter en volupté.
Or, le jour de la profession s’approchant, il eut cette pensée :
D’autant, dit-il, que je pourrai être au monde sans labeur, il vaut
plus que je sois dans le monastère et que je travaille pour l’amour
de Dieu. Et le voyant en telle volonté, ma miséricorde et ma justice
voulurent qu’il parvînt à la gloire éternelle, car soudain qu’il eut
fait profession, dès l’instant il fut accablé d’une grande maladie
et en telle sorte affligé, qu’il perdit de douleur la vue et l’ouïe
et fut affligé en tous ses membres, d’autant qu’il voulait être sans
peine ni labeur. Il endurait une plus grande pauvreté qu’il n’eût
endurée au monde, et même, ayant des viandes plus délicates, il n’en
peut aucunement manger, et ne pouvait avoir ce que la nature
désirait. Sa nature fut tellement exténuée et consommée avant la
mort, qu’il semblait un tronc.
Mais étant mort, il vint au jugement comme un larron qui voulait
être en la religion sans rien faire que sa volonté, non pas pour y
bien vivre; mais néanmoins, il ne devait pas être jugé comme larron,
car bien qu’il fut fou et insensé en sa raison et en sa conscience,
néanmoins il avait son espérance en moi, qui suis Dieu, et partant,
il fut jugé à la miséricorde. Le péché commis n’ayant pu être
pleinement purifié par les peines corporelles, c’est pour cela aussi
que son âme est grièvement punie en purgatoire, ni plus ni moins que
si les os lui ayant été arrachés, la peau était mise en une presse,
afin que la moelle s’en écoulât toute.
Hélas! Que pâtiront donc ceux qui ont croupi dans le péché tout le
cours de leur vie, et n’ont ni ne veulent avoir un acte contraire!
C’est ce qu’ils me rendent pour les avoir si chèrement rachetés,
conservés, et pour leur avoir donné tout ce qui leur est nécessaire!
Et partant, j’en exigerai cela au jugement avec fureur, d’autant
qu’ils ont violé la foi qu’ils m’avaient vouée au baptême, et parce
que, tous les jours, ils ne font que m’offenser, méprisant mes
commandements. En vérité, je ne laisserai point sans une grande
punition la moindre chose qu’ils ont commise en religion.
DECLARATION
Le Frère dont il est ici parlé eut un péché caché dont il ne voulut
jamais se confesser. Notre-Seigneur commanda à sainte Brigitte de
l’aller trouver, ce qu’elle fit, et elle lui dit : Faites pénitence.
Vous avez quelque chose de caché en votre conscience. Tant que vous
cacherez cela, vous ne pourrez mourir.
Il lui répondit : Je n’ai rien qui n’ait été dit en la confession.
Cherchez, dit-elle, comment vous avez vécu durant tout le cours de
votre vie jusque à maintenant, et vous trouverez la vérité en votre
cœur.
Lors fondant en larmes, il dit : Béni soit Dieu qui vous a envoyée à
moi, car puisque vous m’avez parlé du secret de mon cœur, j’en veux
dire la vérité devant ces auditeurs! Oui, j’ai quelque chose de
caché dans mon cœur, que je ne pouvais ni n’osais déclarer, d’autant
que toutes fois et quand est-ce que je me confessais des autres
péchés, ma langue demeurait muette et liée quand il fallait parler
de celui-ci; et d’ailleurs la honte me saisissait, et la confusion
m’empêchait de confesser ce qui me rongeait le cœur. C’est pourquoi,
quand je me confessais, je terminais ma confession en ces termes : O
Père, je me confesse des péchés que j’ai dits et de ceux que je n’ai
pas dits. Je croyais que de la sorte tous les péchés m’étaient
remis, bien que cachés. Mais maintenant, Madame, s’il plaisait à
Dieu, je voudrais dire à tout le monde les péchés que j’ai si
longtemps cachés dans mon cœur.
Ayant appelé un confesseur, il dit tous ses péchés, et mourut la
même nuit.
Notre-Seigneur enseigne à sa chère épouse de belles et excellentes
oraisons pour dire quand elle s’habille, quand elle va à table et se
coucher, l’avertissant qu’elle soit humble en tous ses vêtements,
modeste et honnête en tous ses membres.
CHAPITRE 94
La splendeur de la
gloire, le Fils de Dieu dit à son épouse : La beauté extérieure
signifie la beauté intérieure que l’homme doit avoir; c’est
pourquoi, quand vous prenez le bandeau ou le voile par lesquels les
cheveux sont serrés, dites : O Seigneur Dieu, je vous rends grâces
de ce que vous m’avez supportée lorsque j’étais plongée en mes
péchés; et parce que je ne suis pas digne de voir à raison de mon
incontinence, je voile mes cheveux.
Notre-Seigneur ajouta : L’incontinence m’est tellement abominable,
que la vierge qui a quelque mauvais et volontaire désir à quelque
incontinence, n’est pas pure devant mes yeux, si elle ne corrige sa
pernicieuse volonté par la pénitence.
Quand vous voilez votre front, dites : O mon Dieu, mon Seigneur,
d’autant que vous avez bien créé toutes choses, et particulièrement
l’homme d’une manière plus excellente par-dessus tout, le faisant à
votre image et ressemblance, ayez miséricorde de moi. Et d’autant
que je n’ai pas gardé la beauté de ma face pour votre honneur et
gloire, je voile mon front.
Quand vous ôtez vos souliers, dites : Béni soyez-vous, ô mon Dieu,
qui me commandez d’avoir des souliers, afin que je sois forte, et
non pas lâche à votre service! Confortez-moi donc et
affermissez-moi, pour que je puisse marcher en la voie de vos
commandements. Que dans le reste de vos vêtements paraisse toujours
l’humilité, et en tous vos membres, l’honnêteté modérée.
Quand vous allez à la table, dites : O mon Dieu, si vous vouliez,
comme vous le pouvez, me soutenir sans viande, je vous en prierais
maintenant. Mais puisque vous nous commander d’en prendre,
donnez-moi donc la sobriété des viandes, afin que, par votre grâce,
je puisse manger selon la nécessité que la nature exige, et non
selon que la cupidité le désire.
Quand vous allez vous coucher, dites : Béni soyez-vous, mon Dieu,
qui disposez les vicissitudes et les changements des saisons pour le
soulagement de notre corps et de notre âme! Il vous supplie très
humblement de donner à ce corps, cette nuit, le repos, et
conservez-moi à l’abri de la puissance et des illusions diaboliques.
Jésus-Christ, parlant à son épouse, lui déclare quelles sont les
armes des ennemis qui se sont glorifiés dans le péché avec volonté
d’y persévérer. Ils seront consommés avec effroi par le glaive de la
fureur d’un Dieu tout-puissant.
CHAPITRE 95
La Sapience incarnée,
le Fils de Dieu, parle : Je m’arrête comme un roi provoqué au
combat. Le diable s’arrête contre moi avec son armée; mais le
dessein et la constance de ma résolution sont tels, qu’avant de me
retirer de ma justice d’un seul point, plutôt le ciel et la terre et
tout ce qui est compris dans leur pourpris, se renverseraient! Mais
l’intention du diable est qu’avant de s’humilier, il aimerait mieux
qu’il y eût autant d’enfers qu’il y a d’atomes dans le soleil, et
souffrir l’un avec l’autre sans fin.
Quelques-uns de mes ennemis s’approchèrent du jugement, et il n’y a
pas la distance de deux pieds : Leur bannière, leur étendard est
dressé; leur bouclier est au bras, le glaive est en main, mais il
n’est pas encore au vent. Ma patience est si grande que, s’ils ne me
frappent les premiers, je ne les frapperai point. En la bannière de
mes ennemis, il y a trois devises : la gourmandise, la cupidité et
la luxure. Leur heaume est l’endurcissement du cœur, car ils ne
considèrent point les peines effroyables de l’enfer, ni ne pensent
pas mûrement combien difforme et abominable est le monstre du péché.
Les trous du heaume sont la volonté de la chair et la volonté de
plaire au monde, car par ces misérables désirs, ils courent partout
et ils voient ce qu’il ne faut pas voir. Leur bouclier est la
perfidie, qui leur fait excuser leurs péchés, et ils les imputent,
non à leur méchanceté, mais à la fragilité de la chair, c’est
pourquoi ils tiennent peu de compte de leurs péchés et d’en demander
pardon. Leur glaive est la mauvaise volonté de persévérer en leur
péché infâme; il n’est pas arraché, d’autant que leur malice n’est
pas accomplie; mais lors il est arraché, quand ils veulent tout
autant pécher qu’ils peuvent vivre; mais lors ils frappent très
rudement, quand ils se glorifient, ensevelis dans la misère du
péché, de désirer de persévérer dans l’état misérable qui n’a jamais
d’égal, et dans l’iniquité abominable.
Mais quand leur malice sera accomplie, lors la voix criera en mon
armée, disant : Frappez maintenant! Et lors le glaive de ma sévérité
les consommera, et un chacun sentira la rigueur et la fureur de ma
justice, et comme elle est armée; leurs âmes seront ravies par les
diables, qui, comme des oiseaux de rapine, ne cherchent point le
bien temporel, mais ces âmes, qu’ils déchireront éternellement.
L’Époux déclare à l’épouse ce que signifie la distance de deux
pieds, et arracher le glaive dont il a parlé au chapitre précédent.
CHAPITRE 96
Le miroir sans tache,
le Fils de Dieu, parle : Je vous ai dit qu’entre mes amis et moi, il
n’y a pas la distance de deux pieds; mais maintenant, ils approchent
d’un pied du jugement. L’un de ces deux pieds est la récompense des
bonnes œuvres qu’ils ont faites pour moi. Partant, dès ce jour, leur
infamie augmentera; leur délectation sera rendue amère; leur joie
sera ôtée; leur tribulation prendra accroissement avec douleur.
Le second est leur malice, qui n’est pas encore accomplie; mais
comme on a accoutumé de dire que quand quelque chose est pleine,
c’est lors qu’elle crève, de même, quand l’âme et le corps se
séparent, c’est lors que le Juge les condamne. Leur glaive est la
volonté qu’ils ont de pécher, qui est arrachée à moitié, d’autant
que leurs honneurs venant à décroître et les adversités les
assaillant, ils sont plus en colère et brûlent du désir d’offenser,
car la prospérité et l’honneur ne les laissent pas beaucoup penser
au péché; mais maintenant, afin qu’ils puissent accomplir leurs
sales et abominables voluptés, ils désirent de vivre plus longtemps
et se donnent licence de pécher davantage. Malheur à eux, d’autant
que, s’ils ne s’amendent, leur perte, leur totale ruine s’approche!
Jésus-Christ, parlant à son épouse d’un certain prélat, lui dit que
l’âme dévote qui a perdu la chaleur de la méditation et de la sainte
dévotion, à raison de sa superbe cupidité, pour les intrigues du
monde, recouvrera la divine lumière et amour, en s’humiliant
parfaitement à Dieu et au prochain, de sorte qu’il ressentira
intimement la divine douceur.
CHAPITRE 97
Le Fils de Dieu et de
la Vierge Marie parle par son épouse à un certain prélat, lui disant
: Vous êtes semblable à la roue d’un moulin, qui, tant qu’elle est
immobile et demeure ferme , ne brise point le blé. Cette roue
signifie fort à propos votre volonté , qui devrait être mobile, non
à votre volonté et accomplir vos désirs, mais bien les miens , et
vous abandonner totalement en mes mains. Mais cette roue est trop
immobile à ses vouloirs, d’autant que, l’eau des désirs de la terre
sollicitant par trop votre esprit , la considération de vos œuvres
et ma passion sont quasi mortes en votre cœur : C’est pourquoi la
viande de l’âme ne vous est point à goût. Et partant, rompez les
écluses et les branches qui retiennent l’eau , afin qu’elle coule ,
fasse rouler la roue et que le blé soit broyé.
La tranchée qui retient l’eau n’est autre que la superbe intérieure
de l’esprit et l’ambition insatiable , qui bouchent le courant des
grâces du Saint-Esprit, et empêchent tout le bien dont l’âme devrait
fructifier . Partant , embrassez la vraie humilité et soumission en
votre esprit, car par elles coulera en votre âme la douceur de mon
Esprit, et les pensées terrestres s’évanouiront ; par elles, votre
volonté aura son mouvement et se rendra parfaite selon mes vouloirs.
Lors vous commencerez de porter jugement de vos œuvres et d’avoir
une grande estime des miennes.
Or, quelle est la vraie humilité ? Certainement, c’est de ne se
soucier aucunement des faveurs humaines et de ce que les hommes
disent, marcher par ma voie , qui est oubliée et négligée, ne pas
chercher ce qui est superflu et vous conformer aux simples. Si vous
aimez cette voie , les choses spirituelles , ma passion et la voie
de mes saints , vous seront à goût. Lors vous entendrez combien
redevable vous êtes aux âmes que vous gouvernez, attendu que vous
êtes monté au plus haut de la roue par deux pieds : par la puissance
et par l’honneur ,de sorte que de la puissance prend source votre
cupidité, et de l’honneur votre orgueil.
Partant, descendez maintenant , vous humiliant en l’esprit , et
suppliez les humbles de prier Dieu pour vous, car je vous enverrai
ma justice comme un fleuve rapide et j’exigerai de vous jusques à la
dernière maille , et demanderai raison des affections , pensées ,
paroles et œuvres. Je vous demanderai aussi les âmes que j’ai
commises à votre providence et que j’ai rachetées par mon sang.
Jésus-Christ dit à l’épouse qu’il faut percer les pécheurs de quatre
flèches contenues en ce chapitre, c’est-à-dire, de quatre
répréhensions, et les lâcher aussi, afin qu’ils aient componction et
qu’ils soient humblement ramenés à la correction et à l’amendement
de leur vie.
CHAPITRE 98
Jésus-Christ dit : Je
donnerai à mes amis quatre flèches : par la Première, il faut
entendre celui qui a perdu un de ses yeux ; par la deuxième, celui
qui est boiteux de l’un des pieds ; par la troisième , celui qui est
sourd d’une oreille ; par la quatrième, celui qui est couché à
terre.
Or, celui-là est l’origine, qui ne voit et ne considère les œuvres
de mes saints ; mais il voit et désire les délectations du monde. Un
tel doit être percé en cette manière, lui parlant en ces termes :
Vous êtes semblable à Lucifer, qui, ayant connu (2)
la souveraine bonté de Dieu, la désira injustement , c’est pourquoi
il descendit en enfer.
Celui-là est boiteux d’un pied , qui se repent et fait pénitence de
ses péchés , mais s’occupe avec peine en l’acquisition des choses du
monde. Celui-ci doit être blessé en cette sorte. Vous travaillez
pour les commodités corporelles , que les vers mangeront bientôt ,
c’est pourquoi occupez-vous à travailler fructueusement pour votre
âme , qui vivra éternellement.
Celui-là est sourd d’une oreille , qui désire ouïr mes paroles et
celles des saints ; mais il a l’autre oreille ouverte aux
railleries, aux cajoleries et aux vanités du monde , c’est pourquoi
il lui faut dire : Vous êtes semblable à Judas , qui, d’une oreille
, ouït les paroles de Dieu , et par l’autre, elles sortirent , c’est
pourquoi les paroles qu’il ouït ne lui profitèrent point. Partant ,
fermez vos oreilles aux vains discours, afin que vous puissiez
parvenir aux chants angéliques.
Or, celui-là est gisant à terre qui s’intrique et s’enveloppe ès
affaires du siècle , mais qui , néanmoins, voudrait savoir la voie
et le moyen de s’amender . Qu’on parle en cette sorte à celui-ci :
Ce temps est court comme un point. La peine de l’enfer est éternelle
, et la gloire des saints perpétuelle. Partant , afin que vous
parveniez à la vraie vie , ne vous fâchez pas d’embrasser ce qui est
fâcheux et amer , car comme Dieu est tout bon et tout
miséricordieux, aussi est-il tout juste.
Quiconque donc sera ainsi percé de ces flèches, si la sagette sort
de son cœur toute sanglante, c’est-à-dire, s’il est excité à
componction et s’il propose de s’amender , je verserai en celui-là
l’huile de ma grâce , par lequel tous ses membres seront confortés
et affermis.
Notre-Seigneur se plaint des Juifs qui l’on crucifié, et des
chrétiens qui méprisent sa charité et sa justice , en péchant
présomptueusement et sciemment contre ses commandements, et
méprisant les sentences des excommunications de l’Eglise, sous
prétexte de sa miséricorde , à raison de quoi il les menace avec
l’ire et la fureur de sa justice.
CHAPITRE 99
Pour le jour de la
passion.
La Mère de Dieu éternel parle, disant : En ce temps, mon Fils
souffrait. Judas, le traître, s’approchant, se baissa , d’autant
qu’il était de petite taille , lui donnant un baiser et lui disant :
Mon ami , pourquoi êtes-vous venu? Et soudain, les uns le saisirent
, les autres le traînèrent par les cheveux , les autres le salirent
par leurs crachats.
Après , le Fils parlait, disant : je suis réputé comme vermisseau
qui est comme gisant en un fumier, que les passants foulent aux
pieds et sur lequel ils crachent : de même en firent les Juifs ,
d’autant que j’étais jugé par eux comme un vermisseau très abject et
très indigne : de même, les chrétiens me méprisent , car tout ce que
j‘ai fait et souffert pour l’amour d’eux , ils le réputent à vanité
, à folie et à néant . Il me foulent aussi comme en mon dos, quand
ils craignent et honorent plus homme que moi , leur Dieu , quand ils
réputent pour néant ma justice , et établissent le temps en leur
jugement et les manières de ma miséricorde. Ils me frappent comme
aux dents , quand ayant ouï mes préceptes et vu ce que j’ai enduré
pour eux, ils disent : Faisons maintenant tout ce qui nous plaît et
nous délecte, et néanmoins nous aurons le ciel, car si Dieu nous
voulait perdre et nous punir éternellement, il ne nous auraient pas
créés et ne nous aurait point rachetés avec tant de peine.
Partant, je leur ferai sentir les effroyables fureurs de ma justice,
car comme le moindre bien ne sera pas sans récompense , de même le
moindre mal ne sera pas sans supplice. Ils me méprisent aussi comme
en me foulant aux pieds, quand ils n’écoutent point les jugements de
l’Eglise , savoir, mes excommunications. Partant , comme ceux qui
sont excommuniés publiquement sont évités de tous, de même ils
seront séparés de moi, car quand l’excommunication est sue et est
méprisée , elle nuit plus que le glaive corporel . Partant, moi qui
suit estimé comme un vermisseau, je veux maintenant revivre par les
fureurs de mon terrible jugement, et je viendrai si terrible que
ceux qui me verront , diront devant la face de l’ire de Dieu :
Montagnes tombez sur nous!
Jésus-Christ dit à son épouse qu’elle est comme le flageolet du
Saint-Esprit, par lequel il résonne mélodieusement au monde pour
l’honneur et l’utilité des Gentils ; c’est pourquoi il la veut
argenter par dehors par les bonnes œuvres et la sapience, et la
dorer par dedans par la vraie humilité et la pureté de cœur.
CHAPITRE 100
Le Fils de Dieu , la
Sapience incarnée, dit à, son épouse : Vous devez être comme un
flageolet par le moyen duquel on chante mélodieusement. Or, celui
qui est maître du flageolet l’argente par dehors, afin qu’il soit
estimé plus précieux , et par dedans , il le dore d’un or durable :
de même vous devez être reluisante en argent de bonnes mœurs et de
sapience humaine, afin que vous compreniez qu’est-ce que vous devez
à Dieu et quoi au prochain , et qu’est-ce qui est expédient, utile
et sortable à votre corps et à votre âme, pour avoir un jour le
salut éternel. Au dedans, vous devez être dorée par humilité, afin
que vous ne désiriez plaire à autre qu’à moi, et afin que vous ne
craigniez point de déplaire aux hommes pour l’amour de moi.
Après , celui qui joue du flageolet en faisant trois usages : 1° il
l’enveloppait avec du drap, afin qu’il ne se tachât point ; 2° il
lui faisait une couverture , afin de le garder ; 3° il le mettait
dans un coffre , afin que le larron ne le dérobât : de même vous
devez vous envelopper toute dans la pureté, afin que jamais plus
vous ne désiriez de vous souiller par effet, ni par affection, ni
par délectation ; mais faites en sorte de demeurer seule, car la
conversation des mauvais corrompt les bonnes mœurs,,et ayez la
serrure , la diligente et sérieuse garde de vos sens et de tout
votre intérieur , afin que vous preniez garde qu’en aucune de vos
actions, vous ne soyez déçue par les ruses et les finesses de Satan.
La clef est le Saint-Esprit, qui ouvre votre cœur comme il vous
plaira, pour mon honneur et ma gloire, et pour le fruit et le salut
des hommes.
La Mère de Dieu dit que le cœur de son Fils est très doux , très pur
et très agréable , et si abondant en charité que si le pécheur était
aux portes de sa ruine, et s’il criait à lui avec désire de
s’amender, soudain il l’en délivrerait. On parvient au cœur de Dieu
par l’humilité d’une vraie contrition, et par la dévote, fervente et
fréquente considération de la passion de Jésus.
(1)
Sainte Brigitte.
(2) Non en voyant son essence , par réflexion de sa
Beauté , montant a la source de la beauté. |