CHAPITRE 1
Il est traité ici
d’un avertissement et enseignement pour un évêque ; de la manière de
vivre, vêtement et oraison ; comment il se doit gouverner en toutes
choses, avant, durant et après le repas, et même pour son sommeil ;
et en quelle sorte il doit en toutes choses exercer l’office
épiscopal.
Jésus-Christ, Dieu et homme, qui est venu en terre prendre
l’humanité et sauver les âmes par son sang ; qui nous a illuminés ;
qui nous a frayé la vraie voie et qui a ouvert la porte du ciel, m’a
envoyé lui-même à vous. Écoutez donc, vous à qui est divinement
donnée la capacité d’ouïr les choses spirituelles.
Si cet évêque propose d’aller par la voie étroite et parfaite, par
laquelle peu de gens marchent, et d’être un de ce petit nombre,
qu’il dépose premièrement le poids lourd et pesant qui l’environne,
qui l’accable, c’est-à-dire, la cupidité du monde, usant seulement
du monde pour la nécessité, conformément à l’humble sustentation
d’un évêque. Ce bon Matthieu en fit de même, lui qui, étant appelé
de Dieu, quitta soudain la charge lourde et pesante du monde, et
trouva une charge légère.
Secondement, il doit être ceint, pour être conforme à la sainte
Écriture qui dit : Tobie, préparé à aller en voyage, trouva un ange
debout et tout ceint. Que signifiait cet ange ceint, si ce n’est que
tous les évêques doivent être ceints de la ceinture de la justice et
de l’amour divin, et être prêts à marcher par les voies où marcha
celui qui dit : Je suis le bon Pasteur, qui donne son âme pour ses
brebis ? Il doit aussi être prêt à dire la vérité nue et simple par
ses paroles. Il doit être résolu de garder avec ses œuvres l’équité
et la justice, tant en lui qu’en autrui, n’abandonnant jamais la
justice, ni pour les menaces, ni pour les opprobres, ni pour la
fausse amitié, ni pour la vaine crainte. L’évêque donc qui
apparaîtra de la sorte ceint, verra Tobie, c’est-à-dire, les hommes
justes, venir à lui, suivre sa voie et imiter sa vie.
En troisième lieu, il doit manger du pain et boire de l’eau avant de
se mettre en chemin, comme on le lit d’Élie, qui, étant éveillé,
trouva à son chevet du pain et de l’eau. Quel est ce pain donné au
Prophète, si ce n’est le bien corporel et spirituel qu’on lui
administrait ? car dans le désert, on lui préparait du pain corporel
pour l’exemple ; et bien que Dieu l’eût pu sustenter, dans le
désert, sans viande et sans pain corporel, il lui prépara néanmoins
du pain matériel, afin que l’homme entendît qu’il plaisait à Dieu,
quand il usait des biens avec sobriété et tempérance pour la
consolation de la chair. L’infusion spirituelle était aussi inspirée
au Prophète, puisqu’il marcha quarante jours en la force de ce pain
; car si l’intime onction de la grâce ne lui eût été inspirée, il
eût certainement défailli en la peine de quarante jours, car il est
faible de complexion, mais rendu fort pour faire un si grand chemin.
Donc, puisque l’homme vit de la parole de Dieu, nous avertissons
l’évêque de prendre une bouchée de pain, c’est-à-dire, d’aimer Dieu
sur toutes choses. Il trouvera ce pain à son chevet, c’est-à-dire,
la raison lui dire qu’il faut aimer Dieu sur toutes choses et plus
que toutes choses, tant à cause de la création et rédemption que par
sa longue patience et sa bonté. Nous le prions aussi de boire un peu
de l’eau, c’est-à-dire, de considérer intimement les amertumes de la
passion de Jésus-Christ ; car qui est celui qui puisse dignement
considérer les angoisses que l’humanité de Jésus-Christ a
souffertes, quand il demandait que ce calice fût transféré, quand
les gouttes de son sang arrosaient la terre ? Que l’évêque boive
donc cette eau de la grâce et mange le pain d’amour, et alors, il
sera réconforté pour aller par la voie de Jésus-Christ.
Ayant donc ainsi commencé la voie de salut, si l’évêque veut passer
plus avant, il lui sera fort utile, le matin, de rendre grâces à
Dieu de tout son cœur, de considérer soigneusement toutes ses
actions, et de demander aide à Dieu, pour faire en tout fidèlement
sa divine volonté.
Ensuite, quand il se revêt de ses habits, qu’il considère, médite et
prie en cette manière : La cendre doit être avec la cendre, et la
terre avec la terre. Mais néanmoins, puisque je suis évêque, je
revêts mon corps des habits terrestres, non pour leur éclat et leur
beauté, ni pour l’orgueil, mais seulement pour couvrir ma nudité. Je
ne me soucie pas que mon habit soit meilleur ou pire, pourvu que
seulement on connaisse, pour l’honneur épiscopal, que c’est l’habit
d’un évêque, et que l’autorité d’un évêque soit discernée par
l’habit, pour la correction et l’instruction des autres. C’est
pourquoi je vous prie, ô Dieu très-pieux ! de me donner en l’esprit
la constance, afin que je ne m’enorgueillisse pas de la cendre et de
la terre, et que je ne me glorifie vainement de la couleur de la
poussière. Mais, je vous en supplie, donnez-moi la force, afin que,
comme l’habit épiscopal est discerné et est plus honorable que les
autres, à cause de l’autorité divine, de même les habitudes de mon
âme soient bien agréables à Dieu, de peur que je ne sois
profondément humilié, usant indiscrètement et indignement de
l’autorité sacrée, ou bien que, pour avoir porté vainement un habit
vénérable, j’en sois ignominieusement dépouillé à ma damnation.
Ensuite, qu’il lise ou chante ses heures, car plus l’homme est
échauffé et élevé à de plus grands et de plus importants honneurs,
d’autant plus est-il tenu de rendre un plus grand honneur à Dieu.
Néanmoins, un cœur pur plaît à Dieu dans son silence comme dans le
chant, pourvu qu’il ait de plus justes et de plus utiles
occupations. Quand il aura dit la sainte messe, qu’il exerce sa
charge épiscopale, prenant bien garde de n’avoir plus de soin du
corps que de l’esprit. Quand il s’approche de la table pour prendre
son repas, qu’il ait les pensées suivantes : O Seigneur
Jésus-Christ, qui commandez qu’on sustente d’une viande matérielle
le corps qui va en corruption, donnez-moi la grâce de donner en
telle sorte au corps les choses nécessaires, que la chair ne
surmonte méchamment l’esprit par la superfluité des viandes, ni
qu’elle soit lâche dans votre service par l’indiscrète sobriété;
mais inspirez-moi la modération discrète, afin que, quand la terre
est sustentée de viandes terrestres, le courroux du Seigneur de la
terre ne soit provoqué par la terre.
Or, quand il est à table, une réfection modérée et la conversation
lui sont permises, pourvu que cette conversation soit sans cajolerie
et sans vanité, et que parole n’y soit ouïe ni prononcée, dont les
auditeurs puissent prendre occasion de pécher, mais que tout s’y
passe avec une honnêteté modeste, ayant en vue le salut des âmes.
Car si à table toutes choses sont sans goût quand le pain et le vin
manquent, de même, quand la bonne doctrine et l’exhortation manquent
à la table épiscopale, toutes choses sont à l’âme sans goût. Et
partant, pour éviter toute occasion de vanité, qu’on lise ou qu’on
dise quelque chose dont les assistants soient édifiés. Or, la
réfection étant achevée et ayant rendu grâces à Dieu en bénédiction,
qu’il regarde ce qu’il faut faire, ou bien qu’il lise les livres,
par la doctrine desquels il puisse être attiré à la perfection de l’ame.
Mais ayant soupé, il pourra se consoler avec ses familiers amis ;
mais qu’il se comporte comme la mère, qui, sevrant son enfant, oint
sa mamelle d'une chose amère, ou y éparpille de la cendre, jusqu'à
ce que l'enfant soit désaccoutumé du lait et s'accoutume aux viandes
plus solides :
De même, l'évêque doit attirer ses amis avec des paroles qui
excitent à l'amour et à la crainte de Dieu, afin qu'il soit leur
père par l'autorité divine, et leur mère par l'éducation
spirituelle. Que s'il sait que quelqu'un de ses familiers amis pèche
mortellement, et l'ayant averti et admonesté, ne s'amende point, il
le doit chasser de sa compagnie. Que s'il le retient pour la
commodité et l'utilité temporelle, il participera à ses péchés.
Quand il ira se coucher, il doit examiner avec soin toutes ses
œuvres, actions et affections du jour passé, demandant à Dieu,
créateur de l'âme et du corps, qu'il le regarde de l'œil de sa
miséricorde, et qu'il lui fasse la grâce que, par l'abondance du
sommeil, il ne devienne plus tiède au service de Dieu, ni par
l'inquiétude du sommeil, il ne défaille à son devoir ; mais il dira
: Seigneur, modérez-le pour votre honneur, puisque vous l'avez
enjoint pour le soulagement du corps ; et donnez-moi la force, afin
que le diable, mon ennemi, ne m'inquiète ni ne me retire de la
piété. Or, se levant du lit, qu'il confesse les fautes et les
négligences qu'il aura commises, de peur que le lendemain, il ne se
lève avec quelque délectation charnelle.
La Vierge Marie parle à sa fille sainte Brigitte, des remèdes
convenables pour obvier aux difficultés qui arrivent à un évêque en
la voie étroite de la perfection. Comment la patience est désignée
par les vêtements ; les dix préceptes, par dix doigts, et les désirs
des choses éternelles et le dégoût des choses mondaines, par les
deux pieds. De trois ennemis qui s’opposent en la voie à l’évêque.
CHAPITRE 2
La Mère de Dieu dit à
sainte Brigitte : Dites à l’évêque que, s’il marche en la voie dont
nous venons de parler, trois choses difficiles viendront au-devant
de lui : la première, que la voie est étroite ; la deuxième, qu’il y
a, sur cette voie, des épines poignantes ; la troisième, que la voie
n’est pas frayée, qu’elle est pierreuse, difficile et inégale.
Contre ces trois choses, je vous donnerai trois conseils :
1. que l’évêque se revête, contre la voie étroite, de vêtements
forts et subtilement cousus ;
2. qu’il ait ses dix doigts devant les yeux, comme des barreaux
entre lesquels il regarde, et se garde d’être blessé par les épines
;
3. qu’il pose ses pieds sagement, et à chaque pas, qu’il sonde si
son pied est ferme et arrêté, avant qu’avec précipitation il y mette
les deux pieds, qu’il soit certain de la bonté ou de la méchanceté
du chemin.
Or, que signifie cette voie étroite, sinon que la malice des hommes
impies est toujours contraire aux œuvres des justes, dont ils se
moquent, dépravent les voies et les avertissements des justes, et
tiennent à vil prix tout ce qui est humble et pieux ? Que l'évêque
s'habille contre telle sorte de gens, des vêtements de patience et
de constance, car la patience rend doux et traitable ce qui est
rude, et fait supporter joyeusement les calomnies qu'on vomit sur
nous.
Que signifient les épines poignantes, si ce n'est les adversités du
monde ? Il faut être muni contre elles des doigts des dix
commandements de Dieu et de ses conseils, afin que, quand l'épine de
l'adversité dure et amère, et l'extrémité de la pauvreté nous
piqueront, nous considérions la passion douloureuse et la poignante
pauvreté de Jésus-Christ ; et quand l'épine de la colère et de
l'envie nous piquera, que nous considérions dans l'amour de Dieu,
qu'il nous a commandé de conserver en nos cœurs ; car le véritable
amour ne cherche point ses intérêts, mais il donne tout ce qu'il a
pour l'honneur de Dieu et l'utilité du prochain.
Mais quand on dit qu'il doit marcher sagement, nous disons qu'en
tout, et partout il doit raisonnablement craindre, car l'homme de
bien doit avoir deux pieds : le premier, le désir des choses
éternelles, le second ; le dégoût du monde. Mais dans les désirs des
choses éternelle, on doit avoir une grande discrétion, afin qu'on ne
les désire pour soi seulement, comme si on en était digne, mais
qu'on mette tous les désirs, les volontés et les récompenses entre
les mains de Dieu. Dans le dégoût du monde, il faut aussi être sage
et craintif, de peur que ce dégoût ne vienne à cause des adversités
du monde et de l'impatience de cette mourante vie, ou bien pour un
plus grand repos de cette vie temporelle, et pour s'affranchir et se
décharger d'un plus grand labeur qui est utile et profitable aux
autres. Mais que ce dégoût soit seulement à cause de l'abomination
du péché et à raison des désirs insatiables de la vie éternelle.
J'avais encore l'évêque de trois ennemis qui sont en son chemin,
après qu'il aura vaincu et surmonté la difficulté de cette voie : le
premier ennemi désire lui persuader qu'il bouche ses oreilles ; le
deuxième est arrêté devant ses yeux pour les lui pincer ; le
troisième est devant ses pieds avec un lacet pour les pendre quand
il les lèvera de terre.
Le premier ennemi, ce sont les hommes qui, par leurs discours,
tâchent de retirer et d'écarter l'évêque du droit chemin, disant :
Pourquoi prenez-vous tant de peine et marchez-vous par une voie si
étroite? Détournez-vous un peu par la voie fleurie où plusieurs
marchent; Que vous importe que celui-ci ou celui-là vive ? Qu'ils
vivent comme ils voudront. Que vous importe que ceux qui vous
doivent honorer et aimer, s'injurient et s'offensent ? S'ils
n'offensent ni vous, ni les vôtres, de quel soin vous chargez-vous
s'ils vivent comme il faut ou s'ils offensent Dieu ? Si vous êtes
bon vous-même, que vous souciez-vous du jugement qu'on fera un jour
des autres ? Donnez plutôt des présents et prenez-en ; servez-vous
de l'amitié des hommes, afin que vous soyez loué et que vous soyez
estimé bon en cette vie.
Le deuxième ennemi désire vous aveugler comme le Philistin aveugla
Samson. Cet ennemi, ce sont la beauté, la possession du monde, la
superfluité des vêtements, la diversité des choses apparentes, les
honneurs des hommes et leurs faveurs. En effet, quand on offre ces
choses, elles plaisent aux yeux ; la raison s'aveugle ; l'amour des
commandement de Dieu s'attiédit ; on commet le péché plus
licencieusement, et quand le péché est commis, il semble peu ou
rien. Partant, quand l'évêque aura ce qui lui est nécessaire, qu'il
s'en contente, car il semble maintenant à plusieurs plus doux de
demeurer à la meule de cupidité avec Samson, que d'aimer l'Eglise,
selon la louable disposition d'un soin pastoral.
Le troisième ennemi, qui a un lacet, crie hautement, disant :
Pourquoi allez-vous ainsi sur vos gardes, la tête baissée ? Pourquoi
vous humiliez-vous tant, vous qui devez et pouvez être honoré de
plusieurs ? Soyez plutôt un prêtre qui est aux premiers rangs, ou
plutôt un évêque, afin que vous puissiez être honoré de plusieurs.
Avancez-vous aux plus grandes dignités, afin que vous ayez de plus
grands services et que vous jouissiez d'un plus grand repos.
Entassez des trésors, avec lesquels aidant aux autres, vous puissiez
être courtisé et caressé de tous, et être partout joyeux et content;
car quand l'esprit sera touché par toutes ces choses et sera incliné
vers elles, il écartera toutes ces suggestions et affectera tout
cela: soudain sans doute notre cœur s'élèvera, comme le pied d'une
délectation déshonnête, vers les cupidités terrestres, et ainsi, il
s'enveloppe dans les lacets des soins mondains, dont à grand peine
il peut se débarrasser pour considérer sa misère, les récompenses ou
les supplices éternels. Et ce n'est point de merveille que celui qui
désire l'épiscopat désire une bonne œuvre pour l'honneur de Dieu :
mais maintenant, plusieurs désirent l'honneur, et fuient le labeur
dans lequel se trouve le salut éternel de l'âme. Partant, que cet
évêque demeure dans le degré qu'il a, et qu'il n'aspire point plus
haut jusqu'à ce qu'il plaise à Dieu d'y pourvoir autrement.
La Sainte Vierge Marie déclare d'abord comment l'évêque doit exercer
son office épiscopal, afin que Dieu y soit honoré du double fruit
qui suit cette vraie dignité. De la double confusion qui suit une
fausse dignité, et en quelle manière Jésus-Christ et tous les saints
vont au-devant d'un évêque juste et vrai.
CHAPITRE 3
La Mère de Dieu disait
: Je veux expliquer à un évêque ce qu'il est tenu de faire et quel
est l'honneur qu'on doit porter à Dieu.
L'évêque doit avoir la mitre, la bien garder entre ses bras, ne pas
la vendre pour de l'argent, ne pas la donner aux autres pour amour
charnel, ni la perdre par négligence et par tiédeur.
Or, que signifie cette mitre épiscopale, se ce n'est la dignité, la
puissance épiscopale d'ordonner les clercs, de faire les saints
chrêmes, de ramener ceux qui s'égarent, et d'exciter les négligents
par leur exemple ? La mitre qu'il doit garder soigneusement dans ses
bras, signifie combien attentivement il doit considérer quelle est
la puissance épiscopale, et en quelle manière elle lui a été donnée,
quels fruits elle apporte et quelle est sa fin. Si l'évêque veut
savoir comment il a été fait évêque, qu'il considère s'il a désiré
cette charge plus pour son utilité que pour l'amour de Dieu : s'il
l'a désirée pour l'amour de soi, son désir a été charnel ; si pour
l'amour de Dieu, pour son honneur et pour sa gloire, son désir a été
spirituel et méritoire. Après, si l'évêque considère pourquoi il a
accepté l'épiscopat, il trouvera que c'est pour être le père des
pauvres, le consolateur et le médiateur des âmes, car les biens d'un
évêque, c'est le bien des âmes : que s'il les mange infructueusement
et les dépense prodigalement, les âmes en crieront vengeance contre
les injustes dispensateurs.
Or, quel sera le fruit de la dignité épiscopale ? Je vous le dirai :
il sera de deux sortes, comme dit saint Paul, corporel et spirituel,
car sur la terre, il est vicaire de Dieu, c'est pourquoi, pour
l'honneur de Dieu ; il est honoré comme un dieu en terre ; dans le
ciel, le fruit sera corporel et spirituel, à raison de la
glorification du corps et de l'esprit : car là, le serviteur sera
avec le maître, tant à cause de la vie épiscopale qu'il a menée sur
la terre, qu'à raison de l'exemple d'humilité par laquelle il a
provoqué les autres avec lui à la gloire. Or, celui qui a un
vêtement et une dignité épiscopale, mais qui en fuit la vie et n'en
pratique pas les actions, aura double confusion. Quant à ce que je
dis que la dignité épiscopale ne doit pas se vendre, cela veut dire
que l'évêque ne doit pas être simoniaque, ni ne doit pas exercer son
office pour avoir de l'argent ou pour la faveur des hommes, ni les
promouvoir pour les prières des hommes qu'il sait être de mauvaise
vie.
Quant à ce que j'ai dit que la mitre ne devait pas être donnée aux
autres pour l'amitié des hommes, cela signifie que l'évêque ne doit
pas dissimuler les péchés des négligents et des lâches, et doit
corriger ceux qu'il pourra, sans les renvoyer impunis. Il ne doit
pas taire les péchés de ses amis à raison de l'amitié charnelle, ni
mettre sur son dos les péchés de ses sujets , car l'évêque est celui
qui contemple Dieu.
Quand j'ai dit que l'évêque ne doit pas perdre sa mitre par lâcheté,
cela signifie que l'évêque ne doit confier aux autres, pour qu'ils
la fassent, sa charge, qu'il est tenu de remplir lui-même
personnellement et fructueusement ; qu'il ne doit pas la confier aux
autres pour le repos charnel, que lui-même pourrait accomplir, car
l'office d'un évêque n'est pas repos, mais labeur. L'évêque ne doit
pas non plus ignorer les mœurs de ceux auxquels il confie ses
offices, mais il doit les savoir et s'en enquérir, et voir comment
ils gardent l'équité et la justice, et s'ils se comportent en ce
qu'il faut faire, sagement et sans cupidité.
Outre cela, je veux que vous sachiez que l'évêque, étant pasteur,
doit avoir un faisceau de fleurs sous ses bras, avec lesquelles il
attire les brebis proches et éloignées, qui, étant alléchées,
courent soudain à l'odeur de ces fleurs. Ce faisceau de fleurs
marque la prédication divine que l'évêque est tenu de faire ; les
deux bras sur lesquels la prédication divine est portée, marquent
deux œuvres qu'il faut qu'un évêque fasse, l'une publique et l'autre
en cachette, afin que les brebis voisines de son évêché, voyant la
charité dans les œuvres de leur évêque, entendant et comprenant ses
paroles, glorifient Dieu en l'évêque ; et que toutes les brebis
éloignées, entendant la renommée de l'évêque, désirant suivre ; car
ce faisceau, qui est très odoriférant, n'a point honte de la vérité,
ni de l'humilité, ni d'enseigner le bien et de faire ce qu'il
enseigne, ni d'être humble en ses honneurs et dévot en son
abjection.
Quand l'évêque aura accompli le cours de sa voie et qu'il sera
parvenu à la porte, il est nécessaire qu'il ait quelque chose en sa
main pour présenter au Juge souverain, en partant, qu'il ait en sa
main un vase fort cher et vide, et qu'il l'offre à ce Roi souverain.
Or, ce vase vide qu'il porte pour offrir, n'est autre choses que le
cœur, que nous devons nuit et jour vider et purifier de toute
volupté et de tous les désirs de la gloire passagère.
Quand il faudra introduire un tel évêque au royaume de gloire,
Notre-Seigneur Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, avec toute la
milice céleste, lui viendra au-devant. Alors il entendra les anges
qui diront : O notre Dieu ! ô notre joie ! ô tout notre bien ! cet
évêque a été pur en sa chair, généreux en l'action : il est donc
raisonnable que nous vous la présentions, car il a toujours désiré
notre compagnie. Partant, accomplissez ses désirs, et par son
arrivée, augmenter notre gloire.
Alors, tous les saints diront : O Dieu éternel ! notre joie vient de
vous, est en vous, sort de vous, et nous n'avons besoin que de vous.
Néanmoins, notre joie est excitée par la joie de cet évêque, qui
vous a désiré autant qu'il a pu, car il a porté des fleurs
très-odoriférantes en sa bouche, par lesquelles il a augmenté notre
nombres. Il en a porté en son œuvre, fleurs qui rafraichissaient
ceux qui habitaient près et loin de lui. Partant, donnez-lui la
grâce de se réjouir avec nous ; et vous aussi, réjouissez-vous,
puisqu'en mourant, vous lui désiriez tant de joie. Le Roi de gloire
leur dira enfin : O mon ami, vous êtes venu me présenter le vase de
votre cœur vide de vous-même et de votre propre volonté : c'est
pourquoi je vous remplis de plaisirs indicibles et de ma gloire
éternelle ; ma joie sera la vôtre, et je ne finirai jamais, mais je
conserverai éternellement votre gloire.
La sainte Mère de Dieu parle à la fille, sainte Brigitte, de la
concupiscence des mauvais évêques. Comment plusieurs obtiennent une
dignité spirituelle, à raison de leur bonne volonté, que les évêques
désordonnés méprisent ; et il est montré par un exemple ceux qui y
sont appelés corporellement.
CHAPITRE 4
La Sainte Mère de Dieu,
parlant à l'épouse de son Fils, sainte Brigitte, lui dit : Vous
pleurez en pensant que l'amour de Dieu envers les hommes est très
grand, et que l'amour des hommes et petit envers Dieu.
Véritablement, cela est ainsi, car quel est ce seigneur, ou évêque,
qui ne désire plus avidement les charges pour en obtenir l'honneur
du monde ou les richesses, que pour en secourir de ses propres mains
les pauvres nécessiteux ? Et partant, puisque les seigneurs ni les
évêques ne veulent pas venir aux noces préparées à tous dans le
ciel, les pauvres et les infirmes y viendront, comme je vous le
montrerai par un exemple.
Dans une cité, il y eut un évêque sage, beau et riche, qui, étant
loué de sa sagesse et de sa beauté, n'en rendait pas grâces comme il
devait à Dieu, qui lui avait donné la sagesse. Il était aussi loué
et honoré à raison des ses richesses, et partant, il donnait
beaucoup pour acquérir les fumées des faveurs mondaines. Il a aussi
ardemment désiré beaucoup de richesses pour donner plus largement et
pour se faire honorer davantage.
Cet évêque avait en son évêché un clerc savant qui savait les
pensées de son évêque. Cet évêque, disait-il à part soi, aime moins
Dieu qu'il ne faut. Sa vie est tout employée et occupée au siècle.
Partant, s'il plaisait à Dieu, je désirerais son épiscopat pour en
honorer Dieu. Je ne désire pas de vrai pour l'honneur du monde, car
il n'est que vent et fumée ; ni pour les richesses, car je ne dois
avoir qu'un raisonnable repos, en sorte que mon corps puisse
subsister au service de Dieu ; mais je le désire seulement pour Dieu
et pour son honneur ; et bien que je sois indigne de tout honneur,
néanmoins, pour gagner plusieurs âmes à Dieu, et pour profiter à
plusieurs par parole et par exemple, et pour sustenter plusieurs
pauvres des biens de l'Eglise, je recevrais la charge épiscopale, et
j'entreprendrais de la porter ; car Dieu sait qu'une mort dure et
amère me serait plus agréable et un supplice plus doux à supporter
que la dignité épiscopale ; car bien que je sois sujet, comme les
autres, aux passions furieuses, néanmoins, celui qui désire
l'épiscopat désire une bonne œuvre. Partant, je désire franchement
l'honneur d'un évêque avec la charge épiscopale.
L'honneur, en vérité, je le désire pour le salut de plusieurs, et la
charge, pour l'honneur de Dieu et pour mon salut et le salut des
âmes ; pour cette fin seule, je le souhaite, afin que je puisse
largement distribuer les biens de l'Eglise aux pauvres, instruire
les âmes plus librement, ramener plus fidèlement les errants et les
dévoyés, mortifier plus sévèrement ma chair, me composer et me
compasser plus soigneusement pour l'exemple et l'édification des
autres.
Or, ce chanoine admonesta son évêque prudemment et sagement de tout
cela ; mais l'évêque, portant aigrement ses paroles, confondit
publiquement et imprudemment ce chanoine, se vantant d'être modéré
et suffisant à tout, et le disant. Or, le chanoine pleura les excès
de l'évêque, souffrant patiemment néanmoins les injures qu'il lui
avait faites ; mais l'évêque, se moquant de la charité et de la
patience du chanoine, médisait tellement de lui, qu'il en était
réputé insensé et menteur, et que l'évêque était réputé juste et
circonspect. Enfin, quelque temps s'étant écoulé, l'évêque et le
chanoine décédèrent et furent appelés au jugement de Dieu, en la
présence duquel et des anges il semblait qu'on eût placé une chaire
dorée, et devant la chaire, une mitre épiscopale et tout son
ornement.
Une grande multitude de diables suivaient le chanoine, désirant
ardemment de trouver en lui quelque péché mortel : car de l'évêque,
ils en étaient aussi certains que la baleine est assurée des petits
poissons qui sont dans son ventre, au milieu des orages de la mer.
Or, plusieurs plaintes et accusations étant proposées contre
l'évêque, savoir : pourquoi et en quelle intention il avait pris la
dignité épiscopale ; pourquoi il s'était enorgueilli du bien des
âmes ; en quelle manière il avait régi et gouverné les âmes qui lui
avaient été confiées ; ce qu'il avait fait pour Dieu en
reconnaissance des faveurs dont il l'avait éminemment comblé.
Or, l'évêque n'ayant rien à répondre justement à ce qu'on lui
demandait, le Juge lui dit : Qu'on pose sur la tête de l'évêque de
la boue au lieu de mitre ; dans ses mains, de la poix au lieu de
gants ; de la fange au pieds au lieu de sandales ; pour chemise et
pour lin épiscopal, le plus sale et le plus puant des linges ; pour
l'honneur, honte et confusion ; pour une famille plantureuse, qu'il
ait une cruelle troupe de démons.
Le Juge ajouta soudain : Qu'on mette sur la tête du chanoine une
couronne rayonnante comme un soleil ; qu'on donne à ses mains des
gants dorés ; qu'on chausse ses pieds, et qu'on l'habille avec tout
l'honneur d'un vêtement épiscopal.
Quand le chanoine fut revêtu de la sorte, il fut présenté au Juge de
la milice céleste, avec honneur, comme un évêque, et le misérable
évêque descendit comme un larron qui a la corde au cou ; et le Juge
détournait de lui les yeux de sa miséricorde ; et aucun des saints
ne le voulait regarder.
Voyez comme quelques-uns, à raison de leur bonne volonté, obtiennent
spirituellement les dignités que méprisent ceux-là qui les ont de
fait. Tout ceci se faisait en Dieu en un moment ; mais pour votre
considération, il a été prononcé par paroles, car devant Dieu, mille
ans sont comme une heure. Il est aussi arrivé souvent que, quand les
seigneurs et les évêques ne veulent faire la charge et l'office
auxquels ils sont appelés, Dieu choisit pour soi de pauvres prêtres
et des sonneurs de cloches, qui vivant en la meilleure conscience
qu'ils peuvent, profiteraient franchement aux âmes, s'ils pouvaient,
à l'honneur et à la gloire de Dieu ; et faisant ce qu'ils peuvent,
ils possèdent les lieux préparés pour les évêques, car Dieu fait
comme celui qui mettrait une couronne aux portes de sa maison et
dirait à tous les passants : Quiconque, de quelque état et de
quelque condition que ce soit, s'il veut, peut mériter cette
couronne avec la grâce ; et celui qui sera noblement et éminemment
enrichi des vertus, l'obtiendra. néanmoins, sachez que si les
évêques et les seigneurs sont sages d'une charnelle sagesse, Dieu
est plus sage qu'eux, qui exalte les humble et n'approuve point les
superbes.
Saches encore que ce chanoine qui est tellement loué, n'eut pas
lui-même soin du cheval, quand il allait prêcher, ni d'allumer son
feu au repas ; mais on le servait, et il avait ce qui lui était
nécessaire pour se sustenter raisonnablement ; il avait aussi de
l'argent, mais non pour assouvir ses désirs, car quand il aurait eu
toutes les richesses du monde, il n'eût pas donné un denier pour
être évêque ; pour tout au monde il n'eût pas laissé sons évêché, si
cela eût été agréable à Dieu ; mais il avait toute sa volonté à
plaire à Dieu, prêt à être honoré, afin que Dieu fût honoré, et
disposé à être humilié et abaissé pour l'amour et la crainte de
Dieu.
Saint Ambroise parle à Sainte Brigitte, épouse de Jésus-Christ, de
la prière des bons pour le peuple. Comment sont désignés, les
seigneurs séculiers et ecclésiastiques, par les gouverneurs ; par
les tempêtes et les orages, la superbe, etc. et par le port,
l'entrée de la vérité. De la vocation de l'épouse à l'esprit.
CHAPITRE 5
Il est écrit que jadis
les amis de Dieu criaient, disant : Plût à Dieu qu'il rompît les
cieux, et qu'il descendît pour délivrer et affranchir le peuple
d'Israël ! Semblablement, en ce temps, les amis de Dieu crient,
disant : O Dieu très-doux ! nous voyons un peuple innombrable périr
en des orages misérables, attendu que les gouverneurs sont avides et
insatiables d'appliquer leurs sujets à ce d'où ils pensent retirer
plus de rentes, se conduisant, là où il y a les plus horribles
abîmes d'eaux ; le peuple, ignorant l'assurance du port, et à raison
de cela, un peuple quasi juif, y fait un misérable naufrage, et trop
peu viennent au port salutaire. Partant, nous vous prions, vous qui
êtres le Roi de toute gloire, de daigner illuminer le port des
rayons de votre Divinité, afin que le peuple évite les écueils, et
qu'il n'obéisse point à ses mauvais conducteurs, mais se détourne
d'eux, mais qu'il soit directement conduit par votre lumière divine
au port de salut.
Par les gouverneurs sont entendus tous ceux qui ont au monde
puissance corporelle et spirituelle, car la plupart de ceux-là
aiment tellement leur volonté porpre, qu'ils ne se soucient point de
l'utilité des âmes de leurs sujets, mais se plongent volontairement
dans les ondes impétueuses du monde, de la superbe, de la cupidité
et des immondicités ; la communauté misérable imite et suit leurs
actions, croyant que cette voie est juste et droite, la voyant
pratiquée par les juges ; et de la sorte, ils se perdent
misérablement, perdant leurs sujets pour le misérable désirs qu'ils
ont de suivre leurs appétits désordonnés.
Par le port, j'entends l'entrée de la vérité, qui est maintenant
tellement obscurcie devant plusieurs, que quand quelqu'un dit que la
vérité est la voie pour aborder au port de la vie céleste, qui est
l'Evangile sacré de Jésus-Christ, ils disent que ce sont des
mensonges, suivant plutôt les œuvres de ceux qui se plongent en
toute sorte de péchés, que croire à ceux qui prêchent la vérité
évangélique.
Par la lumière que les amis de Dieu demandent, j'entends quelque
divine révélation faite au monde, afin que l'amour de Dieu soit
enouvelé dans les cœurs des hommes, et que sa justice ne soit ni
oubliée ni négligée. C'est pourquoi il a plu à Dieu, par sa grande
miséricorde et par les demandes de ses amis, de vous appeler par le
Saint-Esprit, afin de voir, d'ouïr et d'entendre spirituellement, et
de révéler à autrui ce que vous auriez ouï en esprit, selon le
vouloir de Dieu.
Saint Ambroise parle à quelque épouse sous les formes et figures
d'un mari, d'une femme et d'une chambrière. Comment un mauvais
évêque est signifié par l'adultère, l'Eglise par la femme, et
l'amour du monde par la servante. De la sentence cruelle fulminée
contre ceux qui adhèrent plutôt au monde qu'à l'Eglise.
CHAPITRE 6
Je suis Ambroise,
l'évêque, qui vous apparaît, parlant avec vous par quelque
similitude, car votre esprit ne saurait comprendre les choses
spirituelles sans quelque similitude corporelle.
Il y avait un homme marié à une femme légitime, grandement belle,
sage et prudente, à qui néanmoins la chambrière plaisait plus que sa
femme ; et de ceux-ci sortaient trois choses : la première, que les
paroles et les gestes de la servante réjouissaient plus son cœur que
sa femme ; la deuxième, qu'il habillait la servante des plus belles
étoffes, ne se souciant pas que sa femme fût vêtue d'etoffes
communes, voire même des plus viles et déchirées ; la troisième
qu'il avait coutume de demeurer neuf heures avec la servante, et une
heure avec sa femme.
Car la première heure, il l'employait à veiller avec sa servante, se
réjouissant de contempler sa beauté. La deuxième, il dormait entre
ses bras. La troisième, il supportait le travail pour l'amour
d'elle. la quatrième, après la lassitude du corps, il se reposait
avec elle. La cinquième heure, il l'employait à lui ôter les
inquiétudes d'esprit et à avoir soin que rien ne lui manquât. La
sixième, il contenait son esprit du soin qu'il avait eu que rien ne
lui manquât. A la septième heure, l'ardeur de la concupiscence le
brûlait. A la huitième, la satisfaisait. A la neuvième, il omettait
ce qu'il lui était loisible de faire. A la dixième, il faisait ce
qui ne plaisait pas à sa femme, de sorte qu'il demeurait seulement
une heure avec sa femme.
Or, quelque parent de la femme venant à cet adultère, le reprit, lui
disant : Retournez à votre légitime femme, en l'aimant et la
revêtant comme il faut, et demeurant avec elle neuf heures, et une
heure avec la servante : autrement, sachez que vous mourrez
malheureusement.
Par cet adultère, dit Saint Amboise, j'entends le pévoyeur de cette
église, qui a la charge et l'office d'évêque, et dont la vie est la
vie d'un adultère. Et de fait, l'évêque est tellement conjoint par
l'union spirituelle avec l'Eglise, qu'elle devrait être son épouse
très chère ; il a néanmoins retiré d'elle le cœur et l'amour, aimant
beaucoup plus le monde servile que sa maîtresse, son excellente et
amoureuse épouse. C'est pourquoi il a fait trois malheurs : le
premier est qu'il se réjouit plus des allèchements trompeurs du
monde, que des belles et excellentes qualités de la Sainte Eglise.
Le deuxième est qu'il aime grandement l'ornement et l'éclat du
monde, sans se soucier de la défectuosité et pauvreté de l'ornement
de l'Eglise.
Le troisième est, qu'il emploie neuf heures pour le monde, et la
dixième heure seulement pour l'Eglise Sainte, car il veille la
première heure joyeusement avec le monde, contemplant avec plaisir
sa beauté et son éclat.
A la deuxième heure, il repose entre les bras du monde, qui sont la
hauteur des murailles et la vigilance des hommes armés, entre
lesquels il dort doucement, pensant tenir là heureusuement
l'assurance de son corps. A la troisème heure, il supporte
joyeusement le labeur et la peine pour des commodités mondaines,
afin qu'avec cela, il se réjouisse corporellement. A la quatrième
heure, après avoir travaillé, il repose franchement son corps, car
il a à suffisance tout ce qui lui plaît. A la cinquième heure, il a
un monde d'inquiétudes d'esprit, de ce qu'il veut être estimé un
grand et sage pourvoyeur du monde.
A la sixième heure, il a le repos de l'esprit avec joie, voyant que
son soin plaît universellement à tous les mondains. A la septième
heure, entendant et voyant les choses déléctable du monde, il les
attire dans son cœur, où il en brûle avec une impatience
intolérable. A la huitième, il accomplit actuellement et défait ce
qu'auparavant il avait ardemment désiré. A la neuvième, il laisse
inutilement quelques plaisirs, afin de ne sembler offenser ceux
qu'il aime charnellement. A la dixième heure, il fait quelque bonne
œuvre, mais à regret, d'autant qu'il craint de se rendre infâmes et
méprisable, et d'être jugé misérablement, s'il omet quelque chose
entièrement pour quelque autre fin. Cette dixième heure, il
l'emploie seulement avec la Sainte Eglise. Le bien qu'il fait ne
vient pas de la charité, mais de la crainte, craignant le supplice
du feu de l'enfer. en effet, s'il pouvait vivre éternellement sans
danger du corps, abondant en choses mondaines, il ne se soucierait
point d'être privé de la félicité éternelle.
Partant, je vous dis certainement, jurant de la part de Dieu, que
celui qui n'aura point le commencement n'aura point aussi la fin.
Que s'il ne se convertit bientôt à la Sainte Eglise, employant les
neuf heures avec elle, et avec la servante, c'est-à-dire, le monde
une heure, non pas néanmoins en l'aimant, mais ayant à regret et par
contrainte ses richesses et ses honneurs, conformément à l'office
épiscopal, disposant humblement et raisonnablement le tout pour
l'honneur de Dieu, il aura en son âme des persécutions spirituelles
aussi grande que celle de celui (pour parler par similitude), qu'on
frapperait à la tête; dont tout le corps se dissoudrait jusqu'à la
plante du pied; dont les veines et les nerfs se rompraient; dont les
os seraient fracassés, et dont la moelle coulerait misérablement
partout; et comme ce cœur semblerait être amèrement tourmenté, si le
sommet de la tête et les membres voisins étaient en telle sorte
frappés que la plante des pieds les plus éloignés en seraient
blessés, de même cette âme misérable étant près d'ouïr prononcer la
sentence divine, il lui semblera qu'elle est percée et outrée
amèrement d'un coup si misérable, tandis qu'il voit que sa
conscience est partout intolérablement blessée.
La Sainte Vierge Marie parle à l'épouse de Jésus-Christ. Comment un
évêque qui aime le monde est comparé à un éventoir plein de vent et
à une tortue croupissante en la pourriture; et comment celui-là sera
jugé à l'opposite de Saint Ambroise, évêque.
CHAPITRE 7
L'Ecriture dit que
celui qui aime son âme en ce monde, la perd. Or, cet évêque aime son
âme selon ses volupté profanes, et la délectation spirituelle n'est
point en son cœur. Partant, on le peut très bien comparer à un
éventoir, plein de vent auprès du fourneau : car comme les charbons
étant brûlés et l'air brûlant cessé, il demeure encore du vent dans
l'éventoir, de même, bien que cet évêque donne à sa nature tout ce
qu'il désire, consommant le temps inutilement, néanmoins, la même
délectation demeure en désir et sentiment, et lui désire satisfaire,
comme le vent demeure dans l'éventoir, car sa volonté ne se porte
qu'à la superbe et aux ambitions du monde, lesquelles l'endurcissant
dans son cœur, il donne à autrui l'exemple et l'occasion de pécher,
lesquelles étant consommées en péchés, descendent dans l'enfer.
Saint Ambroise, évêque, n'était pas disposé de la sorte ; son cœur
était plein de volonté divine ; son boire, son manger et son repos
étaient raisonnable ; rejetant et repoussant loin de soi les
voluptés du péché, il a parfaitement, utilement et honorablement
employé son temps. Et de fait, on le peut appeler l'éventoir des
vertus, car il a guéri les blessures du péché par les paroles de
vérité ; il a allumé les froids du divin amour, par l'exemple de ses
bonne œuvres et par la pureté de sa vie ; il a tempéré, voire
refroidi ceux qui brûlaient des feux des voluptés, et de la sorte,
il a aidé plusieurs, afin qu'ils ne se précipitassent pas dans
l'enfer, car la délectation divine arrosa doucement son cœur tant
qu'il vécut.
Mais cet évêque est semblable à une tortue, qui croupit en sa
pourriture naturelle , et attire sa tête vers la terre : de même
bourbiers abominables des voluptés, tirant son âme à la terre, non
au ciel. Qu'il se rappelle ces trois choses : 1° comment il s'est
acquitté de l'office sacerdotal; 2° qu'est-ce que signifient ces
paroles de l'Evangile : Les vêtements sont vêtements de brebis, mais
au-dedans, ce sont des loups ravisseurs ; 3° pourquoi les choses
temporelles lui touchent tant au cœur, et pourquoi le Créateur de
toutes choses est aimé si froidement.
La Sainte Vierge Marie parle à l'épouse de Jésus-Christ de sa propre
perfection, excellence des appétits déréglés des docteurs de ce
temps, et de leur fausse réponse à la question que la Sainte Vierge
leur avait faite.
CHAPITRE 8
La Sainte Vierge Marie
dit : Je suis celle qui ai été de toute éternité en l'amour divin,
et dès mon enfance, le Saint-Esprit était parfaitement avec moi.
Vous pourrez prendre un exemple de ceci, de la noix, laquelle croît
quand le zeste qui est au dehors croît ; le noyau qui est au dedans
croît aussi, de sorte que la noix en croissant est toujours pleine,
ne donnant place à rien qui vienne de l'extérieur.
De même, moi, dès mon enfance, j'ai été pleine du Saint-Esprit, et
il me remplit tellement à mesure que je croissais en corps et en âge
avec tant d'abondance, qu'il n'a rien laissé de vide en moi pour
donner entrée ni place au péché. Et partant, je suis celle qui n'a
jamais commis un péché véniel ni mortel, car de fait, j'ai été si
ardente en l'amour de Dieu que rien ne m'a plu, sinon la perfection
de la volonté de Dieu, car le feu de l'amour divin brûlait
incessamment dans mon cœur.
Dieu aussi, qui est béni sur toutes choses, qui m'a créée par sa
puissance et m'a remplie de la vertu du Saint-Esprit, m'a aimée
ardemment. La ferveur de son amour fit qu'il m'envoya un messager,
me faisant entendre par lui ses volontés, savoir, que je fusse Mère
de Dieu ; et ayant connu que c'était la volonté divine, soudain le
feu d'amour que j'avais dans mon cœur me fit prononcer cette parole
d'obéissance, par laquelle je répondis au messager : Qu'il me soit
fait selon votre parole ; et au même instant, le Verbe fut fait
chair en moi, et le Fils de Dieu a été fait mon Fils, et de la
sorte, nous avons tous deux un même Fils, qui est Dieu et homme, et
moi semblablement je suis Vierge Mère. Il est homme très sage et
vrai Dieu, Jésus-Christ, qui, demeurant en mon ventre, me donna
alors tant de sagesse, que, non seulement je puis entendre la
sagesse de tous les docteurs, mais encore la voir dans leur cœurs,
Dieu me la manifestant, et pénétrer si leurs paroles sortent de la
divine charité, ou bien de l'artifice de leur science.
Partant, vous qui entendez mes paroles, dites à ce docteur que je
l'interroge sur trois choses : 1° s'il désire plus les faveurs et
l'amitié de l'évêque corporellement, que de présenter
spirituellement son âme à Dieu ; 2° s'il prend plus de plaisir et de
délectation en l'esprit de l'abondance des richesses, que dans leur
privation ; 3° laquelle de ces deux choses le contente le plus, ou
d'être appelé docteur et maître, et demeurer entre les plus honorés
avec leur vanité mondaine, ou bien d'être appelé simple frère et
demeurer avec les derniers.
Qu'il sonde avec soin ces trois choses, car s'il aime son évêque
plus corporellement que spirituellement, il s'ensuit qu'il lui parle
de ce en quoi il se plaît : c'est pourquoi il ne lui défend pas les
péchés dans lesquels il se plonge. Que s'il se plaît plus en
l'abondance des richesses qu'en leur privation, il aime plus les
richesses que la pauvreté, et conseille le même à ses amis, leur
disant qu'ils possèdent tout ce qu'ils pourront acquérir, que de
laisser, le pouvant faire librement ; que s'il se plaît au nom de
maître pour l'honneur du monde et pour avoir rang avec les
honorables, alors il aime plus la superbe que l'humilité, d'où vient
que, devant Dieu, il est plus semblable aux ânes qu'aux maîtres, car
alors, il mâche la vile litière des bêtes, lui qui acquiert la
science sans le bon blé de la charité ; car l'amour divin ne
pourrait subsister en un cœur superbe.
Après qu'il eut fait ses excuses, il dit qu'il aimait plus présenter
spirituellement l'âme de l'évêque à Dieu, que l'aimer
corporellement, et plus la pauvreté que les richesses, et qu'il ne
se souciait aucunement du nom de maître.
La sainte Mère de Dieu lui répliqua et lui dit : Je suis celle qui a
ouï de la bouche de Gabriel la vérité et cru sans douter d'où vient
qu'il prit chair humaine de mon cœur et demeura en moi. J'ai
engendré la même Vérité, qui est de soi Dieu et homme; et parce que
la Vérité, qui est Fils de Dieu, a voulu venir à moi, demeurer en
moi et naître de moi, j'entends pleinement s'il y a vérité en la
bouche des hommes ou non ; mais je demande au maître trois choses.
Je dirais qu'il m'aurait très bien répondu, si la vérité était en
ses paroles ; mais parce qu'elle n'était point en elles, c'est
pourquoi je l'avertis de trois autres choses :
1° il y a quelque chose qu'il aime et qu'il désire corporellement,
et il ne l'obtiendra pas ; 2° cela même qu'il possède maintenant, il
le perdra avec la joie mondaine ;
3° les petits entreront dans le ciel, et les grands demeureront
dehors, d'autant que la porte est étroite.
La Sainte Vierge parlait à l'épouse de Jésus-Christ de la manière
dont ceux qui voient et entendent, etc. fuient les dangers, étant
illuminés par les rayons du soleil ; et de ce qui arrive aux sourds
et aux aveugles, etc.
CHAPITRE 9
La Mère de Dieu disait
: Bien que l'aveugle ne voit pas, néanmoins, tandis qu'il tombe dans
le précipice, le soleil reluit en la splendeur de sa clarté et de
son éclat Ceux qui sont clairvoyants, étant par le chemin, se
réjouissent d'avoir évité les précipices avec cette lumière.
Et bien que le sourd n'entende pas, néanmoins, celui qui entend,
entend l'impétuosité d'un torrent qui tombe et fond horriblement sur
le sourd, et il l'évite en s'enfuyant en quelque lieu assuré. Et
bien que la mort ne puisse rien apporter de bon, néanmoins,
pourrissant parmi la vermine, sa boisson conserve quelque douceur et
quelque saveur, car lorsqu'il vivait, il avalait avec joie le calice
des douleurs, et il était courageux à l'entreprise de toute sorte
d'œuvres généreuses.
La Sainte Vierge Marie parle à sa fille sainte Brigitte, lui donnant
assurance des choses susdits, des périls proches et éminents de la
ruine de l'Eglise, et en quelle manière, comme nous le voyons
maintenant en plusieurs, les économes de l'Eglise (hélas ! quel
malheur !) sont adonnés à la vie lubrique, à la cupidité, à
prodigaliser les liens de l'Eglise par orgueil. De l'ire de Dieu
provoquée contre telle sorte d'économes.
CHAPITRE 10
La Mère de Dieu dit :
Ne craignez pas en croyant que ce que vous verrez maintenant soit de
l'esprit du diable, car comme par l'approche du soleil, deux choses
arrivent, la lumière et la chaleur, à ceux qui ne suivent pas les
lumières et la chaleur, à ceux qui ne suivent pas les lumières
palpables, de même, par la venue du Saint-Esprit, viennent deux
choses en votre cœur, savoir : la parfaite lumière de la sainte foi
et l'ardeur de l'amour divin. Or, vous ressentez maintenant ces deux
choses. Le diable aussi, qui est comparé aux nuits palpable, ne suit
pas ces choses. Envoyez donc à lui le nonce que je vous ai nommé.
Or, bien que je sache son cœur et sa réponse, et la prompte et
proche fin de sa vie, néanmoins, vous lui devez envoyer les paroles
suivantes.
Je le fais enfin certain qu'à la droite de la sainte Eglise, le
fondement est tellement ruiné, que le sommet de la voûte a de
grandes ruptures, menaçant de ruine totale grandement dangereuse, de
sorte que plusieurs de ceux qui y viennent y perdront la vie.
Plusieurs colonnes, qui devraient être debout, se courbent
maintenant jusqu'à terre ; le pavé est tellement fossoyé et défait,
que les pauvres aveugles, en y entrant, tombent avec péril de leur
vie ; les clairvoyants mêmes y choppent lourdement ; et pour cela,
l'Eglise de Dieu est en un grand danger, et n'a rien de si proche
qu'une ruine totale. Certainement, je vous dis que si on ne la
rétablit, la ruine en sera si grande qu'on la saura par toute la
chrétienté.
Or, je suis cette Vierge en laquelle Jésus-Christ a daigné descendre
sans aucune volupté charnelle. Et le même Fils de Dieu est sorti de
mon sein, qui est demeuré clos avec grande consolation et sans
peine. J'ai demeuré auprès de la croix, quand il surmontait l'enfer
avec une patience invincible et victorieuse, et ouvrait le ciel par
le sang de son cœur. J'étais aussi sur la montagne, quand le Fils de
Dieu, qui est aussi mon Fils, monta au ciel. J'ai connu aussi très
clairement tout la foi catholique, qu'il avait enseignée en
évangélisant tous ceux qui voulaient entrer dans le ciel. Partant,
moi qui suis la même, j'assiste maintenant par-dessus le monde en
continuelle oraison, comme sur les nuées l'arc du ciel, qui semble
s'incliner vers la terre et la toucher de ses deux bouts. Par
l'arc-en-ciel, j'entends moi-même, moi qui, par ma prière, m'incline
et m'abaisse aux habitants de la terre, tant bons que mauvais.
Je m'incline aux bons, afin qu'ils soient fermes et constants dans
les choses que la sainte Eglise leur commande, et aux mauvais, afin
qu'ils n'avancent pas en leur malice et qu'ils ne deviennent pires.
Je vous fais donc connaître celui que je vous ai nommé, que, d'une
partie de la terre, s'élèveront des nuées horribles contre la clarté
et l'éclat de l'arc. Par ces nuées, j'entends ceux-là qui mènent une
vie lubrique, et sont insatiables d'argent comme un gouffre et un
abîme de mer. Emus de superbe, ils donnent aussi les biens
raisonnablement et prodigalement, comme un impétueux torrent verse
de l'eau.
Plusieurs, maintenant, économes de l'Eglise, exercent ces trois
choses, et leurs horribles péchés montent jusqu'au ciel, en présence
de la Divinité, contre ma prière, comme les nuées cruelles contre
l'éclat de cet arc. De même aussi, ceux qui devraient apaiser avec
moi l'ire de Dieu, la provoquent et l'attirent sur eux, et de tels
économes ne devraient pas êtres exaltés dans l'Eglise. Quiconque
donc voudra prendre soin que le fondement de l'Eglise soit stable,
et que la vigne sainte et bienheureuse que Dieu a plantée par son
soin, soit renouvelée et rétablie, s'il s'humilie, se jugeant
insuffisant et incapable, moi, Reine du ciel, je viendrai à lui pour
le secourir avec tous les anges, extirpant les racines fausses,
arrachant les arbres infructueux et les mettant au feu, et entant en
leur lieu des greffes fructueux et plantureux. Par la vigne,
j'entends l'Eglise de Dieu, en laquelle on doit renouveler
l'humilité et l'amour divin.
ADDITION
Ce qui suit est une addition au chapitre.
(Le Fils de Dieu parle des nonces du pape) : Vous êtes venus en la
société des grands, et vous montez encore à des choses plus grandes.
Partant , celui qui travaille mérite grandement que son humilité
soit exaltée, puisque la superbe était trop montée. Sera aussi
accueilli avec grand honneur celui qui a une grande charité envers
les âmes, car l'ambition et la simonie règnent maintenant en
plusieurs. Heureux aussi sera celui que s'efforce tant qu'il peut
que les vices soient extirpés du monde, car les vices prévalent et
règnent plus qu'il ne faut et plus qu'ils n'avaient accoutumé. Il
est aussi très utile de faire et de demander pénitence, car dans les
jours de plusieurs qui vivent maintenant, le soleil sera divisé, les
étoiles seront confondues ; là la sapience sera assottie et affolée
; les humbles cacheront leur feu en terre, les audacieux
prévaudront. C'est sagesse d'entendre et d'interpréter ceci à ceux
qui savent égaler ce qui est raboteux et prévoir ce qui est à venir.
(cette précédente révélation fut faite au cardinal d'Albane, qui
était alors prieur.)
Paroles de foi que Sainte Brigitte dit à Jésus-Christ. Manière dont
Saint Jean-Baptiste l'induit à la certitude de ce que Notre-Seigneur
lui dit. Félicité d'un bon riche. Comment un évêque indiscret est
semblable à un singe, à cause de sa sotte légèreté et de sa méchante
vie.
CHAPITRE 11
L'épouse Sainte
Brigitte, en oraison, parlait à Jésus-Christ, lui disant humblement
: O mon Seigneur Jésus-Christ, je me confie si fermement en vous,
que je croirais que même, si un serpent était couché auprès de ma
bouche, il n'y entrerait point, à moins que vous le permissiez pour
mon bien.
Saint Jean-Baptiste lui répondit : Celui qui vous apparaît est Fils
de Dieu, duquel le Père, comme je l'entendis, porta témoignage,
disant : Celui-ci est mon Fils. C'est celui duquel le Saint-Esprit
procède, et du Père, qui apparut sur lui en forme de colombe,
lorsque je le baptisais. C'est celui qui est, selon la chair, le
vrai Fils de la Vierge, dont j'ai touché de mes mains le corps.
Croyez donc fermement et entrez dans ses voies, car c'est lui qui a
montré les voies droites pour monter au ciel, par lesquelles le
pauvre et le riche peuvent y monter.
Mais vous me demanderez comment le riche doit être disposé pour
entrer au ciel, puisque Dieu même a dit qu'il est plus facile qu'un
chameau entre par le trou d'une aiguille que le riche entre dans les
cieux. ( Math. 10. Luc. 19. Marc. 10.) Je vous réponds à cela : Le
riche, qui est disposé en cette sorte qu'il ne veuille rien en soi
de mal acquis ; qui est soigneux que ses biens ne se dépensent
inutilement et contre Dieu ; qui, les possédant à regret, en désire
librement séparer l'affection et l'honneur mondain qui lui en
reviennent ; qui se trouble de la perte des âmes et du déshonneur
qu'on rend à Dieu ; et bien qu'il soit contraint par la dispense
divine d'aimer en quelque manière le monde, néanmoins, veille de
toute son intention à l'amour de Dieu : un tel riche est fructueux,
heureux et cher à Dieu.
Mais cet évêque dont nous parlons n'est pas riche de la sorte, car
de fait, il est semblable à un singe qui a quatre conditions :
1° on lui fait des vêtements qui le couvrent entièrement, hormis les
parties honteuses;
2° il touche de ses doigts les choses puantes ;
3° il a seulement la face humaine et tout le reste bête ;
4° bien qu'il ait des pieds et des mains, il foule de ses doigts la
boue.
De même l'évêque insensé est comme le singe, curieux en la vanité du
monde, difforme dans les œuvres louables, car il a ses vêtements,
c'est-à-dire, les ordres épiscopaux, qui sont grandement honorables
et précieux devant Dieu. Mais ses hontes paraissent toutes nues,
attendu que la légèreté de ses mœurs et ses affections brutales se
manifestent aux hommes à la ruine des âmes ; contre ceci, dit ce
chevalier généreux, que les hontes des hommes ont plus d'honnêteté,
marquant en cela que les mouvements brutaux des ecclésiastiques
doivent être cachés par l'éclat des bonnes œuvres, de peur que leur
exemple ne scandalise les infirmes.
Le singe aussi sent et touche ce qui est puant. Qu'est-ce que le
doigt fait, sinon montrer ce qu'on a vu? comme moi, voyant
Jésus-Christ en son humanité, je dis : Voici l'Agneau de Dieu. Les
doigts donc d'un évêque ne sont autre chose que les mœurs louables
avec lesquelles il doit montrer la justice divine et la charité.
Mais maintenant, il montre par les œuvres qu'il est riche et
généreux, sage du monde et prodigue d'argent. Or, que signifient ces
choses, sinon porter ses doigts aux choses puantes ? car se
glorifier de la chair et du sang d'une nombreuse et féconde famille,
qu'est-ce autre chose, sinon se glorifier des sacs enflés ?
Le singe aussi a une face humaine, mais le reste est en forme de
bête : de même celui-ci a son âme enrichie d'un caractère divin,
mais elle est enlaidie par sa cupidité.
Quatrièmement, comme le singe touche et foule la terre boueuse avec
les pieds et avec les mains, de même celui- ci ne désire que la
terre en ses œuvres et en ses mains, détournant ses yeux du ciel, et
les tournant vers la terre, comme un animal oublieux. Une telle
personne pourrait-elle apaiser l'ire de Dieu ? Nullement, mais elle
provoque davantage et attire sur elle la justice divine.
ADDITION
Cette révélation a été faite à un légat cardinal, l'an du jubilé,
etc. Le Fils de Dieu parle en ces terme : O contentieux superbe ! où
sont maintenant vos pompes et le riche apparat de vos chevaux ? Vous
n'avez pas voulu entendre quand vous étiez en honneur, c'est
pourquoi maintenant vous êtes sans honneur. Dites donc, bien que je
sache toutes choses, en la présence de cette épouse, ce que je vous
demande.
Et soudain, une personne tremblante et nue apparut misérablement
enlaidie, et le juge lui dit : O âme, vous avez été posée au peuple
en chandelier de lumière : pourquoi ne reluisez-vous pas par paroles
et par exemple ? L'âme lui répondit : Je ne l'ai ni entendu ne
conçu, d'autant que votre amour a été arraché de mon cœur. J'allais
comme un homme sans mémoire, et comme un vagabond après les choses
présentes, sans regarder ni considérer les choses futures. Cela
ayant été dit, l'âme fut privée de la lumière des yeux. Et un
Ethiopien, qui était là, dit : O juge, cette âme est à moi :qu'en
ferai-je ? Le Juge répondit : Purifiez-la, et examinez-la comme si
elle était en la presse, jusqu'à ce que le consistoire soit
assemblé, dans lequel on ballottera les allégations des amis et des
ennemis.
L'épouse parle à Jésus-Christ, en priant pour cet évêque; Réponses
faites par Jésus-Christ à la Sainte Vierge et à Sainte Agnès.
CHAPITRE 12
O, mon Seigneur ! je
sais que pas un n'entre dans le ciel que le Père ne l'attire.
Partant, ô Père très clément et très miséricordieux ! attirez à vous
cet infirme évêque. Et vous, ô Fils de Dieu ! aidez celui qui
s'efforce. Vous aussi, ô Saint-Esprit ! emplissez du feu de votre
amour cet évêque qui en est si vide.
Le Père répondit : Si celui qui tire est fort, et si la chose qu'il
tire est trop lourde et trop pesante, soudain l'œuvre sera dissipée
et mise à néant. Si celui qui tire est lié, il ne peut pas aider ni
soi-même ni celui qui doit être tiré ; et si celui qui tire est
immonde, il se rend abominable en tirant et en touchant. Cet évêque
est comme un homme qui est en un chemin fourchu, ne sachant de quel
côté se tourner ni quelle voie tenir.
L'épouse lui répondit : O, mon Seigneur, n'est-il pas écrit que
personne ne demeure stable en même état pendant cette vie, mais il
fait progrès ç meilleur ou à pis ? Le Père lui répliqua : L'un et
l'autre se peut dire, car il est arrêté comme entre deux voies de
joie et de douleur. Il se trouble de l'horreur du supplice éternel ;
il affecte d'obtenir les joies célestes, mais néanmoins, il lui
semble dur de marcher parfaitement par la voie qui tend aux joies ;
il se laisse emporter, en y marchant à ce à quoi la faveur le porte.
Après, Sainte Agnès parla : Cet évêque a les même dispositions
qu'aurait un homme qui est entre deux voies, l'une desquelles il
saurait être étroite en son commencement, mais agréable à la fin, et
saurait que l'autre est délectable pour quelque temps, mais qu'à la
fin, elle a un abîme profond et insatiable. Craignant, néanmoins
l'insatiabilité de ce profond abîme, telles pensées lui arrivent :
Il y a, dit-il, en cette voie agréable, un certain chemin abrégé :
si je le puis trouver, j'y marcherai longtemps en assurance, et
quand je m'approcherai de la fin et de l'abîme, si je trouve
l'abrégé, rien ne me nuira.
Et marchant avec assurance par la voie, et étant arrivé à l'abîme
profond, il tomba misérablement, car il ne trouva pas le chemin
abrégé, comme il pensait. Il se trouve aujourd'hui des hommes de
même pensées, disant : Oh ! qu'il est fâcheux de marcher par une
voie si étroite ! Oh ! qu'il est dur et amer de laisser sa propre
volonté et les honneurs ! C'est pourquoi ils se forment une fausse
et dangereuse espérance. Longue est notre vie, disent-ils. La
miséricorde de Dieu est très grande.
Ce monde est délectable et est créé pour le plaisir : partant,
n'importe pas si j'use du monde selon mes volontés, car à la fin de
la vie, je veux suivre Dieu. Il y a quelque abrégé de cette vie du
monde, c'est à dire, la contrition et la confession : si je
l'obtiens, je serai sauvé. Une telle pensée de vouloir pécher
jusqu'à la fin de sa vie et vouloir lors confesser ses fautes, est
une espérance très faible, car ils ne savent pas ce qui arrivera
avant leur chute ; mais au contraire, quand ils sont à l'extrémité,
souvent ils ressentent une douleur si grande et une fin si soudaine,
qu'ils ne pourront aucunement obtenir la contrition, et à juste
raison, car ils n'ont voulu prévoir les maux à venir quand ils le
pouvaient, mais ils ont mis en leur choix et limite le temps de la
miséricorde divine. Ils ne proposaient pas de mettre fin à leurs
péchés, avant que le péché ne les eût pu plus délecter.
Semblablement, cet évêque était entre deux voies ; mais maintenant,
il s'approche de la voie délectable de la chair, et a devant soi
comme trois feuilles qu'il lit. Il lit la première doucement et à
suite ; la deuxième, il la lit quelquefois, mais non pas avec
plaisir ; la troisième, rarement, mais avec douleur. La première, ce
sont les richesses et les honneurs auxquels il se plaît ; la
deuxième, c'est la crainte de l'enfer et du jugement où il se
trouble ; la troisième, c'est l'amour de Dieu et la crainte filiale,
qu'il feuillette rarement, car s'il considérait ce que Dieu a fait
pour lui, ce qu'il lui a donné, jamais l'amour de Dieu ne
s'éteindrait en son cœur.
L'épouse répondit : O Dame, priez pour lui. Et alors, Sainte Agnès
dit : Qu'est-ce que la justice fait, sinon le jugement, et qu'est-ce
que la miséricorde fait, qu'allécher ?
La Mère de Dieu parle : On parlera en ces termes à l'évêque : Bien
que Dieu puisse faire toutes choses de lui-même, néanmoins, l'homme
doit coopérer, afin d'éviter le péché et qu'il obtienne la charité :
car il y a trois choses qui induisent à fuir le péché, et il y a
trois choses qui induisent à obtenir la charité. Les trois choses
par lesquelles on fuit le péché, sont : une pénitence parfaite ; la
deuxième, l'intention de ne vouloir jamais pécher ; la troisième,
s'amender selon le conseil de ceux qu'il voit avoir méprisé le
monde. Et les trois choses pour obtenir l'amour, sont l'humilité, la
miséricorde et le labeur de charité, car quiconque ne dirait qu'un
Pater noster pour obtenir la charité, bientôt les effets de la
charité s'approcheraient de lui.
De l'autre évêque dont je vous ai parlé, je vous dis pour conclusion
que les fosses lui semblent trop larges pour les sauter, les
murailles trop hautes pour y monter, et les serrures trop fortes
pour les rompre : partant, je demeure et je l'attends ; mais lui
s'étant tourné ç la tête et aux œuvres de trois troupes, les
considère avec plaisir et s'y plonge. La première d'icelles est la
danse et le chant mélodieux, auxquels il dit : je me plais à vous
ouïr ; attendez-moi. L'autre s'arrête à se mirer, à qui il dit : je
me plais à voir ce que vous voyez, car je me délecte beaucoup à
cela. La troisième se réjouit et prend son repos, et avec celle-ci,
il cherche son repos et son honneur.
Mais qu'est-ce que danser et chanter dans le monde, sinon passer
d'une joie temporelle à une autre, et d'un appétit d'honneur à un
autre ? Mais qu'es-ce que s'arrêter et penser, sinon relâcher ou
arracher l'esprit de la contemplation divine, et le porter à la
contemplation d'entasser, donner et prodigaliser des choses
temporelles ? or, que signifie se reposer, si ce n'est chercher les
plaisirs de la chair ? Considérant donc ces trois troupes, il monta
en une montagne haute, et il ne se soucia point des paroles que je
lui ai envoyées, ayant mis en oubli cette clause que j'avais mise au
contrat, Que? S'il me gardait la promesse, je la lui garderais
aussi.
L'épouse repartit : O Mère très bénigne ! ne vous retirez point de
lui. La Mère de Dieu lui répondit : Je ne m'en retirerai point
jusqu'à ce que la terre reprenne la terre ; voire même s'il rompt
les serrures du péché, je lui irai au devant comme une servante et
l'aiderai comme une mère. Et la Mère ajouta : Vous, ô ma fille !
pensez qu'il aurait été la récompense de ce chanoine d'0rléans, si
son évêque se fut converti. Je vous dis que, comme vous voyez que la
terre produit des herbes et des fleurs de diverses espèces, de même,
si tous les hommes eussent louablement persévéré dès le commencement
du monde en leur sainte institution, tous eussent reçu une
récompense excellente, car tous ceux qui sont en Dieu passent d'une
joie indicible en une autre, non pas qu'il y ait dégoût en
quelqu'une, mais parce que la délectation s'augmente incessamment,
et la joie ineffable s'accroît continuellement.
DECLARATION
Cet homme fut un évêque de Vexionen, lequel étant à Rome grandement
travaillé de son retour, elle ouït en esprit ces paroles : Dis à cet
évêque que ce retardement lui est plus utile que son avancement.
Ceux aussi qui, de sa compagnie, sont allés au-devant, le suivront.
Quand il sera retourné en son pays, il trouvera que mes paroles sont
vraies. Aussi toutes ces choses arrivèrent de la sorte, car en
revenant, il trouva que son roi était pris et tout le royaume en
confusion. Ceux aussi de sa compagnie qui étaient allés au-devant,
furent empêchés par le chemin, et le suivaient de loin. Sachez aussi
que cette dame qui était en la comppagnie de l'évêque, s'en
retournera saine, mais elle ne mourra pas en son pays, et la chose
vint de la sorte, car au second voyage, elle (Sainte Brigitte)
mourut à Rome et y fut ensevelie.
AUTRE REVELATION DU MEME EVEQUE
Quand Sainte Brigitte descendait du mont Gargan en la cité de
Mafredoine, au royaume Puglia, le même évêque, étant en la compagnie
de ladite dame, tomba du cheval et se rompit deux côtes. Avant
qu'elle partît le matin pour aller à saint Nicolas de Baro, il
l'appela, disant : Oh ! qu'il m'est amer de demeurer ici sans vous !
et il m'est aussi fâcheux que vous retardiez à mon occasion,
principalement à raison de ces hommes corsaires ! Je vous supplie,
pour l'amour de Jésus-Christ, de prier Dieu pour moi. Touchez le
côté où est ma douleur, car j'espère que, par votre attouchement, ma
douleur sera apaisée. Elle, fondant en larmes de compassion qu'elle
en avait : O mon Seigneur, dit-elle, je me répute comme si je
n'étais pas, et pire, car je suis grandement pécheresse devant Dieu.
Néanmoins, nous prierons tous Dieu pour vous, et il répondra à votre
foi. Ayant donc fait oraison et se levant, elle toucha le côté de
l'évêque, disant : Notre-Seigneur Jésus-Christ vous guérisse ! Et
soudain, la douleur cessa, et l'évêque, se levant, suivit Sainte
Brigitte par tous les chemins jusqu'à ce qu'elle retourna à Rome.
La Sainte Vierge Marie, Mère de Dieu, parle à sa fille de la manière
dont les paroles et les œuvres de Jésus-Christ sont signifiées par
le trésor ; la Déité par le chant ; les péchés par les serrures :
les vertus par les murailles ; la beauté du monde et les plaisir des
âmes par les deux fossés ; et il est expliqué comment se doit
gouverner l'évêque à l'endroit des âmes qui lui sont confiées.
CHAPITRE 13
La Mère de Dieu parlait
à l'épouse de son Fils, disant : Cet évêque demande ma charité,
partant, il doit faire ce qui m'est très cher. Car de fait, je sais
un trésor : celui qui le trouvera ne sera jamais la tribulation ni
la mort. Quiconque le désirera aura tout le contentement de son cœur
avec exaltation et joie. Or ce trésor est caché en un château fermé
à quatre serrures, et est entouré de murailles bien hautes, bien
épaisses et bien fortes. Hors des murs sont deux profonds et larges
fossés. C'est pourquoi je le supplie de passer d'un saut ces deux
fossés, de monter d'un pas les murailles, et de rompre d'un coup les
serrures, et que de la sorte, il me présente une chose précieuse.
Or, maintenant, je vous dirai tout ce que cela signifie.
Chez vous, on nomme trésor ce qui arrive rarement en usage et ce
qu'on remue rarement. Ce trésor, ce sont les paroles de mon Fils et
les œuvres précieuse qu'il a faites, et avant la passion, et en sa
passion, et aussi les œuvres admirable qu'il fit, lorsque le Verbe
fut fait chair en mon sein, et lorsque tous les jours, sur l'autel,
le pain est transubstatié en son corps, par la force des paroles de
Dieu.
Toutes ces choses sont un précieux trésor, qui sont maintenant si
négligées et oubliées, qu'il y en a peu qui s'en souviennent et qui
s'en servent pour leur avancement. Mais néanmoins, le corps glorieux
du Fils est dans un château muni, c'est-à-dire, en la vertu de la
Déité, car comme il défend le château contre ses ennemis, de même la
puissance de la Divinité de mon Fils défend l'humanité de son corps,
afin qu'aucun ennemi ne lui nuise.
Les quatre serrures sont quatre péchés, par lesquels plusieurs sont
repoussés de la participation du corps de Jésus-Christ. Le premier
est la superbe et les ambitions des honneurs du monde ; le deuxième,
les désirs des biens du monde ; le troisième est la volonté sale et
brutales, qui tend à remplir immodérément et brutalement le corps ;
le quatrième, ce sont la colère, l'envie et la négligence de son
propre salut.
Plusieurs aiment trop ces quatre vices et y sont trop accoutumés,
c'est pourquoi ils sont grandement éloignés de Dieu, car ils voient
le corps de Dieu et le reçoivent ; mais leur âme est tellement
éloignée de Dieu que les larrons la désirent dérober, mais ne
peuvent, à raison des serrures fortes. C'est pourquoi j'ai dit qu'il
rompît d'un coup les serrures. Ce coup signifie le zèle des âmes,
par lequel l'évêque doit rompre les pêcheurs avec les œuvres de
justice faites en charité, afin que les serrures du péché étant une
fois rompues, le pécheur puisse arriver jusqu'à ce précieux trésor.
Et bien qu'il ne puisse frapper tous les pécheurs, qu'il fasse,
comme il y est obligé, ce qu'il pourra, et principalement en ceux
qui sont sous sa main, ne pardonnant ni au grand ni au petit, ou
proche, ou à son allié, ami ou ennemi.
C'est en cette sorte que se comporta Saint Thomas d'Angleterre, qui,
ayant enduré un monde de tribulations pour l'équité de la justice,
mourut enfin d'une mort cruelle, attendu qu'il frappa le corps par
la justice ecclésiastique, afin que l'âme endurât moins. Que cet
évêque imite cette vie, afin que tous sachent qu'il hait ses propres
péchés et ceux d'autrui, et alors, un tel coup de zèle est ouï
par-dessus tous les cieux en la présence de Dieu éternel et des
anges, et plusieurs se convertiront et se rendront meilleurs, disant
: Il ne nous hait pas, mais bien nos péchés. Amendons-nous donc, et
nous seront amis de Dieu et de lui.
Or, ces trois murailles qui environnent le château, sont trois
vertus : la première est quitter les délices du corps et faire la
volonté de Dieu ; la deuxième est vouloir plutôt les dommages et les
opprobres pour la vérité et la justice, que d'avoir des honneurs et
possessions du monde, dissimulant la vérité ; la troisième, ne
pardonner ni la vie ni les biens pour le salut de chaque chrétiens.
Mais voyez à quoi s'emploie maintenant l'homme; enfin, il lui semble
que ces murailles sont si hautes, qu'il ne les pourra passer en
aucune manière : c'est pourquoi les cœurs des hommes n'approchent
point de ce corps glorieux avec permanence, ni leurs âmes, attendu
qu'elles sont éloignées de Dieu ; et partant, j'ai commandé à mon
ami de passer les murailles d'un seul pas ; car chez vous, en
appelle un pas, quand on sépare les pas d'une grande distance, pour
faire passer vite le corps : de même en est-il du pas spirituel, car
quand le corps est en la terre, et l'amour du cœur au ciel, alors on
passe par-dessus ces trois murailles, car alors, l'homme se plaît,
par la considération des choses célestes, à quitter sa propre
volonté, à pâtir repoussements, injures et persécutions pour la
justice et l'équité, à mourir pour la gloire de Dieu. Les deux
fossés qui sont hors des murs, sont la beauté du monde, la présence
et le plaisir de ses amis.
Plusieurs se reposeraient volontiers en ces fossés, et ne ce
soucieraient jamais de voir Dieu au ciel. Et partant, les fossés
sont larges et profonds : larges, d'autant que les volontés de ces
hommes sont distantes et éloignées de Dieu ; profonds, d'autant
qu'ils détiennent plusieurs dans les profonds abîmes de l'enfer :
c'est pourquoi ces fossés doivent être passés d'un saut ; car
qu'est-ce qu'un saut spirituel, sinon arracher son cœur des choses
vaines, et saillir de la terre au ciel ?
Il est maintenant montré comment il faut rompre les serrures et
passer les murailles. Je montrerai maintenant comment cet évêque
doit présenter et offrir une chose la plus précieuse qui ait jamais
été.
Certainement, la Divinité a été de toute éternité et sans
commencement, et est, attendu qu'en elle on ne peut trouver ni
commencement ne fin et l'humanité fut en mon corps et reçut de moi
chair et sang. Partant, elle est une chose fort précieuse, s'il y en
a eu jamais et s'il en est maintenant. Donc, quand l'âme du juste
reçoit le corps de Dieu en soi avec amour, le corps de Dieu remplit
sont âme : alors, il y a en elle une chose fort précieuse, si elle a
jamais été ; car bien que la Divinité soit en trois personnes sans
principe et sans fin en soi, néanmoins, quand le Père envoya son
Fils, le Saint-Esprit y survenant, le Fils reçut alors de moi son
précieux corps.
Or, maintenant, je montrerai à cet évêque comment il faut présenter
à Notre-Seigneur une chose précieuse. Où l'ami de Dieu trouvera le
pécheur, aux paroles duquel il y a un peu d'amour envers Dieu et
beaucoup envers le monde, là il trouvera une âme vide pour aller à
Dieu. Partant, que l'ami de Dieu ait de l'amour envers Dieu, étant
marri et dolent que l'âme, qui a été rachetée du sang du Créateur,
soit ennemie de Dieu, et qu'il ait compassion de cette âme
misérable, faisant deux choses pour elle : 1° qu'il prie Dieu de lui
faire miséricorde. 2° qu'il lui montre le danger où il est.
Or, s'il peut accorder Dieu et l'âme, alors des mains de dilection,
qu'il présente à Dieu une chose très précieuse, car quand le corps
de Dieu qui a été en moi, et l'âme créée par Dieu, conviennent en
une amitié, cela m'est grandement cher. Ce n'est pas de merveille si
je l'aime, car j'étais présente lorsque mon Fils, ce chevalier
généreux, sortit de Jérusalem pour aller au combat, qui fut si fort
et si dur que tous les nerfs de ses bras furent étendus ; son corps
étaie tout livide et ensanglanté ; ses mains et ses pieds étaient
percés de clous, ses yeux et ses oreilles pleins de sang ; son cou
étaie aussi abaissé quand il rendit l'esprit ; le cœur était ouvert
par le fer de la lance ; et ainsi; avec grandes douleurs et peines,
il a vaincu les âmes, et maintenant, résidant dans la gloire, il
tend les bras aux hommes. Mais hélas ! il s'en trouve peu qui lui
présentent une épouse; partant, que l'ami de Dieu n'épargne point
les biens ni ne pardonne à sa vie, en aidant aux autres en les
présentant à mon Fils.
Dites encore à cet évêque, d'autant qu'il me demande pour être sa
chère amie, que je lui veux donner ma foi, et me lier avec lui d'un
lien signalé, parce que le corps de Dieu a été en moi, et je
recevrai son âme en moi avec grand amour et grande charité, car
comme le Père avec le Fils a été en moi, qui ai eu mon corps et mon
âme en soi, et comme le Saint-Esprit, qui, avec le Père et le Fils,
a été partout avec moi, qui avait aussi mon Fils en moi, de même, ce
mien domestique sera lié avec le même Esprit ; car quand il aime la
passion de mon Fils, et qu'il a son très cher corps en son cœur,
alors il aura l'humanité qu'il a en soi et hors de soi ; la Divinité
et Dieu est en lui, et lui en Dieu, comme Dieu est en moi et moi en
lui. Or, quand mon domestique et moi avons un même Dieu, nous avons
aussi un même lien de charité, et le Saint-Esprit, qui est un Dieu
avec le Père et le Fils.
Ajoutez encore une parole : si cet évêque me tient sa promesse, je
l'aiderai tant qu'il vivra ; mais à la fin de sa vie, je veux le
servir et l'assister en présentant son âme à Dieu, en lui parlant en
ces termes: O mon Dieu ! celui-ci vous a servi et m'a obéi, c'est
pourquoi je vous présente son âme. O ma fille ! qu'est-ce que
l'homme, quand il méprise son âme ? Eh quoi ! Dieu le Père, avec son
incompréhensible Déité, aurait-il permis que son Fils innocent
souffrît en son humanité des peines si cruelles, s'il n'eût pris
plaisir des âmes, s'il ne les eût aimées, et s'il ne leur eût
préparé une gloire éternelle ?
(Cette révélation a été faite à l'évêque Lincopen, qui, après, a été
fait archevêque. Il y en a encore une du même au liv. VI, chap. XXII
qui commence ainsi : Ce prélat…)
ADDITION
L’évêque pour lequel vous pleurez est allé en un léger purgatoire :
partant, sachez pour certain que, bien qu’il ait eu au monde
plusieurs qui l’ont empêché, maintenant ceux-là mêmes en ont
rapporté leur jugement; et lui, à cause de sa foi et de sa pauvreté,
est en gloire avec moi.
La Sainte Vierge Marie, Mère de Dieu, parle à sa fille sous une
figure admirable d’un évêque, de la manière qu’un évêque est
signifié et marqué par le papillon et vermisseau, l’humilité et la
superbe par les deux ailes. Trois espèces de maux palliés par les
évêques, par les trois couleurs du vermisseau; les œuvres de
l’évêque par l’épaisseur de la couleur; ses deux volontés par les
deux cornes du papillon; sa cupidité par sa bouche, et sa petite
charité est expliquée par le petit corps.
CHAPITRE 14
La Mère de Dieu parle à
l’épouse de son Fils, disant : Vous êtes un vase que le possesseur
remplit et que le maître vide néanmoins, et celui qui vide et celui
qui possède ne sont que le même; car comme celui qui verserait dans
un vase tout à la fois du vin, du lait et de l’eau, serait appelé
maître, s’il séparait l’un de l’autre après qu’ils seraient mêlés,
et les remettait en leur nature propre, de même, moi, Mère de Dieu
et Maîtresse de tous, j’en ai fait en vous et le fais encore, car il
y a treize mois que je vous ai dit plusieurs affaires, et toutes
sont comme mêlées en votre âme. Que si on les épanchait soudain,
elles sembleraient être abominables, si on en ignorait la fin;
partant, je les distingue et les sépare maintenant comme il me
plaît.
Ne vous souvenez-vous pas que je vous ai envoyé à quelque évêque que
j’appelais serviteur ? C’est pourquoi nous le comparons maintenant
au vermisseau qui a des ailes larges, parsemées de couleur blanche,
rouge et bleue. Quand on les touche, la couleur épaisse demeure aux
doigts comme des cendres. Ce vermisseau a un petit corps, mais une
grande bouche, deux cornes au front, et un lieu caché dans le
ventre, par lequel il jette hors les immondices. Les ailes de cet
évêque sont l’humilité et la superbe, car il paraît humble
extérieurement en ses paroles, en ses débordements, vêtements et
œuvres; mais au dedans, il n’y a que superbe, s’estimant grand
devant ses yeux, enflé d’honneur, ambitieux des faveurs mondaines,
arrogant, préférant le sien à ce qui est d’autrui et jugeant mal les
autres. Il vole donc par ces deux ailes d’humilité apparente, afin
de plaire aux hommes et pour faire parler de lui, et par l’aile de
la superbe, s’estimant plus saint que les autres.
Mais les trois couleurs des ailes sont trois prétextes qui pallient
ses maux, car la couleur rouge signifie qu’il dispute tous les jours
de la passion de Jésus-Christ et des merveilles des saints, afin
qu’il soit appelé saint; mais vraiment ils sont bien loin de son
cœur, car il ne les a pas à goût.
La couleur bleue signifie qu’à l’intérieur il semble ne se soucier
des choses temporelles, mais il semble mort au monde et tout vivant
au ciel, comme le bleu a la couleur du ciel; mais vraiment, cette
deuxième couleur n’a pas moins de stabilité et de fruit que la
première.
La couleur blanche marque qu’il est religieux en ses vêtements, et
louable par-dessus tous en ses mœurs. Mais il y a autant de douceur
et de perfection en la couleur troisième que dans les deux autres,
car comme la couleur du papillon est épaisse et adhère aux mains, ou
pour le moins demeure aux mains comme de la cendre, de même ses
œuvres semblent admirables, car il désire être seul; mais elles
sont, pour son utilité propre, vaines et sans fruit, car il ne
cherche pas sincèrement ce qu’il faut chercher, ni n’aime ce qu’il
faut aimer.
Ces deux cornes marquent ses deux volontés, car il désire avoir la
vie en ce monde sans incommodité aucune, et après la mort, la vie
éternelle, afin qu’il ne soit privé en terre des grands honneurs, et
qu’il soit couronné plus parfaitement dans le ciel.
Cet évêque est semblable au papillon, qui pense porter le ciel en
une de ses cornes et la terre en l’autre, qui néanmoins, bien qu’il
puisse, ne voudrait pas soutenir la moindre chose pour l’honneur de
Dieu, et pense tellement profiter à l’Église par sa parole et son
exemple, qu’il lui est avis que, sans lui, elle ne croîtrait pas, et
il pense que les hommes terrestres s’engendrent spirituellement par
ses mérites, et il se considère comme un bon soldat qui a bien
combattu, disant en soi-même : Puisque je suis appelé dévot et
estimé humble, qu’ai-je affaire de mener une vie plus étroite ?
Si je pèche en quelques délectations sans lesquelles je vivrais sans
plaisir, mes grands mérites et mes plus grandes œuvres m’excuseront.
Puisque même on peut obtenir le ciel par un verre d’eau froide,
qu’est-il besoin de se travailler outre mesure ? Le papillon aussi a
sa bouche large, mais plus amples sont ses cupidités, car bien qu’il
eût dévoré toutes les mouches, excepté une, il désirerait encore
celle-là; et s’il la tenais, il la dévorerait.
Il en est de même de cet évêque qui, s’il pouvait obtenir un seul
denier pour l’entasser avec les autres, le recevrait avec plaisir,
pourvu que cela se fît en secret et qu’il n’en fût pas marqué tel;
et pour cela néanmoins, le feu de sa cupidité en s’éteint pas.
Le papillon a aussi un trou secret pour jeter ses immondices : de
même ce méchant verse sa colère et son impatience, afin que ce qu’il
tenait si secret soit manifesté aux autres. D’ailleurs, comme le
papillon a un petit corps, lui aussi a une charité bien petite, car
tout ce qui défaut en la grandeur et perfection de la charité, tout
est suppléé en la latitude et extension des ailes.
L’épouse repartit : S’il a quelque étincelle de charité, il a
espérance de vie et de salut.
La Mère de Dieu répartit : Quelle charité avait Judas quand, en
trahissant Notre-Seigneur, il dit : J’ai péché, trahissant le sang
du Juste ? Il voulut faire voir qu’il avait de la charité, mais il
n’en avait pas.
La Mère de Dieu parle à sa fille, sous figure d’un autre évêque, de
la manière dont un tel évêque est signifié par la chenille;
l’éloquence des paroles par le vol; les deux considérations par les
deux ailes, et les paroles plaisantes du monde par le mors. De
l’admiration de la Vierge. De la vie de ces deux évêques et des
prédicateurs.
CHAPITRE 15
La sainte Mère de Dieu
parle à l’épouse de son fils, lui disant : Je vous ai montré un
autre évêque que j’ai appelé pasteur du troupeau. Nous le comparons
à la chenille, qui, ayant la couleur de la terre, vole avec un grand
bruit, et où elle s’arrête, elle mord intolérablement et avec
douleur. De même, ce pasteur a la couleur de la terre, car étant
appelé à la pauvreté, il désire d’autant plus être riche que pauvre,
plus commander qu’obéir, avoir plus de volonté propre qu’être rangé
par les autres.
Il vole aussi avec un grand bruit, car au lieu de discours de Dieu,
il abonde en éloquence de paroles; au lieu de parler de la doctrine
spirituelle, il dispute de la vanité du monde; au lieu de la sainte
simplicité de son ordre, il loue et suit la vanité du monde. Il a
encore deux ailes, c’est-à-dire, deux considérations : la première
est qu’il voudrait donner à tous de beaux mots plaisants et
agréables, afin qu’il fût honoré de tous; la deuxième : il voudrait
que tout le monde lui obéît et lui fit la révérence. La chenille
mord dommageablement : de même celui-ci mord malheureusement aux
âmes, car étant le médecin des âmes, il ne dit pas à celles qui
s’approchent de lui leurs infirmités et leurs dangers, ni n’use
point du couteau pour retrancher ce qui est pourri, mais leur dit
des paroles plaisantes, afin qu’il soit nommé doux et que personne
ne le fuit.
Voici qu’en ces deux évêques il y a de grandes merveilles, car l’un
paraît extérieurement pauvre, humble et solitaire, afin d’être
appelé spirituel; l’autre désire posséder le monde, afin d’être
appelé miséricordieux et charitable; l’un veut qu’on voie qu’il ne
possède rien, et néanmoins, il désire posséder tout en cachette;
l’autre veut posséder tout ouvertement, afin de donner beaucoup, et
de la sorte, il veut être honoré beaucoup. Partant, selon la maxime
vulgaire, d’autant qu’ils me servent en telle sorte que je ne le
vois pas et ne l’approuve pas, aussi, je les récompenserai en telle
manière qu’ils ne le verront pas.
Vous admirez pourquoi tels sont loués en leurs prédications. Je vous
réponds que quelquefois un méchant dit de bonnes choses, car
l’Esprit de Dieu, qui est bon, leur est donné, non pour la bonté du
docteur, mais pour la parole du docteur, en laquelle l’Esprit de
Dieu est pour le bien des auditeurs. Quelquefois un homme de bien
parle aux mauvais, et ils deviennent bons en l’entendant, à raison
de l’Esprit de Dieu, qui est bon, et à cause de la bonté du
prédicateur. Quelquefois, un froid dit des paroles froides, afin que
les auditeurs qui sont aussi froids, tandis qu’ils les rapportent
aux absents, soient plus fervents que les auditeurs mêmes. Partant,
ne vous troublez pas à qui que vous soyez envoyée, car Dieu est
admirable, qui met l’or sous les pieds et la boue entre les rayons
du soleil.
Paroles du Fils de Dieu à son épouse : que la damnation des âmes
déplait à Dieu : Des admirables questions d’un jeune évêque à un
ancien, et des réponses de l’ancien au jeune.
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