LA VOIE MYSTIQUE

adveniat regnum tuum

RÉVÉLATIONS CÉLESTES

Livre III

— Chapitres 16 à 30 —

CHAPITRE 16

Le Fils de Dieu parle à l’épouse, disant : Que pensez-vous, quand on vous montre ces deux évêques? Vous semble-t-il pas que leur blâme et leur damnation plaisent à Dieu, et que c’est pour cela que je les nomme ? Nenni, ce n’est pas pour cela, mais afin que la patience et l’honneur de Dieu soient plus manifestés et que les auditeurs craignent les jugements de Dieu. Mais venez et oyez des merveilles. Voici un jeune évêque qui demanda à l’ancien, disant : Oyez, mon frère, et répondez-moi. Vous qui êtes obligé au joug de l’obéissance, pourquoi l’avez-vous délaissé ? Ayant choisi la pauvreté et la religion, pourquoi les avez-vous abandonnées ? Puisque, par l’entrée de la religion, vous vous étiez montré mort au siècle, pourquoi avez-vous désiré l’épiscopat ?

L’ancien répondit : L’obéissance, qui m’enseignait de me soumettre, m’était amer, c’est pourquoi j’ai cherché le repos du corps. L’humilité était en moi feinte, c’est pourquoi je désirais passionnément les honneurs ; et d’autant qu’il me semblait meilleur de commander que d’obéir, j’ai désiré l’épiscopat.

Le jeune évêque demanda encore : Pourquoi n’honoriez-vous votre siège par l’honneur du monde ? Pourquoi n’avez-vous acquis des richesses par la sagesse du monde ? Pourquoi ne les avez-vous pas dépensées et départies selon l’honneur du monde ? Pourquoi vous étiez-vous tellement abaissé extérieurement, et n’alliez plutôt selon les ambitions du monde ?

L’ancien répondit : Je n’ai pas dressé mon siège avec les honneurs du monde, parce que je m’attendais à être plus honoré, si j’apparaissais humble et spirituel, que temporel et mondain. Et parce qu’il me semblait être loué des mondains, je faisais semblant de mépriser tout ; mais afin d’être aimé des hommes spirituels, j’apparaissais humble et dévot. C’est pourquoi je n’ai pas acquis des richesses avec la sagesse mondaine, de peur que les hommes spirituels ne me marquassent ambitieux et me méprisassent à raison des choses temporelles. Je n’ai pas aussi donné de grands présents, attendu que je me plaisais plus à être avec ceux qui peuvent donner un peu qu’avec ceux qui peuvent donner beaucoup, et me plaisais plus à avoir mes trésors dans mes coffres que les départir de ma main.

De plus, le jeune évêque lui demande : Dites-moi : pourquoi avez-vous donné à l’âne un breuvage doux et délectable, tiré du vase immonde et corrompu ? Pourquoi avez-vous donné à l’évêque les cosses des fèves, tirées des auges des pourceaux ? Pourquoi avez-vous foulé aux pieds votre couronne ? Pourquoi avez-vous craché le blé et avez-vous mâché la zizanie ? Pourquoi avez-vous délié les autres et vous êtes-vous lié vous-même ? Pourquoi avez-vous appliqué aux plaies d’autrui des médicaments salutaires, et aux vôtres des médicaments mortels ?

L’ancien répondit : J’ai donné à l’âne une boisson douce d’un port corrompu et méprisé, d’autant qu’étant homme savant, je me plaisais plus à administrer les saints et augustes sacrements, surtout celui de l’autel, pour l’honneur du monde, que de vaquer au soin de siècle ; et par cela, les choses occultes de mon cœur étaient inconnues aux hommes et connues de Dieu ; je m’en suis rendu superbe et ai augmenté les justes et horribles jugements de Dieu. Quant au deuxième, je dis que j’ai donné à l’évêque les cosses de l’auge des pourceaux, parce que je versais en moi les allumettes de la lubricité, et les accomplissais, et je n’étais constant à les éteindre et à les retenir. Au troisième, je réponds : J’ai foulé aux pieds ma couronne, attendu que je me plaisais plus à faire miséricorde pour les faveurs des hommes, que justice pour l’honneur et l’amour de Dieu.

Au quatrième, je dis : J’ai craché le blé et mâché la zizanie, car je ne disais pas mes paroles par un mouvement d’amour de Dieu, ni ne me plaisais pas à faire ce que je disais aux autres.
Au cinquième je dis que je déliais les autres et me liais moi-même, quand je donnais l’absolution à ceux qui venaient à moi avec contrition; et ce qu’ils pleuraient en faisant pénitence, et laissaient en pleurant, c’est cela même qu’il me plaisait et délectait de commettre.

Je réponds au sixième : J’oignais les autres d’un onguent salutaire, et moi-même, d’un onguent mortel, car en enseignant aux autres la pauvreté de la vie, j’amende les autres et me suis moi-même rendu pire, car ce que je commande aux autres, je ne l’ai pas voulu toucher avec le doigt ; et d’où je voyais profiter les autres, c’est de là même qu’en défaillant j’ai séché d’envie, attendu que je me plaisais plus à aggraver le faix de mes péchés qu’à l’alléger.

Après tout cela, ouït une voix qui disait : Rendez grâces à Dieu que vous ne soyez avec ces vases vénéneux qui, en se cassant, s’en vont au même venin. Et soudain on annonça que l’un des deux était mort.

La Sainte Vierge Marie parle à sa fille, recommandant la vie et l’ordre de saint Dominique. Manière dont il se convertit à la fin de ses jours à la Sainte Vierge. Comment, dans les temps modernes, peu de ses frères suivront le signe de la passion de Jésus-Christ que saint Dominique leur avait donné ; et plusieurs s’en vont, ce signe étant ôté, à celui que le diable leur a offert.

CHAPITRE 17

La Sainte Mère de Dieu parle encore de nouveau à l’Épouse de Jésus : je vous parlai hier de deux qui étaient de la règle de saint Dominique. Certes, saint Dominique a eu mon Fils pour son cher Seigneur, et m’a aimée, moi qui suis sa Mère, plus que son cœur. Satan inspira à ce saint trois choses du monde qui déplaisent à mon Fils, savoir : la superbe, la cupidité et la concupiscence de la chair. Pour la diminution de ces trois vices, saint Dominique impétra avec de grands soupirs le secours et le médicament.

Dieu, ayant compassion de ses larmes, lui inspira la loi et la règle de bien vivre, en laquelle ce saint établi trois biens contre ces trois maux, car contre le vice de la concupiscence, il institua la pauvreté, de sorte qu’on ne peut rien posséder sans licence de son prieur. Contre la superbe, il ordonna qu’on porterait un habit humble et simple ; et contre les insatiables gouffres de la chair, il mit l’abstinence et le temps propre pour se régler et se contenir. Il créa aussi un prieur pour les frères, pour les contenir en paix et les entretenir en l’union.

Apres, voulant donner quelque signe spirituel à ses frères, il imprima comme une croix spirituelle et rouge en leur bras gauche auprès du cœur, pour la doctrine, et efficace de sa doctrine et de son exemple, quand il les avertit de se souvenir continuellement de la passion de Notre-Seigneur, de prêcher avec ferveur la parole de Dieu, non pour l’honneur du monde, mais pour l’amour de Dieu et l’utilité des âmes. Il leur enseigna d’ailleurs d’obéir plus que de commander, de fuir sa propre volonté, de souffrir patiemment les injures, et de ne désirer autre chose que la vie et le vêtement ; d’aimer de tout son cœur la vérité et de la proférer par parole ; de ne chercher point la louange, mais d’avoir incessamment la parole de Dieu en la bouche, de l’enseigner et de ne la laisser par honte, ni de la prêcher pour les faveurs humaines.

Le temps de son départ s’approchant, que mon Fils lui avait révélé, il s’en vint à moi, sa Mère, avec larmes, disant : O Marie, Reine du ciel, que Dieu a élue pour soi par-dessus les autres, pour unir sa Déité et son humanité, vous êtes cette Vierge singulière et très digne Mère ; vous êtes cette très puissante, de laquelle la puissance même est née ; oyez-moi qui vous prie, car je sais que vous êtes cette très puissante, de laquelle la puissance même est née ; oyez-moi qui vous prie, car je sais que vous êtes très puissante, c’est pourquoi j’espère en vous.

Recevez mes frères, que j’ai nourris et fomenté sous mon scapulaire, quoique petit, et défendez-les sous l’étendue et l’ampleur de votre manteau ; régissez-les et les réchauffez, de peur que l’ennemi ne les surmonte et ne dissipe cette nouvelle vigne que la dextre puissante de votre Fils a plantée. Qu’est-ce que je marque autre chose par mon scapulaire étroit, qui est partie devant, partie derrière, si ce n’est deux considérations que j’ai eues envers mes frères ? De fait, je priais nuit et jour pour eux, afin qu’ils servissent Dieu d’une raisonnable et louable tempérance. Je priais afin qu’ils ne désirassent rien du monde qui offense Dieu, ou qui ternisse l’éclat de l’humilité et de la piété devant le prochain. Maintenant donc que le temps de ma récompense s’approche, je vous commets mes enfants : enseignez-les donc comme mes enfants ; portez-les comme mère. Et en disant ces paroles, Dominique est appelé à la gloire de Dieu.

Je lui répondis en telle sorte, parlant comme en similitude : O Dominique, mon ami et mon bien-aimé ! d’autant que vous m’avez plus aimée que vous-même, ayant ôté mon manteau, je défendrai et gouvernerai vos enfants, et tous ceux qui persévéreront en votre règle seront sauvés. Mon manteau large et ample est ma miséricorde, que je ne dénie à aucun qui la demande heureusement ; mais tous ceux qui la cherchent sont protégés et défendus dans le sein de ma miséricorde.

Mais que croyez-vous, dit la Sainte Vierge Marie à sainte Brigitte, que la règle de saint Dominique soit ? certainement, humilité, continence et mépris du monde, car tous ceux qui prennent ces trois choses, et en persévérant , s’aiment, ne seront jamais damnés ; et ceux-là sont ceux qui tiennent et gardent la règle de saint Dominique. Mais oyez une merveille. Saint Dominique a recommandé ses frères sous la latitude et l’étendue de mon manteau, et voici que maintenant il y en a moins sous mon manteau large et ample, qu’il n’y en avait alors sous son scapulaire étroit ; ni voire du temps de saint Dominique, tous n’eurent point la laine de brebis ni les mœurs d’un Dominique.

Je vous montrerai mieux leurs mœurs par un exemple. Si saint Dominique descendait du haut du ciel, où il est, et disait au larron qui est sorti de la vallée, et considère les brebis pour les tuer et les perdre : Pourquoi appelez-vous mes brebis et les cachez, lesquelles je connais être miennes par des signes très évidents? Le larron pourrait répondre : Pourquoi, ô Dominique, approchez-vous des brebis qui ne vous appartiennent point ? car quand on fait une violente subreption, on s’attribue alors ce qui appartient à autrui.

Si vous voulez dire que Dominique les a nourries, domptées, conduites et enseignées, vous vous trompez, car le larron dira : Si vous les avez nourries et enseignées, je les ai retirées de vous en les alléchant doucement à leur propre volonté. Que si vous mêliez l’austérité avec la douceur, moi je les alléchais avec plus d’attrait, et leur montrais ce qui les délectait davantage ; et voici que plusieurs courent à ma pâture et à ma voix plus qu’à la vôtre.

Partant, les brebis qui me suivent avec plus de ferveur, je les tiens pour miennes, d’autant qu’elles ont le libre arbitre de suivre celui qui les allèche. Saint Dominique répond derechef que ses brebis sont marquées du sceau rouge dans le cœur. Le larron dire : Mes brebis aussi sont marquées du signe de retranchement, et à l’oreille droite. Et d’autant que mon signe est plus évident et plus manifeste que le vôtre, c’est pourquoi je les connais mieux.

Ce larron est le diable, qui a amené plusieurs brebis de saint Dominique dans son bercail, qui sont incisées en l’oreille droite, car elles n’entendent point les paroles de vie qui disent : La voie qui conduit au ciel est étroite, mais font et écoutent avec plaisir et délectation celles qui leur plaisent et qu’il leur plaît d’accomplir. Or, il y a peu de brebis du bercail de saint Dominique qui aient le signe rouge dans leur cœur, qui considèrent la passion de Notre-Seigneur, qui prêchent avec ferveur la parole de Dieu, et qui mènent une vie heureuse en chasteté et pauvreté. Car telle est la règle de saint Dominique, comme on a accoutumé de dire par une maxime ordinaire : Porter tout avec soi. Ne vouloir rien posséder, sinon ce que la règle permet, et non seulement laisser ce qui est superflu, mais aussi s’abstenir quelquefois des choses mêmes licites et nécessaires, pour tempérer et arrêter les mouvements de la chair.

La Sainte Vierge parle à sa fille sainte Brigitte, lui disant que les Frères entendraient plutôt la voix du diable ( voire maintenant ils l’écoutent), que celle de leur Père saint Dominique. Comment il y en a maintenant peu qui imitent ses vestiges, d’autant qu’ils désirent l’épiscopat pour les honneurs du monde, pour leur repos et pour leur liberté, et ne sont point en la règle de saint Dominique. De la terrible sentence qui est fulminée contre ceux-là , et de l’expérience de la damnation pour avoir désiré l’épiscopat.

CHAPITRE 18

La Sainte Vierge Marie, Mère de Dieu, parlant à l’épouse, lui dit : Je vous ai dit que tous ceux qui sont en la règle de saint Dominique sont sous la protection de mon manteau. Maintenant, vous oirez quels y sont. Si saint Dominique descendait maintenant du lieu des délices dont il jouit maintenant, il crierait de la sorte : O mes très chers frères ; suivez-moi, car vous sont réservés quatre sortes de biens : l’honneur pour l’humilité ; les richesses permanentes pour la pauvreté ; les plaisirs qui vous satisferont sans dégoût, pour la continence, et la vie éternelle, qu’on ne peut ouïr ni comprendre, pour le mépris du monde.

Mais au contraire, le diable monte soudain de la vallée, et leur promet quatre autres choses dissemblables. Dominique, dit-il, vous a promis quatre choses. Regardez-moi. Je vous montrerai avec la vue ce que vous désirez, car voici que je vous offre l’honneur ; j’ai les richesses en main ; ma volupté est toute prête, le monde sera plaisant pour en jouir. Prenez donc ce que je vous offre ; servez-vous des choses qui vous sont certaines ; vivez avec joie, afin que vous vous réjouissiez aussi après la mort.

Si ces deux différentes vois criaient maintenant au monde, plusieurs courraient plus a la voix du diable, larron infernal, qu’à la voix de saint Dominique, mon grand ami, si parfait et si excellent. Mais que dirai-je des frères de saint Dominique ? Certainement, il y en peu qui soient en l’observance de la règle, et il y en a moins qui, l’imitant, suivent ses pas, car tous n’entendent pas la même voix, d’autant que tous n’ont pas les mêmes sentiments, non pas que tous ne soient de Dieu, et que tous ne se puissent sauver, s’ils voulaient, mais parce que tous n’entendent pas la voix de Dieu qui dit, en se donnant soi-même : Venez à moi, et je vous soulagerai.

Mais que dirai-je de ces Frères qui, pour l’amour de monde, désirent l’épiscopat ? Sont-ils point dans la règle de saint Dominique ? non. Ou bien, ceux qui acceptent l’épiscopat pour une cause raisonnable, sont-ils excusés de la règle de saint Dominique ? non certainement, car saint Augustin vécut régulièrement avant l’épiscopat et en l’épiscopat ; il ne laissa point la vie régulière, bien qu’il montât à un plus grand honneur, car il prit cet honneur y étant contraint, non pas pour le repos, mais pour le plus grand honneur de Dieu, d’autant qu’il voyait qu’il pouvait profiter aux âmes.

Il renonça librement à sa propre volonté et au repos de la chair pour l’amour de Dieu et pour lui en gagner plusieurs. Partant, ceux qui désirent et reçoivent l’épiscopat pour plus profiter aux âmes, ceux-là sont en la règle de saint Dominique, et leur récompense sera double, tant parce qu’ils se sont sevrés de la douceur de la règle, que pour la charge épiscopale à laquelle ils sont appelés. Partant, moi, la Vierge Marie, je jure sur Dieu, sur lequel juraient les prophètes sans impatience, mais parce qu’ils avaient reçu Dieu en témoignage de leur parole, de même maintenant, je jure sur le même Dieu qu’il viendra à ces frères qui ont méprisé la règle de saint Dominique, comme un chasseur puissant avec ses chiens affamés.

Comme si le serviteur disait à son seigneur : Plusieurs brebis sont entrées en votre jardin, dont la chair est empoisonne, la laine entortillée de vilenie, le lait inutile, et qui sont trop insolentes en lasciveté. Commandez qu’elles soient tuées, dit-il, de peur que les pâturages ne manquent aux bonnes brebis, et qu’elles ne soient troublées par l’insolence des mauvaises ; à qui le seigneur répondrait : Fermez les avenues, afin qu’aucune n’y entre, sinon celles qui me duisent et me contentent ; et il est expédient qu’elles soient nourries et repues, puisqu’elles sont honnêtes et pacifiques. De même, je vous dis qu’en premier lieu, on ferme quelques avenues, mais non pas toutes. Après, le chasseur viendra avec ses chiens, qui ne leur épargnera point les sagettes et les traits pour blesser leurs corps, jusqu’à ce qu’elles meurent misérablement. Après viendront les gardiens, qui les considéreront attentivement, et verront quelle espèce de brebis il faut admettre aux pâturages de Dieu.

L’épouse répondit : O Dame, né vous indignez pas si je vous demande une chose. Quand le pape mitige l’austérité de leur règle, sont-ils à reprendre, s’ils mangent de la viande ou bien ce qu’on leur présente ?

La Mère de Dieu repartit : Le pape, considérant l’infirmité de la nature humaine, et les défauts que quelques-uns lui ont proposés et représentés, leur a permis raisonnablement de manger de la chair, afin qu’ils fussent plus forts, plus disposés et plus fervents pour prêcher et travailler, non pas afin qu’ils fussent plus lâches et paresseux ; c’est pourquoi nous excusons le pape de cette permission.

L’épouse lui demanda encore : Saint Dominique a institué qu’on aurait des vêtements, non pas des étoffes les meilleures ni des plus viles, mais des moyennes : ne sont-ils pas répréhensibles, ceux qui se servent des meilleures ?

La Mère de Dieu répondit : Saint Dominique, qui a été la règle de l’esprit de mon Fils, commanda que les vêtements seraient, non des étoffes douces, molles et belles, de peur que les religieux ne fussent repris et affectassent la beauté et la valeur de l’habit, et qu’ainsi ils se rendissent superbes. Il a aussi institué que leurs habits ne fussent pas aussi de très-vile étoffes, de peur qu’ils ne s’inquiétassent à raison de leur dureté, quand ils voudraient prendre leur sommeil après le travail ; mais il ordonna que les habits seraient moyens, tempérés, et pour la nécessité, de sorte qu’il ne se trouvât en eux aucun sujet de superbe ni de vanité, mais qu’ils ne fussent munis pour l’avancement de la vertu. C’est pourquoi nous louons saint Dominique en son institution, mais nous reprenons ses frères, savoir, ceux qui transforment leur habit en vanité, et non à l’utilité.

L’épouse sainte Brigitte demanda derechef. Ces frères, qui édifient à votre Fils de hautes et somptueuses églises, ne sont-ils pas répréhensibles ? Ou doivent-ils être vitupérés et jugés, si, pour édifier de tels bâtiments, il faut qu’ils mendient beaucoup ?

La Mère de Dieu répondit : Quand l’église est si large qu’elle contient ceux qui y viennent ; quand les murailles sont si hautes qu’elles ne nuiront à ceux qui y sont, ni les serreront ; quand l’épaisseur est si forte que le vent ne les croulera pas ni les fera tomber ; quand le toit est si bien et fermement agencé qu’il n’y a point de gouttières, il suffit d’en édifier de la sorte, car un cœur humble en une église humble et petite, plaît plus à Dieu que de hautes murailles, où les corps sont au dedans et les cœurs sont au dehors. C’est pourquoi ils n’ont point affaire d’entasser dans leurs coffres de l’or et de l’argent pour les édifices superbes, car il ne profita rien à Salomon d’avoir bâti des édifices si somptueux, puisqu’il négligea d’aimer celui pour qui il l’avait fait édifier.

Ces choses étant dites et ouïes, soudain l’évêque ancien, qu’on a dit mort ci-dessus, cria, disant : Hélas ! hélas ! on a ôté la mitre, et ce qui était caché dessous paraît. Où est maintenant cet évêque si honorable ? où est ce prêtre si vénérable ? où est ce pauvre Frère ? Certainement, l’évêque n’y est plus, qui a été oint d’huile pour l’office apostolique et pour la pureté de vie ; il demeure comme un cerf enlaidi de pourriture. Le prêtre qui a été consacré par des paroles saintes, afin qu’il changeât le pain inanimé, est mort en Dieu vivifiant ; mais le traître fallacieux demeure, qui a vendu pour la cupidité celui qui nous a tous rachetés par charité. Le pauvre frère n’y est plus, qui avait renoncé au monde avec jurement. Mais hélas ! maintenant je suis contraint de dire la vérité : ce juste juge qui m’a jugé, eut mieux aimé me délivrer par sa mort amère qu’il souffrait alors en croix ; mais la justice à laquelle il ne pouvait contrevenir, s’opposait à ce que je fusse jugé de la sorte, comme j’expérimente maintenant à raison de mes fautes.

Réponse de l’épouse à Jésus-Christ. Pourquoi elle est agitée de pensées inutiles et extravagantes ; comment elle ne les peut point repousser. Réponse de Jésus-Christ à l’épouse. Pourquoi il les permet. De la grande utilité des pensées : les ayant en détestation, crainte avec discrétion, elles servent à mérites et à couronnes. Comment on ne doit point négliger les péchés véniels, de peur qu’ils ne nous induisent aux péchés mortels.

CHAPITRE 19

Le Fils de Dieu éternel parle à son épouse, lui disant : Pourquoi vous troublez-vous et êtes-vous en anxiété ? Elle répondit : D’autant que je suis grandement assaillie d’un monde de diverses et inutiles pensées, lesquelles je ne puis chasser ; et d’ouïr parler de vos terribles jugements me trouble.

Le Fils de Dieu répondit : Celle-ci en est la vraie justice, que, comme vous vous plaisiez auparavant aux affections du monde contre ma volonté, de même maintenant je permets que diverses pensées vous importunent contre votre volonté. Néanmoins, craignez avec discrétion, et confiez-vous fortement en moi, votre Dieu, sachant pour certain que quand la volonté ne prend point plaisir dans les pensées de péché, mais les repousse en les détestant, elles servent à l’âme de purification et de couronne.

Or, si vous vous plaisez à faire quelque petit péché que vous connaissiez être péché, et le faites, vous confiant en l’abstinence et en la présomption de la grâce, n’en faisant point pénitence ni autre satisfaction, sachez qu’il vous dispose au péché mortel. Partant, s’il arrive en votre volonté quelque délectation de péché, quelle que ce soit, considérez soudain à quoi elle tend, et repentez-vous-en, car depuis que la nature a été débilitée par le péché, on pèche plus souvent, car il n’y a point homme qui ne pèche au moins véniellement.

Mais Dieu, tout miséricordieux, a donné à l’homme pour remède la vraie contrition de tous les péchés, voire même de ceux que nous avons amendés, de peur qu’ils ne soient pas bien amendés, car Dieu ne hait rien tant que le péché, et l’endurcissement de ceux qui n’ont soin de le quitter et qui présument sur les mérites d’autrui, sans vouloir faire de bonnes œuvres, comme s’il ne pouvait être honoré sans eux ; et partant qu’il vous permettra de faire quelque mal , puisque vous faites plusieurs biens, vu même quand vous en feriez mille pour chaque péché, vous ne sauriez compenser un des moindres maux, ni ne sauriez satisfaire à Dieu, à l’amour qu’il vous a porté et à la bonté qu’il vous a communiquée. Que si vous ne pouvez éviter les pensées, supportez-les pour le moins patiemment, et efforcez-vous d’aller volontairement contre elles, car vous ne serez pas damnée à cause d’elles, bien qu’elles entrent en votre esprit, attendu que vous ne leur pouvez défendre l’entrée, mais bien la délectation.

Craignez aussi, bien que vous n’y consentiez pas, que la superbe ne soit cause de votre chute, car tout homme qui subsiste sans tomber, subsiste en la vertu du seul Dieu. Partant, la crainte est une introduction au ciel, car plusieurs sont tombés dans les précipites et en la mort pour avoir abandonné la crainte, et ont eu honte de confesser là leurs péchés devant les hommes, où ils n’avaient eu vergogne de les commettre devant Dieu : C’est pourquoi ils ne se soucient point de demander pardon pour un petit péché.

Je dédaignerai aussi de relâcher et de pardonner leur péché, et de la sorte, les péchés étant augmentés par les actes, ce qui était rémissible par la contrition et était véniel, est grave par le mépris, comme vous pouvez voir en cette âme maintenant jugées, car après avoir commis quelque chose vénielle et rémissible, elle l’augmentait par la coutume, se confiant de quelques siennes bonnes œuvres, ne considérant pas que je jugeais les choses petites ; et ainsi l’âme, étant enveloppée en iceux par la coutume qu’elle avait aux délectations déréglées, ne les a pas corrigées, ni n’a pas réprimé la volonté du péché, jusqu’à ce qu’elle a vu le jugement aux portes, et que la dernière période de sa vie s’approchait ; c’est pourquoi, la fin s’approchant, sa conscience s’embrouilla soudain misérablement, et était marrie de mourir sitôt, craignant de se séparer de ce peu de temporel qu’elle aimait, car Dieu souffre et attend l’âme jusqu’au dernier point, parce que, par aventure, elle voudrait quitter sa volonté libertine qu’elle a eu l’affection du péché : mais d’autant que la volonté ne se corrige point, c’est pourquoi l’âme est tourmentée sans fin.

Le diable, sachant en effet qu’un chacun est jugé selon sa conscience et selon la volonté, s’efforce principalement à la fin de donner des illusions à l’âme pour d’écarter de la droite intention, ce que Dieu permet, car l’âme n’a pas voulu veiller sur elle quand elle le devait.

D’ailleurs, ne vous confiez et présumez pas trop, si j’appelle quelqu’un ami et serviteur, comme j’ai appelé ce juge autrefois, car aussi Judas a été nommé mon ami, et Nabuchodonosor serviteur, car comme j’ai dit : Vous êtes mes amis, si vous faites ce que je vous commande, maintenant, je parle en cette sorte : Ceux-là sont mes amis qui m’imitent, et ceux-là mes ennemis qui me poursuivent et méprisent mes commandements et moi-même. Mais quoi ! David, après que j’eus dit qu’il était selon mon cœur, ne commit-il pas un homicide ? Salomon, à qui des choses si merveilleuses ont été données et promises, ne s’est-il pas retiré de ma bonté ? Et les promesses n’ont pas été accomplies en lui à raison de son ingratitude, mais seulement en moi, Fils de Dieu.

Partant, comme ne ce que vous dites, vous mettez cette clause : finalement, de même, moi, j’aime la même la clause en mes paroles. Si quelqu’un fait ma volonté et quitte son héritage, il aura la vie éternelle. Or, celui qui l’oira et ne persévèrera à la faire, sera comme un serviteur inutile et ingrat. Mais vous ne devez pas vous défier, si j’appelle quelqu’un ennemi, car soudain qu’il aura changé sa volonté au bien, il sera mon ami. Judas n’était-il pas un des douze, quand je dis : Vous êtes mes amis, qui m’avez suivi, et serez assis sur les douze sièges ? Certainement lors Judas me suivait ; il ne sera pas pourtant assis avec les douze.

Comment donc sont accomplies les paroles de Dieu ? Je réponds : Dieu, qui voit les volontés et sonde les cœurs des hommes, juge selon qu’il voit au visage. Partant, de peur que le bon ne s’enorgueillisse ou que le méchant se défie, Dieu appela à son apostolat les bons comme les mauvais, et chaque jour, il appelle aux dignités aussi bien les bons que les mauvais, afin que celui qui obtient en sa vie un bénéfice, se glorifie en la vie éternelle. Or, celui qui a de l’honneur sans charge, qu’il se glorifie pour quelque temps, puisqu’il périra éternellement.

Partant, d’autant que Judas ne me suivait pas d’un cœur parfait, ces mots : Qui secuti esti me, qui m’avez suivi, ne furent point pour lui, attendu qu’il ne persévéra point jusqu’à la récompense, mais seulement étaient pour ceux qui devaient persévérer, tant pour ceux qui étaient alors que pour ceux qui étaient à venir. Car Dieu, à la présence duquel sont toutes choses, parle quelquefois en temps présent bien que cela appartienne au futur, et parle des choses qui sont à faire comme des choses faites ; quelquefois aussi, il mêle le passé avec le futur, et se sert du passé pour le futur, afin qu’aucun n’ose examiner le conseil de l’immuable et auguste Trinité.

Écoutez encore une parole : Plusieurs sont appelés et peu élus : de même celui-ci est appelé à l’épiscopat, mais n’est pas élu, car il est ingrat aux grâces de Dieu. Partant, il a seulement le nom d’évêque ; et parce qu’il dégénère, il sera à bon endroit nombré entre ceux qui descendent et non entre ceux qui montent.

ADDITION

Le Fils de Dieu parle à sa fille sainte Brigitte et lui dit : Vous admirez pourquoi l’autre évêque a eu si belle fin, et l’autre une fin si horrible, car une muraille tombant l’écrasa ; il vécut peu encore, et ce peu avec une grande douleur. Je réponds à vos admirations.

L’Écriture dit, je dis moi-même que le juste, de quelque mort qu’il meure, est toujours juste devant Dieu. Mais les hommes du monde réputent justes ceux-là qui ont une belle fin et meurent sans douleur et sans honte. Mais Dieu dit : Celui-là est juste qui est éprouvé par une longue abstinence, ou bien qui est affligé pour la justice, car les amis de Dieu sont affligés en ce monde, afin de l’être moins en l’autre et pour une plus grande couronne au ciel. Car saint Pierre et saint Paul sont morts pour la justice, mais saint Pierre, d’une mort plus amère que celle de saint Paul, car il a plus aimé la chair que saint Paul ; et d’autant qu’il a eu la primauté de l’Église, il devait donc aussi ce conformer à moi par une mort plus amère. Mais d’autant que saint Paul a plus aimé la continence et qu’il a plus labouré comme un généreux soldat, il est mort par le glaive, d’autant que je dispose toutes choses selon les mérites et selon la mesure.

Partant, au jugement de Dieu, ce n’est pas la fin ou la mort contemptible qui couronne, mais bien l’intention, la volonté des hommes, et la cause pourquoi on souffre. Il en est de même de ces deux évêques, car l’un endurait une peine amère et une mort méprisable et contemptible. Cela lui a été à moindre peine, bien que non pas à une plus grande gloire, car il n’endurait pas d’une bonne volonté. Quant à ce que l’autre a obtenu une fin glorieuse, cela est arrivé par les secrets de ma justice, mais non pas pour les récompenses éternelles, car il n’a pas corrigé ses volontés tandis qu’il vivait.

La Sainte Vierge, Mère de Dieu, parle à sa fille, lui montrant comment par le talent, sont désignés les dons du Saint-Esprit. Manière dont saint Benoît multiplie en soi les dons du Saint-Esprit, et par quels moyens le Saint-Esprit et le malin esprit entrent en l’âme de l’homme.

CHAPITRE 20

C’est la Mère de Dieu qui parle à sainte Brigitte : Ma fille, il est écrit que celui qui avait reçu cinq florins, en avait gagné cinq autres. Qu’est-ce autre chose, un talent, sinon le don du Saint-Esprit ? car les uns reçoivent la science, les autres les richesses, les autres la familiarité des riches, et néanmoins, tous doivent rapporter à leur maître un double lucre, savoir : de la science, en vivant utilement pour soi et en instruisant les autres ; des richesses et autres dons, en usant raisonnablement et en aidant miséricordieusement les autres.

Ce bon abbé saint Benoît en fit de la sorte : il multiplia le don de grâce qu’il avait reçu, quand il méprisa tout ce qui était passager ; quand il contraignit la chair de servir à l’esprit ; quand il ne préféra rien à la charité divine ; que voire même, craignant que ses oreilles ne fussent tachées des paroles vaines, ses yeux souillés par la vue des choses délectables, il s’enfuit au désert, imitant celui qui, n’étant pas né encore, en tressaillant de joie entre les flancs de sa mère, connut l’avènement de son Sauveur très-pieux et très-clément.

En vérité, saint Benoît eut bien obtenu le ciel sans le désert, car le monde était mort pour lui, et son cœur était tout plein de Dieu. Mais il plut à Dieu d’appeler saint Benoît à la montagne ; afin qu’étant connu de plusieurs, plusieurs fussent incités par son exemple à la perfection de la vie. Le corps de ce saint était comme un sac de terre dans lequel était caché le feu du Saint-Esprit, qui chassa de son cœur le feu diabolique : car comme le feu corporel s’allume de deux choses, de l’air et du souffle de l’homme, de même le Saint-Esprit entre en l’âme de l’homme, ou par l’inspiration personnelle, ou bien par quelque opération humaine, ou locution divine, qui excite l’esprit à Dieu. De même l’esprit diabolique visite les siens, mais d’une manière incomparablement différente, car le Saint-Esprit échauffe l’âme pour rechercher Dieu, mais il ne la brûle pas charnellement.
Il luit et éclate en la modestie pure, et la malice n’offusque point l’esprit ; mais l’esprit du diable brûle le cœur et l’excite aux choses charnelles, et les rend intolérablement amères, offusque l’esprit par l’inconsidération de soi-même, et le déprime entièrement à terre.

Partant, afin que ce bon feu qui était en saint Benoît embrassât plusieurs, Dieu l’appela à la montagne ; et ayant appelé à soi plusieurs étincelles, il ne fit, par l’Esprit de Dieu, un grand feu, et leur composa la règle de l’Esprit de Dieu, par le moyen de laquelle plusieurs ont été parfaits comme saint Benoît. Or, maintenant, plusieurs flambeaux jetés de ce grand feu caché, sont dispersés partout, ayant pour la chaleur le froid, pour la lumière les ténèbres. Que s’ils s’assemblaient dans ce feu, ils donneraient et enverraient des flammes et des chaleurs partout.

La Sainte Vierge Marie parle à sa fille sainte Brigitte, montrant par exemple les magnificences et les perfections de la vie de saint Benoît. Comment l’âme fructueuse au monde est marquée et figurée par l’arbre infructueux, l’orgueil de l’esprit par le caillou. De trois étincelles grandement notables, tirées du cristal, du caillou et de l’arbre.

CHAPITRE 21

La sainte Mère de Dieu parle à sainte Brigitte, disant : Je vous ai dit ci-dessus que le corps de saint Benoît était comme un sac, qui était discipliné et gouverné et ne gouvernait pas. Enfin, son âme était comme un ange qui a donné de soi une grande chaleur et embrasement, comme je vous le montre par un exemple. Par exemple, s’il y avait trois feux, et si l’un de ces feux était allumé en la myrrhe, il donnerait de soi l’odeur de suavité ; le deuxième, s’il était allumé au bois vert, donnerait de soi des charbons ardents et une splendeur éclatante ; le troisième, s’il était allumé à l’olivier, donnerait de flammes de lumière et de chaleur.

Par ces trois feux j’entends trois sortes de personnes, et par ces personnes, trois états au monde. Le premier état était de ceux qui, ayant considéré l’amour et la charité de Dieu, ont renoncé à leur propre volonté entre les mains d’autrui ; qui ont pris, au lieu de la vanité et superbe du monde, la pauvreté et l’abjection ; qui, au lieu de l’intempérance, ont aimé la continence et la pureté. Ceux-ci ont eu le feu dans la myrrhe.

Car comme l’amertume de la myrrhe chasse les démons, étanche la soif, de même leur abstinence est amère au corps, éteint la concupiscence déréglée et affaiblit toute la puissance des diables. Le second est de ceux qui ont telles pensées :
Pourquoi aimons-nous les hommes du monde, qui n’est autre chose qu’un air qui bat les oreilles ? Pourquoi aimons-nous l’or, puisque ce n’est que terre rouge ? Or, quelle est la fin de la chair, sinon pourriture et feu ? que nous profite-t-il de désirer les choses terrestres, puisque toutes sont vanité ? Partant, nous ne voulons vivre pour autre fin, ni travailler à autre intention, qu’afin que Dieu soit honoré en nous, et afin que les autres s’allument du feu de l’amour divin par nos paroles et par nos exemples.

Ceux-ci eurent le feu au bois vert, car l’amour du monde a été mort en eux, et un chacun d’eux donnait des charbons ardents de justice, d’éclat d’une prédication divine. Le troisième état était de ceux qui, étant fervents en la passion de Jésus-Christ, désiraient de tout leur cœur de mourir pour Jésus-Christ : ceux-ci ont eu leur feu en l’olivier, car comme ce bois jette, quand il brûle, de la graisse grandement chaude, de même ceux-ci ont été engraissés de la grâce divine, par le moyen de laquelle ils ont puisé et donné la lumière de la divine science, l’ardeur d’une charité fervente et la force d’une honnête conversation.

Ces trois feux se sont dilatés au loin et au large. Le premier de ces feux s’est allumé dans les ermites et les religieux, comme dit saint Jérôme, qui, inspiré du Saint-Esprit, a trouvé leurs vies admirables et inimitables. Le Deuxième a été allumé dans les confesseurs et les docteurs ; le troisième, dans les martyrs, qui ont méprisé leur vie pour l’amour de Jésus-Christ, et d’autres l’eussent méprisée, s’ils eussent obtenu de Dieu la grâce et le secours.

Saint Benoît a été envoyé à quelques-uns de ces feux et de ces états, lui qui unit trois feux en telle sorte que les aveugles étaient illuminés, les froids étaient échauffés, et les fervents rendu plus fervents. Et c’est en ces trois feux que la religion de saint Benoît commença, qui conduisait en la voie de salut et bonheur éternel un chacun, selon la disposition et la capacité de l’esprit d’un chacun.

Or, maintenant, comme du sac de saint Benoît s’exhalait la douceur du Saint-Esprit, par laquelle plusieurs monastères se renouvelaient, de même maintenant, du sac de plusieurs de ses frères se retire le Saint-Esprit, car la chaleur de la cendre est éteinte, et les flambeaux gisent dispersés, ne donnent ni chaleur ni splendeur, mais bien une fumée d’impureté et de cupidité.

Néanmoins, pour la consolation et le soulas de plusieurs, Dieu m’a donné trois étincelles, sous le nom desquelles j’entends un grand nombre : la première est tirée du cristal par la chaleur et la splendeur du soleil, qui s’est prise au bois sec, afin qu’elle fasse un grand feu. La deuxième est tirée d’un caillou fort dur. La troisième est tirée d’un bois infructueux qui a crû avec ses racines et a dilaté ses feuilles.

Or, par le cristal, qui est une pierre froide et fragile, est signifiée l’âme qui, bien qu’elle soit froide en l’amour de Dieu, s’efforce néanmoins d’aller à la perfection, et prie Dieu, afin qu’il la secoure. C’est pourquoi cette volonté la porte à Dieu, lui fait mériter que Dieu lui augmente les tentations, par lesquelles il la refroidit des tentations mauvaises, jusqu’à ce que Dieu, illuminant son cœur, s’arrête tellement en cette âme vide de volupté, qu’elle ne veut vivre désormais que pour l’honneur de Dieu. Par le caillou est marqué la superbe : qu’y a-t-il en effet de plus dur que la superbe de l’esprit de celui qui cherche et mendie les louanges de tous, et néanmoins désire patiemment d’être appelé humble et être estimé dévot ? Qu’y a-t-il de plus abominable que l’âme qui préfère ses pensées à toutes pensées, et ne veut être reprise de personne ni enseignée d’aucun ?

Vraiment, il y en a plusieurs qui, étant ainsi superbes, demandent humblement à Dieu qu’il arrache de leur cœur la superbe et l’ambition. C’est pourquoi Dieu ôte de leur cœur , leur bonne volonté coopérant, tout ce qui les empêche et les contrarie, leur donnant des choses douces par lesquelles ils sont retirés des choses du monde et excités aux choses célestes. Par l’arbre infructueux est signifiée cette âme qui, nourrie en la superbe, fructifie pour le monde, désire l’avoir et posséder l’honneur. Néanmoins, d’autant qu’il craint la mort éternelle, elle arrache force souches de péché, qu’elle perpétrait, n’était la crainte. Partant, Dieu s’approche de cette âme, à raison de cette crainte, et lui inspire sa grâce, afin que l’arbre inutile soit fructueux. C’est pourquoi l’ordre de saint Benoît, qui semble maintenant désolé et abject à plusieurs, doit être renouvelé avec telles étincelles.

La Sainte Vierge parle à sa fille sainte Brigitte du moine qui a le cœur vilain, et comment il a apostasié de la vie angélique, voire de Dieu, par sa propre volonté, concupiscence et subterfuges.

CHAPITRE 22

La Mère de Dieu parle à l’épouse de son Fils disant : Que voyez-vous en celui-ci qui soit répréhensible ? Elle répond : Je vois qu’il dit rarement la messe. Pour cela, dit la Mère de Dieu, il n’est pas à juger, car il y en a d’autres qui se souvenant de leurs actions, s’en abstiennent raisonnablement, et ils ne me sont pas moins agréables.

Mais voyez-vous quelque autre chose en lui? Je vois, dit-elle, qu’il n’a pas les vêtements que saint Benoît a institués. La Vierge Marie répondit : Il arrive souvent qu’une coutume commencée et suivie, ceux qui la savent être mauvaise et la suivent, sont répréhensibles. Mais ceux qui ignorent les louables institutions, et seraient contents des vêtements vils, si la coutume qui est de longtemps ne prévalait, tels ne sont pas facilement et méchamment à juger.

Mais écoutez, et je vous montrerai celui qui est répréhensible en trois autres choses : 1-d’autant qu’il a son cœur sali de vilaines pensées ; 2- il a laissé peu, et ardemment désiré beaucoup de ce qui est d’autrui ; il a promis de renoncer à soi-même et il suit sa propre volonté ; 3- Dieu ayant créé son âme belle comme un ange, qui partant devrait avoir une vie angélique, son âme est maintenant semblable à l’image de cet ange, qui, bouffi de superbe, apostasia. Celui-ci est grand devant les hommes, mais Dieu sait quel il est devant Dieu, car Dieu fait comme celui qui, ayant quelque choses cachées en son poing, le cache aux autres jusqu’à ce qu’il ouvre le poing, car il choisit le plus infirme du monde, et cache les couronnes en la vie présente, jusqu’à ce qu’il rendra à un chacun selon ses œuvres.

ADDITION

Cet homme fut un abbé trop séculier, ne se souciant des âmes ; il est mort soudain sans sacrements. Le Saint-Esprit en parle en ces termes : O âme, vous avez aimé la terre, la terre vous reçoit maintenant. Vous êtes mort à votre vie, et maintenant, vous n’avez pas ma vie, ni n’aurez pas participation avec moi, d’autant que vous avez aimé la société de celui qui est tombé de moi par sa superbe, et a méprisé la vraie humilité.

Dieu le Père répond aux prières que son épouse lui a faites pour les pêcheurs. Comment ils sont trois qui donnent témoignage en terre, comme trois au ciel, En quelle manière toute la sainte Trinité donne témoignage à l’épouse. Comment elle lui est épouse par la foi, et tous ceux qui ont la foi droite de l’Église.

CHAPITRE 23

O mon Dieu très-doux ! je vous prie pour les pécheurs, au nombre desquels je suis, afin que vous leur fassiez miséricorde.
Dieu le Père répondit : Je sais et j’ai ouï votre volonté ; c’est pourquoi votre oraison charitable sera accomplie. Partant, comme dit saint Jean en son épître aujourd’hui, voire moi-même par lui : Trois sont qui donnent témoignage en terre : l’esprit, l’eau et le sang ; et trois au ciel : le Père, le Fils et le Saint-Esprit ; aussi y a-t-il trois choses qui vous donnent un témoignage : car l’Esprit, qui vous a conservée aux entrailles de la mère, testifie à votre âme que vous êtes à Dieu par la foi du baptême, que vos parents ont professée de votre part.

L’eau du baptême vous témoigne que vous êtes fille de l’humanité de Jésus-Christ, par la renonciation et émendation de la première transgression. Le sang aussi de Jésus-Christ vous rend témoignage que vous êtes rachetée, que vous êtes fille de la Déité, et que vous êtes séparée de la puissance du diable par les sacrements ecclésiastiques.

Nous aussi, Père, Fils et Saint-Esprit, trois en personne, mais un en substance et puissance, nous vous rendons témoignage que vous êtes notre par la foi, et semblablement tous ceux qui imitent la foi droite de la sainte Eglise. Et en témoignage que vous voulez faire notre volonté, approchez-vous et recevez le corps et le sang de l’humanité de Jésus-Christ, afin que le Fils vous rende témoignage que vous êtes à celui de qui vous recevez le corps pour fortifiez l’âme.
Le Père, qui est dans le Fils, vous rend témoignage que vous êtes au Père et au Fils. Le Saint-Esprit vous rend aussi témoignage qu’il est dans le Père et le Fils, et que vous êtes à cette Trinité et unité par la foi vraie et la délectation amoureuse.

Jésus-Christ répond aux prières de l’épouse faites pour les infidèles, savoir, que Dieu est honoré de la malice des méchants, bien que non pas en vertu de leur mauvaise volonté, ce qu’il prouve par un exemple, auquel sont désignés l’Église, ou l’âme, par la Vierge ; les neuf ordres des anges par les neuf frères de la Vierge ; Jésus-Christ par le roi ; les trois états des hommes par les trois enfants du roi.

CHAPITRE 24

O mon Seigneur Jésus-Christ ! je vous prie afin que votre foi soi dilatée parmi les infidèles ; que les bons soient embrasés de plus en plus par les feux de votre amour, et que les méchants se convertissent.

Le Fils répondit : Vous vous troublez de ce que Dieu est moins honoré, et de ce que vous désirez que l’honneur de Dieu soit du tout accompli. Mais afin que vous entendiez que Dieu est honoré de la malice des méchants, quoique non en vertu d’icelle et de leur mauvaise volonté, je vous donnerai un exemple.

Il y avait une vierge sage, belle, riche et bien morigérée, qui avait neuf frères, un chacun desquels aimait sa sœur comme son cœur et leur cœur était dans le cœur de leur sœur. Or, dans le royaume où cette vierge était, il y avait une telle ordonnance et ordre que quiconque honorerait serait honoré, qu’on déroberait à qui aurait dérobé, et que qui violerait aurait la tête tranchée.

Le roi de ce royaume avait trois enfants, dont le premier aimait cette vierge. Celui-ci lui présenta des souliers dorés avec une ceinture dorée, un anneau en sa main et une couronne sur sa tête. Le deuxième désirait les possessions de la vierge, et les déroba. Le troisième désira la virginité d’icelle, faisant en sorte de la violer.

Or, ces trois enfants du roi sont pris par les neuf frères de la vierge et sont présentés au roi. Ils lui dirent : Vos enfants ont désiré notre sœur. Certainement, le premier l’a honorée et aimée de tout son cœur ; le deuxieme l’a dépouillée de tous ses biens, et le troisième eût donné volontiers sa vie pour la pouvoir violer. Or, ils ont été pris sur le fait au moment où ils voulaient accomplir leurs mauvais desseins.

Le roi, ayant ouï ces choses, dit : Tous sont mes enfants, et je les aime tous également. Néanmoins, je ne puis ni ne veux agir contre la justice, mais j’entends faire le même jugement de mes enfants que de mes serviteurs. Partant, vous, ô mon fils ! qui avez honoré cette vierge, venez et prenez l’honneur et la couronne avec votre père. Vous qui avez désiré et ravi les possessions de la vierge, vous entrerez en prison jusqu’à ce que vous ayez restitué ce que vous avez pris, car j’ai ouï que, vous en repentant, vous vouliez restituer ce que vous aviez pris. Mais d’autant que vous êtes prévenu de crime, et par un jugement inopiné, vous n’avez pas accompli votre restitution, vous entrerez en prison, jusqu’à ce que vous ayez satisfait jusqu’au moindre denier. Mais vous, ô mon fils, qui vous êtes efforcé autant que vous avez pu de violer la fille, et de fait, ne vous en êtes repenti, c’est pourquoi autant de manières que vous avez employées pour la déshonorer, en autant de manières votre peine s’augmentera.

Tous les frères de la vierge répondirent : Loué soyez-vous de votre justice, ô juge ! car s’il n’y eût eu de la vertu en vous, de l’équité en votre justice, de l’amour en votre équité, vous n’eussiez jamais jugé de cette sorte.

Or, cette vierge signifie la sainte Église, dont la disposition est excellente en la foi, belle en ses sacrements, louable en ses mœurs et vertus, aimable en ses fruits, d’autant qu’elle nous montre le vrai chemin pour aller à l’éternité. Cette sainte Eglise a comme trois enfants, auxquels sont compris plusieurs : ceux qui aiment Dieu de tout leur cœur sont le premier ; ceux qui aiment les choses temporelles pour leur honneur, sont le second ; ceux qui préfèrent leur volonté à Dieu sont le troisième. Les âmes des hommes créées de la puissance divine, sont la virginité de l’Église.

Le premier enfant présente des souliers dorés quand il s’excite à contrition pour les fautes commises, et pour ses lâchetés et ses négligences présentes. Il présente des vêtements, quand il médite et considère les préceptes de la loi, et garde autant qu’il peut les conseils évangéliques. Il donne une ceinture quand il propose de demeurer fermement en chasteté et continence. Il lui met un anneau à la main quand il croit ce que l’Église commande, savoir : le jugement futur et la vie éternelle. La pierre de l’anneau est l’espérance, qui fait constamment espérer qu’il n’y a péché, quelque abominable qu’il soit, qui ne soit effacé par la pénitence et par la ferme volonté de se corriger.

Il lui met une couronne sur la tête, quand il a une vraie charité. Car comme diverses pierres sont en la couronne, de même la charité contient diverses vertus. Or, le chef de l’Église ou de l’âme, c’est mon corps. Quiconque l’aime et l’honore est justement appelé fils de Dieu. Donc, quiconque aime en telle sorte la sainte Église et son âme, celui-là a neuf frères, c’est-à-dire, neuf chœurs des anges ; il sera leur compagnon et participera d’eux en l’autre vie éternelle, car ces anges embrassent d’un amour tout entier la sainte Église, comme si elle était au cœur d’un chacun ; car ce ne sont pas les pierres qui composent l’Église ni les murailles, mais bien les âmes des justes : C’est pourquoi ils se réjouissent de leur avancement, comme du leur propre.

Mais le deuxième frère, ou le fils, marque ceux-là qui, méprisant les ordonnances de l’Église, vivent selon l’honneur du monde et l’amour de la chair ; qui, changeant en eux l’éclat et la beauté de la vertu, vivent selon leur propre volonté ; néanmoins, ils s’en repentiront à la fin, et auront contrition de leurs actions mauvaises. Ceux-ci se doivent purifier, jusqu’à ce que, par les oraisons de l’Église et par les bonnes œuvres, ils soient réconciliés.

Le troisième fils signifie ceux qui, scandalisant leur âme, ne se soucient de périr éternellement pourvu qu’ils puissent assouvir leurs sales et brutales volontés. Contre ceux- là des neuf ordres des anges demandent justice et vengeance, puisqu’ils ont méprisé de faire pénitence. Donc, quand Dieu fait justice, les anges le louent à raison de son inflexible équité. Quand l’honneur de Dieu s’accomplit, ils s’en réjouissent, en vertu de ce qu’il se sert de la malice des méchants pour son honneur. Partant, quand vous verrez les méchants compatir avec eux, réjouissez-vous de l’honneur de Dieu éternel, car Dieu, qui ne veut aucun mal, est créateur de toutes choses, et est véritablement bon de soi-même ; il permet néanmoins que plusieurs choses soient faites, comme juste juge desquelles il est honoré au ciel, et sur la terre, à raison de son équité et de sa bonté occulte.

La Sainte Vierge Marie se plaint à sa fille de la manière dont Jésus-Christ, Agneau très-innocent, est en ce temps négligé de sa créature.

CHAPITRE 25

La Vierge Marie parle, disant : Je me plains, en premier lieu, que l’Agneau très-innocent est aujourd’hui porté, bien qu’il sache marcher. Aujourd’hui cet enfant se taisait, qui savait très-bien parler.
Aujourd’hui, cet enfant innocent est circoncis, qui n’a jamais offensé ; et partant, bien que je ne puisse me courroucer, il semble néanmoins que je sois en colère de ce que ce grand Dieu, étant fait petit enfant, est oublié en négligé de sa créature.

Notre Seigneur Jésus-Christ déclare le mystère ineffable de la sainte Trinité ; comment les pêcheurs diaboliques obtiennent miséricorde de Dieu par la contrition et par la volonté qu’ils ont de se corriger. De la réponse de Jésus-Christ. Manière dont il fait miséricorde à tous, tant Juifs qu’autres, et du double jugement des damnés et des sauvés.

CHAPITRE 26

Le Fils de Dieu parle : Je suis, dit-il, le Créateur du ciel et de la terre, un vrai Dieu avec le Père et le Saint-Esprit, car le Père est Dieu, le Fils est Dieu et le Saint-Esprit est Dieu, non pas pourtant trois dieux, mais trois personnes et un Dieu. Mais vous me pourriez demander : Pourquoi y a-t-il trois personnes et n’y a-t-il qu’un Dieu ? Je réponds qu’il n’y a autre Dieu que la puissance même, la sapience même et la bonté même, d’où est toute puissance sous le ciel et sur le ciel, toute sagesse et toute piété qu’on peut penser et imaginer.

Or, Dieu est un et trine, un en nature et trine en personnes, car le Père est la puissance et la sagesse, de laquelle sont toutes choses, et qui est avant toutes chose ; puissant, non d’ailleurs, mais de lui-même de toute éternité. Le Fils, aussi égal au Père, est aussi puissance et sagesse, non puissant de soi-même, mais engendré du Père puissamment et ineffablement, principe du Prince, qui n’est jamais séparé du Père. Le Saint-Esprit aussi est puissance et sagesse, procédant du Père et du Fils, égal en puissance et en majesté.

Il y a donc en Dieu et trois personnes, et une opération (1) de trois personnes, une volonté, une gloire et puissance. Il est tellement un en essence qu’il y a néanmoins distinction de personnes, car tout le Père est dans le Fils et le Saint-Esprit, et le Fils dans le Père et dans le Saint-Esprit, et le Saint-Esprit en tous deux, en une nature de Déité, non pas comme première ou postérieure, mais d’une manière ineffable, où il n’y a ni prieur ni postérieur, rien de plus grand l’un que l’autre, ou d’un autre hors d’eux, mais tout y est ineffable et égal. C’est pourquoi il est à bon droit écrit que Dieu est admirable et grandement louable.

Maintenant, je me puis plaindre que je suis peu loué et inconnu à plusieurs, attendu que tous cherchent leur propre volonté et peu la mienne. Or, vous demeurez stable et humble ; ne vous élevez pas en vos pensées, puisque je vous montre les périls et les dangers des autres ; ne déclarez pas leurs noms, si ce n’est qu’il vous soit commandé, car les périls ne vous sont pas montrés pour leur confusion, mais pour leur conversion, et afin qu’ils connaissent la justice et la miséricorde divines, ni ne les devez pas fuir et éviter comme des personnes jugées. Car bien que j’aie dit ce jour que quelqu’un est méchant, si demain il m’invoque et m’appelle à son secours avec contrition et avec volonté de s’amender, je suis prêt à lui pardonner ; et celui que j’aie appelé hier pernicieux, celui-là même, je le dis aujourd’hui ami très-cher, à raison de sa contrition. Tellement que si la contrition est stable (2), je le tiens quitte, non seulement du péché, mais de la peine même du péché, comme vous le pourrez connaître par un exemple.

Pensez qu’il y a deux parties du vif-argent, et que toutes deux s’écoulassent vitement en un tout, et qu’en leur union, il n’en demeurât qu’un peu, comme un atome, Dieu pourrait faire encore qu’ils ne s’unissent en un. De même si quelque pécheur était enraciné en opérations diaboliques et qu’il fût sur le point de se perdre, il obtiendrait encore pardon et miséricorde, s’il invoquait Dieu avec contrition et volonté de s’amender.

Or, maintenant, puisque je suis si miséricordieux, vous pourriez me demander pourquoi je ne fais pas miséricorde aux Juifs et aux Gentils, dont quelques-uns, s’ils étaient instruits d’une foi droite, mourraient franchement pour l’amour de Dieu.

Je vous réponds : Je fais miséricorde tant aux Gentils qu’aux Juifs, et il n’y a aucune créature sans ma miséricorde, car quiconque oit que sa foi n’est ni bonne ni vraie, et désire avec ferveur la vraie : ou quiconque croit que ce qu’il tient est le meilleur, d’autant qu’il ne lui a été jamais prêché rien de meilleur, et fait de toutes ses forces ce qu’il peut, son jugement sera en quelque petite miséricorde (3), car il y a double jugement des damnés et des sauvés.

Le jugement des chrétiens damnés sera sans miséricorde ; leur peine sera éternelle, en perpétuelles ténèbres, et leur volonté obstinée contre Dieu. Et le jugement des sauvés sera la vision de Dieu, la glorification en Dieu, et vouloir à Dieu du bien. De ceux-là sont forclos les Gentils, les Juifs, les mauvais et faux chrétiens, qui, bien qu’ils n’aient eu aucune foi droite, ont néanmoins eu la conscience propre pour juge, croyant que c’était le même Dieu qu’ils ont honoré et offensé.

Or, ceux dont les volontés et les actions étaient et sont contre le péché et selon la justice, auront, avec ceux qui sont moins mauvais chrétiens, jugement, miséricorde et supplice, à raison de la dilection, de la justice et haine du péché ; mais ils n’auront la consolation en la fruition de la gloire et vision de Dieu, à raison qu’ils ne sont pas baptisés ; car la considération des choses temporelles, ou quelque occulte jugement de Dieu, les a retirés, qu’ils ne cherchassent et obtinssent, fructueusement leur salut.

Or, si rien ne les a retirés de la recherche du vrai Dieu, ni le labeur, ni la peur, ni la perte de l’honneur et des biens, mais seulement un empêchement humain, qui vainquait la fragilité humaine, moi qui ai vu Cornélius et le Centurion, n’étant pas baptisés, être hautement et parfaitement récompensés, je sais qu’ils seront rémunérés comme leur foi l’exige, d’autant qu’autre est l’ignorance de malice, autre celle de piété, autre celle de difficulté ; semblablement autre est le baptême de l’eau, autre celui du sang, et autre celui d’une parfaite volonté, que Dieu connaît, lui qui voit le cœur de tous.

Partant, moi qui suis né sans principe, éternellement du principe ; moi qui suis encore né derechef temporellement, à la fin des temps, je connais et sais du commencement comment il fut récompenser les actions et donner à un chacun selon ses mérites ; ni le moindre bien qui est fait pour l’honneur de Dieu, ne sera sans récompense. Partant, vous êtes obligée de remercier grandement Dieu, que vous soyez née de chrétiens et en temps de salut, d’autant que plusieurs désireront voir et obtenir ce qui est offert aux chrétiens, et ne l’obtiendront point.

C’est une prière que l’épouse fait à Notre-Seigneur pour Rome. De la multitude innombrable des saints martyrs qui reposent à Rome. De trois visions faites à cette épouse, et en quelle manière Jésus-Christ, lui apparaissant, lui expliqua et déclara la susdite vision.

CHAPITRE 27

O Marie, Mère du Tout-Puissant, bien que je n’aie pas été douce et bonne, toutefois je vous invoque à mon aide, et vous supplie qu’il vous plaise de prier pour Rome, ville si excellente et si sainte, car je vois de mes yeux corporels quelques églises, où reposent les os et les reliques des saints, être désolées et démolies. Quelques autres sont habitées, mais les cœurs et les mœurs de ceux qui en ont le gouvernement sont bien éloignés de Dieu. Impétrez donc pour eux la charité, car j’ai ouï qu’à Rome, il y a pour chaque jour de l’an sept mille martyrs. Et partant, bien que leurs âmes n’obtiennent pas moins d’honneur au ciel bien que leurs os soient en la terre, néanmoins, je vous prie de faire en sorte qu’il soit rendu en terre un plus grand honneur aux saints et aux reliques des saints, et qu’ainsi la dévotion du peuple soit excitée.

La Mère répondit : Si vous semiez la mesure de cent pieds de longueur et autant de largeur, du blé pur, si serré qu’il n’y eût distance d’un grain à l’autre que d’un doigt, et que chaque grain donnât et produisît le fruit au centuple, il y aurait encore à Rome plus de martyres et de confesseurs, depuis que saint Pierre vint à Rome avec humilité, jusques à ce que Célestinus se retira du siège et retourna à sa vie solitaire.

Or, je parle de ces martyrs et confesseurs qui ont prêché la vraie foi contre la défiance, la vraie humilité contre la superbe, et qui sont morts pour la vérité de la foi, ou bien qui étaient volontairement disposés à mourir : car saint Pierre et plusieurs autres étaient si fervents et si embrasés à prêcher la parole divine, que, s’ils eussent pu mourir pour un chacun, ils l’eussent franchement fait, Néanmoins, ils craignaient que ceux à qui ils prêchaient et qu’ils consolaient, ne les ravissent aux mains des bourreaux, car ils leur désiraient plus le salut que la vie et l’honneur. Ils furent aussi sages ; c’est pourquoi ils allaient aux persécutions occultement pour le lucre de plusieurs âmes. Donc, entre ces deux, saint Pierre et Célestin, tous ne furent pas bons ni aussi tous mauvais.

Partageons-les en trois degrés, comme vous les ayez aujourd’hui divisés en bons, meilleurs et très-bon. Au premier degré furent ceux-là dont les pensées étaient telles. Nous croyons tout ce que la sainte Église commande. Nous ne voulons tromper personne, mais bien rendre tout ce que nous avons défraudé, et désirons servir Dieu de tout notre cœur. Ils étaient aussi semblables à ceux qui, du temps de Romulus, fondateur de Rome, selon leur foi s’entretenaient en ces pensées : Nous savons et entendons par les créatures que Dieu est créateur de toutes choses. Nous voulons donc l’aimer par-dessus toutes choses. Oh ! que plusieurs considéraient : Nous avons ouï des Hébreux que le vrai Dieu s’est manifesté à eux par des miracles ; et partant, si nous savions en quoi nous nous devons plus fonder, nous le ferions librement. Tous ceux-ci ont été quasi au premier degré.

Or, saint Pierre vint à Rome en un temps fort convenable, qui éleva les uns au bien, les autres au mieux, les autres à un degré très bon, car ceux qui reçurent la vraie foi, qui étaient liés par le mariage, ou étaient en quelque louable disposition, ceux-là ont été en un bon degré ; mais ceux qui renoncèrent à tout ce qu’ils avaient, qui ont montré aux autres des exemples et bonnes œuvres, voire qui n’ont rien tant estimé que Jésus-Christ, ceux-là sont mieux. Or, ceux qui ont donné leur vie pour l’amour de Dieu, ceux-là sont en un degré très bon.

Mais maintenant, cherchons en lequel de ces degrés la charité se trouve plus fervente. Cherchons-la dans les soldats et dans les docteurs ; cherchons-la dans les religieux, et en ceux qui méprisent le monde, qui sont obligés d’être au meilleur degré, voire au très bon, et certainement, il s’y en trouve trop peu, car il n’y a vie si austère que la vie militaire, si elle demeurait en sa vraie et pure institution. Car si on commande au moine de porter la cuculle, il est aussi commandé au soldat de porter la cuirasse. S’il est dur et fâcheux au moine de combattre contre les assauts de la chair, il est plus amer au soldat de passer à travers des hommes armés.

Que si le moine a un lit dur, il est plus dur au soldat de coucher sur les armes. Si le moine se trouble et s’afflige par l’abstinence, il est plus dur au soldat d’être toujours en danger de perdre sa vie : car certes, la milice de la chrétienté n’a pas commencé par avoir des possessions au monde et des ambitions et cupidités, mais par affermir la vérité et dilater la vraie foi. Partant, les soldats militants et les religieux sont obligés d’être au meilleur ou au très bon degré ; mais tous les degrés ont apostasié de leur louable disposition, car la charité s’est changée en cupidité du monde ; car si l’on ôtait un seul florin de l’un de ces degrés, ils tairaient plutôt la vérité que de la défendre, s’ils le perdaient.

Or, maintenant, l’épouse parle, disant : J’ai vu encore en terre comme plusieurs jardins, où, entre ces jardins, il y avait des roses et des lis. En quelque autre lieu, j’ai vu un champ, qui avait en longueur et en largeur cent pieds ; en chaque pied, sept grains de blé étaient semés, et chaque grain donnait un fruit centuple.

Après ceci, j’ai ouï une voie qui disait : O Rome, Rome ! vos murailles sont ruinées ; c’est pourquoi vos portes sont sans gardes ; vos vases se vendent ; c’est pourquoi vos autels sont désolés ; on brûle le sacrifice vivant et l’encens du matin dans la chambre , c’est pourquoi il ne sort point du Sancta Sanctorum la sainte odeur très suave.

Et soudain, le Fils de Dieu, apparaissant, dit à l’épouse : Je vous veux montrer l’intelligence de ce que vous avez vu. La terre que vous avez vue signifie tous les lieux où est maintenant publiée la foi chrétienne. Les jardins signifient les lieux où les saints ont reçu leurs couronnes. Néanmoins, au paganisme, savoir, à Jérusalem et en autres lieux, il y a plusieurs autres lieux que vous n’avez pas vus, où il y a eu plusieurs élus de Dieu. Le champ de cent pieds en longueur et largeur signifie Rome, car si tous les jardins du monde étaient conjoints à Rome, certainement Rome serait aussi grande qu’elle a eu de martyrs ; je dis que si ses martyrs vivaient en chair, elle en serait autant peuplée, car ce lieu-là est élu pour l’amour de Dieu. Le blé que vous avez vu en chaque pied signifie ceux qui sont entrés dans le ciel par la mortification de la chair, par contrition et vie innocente. Les roses signifient les martyrs rougis par l’effusion de leur sang en diverses manières et en divers lieux. Les lis sont les confesseurs, qui ont publié la sainte foi par de paroles, et qui l’ont confirmée par leurs œuvres.

Or, maintenant, je puis parler de Rome comme le Prophète parlait de Jérusalem : Autrefois, disait-il, la justice était en elle, et ses princes étaient princes de paix. Or, maintenant, elle est changée en écume, et ses princes sont homicides. O Rome ! si vous connaissiez vos jours, vous pleureriez certainement, et ne vous réjouiriez pas. Car Rome, les jours passés, était comme une toile colorée de la beauté et de l’éclat de plusieurs couleurs et tissu d’un excellent fil. Sa terre aussi était empourprée du sang que les martyrs y ont répandu, et était couverte des os des saints. Or, maintenant, ses portes sont désolées, car leurs gardiens et leurs défenseurs sont tous penchés à la cupidité. Ses murs sont par terre et sans garde, d’autant qu’on ne se soucie plus maintenant de la perte des âmes.

Mais le clergé et le peuple, qui sont les murailles de Dieu, sont dispersés à la recherche des utilités charnelles; ses vases sacrés se vendent avec mépris, d’autant qu’on administre les saints sacrements pour l’argent et pour les faveurs mondaines. Les autels sont tous désolés, car celui qui célèbre avec les vases, a ses mains vides de l’amour de Dieu, et jette les yeux aux offrandes ; et bien qu’ils aient Dieu en leurs mains, leur cœur néanmoins est tout vide de Dieu, car il est rempli des vanités mondaines. Le Saint des Saints, où autrefois on consommait le grand sacrifice, signifie le désir ardent de la jouissance de Dieu et de sa vision, d’où se devaient allumer et l’amour et la charité tant envers Dieu qu’envers le prochain, et s’y évaporer l’odeur d’une continence entière et de la solide vertu. Or, maintenant, on consomme les sacrifices à la chambre, c’est-à-dire, dans le monde, car toute la charité est changée en incontinence et en vanité mondaine. Telle est Rome corporellement comme vous l’avez vue, car plusieurs de ses autels sont désolés, les offrandes sont appendues aux tavernes ; ceux qui les offrent sont plus occupés au monde qu’à Dieu.
Néanmoins, sachez que, depuis saint Pierre, humble pontife, jusqu’à ce que Boniface (VIII) montât au siège de superbe, un nombre d’âmes montèrent au ciel. Néanmoins, maintenant encore, Rome n’est pas sans amis de Dieu. Si on avait recours à eux, ils crieraient au Seigneur, et il leur ferait miséricorde.

La Sainte Vierge Marie instruit l’épouse de la manière de savoir aimer. De quatre cités dans lesquelles se trouvent quatre charités, et laquelle des quatre se doit proprement nommer charité parfaite.

CHAPITRE 28

La Mère de Dieu parle à l’épouse, disant : Ma fille, ne m’aimez-vous pas ?
Elle répondit : O Dame, enseignez-moi comment il faut aimer, car mon âme a été noircie par la dilection fausse, et a été séduite d’un venin si mortifère qu’elle ne sait prendre la vraie dilection.

Je vous enseignerai, dit la Mère de Dieu, car il y a quatre cités dans lesquelles on trouve quatre charités, car on ne doit pas nommer proprement charité, si ce n’est là où Dieu et l’âme sont unis en la conjonction des vertus.

La première donc est une cité de probation, qui est le monde, dans lequel l’homme est mis, afin qu’il soit prouvé s’il aime Dieu ou non ; afin qu’il expérimente son infirmité ; afin qu’il ait les vertus, par lesquelles il retourne à la gloire, et afin que, se purifiant sur la terre, il soit couronné plus glorieusement dans les cieux. En cette cité, on trouve une charité désordonnée, quand on aime plus la chair que l’âme ; quand on y désire avec plus de ferveur le corps que l’esprit ; quand on y honore le vice et qu’on y méprise la vertu ; quand on se plaît plus en pèlerinage qu’à la patrie ; quand on y craint plus un petit homme mortel que Dieu, qui régnera éternellement.

La deuxième cité est celle de la purification, en laquelle on lave les souillures de l’âme, car il a plu à Dieu d’ordonner de tels lieux, dans lesquels celui qui doit être couronné est purifié ; qui, négligeant sa liberté, était insolent, mais néanmoins avec crainte de Dieu. En cette cité, on trouve la dilection imparfaite, car Dieu est aimé sous l’espérance qu’il les affranchira ces captivités, mais non pas d’une ferveur d’affection, pour l’amertume et dégoût qu’ils ont de satisfaire à leurs fautes.

La troisième cité est de douleur, où est l’enfer. En celle-là se trouve la dilection de toute sorte de malice, immondice, envie et endurcissement. En cette cité aussi règne Dieu, par la fureur de sa justice bien ordonnée, pas la mesure des supplices et par l’équité des mérites ; car comme les damnés ont péché les uns plus, les autres moins, de même, des bornes sont constituées à leurs peines et mérites ; car bien que tous les damnés soient plongés et abîmés dans les ténèbres, tous ne seront pas pourtant d’une même manière, car les ténèbres diffèrent des ténèbres, l’horreur de l’horreur, et l’ardeur de l’ardeur. Dieu enfin dispose toutes choses par sa justice et sa miséricorde, voire même dans l’enfer, afin qu’autrement soient punis ceux qui ont péché par infirmité, autrement ceux qui n’ont que le péché originel, qui, bien que la punition de ce péché consiste en la privation de la vision divine et de l’éclat des élus, jouissent néanmoins du contentement de cette miséricorde, en ce qu’ils ne souffrent point l’horreur des supplices, puisqu’ils n’ont point commis de mauvaises œuvres actuellement. Autrement, si Dieu n’ordonnait et disposait toutes choses en poids et mesure, le diable n’aurait mesure en ses supplices et tourments.

La quatrième cité est de gloire : en celle-là sont la délectation parfaite et la charité bien ordonnée ; on n’y désire autres choses que Dieu même et pour Dieu. Afin donc que vous arriviez à la perfection de cette cité, il faut que vous ayez quatre sortes de charités, savoir :
bien ordonnée, pure, vraie et parfaite. La charité ordonnée est celle-là, quand la chair est seulement aimée pour le seul soutien ; le monde sans aucune superfluité ; le prochain pour l’amour de Dieu ; l’ami à raison de la pureté de sa vie ;
l’ennemi pour la seule récompense. La pure charité est quand on n’aime point le vice avec la vertu ; quand on méprise les coutumes rompues ; quand on n’excuse point ses péchés. La charité vraie est quand on aime Dieu de tout son cœur, de toute son affection ; quand on considère l’honneur que nous devons à Dieu, et combien nous le devons craindre en toutes nos actions ; quand, appuyés sur nos bonnes œuvres, nous ne commettons pas le moindre péché ;quand quelqu’un se modère soi-même, qu’il ne défaille par trop de ferveur, et quand il ne se laisse emporter au péché par pusillanimité et ignorance des tentations. La charité parfaite est quand rien n’est si doux à l’homme que Dieu : elle commence par des renouvellements d’amour en cette vie, et elle est accomplie au ciel.

Aimez donc cette parfaite et vraie charité, car tous ceux qui ne l’auront point seront purifiés avant d’entrer dans le ciel, si toutefois ils sont fidèles, fervents, humbles et baptisés, autrement ils iraient à la cité d’horreur. Car comme il y a un Dieu, de même il n’y a qu’une foi en l’Église de saint Pierre, un baptême, une gloire et une parfaite récompense. Partant, ceux qui désirent d’aller à Dieu, doivent avoir une même volonté et amour avec Dieu seul. Partant, misérables sont ceux-là qui parlent en ces termes : Il suffit que je sois au ciel le moindre ; je ne désire point être parfait. O folle pensée ! Comment y aura-t-il là quelque chose d’imparfait, où tous sont parfaits, les uns par l’innocence de leur vie, les autres par l’innocence d’enfant, les autres par purification, les autres de la foi et de bonne volonté.

L’épouse sainte Brigitte loue la Sainte Vierge Marie, contenant la similitude du temple de Salomon, la vérité inexplicable de l’unité de la Divinité avec l’humanité, et en quelle manière les temples des prêtres sont peints avec vanité.

CHAPITRE 29

Pour le jour de la Nativité de la Sainte Vierge.
Bénie soyez-vous, ô Mère de Dieu ! temple de Salomon, dont les murailles furent dorées ; dont le toit fut tout splendide, le pavé tout parsemé de pierres précieuses, la composition, la structure tout éclatantes, le dedans excellent, beau et délectable à voir ! Enfin vous êtes en toute manière semblable à ce temple, dans lequel le vrai Salomon s’est promené et s’est assis ; dans lequel il a conduit l’arche de gloire et la chandelier pour luire. De même, vous êtes, ô Vierge bénie ! le temple de ce Salomon qui a fait la paix entre Dieu et les hommes, qui a réconcilié les coupables, donné la vie aux morts, et affranchi les pauvres de leurs créanciers.

Vraiment, votre corps et votre âme ont été le temple de la Divinité, votre corps et votre âme où était le toit de la divine charité, sous lequel le Fils de Dieu, sortant du Père, vint à vous et habita joyeusement avec vous. Le pavé de ce temple fut votre vie tout bien composée et l’exercice assidu des vertus, d’autant que toute honnêteté a été en vous, car toutes choses ont été établies en vous humbles, dévotes, et toutes parfaites et accomplies. Les murailles de ce temple furent en figure quadrangulaire, d’autant que vous ne vous troubliez par aucun opprobre, vous ne vous enorgueillissiez d’aucun honneur, vous ne vous inquiétiez par aucune impatience, et n’affectionniez rien que l’honneur et l’amour de Dieu. Les peintures de ce temple furent les feux continuels du Saint-Esprit, dont votre âme était tellement embrasée et élevée, qu’il n’y avait vertu qui ne fût avec plus de perfection et d’accomplissement en vous qu’en aucune autre créature.

En ce temple, Dieu se promena ; lors il versa en vous les douceurs et les suavités de sa visite, et s’y reposa quand la Divinité s’associa avec l’humanité.

Soyez donc bénie, ô très heureuse Vierge ! en qui le grand Dieu s’est fait enfant, le Seigneur ancien un petit fils ; en qui Dieu éternel et Créateur invisible est fait visible entre les créatures. Partant donc, puisque vous êtes très pieuse et très puissante Dame, regardez en moi, je vous prie, et faites-moi miséricorde, car vous êtes la Mère de Salomon, non de celui qui a été fils de David, mais de celui qui est Père de David, et Seigneur de Salomon, qui édifiait ce temple merveilleux qui vraiment vous préfigurait ; car le Fils exaucera sa Mère, et une telle et si grande Mère ! Impétrez donc que l’enfant Salomon, qui fut en vous comme dormant, soit comme veillant en moi, afin qu’aucune délectation de péché ne me blesse, mais que la contrition des péchés commis soit constamment en moi ; que l’amour de monde soit mort en moi ; que la patience persévère en moi, et que ma pénitence soit fructueuse, car je n’ai point autre vertu en moi, sinon cette parole.

Miséricorde, ô Marie ! car mon temple est tout contraire au vôtre : il est obscurci de vices, de boue, de luxure, corrompu de la vermine des cupidités, inconstant, à raison de la superbe, vil à cause de la vanité des choses mondaines.

La Mère répondit : Béni soit Dieu, qui vous a inspiré de dire cette salutation, afin que vous compreniez combien de douceur et de bonté est en Dieu. Mais pourquoi me comparez-vous à Salomon et au temple de Salomon, puisque je suis Mère de celui qui n’a ni commencement ni fin, et de celui dont on lit qu’il n’a eu ni père ni mère, savoir, Melchisédech, car il est écrit qu’il fut prêtre, et le temple de Dieu appartient aux prêtres, et partant, je suis la Vierge Mère du souverain Prêtre ? Je vous dis en vérité que je suis l’un et l’autre, savoir, la Mère du roi Salomon, et la Mère du prêtre qui pacifie et allie tout ; car le Fils de Dieu, qui est aussi mon Fils, est l’un et l’autre prêtre et Roi des rois. D’ailleurs, il s’est revêtu en mon ventre spirituellement des vêtements sacerdotaux, desquels il a offert sacrifice pour le monde. En la cité royale, il était couronné d’un diadème royal, mais bien âpre et poignant ; hors de là, il courait dans le camp comme un très fort athlète, et s’exerçait au combat.

Or, maintenant, je me puis justement plaindre que mon Fils est oublié et négligé des prêtres et des rois. Certes, les rois se glorifient de leur palais, de leurs armées et de l’avancement de l’honneur du monde, et les prêtres s’enorgueillissent des biens et possessions temporelles des âmes, car comme vous avez dit que le temple était peint d’or, de même les temples des prêtres sont peints de vanité et de curiosité mondaine, car la simonie règne en leur tête. L’arche du Testament est ôtée ; les lumières des vertus sont éteintes ; la table de dévotion est désolée.

L’épouse répondit : O Mère de miséricorde, ayez en pitié et priez pour eux !
Le Mère répondit : Dieu, de toute éternité, a tellement aimé les siens que, non seulement il veut que soient exaucés ceux qui prient en leurs prières, mais encore que les autres sentent l’effet de leur demande. Partant, afin que les prières qu’on fait pour les autres soient exaucées, deux choses sont nécessaires : la volonté de quitter le péché, et le désir d’avancer dans le bien, car mes prières profiteront à tous ceux qui auront ces deux choses.

Sainte Agnès parle à sainte Brigitte de la dilection qu’on doit obtenir de l’Époux, pour la Sainte Vierge Marie sous la figure d’une fleur. Comment la Vierge Marie glorieuse, parlant, déclare l’immense et éternelle piété divine contre notre impiété et notre ingratitude ; et comment les amis de Dieu ne se doivent inquiéter en leurs tribulations.

CHAPITRE 30

Pour le jour de sainte Agnès.
Sainte Agnès parle à l’épouse, disant : Fille, aimez la Mère de miséricorde, car elle est semblable à une fleur ( le lis), la figure de laquelle est semblable à un glaive ; elle a les deux extrémités aiguës et la pointe menue ; elle surpasse les autres fleurs en hauteur et en largeur. De même la Sainte Vierge est la fleur de fleurs, fleur qui croît dans les vallées et s’est dilatée sur toutes les montagnes ; fleur, dis-je, qu’on nourrissait en Nazareth, et s’épandait jusques au Liban.

Cette fleur a eu sur toutes la hauteur, car la sainte Reine du ciel excelle sur toutes les créatures en dignité et en puissance. Elle a aussi du cœur deux grands combats ou afflictions : l’un en la passion de son Fils, l’autre la constance au combat contre les incursions du diable, car elle ne consentait jamais au péché. Oh ! que ce vieillard prophétisa vraiment, lorsqu’il dit : Le glaive transpercera votre cœur, car elle endura et souffrit spirituellement autant de contre-coups de glaives que Jésus-Christ endura de coups et qu’elle voyait et prenait des plaies en son Fils !

Elle a eu encore une latitude excessive, c’est-à-dire, une miséricorde quasi incompréhensible, car elle fut tellement pieuse et miséricordieuse, qu’elle aima mieux endurer toute sorte de tribulations et que les âmes fussent rachetées, que ne les endurer pas. Or, maintenant, étant conjointe avec son Fils, elle n’oublie pas sa naturelle bonté, mais elle étend et dilate sa miséricorde à tous, voire jusques aux méchants ; que comme par le soleil les choses célestes et terrestres sont illuminées et échauffées, de même qu’il n’y ait aucun qui, par la douceur de Marie, ne ressente, s’il les demande, sa piété et sa clémence. Elle a une pointe fort aiguë, c’est-à-dire, l’humilité, car par elle, elle plut à l’ange, disant qu’elle était la servante, bien qu’elle fût élue sublimement en Dame. Par là même, elle conçut le Fils de Dieu, car elle ne voulut plaire aux superbes. Par là même, elle monta au trône souverain, car elle n’aima rien que Dieu. Allez donc, ô âme charnelle ! et saluez la Mère de miséricorde, qui vient tout maintenant.

Lorsque Marie apparaissant dit à sainte Agnès : Vous avez prononcé mon nom sans épithète : ajoutez-y-en une.
Sainte Agnès répondit : Si je vous dis très-belle ou très-vertueuse, cela ne convient de droit à autre qu’à vous, qui êtes la Mère du salut de tous.

La Mère de Dieu répondit à sainte Agnès : Vous avez dit vrai, car je suis la plus puissante de tous, mais j’ajouterai un substantif et un adjectif à celle-ci, c’est-à-dire, charnelle du Saint-Esprit. Mais venez, ô charnelle ! et écoutez-moi : vous vous affligez que la maxime suivante court parmi les hommes : Vivons selon notre plaisir, car Dieu est facilement apaisé. Servons-nous du monde et de ses honneurs pendant que nous pouvons, car le monde n’est fait que pour nous. Vraiment, ma fille, ces maximes ne viennent point de l’amour de Dieu, ni ne tendent ni n’attirent à l’amour de Dieu.

Néanmoins, pour cela, Dieu n’oublie pas l’amour qu’il nous porte, mais à toute heure, pour l’ingratitude des hommes, il manifeste sa piété, car il est semblable à un bon maréchal qui maintenant échauffe le fer, maintenant le refroidit. De même Dieu, très-bon ouvrier qui a fait le monde de rien, manifesta son amour à Adam et à sa postérité. Mais les hommes se refroidirent tellement que, réputant Dieu comme rien, ils commirent d’abominables et énormes péchés.

Partant, ayant manifesté sa miséricorde et ayant donné auparavant ses salutaires avertissements, Dieu montra les fureurs de sa justice par le déluge. Après le déluge, Dieu fit pacte avec Abraham et lui montra des signes de son amour, et conduisit toute sa lignée en signes et merveilles prodigieuses, Dieu donna de sa propre bouche sa loi au peuple, et confirma ses paroles et ses commandements par des signes évidents. Le peuple, après quelque laps de temps écoulé en vanité, se refroidissant et se laissant emporter et transporter à tant de folies qu’il rendait le culte aux idoles, Dieu, tout bon, pieux et clément, voulant derechef embraser et échauffer les froids, envoya au monde son propre Fils, qui nous a enseigné la voie du ciel, et nous a montré la vraie humilité que nous devons suivre.

Or, maintenant, il est par trop oublié de plusieurs, voire négligé ; mais néanmoins, maintenant, il montre et manifeste ses paroles de miséricorde ; mais toutes choses ne s’accompliront pas plus maintenant qu’auparavant, car avant que le déluge vînt, le peuple était plutôt averti et attendu à pénitence, comme Israël a été éprouvé avant d’entrer dans la terre promise, et a été différé jusques à son temps ; car de fait, Dieu pouvait tirer le peuple en quarante jours sans y employer quarante ans, s’il eût voulu, mais la justice de Dieu exigeait que l’ingratitude du peuple fût connue, que la miséricorde de Dieu fût manifestée, et que le peuple futur fût d’autant plus humilié.

Or, maintenant, si quelqu’un voulait penser pourquoi Dieu affligeait de la sorte son peuple, ou pourquoi quelque peine doit être éternelle, puisque la vie ne peut être éternelle à pécher, ce serait une grande audace, comme celui-là est grandement audacieux qui s’efforce d’entendre et de comprendre comment Dieu est éternel. Enfin Dieu est éternel et incompréhensible, et en lui sont la justice, la récompense éternelle, et une miséricorde qui est au-delà de nos pensées. Autrement, si Dieu n’eût manifesté sa justice aux premiers anges, comment connaîtrait-on sa justice, qui juge toutes choses en équité ? Et si derechef il n’eût fait miséricorde à l’homme en le créant et l’affranchissant en signes infinis, comment connaîtrait-on sa bonté, son amour immense et parfait ?

Donc, d’autant que Dieu est éternel, sa justice est éternelle, en laquelle ne se font addition ni diminution aucune, comme se fait en l’homme qui pense faire en telle ou telle manière mon œuvre ou dessein, ou en tel jour. Or, quand Dieu fait miséricorde ou justice, il les manifeste en les accomplissant ; car devant lui, passé, présent et futur, tout est présent de toute éternité.

C’est pourquoi les amis de Dieu doivent demeurer patiemment en l’amour de Dieu, et ne s’inquiéter point, bien qu’ils voient que les mondains prospèrent, car Dieu fait comme une bonne lavandière, qui met entre les vagues et les flots les draps les plus sales, afin que, par l’émotion de l’eau, ils se nettoient et se blanchissent, et évite avec soin la pointe des vagues, de peur qu’ils ne soient submergés.
De même, Dieu met en cette vie ses amis entre les orages des tribulations et des pauvretés, afin que, par elles, ils soient purifiés pour la vie éternelle, les gardant soigneusement qu’ils ne se plongent en quelque excessive tristesse ou intolérable tribulation.


(1) Il faut entendre des opérations que Dieu fait dans les créatures.
(2) Parfaite,1-en douleur du passé ; 2- en résolution de ne plus pécher à l’avenir, 3-en propos de se confesser ; 4- vouloir satisfaire.
(3) Mieux avec plus grande miséricorde.

   

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