LA VOIE MYSTIQUE

adveniat regnum tuum

RÉVÉLATIONS CÉLESTES

Livre II

— Chapitres 16 à 30 —

Chapitre 16

Ici Jésus-Christ parle à son épouse. Pourquoi il parle plus à elle qu’à d’autres meilleurs qu’elle?. De trois commandements que Jésus Christ fait à l’épouse. De trois choses défendues , de trois choses permises, et de trois documents très excellents.

Plusieurs s’étonnent pourquoi je parle avec vous, et non pas avec les autres, qui sont d’une meilleure vie et m’ont servi plus longtemps que vous. Je leur réponds par un exemple.

Un Seigneur avait plusieurs vignes et en plusieurs lieux, et le vin sentait et avait le goût du terroir de chaque vigne. Or, quand le vin fut foulé et coulé, le maître de la vigne en but du médiocre et du plus petit, et point du meilleur. Que si quelques-uns de ceux qui sont présent et assistants lui demandent pourquoi il a fait de la sorte; le maître de la vigne leur dira: Parce que ce vin était alors de son goût et lui semblait le plus doux et pourtant, le maître de la vigne ne répand pas le meilleur, ni ne le méprise, mais il le garde à son temps et saison pour lui faire honneur et lui porter de l'utilité, donnant un chacun à son propre temps.

Je vous en ai fait de même. J’ai plusieurs amis dont la vie m’est plus douce que le miel, plus délectable que le vin et plus luisante devant mes yeux que le soleil. Néanmoins d'autant qu'il m'a plu de la sorte de vous élire en mon Esprit, non pas parce que vous étiez meilleure, ou que vous leur était égale, ou que vous étiez plus digne qu'eux en mérite, mais parce que je l'ai voulu ainsi; car des insensés j'en fais des sages; des pécheurs j'en fais des justes; ni parce que je vous ai fait une telle grâce, je ne les méprise pas, mais plutôt je me les réserve pour mon utilité et honneur, selon que ma justice l'exige. C'est pourquoi, humiliez-vous en toute chose et ne vous mettez en peine que de vos péchés. Aimez tout le monde, voire même ceux qui vous semblent vous haïr le plus et ou détracter le plus, car ceux-là vous offrent et vous donnent de plus grandes occasions de couronnes. Je vous défends de faire trois choses; je vous permets de faire trois choses; je vous conseille de faire trois choses.

D’abord, je commande de faire trois choses, la première, de ne rien désirer que Dieu; en deuxième lieu, de repousser toute sorte de superbe et d’arrogance, en troisième lieu , de fuir perpétuellement la luxure charnelle.

Je vous commande de ne. pas faire trois choses: la première, de n’aimer point les paroles vaines et plaisantes ; la deuxième, de ne point chercher les superfluités des viandes et des autres choses ; la troisième, de fuir la légèreté du monde et ses joies.

Je vous permets de faire trois choses : la première , de prendre un sommeil modéré pour avoir une bonne complexion ; la deuxième de veiller tempérament pour l’exercice du corps, la troisième , de manger des viandes avec modération pour fortifier et sustenter le corps.

Je conseille trois choses : la première , le labeur dans les jeûnes et les bonnes œuvres, auxquelles est promis le royaume des cieux; la deuxième, que vous disposiez bien de tout ce qui redonde à l’honneur et à la gloire de Dieu; la troisième , je vous conseille de considérer continuellement deux choses eu votre cœur : la première , ce que j’ai fait pour vous , souffrant et mourant pour vous. Cette pensée excite l’amour envers Dieu; la deuxième: considérez ma justice et mon horrible jugement, car cela excite à la crainte.

Enfin ce que je vous commande, ce que je vous mande , ce que je vous conseille et vous permets , c’est que vous obéissiez comme vous êtes tenue de le faire. Je vous commande cela d’autant que je suis votre Dieu. Je vous mande cela, afin que vous le fassiez, car je suis votre Dieu. Je vous permets cela, parce que je suis votre Époux. Je vous conseille cela, attendu que je suis votre ami.

Chapitre 17

Jésus-Christ parle à son. épouse de la manière dont, la Divinité doit être appelée vraiment vertu ; d’ une multitude de déceptions de l'homme suggérées par le diable , et de la multitude de remèdes que Jésus-Christ a donnés pour aider et secourir l’homme.

Le Fils de Dieu, parlant à son épouse lui disait : croyez-vous fermement que ce que le prêtre tient en ses mains soit le corps du Fils de Dieu? Elle répondit : Je crois fermement que, comme le Verbe qui a été envoyé à la Sainte Vierge, a été fait chair et sang dans son ventre, de même, maintenant ce que je vois. dans les mains du prêtre, je crois que c’est le vrai Dieu et le vrai homme.

Notre-Seigneur lui répondit : Je suis le même qui parle avec vous, étant en la Divinité de toute éternité , et humanisé dans le temps , au sein de la très Sainte Vierge, sans néanmoins perdre ma Divinité . Ma Divinité peut être appelée à bon droit vertu, attendu qu’en elle il y à deux choses l’une est une puissance très-puissante, de laquelle dépend toute puissance; l’autre, une sagesse très-sage de laquelle dérive toute sagesse. Car en ma Divinité, toutes les choses qui subsistent ont été raisonnablement et sagement ordonnées, car il n’y a pas au ciel une des plus petites choses qui n’ait été faite, constituée et prévue par elle; il n’y a pas un atome en terre ni une petite étincelle en enfer, qui ne soient contenus dans les bornes de son ordonnance , et qui se puissent cacher aux yeux de sa providence.

N’admirez que j’ai dit qu’il n’y avait pas au ciel un petit point sans mon su. Enfin, comme le point est la perfection du verbe glosé, de même le Verbe divin est la perfection de toutes choses et est pour l’honneur de toutes choses. Pourquoi pensez-vous qu’il n’y a pas un atome en terre que je ne voie, si ce n’est parce que toutes les choses terrestres sont périssables et néanmoins , elles ne sont pas hors de la disposition et ordre de la providence divine, mais elle les sait et les enveloppe. Pourquoi ai-je dit qu’il n’y avait pas une petite étincelle de feu dans l’enfer sans mon su , si ce n’est d’autant que, dans l’enfer, il n’y a qu’envie .Car comme l’étincelle procède du feu, de mène toute malice et envie proviennent des esprits immondes , de sorte qu’eux et leurs fauteurs sont incessamment rongés d’envie, et ne sont point émus d'amour ni de charité.

Donc, d’autant qu’en Dieu, il y a une parfaite science et puissance, partant, toutes choses sont si bien rangées que personne ne lui peut résister ni prévaloir; il ne peut même arriver à elle aucun évènement irraisonnable, mais toutes choses sont faites avec autant de raison qu’il en était convenable à une chacune.

Sachez donc aussi que la Divinité peut véritablement être appelée vertu. Il l’a manifestée être très grande en la création des anges , car il les a créés pour son honneur et pour leur délectation et plaisir, et afin qu’ils l’aimassent et lui obéissent , qu’ils l’aimassent en telle sorte que leur amour ne fut que divin, et qu’ils lui obéissent en tout et partout.

Contre. ceci , il y eut deux des anges qui , errants , portèrent leur volontés directement contre les volontés divines de sorte que tout ce que Dieu avait en horreur, leur était cher, et la vertu leur était odieuse. Et par ce mouvement déréglé ils méritèrent la chute, non pas que la Divinité les eut inclinés à la chute en les créant, mais eux-mêmes par l'affection désordonnée et déréglée de leur beauté , ils se causèrent leur chute.

Quand Dieu donc vit qu'en ses troupes célestes il y avait du déchet, à raison de leur faute, Dieu créa l'homme avec le corps et l'âme, et lui donna deux sortes de biens, savoir : la liberté de bien faire et d'omettre le mal; car puisque plusieurs autres anges ne devaient être crées, il était juste et raisonnable que l'homme eut la liberté de monter, s'il voulait, à la dignité des anges. Dieu donna aussi à l'âme de l'homme , deux sortes de biens, savoir :la raison pour discerner les choses contraires des contraires, et les meilleures des très-bonnes, et la force pour persister dans le bien. Mais lorsque le diable vit que Dieu , par son amour, avait communiqué à l'homme de si grands biens, poussé d'envie, il pensa à part soi en cette sorte : Voici que Dieu a fait une chose nouvelle, qui peut monter en notre lieu et dignité, et en combattant, surmonter et posséder ce que nous avons perdu négligemment. Si nous le pouvions supplanter et décevoir il defaudra en la bataille, et alors, il ne montera point à une si grande dignité. Après, ayant pensé au moyen et au conseil de le tromper, ils le déçurent , et par ma juste permission , ils ont prévalu sur soi.

Mais quand et comment a-t-il été vaincu ? Certes, ce fut lorsqu’il abandonna la vertu, enfreignit mon commandement, et lorsque la promesse du serpent lui porta plus de plaisir que mon obéissance. Donc à cause de cette rébellion , il ne doit pas être au ciel, car il a méprisé Dieu; ni en enfer, car l’âme, considérant ce qu’elle avait commis, eut contrition de sa faute :

Partant, Dieu , qui est la puissance même voyant la misère dont l’homme était assailli , disposa pour lui une prison et un lieu de captivité , afin que là l’homme expérimenta ses misères et ses infirmités, et pleurât sa désobéissance , jusqu’à ce qu’il méritât de monter à la dignité qu’il avait perdue. Le diable, considérant de nouveau cela, voulut tuer l’âme de l’homme par l’ingratitude ; mettant de la fiente en son âme , il obscurcit tellement son esprit, qu’il n’avait amour ni crainte de Dieu, car la justice divine était mise en oubli, et partant, on ne la craignait point ; sa bonté et ses dons étaient oubliés , et partant, il n’était pas aimé. Mais la conscience étant ainsi endurcie et obscurcie, les hommes vivaient misérablement, et plus misérablement ils tombaient.

Et bien que l’homme fut ainsi , néanmoins, la vertu et la force divine ne lui manquaient pas voire même il leur manifesta sa miséricorde et sa justice : sa miséricorde , quand il manifesta à Adam et à ceux qui étaient bons, qu’au temps déterminé par les. arrêts et décrets de la providence divine, ils obtiendraient le secours. Cette promesse excitait en eux la ferveur et l’amour envers Dieu. Il leur manifesta sa justice , savoir au déluge de Noé, par 1equel la crainte de Dieu et l’effroi saisirent les cœurs des hommes.

Après ceci , le diable ne cessa pas d’inquiéter encore l’homme , mais il l’assaillit par deux autres sortes de maux: 1° il lui suggéra la perfidie; 2° le désespoir : la perfidie, afin que les hommes ne crussent en la ruse du diable par parole divine, et qu’ils rapportassent au destin toutes ces merveilles; le désespoir, afin qu’ils n’attendissent plus de salut ni de pouvoir acquérir la gloire qu’ils avaient perdue.

Contre ces deux maux, le Dieu des vertus ne manqua pas de donner deux remèdes : en effet contre le désespoir, il donna l’espérance, nommant le nom d’Abraham, promettant de naître de sa semence, et de le ramener à l’héritage perdu, lui et tous ceux qui suivraient sa foi parfaite.

D’abondant, il institua des prophètes auxquels il manifesta les manières de sa rédemption, les lieux et le temps de sa passion; contre la perfidie, Dieu parlait à Moïse, et lui montra sa loi et sa volonté, et accomplissait sa parole par signes et miracles. Ces choses étant accomplies, la malice du diable ne se désista point : mais poussant l'homme à des choses pires, il suggéra à son cœur d'autres choses : la première de penser que la loi et l’inquiétude de son observance étaient intolérables ; la seconde, qu’il était tout, à fait, incroyable, que Dieu eût voulu mourir d’amour et souffrir par amour. Contre ces deux suggestions, Dieu donna derechef deux autres remèdes : le premier, afin que l’homme ne s’inquiétât point en la rigueur de la loi, il envoie son Fils pour prendre chair humaine dans le ventre virginal de Marie, en laquelle il accomplit tout ce qui était de la loi; et après, il adoucit lui-même cette loi. Contre le second, Dieu lui manifesta une grande vertu, car le Créateur est mort pour la créature, le juste est affligé pour l'impie , et l’innocent tourmenté, jusqu’au dernier période de sa vie, ainsi qu’il avait été prédit par les prophètes.

La malice du diable ne cessa point encore, mais il s’éleva contre l’homme , lui suggérant deux autres choses car en premier lieu, il suggéra à son cœur d’avoir mes paroles en dérision, et en second lieu, que mes œuvres fussent mises en oubli.

Contre ces deux choses la puissance divine montra encore deux autres remèdes le premier, qu’on eût mes paroles en honneur et mes œuvres en imitation. C’est pourquoi Dieu vous a conduit en son esprit et a manifesté par vous sa volonté à ses amis, spécialement à raison de deux choses la première afin que la miséricorde divine soit manifestée par laquelle les hommes, étant ramenés, se souviennent de mon amour et de ma passion; la seconde, afin qu’on ne néglige pas la justice divine et qu’on craigne la sévérité de ses jugements.

Partant, puisque vous avez appris et savez que ma miséricorde est maintenant venue, manifestez-la au jour, afin que les hommes la recherchent et qu’ils prennent garde à mes terribles jugements. D’ailleurs, dites-leur bien que quoique mes paroles soient écrites, elles doivent néanmoins être publiées , et de la sorte, venir aux œuvres qu’elles nous recommandent de faire, comme vous le pourrez comprendre par, un exemple.

Quand Moïse devait recevoir la loi, la verge était toute prête, et les tables étaient dolées et disposées. Néanmoins, il ne fit point de merveilles avec la verge avant que la nécessité le demandât et que le temps fut venu ; or, lors les miracles ont été faits et manifestes, et mes paroles ont été déclarées par œuvres, de même la loi nouvelle venant, mon corps croissait et profitait à l’âge parfait, et mes paroles étaient écoutées. Néanmoins , bien que mes paroles fussent écoutées, elles n’avaient pas en elles-mêmes la force , avant que les œuvres arrivassent, elles n ‘avaient pas leur complément jusqu’à ce que toutes choses ont été accomplies par ma passion, comme elles avaient été prophétisées. De même en est-il maintenant, car bien que les paroles de mon amour soient écrites et qu’elles doivent être portées au monde, néanmoins, elles ne pouvaient point avoir la force avant qu’elles vinssent à la lumière pleine et parfaite.

Chapitre 18

De trois merveilles que Jésus-Christ a faites avec son épouse. Comment la vision des anges est intolérable à cause de l’éclat de leur beauté, et celle des diables , à raison de leur laideur. Pourquoi Jésus-Christ a daigné loger cette veuve, sainte Brigitte.

J’ai fait trois merveilles avec vous, car vous voyez de vos yeux spirituels, vous entendez de vos oreilles spirituelles, vous sentez d’une main corporelle que mon Esprit vit en votre cœur. La Vision que vous avez, ne l’appréhendez pas comme elle est, car si vous pouviez voir l’éclat et la beauté spirituelle des anges et des âmes bienheureuses , votre corps ne les pourrait supporter, mais il romprait en deux, comme un vase puant et corrompu, à raison de la joie que l’âme recevrait de cette vision. Si aussi vous voyiez les démons comme ils sont, vous vivriez avec une grande douleur, ou vous mourriez subitement à raison de leur horreur et laideur; c’est pourquoi vous voyez les choses spirituelles comme corporelles; vous voyez les anges et les âmes comme des hommes qui ont l’âme et la Vie, car les anges vivent par leur esprit. Les démons vous semblent des morts, ou comme des hommes mortels , ou comme des animaux ou autres créatures , car ces animaux ont un esprit mortel; car leur chair mourant , leur esprit meurt aussi.

Or, l’esprit des diables ne meurt point ils meurent sans fin et vivent sans fin. Or mes paroles spirituelles vous sont dites et représentées avec similitudes, car votre esprit ne saurait autrement les comprendre ; mais entre toute autre chose, celle-ci est des plus admirables, que vous ressentez que mon Esprit s’émeut en votre cœur.

Lors elle répondit : O mon Seigneur et Fils de la Vierge! comment est-ce que vous daignez loger et visiter une veuve si vile, qui suis pauvre en toute sorte de bonnes œuvres, sans esprit, et consommée en toute sorte de péchés, dans lesquels j’ai croupi longtemps ?

Il lui répondit J’ai trois choses : 1° je puis enrichir le pauvre, faire sage l’insensé, et donner un grand esprit et intelligence à ceux qui en ont peu. Je puis aussi renouveler la vieillesse : car comme le phénix, étant arrivé à l’âge décrépit , porte et amasse dans une vallée de petites bûchettes sèches , et entre autres, d’un arbre dont le bois est extérieurement sec de sa nature , et chaud intérieurement, et qui, soudain que la chaleur et les rayons du soleil le touchent , s’enflamme et fait enflammer et brûler toutes les autres bûchettes , de même il vous faut amasser toute sortes de vertus, afin que par elles vous puissiez être rajeunie de la vieillesse du péché ; entre lesquelles vous devez avoir une sorte de bois, qui est chaud intérieurement, et extérieurement sec, c’est-à-dire, un cœur pur intérieurement et sec extérieurement de toute sorte de délectation mondaine, et au-dedans, empli du feu d’amour et de charité, de sorte que vous ne vouliez ni désiriez autre chose que moi.

Alors, viendra le feu de mon amour, qui allumera en vous le feu et l’ardeur de toute sorte de vertus, par lesquelles tous vos péchés seront consommés, et desquels vous serez purifiée ; et vous vous renouvellerez comme un oiseau se renouvelle, ayant déposé la peau de la délectation sensuelle.

Chapitre 19

Jésus-Christ enseigne à son épouse la manière dont Dieu parle à ses amis par ses prédicateurs et par les tribulations. Comment Jésus-Christ est désigné par le possesseur des mouches à miel, l’Église par la ruche, et les chrétiens par les mouches ; et en quelle sorte on permet que les mauvais chrétiens vivent entre les bons.

Je suis votre Dieu. Mon Esprit vous a introduite en moi pour vous faire ouïr, voir et sentir : ouïr mes paroles, voir des visions et sentir mon Esprit avec joie et dévotion de l’âme. En moi est toute miséricorde avec justice, et justice avec miséricorde. Je suis comme celui qui voit ses amis tomber en la voie où il y a un horrible et formidable chaos, d’où il est impossible de sortir quand on y est tombé une fois. Je parle à mes amis par ceux qui ont l’intelligence de l’Écriture ; je leur parle par les fléaux des angoisses et des tribulations ; je les avertis des dangers dans lesquels ils se vont plonger, mais eux vont au contraire , ne se souciant pas de mes paroles. Mes paroles ne sont quasi qu’une parole, c’est-à-dire, convertir le pécheur à moi ; car ils marchent périlleusement ; car bien que leur ennemis ne marchent que de jour, néanmoins, ils sont cachés aux ténèbres de l’esprit, et ils ne les voient pas comme ils sont.

Cette mienne parole est méprisée et cette mienne miséricorde est négligée : néanmoins, bien que je sois si miséricordieux que d’avertir les pécheurs, je suis aussi si juste que, quand même tous les anges les attireraient, ils ne seraient pourtant si convertis, si eux-mêmes n’émeuvent leur volonté à la pénitence et au bien. Or s’ils tournent leur volonté vers moi et consentent à moi avec amour, tous les diables de l’abîme ne sauraient les retenir.

Il y a un vermisseau qui est appelé apis, non à raison de la possession de son seigneur, mais à raison que les mouches rendent à leur roi trois sortes de révérences et prennent de lui trois sortes de vertu : 1° les mouches apportent à leur roi toute la douceur qu’elles peuvent fleureter de toutes les plantes ; 2° elles lui obéissent comme il veut, et soit qu’elles aillent ou qu’elles s’arrêtent, elles sont toujours portées d’amour et d’affection envers leur roi ; 3° elles le suivent, s’unissent à lui et lui obéissent.

Elles ont aussi de leur roi un triple bien : 1° de sa voix, elles savent le temps où il faut sortir et où il faut travailler ; 2° elles ont de lui le régime et mutuelle charité entre elles, car de sa présence, principauté et amour qu’il a envers elles et elles envers lui, toutes sont conjointes ensemble par amour et par charité. Chacune se réjouit de l’avancement de l’autre, et elles s’en congratulent ensemble. 3° Par la charité et la joie qu’elles ont avec leur chef, elles sont fécondes et fructueuses.

Car comme les poissons en la mer font leurs œufs en se jouant, lesquels, tombant en la mer, fructifient, de même les abeilles par leur mutuelle charité, amour et joie qu’elles ont avec leur chef, sont rendues fertiles et fécondes, de l’amour desquelles et de ma vertu procède quelque semence comme morte qui prend vie de ma bonté. Mais le seigneur, c’est-à-dire, le maître des mouches, est soigneux d’elles ; il en parle à son serviteur, lui disant qu’il lui semble que quelques mouches sont malades et qu’elles ne peuvent voler.

Le serviteur répond : Je n’entends point cette maladie ; mais si cela est ainsi, je demande comment cela se peut savoir.

Le maître répond : Vous pourrez savoir leurs défauts et infirmités par trois signes : Le premier : elles sont invalides et paresseuses à voler, et cela vient de ce qu’elles ont perdu leur roi, duquel elles avaient leur soulas et leur soutien. Le deuxième est d’autant qu’elles sortent à des heures incertaines et hors de saison, et cela, parce qu’elles n’entendent point la voix de leur chef ; La troisième, attendu qu’elles n’ont point d’amour à leur ruche : c’est pourquoi étant rassasiées, elles s’en retournent à leur ruche, sans porter rien dont elles se puissent sustenter à l’avenir. Or, les mouches qui, saines et bien disposées, sont constantes et fortes en leur vol, gardent et observent le temps convenable d’entrer et de sortir, rapportant de la cire pour faire leurs petites logettes, et du miel pour s’en nourrir.

Alors, le serviteur répondit à son maître : Si elles sont donc infirmes, pourquoi souffrez-vous qu’elles vivent encore, puisqu’elles ne profitent de rien ?

Le maître répondit : Je les souffre pour trois raisons, car elles apportent trois commodités, mais non pas de leur vertu. Elles occupent, en premier lieu, leurs ruches, de peur que les chenilles n’y entrent, inquiétant celles qui sont saines et utiles ; En second lieu ; afin que les autres soient fructueuses, se roidissant au travail, voyant la malice et la négligence des autres ; car les bonnes mouches voyant les mauvaises ne travailler que pour leur assouvissement, s’excitent d’autant plus d’être auprès de leur roi et de travailler avec plus de ferveur. Elles profitent aussi, en tant qu’elles défendent les bonnes mutuellement, car il y a un vermisseau qui a coutume de manger les mouches, lequel venant, toutes les mouches bonnes et mauvaises s’unissent avec une haine mortelle qu’elles lui portent, pour le combattre et l’abattre tout à fait. Car autrement, si les mouches mauvaises et malades étaient ôtées et que les bonnes fussent seules, bientôt le vermisseau les auraient vaincues ; et c’est pourquoi, dit le maître, je les souffre.

Néanmoins, quand l’automne viendra, j’aurai soin des mouches saines ; je les séparerai des mauvaises ; car si on les mettait maintenant dehors, elles mourraient de froid. Que si elles sont dans leur ruche et n’amassent rien, elles périront de faim, puisqu’elles n’ont pas amassé quand elles pouvaient.

Moi, qui suis Seigneur et Créateur de toutes choses et maître des mouches ; moi, de mon intime charité et par le sang que j’ai répandu, j’ai fondé mes ruches, c’est-à-dire, mon Église, en laquelle les chrétiens devaient demeurer et s’assembler par l’unité de la foi. Ces lieux sont leurs cœurs, dans lesquels doit loger la douceur des bonnes pensées et des saintes affections, qui devraient sortir de la considération de mon amour infini à les créer, à les racheter , et à souffrir pour eux, et de ma miséricorde, en les ramenant et les renouvelant dans cette ruche, c’est-à-dire, dans mon Église, en laquelle il y a deux sortes de gens, comme il y a deux espèces de mouches.

Les premiers sont les mauvais chrétiens, qui n’amassent rien pour moi, mais tout pour eux ; qui s’en retournent vides et qui ignorent leur chef, ayant quelque stimule de quitter ma douceur et sentent quelques désirs de ma charité. Mais les bonnes mouches sont les bons chrétiens, qui m’offrent une triple révérence :

1° ils me tiennent toujours pour leur chef et pour leur Seigneur, me présentant le miel de leur douceur, c’est-à-dire, leurs œuvres de charité, qui me sont très douces et à eux très utiles.

2° Leurs volontés dépendent de ma volonté ; leur volonté est conforme à la mienne, leurs pensées sont liées à ma passion, et les œuvres n’ont autre fin que mon honneur et gloire.

3° Ils me suivent et m’obéissent en tout et en tous lieux, soit dedans, soit dehors, soit en tribulation, soit en joie ; leur cœur est toujours dans mon cœur ; c’est pourquoi ils ont de moi trois vérités :

la première, la voix de l’inspiration et de la vertu, le temps convenable et dû, savoir : la nuit au temps de la nuit, et la lumière au temps de lumière ; voire même ils changent la nuit en lumière, c’est-à-dire, la joie du monde en la joie éternelle, et les plaisirs caducs et périssables en l’éternel bonheur et félicité. Ceux-ci sont en tout raisonnables, car ils se servent des choses présentes pour la nécessité, et non pour la volupté ; ils sont constants en l’adversité, sages dans la prospérité, modérés dans le soin de leurs corps, soigneux et circonspects en tout ce qu’il faut.

La deuxième : comme les mouches saines ont entre elles une bonne et mutuelle charité, de même les bons chrétiens ont tous un même cœur, uni au mien, aiment leur prochain comme eux-mêmes, et moi sur toutes choses et par-dessus eux-mêmes. En troisième lieu, je les rends fructueux. Qu’est-ce être fructueux, si ce n’est avoir mon Esprit et en être rempli ? car celui qui n’a point le Saint-Esprit, et qui ne ressent point ses douceurs, est infructueux, tombe, est inutile et va au néant.

Or, le Saint-Esprit, Esprit d’amour, enflamme celui dans lequel il demeure par son amour, et lui ouvre et transporte l’esprit. Il extirpe, chasse et ruine la superbe et l’incontinence ; il excite l’esprit à l’honneur de Dieu et au mépris du monde. Les mouches, c’est-à-dire, les âmes infructueuses, ignorent cet Esprit, c’est pourquoi elles fuient l’obéissance et le gouvernement d’autrui, l’utilité et la société charitable. Elles sont vides de toute bonne œuvre ; elles changent les lumières en ténèbres, la consolation en pleurs, la joie en douleurs.

Néanmoins, je souffre qu’elles vivent, à raison de trois choses : 1° De peur que les infidèles n’entrent en leur place, car si les méchants hommes étaient ôtés tous ensembles ; il en demeurerait pur, car les bons sont en petit nombre, à cause de quoi les infidèles et les païens, qui sont en grand nombre, les surmonteraient bientôt et molesteraient les bons habitants avec eux. 2° Je les souffre pour la probation des bons, car la malice des méchants éprouve la constance des bons ; car en l’adversité, on voit combien la patience d’un chacun est grande, et en prospérité, on connaît combien on est constant et modéré. Mais d’autant que les justes pèchent souvent et que les vertus les élèvent, c’est pourquoi je permets que les mauvais vivent avec les bons, de peur que les bons ne se réjouissent par trop et se rendent paresseux, et afin qu’ils aient toujours les yeux vers Dieu, car là où le combat est petit, la récompense est petite.

3° Je les patiente pour le secours même des bons, de peur que les païens et les infidèles ne nuisent aux bons, mais les craignent d’autant plus qu’il semble y en avoir un grand nombre. Et comme les bons résistent aux mauvais, poussées et émus de l’amour et de la justice divine, de même les mauvais résistent aux bons pour défendre leur vie et pour penser éviter la fureur d’un Dieu tout-puissant ; et de la sorte, les bons et les mauvais s’aident entre eux, et les mauvais sont supportés pour l’amour des bons, et les bons sont couronnés plus éminemment, à raison de la méchanceté des mauvais.

Les gardiens de ces mouches sont les prélats et princes vigilants de la terre, soit bons ; soit mauvais. Je parle pourtant aux bons gardiens, lesquels, moi, Dieu, leur protecteur et gardien, je les avertis de garder mes mouches. Qu’ils considèrent leur entrée et sortie ; qu’ils voient si elles sont infirmes ou saines.

Que s’ils ne les savent connaître, je leur marque trois signes par le moyen desquels ils discerneront si les mouches sont inutiles, paresseuses ou lâches à voler en leur saison, et vides à apporter la douceur des fleurs. Ceux-là sont lâches à voler qui ont plus de soin des choses temporelles que des choses éternelles ; qui craignent plus la mort corporelle que la mort spirituelle ; qui parlent de cette sorte à part soi : Pourquoi prendrais-je de l’inquiétude, puisque je puis être en repos ? Pourquoi me ferais-je mourir, puisque je puis vivre ? Misérables ! ils ne considèrent pas que moi, Roi tout-puissant, ait embrassé les misères et les infirmités qui n’étaient point péché. Je suis aussi très paisible, voire je suis la vraie paix, et néanmoins, j’ai pris pour l’amour d’eux les inquiétudes, dont je les ai affranchis par ma mort.

Mais eux sont grandement indisposés en ce temps, puisque leurs affections cherchent les choses terrestres ; leurs paroles ne sont que bouffonneries, leurs œuvres que leur propre intérêt, et leur temps se passe selon les désirs de leur corps et de leurs sentiments.

Or ceux-là n’ont point d’amour à leur ruche, qui est l’Église, ni n’amassent de la douceur, car ils ne font point de bonnes œuvres par amour, mais seulement par la crainte du supplice. Et bien qu’ils aient quelques bonnes œuvres pieuses, ils ne laissent pas pourtant leur propre volonté ; ils veulent avoir Dieu en telle sorte qu’ils ne laissent jamais le monde, et ne veulent souffrir ni privations ni troubles. Ceux-ci s’encourent à la maison, ne portant que fiente en leurs pieds ; ils volent, mais non pas par les ailes de la véritable et raisonnable charité.

Partant, quand l’automne viendra, c’est-à-dire, le temps de séparation, les mouches inutiles seront séparées des bonnes, qui, pour leur amour-propre, seront éternellement, tourmentées d’une faim perpétuelle et enragées. Pour le mépris qu’elles ont eu de Dieu et le dégoût qu’elles ont ressenti du bien, elles seront affligées d’un froid excessif, sans jamais mourir.

Néanmoins, mes mais se doivent donner de garde de la malice des mauvaises mouches, 1° afin que leur puanteur ne vienne à leurs oreilles, car elle est vénéneuse et pestiféré ; car le miel étant ôté, elles sont sans douceur, au lieu de laquelle abonde une amertume mortifère ; 2° qu’ils se gardent la prunelle de leur yeux et leurs ailes, car elles sont aiguës comme des aiguilles ; 3° qu’ils gardent leurs corps, et qu’ils ne l’exposent pas à elles tout nu, car elles ont de poignants aiguillons avec lesquels elles percent cruellement.

Qu’est ce que tout ceci signifie ? Les sages le savent expliquer, qui considèrent leurs mœurs et leurs affections. Or, ceux qui ne le savent expliquer, qu’ils craignent le danger, qu’ils fuient leur compagnie et qu’ils ne suivent leur exemple, autrement ils apprendront à leur dommage et expérimenteront ce qu’ils n’ont pas voulu savoir en écoutant.

Après la Sainte Vierge Marie parlait, disant : Béni soyez-vous, mon Fils, qui êtes, qui avez été et qui serez éternellement ! Votre miséricorde est douce et votre justice est grande. Il me semble, mon Fils, parlant par comparaison, que la miséricorde ressemble à une nuée qui monte au ciel avec vous, et qu’un air léger va au-devant de la justice.

Or, la nuée apparaissait comme quelque chose d’obscur et de ténébreux, mais qui était hors de la maison, et qui ressentait la douceur de l’air ; il éleva les yeux, et vit l’obscurité épaisse de l’air ; et la considérant, il dit en soi-même : L’obscurité de cette nuée me semble présager la pluie, et soudain, suivant son conseil, il se retira à couvert. Mais les autres, qui étaient aveugles, ou qui peut-être ne s’en souciaient point, faisant peu d’état de la légèreté variable de l’air, ni ne craignant l’obscurité de la nuée, expérimentèrent ce que ces nuées signifiaient. Ces nuées croissant par tout le ciel, vinrent fondre comme un torrent impétueux avec tonnerres horribles et épouvantables feux, de sorte qu’ils perdirent la vie d’effroi et de crainte. Après, toutes choses de l’homme, tant intérieures qu’extérieures, seront consommées par le feu, de sorte que rien n’y demeurera.

Cette nuée, ô mon Fils ! c’est vos paroles, qui semblent obscures et incroyables à plusieurs, d’autant qu’elles n’ont pas été ouïes souvent, ni administrées aux ignorants, ni déclarées par signes. Ma demande précède ces paroles, et votre miséricorde va au-devant d’elles, avec laquelle vous pardonnez à tout le monde, et les alléchez à vous, comme une mère attire ses enfants. Cette miséricorde est douce en patience et souffrance, comme l’air est chaud en amour, car vous attirerez comme le feu à se servir de votre miséricorde ceux qui vous provoquent à colère et indignations, et présentez chose admirable à ceux qui méprisent votre piété et votre clémence.

Donc, que tous ceux qui entendront ces paroles élèvent les yeux, et ils verront en leur intelligence d’où procèdent mes paroles. Qu’ils s’enquièrent si mes paroles publient la miséricorde et l’humilité ; qu’ils soient attentifs si elles prêchent les choses présentes ou futures, la vérité ou la fausseté. Que s’ils les trouvent vraies, qu’ils s’enfuient du mal et se retirent à l’humilité avec l’amour divin, car quand la fureur de la justice viendra, alors l’âme sera séparée du corps de crainte et d’effroi. Le feu enveloppera l’âme qui n’a pas bien vécu, et la brûlera intérieurement et extérieurement sans la consommer.

Partant, moi qui suis Reine de miséricorde, je crie aux mondains afin qu’ils élèvent leurs yeux et voient ma miséricorde. Je vous avertis et vous prie comme Mère, et vous conseille comme Dame et Maîtresse, car quand la justice viendra en sa fureur, il sera impossible de résister. Croyez donc fermement ; regardez et éprouvez en vos consciences cette vérité ; changez vos volontés, car alors, celui qui montrera les paroles de charité montrera aussi les œuvres et les signes d’amour.

Après, le Fils de Dieu me parlait, disant : Je vous ai montré ci-dessus que les mouches retiraient trois sortes de biens de leur malice. Je vous dis maintenant que telles mouches devraient être de ceux qui portent la croix (Les religieux de Notre-Dame de la Merci, Trinitaires et Mathurins.), que j’ai mis aux fins du monde.

Or, eux, maintenant combattent contre moi, car ils ne se soucient point du salut des âmes, n’ont point de compassion, ni ne travaillent point à convertir les dévoyés à la foi catholique, et à les tirer de l’erreur dans laquelle ils sont plongés, car ils les oppriment de labeurs, les privent de leur liberté, ne les instruisent point en la foi, les frustrent des sacrements , et avec une plus grande douleur, les envoient dans l’enfer comme s’ils étaient encore en leur paganisme. Ils ne combattent point non plus, si ce n’est pour dilater les branches de leur insupportable superbe et augmenter leur insatiable cupidité. C’est pourquoi le temps viendra qu’on leur cassera les dents ; on leur coupera la main droite, et on arrachera les nerfs de leur pied droit, afin qu’ils vivent et qu’ils connaissent l’état de leurs misères.

Chapitre 20

Dieu se plaint de trois choses qui se passent maintenant dans le monde. En quelle manière Dieu a choisi dès le commencement trois états : le clergé, la noblesse et le laboureur. De la peine préparée aux ingrats, et de la gloire gratuitement donnée aux hommes.

On voyait une belle et grande compagnie céleste, à laquelle Notre-Seigneur parlait en ces termes : Bien que vous voyiez et sachiez en moi toutes choses, néanmoins je me plains de trois choses devant vous : 1° de ce que ces lieux si agréables sont vides au ciels, desquels les mouches inutiles sont déchues, 2° de ce que l’abîme insatiable de l’enfer, à qui les pierres, ni les arbres ne touchent, est toujours ouvert, dans lequel les âmes tombent comme la neige sur terre. Et comme la neige se résout en eau en présence des rayons du soleil, de même les âmes sont privées de toute sorte de biens, accablées et opprimées de toute sorte de maux.

3° Je me plains de ce qu’il y a si peu d’âmes qui considèrent attentivement ces places vides, d’où les anges ont prévariqué et d’où est venue la chute des âmes. C’est pourquoi je m’en plains avec raison, car j’ai élu dès le commencement trois hommes, par lesquels j’entends trois états dans le monde. En premier lieu, j’ai élu le clergé, afin qu’il publiât à tous par sa voix qu’il fallait faire ma volonté, et qu’il montrât cela même par la fidélité des œuvres. En second lieu, j’ai choisi un défenseur, qui défendît mes amis aux dépens de sa vie, et fût disposé à répandre son sang pour l’amour de moi en tout et partout. En troisième lieu, j’ai choisi le roturier, afin qu’il labourât la terre de ses mains, et qu’il repût les corps de son labeur.

Le premier état, qui est le clergé, est maintenant lépreux et muet, car tous ceux qui recherchent l’éclat et la beauté des mœurs, et l’ornement des vertus en lui, s’en retournent mal édifiés ; ils se troublent de l’avoir vu et ont horreur de s’en approcher, à raison de la laideur et horreur de la lèpre de superbe insupportable et d’insatiable cupidité. D’abord, s’ils désirent l’ouïr, ils le trouvent muet pour chanter mes louanges, et babillard à se louer soi-même. Comment donc ouvrira-t-on alors la voie et les chemins pour s’approcher de si grandes suavités, si celui qui devrait procéder est débile ? et si celui que devrait crier est muet, comment entendra-t-on les raisonnables et douces mélodies du ciel ?

Le deuxième état, qui est le défenseur du peuple, tremble ; son cœur est lâche et vide de vertu, n’a rien en la main , et a toujours peur de perdre l’honneur mondain. Il n’a rien en ses mains, d’autant qu’il ne fait aucune œuvre divine, mais tout ce qu’il fait est pour le monde.

Qui défendra donc mon peuple, si celui qui en est le chef tremble d’effroi ? Le troisième est comme un âne qui abaisse la tête contre terre, et demeure sans rien faire, joignant les quatre pieds. Vraiment, ce peuple, est comme un âne, qui ne désire que les choses terrestres ; qui néglige les choses célestes et se lie aux choses périssables. Celui-là a comme quatre pieds, de qui la foi est petite, l’espérance vide, qui ne fait point de bonnes œuvres, et dont la volonté est plongée dans le péché. De là vient qu’ils ont toujours la bouche ouverte à la gourmandise et à la cupidité. Voici, ô mes amis ! comment est-ce qu’on peut, par telles personnes, amoindrir cet insatiable abîme, et comment le paradis pourra être rempli.

Lors, la Sainte Vierge répondit : Béni soyez-vous, mon Fils ! Votre plainte est juste. Moi, ni vos mais n’avons point d’excuse pour défendre le genre humain, si ce n’est une parole que nous vous voulions dire, par laquelle le genre humain pourra être sauvé. Cette parole est : Miséricorde, ô Jésus-Christ, Fils de Dieu ! C’est ce que je vous demande, c’est de quoi vos amis vous supplient. Le Fils répondit : Vos paroles sont douces à mes oreilles, suaves à ma bouche, et entrent avec amour dans mon cœur. J’ai un clerc et défenseur et un paysan. Le premier m’est agréable comme une épouse, que l’époux très doux et courtois désire amoureusement de tout son cœur. La voix de celui-ci me sera comme la voix qui résonne mélodieusement dans les bois. Le deuxième sera prêt et disposé à donner sa vie pour l’amour de moi, et ne craindra point d’opprobre du monde ; j’armerai celui-là des armes du Saint-Esprit. Le troisième aura une foi si ferme qu’il parlera en ces termes : Je crois aussi fermement comme si je voyais ce que je crois. J’espère aussi toutes choses que Dieu a promises ; il aura la volonté de bien faire, de profiter au bien, et d’omettre toute sorte de maux.

Je mettrai en la bouche du clerc trois paroles : 1° il dira à celui qui a la foi, qu’il fasse par œuvres ce qu’il croit ; 2° à celui qui espère fermement, qu’il soit établi en toute sorte de biens ; 3° à qui aime parfaitement et amoureusement, qu’il désire voir avec ferveur ce qu’il aime.

Le défenseur, qui est noble, sera comme un lion fort au travail, industrieux pour découvrir les embûches et constant en la persévérance. Le troisième sera sage comme un serpent, qui demeurera sur sa queue et élèvera sa tête au ciel. Ceux-ci accompliront ma volonté et d’autres les suivront ; et bien que je n’en nomme que trois, néanmoins, j’entends plusieurs. Après il parlait à son épouse très aimée, disant : Demeurez stable et constante ; ne vous souciez point du monde ni des opprobres, car je suis votre Dieu et Seigneur, qui ai ouï et enduré toute sorte d’opprobres.

Chapitre 21

La glorieuse Vierge Marie parle à sa fille sainte Brigitte de la manière dont il fallut tirer Notre-Seigneur de la croix ; de l’amertume et douceur en la passion de son Fils. Comment l’âme est désignée par la Vierge, et l’amour de Dieu et du monde, par deux jouvenceaux. Des conditions qu’une âme doit avoir comme une vierge.

Ma fille, disait la Sainte Vierge Marie, vous devez penser à cinq choses : 1° tous les membres de mon Fils se refroidirent à la mort, et le sang se congela en eux.

2° Sa passion fut si amère, qu’étant pressé dans son cœur, et percé si immiséricordieusement, que celui qui lui donna le coup de lime ne s’arrêta que quand il eut atteint les côtes de l’autre côté. 3° Méditez et pensez en quelle manière il fût descendu de la croix. Ces deux qui l’ôtaient et le descendaient de la croix, appliquaient trois échelles : l’une aux pieds, la deuxième au bras, la troisième au corps. Le premier monta et le tenait au milieu. Le deuxième, montant par l’autre échelle, arracha un des clous de la main ; après, ayant appliqué son échelle de l’autre part, il arracha l’autre clou de sa main, ces clous qui passaient outre la croix. Celui donc qui soutenait le corps descendait peu à peu, comme il pouvait, pendant que l’autre montait à l’échelle des pieds, et arracha les clous des pieds ; et s’approchant de la terre, un d’eux soutint le corps par la tête.

Or, moi, qui étais sa Mère, je le tenais par le milieu ; et ainsi nous trois, Notre-Dame, Joseph et Nicodème, le portâmes à une pierre que j’avais couverte d’un linge blanc et net, dans lequel nous enveloppâmes le corps ; mais je ne cousis point le linceul : je savais certainement qu’il ne pourrirait point dans la sépulture.

Après, la Marie-Magdelène et les autres saintes femmes vinrent à nous voir ; même les anges y furent un nombre innombrable, faisant service à leur Créateur. Or, quelle fut alors ma tristesse ? Il n’y en a pas un qui le puisse dire, car j’étais comme une femme qui enfante, de laquelle tous les membres tremblent après l’enfantement ; laquelle, bien qu’à peine elle puisse respirer à raison de la douleur, néanmoins se réjouit intérieurement autant qu’elle peut, sachant que l’enfant qui lui est né ne se trouvera jamais en semblable misère ; de même, bien que je fusse extrêmement triste à raison de la mort de mon Fils, néanmoins, je me réjouissais, d’autant que je savais que mon Fils ne mourrait jamais plus, mais qu’il vivrait éternellement ; et de la sorte, ma tristesse était mélangée de joie. Vraiment je puis dire que mon Fils étant enseveli, deux cœurs furent dans un sépulcre. Eh quoi! ne dit-on pas que là où est votre trésor là est votre cœur ? De même mon cœur et ma pensée étaient toujours dans le sépulcre de mon Fils, mon trésor et mon cœur.

Après, la Sainte Vierge Marie ajouta : Je vous parlerai de ceci par manière d’exemple : comment et en quelle posture il avait été mis, et en quelle manière il est maintenant posé. Représentez-vous une vierge épousée à quelqu’un, et que devant elle fussent deux jouvenceaux, l’un, desquels, appelé par la vierge, lui dit : Je vous conseille de ne vous arrêter point à celui que vous avez épousé, car il est rude en ses œuvres, tardif en récompenses, avare en présents. Croyez donc à mes paroles, et je vous en montrerai un autre qui n’est pas rude, mais doux, et en tout, qui vous donnera soudain ce que vous désirerez, qui vous le donnera abondamment, et satisfera amoureusement à tous vos désirs.

La vierge, ayant ouï cela, pensa soudain en elle-même et dit : Vos paroles sont douces à ouïr ; vous êtes grandement attrayant, et beau pour allécher et ravir mon cœur. Il me semble que je dois suivre votre conseil.

Et pendant qu’elle ôtait l’anneau de son doigt pour le donner à ce jouvenceau, elle vit au-dessus un écrit contenant ces trois paroles; la première était : Quand vous serez arrivée à la cime de l’arbre, donnez-vous garde de prendre une branche sèche pour vous y soutenir de peur de tomber. La deuxième : Donnez-vous garde de prendre conseil de vos ennemis. La troisième : Ne mettez point votre cœur entre les dents des lions.

Or, la vierge, considérant ceci, retira la main et retint l’anneau, pensant que peut-être ces trois choses lui marquaient que celui qui la désirait prendre en épouse n’était pas fidèle. Il me semble que c’est un flatteur qui est plein de haines et qui me tuera.

Et pensant à cela, derechef elle leva les yeux et vit une autre écriture qui contenait aussi trois paroles; la première était : Donnez à celui qui vous a donné. La deuxième : Donnez sang pour sang. La troisième : N’aliénez pas au possesseur ce qui lui appartient.

Ayant vu et considéré ces choses, elle pensa derechef en elle-même que les trois premiers mots lui enseignent comment elle doit fuir la mort, les trois suivants, comment elle peut obtenir la vie. Il est donc juste de suivre plutôt les paroles de vie. Lors, cette vierge, se servant du sage conseil, appela à elle son serviteur, qu’elle avait auparavant épousé, et s’approchant d’elle, le cajoleur et trompeur se retira d’eux.

Telle est l’âme de celle qui a épousé Dieu. Ces deux jouvenceaux, qui étaient devant elle, sont l’amour de Dieu et l’amour du monde, car les amis du monde s’approchaient plus près d’elle jusques à maintenant, et lui parlaient des richesses, vanités et honneurs du monde, à quoi elle eût consenti et leur eût donné l’anneau de ses affections. Mais par la grâce de mon Fils survenant en ce fait, l’âme a vu l’écriture, c’est-à-dire, elle a ouï les paroles de miséricorde dans lesquelles elle a vu trois choses : 1° qu’elle se donnât de garde que, voulant monter plus haut, et s’appuyant aux choses périssables, une chute plus grande ne l’attendit. 2° Elle entendit qu’il n’y avait rien au monde que sollicitude et douleur. 3° Elle comprit que la rétribution du diable était mauvaise.

Après, elle vit une autre écriture pleine de consolation, qui lui disait qu’en premier lieu, elle donnât tout à Dieu, de qui elle avait tout reçu. En second lieu, qu’elle rendît service à celui qui avait répandu son sang pour elle. En troisième lieu, qu’elle n’aliénât point son âme de son Dieu, qui l’avait créée du néant et rachetée par son sang.

Ces choses étant ouïes et considérées attentivement, les serviteurs de Dieu s’approchèrent de lui et lui agréèrent, et les serviteurs du monde s’enfuirent.

Mais maintenant, son âme est comme une vierge qui est nouvellement sortie des bras de son époux, qui est obligée d’avoir trois choses : 1° de belles robes, de peur qu’elle ne soit méprisée des serviteurs du roi, s’ils voyaient quelque difformité en ses vêtements. 2° Elle doit être morigénée selon les volontés de son époux, de peur que, s’il se trouvait quelque chose de moins honnête aux mœurs de l’épouse, l’époux en fût déshonoré.

3° Elle doit être très-pure, afin que l’époux ne trouve en elle aucune souillure qui la puisse faire répudier ou mépriser. Après, qu’elle ait des docteurs auprès du lit de son époux, de peur qu’elle ne s’écarte ou qu’elle n’erre. Mais celui qui conduit doit avoir deux qualités : 1° qu’il soit vu de celui qu’il conduit ; 2° qu’on entende ce qu’il enseigne, et la fin qu’il prétend en sa doctrine.

Or, celui qui suit le conducteur doit avoir trois choses : 1° qu’il ne soit paresseux et lâche à suivre ; 2° qu’il ne se cache du conducteur ; 3° qu’il considère attentivement les pas de son conducteur, et qu’il le suive soigneusement. Donc, afin que cette âme parvienne au lit de son époux, il est nécessaire qu’elle soit conduite par un directeur qui la conduise heureusement à Dieu, son époux.

Chapitre 22

La glorieuse Vierge Marie enseigne à sa fille sainte Brigitte tout ce qui touche la sagesse spirituelle et temporelle, laquelle de celles-ci on doit suivre, et en quelle manière la sapience spirituelle, après quelques labeurs, conduit l’homme aux consolations éternelles, et la temporelle à la damnation perpétuelle.

Il est écrit, disait la vierge Marie, que celui qui veut être sage doit apprendre la sagesse de l’homme sage : d’où vient que, comme par exemple, je vous dis qu’il y avait quelqu’un qui, voulant apprendre la sagesse, vit deux maîtres devant soi, auxquels il dit : J’apprendrais franchement la sagesse, si je savais où elle me conduirait, quelle utilité j’en retirerais, et à quelle fin elle me conduirait.

Un des maîtres lui répondit : Si vous voulez suivre ma sapience, elle vous conduira en une haute montagne ; mais par la voie, on trouve des pierres si dures sous les pieds, qu’elle en est difficile et l’ascendant inaccessible. Si vous travaillez à acquérir cette sapience, vous serez tout plein de ténèbres extérieurement, mais intérieurement vous serez tout illuminé. Si vous la gardez, assurément vous aurez ce que vous demandez. Elle tourne comme un cercle ; elle vous attirera ; voire elle vous allèchera de plus en plus par ses douces forces, jusqu’à ce que vous tressailliez de joie.

Le second maître dit : Si vous suivez ma sapience, elle vous conduira en une vallée florissante, agréable en toute sorte de fruits ; la voie est douce et ne meurtrit point les pieds ; il y a seulement un peu de labeur au descendant. Si vous persistez en cette sagesse, vous aurez tout ce qui est éclatant extérieurement. Mais quand vous en voudrez jouir, elle s’enfuira ; vous aurez aussi ce qui dure si peu et finit soudain, et quand vous aurez lu le livre qui traite de cette, sapience, le livre et la lecture se perdront, et vous demeurerez vide et privé de tous les deux.

Ce qu’ayant ouï, il pensait attentivement à part soi ces deux merveilles. Si je monte, mes pieds se débiliteront et mon dos s’affaissera ; et, si j’obtiens, ce qui est obscur par dehors, que me profitera-t-il ? Que si je me peine à acquérir ce qui n’a point de fin, quelle consolation en aurai-je ? L autre maître me promit aussi tout ce qui était éclatant par dehors, mais qui ne demeurerait point en moi, mais que la sapience avec la lecture se perdrait. Mais quelle utilité aurai-je en ceci, s’il n’y a point de stabilité ?

Or, tandis qu’il roulait de la sorte tout ceci en son esprit, soudain à l’improviste un homme entre deux maîtres vint, qui parla en ces termes : Bien que la montagne soit haute, difficile et inaccessible, ce semble, à monter, néanmoins, au coupeau de la montagne, il y a une nuée lumineuse, d’où vous aurez un grand réfrigère et soulagement. Que si ce qu’on vous promet est noir et obscur à l’extérieur, il se peut rompre, casser et dissiper, et aussi avoir l’or qui est caché au-dedans, et le posséder éternellement avec joie.

Ces deux maîtres ont deux diverses sagesses : L’une est spirituelle et l’autre charnelle. La spirituelle consiste à laisser à Dieu sa propre volonté, à soupirer et aspirer de tous ses désirs et par de bonnes œuvres au ciel, car en vérité, on ne peut pas appeler sagesse les paroles qui ne conviennent ni ne répondent aux œuvres ; cette sagesse conduit à la vie vivante et bienheureuse ; mais cette sagesse est inaccessible et il est difficile d’y parvenir. Certes, il est dur, et difficile de résister à ses affections ; il est inaccessible de fouler aux pieds les plaisirs et de n’aimer point les honneurs du monde.

Or, bien que cela soit ainsi difficile, néanmoins, à qui considère mûrement que le temps est bref, que le monde finira, et à qui affermira constamment son cœur en Dieu, la nuée apparaîtra au sommet de la montagne, c’est-à-dire, il jouira des consolations du Saint-Esprit. Enfin celui-là sera digne de consolation qui, ne cherche autre consolateur que Dieu ; car comment les élus de Dieu entreprendraient-ils des choses si dures et si difficiles, si l’Esprit de Dieu n’eût coopéré à la volonté de l’homme comme à un bon instrument ?

Or, leur bonne volonté leur a attiré cet Esprit. La charité et l’amour divin qu’ils avaient envers Dieu les avaient alléchés à cet Esprit, attendu qu’ils travaillent d’une bonne volonté et affection, jusqu’à ce qu’ils fussent forts par les œuvres. Or, ayant joui des consolations de l’Esprit et acquis soudain l’or de la divine délectation et amour, non seulement ils souffraient force contrariétés, mais en les souffrant, et considérant les excellentes récompenses qui les attendaient, ils y prenaient un grand plaisir.

Cette délectation semble fort amère aux amateurs du monde et ténébreuse aux aveugles ; mais à ceux qui aiment Dieu, elle est plus lumineuse que le soleil, plus éclatante que l’or, d’autant qu’ils dissipent les ténèbres des vices, et montent à la montagne de pénitence, contemplant les nuées de consolation, lesquelles ne finissent jamais, mais commencent ici et s’augmentent toujours jusqu’à ce qu’elles soient animées à leur entière perfection. Or, la sagesse du monde conduit à la vallée de misère, qui rit et semble florissante en l’abondance des choses pleines d’aménités en honneurs, agréables en voluptés. Cette sagesse finit soudain et n’apporte aucune, autre utilité, si ce n’est une vue et une ouïe vaines.

Partant, ma fille, cherchez la sagesse de l’homme sage, c’est-à-dire, de mon Fils, car il est la sagesse, et la source inépuisable d’où dépend toute sagesse ; il est ce cercle qui ne finit jamais. Je crie à vous comme une mère à son fils, disant : Aimez la sagesse, qui est au-dedans comme un or méprisé au dehors ; intérieurement, fervente d’amour ; extérieurement, laborieuse en travaux, fructueuse en œuvres, bien que pesante. L’Esprit de Dieu en est le consolateur. Approchez-vous, et efforcez-vous comme un homme qui veut entrer avec la presse ; ne reculez pas, accoutumez-vous d’aller de plus en plus jusqu’à ce que vous soyez arrivé au sommet de la montagne, car il n’y a rien de si difficile qui ne soit rendu facile par la constante, raisonnable et non interrompue continuation ; il n’y a rien de si honnête au commencement de l’entreprise, qui, par l’imparfaite conformation ne soit couvert de ténèbres.

Approchez-vous donc de la sapience spirituelle : celle-ci vous conduira aux peines corporelles, au mépris du monde ; aux petites tribulations et aux consolations perpétuelles. Or, la sapience du monde est fallacieuse et pleine de pièges : elle conduit à entasser des ruches temporelles aux honneurs présents, mais enfin, elle conduit à de très grands malheurs, si on ne s’en donne soigneusement garde.

Chapitre 23

La Sainte Vierge Marie déclare son humilité à sa fille sainte Brigitte. Comme l’humilité est désignée par le manteau. Des conditions de la vraie humilité et de ses fruits admirables.

Plusieurs s’étonnent et admirent pourquoi je parle avec vous : en vérité je le fais afin de manifester mon humilité ; car comme le cœur ne se réjouit point d’un membre pourri qu’il ne soit remis en sa première santé, de même je ne me réjouis point d’un homme pécheur quel qu’il soit, s’il ne retourne à moi de tout son cœur et avec un vrai amendement, et soudain alors je serai prête à le recevoir favorablement. Je ne m’arrête pas à considérer combien il a péché, mais avec quel amour, volonté et intention il retourne. Je suis appelée de tous Mère de miséricorde. Vraiment, ô ma fille ! la miséricorde de mon Fils m’a rendue miséricordieuse ; et moi, ayant vu ses miséricordes, j’ai été compatissante. Partant, celui -là sera misérable qui ne s’approche de la miséricorde, le pouvant faire.

Partant donc, ô ma fille ! venez, et cachez-vous sous mon manteau : il est contemptible au dehors, mais au-dedans, il est grandement utile, à raison de trois choses :

1° d’autant qu’il met à l’abri des vents et des tempêtes orageuses ;

2° il défend de l’inclémence du temps et de la rigueur du froid ;

3° il nous met à couvert des nuées et des pluies. Ce manteau n’est autre que mon humilité : elle semble fort contemptible aux amateurs du monde, et superstitieuse à imiter ; car qu’y a-t-il de si contemptible qu’être appelé insensé, que ne se mettre en colère quand on est offensé, et ne rendre parole pour parole ? Qu’y a-t-il de si méprisable que de laisser tout et avoir besoin de tout ? Qu’y a-t-il de si douloureux et de si cuisant parmi les mondains que de dissimuler les injures reçues, se croire, se sentir et se tenir le plus humble et le plus indigne de tous ? Telle, ô ma fille ! était mon humilité, telle ma joie, telle était ma volonté de plaire à mon Fils seulement.

Véritablement, cette humilité profite à trois choses à tous ceux qui m’imitent :

1° Elle profite pour défendre des tempêtes et des orages, des opprobres des hommes et de leurs mépris ; car comme le vent fort et impétueux pousse l’homme à la part qu’il veut et le rend froid, de même les opprobres abattent facilement l’homme impatient et qui ne considère les événements du monde, et relâchent en lui la ferveur de l’amour. Mais quiconque aspire à mon humilité, qu’il considère comment moi, qui suis Dame de tout le monde, j’écoute tout, et qu’ainsi, il cherche ma louange et non la sienne. Qu’il considère que les paroles ne sont que vent, et que soudain, après les avoir écoutées humblement, il en aura la consolation. Car pourquoi pensez-vous que les mondains sont si impatients à souffrir les paroles et les opprobres, si ce n’est parce qu’ils recherchent plus leur louange propre que celle de Dieu, et qu’il n’y a en eux aucune humilité ? Car ils ont la bouche et l’œil à leurs péchés.

Partant, ma fille, revêtez-vous de cette humilité autant qu’il vous sera possible. Les femmes du monde portent des manteaux superbes au-dehors, et quelque peu vil au dedans: fuyez entièrement ces vêtements, car vous ne pourrez jamais avoir le manteau de l’humilité que premièrement l’amour du monde ne soit vil ; que vous n’ayez mûrement considéré la miséricorde divine et votre ingratitude ; que vous n’ayez pensé et examiné ce que vous avez fait, ce que vous faites, et quelle condamnation vous en mériterez le jour du jugement. Pourquoi pensez-vous que moi, Vierge et Mère de Dieu, me suis tant humiliée (d’ou j’ai mérité une si grande grâce), si ce n’est que j’ai toujours pensé et su que je n’avais rien de moi-même, et que rien de bon ne venait de moi comme de moi? C’est pour quoi je n’ai point voulu en être louée, mais je l’ai rapporté à mon Dieu, qui en est l’auteur et le Créateur.

Partant, ô ma fille ! fuyez-vous-en au manteau de mon humilité , et pensez que vous êtes plus pécheresse que toutes les créatures du monde; car bien que vous voyiez quelques-uns être mauvais, vous ne savez pas ce qu’ils pourront devenir demain ; vous ne savez aussi avec quelle vue et intention ils font leurs actions ; si c’est expressément ou par infirmité, Partant , ne vous préférez à aucun , et ne jugez personne en votre cœur.

Chapitre 24

La Sainte Vierge Marie exhorte sa fille, sainte Brigitte , se plaignant du petit nombre d'amis. De la manière dont Jésus-Christ parle à son épouse disant que, par les fleurs, sont entendues les mamelles sacrées. comment il faut fructifier de ses paroles.

La Sainte Vierge Marie parlait par un exemple très clair : Quiconque, disait-e11e, aurait le dos chargé d’un faix lourd et pesant, les bras affaissés, les yeux pleins de larmes , et passerait par une grande troupe, regarderait sans doute si quelqu’un d’eux compatirait avec lui, et le soulagerait du poids qui l’écrase. de même faisais-je, étant accablée d’afflictions dès le même jour de la naissance de mon Fils, jusques au jour de sa mort douloureuse. J'ai porté un grand faix sur mon dos, et demeurait instamment assidue aux peines de mon Fils et souffrais patiemment tous les mépris et adversités.

J’apportais entre mes bras un faix lourd, et supportais des douleurs et des tribulations si cuisantes, que jamais créature ait supportées. J ‘avais mes yeux pleins de larmes, lorsque je considérais sur les mains et sur les pieds de mon Fils les trous des clous, et lorsque je voyais que la passion douloureuse, qui avait été prédite par les prophètes, allait s’accomplissant en lui. Mais maintenant je regarde tous ceux qui sont dans le monde, pour voir s’il n’y en a pas un qui en ait compassion et qui considère mes douleurs, et j’en trouve bien peu qui pensent à mes tribulations et douleurs si amères qu’elles n’ont point d’égales.

Partant , ma fille, bien que je sois en oubli, voire méprisé de plusieurs, ne m’oubliez pas; considérez mes douleurs, et imitez-les aussi fidèlement que vous pourrez. Voyez mes peines et mes larmes ; ayez-en douleur, car j’ai peu d’amis. Soyez constante. Voici que mon Fils vient , qui, dès qu’il sera venu, dira: Je suis votre Dieu et votre Seigneur qui parle à vous.. Mes paroles sont comme les fleurs d’un bon arbre ; et bien que toutes les fleurs sortent d’une même racine , néanmoins , toutes les fleurs ne portent pas leur fruit.

De même, bien que mes paroles soient comme quelques fleurs qui prennent source de la racine de l’amour divin, que plusieurs écoutent et reçoivent, néanmoins, elles n’apportent pas en tous les fruits, ou si elles les portent , ils ne viennent point à leur parfaite maturité, d’autant que quelques-uns les reçoivent et les retiennent pour quelque temps, et puis après les rejettent, d’autant qu’ils en sont ingrats et méconnaissants ; quelques-uns les reçoivent et les retiennent, attendu qu’ils sont pleins de charité, et ceux-ci font un grand fruit de dévotion et de saintes œuvres.

Donc, vous, ô mon épouse! qui êtes à moi par droit divin, il faut que vous ayez trois maisons: en la première, vous devez avoir ce qui est nécessaire au corps; en la deuxième, les vêtements qui couvrent le corps extérieurement; en la troisième, vous devez avoir les instruments nécessaires et utiles à la maison. En la première, vous devez avoir pain, boisson et tout ce qui est bon à manger ; en la deuxième , vêtement de laine, de lin et de soie; en la troisième , des vases pour tenir les liqueurs, et écuries pour tenir chevaux, ânes, etc. et des instruments manuels.

Chapitre 25

Jésus-Christ avertit l'épouse des provisions qu’il faut qu’elle fasse en ces trois maisons. Comment, par le pain, est signifiée la bonne volonté; par la boisson la méditation divine, et par les viandés bonnes à manger, la sagesse divine. En quelle manière la sapience divine n’ est pas en la lettre, mais dans le cœur et en la banne vie.

Moi-même qui vous parle, suis le Créateur de toutes choses et ne suis créé d'aucun. Devant moi, il n’y avait rien, ni après moi. Sans moi rien ne pouvait être, d’autant. que je suis de toute éternité et suis toujours. Je suis le Seigneur à la puissance. duquel personne ne peut résister, et duquel dépendent, toute puissance et toute domination. Je vous parle comme un homme parle à son épouse.

Mon épouse, nous devons avoir. trois maisons en l’une, il faut avoir du pain , de la boisson, et d’autres viandes pour manger.. Mais vous me pourriez demander ce que j’entends par ce pain n’est-ce pas le pain qui est à l’autel ? Oui, vraiment. Mais les paroles étant dûment prononcées : Ceci est mon corps, il n’est pas pain, mais mon corps que j’ ai pris du ventre virginal de Marie, et qui a été crucifié. C’est de ce pain que j’entends que vous devez avoir en la maison. Mais le pain que nous devons amasser en la maison, est une bonne et sincère volonté.

Le corporel , s’il est pur , fait deux biens :

1° il conforte et renforce les veines, les artères et les nerfs;

2° il chasse toute la pourriture intérieure , la fait descendre , et ainsi l’homme est purifié.

Il en est de même de la volonté pure :

1° elle conforte l’homme, car si l’homme ne veut que ce que Dieu veut, il ne se travaille point et ne se trouble point, mais il cherche l’honneur et la gloire de Dieu; il désire de tout son cœur de sortir du monde et d’être avec Dieu. Cette volonté conforte l’homme au bien, augmente l’amour de Dieu, lui cause l’horreur du monde, fortifie la patience, affermit l’espérance d’acquérir la gloire, de sorte qu’il porte et souffre joyeusement toute sorte de rencontres. 2° Une bonne volonté arrache et repousse toute pourriture.

Quelle est la pourriture qui nuit à l’âme , si ce n’est la superbe, la cupidité et la luxure ? car quand la pourriture de la superbe et de quelque autre vice, saisit l’esprit de l'homme , il la chasse , s’il considère en cette sorte la superbe est vaine , car il n’est pas décent que l’homme se loue de ce qu’il reçoit mais bien il est juste que celui qui le donne en soit loué. La cupidité est vaine, car tout ce qui est terrestre nous laissera le jour de la mort. La luxure n’est qu’une puanteur extrême, partant, je l’abhorre, et veux suivre la volonté de mon Dieu , dont le prix ne finira jamais , dont les biens ne vieillissent jamais.

Lors , la tentation de la superbe et cupidité se retire , et la bonne volonté demeure permanente au bien.

La boisson que nous devons avoir en nos maisons , est la divine préméditation en tout ce que nous devons faire, car la boisson corporelle apporte deux biens: 1° elle fait une bonne digestion, car quiconque propose de faire quelque bien, s’il considère à part soi et le ballotte diligemment, voyant les tendants et aboutissants avant de l’exécuter, pour voir quel honneur en réussira pour Dieu, quelle utilité pour le prochain , quel profit pour l’âme, et il le veut faire, qui ne voit qu’en son entreprise il y a quelque utilité divine?

Lors s'il se rencontre quelque indiscrétion. Lors cette œuvre aura un bon progrès comme une bonne digestion. Lors, s’il se rencontre quelque indiscrétion en l’exécution de son œuvre, il la découvre soudain. Lors, s’il trouve quelque chose injuste, il la corrige dès l’instant, et lors son œuvre sera droite, juste, raisonnable et pleine d’édification devant les hommes car qui n’a en ses œuvres la préméditation de Dieu, ne cherche ni l’utilité de l’âme ni l’honneur de Dieu ; et bien que son œuvre ait quelque heureux progrès pour quelque temps, à la fin néanmoins, s il ne s’en corrige, son intention sera pour néant.

En second lieu , la boisson éteint la soif quelle soif est pire que le péché des cupidités perverses et le vice de colère? Que si l‘homme préméditait quelles sont 1es utilités qui peuvent provenir de ses péchés; combien misérablement il finit; quelle récompenses on obtient, si on résiste à cette méchante et insatiable soif des vices; cette soifs soudain par la grâce divine; l’ardeur de la charité divine et des bons désires s'embrase; la joie s’éveille de ce qu’il n’a pas fait le mal qui lui était venu à l’esprit; il cherché l’occasion comme il pourra désormais se garder de ce qui l’aurait supplanté, si la méditation ne l’eut secouru, et ne l’eût rendu soigneux de s’en donner garde à l’avenir. Telle est la boisson, ô mon épouse ! Que nous devons mettre en notre revenu.

En troisième lieu , on y doit avoir des viandes à manger, qui font deux effets :

1° elles rendent les autres choses savoureuses à la bouche , et conviennent mieux au corps que le pain seul;

2° elles font le sang meilleur que le pain et le vin seuls. De même en fait la viande spirituelle. Or, quelle est cette viande , si ce n’est la sagesse divine ? Car quiconque a une bonne volonté, ne voulant rien de plus , sinon ce qui est de Dieu et la divine méditation de ses mystères , ne faisant rien sans qu’il y connaisse l’avancement de l’honneur de Dieu , celui-là est grandement sage.

Maintenant vous ne pourriez demander quelle est la divine sagesse, car plusieurs sont simples; qui ne savent que le Pater noster, et encore à grand-peine bien; d’autres grandement savants: n’est-ce pas cela la sagesse divine? nenni, car la sagesse divine n’est pas précisément dans les lettres, mais dans le cœur et dans la bonne vie.

Quiconque considère sérieusement la voie qui nous conduit à la mort, la qualité de la mort et le jugement d’après la mort, celui-là est sage. Quiconque se retire des vanités fallacieuses du monde, se dépouille des superfluités, se contente des nécessités, et s’adonne autant qu’il peut à l’amour de Dieu, celui-là a l’aliment de la sagesse, qui rend la bonne volonté et la préméditation plus savoureuse: car quand l’homme considère la mort , et en la mort, le dépouillement entier de toutes choses; quand il pèse attentivement les formidables et terribles jugements de Dieu; qu'il voit que rien ne lui est caché, que rien ne demeure impuni ; et quand il pense à l’instabilité, à l’inconstance , à la vicissitude du monde et de ses vanités, ne se réjouit-il pas d’avoir résigné sa volonté à la volonté de Dieu, et d’avoir fui les péchés? La chair n’est pas lors consolée, le sang renouvelé ( c’est-à-dire , l’infirmité de l’âme qui n’est autre que la dissolution des mœurs, laquelle elle chasse d’elle généreusement, et lors le sang de la divine charité se renouvelle , car il considère qu’il est plus raisonnable d’aimer ce qui est éternel que ce qui est périssable.

Donc, la divine sagesse n’est pas précisément dans les Écritures , mais dans les bonnes œuvres , car il y en a plusieurs qui sont sages selon le monde et selon leurs désirs , mais entièrement fous pour l’observance des commandements de Dieu, de ses volontés , et pour mortifier leurs corps; et ceux-ci ne sont pas sages, mais sont des fous aveugles, car ils savent que tout cela est caduc et périssable , utile pour un moment, et méprisent et oublient ce qui est éternel. D’autres ne sont point sages et habiles pour rechercher les plaisirs du monde, ni les honneurs, mais fort sages pour considérer ce qui est de Dieu , et sont fermes à son service: ceux-ci vraiment sont sages, car ils goûtent les commandements de Dieu et ses volontés ceux-ci sont en vérité illuminés et ont les yeux ouverts car ils considèrent toujours comment ils pourront parvenir à la vraie vie et à la vraie lumière. Les autres marchent en ténèbres, et il leur est plus agréable d’y être plongés que de rechercher la lumière par laquelle ils pourraient parvenir à la vie.

Partant, ô mon épouse! amassons et entassons en nos greniers ces trois choses, savoir une bonne volonté, la préméditation divine et la sagesse de Dieu , car en ces trois choses, nous tous devons réjouir, bien que je vous avertisse, vous et tous mes élus, que l’âme du juste est mon épouse, car je suis le Créateur et le Rédempteur.

Chapitre 26

Notre Seigneur Jésus-Christ et la Vierge Marie, sa mère, avertissent l’épouse des vêtements qu’il faut avoir a en la deuxième maison. Comment, par ces vêtements, la paix avec Dieu et le prochain , la miséricorde divine et l’abstinence pure , sont dénotées, et d’une très excellente déclaration de ce que dessus.

La Sainte Vierge disait à sainte Brigitte : Imprimez en votre cœur le riche ornement de la passion très amère de mon Fils, comme un saint Laurent, car ce saint considérait incessamment en son esprit ce qui suit: Mon Dieu et mon Seigneur , Jésus-Christ a été dépouillé et moqué:

Comment serait-il donc décent que moi, qui suis serviteur, sois sans douleur ni infliction ? Lors donc qu’il fut étendu sur les brasiers, que sa graisse fondue coulait dans le feu , et que le feu embrasait et enflammait tout son cœur, il tourna ses yeux vers le ciel , disant Béni soyez-vous, mon Dieu, mon Créateur Jésus-Christ.

Je connais que je n’ai pas bien vécu les jours passés ; je vois aussi que j’ai fait peu pour votre honneur et gloire : partant, puisque votre miséricorde est très grande, je vous supplie de me traiter miséricordieusement ; et son âme a été séparée du corps, disant ces paroles: Voyez , ma fille , que celui qui a tant aimé mon Fils , qui a tant souffert pour son honneur, dit qu’il est encore indigne d’obtenir le ciel : comment donc en sont dignes ceux-là qui vivent selon les appétits de leur volonté ?

Partant, considérez incessamment la passion de mon Fils et de ses saints, car ils n’ont pas tant pâti sans sujet, mais bien pour donner exemple de bien vivre aux autres, et afin de montrer avec quelle sévérité mon Fils exigera le compte des péchés, car il ne veut qu’aucun péché, pas même le plus petit, soit sans amendement.

Après, le Fils, étant arrivé, parla à l'épouse, disant : Je vous ai dit tout ce qu'il fallait en nos maisons. Entre autres choses, vous devez avoir trois sortes d'habits : le premier, c'est un vêtement de lin, qui croît de la terre; le deuxième de peaux, qui viennent des animaux ; Le troisième de soie, qui se fait des vers.

Le vêtement de lin porte deux biens : 1 – il est mou et doux à la peau ; 2 – il ne perd jamais sa couleur, mais plus il est lavé, plus il est blanc. Le deuxième vêtement de peaux a aussi deux autres biens : il couvre les hontes et tient chaud contre le froid.

Le troisième vêtement de soie a aussi deux utilités : 1 - il est grandement beau et délicat; 2 - il est grandement cher. L'habillement de lin, qui est propre pour couvrir un corps nu, marque la paix et la concorde. L'âme pieuse et dévote doit avoir cette paix avec son Dieu, ne voulant que ce qu'il veut et en manière qu'il le veut ; ne le fâchant point par ses péchés, d'autant qu'entre Dieu et l'âme, il n'y a point de paix, si elle ne laisse le péché et retient sa concupiscence. Elle doit aussi avoir la paix avec son prochain, ne lui nuisant point, le secourant et le souffrant s'il a péché contre lui ; car qu'y a-t-il de si malheureux que le péché ? L'âme qui désire de pécher n'est jamais remplie ni contente du péché ; elle le désire incessamment et elle n'a jamais de repos.

Qu’y a-t-il de plus amer et qui pique plus cruellement l'âme qui se courrouce contre son prochain, et lui envie ses avancements et ses perfections ? De ce fait l'âme doit avoir la paix avec Dieu et son prochain, car il n'y a pas de plus grand repos au monde que cesser de pécher, et n'être sollicité ni embrouillé dans le monde. Il n'y a aussi rien de si doux que le séjour du bien, l'avancement de son prochain, et que de lui désirer ce qu'on désire pour soi-même.

Ce vêtement aussi de lin, qui doit adhérer à la peau, signifie que, dans le cœur où Dieu veut reposer, la paix, entre autres vertus, y doit être plus proche et la plus signalée, car cette vertu introduit Dieu dans le cœur et l'y conserve et retient. Cette paix et la patience sortent de la considération de son infirmité, comme le lin vient de la terre, car l'homme, qui est de la terre doit considérer son infirmité, en tant que soudain il est offensé, il se courrouce, il se plaint dès l'instant, et dit qu'il est lésé.

S'il pensait comme il faut à soi, il n'aurait garde de faire à autrui ce qu'il ne peut supporter lui-même, car son prochain est aussi infirme que lui ; comme il ne veut pâtir telles peines, ni lui aussi. Lors la paix ne perd point sa couleur, c'est-à-dire, sa stabilité, mais elle devient plus constante, car la considération de l'infirmité de son prochain avec la sienne, fait que l'homme souffre patiemment les injures. Or, si, par impatience, la paix est souillée et noircie quelque peu, elle est d'autant plus blanche devant Dieu qu'elle est soudain lavée par la pénitence. Elle est aussi d'autant plus gaie et plus forte à souffrir, qu'elle est plus éprouvée et souvent lavée, parce qu'elle se réjouit de l'espérance des récompenses que l'âme attend, à raison de la paix, et d'autant plus elle est sur ses gardes qu'elle ne tombe par impatience.

Le deuxième vêtement, savoir, celui de peaux, marque les œuvres de miséricorde ; et de fait, ces vêtements sont de peaux des animaux morts. Qui sont ces animaux morts, sinon mes saints, qui sont fort simples ? L'âme doit être couverte de leurs peaux, c'est-à-dire, elle doit imiter et faire les œuvres de miséricorde qu'ils font. Ces vêtements servent à deux choses, 1 - à couvrir la nudité de l'âme pécheresse, et à la purifier des souillures, afin qu'elle apparaisse pure devant moi ; 2 - ils défendent du froid : quel est le froid de l'âme, sinon l'opiniâtreté au péché et l'endurcissement aux sentiments de mon amour ? Les œuvres de miséricorde chassent puissamment ce froid, attendu qu'elles revêtent l'âme, afin qu'elle ne périsse de froid. Par elle Dieu visite l'âme, et elle s'approche d'autant plus de Dieu.

Le troisième vêtement de soie, qui est fait de vers, qui coûte beaucoup à l'acheteur, marque l'abstinence, car elle est belle devant Dieu, devant les anges et les hommes. Elle coûte aussi beaucoup à celui qui l'achète, car hélas ! il est dur et difficile à l'homme de retenir et réfréner sa langue de trop vainement parler. Il lui est amer de mortifier les concupiscences de la chair, de se priver des superfluités et de quitter ses plaisirs ; il lui est aussi difficile de rompre et contrevenir à ses volontés. Mais bien qu'il soit dur, amer et difficile, il est néanmoins en toute manière utile et excellent de le faire.

Partant, mon épouse, par laquelle j'entends tous les fidèles, amassons et entassons en notre deuxième maison la paix avec Dieu et avec le prochain, compatissant et aidant aux misérables par les œuvres de miséricorde. L’abstinence des concupiscences, comme elle est plus chère que les autres, est aussi plus belle que toutes, attendu que, sans elle, les autres ne semblent point avoir leur éclat et leur beauté.

Cette abstinence doit être prise des vers, c’est-à-dire, de la considération des excès contre Dieu, de la considération de mon humilité et abstinence, moi qui ai été semblable au vermisseau pour l’amour de l’homme, qu’il voie en son âme comment et combien de fois il a péché contre moi, et en quelle manière il s’est amendé, et il connaîtra clairement qu’il n’y a abstinence ni labeurs qui puissent satisfaire à ses offenses. Qu’il considère mûrement mes peines, mes labeurs et ceux de mes saints, pourquoi ils ont tant souffert, et il entendra vraiment que, si j’ai exigé tant de rigueur de moi et de mes saints, qui m’obéissaient parfaitement, sera grande la vengeance que je prendrai de ceux qui ne m’obéissent point.

Donc, que l’âme qui est bonne embrasse courageusement et franchement l’abstinence ; qu’elle se souvienne combien ses péchés sont malicieux, et qu’ils rongent son âme de vers ; et de la sorte, de vermisseaux vils et abjects, elle en fera une soie précieuse, de laquelle tous ses membres seront revêtus par cette abstinence et considération, de laquelle Dieu et toute la milice céleste se réjouissent, et pour l’amour de laquelle elle jouira de la gloire et de la joie éternelles, et sans l’aide de laquelle elle aurait eu les pleurs éternels.

Chapitre 27

Jésus-Christ parle à son épouse des instruments qu’il faut mettre en la troisième maison. Comment, par ces instruments, sont désignées les bonnes pensées d’un sens bien réglé. Et une bonne confession; de leur entière déclaration, et de la clôture générale de ces maisons.

Le Fils de Dieu, engendré avant le temps, parlait à son épouse, disant : Je vous ai avertie qu’en la troisième maison devraient être les instruments, en triple différence qu’aux premiers, il fallait mettre les liqueurs ; en la deuxième, les instruments avec lesquels on préparait la terre, comme le râteau la cognée, etc. Qui se peuvent réparer, quand ils sont rompus, en la troisième partie du logis, les chevaux, les ânes, etc. Dont on se sert pour porter les choses animées et inanimées. En la première maison, en laquelle sont les liqueurs, il faut qu’il y ait deux sortes d’instruments : les premiers dans lesquels on verse les liqueurs fort liquides et douces, comme l’eau, le vin, l’huile, etc. Dans les autres, on met les liqueurs amères, épaisses, comme la moutarde, etc.

Ne sauriez-vous pas entendre ce que tout cela signifie ? Les liqueurs signifient en vérité les pensées bonnes et mauvaises de l’âme, car la bonne pensée est comme l’huile douce et comme le vin plaisant et délectable. La mauvaise pensée est amère comme la moutarde, car elle rend l’âme amère et la trouble. Et comme l’homme a quelquefois besoin des liqueurs épaisses, lesquelles, bien qu’elles ne profitent pour soutenir le corps, servent néanmoins à purger le cerveau et le corps et pour la santé, de même aussi les mauvaises pensées, bien qu’elles n’engraissent et ne rassasient l’âme comme l’huile des bonnes pensées, néanmoins, profitent pour purifier l’âme, comme la moutarde purge le cerveau ; car si les mauvaises pensées ne nous arrivaient souvent, l’homme serait alors, non homme, mais un ange, et penserait que toutes choses viendraient de lui, voire que la force que je lui ai donnée serait de lui-même.

Il est donc nécessaire que mon infinie miséricorde permette quelquefois qu’il soit assailli des mauvaises pensées, qui, si l’homme n’y consent, lui servent pour purifier son âme et pour conserver ses vertus. Et bien qu’elles soient amères comme la moutarde, néanmoins, elles guérissent grandement l’âme et la conduisent à la vie éternelle, santé qu’on ne peut acquérir sans amertume.

Qu’on prépare donc les vases de l’âme, où l’on met les bonnes pensées. Qu’on les tienne diligemment. Il est même utile que les mauvaises pensées nous assaillent pour nous éprouver et pour nous faire mériter davantage ; que l’âme néanmoins se prenne garde diligemment de n’y consentir ou de s’y délecter autrement. La douleur et l’avancement de l’âme s’épandront et se perdront, et la seule amertume de l’âme demeurera.

En la deuxième maison, il faut avoir aussi des instruments de deux sortes : les premiers sont extérieurs, par lesquels on prépare et cultive la terre pour la semer, et on arrache les épines, comme sont le soc, etc. ; les autres, qui servent au dedans et au dehors, comme la cognée, etc. ; les instruments avec lesquels on cultive la terre, signifient les sens de l’homme qui ont été ordonnés à l’utilité du prochain, comme le soc pour cultiver la terre, car les hommes mauvais sont comme la terre maudite, attendu qu’il ne pensent qu’aux choses terrestres, car il sont arides en componction et contrition de leurs péchés, d’autant qu’ils ne pensent à la gravité d’iceux, mais croient que c’est peu de chose. Ils sont froids en l’amour divin, car ils ne cherchent qu’à accomplir leurs volontés et leurs sales appétits. Ils sont pesants et fainéants pour faire le bien, et agiles pour les ambitions et les honneurs du monde.

Partant, l’homme de bien doit se perfectionner, et perfectionner les autres, commençant par les sens extérieurs, comme le laboureur cultive la terre par le soc. Il les doit cultiver par sa bouche, leur disant des paroles utiles à l’âme, les formant et instruisant à la vraie vie ; après, il doit tâcher de faire ce qu’il dit autant que faire se pourra, afin que le prochain soit instruit par parole et excité à bien faire par l’exemple.

D’abondant, qu’il compasse et compose à la modestie le reste des sens, tant les siens que ceux de son prochain, afin que les yeux simples et modestes ne se portent à voir des choses impudiques, et que le prochain garde en tous ses membres une sainte modestie. Qu’il mortifie ses oreilles, afin qu’il n’écoute des choses ineptes, et qu’il excite les pieds de ses affections pour se porter joyeusement aux œuvres de charité. Cette terre de nos sens étant de la sorte cultivée, je lui donnerai la terre de ma grâce par le labeur de celui qui la cultive ; et celui qui travaille se réjouira des fruits de la terre, qui auparavant était aride et stérile, quand il la verra plantureusement germer.

Mais quant aux instruments qui sont nécessaires pour préparer ce qui est intérieur a la maison, comme sont la cognée, etc. ils signifient la droite discrétion, pure intention, et divine discussion, que nous devons avoir aux œuvres de Dieu, car l’homme ne doit rien faire pour acquérir les honneurs et pour la louange des hommes, mais pousse d’amour, il doit agir pour posséder une éternelle récompense.

Partant, que l’homme examine diligemment et exactement ses œuvres, avec quelle intention, pour quelle fin et pour quelle récompense il les a faites. Que s’il trouve en ses œuvres quelque vanité, qu’il l’ôte soudain avec la cognée de discrétion, afin que, comme au dehors il cultive son prochain, qui est comme étranger de la maison, c’est-à-dire, hors la compagnie de mes amis, à raison de ses péchés, que de même au-dedans, il fructifie à soi-même par la charité divine ; car comme l’œuvre d’un rustique qui n’avait point des instruments propres pour réparer et rétablir ce qui était ruine, se perdit bientôt, de même, si l’homme n’examine ses œuvres et ne considère comme il les faut soulager, si elles sont lourdes et laborieuses ; en quelle manière il faut rétablir, si elles sont en ruine, ne parviendra jamais a la perfection. Partant, il faut, non-seulement labourer efficacement a l’extérieur, mais il faut encore soigneusement considérer comment et avec quelle intention on agit et on travaille.

En la troisième maison, on doit avoir des instruments animés pour porter ce qui est mort et vivant, comme sont les chevaux, etc. Les instruments signifient la vraie confession, car c'est elle qui fait aller les vivants et les morts. Que signifie vivant, sinon l'âme que ma Divinité a créée et qui vit éternellement ? car par la confession, elle s'approche de plus en plus de Dieu ; car comme l'animal qui est plus souvent et mieux nourri, est plus fort pour porter et plus beau à regarder, il en est de même de la confession : plus elle est fréquente et plus elle est exacte, tant des grandes que des petites fautes ; elle plaît d'autant plus à Dieu qu'elle introduit l'âme dans le cœur de Dieu.

Or, qu'est-ce que signifie morte que la confession fait vivre, si ce n'est les bonnes œuvres mortes par le péché mortel? Car les bonnes œuvres, mourant pour le mérite de la gloire, par le péché mortel, sont mortes devant Dieu; car aucun bien ne peut plaire à Dieu que premièrement, le péché ne soit corrigé et amendé, ou par une parfaite volonté, ou par effet; car des deux liqueurs, l’une suave, l’autre puante, ne conviennent point en un vase.

Or, si quelqu’un a mortifié ses bonnes œuvres par les péchés mortels; s’il a une vraie contrition des fautes commises avec un ferme propos de s’en amender et de s’en garder à l’avenir, soudain elles revivent par la confession et par la vertu de l’humilité, qui avaient été auparavant mortifiées, et lui et elles profitent pour la vie éternelle.

Si l’homme meurt sans contrition ou sans une vraie confession, ses bonnes œuvres, qui ne peuvent mourir en elles ou se perdre, néanmoins, à cause du péché mortel, ne méritent la gloire céleste, elles servent pour lui soulager la peine ou pour le salut des autres si toutefois il a fait ces mêmes œuvres en pureté d’intention pour l’honneur de Dieu, que s’il a fait ces bonnes œuvres pour acquérir la gloire du monde et pour son propre intérêt ; lors, l’auteur de ces œuvres mourant, elles meurent, car il a reçu sa récompense du monde, pour l’amour duquel il a travaillé.

Partant, ô mon épouse, par le nom de laquelle j'entends tous mes amis bons et fidèles, amassons et entassons en nos maisons les choses dont Notre-Seigneur Dieu se veut spirituellement délecter en l'âme sainte. En la première maison, amassons, 1 - le pain d'une sincère volonté, ne voulant que ce que Dieu veut ;

2 – le breuvage de la divine préméditation, ne faisant rien sans y penser et voir l'honneur de Dieu ;

3 – la viande de la divine sagesse, considérant toujours ce qui nous doit arriver, et comment il faut ranger et ordonner les choses présentes.

Nous devons amasser en la seconde maison, 1 - la paix avec Dieu, délaissant le péché, et la paix avec le prochain, fuyant toutes noises et dissensions ;

2 – les œuvres de miséricorde, par lesquelles nous sommes utiles au prochain ;

3 – l'abstinence parfaite, par laquelle nous retenions, et contenions tout de qui veut troubler notre paix.

En la troisième maison, nous devons amasser :

1 – de bonnes et raisonnables pensées, pour enrichir et ennoblir notre maison intérieurement ;

2 – les sens bien composés et mortifiés, pour édifier extérieurement nos amis ;

3 – une vraie et bonne confession, par laquelle, si nous sommes morts, nous puissions revivre.

Mais bien qu'ils aient des maisons, néanmoins il ne savent garder en elles ce qu'ils ont amassé, si ce n'est qu'ils aient des portes, qui ne peuvent être suspendues sans gonds ni être fermées sans serrures.

Partant donc, afin que ce qu'on a amassé soit assuré, il faut avoir en la maison une porte, qui est l'espérance ferme et assurée, qui ne soit débilitée par les adversités, espérance qui doit rouler sur ces deux points, savoir : qu'elle ne désespère de pouvoir acquérir la gloire ni d'éviter les supplices de l'enfer, mais qu'en toute adversité, se confiant toujours en la miséricorde divine, il espère des choses meilleures.

La serrure de cette porte est la charité divine, par laquelle la porte doit être gardée, afin que l'ennemi n'entre en la maison, car que profite-t-il d'avoir une porte sans serrure ? quoi ? d'avoir l'espérance sans charité, car si quelqu'un espère les choses présentes et éternelles, et désespère de la miséricorde divine, il ne craint ni n'aime Dieu ; il a une porte, mais sans serrure, et par laquelle l'ennemi entre quand il veut, massacre et tue. Or, l'espérance juste et droite est que celui qui espère, fasse aussi le bien qu'il pourra, sans lequel il ne peut jouir des choses célestes, s'il a su et pu faire le bien et ne l'a pas fait. Si quelqu'un a excédé ou qu'il ait manqué à faire le bien qu'il pouvait, qu'il ait une bonne volonté de faire le bien qu'il pourra, et quand il ne pourra le faire, qu'il espère fermement qu'il pourra s'approcher de Dieu par la bonne volonté et charité divine.

Que la porte donc, c'est-à-dire, la charité divine, soit munie de charité, afin que, comme la serrure a au-dedans plusieurs ressorts afin que l'ennemi ne l'ouvre, de même en la charité on ait un grand soin que Dieu ne soit offensé et qu'on ait une crainte filiale et amoureuse de ne s'éloigner de Dieu. Qu'on ait aussi une ferveur enflammée comment on aimera Dieu, et un grand soin comment on l'imitera. Qu'on ait une douleur qu'on ne puisse faire autant de bien qu'on voudrait et qu'on sait y être obligé.

Qu'on ait aussi l'humilité, par laquelle l'homme répute pour néant ce qu'il fait considérant ses péchés. Que la serrure soit munie des ressorts, de peur que le diable n'ouvre facilement la serrure de la charité, où Dieu verse son amour. Or, la clé, par laquelle on ferme et on ouvre la serrure, doit être le désir en un seul Dieu, qui doit être avec la charité et l'œuvre divine, de sorte que l'homme ne veuille rien que Dieu, bien qu'il fût en sa puissance d'en avoir, et cela, à raison d'un très grand amour de Dieu, car le désir enferme Dieu dans nos cœurs, et nos cœurs en Dieu, d'autant qu'il n'y a qu'une seule volonté en tous deux.

Or, l'épouse et l'époux doivent seulement apporter cette clé, savoir, Dieu et l'âme, afin que toutes les fois et quand Dieu voudra entrer dans nos cœurs et se réjouir dans les biens et les vertus de l'âme, il en ait un libre accès par la clé de ses fermes et constants désirs ; tout autant de fois aussi que l'âme voudra entrer dans le cœur de Dieu, elle le puisse faire franchement, car elle ne désire que Dieu.

Cette clé se garde aussi par la vigilance de l’âme, et par le soin de l’humilité, qui rapporte a Dieu tout le bien qu’elle a. Cette clé garde aussi par la puissance de Dieu et par la charité divine, afin que l'âme ne soit supplantée par le diable.
Voyez, ô mon épouse ! quel est l'amour que Dieu porte à l'âme. Demeurez donc ferme et faites ma volonté.

Chapitre 28

Jésus-Christ parle à son épouse de son immutabilité ; de la perfection de ses paroles, bien que l’effet ne s’ensuive dès l’instant. Comment il faut commettre notre volonté en tout et partout à la volonté divine.

Le Fils de Dieu éternel parlait à son épouse, disant : Pourquoi vous troublez-vous de ce que ce faussaire a dit que mes paroles étaient fausses ? Eh quoi ! Suis-je pire par ses blâmes ou meilleur par ses louanges ? Certainement, je suis immuable ; je ne puis être diminué, ni être augmenté, ni n’ai besoin de louanges.

Mais l’homme, en me louant, profite de ma louange à soi-même, et non à moi ; et il n’est jamais sorti et il ne peut sortir de ma bouche aucune fausseté, car je suis la vérité même ; car tout ce que j’ai dit par mes prophètes, ou bien par quelques-uns de mes amis, soit spirituellement ou corporellement, s’accomplira comme je l’ai entendu ; et ce que j’ai dit n’est pas faux, d’autant que j’ai dit une chose une fois, une autre une autrefois, l’une clairement, l’autre obscurément ; car en preuve de la constance de ma foi et de la sollicitude de mes amis, j’ai manifesté plusieurs choses, qui, selon les divers effets de mon esprit, peuvent être entendues diversement, bien et mal par les bons et par les mauvais, comme l’on converse en une diversité d’états.

Car comme en ma Déité j’ai pris mon humanité en une personne, de même quelquefois je parlais de la part de mon humanité en tant qu’elle était sujette à la Divinité, quelquefois de la part de la Déité, en tant qu’elle avait créé l’humanité comme il paraît par l’Évangile. Et ainsi, bien que mes paroles semblent diverses à ceux qui les calomnient et qui les ignorent, néanmoins, elles sont vraies et sont selon la vérité. Ce n’est pas non plus sans raison que j’ai baillé quelques choses fort obscurément, car ma justice l’exigeait de la sorte, afin que mon conseil fût aucunement caché aux mauvais, et qu’un chacun des bons attendit avec ferveur ma grâce, et que, pour son attente, il en reçut le prix, de peur que mes conseils eussent été déclarés, et qu’insinués en quelque certain temps, tous ne se désistassent de leur attente et poursuite amoureuse à raison de la largeur du temps.

J’ai promis aussi plusieurs choses que j’ai retirées en ce temps, à cause de l’ingratitude, car s’ils se fussent désistés de leur malice, certainement j’aurais exécuté ce que je leur avais promis. Partant, vous ne devez vous troubler si les méchants accusent de fausseté mes paroles, car tout ce qui est impossible à l’homme m’est possible.

Mes amis admirent aussi pourquoi, après les paroles, les œuvres ne suivent point, car ceci n’est pas sans raison. Mais quoi ! Moïse n’a-t-il pas été envoyé à Pharaon ? et soudain toutefois, les signes n’ont pas été faits. Pourquoi ? car si soudain les signes fussent venus et les œuvres eussent été faites, l’obstination et l’endurcissement de Pharaon n’eussent pas été manifestes, ni la puissance divine, ni les merveilles déclarées ; néanmoins, Pharaon, à raison de sa malice, eût été damné, bien que Moïse n’y eût été, bien que endurcissement n’eût été si manifeste. Il s’en fait de même maintenant.

Partant, demeurez constante, car bien que le soc soit traîné par les bœufs, néanmoins, il est gouverné selon la volonté du laboureur : de même, bien que vous ayez et sachiez mes paroles, néanmoins, elles ne vont et ne viennent pas selon votre volonté, mais selon la mienne, car je sais quelle est la terre qui est disposée et comment il la faut cultiver. Or, vous, commettez mes volontés à moi, et dites: Que votre volonté soit faite.

Chapitre 29

Saint Jean-Baptiste avertit l’épouse de Jésus, sainte Brigitte, comment sont désignés et signifiés en figure, Dieu par les poussins, le corps par le nid du monde, les délectations par les animaux farouches, la superbe par les oiseaux de rapine, et la joie du monde par les lacets.

Saint Jean-Baptiste parlait à l’épouse de Jésus-Christ, disant : Notre-Seigneur Jésus vous a appelée des ténèbres à la lumière, des immondices à la pureté, des angoisses aux latitudes d’amour ? Qui pourrait donc expliquer ou satisfaire aux obligations que vous lui avez de l’en remercier. Véritablement, faites tout autant que vous pourrez.

Il y a un oiseau qui se nomme une pie, qui aime grandement ses petits, d’autant que les œufs dont ses petits sont éclos, ont été en son ventre. Cet oiseau fait son nid des choses vieilles et rompues, à raison de trois choses :

1 – pour le repos ;

2 – pour se mettre à couvert de la pluie et des extrêmes chaleurs ;

3 – pour y pour y nourrir ses poussins, qui ont été produits des œufs ; car cet oiseau, pour l’amour qu’il porte à ses petits, couve les œufs et fomente les poussins.

Or, quand ils sont nés et grandelets, la mère les allèche à voler en trois manières : 1-par l’administration de la viande dont elle se nourrit ; 2- par la fréquente voix ; 3- par l’exemple de son vol. Mais les poussins, qui aiment leur mère, accoutumés à la viande de leur mère, s’élèvent peu à peu, suivant leur mère sur le nid ; puis après, selon que les forces s’augmentent, ils vont plus avant, jusqu’à ce que l’usage et l’art les aient rendus parfaits à voler.

Cet oiseau nous représente Dieu, qui est de toute éternité et ne change point, et de lui dépendent toutes les âmes raisonnables, comme d’un ventre. A chaque âme est préparé un nid des choses les plus usées, d’autant que le corps terrestre est uni à l’âme, dans lequel Dieu nourrit l’âme de la viande des bonnes affections, le défend des oreilles des mauvaises pensées, et la met à repos et à couvert de la pluie des mauvaises actions.

Or, chaque âme est jointe au corps, afin qu’elle le régisse et qu’elle ne soit point régie de lui, qu’elle l’excite au labeur et qu’elle en ait soin raisonnablement. Donc, Dieu, comme une bonne mère, enseigne l’âme à profiter et à avancer dans les choses meilleures ; il l’enseigne à sortir de ce qui est étroit, pour se dilater à ce qu’il faut faire et avoir horreur de ce qu’il faut fuir.

Premièrement, pour la viande, lui donnant des lumières, raison et intelligence selon la capacité d’un chacun, leur montrant ce qui est commandé et ce qui est défendu, ce qu’il faut faire et ce qu’il faut fuir. Mais comme la mère enseigne et élève ses poussins sur le nid, de même l’homme apprend, en premier lieu, à considérer les choses célestes ; à penser aussi combien serré et vil est le nid du corps, combien éclatantes et lumineuses sont les choses célestes, et combien est plaisant et détestable ce qui est éternel.

Dieu aussi conduit l’âme par sa voix, quand il dit : Celui qui me suit aura la vie ; celui qui m’aime ne mourra point. Cette voix conduit au ciel ; qui ne l’entends, ou il est sourd ou ingrat à la dilection de la mère.

En troisième lieu, Dieu conduit et attire l’âme par le vol, c’est-à-dire, par l’exemple de son humilité. L’humanité glorieuse de Jésus-Christ a eu comme deux ailes :

1 – autant qu’en elle était toute pureté ;

2 – parce qu’elle a fait toute sorte de biens. L’humanité de Jésus volait au monde avec ces deux ailes.

Que l’âme donc suive le vol de ces deux ailes autant qu’elle pourra. Que si elle ne le peut par œuvre, pour le moins qu’elle le fasse par amour et désir. Quand les poussins volent, ils se doivent donner de garde de trois choses :

1 – des animaux farouches, et qu’ils n’habitent après d’eux, car ils ne pourraient résister à leur force ;

2 – des oiseaux de rapine, car les poussins n’ont pas l’aile forte pour voler vite comme ceux-là : il sera donc plus assuré pour eux de demeurer cachés ;

3 – qu’ils ne désirent jamais la proie où est le lacet.

Ces animaux dont je viens de parler ne sont autres que les délectations et les cupidités du monde. Que l’âme se donne de garde de celles-ci, car elles semblent douces au sentiment, bonnes à la possession et belles à la vue. Mais hélas ! Quand on les pense tenir, elles s’enfuient vitement. Quand on y pense prendre plaisir, elles mordent sans miséricorde.

En deuxième lieu, qu’elle se garde des oiseaux de rapine, qui ne sont autres que la superbe et l’ambition, car elles désirent incessamment de monter de plus en plus, de précéder les autres et de les avoir en haine.

Or, que l’âme, ce poussin, se donne bien de garde de ces deux vices, et qu’elle désire insatiablement de demeurer dans les cachots d’une humilité inconnue et profonde. Qu’elle ne soit orgueilleuse des grâces que Dieu lui a données ; qu’elle ne méprise point ses inférieures, et qu’elle ne pense être meilleure que ceux qui ont une moindre grâce qu’elle. En troisième lieu, qu’elle se donne bien de garde de la proie en laquelle le lacet est attaché. Cette proie qui déçoit n’est autre chose que la joie du monde, car la joie semble bonne à la bouche, délectable au corps, mais en ces choses-là mêmes, les pointes mordantes du lacet y sont cachées. Certes, un ris immodéré apporte une joie déréglée. La volupté du corps nous conduit à l’inconstance de l’âme, dont s’ensuit la tristesse pressante, ou en la mort et devant elle , ou quand on est en adversité.

Hâtez-vous donc, ma fille, de sortir souvent de votre nid par les désirs et les soupirs des choses célestes. Donnez-vous de garde des oiseaux de rapine, oiseaux d’ambitions, de cupidité et d’orgueil ; donnez-vous de garde de la proie d’une joie vaine et pétulante.

Après, la sainte Mère de Dieu parla à cette épouse: Gardez-vous, dit-elle, de l’oiseau qui est teint de poix, car tous ceux qui le touchent se souillent. Cet oiseau n’est autre que l’amitié immodérée du monde, qui est inconstante comme l’air, sale et vile en la poursuite des honneurs, et abominable en ses compagnies. Ne vous souciez point des honneurs mondains ; ne considérez point les faveurs passagères ; ne regardez point si on vous loue ou si on vous blâme, car de tout cela proviennent l’inconstante de l’esprit et le refroidissement de l’amour divin. Soyez donc constante et ferme. Confiez-vous que Dieu, qui a commencé de vous tirer du nid, vous repaîtra jusqu'à la mort. Après la mort, vous n’aurez point faim. Il vous préservera des peines ; il vous défendra tant que vous vivrez, et après la mort, vous ne craindrez rien.

Chapitre 30

Ce chapitre est une prière que la Mère de Dieu fait à son Fils pour l’épouse sainte Brigitte et pour un autre saint. Comment la prière de la Mère de Dieu est acceptée par le Fils, et de la vraie ou fausse sainteté de l’homme pendant qu’il vit.

La Vierge Marie parlait à son Fils, disant : Mon Fils, donnez à votre nouvelle épouse cette faveur, que votre corps soit enraciné dans son cœur, afin qu’elle soit changée en vous et soit remplie de vos indicibles plaisirs. Ce saint ( saint Prinuphe, évêque, comme il paraît par le chapitre 108), tant qu’il a vécu, a été constant en la foi comme une montagne, laquelle l’adversité n’ébranle ni la prospérité n’allèche ; il a été flexible comme l’air à condescendre à vos volontés car il se portait où le poussait l’impétuosité de votre Esprit. Il fut d’ailleurs ardent en charité, comme le feu échauffant les froids et consumant les méchants. Or, maintenant, son âme est en la gloire avec vous ; mais son vaisseau, le corps, qui a servi d’instrument aux bonnes œuvres, n’est pas selon la décence qu’il faut : il gît en un lieu trop vil. Partant, O mon Fils ! Donnez à son corps un honneur plus grand et un bien plus honorable, puisqu’il vous a honoré selon son pouvoir ; rehaussez-le, puisqu’il vous a loué autant qu’il a pu.

Le Fils répondit à sa Mère la Sainte Vierge : Bénie soyez-vous, vous qui ne laissez en arrière rien qui touche à vos amis ! Il n’est pas décent, ma Mère, qu’une si bonne viande soit parmi les loups. Il n’est pas raisonnable que celui qui est un saphir en pureté, conservant en son entier ce qui est saint et rétablissant ce qui est infirme, gis maintenant parmi la boue et la fange. Il est aussi convenable que cette lumière soit illuminée pour illuminer les aveugles. Car de fait, cet homme, comme il a été constant en la foi et fervent en l’amour, ainsi a-t-il été continent et conforme à mes volontés. C’est pourquoi il m’a plu comme une viande très bonne, qui a été cuite dans le feu de toute sorte de patience et de tribulation ; il m’est fils doux et bon en volonté, et meilleur en l’effort des bonnes œuvres et à avancer généreusement dans la sainte perfection, et très-bon et très-doux en sa louable fin et consommation de sa vie.

Partant, il n’est pas à propos qu’une telle viande soit si hautement prisée et exaltée devant les loups, la cupidité desquels ne peut être rassasiée, la délectation et sensualité desquels fuient la vertu des herbes, et sont moribondes et faméliques après les charognes pourries, et desquels la voix rusée, douce et emmiellée, nuit à tout le monde.

Il a été aussi comme un saphir enchâssé dans l’anneau par la fin et par l’éclat de sa vie, par laquelle il s’est montre époux de son Église, ami de son Seigneur, conservateur d’une foi sainte et contempteur du monde. Partant, ma très chère Mère, il n’est pas décent que celui qui avait tant d’amour au bien, soit touché des immondes, comme un époux du monde, et que les amateurs du monde s’approchent de celui qui a tant aimé l’humilité.

Il a été encore, en troisième lieu, comme une lumière mise sur le chandelier par l’exécution et l’observance de mes commandements, et par la doctrine de sa bonne vie ; par elle, il a affermi les autres, afin qu’ils ne tombassent ; par elle, il a relevé ceux qui étaient tombés; par elle, il a excité la postérité à venir à moi. Ceux qui sont aveugles en leurs amours ne peuvent dignement discerner cette lumière ; les chassieux de superbe ne les peuvent toucher de leurs mains galeuses, car cette lumière est trop odieuse aux ambitieux, désireux et amateurs de leurs volontés. Partant, avant que cette lumière soit élevée, il est juste et raisonnable que ceux qui sont aveugles soient éclairés.

Quand a cet homme, que les hommes de la terre appellent saint, il y a trois choses qui ne le montrent point saint :

1 – d’autant qu’avant sa mort, il n’imitait point la vie des saints ;

2 – parce qu’il n’a pas eu une joyeuse volonté d’endurer le martyre pour l’amour de moi ;

3 – attendu qu’il n’a pas eu une charité fervente et bien ordonnée comme mes saints l’ont eue.

Il y a aussi trois choses qui le font réputer saint du peuple :

1 – le mensonge fallacieux et plaisant ;

2 – la facile croyance des fous ;

3 – la cupidité et la tiédeur des prélats et des examinateurs.

Or, si cet homme est en enfer ou non, il ne vous est pas encore licite de le savoir, mais vous saurez quand il sera temps d’en parler.

FIN DU LIVRE DEUXIÈME

   

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