CHAPITRE 101
La Mère de Dieu parle,
disant : le cœur de mon Fils est très suave comme du miel, et très
pur comme une fontaine très-pure , car toutes les bontés éparses en
cet univers procèdent de lui comme de leur source , car lui est très
doux En vérité, qu’y a-t-il de plus doux pour un homme bien sensé
que de considérer l’amour de Dieu envers nous en la création,
rédemption , labeurs et doctrine, en sa grâce et patience invincible
, car sa charité ne coule et ne passe pas comme l’eau , mais elle
s’épand loin et dure, d’autant que son amour demeure avec l’homme
jusques au dernier période de sa vie ? Que si le pécheur était aux
portes de sa total perte et ruine, s’il criait de là avec volonté de
s’amender, il en serait sans doute affranchi.
D’ailleurs, pour parvenir au cœur de Dieu , il y a deux voies : la
première , c’est l’humilité d’une vraie contrition, et celle-ci
conduit et introduit l’homme dans le cœur de Dieu et dans les
colloques spirituels. La deuxième voie est la considération de la
passion de mon Fils ,qui chasse l’endurcissement du cœur de l’homme
, et le fait courir joyeusement au cœur de Dieu.
Il est ici montré en vision le jugement de l’âme de quelque
religieux devant Jésus-Christ qui donnait la sentence pour laquelle
la Sainte Vierge interpellait, et laquelle le diable accusait de
grands et énormes péchés.
CHAPITRE 102
La Mère de Dieu parle à
son Fils, lui disant : Ma plainte est grande. Bien que vous sachiez
toutes choses, je les proférerai néanmoins pour l’amour de celle qui
est ici présente.
Le Fils répondit : Il m’est donné toute sorte de jugement, et il
faut que je juge toutes les actions en détail. En vérité, neuf
sortes de biens conviennent à ce juge :
1° écouter attentivement ;
2° discerner ce qui est proposé ;
3° la volonté de vouloir justement juger ;
4° d’informer pourquoi on plaide ;
5° demander combien de temps le procès a duré, car le jugement est
d’autant plus grave que les délais ont été plus grands ;
6° voir si les témoins sont bons, les confronter en leurs
affirmations, considérer si l’une des parties a plus de témoins ;
7° n’être précipité ni timide au jugement, ni ne craindre la
puissance, ou le dommage , ou le déshonneur , pour soutenir la
vérité ;
8° ne se soucier des prières ni les dons d’autrui ;
9° être équitable en jugeant, juger de même manière le pauvre que le
riche, de même le frère et le fils que l’étranger, ne faire rien
contre la vérité pour quelque plaisir du monde.
Dites donc, ma très chère Mère, ce que vous voulez.
La mère répondit : Deux hommes plaident entre eux. En eux sont deux
esprit, en l’un le bon et en l’autre le mauvais. Or , le sujet de
leur procès est l’achat de votre sang , l’un pour le tirer, l’autre
pour le faire vivre ; en l’un sont la dilection et l’obéissance , et
en l’autre sont la haine et la superbe. Faites donc jugement.
Le Fils répondit : Combien y a-t-il de témoins de la part de votre
ami , et combien de l’autre partie adverse?
La Mère répondit : Mon ami en a bien peu, et l’autre plusieurs , qui
savent la vérité, mais ils la méprisent et ne la veulent pas dire.
Le Fils répondit : Je ferais un juste jugement.
Et la Mère repartit : Mon ami ne se plaint point , car la seule
substance de son corps lui suffit. Mais moi, qui suis sa Dame et sa
maîtresse , je me plains de peur que la malice ne gagne le dessus.
Le Fils répondit : Je ferai ce que vous voulez ; mais comme vous le
savez, le jugement corporel doit précéder le spirituel, et pas un ne
doit être jugé que son péché ne soit consommé.
Et la Mère dit : O mon Fils , bien que nous tous sachions toutes
choses, néanmoins, pour l’amour de l’assistance , je cherche quel
jugement corporel sera fait en celui-ci , et quel jugement
spirituel.
Et le Fils dit : Le jugement corporel est que son âme sorte vitement
du corps et que sa main soit sa mort. Le jugement spirituel est que
son âme soit pendue au gibet de l’enfer , non pas avec des cordes,
mais avec du feu très ardent, d’autant qu’il est une brebis qui
dégénère de son troupeau.
Lors un religieux de saint Augustin parlait au Juge, disant :
Seigneur, vous n’avez rien a faire avec cet homme ; vous l’avez
appelé au repos, et il s’en est oublié ; son obéissance est
enfreinte , son nom est ôté et ses œuvres sont nulles.
Le Juge répondit : Son âme n’est pas présente au jugement pour
répondre.
Le diable dit : Je veux répondre. Si vous l’avez appelée des
tempêtes du monde au repos, je l’ai appelée d’un haut degré de
perfection à une fosse très profonde. Son obéissance à mon égard a
été très prompte ; son nom est glorieux en moi.
Le Juge répartit : Expliquez ce que vous avez remarquez en elle.
Je le ferai , dit le démon , quoiqu’à regret. Vous l’avez appelé des
tempêtes et des orages des soins du monde au repos de la vie
spirituelle , comme à un bon port ; mais lui , il estime cela à
néant , d’autant qu’il désire avec plus d’affection les tracas et
les intrigues du monde.
Le plus haut degré est une bonne contrition et une sainte
confession, qui a ces deux choses en perfection ; il vous parle , à
vous qui êtes très puissant, et il arrive jusqu’à votre majesté. Je
l’ai précipité de ce sommet ou degré très-haut , quand il s’est
résolu de pécher jusques à la fin, quand il a réputé les péchés pour
rien , votre justice à vanité. La profonde fosse, c'est la gueule et
la cupidité, car comme la fosse très profonde n'est facilement
remplie, de même la cupidité est insatiable. Or, son nom était moine
, et le nom de moine signifie Garde de soi-même, et abstinence même
des choses licites.
Mais toutes ces choses sont abolies en lui, et il s'appelle
maintenant Saül, car comme Saül, il s'est retire de l'obéissance,
son obéissance ayant été enfreinte.
Comme les deux bouts de bois coupés ne se peuvent unir à cause de la
pourriture, de même le désir des choses célestes ni la divine
charité, qui sont comme deux bouts unis à l'obéissance, ne peuvent
s'accorder avec son obéissance, d'autant qu'il n'obéit que pour les
cupidités mondaines, pour sa propre utilité et pour sa volonté
propre, et ses œuvres, dit le diable, sont selon mes œuvres; car
bien que je ne chante ni ne dis la messe , ni ne fasse le reste
comme lui, néanmoins, quand il fait tout cela, il la fait selon mes
volontés ; lors de la sorte, il fait mes œuvres; et on les peut dire
mes œuvres, car quand il célèbre les messes, il s'approche de vous
par présomption, et par cette présomption, il est plus facilement
rempli de ma malice plus grande.
Il chante aussi pour les louanges des hommes, et quand je lui montre
mon dos, il tourne aussi le sien contre le mien, et quand je le
veux, il tourne son ventre vers mon ventre, c'est-à-dire , il
accomplit ses voluptés selon mes volontés; tout ce qu'il fait, il le
fait en considération de la vie présente et de sa propre volonté.
Parmi toutes ses œuvres sont mes oeuvres.
ADDITIOIN
D'ailleurs, la même âme apparut , aveugle et tremblante; elle était
suivie d'un Ethiopien, jusques à ce qu'elle fut venue au jugement
qui semblait être assemble auprès d'un grand trône avec une grande
multitude. Et l'Ethiopien dit : O Juge, jugez-moi cette âme; elle
est maintenant présente, et le jugement de son corps est déjà passe.
Le même Ethiopien ajouta : Vous avez dit que sa main serait sa mort
, cela est maintenant fait.
Et le Jude dit: Ceci se peut entendre en deux manières, ou que les
œuvres mauvaises ont été occasion de sa mort, ou bien que sa main
corporelle abrégeait la mort du corps.
L'Ethiopien répondit : L'un et l'autre est vrai, car sa vie
impudique à occis son âme, et l'impatience a ouvert la plaie de sa
chair par laquelle il est mort.
Le Juge repartit: Vous avez accuse cette âme le premier, d'autant
que vous la précipitiez d'un degré très haut, et parce qu'il
tournait son ventre vers le votre. Partant, oyons maintenant ce que
dit cette âme.
Et le Juge, comme se tournant vers elle, lui dit : O âme, vous avez
eu la raison pour discerner le bien du mal : pourquoi avez-vous
foule aux pieds le nom de prêtre, qui est si grand et si excellent?
Elle répondit : J'avais la raison, mais je suivais plutôt mes désirs
et mes volontés , ne me persuadant point que, sous une espèce si
petite, une chose si grande, si sublime, put être cachée.
Le Juge lui dit pour la deuxième fois : Vous avez su que la
perfection de la religion est l'humilité et l'obéissance : pourquoi
êtes-vous loup sous la peau de brebis?
L'âme repartit : Afin de fuir les opprobres du monde et pour avoir
une vie paisible.
Le Juge lui dit pour la troisième fois : O frère, non pas mien,
puisque vous avez vu l'exemple des saints, vos frères, et les avez
ouis, pourquoi ne les avez-vous pas suivis?
Tous les bons exemples que j'ai ouis et vus , dit-elle, m'étaient
odieux et à charge , car j'avais résolu en mon cœur de suivre mes
volontés et mes mœurs, et non les mœurs des saints.
Le juge lui dit pour la quatrième fois : Pourquoi ne pratiquiez-vous
pas les jeûnes , l'oraison, la confession?
Je les pratiquais, dit-elle, mais je faisais comme celui qui dit peu
afin de plaire, et afin de ne déplaire, cache ce qui est plus grand.
Le juge lui dit : Eh quoi ! n'avez-vous pas lu qu'un chacun des
hommes doit rendre raison des plus petites choses?
Lors l'âme dit avec un grand gémissement : vraiment, ô Seigneur, je
l'ai lu et l'ai su en ma conscience, mais j'ai pense que votre
miséricorde était si grande que vous ne vouliez punir éternellement,
c'est pourquoi je voulais en faire pénitence en la vieillesse. Mais
les douleurs et la mort m'ont tellement accablée tout d'un coup, que
quand je voulais me confesser, je perdais la mémoire, et mon âme
était attachée comme par un lien.
Lors le diable cria : O Juge, je vois merveilles : cette âme se juge
elle-même ; elle confesse maintenant ses crimes sans fruit ;
néanmoins je n'ose point mettre ma main sur elle sans votre
jugement.
Le Juge répondit : Il est fait et accompli.
Ces choses étant dites, l"Ethiopien et l'âme disparurent comme lies
ensemble, et descendirent comme une foudre et un tonnerre.
Le Juge dit derechef : Ces choses se sont passées en un moment; mais
afin que vous les entendiez , elles semblent avoir été faites en
l'espace de quelque temps, afin que vous voyiez , sachiez et
craigniez les fureurs de la justice du Dieu Tout-Puissant.
L'épouse de Jésus-Christ, étant en prières, vit en vision comme
Saint Denis priait la Sainte Vierge pour la France.
CHAPITRE 103
Alors que je priais,
dit sainte Brigitte, je vis en esprit saint Denis parlait à la
Vierge Marie, lui disant:
Vous êtes Reine de miséricorde, à laquelle toute miséricorde est
donnée. Vous avez été faite Mère de Dieu pour le salut des
misérables : ayez donc miséricorde et compassion du royaume de
France, vôtre et mien (1) : vôtre d'autant que ses
habitants vous honorent de tout leur pouvoir ; mien, d'autant que
j'en sus le patron et qu'ils ont confiance en moi.
En vérité, vous voyez combien d'âmes sont en danger chaque heure, et
les corps des hommes y sont tues comme des bêtes, et ce qui est pis,
les âmes descendant en enfer comme de la neige. Consolez-les donc et
priez pour eux, car vous êtes leur Dame, l'aide et le secours de
tous.
La Mère de Dieu répondit : Allez à mon Fils, et oyons ce qu'il
répondra pour l'amour de celle qui est assistante.(2)
La Mère de Dieu prie pour la France avec saint Denis et autres
saints, son Fils, et sur la guerre ardente entre deux rois ( de
France et d'Angleterre) , qui semblaient deux bêtes farouches.
CHAPITRE 104
La Mère de Dieu parle à
son Fils, lui disant : Beni soyez-vous, ô mon Fils ! Il est écrit
que j'ai été appelée bienheureuse, d'autant que je vous avais porte
au ventre, et vous répondîtes que celui-la est aussi béni, qui
écouterait vos paroles et les garderait. Or, mon Fils, je suis
celle-la qui ai garde de cœur vos paroles et les ai conservées dans
mon sein. Je me souviens aussi d'une parole que vous avez dite a
saint Pierre lorsqu'il demandait combien de fois il pardonnerait aux
pécheurs, si ce serait jusques à sept fois, vous lui répondîtes :
Septante-sept fois sept fois, marquant par cela que tout autant de
fois que quelqu'un s'humilie avec volonté de s'amender, vous étiez
autant de fois prêt et prépare à lui faire miséricorde.
Le Fils répondit : Je vous rends témoignage que mes paroles ont été
enracinées en vous, comme la semence qui est jetée en une terre bien
grasse, donnant de soi le fruit centième. Mais aussi vos œuvres
vertueuses donnent à tous ce fruit de joie. Partant, demandez ce que
vous voulez.
La Mère répondit : Je vous en prie avec saint Denis et les autres
saints dont les corps est ensevelis en ce royaume de France, et dont
les âmes sont au ciel, jouissant de la gloire , ayez miséricorde de
ce royaume, car afin que celle qui est ici présente en esprit,
entende l'importance de ceci, je parlerai comme par similitude.
Je vois comme deux bêtes grandement farouches, chacune en son
espèce, d'autant que l'une désire impatiemment d'engloutir et de
dévorer tout ce qu'elle peut avoir, et plus elle mange, plus elle
est affamée. La deuxième bête s'efforce autant qu'elle peut de
monter sur toutes les autres.
Ces bêtes ont trois maux :
1° une voix terrible et effroyable;
2° elles sont pleines d'un feu très dangereux;
3° une chacune désire de dévorer le cœur de l'autre, et l'une
cherche au dos de l'autre avec ses dents, pour trouver par où entrer
jusqu'au cœur, afin qu'en la mordant, elle la tue. L'autre a la
bouche devant la poitrine de l'autre, voulant par là trouver par où
entrer jusques au cœur. La voix de ces deux bêtes terribles est ouie
de loin. Et toutes les bêtes qui s'approcheront de ces deux bêtes,
ayant la bouche ouverte, seront brûlées de leur feu et mourront;
mais celles qui s'approcheront d'elles la bouche fermée, seront
privées et dépouillées de la laine.
Par ces deux bêtes sont entendus deux rois : celui de France et
celui d"Angleterre. L'un de ces deux rois ne se rassasie jamais,
d'autant que le sujet de la guerre est la cupidité insatiable.
L'autre roi veut toujours monter, c'est pourquoi l'une et l'autre
bête sont pleines de feu de colère, d'indignation et d cupidité. La
voix de ces bêtes est telle : Recevez l'or, les cupidités et les
richesses du monde, afin de ne pardonner point au sang des
chrétiens. Chacune de ces bêtes désire la mort de l'autre, et
partant, chacune cherche l'occasion de se nuire. Ce roi-la cherche à
nuire au dos, qui désire que son injustice soit estimée justice, son
iniquité équité, et veut que la justice de l'autre soit réputée
injustice. L'autre épie l'occasion de nuire en son cœur, qui,
sachant avoir raison, ne se soucie de fouler et nuire autrui, sans
avoir compassion de leur misère; et même en sa justice, la charité
n'est pas, c'est pourquoi il désire avoir entrée en sa poitrine,
d'autant qu'il a plus de droit au royaume; mais il a la superbe
intolérable , la colère et fureur avec la justice ; l'autre a moins
de justice, c'est pourquoi il brûle de cupidité.
Les autres bêtes aussi qui viennent à ces deux bêtes, la gueule
ouverte, sont celles qui viennent , touchées des mêmes cupidités
insatiables. Ceux qui s'appellent rois remplissent leurs gueules
d'espérances, mais au bout du compte, ne sont que traîtres.
Certainement, ils jettent abondamment l'argent, et remplissent leur
gueule de dons pour les animer à la guerre, mais c'est pour les y
faire mourir, les biens desquels leur demeurent, et leur cœur
demeurent en terre, et les vers rongent leur cœur, et les diables
déchirent leurs âmes. Et de la sorte, ces deux rois trahissent les
âmes que mon Fils a rachetées de son sang. Ces bêtes, qui sont
privées de la terre, sont les simples qui se contentent de leurs
biens, qui vont à la guerre, pensent qu'elle est juste; partant, ils
sont dépouillés de la toison, c'est-à-dire, de la vie, mais leurs
âmes sont reçues au ciel. Partant , ô mon Fils, ayez-en miséricorde.
Le Fils répondit : D'autant que vous, ô ma Mère, confiez toutes
choses à moi, dites, Brigitte l'oyant, quelle justice il y a que les
rois soient exauces.
La Mère répondit : J'entends trois voix : la première est de ces
deux rois, l'un desquels pense en cette manière : Si j'avais ce qui
est à moi, je ne me soucierais point de ce qui est d'autrui, et j'ai
crainte de manquer de tous les deux; et à raison de cette crainte,
il se trouble, savoir, il craint l'opprobre du monde. il se tourne
vers moi, disant : O Marie, priez pour moi. L'autre roi pense tout
autrement : Je suis las : Plut à Dieu que je fusse en mon premier
état ! Et partant, lui-meme se convertit vers moi. La deuxième voix
est de la communauté, qui me prie toujours pour avoir la paix tant
désirée. La troisième voix est de vos élus , qui crient disant Nous
ne pleurons point le corps des morts, ni les dommages de la
pauvreté, mais les chutes des âmes qui se perdent tous les jours.
Partant, ô Princesse du ciel, priez votre Fils, afin que les âmes
soient sauves. Partant, ô mon Fils, ayez miséricorde d'elles.
Le Fils répondit : Il est écrit que l'on ouvrira à celui qui
frappera, qu'on répondra à celui qui appellera, et qu'on donnera à
celui qui demandera. Mais comme ceux qui frappent sont hors porte,
de même ces ois sont hors la porte, d'autant que moi, qui suis la
porte, ne suis pas en eux; néanmoins pour l'amour de vous, on leur
ouvrira, puisqu'ils le demandent.
Notre-Seigneur enseigne à son épouse le moyen de faire la paix entre
le roi de France et le roi d'Angleterre. Que si ces rois n'obéissent
point, ils seront grièvement punis.
CHAPITRE 105
Le Fils du Père Eternel
dit : Je suis un roi formidable et honorable. J"enverrai mes paroles
à ces deux rois, en considération de ma Mère (3).
Je suis la paix. et où je suis, là certainement est la paix. Si donc
ces deux rois de France et d'Angleterre veulent avoir la paix, je
leur en donnerai une qui sera éternelle. Mais ils ne pourront avoir
une vraie paix, si ce n'est qu'on aime la vérité et la justice, et
d'autant que l'un de ces rois a de son cote la justice, il me plait
qu'il fasse la paix par un mariage, et de la sorte, le royaume
pourra parvenir au légitime héritier.
En second lieu, je veux qu'ils soient un même cœur et une même âme,
unis ensemble pour amplifier et étendre la foi sainte et chrétienne,
où commodément il se pourra faire pour mon honneur et ma gloire. En
troisième lieu, qu'ils ôtent les exactions intolérables et les
inventions trompeuses, et qu'ils aiment les âmes de leurs sujets.
Que si le roi qui tient maintenant le royaume ne veut obéir, qu'il
soit certain qu'il ne prospérera point en ses actions, mais qu'il
finira sa vie avec douleur, et laissera son royaume et ses enfants
en tribulations et angoisses; tout son sang viendra en telle fureur,
opprobre et confusion, que tous s'en étonneront.
Que si ce roi qui a droit veut obéir, je l'aiderai et bataillerai
avec lui pour lui; que s'il n'obéit point, il ne parviendra pas
aussi à l'exécution et accomplissement de ses désirs, mais il en
sera frustre, et l'issue funèbre et douloureuse obscurcira son
entrée joyeuse. Mais en vérité, quand les Français s'humilieront
vraiment, le royaume parviendra au vrai héritier et en bonne paix.
Notre-Seigneur dit à son épouse qu'elle ne craigne point
d'enfreindre l'abstinence par le commandement du Père spirituel, car
lors il n'est pas péché. Il l'avertit aussi d'être constante et de
résister généreusement et continuellement aux tentations, et d'avoir
une ferme volonté de persévérer dans les bons exemples de la Sainte
Vierge Marie, de David et d'Abraham.
CHAPITRE 106
Le Fils de Dieu dit à
Sainte Brigitte : Que craignez-vous, car quand vous mangeriez quatre
fois le jour, vous ne pêcherez jamais, si vous le faites avec le
commandement de celui à qui vous devez obéir ? Demeurez donc
constante. Vous devez être comme le soldat qui a reçu à la guerre
diverses blessures : il rend la pareille à ses ennemis, et il se
rend d'autant plus échauffé au combat que plus ses ennemis le
poursuivent : de même vous devez frapper contre vos ennemis avec
plus de ferveur, et être plus constante et plus généreuse, et vous
devez avoir une volonté raisonnable de persévérer dans le bien.
Or, vous refrappez lors le démon infernal, quand vous ne consentez
point aux tentations, mais résistez généreusement, comme par
exemple, opposant l'humilité à la superbe, la sobriété à la
gourmandise. Or, lors vous êtes constante, lorsque accablée de
tentations furieuses, vous ne murmurez point contre Dieu, mais vous
souffrez le tout avec joie, imputant et attribuant le tout à vos
péchés, rendant grâces à Dieu des peines que vous souffrez. Lors
votre volonté est raisonnable, quand vous ne désirez point de
récompenses, mais ma volonté, vous abandonnant entièrement en mes
mains.
Or, Lucifer n'a point eu le premier bien, qui est de résister,
d'autant qu'il consentit soudain à sa pensée, c'est pourquoi il
tomba irréparablement, car comme il n'eut aucun qui le portât au
mal, aussi il n'aura jamais aucun réparateur.
Judas n'eut aussi le second bien, mais se désespérant, il se pendit.
Pilate n'eut pas aussi le troisième bien, attendu qu'il eut une
volonté plus ferme pour apaiser les Juifs, et à conserver son
honneur qu' à me délivrer de leurs mains.
Or , ma Mère a eu le premier bien, qui est de résister aux ennemis,
elle qui a oppose autant de contraires qu'elle eu d'attaques. David
a eu le second bien, qui fut patient en son adversité, et ne se
désespéra point en sa chute.
Abraham eut le troisième bien, savoir, une volonté parfaite, lui
qui, ayant quitte son pays voulait encore immoler son fils.
Imitez donc ceux-ci selon vos forces.
Jésus-Christ induit son épouse, l'âme fidèle, à conserver toujours
avec grand soin, la contrition pure, la charité divine, l'obéissance
ferme; qu'elle méprise aussi tous ceux qui méprisent l'obéissance,
l'abstinence, la patience. Il avertit aussi l'homme spirituel que,
sous espèce de lumière il ne se laisse obscurcir par sa science.
CHAPITRE 107
Un ange d'une beauté
admirable apparut; auquel tous les autres anges disaient :O mon ami,
pourquoi offrez-vous à notre Dieu une noix vide?
Il répondit : Bien que vous sachiez toutes choses, néanmoins, pour
l'amour de celle qui est ici présente, je parle : Je ne me contriste
pas en la présence de Dieu, moi qui sers en telle sorte sa volonté
pour l'avancement des âmes, que je ne sors jamais de sa présence; et
bien que je ne lui présente une noix de douceur, je lui offre
néanmoins quelque chose délectable, savoir, une clef d'or très pur,
un vase d'argent et une couronne de pierres précieuses. Or, la clef
signifie la contrition pure des péchés commis, qui ouvre le cœur de
Dieu, introduit les pécheurs dans le cœur de Dieu. Le vase est la
divine dilection et la charité, en laquelle Dieu repose doucement
avec l'âme. La couronne est l'obéissance ferme et joyeuse, car Dieu
requiert et demande ces trois choses.
Je représente derechef à Dieu les mêmes choses qu'elle lui avait
autrefois représentés, et néanmoins, cela redondera à son honneur, à
raison que la clef de la contrition est présente, de sorte qu'elle
n'ose pas même penser à elle.
Le vase de la divine dilection lui est si amer qu'elle ne le peut
nullement sentir; car comment la suavité de l'esprit lui
pourrait-elle être à goût, où elle voit être enracinée la volupté de
la chair ? car deux contraires ne s'accordent point dans un vase. La
couronne aussi de l'obéissance lui est lourde, car la propre volonté
lui plait grandement, et il lui est plus doux de suivre la volonté
propre que la volonté de Dieu.
Lors l'ange, se tournant vers Dieu, dit : Seigneur, voici le vase,
la clef et la couronne, dont cette âme s'est rendue indigne.
Partant, quand le têt du pot se cassera, on trouvera le dedans tout
plein de boue, qui devrait être plein de miel très doux. Au milieu
du pot est un serpent. Le pot est le cœur, qui, quand il crèvera par
la mort, sera plein des désirs du monde, qui sont comme de la boue.
Or, le serpent est l'âme, qui devrait être plus lumineuse que le
soleil, plus fervente que la flamme : mais hélas ! elle est faite un
serpent plein de venin, qui ne nuit à pas un, si ce n'est à soi pour
sa ruine éternelle.
Or, le Seigneur parla lors à l'épouse, disant : Je vous dis par
similitude en quelle manière cet homme est fait ; il ressemble à un
homme qui s'arrêterait et à un autre qui s'approcherait de l'autre,
et quand les deux visages seraient l'un contre l'autre, celui qui
marcherait dirait : Seigneur, entre vous et moi, il n'y a qu'un
petit espace. Montrez-moi la voie par laquelle je dois marcher, car
je vous vois en telle puissance qu'il n'y a point d'égal, en tant de
douceur qu'il n'y a point de comparaison, en tant de bonté que vous
êtes la source et le principe d'où sort toute bonté et sans lequel
il n'y aurait rien de bon.
Il répondit : Mon ami, je vous montrerai trois sortes de voies qui
tendent néanmoins en une : si vous suivez celle-ci, elle est
raboteuse au commencement, mais à la fin elle est tout égale et
frayée; elle est obscure en son entrée, mais lumineuse en son
progrès, amère pour quelque temps, mais très douce en sa fin.
Il répondit : Montrez-moi seulement cette voie, et je la suivrai
franchement, car je vois le danger être dans le retardement, et le
dommage à se fourvoyer de cette voie, est un grand fruit, si je la
suis . Partant, accomplissez mon désir et montrez-moi la vraie voie.
Je suis donc le Créateur de toutes choses, et suis immuable et
permanent de toute éternité. Or lors celle-là s'approchait de moi
quand elle m'aimait, et ne cherchait rien tant que moi. J'ai aussi
tourne ma face vers cette âme, quand j'ai verse en elle les divines
considérations et les voies du monde, et la volupté de la chair, lui
était à haine et à horreur. Je lui ai montré aussi une voie triple,
non pas par une voix charnelle, mais inspirant secrètement son âme
en même manière que j'inspire évidemment maintenant votre âme.
1° Je lui ai donc montre de m'être obéissante, à moi qui suis son
Dieu, et à ses prélats. Mais lui, il m'a répondu intérieurement,
pensant en cette sorte : Non, je n'en ferai rien, car mon prélat est
supérieur est trop fâcheux; il n'a point de charité, et partant, je
ne lui puis obéir d'une volonté joyeuse.
2° Je lui ai aussi montre une deuxième voie, savoir, de fuir la
volupté de la chair et de suivre la volonté divine, de fuir la
gourmandise et de suivre l'abstinence. Ces voies-ci sont celles qui
conduisent à la vraie obéissance. Mais cette âme répondit : Je n'en
ferai rien. Ma nature est faible : partant, je dormirai et mangerai
mon saoul ; je parlerai , me réjouirai, et rirai pour le souls du
monde.
3° Je lui ai montre la troisième voie, savoir, avoir une patience
invincible pour l'amour de moi, qui suis leur Dieu, car c'est
celle-la qui conduit à l'abstinence, qui induit à la sainte
obéissance. Mais cette âme répondit : Je n'en ferai rien, car je
souffre les opprobres et contumelies, on dira que je suis fou. Si je
me rends méprisable en l'habit, tout le monde me remplira de
confusion; et si en mes membres il y a quelque difformité, il est
nécessaire qu'en mes œuvres et actions, il y ait quelque chose qui
plaise et qui supplée à ce défaut.
Notre-Seigneur parle en ces termes sur ce sujet : Et moi et sa
conscience nous débattons jusques à ce qu'il s'est éloigne de moi;
il tourne le dos, et non la face vers moi. Mais en quelle manière ?
C'est quand il voulait obéir seulement à ceux qui lui ont plu et
agrée; et il a voulu diminuer des amitiés du monde.
Or, maintenant, le diable s'efforce de rendre cette âme aveugle et
muette, se propose de lui lier les pieds et les mains et de la
précipiter dans les fondrières de l'enfer. Or, le diable la plonge
lors dans les ténèbres, quand elle pense en cette sorte : Dieu m'a
rachetée par sa passion ; il ne me perdra point, car il est
miséricordieux : il n'examine pas les péchés avec tant de rigueur.
Dieu examine aussi facilement que l'homme pèche à toute heure.
Par tout ce que dessus, il est prouve que la foi de cette âme n'est
pas ferme : partant, qu'elle cherche en mon Evangile : elle y
trouvera que je cherche et demande raison, non seulement des
paroles, mais bien plus des œuvres, car on voit aussi que le riche
n'a pas été enseveli en enfer pour avoir dérobé , mais bien d'autant
qu'il abusait de ce qu'on lui avait donne. Or lors le diable rend
cette âme muette, lorsque, entendant les exemples de mes amis et
leurs paroles, elle dit : Personne ne pourra vivre maintenant de la
sorte ; et par ceci, il est prouve qu'il a une petite espérance ,
car moi , qui ai donne à mes amis la faveur de vivre chastement et
justement , j'ai la même puissance de faire que cette âme vit de la
sorte, comme si elle avait son espérance en moi. Lors le diable lui
lie les mains, quand elle aime plus quelque autre chose que moi;
quand elle s'occupe plus aux intrigues du monde qu'à mon honneur et
à ma gloire. Partant, qu'elle prenne garde que , pendant qu'elle
s'occupe plus au monde qu' à moi de n'être supplantée par le diable
, car là où l'on prend moins garde, c'est là que le diable prépare
et dispose l'hameçon.
Elle aussi se lie les pieds, quand elle ne prend garde au
débordement de ses affections et de ses liaisons ; quand elle ne
considère pas l'état de ses affections ; quand elle s'étudie
tellement à son utilité et à celle de son prochain et de sa chair ,
qu'elle oublie l'avancement de âme . Partant , qu'elle considère ce
que j'ai dit en l'Evangile : que l'homme qui a mis la main à la
charrue ne regarde point derrière soi , et que ce qu'il a entrepris
étant plus utile à son âme , il n'en recule point . Le démon
infernal met quelquefois un lien en son âme , quand il fait pencher
tellement âme au mal qu'elle pense et voudrait être élevée sur les
honneurs du siècle et persévérer en telles dispositions . Il la
conduit aussi dans les ténèbres cymmeriennes , quand elle a les
pensées suivantes et qu'elle y consent . Soit que j'ai gloire ou
supplice , je ne m'en soucie guère . Malheur à elle , si elle est
plongée dans les ténèbres!
En vérité , s'il se veut convertir à moi , je lui irai néanmoins
au-devant comme un bon père . Mais comment ? En faisant tout ce
qu'elle pourra ; car comme il n'est pas permis au fils de l'homme de
prendre une femme en mariage contre sa volonté , aussi n'est-il pas
loisible au Fils de la Vierge , car la volonté est un instrument par
lequel l'amour divin entre en l'âme ; car comme le meunier , voulant
tailler les pierres , cherche en premier lieu les veines où il met
les instruments les plus déliés , et puis les plus épais , jusques à
ce que la pierre soit fendue , de même je cherche la bonne volonté ,
en laquelle je répands ma grâce , après l'accroissement des œuvres
et l'avancement de la volonté ; une plus grande grâce croît en âme ,
jusques à ce que le cœur de pierre croisse en cœur de chair , et le
cœur de chair en cœur spirituel.
DECLARATION
L'homme à qui fut faite la révélation suivante fut prieur ès parties
de Sicile , près du mont Vulcain.
ADDITION
Le Fils de Dieu Tout-Puissant parle : Ce frère admire pourquoi mes
apôtres saint Pierre et saint Paul ont été gisants et comme négligés
en ce lieu des catacombes un si long laps de temps . Je vous réponds
: L'Ecriture dorée dit qu'Israël demeura longtemps dans le désert ,
d'autant que la malice des Gentils , dont il devait posséder les
terres , n'était pas encore accomplie . Il en était de même de mes
apôtres , car le temps où il fallait exalter les corps de mes
apôtres n'était pas venu : le temps de probation devait en effet
précéder le temps des récompenses et des couronnes , et il devait en
être ainsi de ceux auxquels étaient dus l'honneur et la grandeur des
apôtres.
Or, maintenant , vous pourriez vous enquérir si, quand leur corps
étaient ensevelis dans les puits , ils avaient quelque honneur.
Je vous réponds que mes anges gardaient et honoraient ces corps
bienheureux , car comme ce lieu-là est diligemment cultive où on
doit semer et planter de belles plantes , de même ce lieu des
catacombes était dès longtemps prépare et honore , en sorte que les
anges et les hommes s'en réjouiraient : je vous dis pourtant qu'au
monde , il y a des lieux où les corps des saints reposent , mais non
pas semblables en excellence à celui-ci , car si on nombrait les
saints qui ont été mis là , à grand peine pourrait-on croire qu'il y
en eut un si grand nombre qu'il y en a.
Partant , comme l'homme infirme est réfectionné de la bonne odeur et
des viandes , de même les hommes venant en ce lieu avec un cœur
sincère , sont reçus spirituellement , et y reçoivent , faisant ce
qui est nécessaire , la vraie remission de leurs péchés , un chacun
néanmoins selon sa vie et sa foi.
Ce même Frère , étant contrit des paroles de sainte Brigitte , ouit
par trois nuits une voix qui lui disait : Hâtez-vous , hâtez-vous !
Venez , venez ! Et le quatrième jour , étant tombe malade et ayant
reçu les saints sacrements , il mourut à Rome.
Notre-Seigneur dit à son épouse que trois saints lui ont plu
par-dessus les autres , savoir , la Sainte Vierge, saint
Jean-Baptiste et sainte Marie-Magdelène . Il loue aussi la
discrétion de l'abstinence qu'ils ont gardée dans les viandes , le
sommeil et le vêtement.
CHAPITRE 108
Pour le jour de la
Nativité de la Sainte Vierge . Pour le jour de Saint Jean-Baptiste .
Pour le jour de Sainte Magdelène.
Le Fils de Dieu parle : Il y a trois saints qui m'ont agrée
par-dessus les autres : Sainte Marie , ma Mère , saint Jean-Baptiste
et sainte Marie-Magdelène . Ma Mère a été si belle en sa naissance
et après sa naissance , qu'elle n'eut jamais de souillure ni tache
en elle ; ce que les démons connaissant , ils portèrent cela avec
tant de facherie , que nous pouvons dire comme par similitude qu'une
voix des démons , sortant de l'enfer , disait : Une Vierge marche
avec tant de vertu et avec tant de merveilles , qu'elle surpasse
tous les hommes en terre et au ciel , et parvient et arrive jusques
au siège de Dieu. Que si nous allons contre elle avec tous nos
lacets , elle les rompt tous , et comme l'étoupe est bientôt rompue
et déchirée , de même rompt-elle les grandes cordes.
Si nous venons à elle avec toute notre malice et immondice , elle
coupe toutes choses , comme le faucheur coupe le foin . Si nous
suggérons la volupté et les délectations au monde, toutes ces choses
sont plus facilement étouffées qu'une scintille de feu par les
torrents des eaux.
Or, saint Jean étant né, il déplut aux démons en telle sorte , qu'on
ouït comme une voix sortant de l'enfer, qui disait : Un enfant
admirable est né . Que ferons-nous , si nous agissons contre lui
avec les vents de notre superbe ? Certainement , Baptiste nous
méprise , nous et nos paroles , et moins veut-il consentir à nos
suggestions. Si nous lui offrons des richesses , il nous tourne le
dos et refuse de les voir ; si nous lui présentons les voluptés , il
est comme mort et ne les veut ressentir.
Quand sainte Marie-Magdelène fut convertie , les démons dirent :
Comment pourrons-nous la remettre dans ses premiers péchés ? En
vérité, nous avons perdu une proie assez grasse, hélas ! Elle se
lave tellement dans le ruisseau de ses larmes que nous n'osons la
regarder ; elle se couvre tellement de bonnes œuvres qu'elle ne
parait point tachée ; elle est fervente et si chauffée au service de
Dieu et à la sainteté, que nous n'osons l'approcher : partant, ces
trois ont toujours donne à l'âme l'entier domaine et gouvernement,
et leur corps, l'obéissance et la soumission.
Leur âme avait aussi trois choses : 1° elle n'a rien aime si
chèrement que Dieu ; 2° elle n'a rien voulu faire contre moi ; 3°
elle n'a voulu rien omettre de ce qui touchait à l'honneur de Dieu .
Bien donc que ceux-ci aient eu une telle âme , ils n'ont pas
pourtant méprise leurs corps , ni ne lui donnèrent point le venin au
lieu de la viande , ni les épines pour le vêtement , ni ne se sont
pas assis à la table des fourmis , mais ils ont use d'une modérée
réfection pour mon honneur , pour ma gloire et pour l'utilité de âme
Ils ont aussi des vêtements pour couvrir leur corps , et non pour
nourrir et fomenter la vanité , le sommeil pour le repos , et le lit
seulement pour le soulagement , Et de fait , s'ils eussent su me
plaire et que je leur en eusses donne la grâce , ils eussent pris et
choisi pour viande toutes les choses amères , les épines pour
vêtements , et se fussent couches sur les fourmilières.
Mais d'autant qu'ils me considéraient tout juste et tout
miséricordieux , aussi gardèrent-ils la justice pour le corps , par
retenue des passions et des mouvements déréglés : de même furent-ils
raisonnables et miséricordieux pour pardonner au corps et le
soulager , de peur que , par la violence des labeurs , le corps ne
déchut et ne défaillit.
Mais maintenant , vous me pourriez demander pourquoi je n'ai pas
donne à ceux-ci la même grâce que j'ai donnée aux saints ermites et
aux Pères anciens , dont quelques-uns ne mangeaient qu'une fois par
semaine , dont quelques autres ont mange des viandes apportées par
les anges . Je vous réponds que ces saints Pères ont obtenu de moi
cette ferveur de jeûner de la sorte , pour trois raisons : 1° pour
manifester ma grâce et mon adorable puissance , afin que les hommes
sachent que , comme je nourris l'âme sans la viande corporelle , de
même je puis nourrir et sustenter le corps sans viande , quand il me
plait ; 2° afin de montrer , par un vif exemple , que le labeur
corporel et la tribulation attirent âme au ciel ; 3° afin d'éviter
le péché , car la volupté charnelle , si elle n'est retenue ,
entraîne âme aux peines éternelles.
Donc , afin d'apprendre aux hommes la continence et la manière de
vivre au monde sans aucune viande, néanmoins , je me suis servi des
viandes et des choses corporelles, afin que l'homme , connaissant
son obligation , me rendit grâce , à moi qui suis son Dieu , et afin
qu'il put prendre un soulagement modéré au monde , et une parfaite
liberté au ciel avec les saints.
La Sainte Vierge Marie dit que l'homme spirituel , après qu'il s'est
convertit par pénitence , l'amour et la contrition , doit par la
patience réparer le temps perdu , afin qu'il n'offre à Dieu une noix
vide.
CHAPITRE 109
La Sainte Vierge Marie
parle : Quand on présente quelquefois des noix à Notre-Seigneur , il
s'en trouve souvent de vides , lesquelles on doit remplir afin
qu'elles soient agréables : de même en est-il dans les œuvres
spirituelles : plusieurs font de bonnes œuvres , par le moyen
desquelles le péché est diminué , afin qu'ils n'entrent en enfer .
Néanmoins , en l'intervalle de tous ces temps , il y eut bien du
temps fort inutile et vide , lequel est nécessaire de remplir , si
le temps de travailler est loisible et permis , sinon , sans doute ,
la contrition et l'amour suppléeront au défaut.
Marie-Magdelène offrit à Dieu des noix , c'est-à-dire , de bonnes
œuvres , entre lesquelles il y en avait vraiment de vides , car elle
s'employa longtemps à pécher . Mais ce vide fut rempli avec la
patience et le labeur par succession de temps.
Saint Jean-Baptiste offrit à Dieu des noix toujours pleines ,
d'autant que , dès sa jeunesse , il servait Dieu , lui offrant tout
son temps.
Mais les apôtres ont offert à Dieu des noix comme à demi pleines,
d'autant qu'avant leur conversion , ils eurent une grande quantité
de temps imparfait.
Mais quant à moi , qui suis la Mère de Dieu , je lui ai offert des
noix toutes pleines et plus douces que le miel , car dès ma jeunesse
, j'ai été pleine de grâce et ai été conservée en la grâce.
Partant , je vous dis que , bien que le péché soit pardonné à
l'homme , néanmoins il doit racheter le temps perdu et vide de
toutes sortes de biens par la patience et les œuvres de charité.
Notre-Seigneur Jésus-Christ instruit l'épouse des différences qu'il
y a entre le bon esprit et le mauvais, etc.
CHAPITRE 110
Le Fils de Dieu
enseigne la manière de connaître l'Esprit divin, attendu qu'il y a
deux sortes d'esprits: le bon et le mauvais . Mon Esprit est
amoureux et fervent , et fait agir deux sortes de biens : le premier
est que celui qui l'a ne désire autre chose que plaire à Dieu ; le
second est qu'il a une profonde humilité et un grand mépris du
monde.
Mais l'esprit malin est froid et chaud : froid s'autant qu'il rend
amer tout ce qui touche à l'honneur et la gloire de Dieu ; chaud ,
attendu qu'il incline et porte l'homme à la volupté charnelle , à la
superbe du monde , et excite les affections à sa propre louange . En
vérité , il vient flattant comme un ami , mais il est comme un chien
enrage qui mord ; il vient comme un doux consolateur , mais c'est un
traître bourreau.
Partant, quand il viendra, dites-lui : je n'ai point affaire de
vous, car votre fin est pernicieuse. Mais quand le bon Esprit
viendra, dites lui : O mon Dieu, venez comme un feu et brûlez mon
cœur, car bien que je sois indigne de vous avoir, néanmoins j'en ai
besoin. Vous ne serez pas meilleur quand vous m'aurez, car vous
n'avez pas besoin de moi ; mais moi, je serai meilleur en vous par
vous, car sans vous je ne suis rien.
Le Fils de Dieu parle à son épouse de trois lois : de celle de l'Eglise,
de l'empereur et de la communauté ; mais il l'avertit de vivre selon
la quatrième loi spirituelle et divine , qui est en humilité , foi
ferme , charité divine , parfaite et catholique , postposant toutes
choses à Dieu ; car par ceci , l'honneur spirituel et les richesses
célestes sont acquis en la gloire éternelle.
CHAPITRE 111
La Sapience éternelle ,
la seconde personne de la sainte et auguste Trinité , parle à son
épouse , lui disant qu'il y a trois lois : l'une est ecclésiastique
, l'autre est de l'empereur , la troisième est de la communauté .
Ces trois lois sont écrites sur les peaux mortes d'animaux . Mais il
y a une autre spirituelle qui n'est pas écrite sur les peaux, mais
au livre de vie, qui ne se perd jamais ni ne se corrompt par
vieillesse, et ne tache jamais, ni n’est possédée avec difficulté.
Partant, toute bonne loi doit être ordonnée pour le salut de l’âme
et pour l’accomplissement des commandements de Dieu, pour fuir les
mauvais désirs et pour la recherche discrète des choses qui doivent
être désirées. Or, maintenant, dans les lois qui sont écrites sur
les peaux, il n’y a qu’une parole, qui s’appelle obtenir quelque
chose : partant donc, afin que quelqu’un obtienne quelque chose, une
de quatre choses lui est nécessaire, car quand on donne à quelqu’un
quelque présent pour la charité et pour la familiarité, ou pour
l’héritage, ou pour le partage, ou pour les œuvres d’utilité et de
service, il en est de même de la loi spirituelle, car la loi
spirituelle est connaître Dieu, l’aimer et en jouir, et en cette loi
consistent l’honneur et les richesse spirituelles, savoir, changer
toutes le choses créées au Créateur, laisser sa propre volonté pour
l’amour de Dieu, aimer les vertus et donner le monde pour le ciel.
Ces richesses s’obtiennent de quatre manières : 1° par la charité,
car comme un seigneur temporel donne des présents, poussés à cela
par la charité, bien que les mérites n’en précèdent point, de même
moi, par ma bonté, j’ai créé et racheté l’homme et je le supporte
tous les jours ; et d’ailleurs je l’honore par-dessus ses
ingratitudes. Quiconque aussi m’aime de tout son cœur et ne désire
autre choses que moi, aura en terre la vertu qui est écrite au cœur
avec le doigt de Dieu, et l’honneur au ciel, qui est écrit au livre
de vie, qui est la vie éternelle.
2° On obtient un honneur spirituel à raison de l’héritage. En
vérité, j’ai acheté à l’homme le ciel par le mystère de mon
incarnation et de ma passion, et je l’ai ouvert par un droit
héréditaire, car comme l’homme avait en quelque manière vendu au
diable l’héritage divin, recevant un peu de sommes en échange d’un
dilection éternelle, une viande défendue pour l’arbre de vie, la
fausseté pour la vérité, de même ai-je, en obéissant à mon Père,
l’obligation de la rébellion ; par l’amertume de mon cœur, j’ai
satisfait pour la douceur de la pomme ; par ma mort, j’ai mérité à
l’homme l’arbre de vie. J’ai aussi, par la fidélité de mon humanité,
remis l’homme, et j’ai établi la vérité. Quiconque donc croit aux
parcelles de ma vérité et m’imite, celui-là, par l’héritage,
obtiendra les richesses et ma grâce.
3° Il obtiendra l’honneur spirituel par le partage, savoir, quand
l’homme se sépare de toutes les délectations charnelles, et , quand
il change la volonté charnelle en abstinence, les richesses en
pauvreté, l’honneur en mépris, les parents terrestres en la
familiarité des amis de Dieu, la vision du monde en la vision de
Dieu.
4° Il obtiendra l’honneur spirituel pour les œuvres d’humilité et de
service, savoir, quand l’homme milite au service de Dieu, et en
patience invincible, comme un soldat généreux à la guerre, qui sert
fidèlement et humblement son maître, et dispense comme serviteur
justement et miséricordieusement tout ce qu’on lui a confié, comme
un bon économe, et veille soigneusement contre les tentations, comme
un bon soldat en sentinelle. Celui-là est digne d’être honoré et
d’avoir des richesse spirituelles, qui ne sont point empreintes sur
les peaux mortes des animaux, mais bien en l’âme ,car les degrés
d’une triple loi écrite sont utiles pour perfectionner la justice,
mais la loi spirituelle est douce et suave pour en recevoir les
fruits.
Partant, ô ma très chère fille, tâchez d’acquérir l’honneur
spirituel par l’amour, savoir, en n’aimant rien tant que moi.
Cherchez par l’héritage ci-dessus nommé, savoir, en croyant
fermement tout ce que l’Eglise commande ; cherchez par les œuvres
l’humilité, faisant toutes chose pour mon honneur et pour ma gloire.
En vérité, vous avez été appelée en ma loi , c’est pourquoi vous
êtes obligée de garder ma loi. Or, ma loi est vivre selon ma
volonté, comme un bon prêtre vit selon les lois de l’Eglise : de
même, vivez selon les lois de mon humilité, vous conformant à mes
amis, car toute loi temporelle tend, en partie à l’honneur du monde,
et en partie au mépris. Ma loi seule tend aux choses célestes,
d’autant que, devant moi ni après moi, aucun n’a pleinement entendu
quelle et combien glorieuse est la suavité du royaume des cieux,
comme moi et comme celui à qui je la voudrai révéler.
Notre Seigneur dit à son épouse qu’elle se donne diligemment garde
du vice de superbe ; qu’elle ne s’exalte de la beauté des membres,
ou des biens, ou de la race, car la superbe est comparée au papillon
qui a de grandes ailes et un petit corps.
CHAPITRE 112
Le Fils éternel dit à
son épouse : Ne vous troublez point de la superbe de ces gens-ci,
car elle passera soudain. Il y a une certaine espèce de mouche qui
est appelée papillon, qui a les ailes larges et le corps fort petit
; il a en second lieu plusieurs couleurs ; en troisième lieu, li
vole fort haut à raison de sa légèreté et subtilité ; mais montant
en l’air à raison de sa petite force, il tombe soudain sur les
rochers ou sur les bois.
Cette espèce de mouche signifie les superbes, qui ont les ailes
larges et un petit corps, d’autant que leur esprit s’enfle de
superbe comme un peau enflée de vent. Ils croient aussi avoir toutes
choses en considération de leurs mérites et se préfèrent aux autres,
croyant qu’ils sont plus dignes que les autres, en sorte que, s’ils
pouvaient, ils étendraient leur nom par tout l’univers. Mais
d’autant que leur vie est brève et est comme un point, c’est
pourquoi, lorsqu’ils y pensent le moins, ils tombent.
En second lieu, les superbes ont plusieurs couleurs, comme le
papillon, car il s’enorgueillissent de la beauté de leur membres, de
leurs biens, de leur sang, de leur race, et changent tous les jours
d’état selon les inventions de leur orgueil ; mais quand il meurent,
ils ne sont que terre et cendre.
En troisième lieu, quand les superbes sont montés au plus haut
ascendant de superbe, ils tombent en un moment et avec un grand
danger dans les abîmes de la mort.
Partant, ô ma fille, donnez-vous garde de la superbe, d’autant
qu’elle ôte de la présence de Dieu tous les hommes, ni ma grâce
n’entre point en l’homme que possède la superbe.
Notre-Seigneur avertit son épouse de vivre humblement ; qu’elle ne
se soucie point d’une grande renommée, d’autant que lui n’a point
choisi de grand docteurs pour prêcher son évangile, mais bien
d’humbles pêcheurs, car ceux qui travaillent en ce monde à acquérir
au monde une grande renommée, seront grièvement punis en enfer.
CHAPITRE 113
La Sapience éternelle,
le Fils de Dieu, parle : Que celui-là lise les écritures, et il
trouvera que j’ai fait d’un pasteur un grand prophète, et que j’ai
rempli de l’esprit de prophétie les jeunes et les idiots. Mais bien
que tous n’aient pas mes paroles de salut, néanmoins, afin que ma
charité fût plus connue, mes paroles sont parvenues à plusieurs :
semblablement, pour prêcher l’Evangile, je n’ai pas choisi des
docteurs, mais des pêcheurs, afin qu’ils ne se glorifiasses de leur
sagesse, et afin que tous entendent que, comme Dieu est en soi
admirable et au-delà de nos pensées, de même ses œuvres sont
inscrutables, et il opère de grades choses dans les choses les plus
petites. Que tout homme donc qui va par le monde pour acquérir da
propre volonté, pose sur ses épaules un faix dur et pesant.
Voici un exemple d’un certain homme qui allait par le monde avec de
grands désirs de s’agrandir. Il acquit une grande renommée, et en
même temps il mit sur son dos un grand et pesant fardeau de péchés ;
c’est pourquoi il a aussi maintenant un grand nom dans l’enfer, un
faix lourd et accablant pour sa récompense, et un lieu fort
excellent pour son supplice, car en ce lieu, quelques-uns étaient
descendus avant lui, et quelques uns avec lui, et quelques autres
après lui. Or, ceux-là y sont descendus devant lui, qui l’avaient
affermi en la malice et en l’augmentation d’icelle par leur secours
et par leurs conseils. Ceux qui descendirent avec lui furent les
complices de ses œuvres misérables, mais ceux-là descendirent après
lui, qui avaient suivi ses mortifères exemples.
C’est pourquoi les premiers crient à lui comme de combat, et lui
disent : Parce que vous avez obéi et consenti à nos conseils, nous
brûlons de votre présence avec plus d’ardeur. Partant, maudit
soyez-vous, vous qui êtes digne de ce supplice et de ce gibet, où
les cordes ne se rompent jamais, mais où le feu dévorant afflige
éternellement ! Que la confusion la plus honteuse vous soit au
front, en récompense de votre superbe ambition!
Or, ses œuvres crient et disent d’un accent de désespoir : O
misérables que vous êtes ! la terre ne vous a pas pu repaître de ses
fruits, c’est pourquoi vous avez insatiablement désiré toutes
choses. L’or ni l’argent n’ont pu satisfaire vos misérables désirs,
c ‘est aussi pour cela que vous êtes vide et privé de toutes choses,
et que les corbeaux vivants et insatiables déchireront éternellement
votre âme, qui, étant toujours déchirée, pourtant ne diminuera pas,
étant fondue, ne mourra pas, mais vivra d’une vie animée de
tourments. Ceux qui sont descendus après lui en ces fondrières
effroyables, crient d’une triste accent : Malheur à toi que tu sois
né ! Ta volupté s’est convertie en haine de Dieu, en sorte que vous
ne voudriez pas dire une parole pour l’honorer.
Partant, comme en l’amour et en l’honneur de Dieu est toute sorte de
consolation, de délectation, de bien et de joie ineffable, dont nous
sommes indignes pour vous avoir imité, que de même vous avez
éternellement une tristesse et une dissension immortelle avec la
compagnie des démons, difformité pour l’honneur, ardeur pour la
volupté, froid pour l’amour et nul repos pour les satisfactions
charnelles. Et d’ailleurs, pour la grande renommée que vous avez eue
indignement, il vous soit malédiction ; pour siège glorieux, un lieu
méprisé de tous. Voici que parlant par similitude, méritent telles
choses ceux-là qui s’intriguent et s’enveloppent de ces affaires
contre les volontés divines.
ADDITION
Un certain soldat s’étudiait incessamment à trouver diverses
manières de vanité, et il entraîna plusieurs à la damnation
éternelle par ses paroles et par ses maudits exemples. Celui-ci
portait une grande envie à sainte Brigitte des paroles fort
contumélieuses. Cette sainte étant assise à table, il vint à elle et
lui dit, en présence des plus grands : Madame, vous songez trop ,
vous veillez trop. Il vous est expédient que vous mangiez, buviez et
dormiez davantage. Mais quoi ! Dieu n’a-t-il pas laissé les
religieux ? et il parle avec les superbes du monde ! C’est vanité de
croire à vos paroles.
Or, ceux qui étaient là présents voulaient venger l’injure, mais
sainte Brigitte le défendait disant : Permettez-lui de parler, car
Dieu l’a envoyé ; car moi qui en tout le cours de ma vie , ai
cherché ma propre louange, j’ai blasphémé Dieu : pourquoi n’oirai-je
pas ma justice ? Certes, celui-ci dit la vérité.
Ce que ce soldat oyant, il s’en repentit, se réconcilia avec sainte
Brigitte, vint à Rome et y mourut d’une fin louable.
Jésus-Christ avertit son épouse de prendre garde à la conversation
des choses mondaines, qui sont les affections de Satan. La Vierge
Marie l’instruit aussi d’avoir en toutes ses actions l’intention
droite, afin que l’honneur de Dieu s’augmente, car plusieurs servent
Dieu par œuvres, mais leur intention, étant corrompue, offusque
toute sorte de biens.
CHAPITRE 114
Le Fils de Dieu parle
et dit : Prenez garde aux affectations du diable, qui les a cuites
dans les feux de luxure et de cupidité ; car quand on met de la
graisse dans le feu, il est nécessaire que quelque chose en distille
: de même les péchés détestables distillent de la conversation et
société mondaine ; et bien que les consciences nous soient cachées,
néanmoins, les actions extérieures nous manifestent beaucoup
l’intérieur et ce qui est caché en notre sein.
D’ailleurs, la Mère de celui qui est de toute éternité dans le sein
du Père, parle et dit : Que toutes vos actions soient raisonnables
et vos intentions droites, afin que tout ce que vous faites, vous le
fassiez pour l’honneur de Dieu et l’utilité de l’âme soient préférés
à la détestation corporelle. De fait , plusieurs servent Dieu par
œuvres, mais leur intention n’est pas pure, mais contamine tout le
bien, comme vous le pourrez mieux comprendre par un exemple.
Il y a un animal qui s’appelle ours. Quand il est pressé par la faim
et qu’il voit la proie désirée, il met un pied sur la proie , et de
l’autre, il cherche un lieu propre pour enfoncer ses griffes
fortement, afin que la proie ne lui échappe ou qu’on ne lui la
ravisse, et qu’il puisse assouvir ses appétits. Cet ours regarde sa
proie sans intermission, ne cherche no l’or, ni les herbes
odoriférantes, ni les arbres aromatiques, mais seulement un lieu
caché et sûr pour dévorer la proie qu’il a ravie. De même plusieurs
me servent par oraisons et par jeûnes, mus à cela par la crainte,
d’autant qu’ils considèrent les peines horribles de l’enfer et ma
miséricorde très grande.
Ils me cherchent par des œuvres extérieures, mais par la volonté,
ils font contre les commandements de mon Fils, car comme l’ours, ils
ont leur volonté portée à la volupté de la chair et à la cupidité du
monde ; mais d’autant qu’ils craignent la perte de la vie et le
supplice futur, ils me servent en intention de ne perdre la grâce et
de n’encourir la peine.
Et ceci est clair, d’autant qu’ils ne considèrent jamais la passion
de mon très cher Fils, qui est comme un or précieux, ni n’imitent
les vies des saints, qui sont comme des pierres précieuses, ni ne
considèrent point les dons du Saint-Esprit comme des herbes
odoriférantes, et ne laissent leur propre volonté, ils ne font point
les volontés de mon Fils, mais ils veulent seulement s’appuyer au
monde, afin de pécher plus sûrement et avec plus de prospérité. Leur
récompense sera brève, car leur œuvre procède d’un cœur froid ; et
comme l’ours, ayant consommé sa proie, ce se soucie plus d’assurer
ses griffes, de même, l’heure venant, il faut mourir, et leurs
voluptés charnelles ayant été accomplies, l‘appui qu’ils prennent
sur moi leur sert de peu, attendu qu’ils n’ont pas voulu renoncer à
leur propre volonté pour faire la mienne, ni ne m’ont pas cherché,
mus à cela par amour, mais par crainte.
En vérité néanmoins, s’ils s’amendent et s’ils changent leur
volonté, leurs œuvres seront bientôt renouvelées, et leurs volonté
bannie sera réputée pour l’effet, si les œuvres manquent.
ADDITION
Celui-ci fut un prévôt qui a vécu selon son vouloir, qui, venant à
Rome, corrigea sa vie très louablement , qui, ayant visité le mont
Gargan et Saint-Nicolas par le conseil de sainte Brigitte, et étant
retourné à elle, dit, entre autres choses, qu’il admirait que la
grande et fameuse cité de Sisipont fût détruite, où tant de corps
saints reposent.
Lors , le jour suivant, Notre-Seigneur, apparaissant à sainte
Brigitte, dit : Ce votre ami admire que cette ville-là soit détruite
et ruinée. En vérité, ma fille, les péchés des habitants d’icelle
l’ont mérité de la sorte, et les autres, certes, n’ont par mérité
les mêmes choses, mais un de mes amis visitait là les corps saints ;
ayant envers moi une parfaite charité, il reprenait les mœurs
insolents des habitants, et voyant leur obstination, me priait avec
larmes, afin que le lieu fût plus désolé et déplorable, puisque tant
d’âmes s’y perdaient et étaient en danger se d’y perdre. Et moi,
regardant les larmes et qu’aucun ne se mettait parfaitement en
devoir de ma plaire, j’ai permis que ce que maintenant fût exécuté.
Notre-Dame lui dit : O Seigneur , il est déplorable que plusieurs
reliques de tant de saints et tant de corps soient là gisant comme
des immondices et sans murailles.
Jésus-Christ répondit : Comme j’ai les âmes des élus en moi-même,
j’ai soin aussi des reliques de mes amis, qui sont mes trésors,
jusques à tant qu’ils reçoivent ma double promesse.
Notre-Dame parla encore : O Seigneur, mon très cher ami, je crois
qu’en ce lieu, les saints pontifes avaient donné plusieurs grâces et
rémissions : eh quoi ! d’autant que les murailles sont entièrement
ruinées , les grâces seraient abolies?
Notre-Seigneur repartit : Quel lieu y a-t-il eu plus saint que
Jérusalem, où moi, Dieu ai imprimé mes vestiges ? Quel lieu y a-t-il
maintenant plus méprisé, qui est maintenant habité et foulé par les
infidèles ? Néanmoins, tous ceux qui viennent en Jérusalem trouvent
la même première grâce et la même rémission. Le semblable est de ce
même lieu, car quiconque vient en celui-là, mû par une volonté
parfaite, participera à la même grâce et bénédiction que cette cité
avait , lorsqu’elle était sur pied et en sa gloire magnifique, à
raison de la foi et du labeur amoureux de ceux qui y viennent.
Notre Seigneur, parlant à son épouse de la manière d’affranchir
quelques démoniaques, lui dit que, comme le corps a divers membres,
de même l’âme a ses membres intérieurement en elle, et
spirituellement, et Notre –Seigneur le déclare d’une manière fort
belle.
CHAPITRE 115
Le Fils de Dieu parle,
disant : Vous êtes, ô mon épouse ! comme une roue qui en suit une
autre : de même vous devez suivre mes volontés. Je vous ai parlé de
quelqu’un dont l’âme est possédée. Or, maintenant, je vous dirai en
quel membre il est affligé. Je suis semblable à un homme qui dirait
à son bourreau : Il y a en votre maison trois prisons. En la
première sont tous ceux-là qui sont dignes de perdre la vie. En la
deuxième sont ceux-là qui doivent être privés de quelque membre. En
la troisième ceux-là qui doivent être fouettés et écorchés de coups,
à qui le bourreau dirait : Seigneur, quelques-uns doivent être
privés de la vie ; les autres doivent être mutilés et fustigés :
pourquoi diffère-t-on le jugement ? car s’ils étaient promptement
jugés, leur douleur s’oublierait.
Notre-Seigneur répondit : Ce que je fais, je ne le fais pas sans
sujet ni raison, d’autant que ceux qui doivent être privés de la
vie, doivent avoir leur temps, afin que les bons, voyant leurs
misères, soient rendus meilleurs, et que les mauvais craignent et
prennent garde à eux à l’avenir. Quant à ceux qui doivent être
mutilés, il est nécessaire qu’ils en aient plutôt l’affliction au
cœur, afin qu’ils se repentent des maux qu’ils ont perpétrés, et
soient marris des crimes qu’ils ont commis. Ceux aussi qui doivent
être fouettés, doivent aussi être éprouvés par les douleurs, afin
que, ayant négligé de se connaître en la joie, ils se connaissent en
la douleur, et partant, qu’ils prennent d’autant plus garde de ne
tomber en mêmes crimes, qu’ils en sortent avec peine.
Or, je suis ce seigneur-là : j’ai le diable pour bourreau de ma
justice, pour me venger des mauvais selon les démérites d’un chacun,
auquel est aussi donné puissance sur l’âme de celui-ci.
Mais en quel nombre il exerce son malheur, je vous le dirai
maintenant ; car comme le corps est composé au dehors par des
membres, de m^me l’âme doit intérieurement être disposée
spirituellement ; car comme le corps a les os, les moelles et la
chair, en la chair , le sang, et le sang en la chair, de même l’âme
doit avoir trois choses : la mémoire, la conscience et l’entendement
; car il y en a quelques-uns qui entendent des choses sublimes sur
les saintes Ecritures, mais ils n’ont aucune raison : à ceux là il
manque un membre. Il y en a qui ont une conscience raisonnable, mais
ils n’ont aucune intelligence. D’autres ont bien de l’entendement,
mais ils n’ont point de mémoire, et ceux-ci sont grandement infirmes
; mais ceux-là sont saints dans leur âme, qui ont la raison saine,
la mémoire et l’intellect.
D’ailleurs le corps a trois réceptacles : le premier est le cœur,
sur lequel il y a une membrane grêle défendant que rien d’immonde
n’attaque le cœur, car si une moindre tache touchait le cœur,
soudain l’homme mourrait. Le deuxième réceptacle est l’estomac. Le
troisième, ce sont les entrailles, par lesquelles toutes les choses
nuisibles sont jetées dehors.
De même l’âme doit avoir spirituellement trois réceptacles : le
premier, un désir divin et véhément comme un cœur enflammé, de sorte
que l’âme ne désire rien tant que moi qui suis son Dieu ; autrement,
si quelque pernicieuse affection, bien que petite, entre en elle,
soudain elle est tachée. Le deuxième est l’estomac, c’est-à-dire,
une secrète disposition du temps et des œuvres, car toutes les
viandes sont cuites et digérées en l’estomac ; de m^me tout le temps
les pensées et les œuvres doivent être réglées et rangées selon
l’ordre de la Providence divine, avec sagesse et utilité. Le
troisième réceptacle, ce sont les entrailles, c’est-à-dire, la
contrition divine, par laquelle les choses immondes sont purifiées,
et la viande de la divine sagesse est mieux goûtée.
D’ailleurs, le corps a trois choses par lesquelles il s’avance : la
tête, les mains et les pieds. La tête marque la divine charité : car
comme en la tête sont les cinq sens, de même l’âme goûte en la
divine charité tout ce qui est vu, ouï ; et tout ce qui est
commandé, elle l’accomplit très constamment. Partant, comme l’homme
est mort, étant sans tête, de même l’âme est morte, étant sans
charité envers Dieu, qui est la vie de l’âme.
Les mains de l’âme signifient la foi : car comme en la main il y a
plusieurs doigts, de même en la foi il y a plusieurs articles, bien
qu’il n’y ait qu’une seule foi : c’est pourquoi, par la foi
parfaite, la divine volonté est accomplie, et elle doit coopérer à
toute bonne œuvre ; car comme par la main on fait les oeuvres à
l’extérieur, de même, par la foi accomplie, et elle, le Saint-Esprit
opère infiniment en l’âme, car la foi est le fondement de toutes les
vertus ; car là où la foi n’est pas, sont anéanties la charité et
les bonnes œuvres.
Les pieds de l’âme sont l’espérance, car par elle, l’âme va à Dieu ;
car comme le corps va par les pieds, de même l’âme s’approche de
Dieu par le pas des désirs ardents et de l’espérance. La peau aussi
est sur les membres signifie la consolation divine, qui apaise l’âme
troublée. Et bien qu’il soit quelquefois permis au diable de
troubler la mémoire, quelquefois les mains et les pieds, néanmoins
Dieu défend toujours l’âme comme un lutteur, la console comme un
père pieux, la médicamente comme un médecin, afin qu’elle ne meure.
Partant , l’âme de cet homme, duquel je vous ai parlé, a été lors
rendue captive, quand elle a mérité d’être privée de ses mains, pour
l’inconstance de sa foi, car il n’avait pas une foi droite. Mais
d’autant que maintenant le temps de faire miséricorde est arrivé,
pour trois raisons : 1° en considération de mon amour ; 2° à raison
des prières de mes serviteurs élus ; 3 ° qu’il fasse trois autres
choses :
1° qu’il restitue ce qu’il a mal acquis ; 2° qu’il tache d’avoir de
la cour de Rome l’absolution de la désobéissance ; 3° qu’il ne
reçoive point le corps de Notre-Seigneur avant d’être absous.
Notre-Seigneur Jésus-Christ se plaint à son épouse, des Gentils, des
Juifs et singulièrement des mauvais chrétiens, d’autant qu’ils ne
reçoivent les saints sacrements avec dévotion et avec pureté, comme
il est convenable, et attendu qu’ils négligent de se souvenir du
bénéfice de la création, rédemption et divine consolation.
CHAPITRE 116
Le Fils du Père éternel
et le Fils de la Vierge dit : Je vous parle par similitude :
supposez qu’il y eût trois hommes , et que le premier dit : Je crois
que vous n’êtes ni Dieu ni homme, et un tel homme est appelé Gentil.
Le deuxième, le Juif, crois que je suis Dieu, mais non pas homme. Le
troisième, le chrétien, croit que je suis Dieu et homme, mais il ne
croit point à mes parole.
Je suis celui sur lequel la voix du Père éternel était ouïe :
Celui-ci est mon Fils, est. Partant, je me suis plaint de la part de
ma Divinité que les hommes ne veulent point m’en tendre. Je criais
et je disais : Je suis le principe. Si vous croyez en moi , vous
aurez la vie éternelle. Mais ils ont méprisé mes paroles. Ils ont vu
et connu la puissance de ma Déité, quand je ressuscitais les morts
et faisais plusieurs autres merveilles , et néanmoins, ils n’y ont
pas pris garde. Je me plains aussi de la part de l’humanité,
d’autant que pas un ne se soucie de ce que j’ai institué en l’Eglise.
En vérité, j’ai mis en l4eglise comme sept vases, qui seront tous
entièrement purifiés, car j’ai institué le baptême en purification
du pêché originel : le chrême enseigne la divine réconciliation,
l’huile sainte la force contre la mort. J’ai institué la pénitence
en rémission de tous les péchés, et les paroles saintes et sacrées
par lesquelles les sacrements seraient sanctifiés et institués. J’ai
institué le sacerdoce en dignité, connaissance et en remémoration de
la divine charité ; le mariage en l’union des cœurs. Ces sacrements
doivent être reçus avec humilité, gardés avec pureté, donnés sans
avarice. Mais maintenant, ils sont pris avec superbe ; ils sont
gardés en des vases immondes, et sont conférés avec ambition et
cupidité.
Je me plains aussi qu’étant né et étant mort pour le salut des
hommes, si l’homme ne me voulait aimer, d’autant que je l’ai créé,
pour le moins il me devait aimer pour l’avoir racheté. Mais
maintenant, les hommes me chassent de leur cœur comme un lépreux, et
m’ont en abomination comme un drap contaminé. Je me plains aussi de
la part de la Divinité, d’autant que les hommes n’en veulent point
être consolés, et ne se soucient point de l’amour qu’elle leur
porte.
L’épouse ouït que véritablement Dieu vient au- devant de ceux qui le
désirent, les console comme un père pieux et bénin, et leur rend
faciles les choses difficiles.
CHAPITRE 117
Pendant que quelqu’un
disait le Pater noster, l’épouse ouït comment alors répondait
l’Esprit, disant : Mon ami, je vous réponds, en premier lieu, de la
part de la Divinité, que vous aurez l’héritage avec votre Père ; en
second lieu, de la part de l’humanité, que vous serez mon temple ;
en troisième lieu, de la part de l’Esprit que vous n’aurez point de
tentation par-dessus ce que vous pouvez porter : car le Père vous
défendra, et le Saint-Esprit vous enflammera. Car comme la mère,
quand elle entend la voix de son fils, lui va au-devant avec joie ;
et comme le père, voyant le fils qui travaille, lui va au-devant au
milieu du chemin, et porte avec lui le fardeau, de même je vais
au-devant de mes amis, et je leur rends faciles toutes les choses
difficiles, et les leur fais porter avec joie.
Et comme quand quelqu’un, voyant quelque chose délectable, ne se
console point, si ce n’est que le voisin s’en approche, de même je
m’approche de ceux qui me désirent.
Notre-Seigneur dit à son épouse que le Père éternel attire à soi la
bonne volonté des bons, la perfectionnant en choses bonnes ; et ceux
qu’il voient de mauvaises volonté, il la leur change librement en
une bonne, imprimant en elle un désir d’amender des crimes commis.
CHAPITRE 118
La Sapience incarnée,
le Fils de l’Eternel parle : Celui qui voudra entrer en société avec
moi, doit tourner sa volonté vers moi et se repentir des crimes
commis, et lors il est attiré par mon Père à la perfection, car mon
Père attire celui-là qui change sa mauvaise volonté en bonne
volonté, et désire franchement amender ses fautes.
Mais en quelle manière est-ce que le Père l’attire ? Certainement,
c’est que le perfectionnant le bonne volonté au bien : car si
l’affection n’était bonne, le Père n’aurait de quoi l’attirer. Mais
à quelques-uns je suis si froid que mes voies ne leur plaisent en
façon quelconque. Aux autres je suis si doux qu’ils ne désirent que
moi. A ceux-là je donnerai le joie qui n’aura point de fin.
La Mère de Dieu raconte ici sept biens qui sont en Jésus-Christ, et
sept contraires, qui étaient repris des hommes.
CHAPITRE 119
La Mère de Dieu parle
disant : Mon Fils a sept biens :
1° il est très puissant comme un feu consumant ;
2° il est très sage ; sa sagesse surpasse la connaissance des
hommes, comme ils ne sauraient épuiser la mer ;
3° il est très fort comme une montage immobile ;
4° il est très vertueux comme l’herbe agréable aux mouches ;
5° très beau comme un soleil luisant ;
6° très juste comme un roi qui ne pardonne à pas contre la justice ;
7° très pieux comme un seigneur qui se donne pour la vie de son
serviteur.
Et d’un autre côté, il a enduré sept autres choses, car au lieu de
la puissance, il a été fait comme un vermisseau ; au lieu de sa
sagesse, il a été estimé fou ; pour sa force, comme un enfant lié de
petits drapeaux ; pour sa beauté, comme un lépreux ; pour sa vertu,
il était nu et attaché ; pour sa justice, il était estimé mensonger
et est mort pour la piété.
Jésus-Christ dit à l’épouse qu’il y a deux sortes de délectations :
spirituelles et charnelle. La délectation spirituelle consiste à se
plaire dans les bienfaits de Dieu.
CHAPITRE 120
Le Fils de Dieu parle
et dit à sainte Brigitte : Entre moi et celui que vous savez, il y a
quelque membrane qui lui empêche de goûter mes douceurs; mais
quelque autre chose qui lui plaît.
Et l’épouse, qui entendait ceci, dit à Notre-Seigneur : Ne
pourra-t-il jamais avoir quelque délectation?
Notre-Seigneur repartit et lui dit : Il y a deux sortes de
délectations : L’une est charnelle et l’autre spirituelle. La
charnelle ou naturelle est et consiste en ce que la nature le
requérant ainsi par nécessité, on prend la réfection, en laquelle
l’homme se doit entretenir en ces pensées : O Seigneur ! qui nous
avez commandé de nous rafraîchir et de nous nourrir selon la
nécessité, louange vous soit!
Je vous en supplie, donnez-moi la grâce que je ne pêche point en
mangeant. Que si quelque plaisir surprend le cœur des biens
temporels, qu’il occupe son esprit en ces considérations : O
Seigneur ! toutes les choses terrestres ne sont que terre coulante :
partant, donnez-moi la grâce d’en disposer et d’en user en telle
sorte que j’en puisse rendre raison à tous. La délectation
spirituelle consiste en ce que l’âme se plaît dans les bénéfices
divins, use des choses temporelles pour la nécessité, et s’y occupe
comme contrainte. Or, cette membrane est alors ôtée, quand Dieu est
doux à l’âme, et que l’âme a toujours la crainte de Dieu.
Que l’habit ne fait pas le moine, mais bien la vertu d’obéissance et
d’observance régulière , et que la vraie contrition de cœur ; avec
propos de s’amender , affranchit l’âme de la main du diable.
CHAPITRE 121
Le diable, ennemi de
Dieu et des hommes, apparut et dit : Le moine s’en est allé ; el
n’en demeure que la seule effigie. Et Notre-Seigneur dit : Quel est
ce moine ?- Je le ferai , dit-il mais par contrainte. Le moine est
gardien de soi-même ; son habit est l’obéissance et l’observance de
sa profession, car comme le corps est couvert du vêtement, de même
l’âme doit être enrichie de ses vertus. Donc, l’habit extérieur ne
profite de rien, si l’habit extérieur n’y est pas, car l’habit ne
fait pas le moine, mais la vertu. Ce même s’en est allé lorsqu’il
avait ces pensées : Je connais mon pêché ; j’amenderai du reste et
ne pécherai plus, moyennant la grâce de Dieu. Par cette volonté, il
s’est retiré et arraché de moi, et il est maintenant à vous.
Notre-Seigneur lui dit :Comment son effigie demeure-t-elle ?-Le
démon dit : C’est quand on ne se souvient point de ses pêchés et que
l’on ne s ‘en repent point comme il faudrait.
DECLARATION
Ce frère vit, dans les mains du prêtre qui levait le corps de Notre
Seigneur, le petit Jésus qui lui disait: je suis le Fils de Dieu et
le Fils de la Vierge. Il vit aussi que, dans un an, il mourrait, et
en connut l’heure. Il est parlé de celui-ci en plusieurs chapitres,
en la légende de saint Brigitte; son frère s’appelait Géréchinus.
Celui-ci fut d’une signalée continence, qui, avant de mourir, vit
une écriture d’or en laquelle il y avait ces trois lettres d’or :P.O.
et T. ; et racontant ceci à ses frères, il dit : Venez, ô Pierre !
hâtez-vous, ô Olave et Thordo ! et il mourut .Or , ces trois ainsi
appelés moururent en une semaine et le suivirent. Il est parlé du
même frère en l’Extravagante, chapitre LV.
Que la vie de l’homme tiède et lâche est comme un pont étroit et
périlleux, duquel, s’il ne se détourne soudain, descendant dans le
navire de pénitence et de vertu, il sera précipité dans les
fondrières de l’enfer par le démon, son ennemi.
CHAPITRE 122
Celui-là est mon ennemi
capital, qui se moque de moi en se jouant , il tâche autant qu’il
peut de contenter ses volontés et de remplir et assouvir ses
cupidités ; il est comme celui qui est couché en un pont fort
étroit, qui a en sa gauche un grand chaos, duquel ne se relève
jamais celui qui est une fois tombé du côté gauche ; il y a un
navire ; s’il y saute, il sera sauvé avec labeur, et néanmoins, il y
a espérance de vie éternelle.
Ce pont est sa vie lamentable et brève, en laquelle il n’est pas
comme un homme qui combat généreusement, non pas comme un homme
pèlerin qui avance toujours chemin, mais bien comme un homme lâche
et paresseux qui désire insatiablement boire les eaux de volupté.
Deux choses donc s’opposent à lui, car il se lève du pont et descend
donc dans l’abîme, c’est-à-dire, aux œuvres de la chair, ou s’il
saute dans le navire, il esquivera avec grand labeur, car s’il
embrasse la rigueur de la Sainte Eglise et son institution, cela lui
est paisible, néanmoins, il sera sauvé par cela. Qu’il se tourne
donc le plus tôt vers le navire, de peur que l’ennemi juré ne le
précipite du pont dans les abîmes, car lors il criera, mais il ne
sera pas exaucé, mais sera éternellement puni.
ADDITION
Celui-ci, voyant ce roi changé et qu’il ne l’oyait pas chez soi
comme il avait accoutumé, portait envie à sainte Brigitte, laquelle
passant par une rue fort étroite ; il épancha sur elle d’en haut un
grand vase d’eau ; elle patienta à merveille et dit : Dieu vous le
pardonne et ne vous le rende point au siècle futur ! Lors
Notre-Seigneur apparut à elle à la messe, lui disant : Cet homme qui
de la fenêtre, a jeté sur vous de l’eau, mu à cela par l’envie,
désire le sang, répand le sang, désire la terre et non moi ; s’il
adore sa chair au lieu de moi, qui suis son Dieu ; il me chasse de
son cœur. Qu’il se donne garde aussi de mourir en son sang. Après,
cet homme vécut bien peu ; et le flux de sang sortant de son nez, il
mourut comme elle l’a dit.
Jésus-Christ défend son épouse sainte Brigitte, c’est-à-dire, l’âme
convertie du monde à la vie spirituelle, laquelle le père, mère,
frère et sœur, tâchaient de retirer de l’amour et du chaste mariage.
CHAPITRE 123
Le Fils de l’Eternel
dit à se chère épouse : Je suis comme un époux qui a pris une épouse
que le père, mère, frère et sœur me demandent, car le Père dit :
Rendez-moi ma fille, car elle est née de mon sang. La mère dit :
rendez-moi ma fille, car elle a été nourrie de mon lait. Le frère
dit : Rendez-moi ma sœur, car il appartient à moi de la régir. La
sœur dit : Rendez-moi ma sœur , car elle a été nourrie avec moi .
L’époux leur répondit : O père, si votre fille est née de votre
sang, elle doit être maintenant remplie de mon sang. O mère, si vous
l’avez nourrie de votre lait, je la repaîtrai de les délices. O
frère, si vous l’avez régie jusqu’à maintenant, je la régirai
maintenant. O sœur, si elle est nourrie selon vos coutumes, elle
prendra maintenant les miennes.
Il en a été fait de la sorte avec vous, car si le père,
c’est-à-dire, la volupté de la chair, vous demande, sachez que je
vous remplirai de charité et d’amour. Si la mère, c’est-à-dire, les
soins du monde vous redemandent, c’est à moi de vous remplir du lait
de mes indicibles consolations. Si le frère vous redemande,
c’est-à-dire, la volonté propre, dites que vous êtes obligée de
faire mes volontés. Si la sœur, c’est-à-dire, la coutume de la
conversation humaine vous redemande, dites que vous êtes obligée de
faire mes volontés.
En quelle manière sainte Agnès mettait en la tête de l’épouse une
couronne de sept pierres précieuses, savoir : la patience dans les
tribulations, etc.
CHAPITRE 124
Sainte Agnès parle
disant : Venez, ma fille, et je mettrai sur votre tête une couronne
faite de sept pierres précieuses. Qu’est-ce que cette couronne,
sinon une épreuve d’une patience invincible, qui est faite
d’afflictions, est ornée et enrichie de Dieu par des couronnes?
Donc, la première pierre de cette couronne est un jaspe qu’a mis sur
votre tête celui qui vomissait sur vous des paroles injurieuses,
disant qu’il ne savait de quel esprit vous parliez, et qu’il vous
était plus convenable de filer subtilement à la manière des femmes
que de disputer de la sainte Ecriture. Partant, comme le jaspe
subtilise la vue et allume la joie en l’âme par la tribulation ,
illumine l’esprit pour comprendre les choses spirituelles, et
mortifie l’âme des mouvements déréglés.
La deuxième pierre est un saphir, que celui qui vous louait devant
vous et médisait de vous en votre absence, a mis en votre couronne.
Donc, comme le saphir est de la couleur du ciel et conserve aussi
les membres en santé, de même la malice des hommes éprouve le juste,
afin qu’il devienne tout céleste, et garde le puissances de l’âme,
afin que la superbe ne la surprenne.
La troisième pierre est une émeraude qu’a ajouté à votre couronne
celui qui vous dit que vous aviez parlé sans y avoir pensé et sans
savoir ce que vous disiez. Partant, comme l’émeraude est fragile de
soi, néanmoins, elle est belle et d’une couleur verte ; de même
soudain soin mensonge sera bientôt anéanti ; il fera néanmoins l’âme
belle à raison de la rémunération et récompense de la patience
invincible.
La quatrième pierre est la marguerite, perle que vous donna celui
qui , en votre présence, offensa d’injures l’ami de Dieu, desquelles
injures vous aviez plus de ressentiments que les vôtres. Partant,
comme la perle est belle et blanche, elle soulage les passions du
cœur ; de même la douleur d’amour introduit Dieu en l’âme, et apaise
les passions de l’ire et de l’impatience.
La cinquième pierre est une topaze. Celui qui vous parlait amèrement
vous a donné cette pierre, lequel vous avez béni au contraire.
Partant, comme la topaze est d’une couleur d’or et garde la chasteté
et la beauté, de même il n’y a rien de si beau ni de plus agréable à
Dieu que d’aimer celui qui nous a lésé et offensés, et de prier Dieu
pour ceux qui nous persécutent.
La sixième pierre est un diamant. Cette pierre vous a été donnée par
celui qui vous endommagea grandement le corps, ce que vous tolérâtes
avec une grande patience, et ne le voulûtes déshonorer. Partant,
comme le diamant ne se casse point avec les coups, mais avec le sang
de bouc, de m^me Dieu se plaît grandement qu’on ne se venge point,
mais qu’on oublie tout le dommage pour l’amour de Dieu, pensant
incessamment à ce qu Dieu a fait pour l’amour de l’homme.
La septième pierre est une escarboucle. Cette pierre vous a été
donnée par celui qui vous annonça de fausses nouvelles, vous disant
que votre fils Charles était mort, lorsque vous eûtes pris cette
mort avec patience et résignation. Partant, comme l’escarboucle luit
en la maison, et est très belle en l’anneau, de même l’homme qui est
patient en la perte de quelque chose qui lui est très chère,
provoque Dieu à l’aimer, reluit en la présence des saints, et agrée
comme une pierre précieuse.
Partant , ma fille, demeurez stable, car pour accomplir votre
couronne, d’autres pierres vous sont encore nécessaires ; car
Abraham et Job, ont été meilleurs, plus connus et plus fameux par la
probation, et saint Jean plus saint par le témoignage de la vérité
infaillible.
La Mère de Dieu parle à sa fille, épouse de Jésus-Christ, mettant en
avant une belle figure de sept animaux, par lesquels quatre sortes
d’hommes vicieux et trois sortes d’hommes vertueux sont notamment
désignés.
CHAPITRE 125
La Mère de Dieu parle,
disant : Il y a sept animaux.
Le premier a des cornes très grandes, desquelles enflé de superbe et
faisant le guerre contre les autres animaux, il meurt bientôt,
d’autant qu’à raison de ses cornes, il ne peur courir vivement, mais
il est retenu par les halliers et par les troncs.
Le deuxième animal est petit, ayant une corne, et sous icelle une
pierre précieuse ? Cet animal ne peut être pris que par une vierge,
car (ici il manque la fin et certains chapitres du Livre 4).
(1) Le
royaume de France est en quelque manière sous la protection de la
Sainte Vierge Marie et de saint Denis.
(2) Sainte Brigitte.
(3) Cette guerre fut l'an 1336, entre le roi de
France, Philippe-de-Valois, et Edouard, roi d'Angleterre. Ce roi
croyait faussement que le royaume de France lui appartenait. |