Chapitre 1
Le Fils de Dieu
instruit l’épouse contre le diable. La réponse du Fils à l’épouse.
Pourquoi il ne retire pas les pécheurs de » ce monde avant qu’ils
pèchent, et en quelle matière le royaume des cieux est donné à ceux
qui, étant baptisés, n’arrivent point à l’âge de la discrétion.
Le Fils de Dieu parlait
à l’épouse , lui disant : Quand le diable vous tente, dites-lui ces
trois choses :
1° Les paroles de Dieu
ne peuvent être que vraies ;
2° Rien n’est
impossible à Dieu ;
3° Ô diable , vous ne
pouvez me donner une telle ferveur d’amour que Dieu me donne.
Derechef,
Notre-Seigneur dit à l’épouse : je vois en l’homme trois choses : 1°
comment le corps disposé extérieurement ; 2° je vois à quoi et
comment la conscience tient intérieurement à quelque chose ; 3°
qu’est-ce que son cœur désire : car comme l’oiseau qui regarde un
poisson dans la mer, considère la profondeur de la mer, ses orages
et ses tempêtes, de même je sais toutes les voies des hommes, et je
considère ce qui est dû à chacun, car ma vue pénètre plus intimement
et sait plus clairement tout ce qui le touche, que lui même ne se
connaît. Donc, puisque je vois et sais toutes choses, vous me pouvez
demander pourquoi je n’ôte pas de ce monde les pécheurs avant qu’ils
soient dans l’abîme profond de leurs péchés. A quoi je vous réponds
:Je suis le Créateur de toutes choses, et toutes les choses qui ont
été et qui seront, sont en ma présence ; je les vois et les connais
; mais bien que je puisse et sache tout, cependant la justice ne
veut pas que je fasse moins contre la disposition naturelle du corps
que contre celle de l’âme.
De fait, tout homme
subsiste selon la naturelle disposition du corps, qui est en ma
prescience éternelle. Quant à ce que l’un vit plus qu’un autre, cela
provient de la force ou infirmité, et des dispositions naturelles.
Quant à ce que l’un est boiteux et l’autre aveugle ou quelque autre
chose semblable, cela ne se fait pas sans que je le voie, puisque je
prévois en telle sorte toutes choses, que ma prévoyance ne les fait
pas pires, ni rien ne peut nuire à ma prévoyance, ni elle ne
consiste pas dans le cours des éléments ni en leur arrêt, mais en ma
justice occulte et cachée en la disposition et conservation de la
nature, car le péché et l’indisposition de la nature causent
diversement la difformité des membres. Partant, il ne se fait pas
parce que je le veux, mais d’autant que ma justice permet qu’il soit
fait ; et bien que je puisse toutes choses, néanmoins, je ne résiste
pas à la justice. Donc, la raison pourquoi quelqu’un vit plus ou
moins est prise de la disposition de la nature forte ou infirme, qui
est en ma prescience, laquelle est infaillible. Vous pouvez entendre
le semblable par une supposition.
Supposons qu’il y eût
deux voies et qu’en ces voies, il y eût des fosses innombrables
l’une contre l’autre et l’une devant l’autre, et que la fin d’une de
ces voies tendît directement en bas et l’autre en haut, et qu’au
carrefour de ces voies il fût écrit : Quiconque marche par cette
voie, la commence avec délectation et volupté de la chair, et la
termine avec grande misère et confusion ; mais celui qui marche par
ces autres voies, la commence avec un petit labeur , et la finit
avec une très grande joie et une très grande consolation.
Or celui qui marchait
par la voie qui aboutissait aux deux voies, était entièrement
aveugle ; mais étant arrivé au carrefour, il y voyait et lisait un
écriteau sur lequel était imprimé la fin de ces deux voies ; et
pendant qu’il la lisait, la considérait et délibérait à part soi ;
soudain apparurent deux hommes auprès de lui, à la garde desquels
ces deux voies étaient confiées, lesquels considérant l’homme au
carrefour et parlant entre eux dirent : Considérons avec soin par
quelle voie il aimera mieux aller , et il sera plus propre à la voie
qu’il choisira. Or, le voyageur, considérant en soi la fin de ces
voies et leurs mérites, se servit de conseil et de prudence,
choisissant plutôt la voie dont l’entrée portait quelque peu de
labeur, et la fin une grande joie, que celle qui commençait par la
joie et finissait en la douleur, car il croyait qu’il était plus
tolérable et plus raisonnable d’être au commencement lassé par
quelque médiocre labeur , et se reposer assurément à la fin.
Ne savez vous pas ce
que toutes ces choses signifient ? Certainement, je vous le dirai.
Ces deux voient sont le bien et le mal qui sont devant l’homme. Il
est écrit que quand il sera arrivé à l’âge de discrétion, il est en
la puissance de son libre arbitre de choisir ce qu’il aimera le
mieux. Il y a une voie qui conduit à ces voies de l’élection du bien
ou du mal, à savoir : l’âge de l’adolescence , qui conduit à l’âge
de discrétion. Celui qui marche par cette première voie est presque
comme aveugle, car jusqu’à ce que l’homme soit parvenu de
l’adolescence à l’âge de discrétion, il ne sait discerner le bien du
mal, la vertu du vice, le commandement de la défense. Donc, l’homme,
marchant en son âge puéril, est comme un aveugle ; mais quand il
sera arrivé au carrefour de ces voies, c’est-à-dire à l’âge de
discrétion, alors les yeux de l’esprit lui seront ouverts, car alors
il sait considérer quel est le meilleur, savoir bien endurer une
petite douleur , et jouir d’une joie éternelle, ou prendre un petit
plaisir, et puis souffrir une éternelle douleur . Et alors, en la
voie qu’il choisira, on comptera tous ses pas.
Or, en ces voies, il y
a plusieurs fosses l’une contre l’autre et l’une devant l’autre, car
l’un meurt bientôt, l’autre bien tard, l’un dans la jeunesse,
l’autre dans la vieillesse. La fin de cette vie est donc bien à
propos comparée à une fosse, à laquelle tous les hommes se rendent
sans faillir, les uns d’une manière, les autres d’une autre, selon
que leur naturelle disposition l’exige et selon qu’il est en ma
conscience. Car si j’appelais quelqu’un contre la disposition
naturelle, le diable prendrait soudain occasion de dire que je fais
contre la justice ; c’est pourquoi je ne fais non plus rien contre
la disposition du corps que de l’âme. Toutefois, considérez
attentivement ma bonté et ma miséricorde, car comme dit le Maître et
Seigneur, je rends forts, puissants et vertueux, ceux qui n’ont ni
force, ni vertu. Je donne, par un excès d’amour, le royaume de Dieu
à tous ceux qui sont baptisés et qui meurent avant l’âge de
discrétion, en la manière qu’il est écrit. Il a plu aussi à votre
Père de donner à ceux-là, le royaume des cieux.
D’ailleurs, ma piété
fait cette miséricorde aux enfants des païens qui meurent avant
l’âge de discrétion , car bien qu’ils soient privés de la vision de
ma face, néanmoins, ils viendront en un lieu qu’il n’est pas
loisible que vous sachiez, où ils seront sans peine. Mais quant à
ceux qui, de la première voie de l’adolescence sont parvenus à l’âge
de discrétion du bien et du mal, il est alors en leur puissance de
choisir le bien ou le mal ; et à quoi ils inclineront leur volonté,
leur mérite ou démérite suivra la récompense : d’autant qu’alors,
ils savaient lire ce qui était écrit au carrefour , à savoir : qu’il
valait mieux endurer au commencement un peu de douleur, et en la
sortie avoir la joie ; qu’avoir au commencement la joie, et à la fin
la douleur éternelle. Néanmoins, il arrive souvent que quelques-uns
sont pris et élevés avant que l’exige la disposition naturelle,
comme sont ceux qui meurent par homicide, ivrognerie ou autrement,
attendu que la malice du diable est si grande qu’il ne peut souffrir
que la peine des hommes soit si longue dans le monde.
Et partant, ma justice
et ses fautes l’exigeant aussi, quelques- uns sont pris avant que la
disposition naturelle l’exige, aussi cela a été éternellement prévu
par ma prescience, laquelle il est impossible de contrevenir ; de
même souvent les bons sont appelés avant que la disposition
naturelle l’exige, d’autant que l’excès de l’amour que je leur porte
, la ferveur de leur dilection, et la peine qu’ils ont à retenir et
réprimer leur corps, font qu’ils sont emportés, comme je l’avais
prévu de toute éternité, ma justice l’exigeant ainsi. Donc, je ne
fais pas plus contre la disposition naturelle du corps que contre
celle de l’âme.
Chapitre 2
Plainte du fils de
Dieu en présence de l’épouse, à raison d’une âme qui serait damnée.
Réponse de Jésus-Christ au diable, pourquoi il permet qu’elle touche
et reçoive son précieux corps.
Dieu comme en colère
dit : L’œuvre de mes puissantes mains me méprise d’autant plus que
je l’ai constituée en plus grand honneur. Cette âme dont mon amour
avait eu un grand soin, m’a fait trois choses : elle détournait ses
yeux de moi pour regarder son ennemi ; elle a collé sa volonté au
monde ; elle croyait qu’elle pouvait librement m’offenser. Partant,
puisqu’elle ne s’est pas souciée de jeter ses yeux sur moi, je lui
ferai une très prompte justice Or, d’autant qu’il a roidi sa volonté
contre moi et s’est confié dans les choses vaines, je lui ai ôté son
désir.
Alors le diable
s’écrie, disant : O juge ! cette âme est à moi. Le juge répondit :
Quelles raisons allègues-tu contre elle ? Il répondit : Votre
plainte me sert d’accusation contre elle : ne vous a-t-elle pas
méprisé, vous qui êtes son Créateur, et en cela même, n’a t elle pas
été faite ma servante ? Et parce qu’elle a été subtilement enlevée,
comment pouvait elle vous apaiser ? car quand elle a vécu dans le
monde saine de corps, elle ne vous servait pas avec un cœur sincère,
mais elle aimait avec plus de ferveur et de transport les créatures,
endurait avec impatience les fâcheries, et ne considérait pas comme
elle devait ses actions pernicieuses ; et à la fin, elle ne brûlait
pas du feu d’amour ; et d’autant qu’elle a été subitement emportée,
par la même raison, elle est à moi.
Le juge répondit : On
ne condamne pas une fin soudaine, si les œuvres sont en conflit. La
volonté n’est pas damnée éternellement, sans une mûre et diligente
délibération.
Alors la mère de Dieu,
venant là dessus , dit : Mon Fils, le serviteur négligent qui a un
ami familier de son maître, n’implorera-t-il pas pour lui ? ne le
doit-il pas sauver pour l’amour de lui ? Le juge répondit : Toute
justice doit être avec miséricorde et sagesse : avec miséricorde
afin de retenir la rigueur de la justice ; avec sagesse, afin de
garder en tout l’équité. Que si la faute est si abominable qu’elle
ne soit digne de pardon, néanmoins, la justice demeurant toujours
entière, peut aucunement s’adoucir.
La mère de Dieu dit
alors : Ô mon fils très doux ! cette âme m’a eue toujours en
mémoire, m’a toujours honorée, et était bien aise de solenniser mes
fêtes, bien qu’elle fût froide à votre égard : Partant, faîtes-lui
miséricorde. Le Fils répondit de nouveau : Vous savez et vous voyez
toutes choses en moi, Ô ma Mère bienheureuse ! Que si cette âme se
souvient de vous, c’est plutôt pour un bien temporel que pour un
bien spirituel, car elle n’a pas traité comme elle devait, mon corps
, qui est très pur. Sa bouche puante a empêché mon amour. L’amour du
monde et la dissolution de la chair lui ont empêché de voir et de
connaître ce que j’avais souffert pour les âmes. La trop grande
présomption que je lui pardonnerais , et l’inconsidération de sa
fin, ont avancé ses jours. Et bien qu’elle me reçût tous les jours,
pour cela elle n’est pas devenue meilleure, attendu qu’elle ne se
disposait pas comme elle devait à une si grande réception. En effet,
celui qui veut recevoir un bon hôte et seigneur, doit, non seulement
préparer le logis, mais disposer tous les ustensiles.
Le prêtre dont il est
ici parlé n’en a pas fait de même, car bien qu’il ait nettoyé la
maison, néanmoins, il ne l’a pas bien disposée, épurée ; il n’en a
pas jonché le pavé de fleurs de vertus ; il n’a pas gardé
l’abstinence en ses membres. Partant, vous voyez tout ce qu’il faut
faire et ce qu’il a mérité, car bien que je sois incompréhensible et
inviolable, et que je sois partout par ma Divinité; néanmoins, mes
plaisirs sont d’être avec ceux qui sont purs et nets, bien que
j’entre dans les bons et les damnés ; car les bons reçoivent mon
corps qui a été crucifié, qui est monté au ciel, et qui était figuré
par la manne et par la farine de la veuve. Les bons et les mauvais
me recevront, mais avec cette différence : les bons pour se
fortifier davantage, et les mauvais pour un plus terrible jugement,
d’autant qu’en étant indigne, ils osent s’en approcher.
Le diable répondit :
S’il s’approchait de vous si indignement, et si son jugement
s’augmentait davantage, pourquoi permettiez-vous qu’il s’en
approchât, touchant indignement un corps si digne et si auguste ?
Le Juge lui répondit :
Tu ne raisonnes pas selon la charité, parce que tu n’en as pas, mais
parce que tu y es contraint par ma vertu, pour l’amour de cette
mienne épouse qui entend ceci : car comme les bons et les mauvais
ont touché à mon humanité, pour montrer que j’avais une vraie et non
feinte humanité, l’humilité et la patience, de même les bons et les
mauvais me reçoivent à l’autel, les bons pour une grande perfection,
et les mauvais, afin qu’ils ne croient être damnés, d’autant que
m’ayant reçu, ils peuvent changer la volonté et se convertir, s’ils
veulent. Hélas ! quelle charité plus grande pourrais-je montrer que
moi, qui suis très-pur, j’entre dans un vase immonde, bien que je ne
puisse être souillé par aucun, non plus que le soleil matériel,
quand il jette ses rayons sur les choses immondes ! Or, vous et vos
amis méprisez une telle charité, d’autant que vous vous êtes roidis
contre la charité.
La Mère de Dieu dit de
nouveau : O mon Fils très-bon, tout autant de fois qu’il s’est
approché de vous, ç’a été avec crainte, bien que non pas autant
qu’il le devait. Il s’est aussi repenti de vous avoir offensé,
quoiqu’imparfaitement. Que cela donc, ô mon Fils, lui profite pour
l’amour de moi.
Le fils répondit
derechef : Je suis, comme dit , dessus le soleil matériel : le
soleil matériel ne pénètre point les montagnes ni les esprits, mais
moi je puis le faire. Si donc les montagnes empêchent le soleil
matériel de porter ses rayons aux terres voisines, qu’est-ce qui
empêche, dans cette âme, que les rayons de mon amour ne la touchent
sinon le péché ? Que si on retirait une partie de cette montagne, il
faudrait qu’on évacuât la chaleur des lieux circonvoisins : de même
si j’entre en une partie d’un esprit pur, quelle consolation en
aurais-je, si, de l’autre part, on sent une grande puanteur?
Partant, il faut chasser ce qui est sordide et sale, et après, la
beauté suivra le plaisir.
La Mère de Dieu
répondit : Que votre volonté soit faite avec toute sa miséricorde.
DECLARATION
Ce prêtre fut souvent
averti et repris de son incontinence, et il ne voulait pas
s’amender. Comme il sortait un jour en un pré pour voir son cheval,
la foudre le tua, tout le corps demeura entier, excepté les parties
honteuses, qui furent entièrement brûlées. Alors l’Esprit de Dieu
dit à sainte Brigitte : Ma fille, voilà ce que méritent en l’âme
ceux qui sont enveloppés en semblables misères et délectations.
Chapitre 3
Paroles admirables
de la Mère de Dieu à l’épouse par lesquelles il traite comme en ce
monde il y a cinq maisons dont les habitants sont cinq sortes de
personnes, savoir : les chrétiens infidèles, les juifs endurcis, les
païens d’eux-mêmes, ceux qui sont tout ensemble juifs et païens et
les amis de Dieu. Il y a dans ce chapitre des choses très utiles.
C'est chose tout à fait
exorbitante que le Seigneur de toutes choses et le Roi de gloire
soit méprisé, disait la Sainte Vierge Marie. Il est allé, comme un
pèlerin terrestre, de lieu en lieu, et comme un voyageur, heurtant
de porte en porte, afin d'être reçu. Le monde en effet était comme
un fonds ou il y avait cinq maisons.
Maison N°1 les
chrétiens infidèles.
Or, quand mon Fils vint
en la première maison en habit de pèlerin, heurtant à la porte, il
parla en ces termes : Mon ami, ouvrez-moi ; introduisez-moi en votre
repos et comme une habitation, de peur que les bêtes farouches ne me
nuisent, que la rosée ou la pluie ne tombe sur moi. Donnez-moi de
vos vêtements, pour qu'ils me réchauffent, car j'ai froid, pour
qu'ils me couvrent, car je suis nu. Donnez-moi de vos viandes pour
rassasier ma faim, de votre boisson pour étancher ma soif, et
recevez-en la récompense de votre Dieu.
Alors, celui qui était
dans cette maison répondit : Vous êtes trop impatient : partant,
vous ne pouvez vous accorder ni habiter avec nous. Vous êtes trop
grand, c'est pourquoi nous ne pouvons vous habiller. Vous êtes trop
cupide et trop gourmand, nous ne saurions vous rassasier : votre
cupidité n'a point de fond.
Notre-Seigneur, qui
était dehors comme un pèlerin répondit derechef : Mon ami,
faites-moi entrer joyeusement et franchement, car je n'occupe guère
de place. Donnez-moi de vos habits : il n'y a en votre maison, ni
pauvre vêtement qui ne suffise pour m'échauffer. Donnez-moi de vos
viandes, car une miette me peut rassasier, et une gouttelette d'eau
me rafraîchira et me fortifiera.
Celui qui était dans la
maison lui répondit derechef : Nous vous connaissons très bien :
vous êtes humble en paroles et importun en demandes. Vous paraissez
modeste et facile à contenter, mais néanmoins, vous êtes trop
insatiable pour être rempli. Vous être très frileux et très
difficile à couvrir. Allez-vous-en, je ne vous logerai point.
Maison N°2 les juifs
endurcis.
Alors il alla à la
deuxième maison, et dit : Mon ami, ouvrez-moi et regardez-moi, car
je vous donnerai tout ce dont vous aurez besoin. Je vous défendrai
de vos ennemis. Celui qui était dedans répondit : Mes yeux sont
débiles, votre présence leur nuirait. Je suis riche en tout ; je
n'ai point affaire de ce que vous avez ; je suis puissant et fort :
qui pourrait me nuire ?
Maison N°3 les païens.
Alors, venant à la
troisième maison, il dit : Mon ami, écoutez-moi ; étendez votre main
et touchez-moi ; ouvrez votre bouche et goûtez-moi. Celui qui était
dans la maison lui dit : Criez plus haut, et je vous entendrai. Si
vous êtes doux, je vous toucherai ; si vous êtes gracieux, je vous
recevrai ; si vous êtes agréable, je vous retirerai.
Maison N°4 ceux qui
sont tout ensemble juifs et païens.
Alors, il alla à la
quatrième maison, dont la porte était à demi ouverte, et il dit :
Mon ami, si vous considériez que votre temps est mal employé, vous
me recevriez en votre maison. Si vous pouviez ouïr ce que j'ai fait
pour vous, vous compatiriez avec moi. Si vous considériez avec
attention combien de fois vous m'avez offensé, vous gémiriez et me
demanderiez pardon.
Il répondit : Nous
sommes comme morts de désir et d'attente de vous voir, compatissez
donc à nos misères, et nous vous donnons librement ce que vous nous
demandez. Regardez notre misère et considérez l'angoisse de notre
corps, et nous serons préparés à tout ce que vous voudrez.
Maison N°5 les
chrétiens fidèles.
Alors il vint à la
cinquième maison, qui était entièrement ouverte, et il dit : Mon
ami, je veux entrer ici fort librement ; mais sachez que je cherche
un repos plus grand que celui que l'on peut prendre sur la plume
[plume dont on fait les matelas de literie]; une chaleur plus
fervente que celle que la laine peut entretenir ; une viande plus
fraîche que celle que les animaux peuvent donner.
Ceux qui étaient au
dedans lui répondirent : Il y a des marteaux à nos pieds, avec
lesquels nous briserons nos os des pieds et des cuisses, et nous
vous en donnerons la moelle pour votre repos. Nous vous ouvrirons
franchement nos entrailles : entrez en elles, si vous voulez car
comme il n'y a rien de si mou pour vous que nos moelles, aussi n'y
a-t-il rien de meilleur pour vous échauffer que nos entrailles.
Notre cœur est plus frais et recru que celui des animaux : nous le
taillerons pour votre viande. Entrez seulement. Vous êtes doux pour
être goûté et désirable pour en jouir.
[Explication de la
comparaison] Les cinq habitants de ces maisons signifient cinq
sortes d'état des hommes :
Sur les chrétiens
infidèles les premiers sont des chrétiens infidèles, qui disent
que :
– les jugements de mon
Fils sont injustes,
– ses promesses fausses
et
– ses commandements
intolérables.
Ce sont ceux-là qui
disent aux prédicateurs de mon Fils :
– ils disent selon
leurs pensées ;
– ils prêchent selon
leur intelligence ;
– ils disent des
blasphèmes.
– S'il était tout
puissant, il se vengerait des injures ;
– il est si loin qu'on
n'y saurait atteindre ;
– il est si haut et si
large qu'il ne pourrait être vêtu ;
– si insatiable qu'il
ne peut être repu ;
– si impatient qu'il ne
peut cohabiter avec personne.
Ils l'appellent
éloigné, d'autant qu'ils ne s'efforcent, à raison de leur
pusillanimité en œuvre et en amour, de venir à sa bonté ; ils le
nomment large, attendu que leur lubricité n'a ni borne ni mesure ;
ils l'estiment défectueux et soupçonnent mal de lui avant qu'il
vienne ; ils l'accusent d'insatiabilité, parce que le ciel et la
terre ne lui suffisent pas, que même il exige que l'homme donne tout
ce qu'il a de meilleur pour l'âme, selon son précepte très sot,
réputant un grand dommage peu de chose en ce qui touche le
corps.[passage manquant dans l'édition du Lion de Juda, Brigitte
Baudonnel, novembre 1991] Ils l'estiment très impatient, d'autant
qu'il hait les vices et verse les lumières et sentiment du contraire
dans les volontés. Ils ne réputent rien être beau ni utile, si ce
n'est ce que leur volonté corporelle suggère.[passage manquant dans
l'édition du Lion de Juda, Brigitte Baudonnel, novembre 1991]
Or, mon Fils est
maintenant tout puissant au ciel et en la terre, créateur de toutes
choses, et n'est créé d'aucune, étant avant toutes choses, et après
lui, il n'y a rien de futur. De fait, il est très loin, très haut et
très large en toutes choses et par-dessus toutes choses. Or, bien
qu'il soit si puissant, néanmoins il désire par amour le ministère
des hommes, qui n'a besoin de vêtement, qui revêt toutes choses, qui
est vêtu lui-même éternellement et immuablement d'honneur et de
gloire continuelle.
Celui qui est le pain
des anges et des hommes, qui rassasie toutes choses et qui n'a
besoin de rien, désire d'être repu de l'amour des hommes. Il demande
la paix aux hommes, lui qui est lui-même le réformateur et l'auteur
de la paix. Donc, quiconque le voudra retirer, il le pourra
rassasier d'un esprit joyeux et d'une bonne volonté ; il lui donne
une seule miette de pain ; un seul filet suffit pour le vêtir si la
charité est ardente ; une seule gouttelette le pourra abreuver, si
l'amour est pur et droit.
Celui qui a une
dévotion fervente et constante, le peut recevoir en son cœur et lui
parler, car Dieu est un esprit. Partant, il veut changer les
corporelles en spirituelles, et les passagères en éternelles. Il
répute aussi être fait à lui-même tout ce qu'on fait à ses amis, ni
ne considère pas seulement l'œuvre et la puissance, mais la volonté
fervente, et avec quelle intention l'œuvre a été faite, mais plus
mon Fils crie en ceux-ci par de secrètes et intelligibles
inspirations ; plus il les avertit par ses prédicateurs, plus ils
endurcissent leur volonté et raidissent leur esprit contre lui. Ils
ne l'écoutent point, ni ne lui ouvrent point la porte de leur cœur,
ni ne l'introduisent point par les œuvres amoureuses et charitables.
Partant, le temps
viendra que la fausseté sur laquelle ils s'appuient, sera réduite à
néant, que la vérité sera exaltée, et que la gloire de Dieu sera
manifestée.
Sur les Juifs endurcis.
Pour la deuxième sorte
de personnes : il leur semble être en tout raisonnables ; ils ont
leur sagesse pour leur justice légale ; ils prêchent eux-mêmes leurs
œuvres et les préfèrent à toutes, S'ils entendent les actes de mon
Fils, ils les réputent vils et méprisables ; s'ils entendent ses
paroles et ses commandements, ils s'en indignent ; voire ils
s'estiment pécheurs et contaminés, s'ils considèrent et entendent ce
qui touche à mon Fils. Ils se réputent aussi plus malheureux et plus
misérables, s'ils imitaient ses œuvres.
Or, tant qu'ils
vivront, ils s'estimeront très heureux; tant qu'ils seront en santé,
ils croiront être très puissants en leurs propres forces. Partant,
leur espérance sera réduite à néant, et leur gloire se changera pour
eux en confusion.
Sur les païens.
La troisième sorte sont
les païens. Quelques-uns d'eux crient en se moquant : Qu'est-ce
Christ ? S'il est doux et facile à donner les choses présentes, nous
le recevrons franchement ; s'il est clément à pardonner les péchés,
nous l'honorerons librement.
Mais ceux-ci ont clos
l'œil de leur intelligence, pour ne pas comprendre la justice et la
miséricorde divine ; ils bouchent leurs oreilles afin de ne pas ouïr
ce que mon fils a fait pour l'amour d'eux et pour l'amour de tous ,
ils serrent leur bouche et ne s'enquièrent point de ce qui leur est
utile et expédient ; ils plient leur mains et ne veulent pas
travailler ; ils ne veulent pas chercher la voie par laquelle ils
pourraient fuir le mensonge et trouver la vérité. Partant,
puisqu'ils ne veulent pas entendre et se donner garde, en ayant le
temps, ils tomberont avec leur habitation, et ils seront ensevelis
en la tempête.
Sur ceux qui sont tout
ensemble juifs et païens.
La quatrième sorte,
seraient volontiers chrétiens, s'ils savaient les manières d'agréer
à mon Fils, et si quelqu'un les aidait et les instruisait. Ceux-ci
voient des voisins , et entendent par les clameurs intérieures de
l'amour et par d'autres signes, combien mon Fils a souffert pour
tous. C'est pourquoi ils crient en leur conscience à mon fils,
disant :
O Seigneur ! nous avons
ouï que vous avez promis que vous vous donneriez à nous, nous vous
attendons. Venez donc et accomplissez votre promesse, car nous
voyons bien qu'en ceux qui servent les faux dieux, il n'y a aucune
vertu divine, nulle charité pour les âmes, nulle chasteté signalée,
mais nous avons trouvé en eux l'amitié corporelle et la dilection de
l'honneur du monde.
Nous avons aussi
entendu quelque chose de votre loi, et ouï vos merveilles
prodigieuses en miséricorde et en justice. Nous avons appris par les
paroles des prophètes, qu'ils attendaient celui qu'ils avaient
prophétisé. Donc, ô Seigneur pieux et clément ! venez, car nous nous
donnerons volontiers tout à vous ; car nous avons ouï qu'en l'amour
des âmes, sont l'usage discret de toutes choses, la pureté parfaite
et la vie éternelle. Venez donc vite, car nous sommes presque morts
à force de vous attendre. Venez et illuminez-nous.
C'est de la sorte que
ceux-ci crient à mon Fils et c'est pourquoi aussi la porte leur est
demi-ouverte. En effet, ils ont une parfaite volonté pour le bien,
mais elle n'est pas encore sortie en effet. Ce sont ceux-ci qui
méritent d'avoir la grâce et la consolation de mon Fils.
Sur les chrétiens
fidèles.
En la cinquième maison
sont mes amis et mes enfants ; la porte intérieure de leur esprit
est entièrement ouverte à mon Fils. Ceux-ci entendent franchement
l'appel et la vocation de mon Fils, et non-seulement ils lui ouvrent
quand il heurte, mais ils lui vont au-devant avec joie quand ils le
voient venir ; ils rompent et cassent, par les marteaux des
préceptes divins, tout ce qui n'est pas juste et droit en eux, et
préparent à mon Fils un repos, non en un lit de plume mais en la
mélodie et l'accord des vertus, en la mortification des propres
affections, qui sont les moelles des vertus.
Ceux-ci aussi donnent à
mon Fils une chaleur non causée par la laine mais par l'amour
fervent ; et d'ailleurs, ils lui préparent une réfection plus
fraîche que la viande, et qui est que, dans leur cœur, ils ne
désirent rien et n'aiment rien que Dieu. Dans leur cœur habite le
Seigneur du ciel, et Dieu, qui repaît tout le monde, est repu de
leur amour. Ceux-ci ont toujours les yeux à la porte, de peur que
leur ennemi n'entre, les oreilles au Seigneur, et les mains pour
combattre l'ennemi.
Imitez ceux-ci ma
fille, autant que vous pourrez, car leur fondement est bâti en la
pierre ferme. Mais les autres maisons sont fondées sur la boue, et
partant, elles tombent au premier souffle de vent.
Chapitre 4
Parole de la Mère de
Dieu adressées à son Fils, pour l’amour de l’épouse sainte Brigitte.
de la manière dont Jésus-Christ est préfiguré par Salomon, et de la
sentence cruelle qui est fulminée contre les faux chrétiens.
La Mère de Dieu parlait
à son Fils, disant: Mon Fils, voici que votre épouse pleure,
d'autant que vous avez force ennemis et peu d'amis. Salomon figure
Jésus fut méconnu, les 2 sont méconnus par les leurs. Le Fils
répondit : Il est écrit que les enfants du royaume seront jetés
dehors, et que les étrangers le possèdent en héritage. Il est aussi
écrit qu'une reine est venue des parties éloignées de la terre pour
voir les richesses de Salomon et pour ouïr sa sagesse; et quand elle
l'eut vue, elle en fut comme ravie. Or, ceux qui étaient en son
royaume [les juifs vivant avec Salomon] ne pensaient pas à sa
sagesse ni n'admiraient ses richesses.
Or, je suis le vrai
Salomon préfiguré, mais beaucoup plus riche et plus sage que lui,
attendu que toute sagesse est de moi, et cela même que quelqu'un
soit sage; mes richesses font la vie éternelle et la gloire
indicible. J'ai promis tout cela aux chrétiens, et le leur ai donné
comme à mes enfants, afin que, s'ils m'imitaient et croyaient à mes
paroles, ils possédassent ces richesses éternellement.
Les Païens recevront ce
que les Mauvais chrétiens méprisent.
Or, ceux-ci ne
considèrent point ma sagesse, méprisent mes œuvres et estiment pour
néant et mes promesses et mes richesses. Qu'est-ce donc que je leur
dois faire ? Certes, puisque les enfants ne veulent pas avoir mon
héritage, les étrangers, c'est-à-dire, les païens le posséderont;
car eux, comme une reine étrangère et comme des âmes infidèles,
viendront et admireront les richesses de ma gloire, et de mon amour
qui les enflammera de telle sorte qu'ils se videront de l'infidélité
et se rempliront de mon Esprit.
Les Mauvais chrétiens
iront en enfer- image du potier.
Or qu’est-ce que je
ferai aux enfants de mon Royaume ? Je me comporterai en leur endroit
comme un sage potier, qui, n’ayant pas considéré la boue de laquelle
il a fait le pot, trouvant qu’elle n’est pas belle et bonne, la
jette par terre et la brise en menus morceaux.
Je ferai de la sorte
aux chrétiens, qui, quand ils devraient être à moi, les ayants faits
et formés à mon image et ressemblance et rachetés par mon sang, se
sont rendus sales et méprisables. Partant, je les foulerai aux pieds
comme boue et les précipiterai dans l’enfer. [conforme 1859]
Chapitre 5
Paroles de Dieu en
la présence de l'épouse, où il parle de sa magnificence; et en
figure, il traite comment Jésus-Christ est préfiguré par David; les
juifs, les païens et les mauvais chrétiens, par les trois enfants de
David; et enfin comment l'église a sept sacrements.
Je suis Dieu, non de
pierre ou de bois, non créé par quelqu'un, mais créateur adorable de
toutes choses, étant sans commencement et sans fin. Je suis celui
qui est venu à la Vierge sans perdre ma Divinité.
Mais moi je suis celui
qui était pour l'humanité en la Vierge, demeuré en la Vierge, sans
perdre ma Divinité. Mais Moi je suis celui qui étais pour l'humanité
en la Vierge, sans laisser ma Divinité. Je suis la même chose avec
le Père et le Saint-Esprit, qui régnais au ciel et sur la terre par
ma Divinité ; j'enflammais aussi par mon Esprit la Sainte Vierge,
non pas que mon Esprit qui l'enflammait fût séparé de moi, mais le
même Esprit qui l'enflammait était la même chose avec le Père et
avec moi, qui suis le Fils, et le Père et le Fils étaient en lui, et
ces trois personnes ne sont pas trois Dieux, mais un seul Dieu.
Je suis semblable au
roi David, qui a eu trois fils: l'un d'eux s'appelait Absalon, qui
pourchassait à mort son père; le deuxième, qui était Adonias, le
voulait débouter de son royaume ; le troisième obtint le royaume,
savoir, Salomon.
Absalon représente les
juifs.
Le premier marque les
juifs, qui me pourchassaient à mort et méprisaient mes conseils :
partant, maintenant, ayant connu leur ingratitude, je puis dire
d'eux ce que disait David de son Fils après son décès : O mon fils
Absalon, c'est-à-dire, ô juifs, qui êtes mes enfants, où sont
maintenant votre désir et votre attente ? ô mes enfants, où est
maintenant votre fin ? Je compatissais avec vous, lorsque vous
désiriez ma venue, qui vous a été annoncée par tant et tant de
signes donnés, lorsque vous désiriez les choses passagères qui vous
étaient déjà échappées toutes. Mais maintenant, je compatis plus
avec vous, comme un autre David, qui réitérait souvent la dernière
parole, disant: O mon fils Absalon! ô Absalon mon fils! attendu que
je vois maintenant votre fin en la misère de la mort, c'est pourquoi
encore avec un grand amour je dis comme David : O mon Fils, qui me
donnera cette faveur de mourir pour vous ?
Or, David sut bien que
par sa mort il ne pouvait pas ressusciter son fils, mais en cela, il
montrait l'amour paternel, et sa bonne volonté prompte à mourir pour
le ressusciter, s'il eût été possible. J'en dis de même maintenant:
O juifs, mes enfants, bien que vous ayez eu une mauvaise volonté
contre moi, et ayez fait le pis que vous avez pu, s'il était
pourtant possible et que cela plut à mon Père, je mourrais
volontiers encore une fois pour l'amour de vous, tant j'ai
compassion de votre misère, que vous-mêmes avez acquise, ma justice
le permettant ainsi; car je vous ai dit par parole ce qu'il fallait
faire et vous l'ai montré par exemple. Je vous ai précédés comme une
poule, vous échauffant sous les ailes de mon amour; mais vous avez
tout méprisé. C'est pourquoi tout ce que vous avez désiré s'est
enfui de vous: votre fin est en la misère, et votre labeur est vain.
En Adonias, second fils
de David, sont signifiés les mauvais chrétiens.
Adonias offensa son père en sa vieillesse, car il pensa ainsi à part
soi: Mon père est vieux; la force lui manque. Si je lui parle de
quelque chose de sinistre, il ne répondra pas; si je fais quelque
chose contre lui il ne s'en vengera pas; si j'attente quelque chose
contre lui, il le supportera patiemment; partant, je ferai ce que je
voudrai.
Il monta en une forêt
où il y avait peu d'arbres, avec une poignée de serviteurs de son
père, pour régner là. Mais la sagesse de son père éclatant, et ses
volontés lui étant manifestées, ses conseils ont été changés, et
ceux qui étaient avec lui ont été méprisés et rendus contemptibles.
De même font les chrétiens: ils pensent de moi en la manière,
disant: "Les signes de Dieu et ses jugements ne nous sont point
connus; nous pouvons maintenant, comme devant, dire ce que nous
voudrons, car il est miséricordieux et ne s'en avise point. Faisons
ce qu'il nous plaira, car il pardonne facilement. "
Ils se défient de ma
toute puissance, comme si j'étais maintenant plus infirme
qu'auparavant pour faire ce que je veux; ils pensent que mon amour
s'est diminué, comme si je ne voulais en avoir non plus de
miséricorde que de leur pères; ils estiment mes jugements moquerie
et ma justice vanité, c'est pourquoi ils montent dans les forêts
avec quelques serviteurs de David pour régner confidemment.
Quelle est cette forêt
où il y a si peu d'arbres, sinon la sainte Église, qui subsiste par
les sept sacrements, comme par autant d'arbres ? Ils entrent dans
cette Église avec quelques serviteurs de David, c'est-à-dire, avec
quelques petites bonnes œuvres, afin que confidemment ils obtiennent
le royaume de Dieu; car ils font quelques petites bonnes œuvres,
dans lesquelles ils se confient tant que, bien qu'ils soient en
quelque péché et en quelque crime que ce soit, bien que détestables,
ils croient pourtant avoir le ciel comme par un droit héréditaire.
Mais comme le fils de
David, qui voulait avoir le royaume de son père, a été
déshonorablement repoussé, attendu que, tout injuste qu'il était il
voulait se l'arroger injustement et il a été donné à un plus sage et
meilleur: de même ces chrétiens seront repoussés de mon royaume, et
mon royaume sera donné à ceux qui font la volonté de David, car
autre ne pourra obtenir le royaume céleste que celui qui aura la
charité, ni autre ne pourra s'approcher de ma pureté, qui ne soit
pur selon mon cœur.
Le troisième fils de
David était Salomon, qui signifie les païens.
Bersabée ayant ouï
qu'un autre que Salomon était élu pour régner, à qui néanmoins David
avait promis le royaume, alla vers David et lui dit: Mon Seigneur,
vous m'avez juré que Salomon régnerait après vous; or, maintenant un
autre est élu; si cela passe de la sorte, je serai condamnée au feu
comme une adultère, et mon fils sera illégitime.
David ayant ouï ces
choses, se leva et dit: je jure de la part de Dieu que Salomon
règnera après moi. Et il commanda à ses serviteurs qu'ils élevassent
Salomon au trône de son royaume, et qu'on ne publiât roi que celui
que David avait élu; lesquels accomplissant le commandement de leur
seigneur, exaltèrent Salomon avec une grande puissance; et tous ceux
qui avaient été de l'avis de son frère, furent chassés et faits
serviteurs.
Quelle est cette
Bersabée, laquelle sera réputée pour adultère si on élit un autre
roi, si ce n'est la foi de païens ? car il n'y a pas de plus
pernicieux adultère que de se retirer de Dieu et de la foi droite,
et croire quelqu'autre Dieu que le Créateur de toute chose; mais
comme une autre Bersabée, quelques gentils viennent à Dieu, disant
d'un cœur humble et contrit: Seigneur, vous nous avez promis qu'à
l'avenir nous serions chrétiens : accomplissez donc votre promesse.
Si un autre roi, c'est-à-dire, une autre foi est née parmi nous; si
vous vous séparez de nous, nous marcherons misérables, et nous
mourrons comme des adultères qui ont pris pour un légitime mari un
adultère. Et bien que vous viviez éternellement vous mourrez pour
nous, et nous à vous, puisque, par la grâce, vous vous éloignez de
nos cœurs, et nous nous opposons à vous par notre défiance.
Partant, accomplissez
votre promesse; confortez notre infirmité et illuminez nos ténèbres,
car si vous différez, c'est-à-dire, si vous vous éloignez de nous,
nous périrons.
Ayant ouï ces choses,
comme un autre David, je les veux élever par ma grâce et
miséricorde. Je jure donc par ma Déité, qui est avec mon humanité,
et par mon humanité, qui est en mon Esprit, et par mon Esprit, qui
est en ma Déité et en mon humanité, (et les trois ne sont pas trois
dieux, mais un Dieu) que j'accomplirai ma promesse. J'enverrai mes
amis afin qu'ils introduisent Salomon, mon fils, c'est-à-dire, les
païens, dans l'Église, qui subsiste par les sept sacrements comme
par sept arbres: le Baptême, la Pénitence, la Confirmation,
l'Eucharistie, l'Ordre, le Mariage et l'Extrême-onction; et ils se
reposeront en mon siège, c'est-à-dire, en la foi droite de la sainte
Église. Mais les mauvais chrétiens seront leurs serviteurs; ils se
réjouiront de l'héritage perpétuel et de la douceur que je leur
préparerai. Or ceux-ci gémiront leur misère, qui commencera en ce
monde et ne finira pas en l'autre. Partant, ô mes amis! Ne dormons
pas, et ne nous fâchons pas quand il est temps de veiller, car une
récompense glorieuse suivra nos travaux.
Chapitre 6
Paroles du Fils de
Dieu en présence de l’épouse, traitant de quelque roi assis en un
champ avec ses amis à la droite et ses ennemis à la gauche ; et en
quelle manière Notre-Seigneur est signifié par un tel roi, qui a les
chrétiens à la droite et les païens à la gauche ; et comment, ayant
rejeté les chrétiens, il envoie des prédicateurs aux païens.
Le Fils de Dieu disait:
Je suis comme un roi qui est aux champs, à la droite duquel sont ses
amis, et à sa gauche ses ennemis, où tous assemblés, une voix de
quelqu’un qui criait, vint à la droite, où tous assistaient armés,
ayant leur heaumes liés et leur face tournée vers Notre-Seigneur.
Or, cette voix criait ainsi : Tournez-vous vers moi et croyez-moi.
J’ai de l’or à vous donner.
Lesquels, entendant
cela, se tournèrent vers lui, et la voix leur dit pour une seconde
fois: Si vous voulez voir l’or, déliez vos heaumes, et si vous le
désirez posséder, j’attacherai derechef vos heaumes selon ma
volonté; lesquels condescendants, il leur attacha les heaumes ce qui
est devant derrière, de sorte qu’ils n’y voyaient pas; et ainsi
criant, il les amenait après lui.
Ces choses étant
faites, quelques amis du roi l’annoncèrent à leur seigneur, disant
que les hommes étaient méchamment séduits par les ennemis. Le
seigneur dit à ses amis: Allez avec eux, et criez ainsi: Déliez vos
heaumes, et voyez, car vous êtes déçus. Convertissez-vous à moi, et
je vous recevrai en paix.
Or, ils ne le voulurent
point ouïr, mais ils s’en moquèrent. Ce que voyant, les serviteurs
l’annoncèrent à leur seigneur, qui dit: D’autant donc qu’ils m’ont
méprisé, allez-vous-en vite à leur gauche, et dites-leur ces trois
choses: La voie qui conduit à la vie vous est toute prête; la porte
est ouverte, et notre seigneur en personne veux vous aller
au-devant. Croyez donc que la voie vous est préparée; espérez
fermement et constamment que la porte vous sera ouverte et que ces
paroles sont vraies. Allez au-devant du seigneur avec amour, et il
vous recevra avec charité, et il vous conduira au repos éternel. Or,
entendant les paroles de ceux qui étaient envoyés, ils crurent et
furent reçus en paix.
Je suis ce roi, dit
Notre-Seigneur, qui ai les chrétiens à ma droite et qui leur ai
préparé un bien éternel. Leurs heaumes étaient alors liés, et leurs
visages tournés contre moi; ils ont eu une ferme et parfaite volonté
d’accomplir la mienne, d’obéir à mes commandements, et de porter
leurs désirs au ciel.
Enfin, la voix du
diable, c’est-à-dire la voix de la superbe, résonna au monde, leur
enseignant les richesses du monde et la volupté charnelle, à
laquelle ils se convertirent avec affection, et consentirent à leur
superbe, pour la quelle alors ils posèrent leurs heaumes, quand ils
accomplirent en effet leurs brutales affections, et préférèrent les
choses temporelles aux choses spirituelles.
Ayant donc posé les
heaumes des volontés divines et les armes des vertus, la superbe
prévalut tellement en eux, qu’elle les obligea si entièrement qu’ils
eussent voulu pécher toujours, et eussent voulu vivre éternellement
pour éternellement pécher. Cette superbe les a tellement aveuglés
qu’elle leur a mis les yeux derrière la tête. Que sont les trous du
heaume, sinon la considération des choses passées et une sage
circonspection des choses présentes? Par le premier trou, ils
devraient considérer les récompenses éternelles, et combien elles
sont délectables, et combien les supplices futurs sont horribles, et
combien sont terribles les jugements de Dieu.
Par le deuxième trou,
ils devraient considérer ce que Dieu commande et ce que Dieu défend,
combien ils s’éloignent des commandements de Dieu, et en quelle
manière ils pourraient s’amender. Mais hélas! Les trous sont au
derrière de la tête, où on n’y voit rien, car la considération des
choses célestes est ensevelie dans l’oubli; l’amour de Dieu s’est
refroidi en eux, et l’amour du monde est si doucement considéré et
embrassé, qu’il les conduit où ils veulent, comme une roue bien
ointe.
Vraiment, mes amis,
voyant qu’ils me déshonorent, considérant la chute des âmes et le
domaine du diable, crient à moi tous les jours, par leurs instantes
et humbles prières, lesquelles ont pénétré les cieux et percé mes
oreilles; et moi, fléchi par leurs prières, je leur ai envoyé mes
prédicateurs; je leur ai montré des signes et ai multiplié en eux
mes grâces. Mais méprisant tout, ils ont ajouté un péché à un autre.
Partant, je dirai à mes
serviteurs, et en vérité, je l’accomplirai maintenant: Mes
serviteurs, allez à ma gauche, c’est-à-dire, vers les païens, qui
ont été jusqu’à aujourd’hui en mépris; allez, dis-je, et parlez en
ces termes: Le Seigneur du ciel et le Créateur de toutes choses vous
fait dire que la voie du ciel est ouverte: ayez volonté d’y entrer
avec une foi ferme. La porte du ciel vous est ouverte; espérez
fermement, et vous entrerez. Le Roi du ciel et le Seigneur des anges
vous veut aller lui-même au-devant, vous donner la paix et
perpétuelle bénédiction: allez-lui au-devant, et recevez-le avec la
foi qu’il vous a montrée, par laquelle la voie du ciel est préparée.
Recevez-le avec espérance, par laquelle vous attendez que vous
posséderez le ciel qu’il vous veut donner. Aimez-le de tout votre
cœur, et accomplissez par effet cet amour. Entrez à Dieu par les
portes du ciel; les chrétiens qui ne veulent pas entrer par elles et
s’en rendent indignes par les œuvres, en seront repoussés.
Je vous dis en vérité
que j’accomplirai mes paroles, et je n’y manquerai pas. Je vous
recevrai pour mes enfants, et je vous serai Père que les chrétiens
ont méprisé.
Vous donc, mes amis, qui êtes au monde, marchez sûrement; criez et
annoncez-leur ma volonté, et aidez-les, afin qu’ils puissent
accomplir mes volontés. Je serai dans votre cœur et dans votre
bouche. Je serai votre conducteur en la vie, et votre conservateur
en la mort. Allez sûrement, je ne vous laisserai point. La gloire
croît par le labeur, car je pourrais toutes choses en un moment et
en une parole, mais je veux que du combat croisse votre couronne, et
que de votre courage croisse mon honneur.
N’admirez pas ce que je
vous dit, car si un homme sage pouvait considérer ceci dans le
monde, combien d’âmes descendent tous les jours dans l’enfer, il
verrait qu’il y en a plus que du sable dans la mer et que de petits
cailloux au rivage, car la justice et l’équité veulent que ceux qui
se sont séparés de Dieu soient conjoints avec le diable. Partant,
afin que le nombre du diable soit diminué, qu’on voie le péril
présent et que mes troupes soient augmentées. Je parle ainsi, afin
que, par aventure, s’ils entendent, ils s’amendent.
Chapitre 7
Paroles de
Jésus-Christ à son épouse, traitant de la manière dont la Divinité
est comparée à une couronne. Comment est désigné l’état des clercs
et laïques par saint Pierre et saint Paul. Des moyens qu’il faut
tenir avec les ennemis, et des conditions qu’il faut avoir avec les
soldats de ce siècle.
Le Fils de Dieu parlait
à son épouse, lui disant: Je suis le Roi des couronnes. Ne
savez-vous pas pourquoi je suis appelé Roi des couronnes?
Certainement, ma Divinité est sans commencement et sans fin. Ma
Divinité est comparé à une couronne, d’autant qu’elle est sans
commencement et sans fin; car comme en un royaume, on garde toujours
une couronne pour le roi futur, de même ma Divinité était réservée à
mon humanité pour en être couronnée. Or, j’ai eu deux domestiques:
l’un était clerc et l’autre était laïque; l’un était Pierre, ayant
office de clerc, et Paul était comme laïque ; Pierre était lié au
mariage; mais voyant que le mariage ne pouvait s’accorder avec
l’office de clerc, et considérant que sa pure intention périclitait
en l’incontinence, il se sépara tant seulement de l’usage du
mariage, afin qu’il fût uni à moi plus librement. Mais Paul garda la
chasteté, et se conserva pur du lit de noces.
Voici quelle charité
j’ai faite au monde avec ces deux: j’ai donné à Pierre les clefs du
ciel, de sorte que ce qu’il lie et délie en terre est lié et délié
au ciel. J’ai donné à saint Paul cette faveur, qu’il fût semblable à
saint Pierre en gloire et en honneur: car comme en terre ils ont été
égaux et unis ensemble, de même maintenant au ciel, ils sont
conjoints et glorifiés en la gloire perpétuelle. Mais bien que j’aie
nommé ces deux expressément, néanmoins, j’entends avec eux les
autres qui sont nos amis; car comme autrefois, en la loi, je parlais
à un seul Israël comme à un homme, entendant parler en ce seul mot
de tout le peuple d’ Israël, de même maintenant, en ces deux,
j’entends parler de plusieurs, que j’ai remplis de gloire et
d’amour.
Or, le temps allant en
avant, les maux ont commencé de se multiplier, et la chair de se
rendre infirme et d’être plus que de coutume encline au mal.
Partant, à l’un et l’autre état des clercs et laïques, signifiés en
Pierre et en Paul, ayant regard à ma miséricorde, j’ai permis aux
clercs d’avoir modérément des biens de l’Église pour l’utilité du
corps, afin qu’ils en fussent plus fervents et plus fréquents à mon
service; j’ai permis aux laïques le mariage selon les cérémonies de
l’Église.
Entre les clercs, il y
avait un bon homme qui considérait à part soi ceci: La chair
m’entraîne aux perverses volontés, le monde à l’usage pernicieux; le
diable me tend plusieurs embûches pour me faire tomber dans le
péché. Partant, afin que je ne sois pas supplanté par la chair et
par la volupté, je mettrai un moyen en toutes mes actions: je
modérerai ma réfection; je tempérerai mon sommeil; je garderai le
temps qui est dû au travail et à l’oraison; je châtierai ma chair
par des jeûnes.
En deuxième lieu; afin
que le monde ne m’arrache de l’amour de Dieu, je veux laisser tout
ce qui est du monde; car tout est périssable; il est plus sûr de
suivre en pauvreté Jésus-Christ. En troisième lieu, afin que le
diable ne me trompe ( car il montre toujours le faux pour le vrai),
je me soumets à l’obéissance et au gouvernement d’autrui, et me
montrerai disposé à faire tout ce qu’on me commandera.
C’est celui-là le
premier qui a institué la vie monastique, et qui, persévérant
louablement en elle, a laissé aux autres l’exemple vif de sa vie
pour le suivre et l’imiter.
L’état des laïques fut
bien disposé pour quelque temps. Quelques-uns d’eux cultivaient la
terre et étaient fidèles au labourage des champs. Les autres
allaient par mer, transportant les marchandises aux autres régions,
afin que la nécessité d’une région fût soulagée par la fertilité de
l’autre. Quelques autres s’adonnaient aux ouvrages d’art. De
ceux-là, quelques-uns étaient défenseurs de mon Église, qui sont
maintenant appelés curieux; qui ont pris les armes pour venger les
injures qu’on fait à mon Église et pour combattre ses ennemis.
Entre ceux-là, il
apparut un bon homme, mon ami, qui considérait à part soi: Je ne
cultive pas la terre comme un laboureur; je ne traverse pas les mers
comme un marchand; je ne m’adonne pas aux ouvrages comme un ouvrier
excellent. Qu’est-ce donc que je ferai, ou par quels ouvrages
apaiserai-je mon Dieu? Même, je ne suis pas généreux à défendre
l’Église. Mon corps est débile et mou pour souffrir les plaies; ma
main est lâche pour frapper ses ennemis, et mon esprit dégoûté pour
considérer les choses célestes. Que faut-il donc faire maintenant?
Certainement, je sais ce que je ferai: je me lèverai, et je
m’obligerai, avec serment ferme et stable sous un prince temporal, à
défendre la foi de la sainte Église aux dépens de mon sang, à bien
faire.
Or, ce mien ami venant
à ce prince, lui dit: Seigneur, je suis un des défenseurs de
l’Église; mon corps est trop lâche pour souffrir les plaies; mes
mains sont trop faibles pour blesser; mon esprit est inconstant pour
la considération des choses bonnes et pour faire de bonnes œuvres;
ma volonté propre me plaît; mon repos ne me permet pas de résister
et de combattre courageusement pour la maison de Dieu. Partant, je
m’oblige avec jurement public, sous l’obéissance de la sainte Église
et de la vôtre, ô princes! À la défendre tous les jours de ma vie,
afin que si, peut-être, mon esprit et ma volonté sont lâches pour
combattre, je sois obligé par jurement de bien agir et opérer. Le
prince lui répondit: J’irai avec vous en la maison de Dieu, et serai
témoin de votre promesse et de votre jurement.
Or, tous deux venant à
l’autel, mon ami, ayant fléchi le genou devant l’autel, dit; Je suis
tout faible et infirme en ma chair pour souffrir des blessures; ma
volonté propre m’est trop chère, et ma main est trop lâche pour
frapper. C’est pourquoi maintenant, je promets obéissance à mon
Dieu, et à vous, qui êtes chef, m’obligeant avec jurement à défendre
l’Église contre ses ennemis et à aider ses amis; à faire du bien aux
veuves, aux orphelins et à ceux qui sont fidèles à Dieu; à ne faire
jamais rien contre l’Église ni contre sa foi. D’ailleurs, je
m’oblige à votre correction, s’il advient que j’erre, afin qu’obligé
d’obéir, je pèche moins, résiste à ma propre volonté, et avec plus
de ferveur et de facilité, je suive la volonté de Dieu et la vôtre;
et que je sache que désormais il me sera d’autant plus damnable, et
me rendrai par-dessus les autres d’autant plus contemptible, si,
ayant violé vos commandements, je présume d’y contrevenir.
Or, ayant fait cette
promesse devant mon autel, le prince, le considérant sagement, lui
prépara un habit différent et distinct de celui du monde, en signe
qu’il avait renoncé à la propre volonté, et afin qu’il sut qu’il
avait un supérieur et qu’il lui devait obéir. Ce prince lui donna
aussi en sa main un glaive tranchant, lui disant: Vous taillerez en
pièces les ennemis de Dieu et les tuerez. Il mit aussi en ses bras
un bouclier, lui disant: Défendez-vous avec ce bouclier des dards
des ennemis, et souffrez patiemment les coups, de sorte que votre
bouclier soit plutôt mis en pièces avant que vous finissiez.
Ce mien ami promit
d’observer et de garder fidèlement ses promesses en la présence de
mon clerc, qui l’ouït. Or, ce clerc lui donna mon corps pour force
et fermeté, afin que mon ami, m’étant uni par mon corps, ne fût
jamais séparé de moi. Tels ont été mon ami Grégoire et plusieurs
autres; tels certes devraient être les chevaliers, qui devraient
avoir le nom pour dignité, l’habit pour l’œuvre et pour défense de
la foi sainte. Oyez maintenant ce que mes ennemis font contre ce que
mes amis ont fait.
Enfin, mes amis
entraient dans le monastère par crainte discrète et par amour. Mais
hélas! Ceux qui sont dans le monastère vont au monde, poussés par la
superbe et la cupidité, pour assouvir leur propre volonté et pour
satisfaire aux contentements du corps. Ceux qui meurent en une si
pernicieuse volonté, la justice veut qu’ils ne goûtent ni
n’obtiennent les joies célestes, mais bien, dans l’enfer, les peines
et les supplices sans fin. Sachez aussi que ceux qui vivent dans les
cloîtres, s’ils sont contraints d’être prélats contre leur volonté,
et sont portés seulement par l’amour divin, ne font pas le nombre
avec ceux-là. Les chevaliers aussi, qui portaient mes armes et ont
été prêts à donner leur vie pour la justice et à répandre leur sang
pour la sainte foi, défendant justement les pauvres, humiliaient et
déprimaient les mauvais.
Mais maintenant,
écoutez comment ils me sont contraires: il leur plaît plus de mourir
en la guerre pour la superbe, la cupidité et l’envie, suivant les
suggestions diaboliques, que de vivre selon mes commandements pour
obtenir la joie éternelle. Donc, récompense sera donnée à tous ceux
qui mourront en une telle volonté par le jugement de ma justice
rigoureuse, savoir: aux âmes de ceux-là, une éternelle conjonction
avec le diable; mais ceux qui me servent doivent avoir une
récompense incorruptible, sans fin, avec les troupes célestes.
Moi, Jésus, qui suis
vrai Dieu et vrai homme, un Dieu avec mon Père et mon Saint-Esprit,
j’ai dit ces paroles.
Chapitre 8
Paroles de
Jésus-Christ à son épouse, par lesquelles il traite de quelque
chevalier qui s’était retiré de la vraie milice, c’est-à-dire, de
l’humilité, obéissance, patience, foi, etc. allant à la fausse,
c’est-à-dire, à la superbe; et aussi au contraire de l’expérience de
la damnation, et de la damnation qu’il a encourue, tant à raison de
ses mauvaises volontés que pour ses œuvres méchantes.
Je suis le vrai Dieu.
Il n’y a de fait, il n’y a eu, il n’y aura seigneur plus grand que
moi, car mon domaine dépend de moi. Partant, je suis le vrai
Seigneur, et autre ne doit être ainsi appelé que moi seul, d’autant
que toute puissance est de moi.
Je vous ai dit que
j’avais des domestiques, dont l’un entreprit virilement et consomma
glorieusement une vie louable, que plusieurs imitèrent et suivirent
après, en même vie et en même milice. Qui vous dira maintenant qui
est celui-là qui, le premier, s’est retiré de la profession de la
milice instituée par mon ami? Je ne vous dis pas son nom, car vous
ne le connaissez pas; par le nom, je vous montrerai quel il était
par son intention et par son affection.
Quelqu’un, voulant être
chevalier, s’en vint à mon Église; à l’entrée, il ouït une voix qui
lui disait: Si vous voulez vous enrôler en cette milice, il faut que
vous ayez trois choses: 1 vous devez croire la substance du pain que
vous voyez en l’autel, être le vrai Dieu et homme, Créateur du ciel
et de la terre. 2 Vous devez- vous plus abstenir de votre propre
volonté, après avoir péché, qu’auparavant. 3. Vous ne devez vous
soucier de l’honneur du monde, et je vous donnerai la délectation
divine et l’honneur éternel. Ce soldat, ayant ouï ces trois choses,
et délibérant de les suivre , ouït soudain en son esprit une autre
pernicieuse voix qui lui disait trois choses contraires à ce que
dessus: Si vous me voulez servir: je vous donnerai en possession
tout ce que vous voyez; je vous ferai ouïr tout ce qui plaît aux
hommes, et vous ferai obtenir tout ce que vous désirez.
Ce chevalier, oyant ces
choses, considéra à part soi: Ce premier seigneur me commande de
croire ce que je ne vois pas, me promet ce que je ne sais pas, me
défend les plaisirs que je désire et que je vois, et veux que je
mette mon espérance en des choses qui sont incertaines en moi.
L’autre me promet le monde et l’honneur que je vois, la délectation
que je souhaite, ne me défend ni l’ouïe ni la vue des choses
délectables. Certainement, il vaut mieux suivre le maître que je
vois, et jouir de ce qui est sensible; jouir des choses dont je suis
certain, que mettre mes espérances en des choses incertaines.
Cet homme, considérant
les choses de la sorte, commença de se retirer de la milice, renonça
à sa vraie profession, enfreignit sa promesse, jeta le bouclier de
patience devant mes pieds, rejeta de ses mains le glaive par lequel
il défendait la foi, et ainsi de mon Église, à qui cette pernicieuse
voix avait dit: Si, comme je vous ait dit, vous voulez être à moi,
vous devez aller au camp avec toute sorte d’orgueil, et par les
places, avec toute sorte de vanité, car comme ce premier maître vous
a commandé l’humilité en toutes choses, de même, étant à moi, il n’y
doit avoir genre de superbe que vous n’expérimentiez. Et comme lui
est entré avec subjection et obéissance, de même ne souffrez point
qu’aucun de vous soit supérieur; ne faites pas la révérence à pas un
par esprit d’humilité.
Prenez le glaive en
main pour répandre le sang de votre prochain et de votre frère, pour
posséder ses moyens ; mettez votre bouclier au bras, afin de donner
librement votre vie pour l’honneur. Pour la foi qu’il vous
recommandait, aimez le temple de votre corps, afin que vous ne vous
priviez d’aucune volupté, mais que vous les goûtiez toutes.
Ce misérable attachant
à ces choses son intention et sa volonté, son prince lui mit la main
à son col en un lieu destiné pour cela, car le lieu, quel qu’il
soit, ne nuit à personne, si on a bonne volonté, ni ne profite, si
l’intention est mauvaise. Or, ayant profané les paroles qu’on use
pour confirmer quelqu’un en sa milice, l’exerçant pour la superbe du
monde, misérable qu’il était ! faisant peu de compte de ce qu’il
avait été appelé à de plus grandes choses qu’auparavant, parce qu’il
était obligé à une vie plus austère de misères quasi infinies, il
suivit et accueillit ce chevalier, pour suivre les superbes, et
descend plus profondément en enfer, à raison de la profession qu’il
fait de la milice.
Mais vous me pouvez
demander que plusieurs veulent s’agrandir au monde et être appelés
grands, mais néanmoins, n’y peuvent pas arriver. Ceux-ci ne
seront-ils pas punis, à raison de leur mauvaise volonté, comme
seront ceux à qui tous les souhaits réussissent ?
A cela je vous réponds
: Quiconque a une entière volonté, et fait tout ce qu’il peut, afin
d’être élevé aux honneurs du monde et être appelé d’un nom vain, et
néanmoins, par un occulte jugement de la Divinité, en est privé, je
vous dis pour certain que celui-là sera puni comme celui qui a
acquis les honneurs, s’il ne fait pénitence. Voici que de deux
hommes connus à plusieurs, je vous donne un exemple, l’un desquels
prêchait selon sa volonté, et obtenait presque tout ce qu’il
désirait ; l’autre avait les mêmes ambitions dans le cœur, ou le
cœur dans les ambitions, mais il n’a pu en avoir l’accomplissement.
Le premier a acquis les honneurs du monde ; il a aimé le temple de
son corps avec toute sorte de voluptés ; il dominait comme il
voulait, et profitait en tout ce qu’il entreprenait.
L’autre lui était
semblable en volonté, mais dissemblable en effet ; il a acquis moins
d’honneurs, bien qu’il eût cent fois répandu pour cela le sang de
son prochain pour assouvir et accomplir ses cupidités. Il a donc
fait ce qu’il a pu et a accompli sa volonté selon son désir. Ces
deux-ci sont égaux en l’horreur du supplice, et bien qu’ils ne
soient pas morts en un même temps et en une même heure, tous deux
néanmoins sont en même damnation, car à tous deux a été faite la
même voix en la séparation de leur âme d’avec leur corps.
L’âme donc, étant
séparée du corps, parlait au corps en ces termes : Dis-moi, où est
maintenant la vision délectable de tes yeux, que tu m’avais promise
? Où est la volupté que tu m’as montrée ? Où sont les paroles
délectables dont tu me faisais user ?
Le démon fut présent
soudain et répondit : Les vues promises, elles ne sont qu’en la
poudre ; les paroles, elles ne sont qu’en l’air ; la volupté n’est
que fiente et pourriture ; elles ne profitent de rien maintenant.
Alors l’âme s’écria :
Hélas ! Hélas ! Que je suis misérablement déçue ! Je vois trois
choses : je vois que celui qui promettait de se donner à moi sous
les espèces du pain, est le Roi des rois le Seigneur des seigneurs.
Je vois que ce qu’il a promis est indicible et admirable. Je
comprends que l’abstinence qu’il me persuadait est très-utile.
Après, elle s’écria plus haut, disant : Malheur! Malheur ! Que je
sois née, malheur ! Que ma vie ait été si longue sur la terre,
malheur ! d’autant que je dois vivre d’une vie qui est une mort
éternelle, sans fin ni relâche. Voilà de combien de misères seront
accablés ceux qui pour une félicité fausse et passagère, auront
méprisé leur Dieu. Partant, O mon épouse, rendez-moi grâces de ce
que je vous ai affranchie de tant de misères ! Obéissez à mon Esprit
et à mes élus.
Chapitre 9
Paroles de
Jésus-Christ à son Épouse, par lesquelles il lui déclare le chapitre
précédent ; comme le diable a attaqué ce chevalier susdit, et de
l’horrible condamnation que la justice divine en fit.
Tout le temps de cette
vie n’est quasi qu’une heure devant moi. C’est pourquoi ce que je
vous dis maintenant a été de toute éternité en ma présence. Je vous
ait dit en premier lieu qu’il y en avait un qui avait commencé la
vraie milice, et un autre qui s’en était misérablement retiré, et
avait jeté son bouclier devant mes pieds et son glaive à mon côté,
quand il enfreignit sa profession sainte et sa promesse.
Or, qu’est-ce que
signifie le bouclier qu’il a jeté, sinon la foi droite, qu’il devait
défendre contre les ennemis de la foi et de son âme ? Quels sont mes
pieds, avec lesquels je vais à l’homme, si ce n’est la délectation
divine, avec laquelle j’attire à moi les hommes, et ma patience,
avec laquelle je les souffre patiemment ?
Or, il jeta ce
bouclier, lorsqu’entrant dans le temple, il pensait à part soi : Je
veux suivre ce Seigneur, qui ne me conseille ni ne me commande
aucune abstinence ; qui me donne ce que je désire ; qui me permet
d’ouïr ce qui me plaît à mes oreilles.
C’est ainsi qu’il jeta
le bouclier de la foi, quand il aima mieux suivre sa volonté propre
que moi, quand il aima plus la créature que le Créateur : car s’il
eût eu une foi droite, s’il m’eût cru tout-puissant, juste juge, et
celui qui donne la gloire éternelle, il n’eût désiré autre chose que
moi, il n’eût craint autre chose que moi.
Or, il a jeté ma foi
devant mes pieds, quand, ayant méprisé la foi et l’ayant réputée
pour néant, il ne cherchait ni mes plaisirs ni ne considérait ma
patience.
Après, il a jeté son
glaive à mon côté. Que marque le glaive, sinon ma crainte, que le
vrai soldat doit avoir continuellement en ses mains, c’est-à-dire,
en ses œuvres ? Qu’est-ce que signifie mon côté, sinon ma garde et
ma protection, sous lesquelles je fomente et défends mes enfants
comme une poule défend ses poussins, afin que le diable ne leur
nuise et que les périls intolérables ne les accueillent ?
Mais lui, il a rejeté
le glaive de crainte de Dieu, quand il ne s’est soucié de pécher à
ma puissance, ni ne considérait mon amour et ma patience. Or, il l’a
rejeté à mon côté, comme s’il disait : Je ne crains point ni ne me
soucie de votre protection ; tout cela vient de mon industrie et de
mon sang noble et illustre.
Il a aussi enfreint la
promesse qu’il m’avait faite. Quelle est cette promesse vraie que
l’homme est obligé de faire à Dieu, sinon l’œuvre d’amour, afin que
tout ce qu’il fera, il le fasse par le mouvement de l’amour de Dieu
? Mais il a violé cette promesse, quand il a converti l’amour de
Dieu en l’amour propre, préférant sa volupté aux délectations
éternelles.
C’est de la sorte qu’il
se sépara de moi et sortit du temple de l’humilité, car tous les
corps des chrétiens dans lesquels règne l’humilité, sont mon temple
; les corps dans lesquels la superbe domine, ne sont pas mon temple,
mais le temple du diable, qui les conduit, selon sa volonté, aux
appétits désordonnés du monde.
Or, étant sorti du
temple de l’humilité, y ayant rejeté le bouclier de la foi et
abandonné le glaive de ma crainte, il monta au champ, enflé et
bouffi de superbe ; il s’exerça et s’adonna à toute sorte de volupté
et appétits de sa volonté, méprisant ma crainte, se plongeant de
plus en plus dans les abîmes du péché, et s’ensevelissant dans les
sales voluptés.
Or, étant arrivé au
dernier période de sa vie, quand son âme s’exhalait de son corps,
les diables s’emparèrent avec une grande impétuosité, et soudain
trois voix résonnèrent de l’enfer contre elle.
La première dit : Eh
quoi ! N’est-ce pas celui-ci, qui, se retirant de l’humilité, nous a
suivis en toute sorte de superbe ? Et s’il eût pu même nous
surpasser en orgueil et en superbe, il l’eût fait librement. L’âme
lui répondit : Vraiment, c’est moi.
La justice lui répondit
: La récompense de votre superbe est que vous tombiez d’un démon en
un autre, jusqu’à ce que vous soyez plongée au plus profond abîme de
l’enfer. Et comme il n’y a pas de démon qui ignorât sa peine être
certaine et le supplice qu’il fallait infliger à cette âme misérable
pour toutes ses pensées inutiles et ses mauvaises œuvres, de même il
n’y aura aucun supplice dont vous ne subissez la violence.
La deuxième voix criait
et disait : N’est-ce pas celui-ci qui s’est séparé de la milice de
Dieu, qu’il avait professée, et s’est enrôlé en notre milice ? L’âme
répondit : Je suis vraiment celle-là. Et la justice dit : Telle sera
la source de votre récompense, que tous ceux qui suivront votre
malice par leur malice et par leur peine, augmenteront votre peine
et rengréneront votre douleur ; et quand ils viendront où vous êtes,
ils vous perceront comme d’une plaie mortelle. Car comme celui qui a
une plaie cruelle, si on lui ajoutait plaie sur plaie jusqu’à ce que
le corps fût couvert de plaies, serait affligé de douleurs
intolérables et s’écrierait : Malheur ! Malheur sur moi ! c’est de
la sorte qu’une misère attirera sur vous un monde de misères. Votre
douleur se renouvellera sur toute autre douleur ; votre peine ne
cessera jamais, et votre malheur ne diminuera point.
La troisième voix
disait : N’est-ce pas celui-ci qui a vendu le Créateur pour la
créature, son amour pour son propre amour ? L’âme répondit :
Certainement je le suis. C’est pourquoi, que deux portes lui soient
ouvertes : par l’une en toute peine et toute douleur, infligées pour
le plus petit péché jusques au plus grand, attendu qu'il a vendu son
Créateur pour sa volupté propre. Par la seconde entrent en lui toute
sorte de labeurs et confusion, et jamais n’entreront en lui; ni
consolation ni amour divin, car il s’est aime au lieu d'aimer son
Créateur.
Partant, sa peine
durera sans fin et vivra sans jamais mourir, d'autant que tous les
saints lui détourneront leur face. Voila, o mon épouse combien
misérables seront ceux qui me méprisent, et quelles peines et
quelles douleurs ils achètent et souffrent pour une petite et
passagère volupté.
Chapitre 10
Parole de
Jésus-Christ a son épouse, avec lesquelles il montrent comment est
désigne par le buisson que Moise vit le corps de la Vierge Marie par
Pharaon le diable et par le peuple d’Israël les chevaliers nouveaux;
et en quelle manière les chevaliers et les nouveaux évêques
préparent n ces nouveaux temps des demeures au diable.
Il est écrit en la loi
de Moise, que Moise gardant les troupeaux au désert, voyant le
buisson enflammé et qui ne brûlait point, frémit de peur et voila.
son. visage. ‘La voix sortant du buisson lui dit L’affliction de mon
peuple est venue jusques à mes oreilles; j’ai compassion d’eux,
d’autant qu’ils sont aggravantes, voire opprimés sous un joug dur et
pesant. Je suis cette voix qui crie du buisson et qui parle avec
vous. La misère de mon peuple est venue jusques à mes oreilles.
Quel était-il, mon
peuple, sinon Israël? Par mon peuple , j‘entends les chevaliers qui
dans le monde ont fait profession de ma milice, qui devraient être à
moi, mais ils sont trop affligés par le monde. Qu’est-ce que Pharaon
a fait à mon peuple Israël en Égypte ? Certainement trois maux le
premier, qu’il ne faisait point donner de la paille à ceux qui
bâtissaient les maisons pour faire cuire la brique , mais il fallait
qu’eux-mêmes, contre toute sorte de droit, en amassant là ou ils
pouvaient. Le deuxième, qu’on ne remerciait point de leur labeur les
architectes, bien qu’ils eussent fait tout ce qu’on leur avait
commandé. Le troisième , ils étaient grandement affligés par les
commissaires , s’ils manquaient d’accomplir et parfaire le nombre et
la quantité qu’on leur avait commandés. Le peuple a édifié à Pharaon
deux villes avec grand travail et peine.
Qui est ce Pharaon, si
ce n’est le diable, qui afflige mon peuple, c’est-à-dire, les
chevaliers qui sont obligés d’être mon peuple? Je vous dis en vérité
que si mes chevaliers eussent persisté et persévéré en la
constitution et disposition que mon cher ami leur avait commandées,
ils seraient maintenant entre mes chers amis, car comme Abraham,
ayant reçu le premier le commandement de la circoncision et
m’obéissant , a été mon très cher ami, et tous ceux qui ont suivi sa
foi et ses œuvres, ont été participants de sa dilection et de sa
gloire, de même les chevaliers , entre les autres ordres, m’ont
principalement plu , d’autant qu’ils m’ont voué ce qu’ils avaient de
plus cher, savoir, de répandre leur sang pour l’amour de moi. Par ce
vœu , ils m’avaient grandement plu , comme Abraham par sa
circoncision et se purifiaient tous les jours en l'observance de
leur profession et réception de la sainte charité. Or, maintenant ,
les chevaliers sont approuvés par la misérable servitude de Satan de
sorte que le diable, les frappant d’une plaie mortelle les abîme
encore dans les supp1ice et les douleurs.
Les évêques aussi;
comme les enfants d'Israël , édifient deux villes au diable: la
première est le labeur du corps, une sollicitude superflue, la
deuxième est une inquiétude, une perturbation d’esprit des appétit
du monde, qui ne leur donne point de repos, le labeur est en
l’extérieur , et l’inquiétude et l’anxiété sont en l’intérieur,
rendant les choses spirituelles onéreuses. Mais comme Pharaon ne
donnait point à mon peuple ce qui était pour faire les briques;
comme les greniers n’étaient pleins de froment, ni les caves de vin;
comme tout le reste de ce qui était utile leur manquait; comme avec
labeur et peine d’esprit, il s’acquérait lui-même leur vie : de même
maintenant le diable fait de ceux-ci: bien qu’ils travaillent de
toutes leurs forces, et que de toute leur industrie ils s’adonnent
au monde, néanmoins, ils ne peuvent avancer ni profiter en ce qu’ils
désirent, ni étancher la soif de leur ardente cupidité. Partant, ils
brûlent intérieurement par un feu de douleur, et extérieurement par
le 1abeur , à raison de quoi j’ai grande compassion de leur
affliction et de ce que mes chevaliers et môn peuple bâtissent des
demeures au diable , et travaillent incessamment pour cela; qu’ils
ne puisse accomplir leurs désirs, et qu’ils se peinent et
s’affligent pour des choses vaines, et qu’ils ne cueillent aucun
fruit de bénédiction de leur peine, mais une récompense de confusion
éternelle.
Partant , quand Moïse
fut envoyé au peuple, Notre-Seigneur lui donna un signe pour une
triple raison, d’autant que , premièrement en Égypte, chacun adorait
particulièrement son Dieu , et il y avait des dieux innombrables il
était donc nécessaire qu’il y eût un signe , afin qu’ayant manifesté
ce signe admirable et la puissance divine, ils adorassent un seul
Dieu, et crussent par le signe qu’il était créateur de toutes
choses, et qu’on éprouvât que les idoles étaient toutes vaines.
Il était, en deuxième
lieu, donné ce signe à Moïse en figure et représentation de mon
corps futur. Que signifiait en effet le buisson ardent sans être
brûlé , sinon une Vierge faite féconde par l’opération du
Saint-Esprit, et qui enfante sans douleur? Certainement, j’ai pris
chair humaine de ce buisson et pris mon humanité de la chair
virginale. Semblablement aussi , le serpent de Moïse donné en signe,
signifiait mon cœur.
En troisième lieu, il
fut donné ce signe à Moïse pour affermir la vérité de ce qui se
devait faire et s’accomplir par la figure des signes, afin que la
vérité de Dieu fût connue être autant certaine et infaillible qu’on
verrait être en leur temps évidemment accomplies , les choses que
les signes nous présageaient. Or, maintenant , j’envoie mes paroles
aux enfants d’Israël et aux chevaliers , auxquels il n’est pas
besoin de faire des signes, pour trois raisons : la première ,
d’autant que maintenant on croit et on adore un seul Dieu, auteur et
créateur de toutes choses, connu par les saintes Écritures et par
plusieurs signes passés. La deuxième, parce qu’ils n’attendent plus
ma naissance, car ils savent que vraiment je suis ne et incarné sans
corruption, car toute l’Écriture est accomplie.
Certes ,on ne doit pas
croire une foi meilleure et plus certaine que celle qui a été
publiée et prêchée par moi et par mes prédicateurs Néanmoins j‘ai
fait trois choses avec vous,, par lesque1les on peut croire: la
première , que mes paroles sont vraies et ne sont point contraires à
la foi vrai ; la deuxième, d’autant qu'à ma parole,1e diable s’est
retire d’un homme obsédé, la troisième, parce que j'ai donné à un
même homme des volontés contraire pour reformer la charité mutuelle.
Partant, ne doutez pas de ceux qui. croiront en moi, car ceux qui
croient en moi croient à mes paroles. A ceux auxquels je délecte ,
mes paroles délectent, c’est pourquoi il est écrit que Moise, ayant
parlé a Dieu, voilait sa face; mais vous ne devez point voiler votre
face, car de fait., je vous ai ouvert les yeux spirituels, afin que
vous voyiez les choses spirituelles; je vous ai ouvert les oreilles,
afin que vous entendiez les choses spirituelles, enfin, je vous
montrerai l'édifice de mon corps tel qu'il a été en ma passion,
après ma passion, et. quel après ma résurrection tel que Magdalène,
Pierre et les autres l’ont vu.
Vous :entendrez aussi
ma voix, qui a par1é à Moïse dans le .buisson ardent. La même voix
vous parle maintenant au fond de votre âme.
Chapitre 11
La Mère de Dieu
avertit son épouse de se souvenir tous les jours de la passion
douloureuse du Fils de Dieu, car à cette heure de la passion, toute
choses s’étaient troublées, l’humanité, la Mère, les anges et tous
les éléments , et les âmes des vivants et des morts, voire les
démons.
Pour le jour de la
Passion.
La Mère de Dieu parle à
son épouse, disant : En la mort de mon Fils, toutes choses s’étaient
troublées, car la Divinité, qui ne s’est séparée jamais, non pas
même en cette heure de la mort, en laquelle il semblait que la
Divinité compatît, bien que la Divinité ne puisse souffrir ni
douleur ni peine, d’autant qu’elle est impassible et immuable, le
Fils pâtissait une douleur très amère en tous ses membres, et voire
même dans le cœur, qui, néanmoins, était immortel selon la Déité.
Son âme était aussi immortelle et pâtissait beaucoup en la
séparation. Les anges aussi assemblés, semblaient se troubler de
voir Dieu pâtir en l’humanité.
Mais comment les anges
se peuvent-ils troubler, étant immortels ? Certainement, comme le
juste, voyant son ami pâtir quelque chose dont il lui revenait une
grande gloire, se réjouirait de l’acquisition de la gloire, et
s’affligerait de ce qu’il pâtît, de même les anges se contristaient
de sa peine, bien qu’ils soient impassibles, et se réjouissaient de
la gloire et du mérite de sa passion.
Tous les éléments aussi
se troublèrent : le soleil et la lune perdirent leur splendeur ; la
terre trembla ; les pierres se fendirent ; les sépulcres s’ouvrirent
à l’heure de la mort de mon Fils. Tous les Gentils se troublaient en
tous lieux où ils étaient, car il y avait alors en leur cœur comme
une pointe de douleur, bien qu’ils ignorassent d’où en venait le
sujet ; Le cœur aussi de ceux qui le crucifiaient, se troubla à
cette heure, mais, non certes à leur gloire. Les malins esprits
étaient encore troublés à cette heure, et étaient comme assemblés en
un. Or, ceux qui étaient dans le sein d’Abraham, étaient beaucoup
troublés, en telle sorte qu’ils eussent mieux aimé être
éternellement en l’enfer que de voir une si horrible peine en leur
Seigneur. Mais moi, Vierge Marie, sa Mère, j’étais devant mon Fils.
Pensez aussi quelle était ma douleur ! Certes, personne ne le peut
comprendre.
Partant, ô ma fille !
souvenez-vous de la passion de mon très cher Fils. Fuyez
l’inconstance du monde, qui n’est qu’une vue passagère et une fleur
qui se fane et se flétrit soudain.
Chapitre 12
J’ai reçu toute la
peine pour l’amour de vous, et vous ai fait le chemin pour éviter la
peine et pour venir à moi. La justice vraiment veut que vous
n’entriez en paradis que vous n’ayez satisfait à vos crimes. J’ai
souffert en moi-même cette peine, d’autant que vous êtes incapables
de les souffrir et d’y satisfaire sans moi. Je vous ai montré par
les prophètes tout ce qui devait arriver, et n’ai pas laissé passer
un point que je n’aie accompli tout ce que les prophètes avaient
prédits de moi. Je vous ai manifesté autant d’amour que je pouvais
manifester, afin que vous vous convertissiez à moi. Mais d’autant
que vous vous êtes détournés de moi et que vous avez méprisé ma
justice, vous êtes dignes de mes fureurs.
Mais néanmoins, je suis
encore si miséricordieux que, s’il était possible de souffrir
derechef les mêmes peines que j’ai endurées en la croix, je les
souffrirais encore pour l’amour de vous, avant de permettre que vous
fussiez jugés à telles peines. Mais ma justice dit: Il est
impossible que vous mouriez une autre fois. Ma miséricorde dit: S’il
était possible, je mourrais franchement pour l’amour de vous. Voyez
donc comment je suis miséricordieux et charitable, même envers les
damnés, car tout ce que je fais, je le fais pour manifester mon
amour, car dès le commencement, j’ai aimé l’homme. voire même
lorsque je semblais être en colère. Mais aucun ne considère mon
amour ni ne s’en soucie.
Donc, maintenant,
d’autant que je suis juste et miséricordieux, j’avertis ceux qui
sont appelés chevaliers, afin qu’ils cherchent ma miséricorde, de
peur que ma justice ne les trouve, qui est stable comme une
montagne, ardente comme un feu, horrible comme le tonnerre, prompte
et rapide comme une flèche poussée par un arc bien tendu. Je les
avertis en trois manières: 1° comme un père ses enfants, afin qu’ils
retournent à moi, qui suis leur Père et leur Créateur, et leur
donnerai le patrimoine qui leur est dû par droit paternel. Qu’ils
retournent donc, car bien qu’ils m’aient méprisé, néanmoins, je les
recevrai avec joie et leur irai au-devant avec amour. En deuxième
lieu, je les prie comme frères, afin qu’ils se souviennent de mes
labeurs et de mes plaies. Qu’ils reviennent, et je les recevrai
comme frères. En troisième lieu, je les prie comme Seigneur, afin
qu’ils se retirent à leur seigneur, à qui ils doivent la foi, à qui
ils sont obligés par obéissance et engagés par jurement.
Partant, ô soldats!
retournez à moi, votre Père, qui vous ai nourris et élevés avec
amour. Considérez que je suis votre frère, qui me suis fait
semblable à vous pour l’amour de vous. Retournez à votre Seigneur
clément et pieux, car c’est être déloyal et infidèle que de donner
la foi à un autre, et de lui rendre l’obéissance que vous me devez.
Vous m’avez donné une foi, promettant que vous défendriez mon
Église, que vous aideriez aux misérables, et voici que vous secourez
mon ennemi et lui obéissez. Vous ôtez mon étendard, et dressez et
érigez celui de mon ennemi. Partant, ô chevaliers! retournez à moi
avec une vraie humilité, puisque la superbe vous a retirés de moi.
S’il vous semble dur et amer de souffrir quelque chose pour l’amour
de moi, considérez ce que j’ai enduré pour l’amour de vous. Je suis
allé, pour l’amour de vous, les pieds sanglants à la croix; j’ai eu
les pieds et les mains percés pour l’amour de vous; je n’ai épargné
aucune parties de mon corps pour l’amour de vous: je n’ai pardonné à
aucune. Est-il possible que néanmoins vous méprisiez tout cela, en
vous retirant de moi!
Retournez donc, et je
vous donnerai trois choses pour vous y aider: la première sera la
force contre les ennemis corporels et spirituels; la deuxième, la
magnanimité, que vous ne craindrez autre chose que moi, et que rien
ne vous sera plaisant et agréable que travailler pour moi. En
troisième lieu, je vous donnerai la sagesse, par laquelle vous
concevrez la vraie foi et la volonté divine.
Donc, retournez et
soyez constants et généreux, car moi, qui vous en avertis, je suis
celui que les anges servent, qui ai affranchi de misères vos parents
obéissants, qui ai condamné les rebelles et humilié les superbes.
J’ai été le premier au combat et le premier à la passion. Suivez-moi
donc, de peur que vous ne vous fondiez et liquéfiiez comme la cire
auprès du feu. Pourquoi rescindez-vous et faussez-vous votre
promesse? Pourquoi méprisez-vous le jurement que vous en avez fait?
Eh quoi! Suis-je moins ou plus indigne que votre ami temporel, à qui
vous ne faussez pas la foi promise? Et à moi, qui suis l’auteur et
le donateur de la vie et de l’honneur, et le conservateur de la
santé, vous me faussez promesse coup à coup! Partant, ô bons
soldats! rendez-moi votre promesse. Que si vous ne pouvez par effet,
rendez-la-moi par désir, car moi, ayant compassion de votre
servitude, sous laquelle le diable vous opprime, je recevrai votre
volonté pour l’effet. Si vous retournez à moi avec amour, travaillez
pour la foi de mon Église; et moi, comme un père plein de piété et
de clémence, je vous irai au-devant et vous donnerai pour salaire
cinq sortes de bien:
1° l’honneur éternel ne
se retirera jamais de votre ouïe ;
2° la face et la gloire
de Dieu seront toujours devant vos yeux ;
3° la louange de Dieu
ne sortira jamais de votre bouche ;
4° votre âme jouira de
l’accomplissement de tous ses désirs et n’en désirera d’autres ;
5° vous ne serez jamais
séparés de Dieu, mais votre joie durera sans fin, et sans fin votre
vie sera en joie.
Voyez, ô chevaliers!
quelle sera votre récompense, si vous défendez la foi et si vous
travaillez plus pour mon honneur que pour le vôtre. Souvenez-vous,
si vous avez de l’esprit, quelle patience j’exerce en votre endroit,
et quelles calomnies vous vomissez sur moi, que vous ne voudriez
souffrir. Mais bien que je puisse toutes choses et que ma justice
crie vengeance contre vous, néanmoins, ma miséricorde, qui est en ma
sagesse et bonté, vous pardonnera encore. Partant, cherchez ma
miséricorde, car je vous donne par amour ce qu’on devrait me
demander très humblement.
Chapitre 13
Il est ici traité
des paroles de la puissance de Jésus-Christ à son épouse, contre les
chevaliers de ce temps; de la forme qu’il faut tenir en leur
création, et en quelle manière Dieu leur donne la force et l’aide
quand il faut agir.
Je suis un Dieu avec le
Père et le Saint-Esprit, trine en personnes; l’un n’est pas séparé
ni divisé de l’autre, mais le Père est dans le Fils et dans le
Saint-Esprit, et le Fils dans le Père et dans le Saint-Esprit, et le
Saint-Esprit en tous deux.
Dieu envoya son Verbe à
la Vierge Marie par son ange Gabriel; néanmoins, le même Dieu
envoyait et était envoyé de lui-même, et était avec l’ange en
Gabriel, et devant Gabriel en la Vierge. Mais la parole étant dite
par l’ange, le Verbe a été fait chair en la Vierge.
Je suis ce Verbe qui
vous parle. Le Père avec le Saint-Esprit m’a envoyé de soi-même dans
le ventre de la Vierge, non pas en telle sorte que les anges aient
perdu la vision divine et sa présence; mais moi, Fils, qui ai été
avec le Père et le Saint-Esprit dans le ventre virginal de la
Vierge, j’étais le même au ciel avec le Père et le Saint-Esprit en
la vision des anges, gouvernant toutes choses et soutenant toutes
choses, bien que mon humanité, prise par moi seul, Fils, se soit
reposée au ventre virginal de Marie.
Je suis donc en Déité
et humanité un seul Dieu. Pour montrer mon amour et pour fortifier
la foi sainte, je ne dédaigne pas de parler avec vous. Et bien que
mon humanité semble être auprès de vous et vous parler, néanmoins,
il est plus vraisemblable que votre âme et votre conscience sont
avec moi et en moi, car rien ne m’est impossible ni difficile dans
le ciel et sur la terre. Certes, je suis comme un roi puissant, qui,
venant en quelque ville avec ses armes, remplit et occupe tout: de
même ma grâce vous remplit toute et vous fortifie toute. Enfin, je
suis en vous intérieurement et extérieurement, et bien que je parle
avec vous, je suis pourtant la même gloire. Quoi me serait difficile
à moi, Qui, de ma puissance, soutiens toutes choses ; qui, de ma
sagesse, dispose de toutes choses, et les surmonte toutes de ma
force et de ma vertu ? Je suis donc un Dieu avec le Père et le
Saint-Esprit, sans commencement et sans fin, qui, pour le salut des
hommes, ai souffert en l’humanité, que j’avais prise sans faire tort
à ma Divinité, les peines et la mort. Je suis ressuscité et suis
monté au ciel; et maintenant, je parle avec vous.
Je vous ai parlé
ci-dessus de la milice qui me fut autrefois agréable, à raison
qu’elle était liée avec moi par le lien d’amour et de charité, car
les chevaliers de cette milice s’obligeaient par vœu de donner leur
chair pour ma chair, leur sang pour mon sang : c’est pourquoi je les
approuvais et les aimais, et les avais liés à moi par un saint lien,
et attaché par une sainte société.
Mais maintenant, je me
plains d’eux, qui sont obligés d’être à moi, et ne sont point à moi,
car je suis leur Créateur adorable, leur Rédempteur, leur aide et
leur secours. J’ai créé leur corps et leur âme, et tout ce qui est
au monde pour leur utilité et profit. Je les ai rachetés par le prix
de mon sang ; je leur ai racheté un héritage éternel par ma
douloureuse passion. Je les défends contre toutes sortes de dangers
; je leur donne la force pour agir et faire. Mais maintenant, ils me
sont en tout contraires ; ils réputent à néant ma passion ; ils
négligeant mes paroles puissantes et douces, par lesquelles leur âme
se devait plaire et repaître ; ils me méprisent, et choisissent à
dessein, et d’affection, ils veulent donner leur chair à déchirer
pour la louange humaine, vaine et trompeuse, répandre leur sang pour
assouvir leur cupidité misérable, et franchement mourir pour des
paroles mondaines diaboliques et vaines. Néanmoins, bien qu’ils me
soient si contraires, ma justice et ma miséricorde les attendent. En
effet, par la bonté de ma miséricorde, je les conserve, afin qu’ils
ne soient tout à fait en la puissance du diable, et par ma justice,
je les souffre patiemment. Que s’ils voulaient revenir, je les
recevrais joyeusement, et je leur irais au-devant avec contentement.
Dites-lui donc que
celui qui veut convertir sa milice en moi, peut me plaire en gardant
ces formes. Quiconque veut être chevalier doit venir à mon Église,
et laisser son cheval et sa suite au cimetière ; car le cheval n’est
pas créé pour servir la superbe de l’homme, mais pour l’utilité de
la vie, pour sa défense et pour combattre les ennemis de Dieu.
Après, qu’il prenne son manteau, le lien duquel il faut mettre sur
le front, afin, que, comme le diacre prend l’étole en signe
d’obéissance et de patience divines, de même le chevalier prenne le
manteau, et mette son lien sur le front, en signe qu’il a professé
la milice et l’obéissance, à laquelle il s’est engagé pour la
défense de ma croix. Il faut aussi que l’étendard de la puissance
séculière le précède, afin qu’il sache qu’il doit obéir à la
puissance mondaine, en tout ce qui n’est pas contre Dieu. Or, lui
étant entré dans le cimetière, les ecclésiastiques lui vont
au-devant avec la bannière de l’Église de Dieu et sa foi, et obéir à
ses prélats.
Or, quand il entre dans
l’église, que l’étendard de la puissance séculière demeure au hors
de l’église, et que le mien aille devant lui, quand il y entre, en
signe que la puissance divine va devant la séculière, et qu’il faut
plus se soucier des choses spirituelles que des choses temporelles.
Mais la messe étant dite, jusqu’à l’Agnus Dei, que le plus digne, à
savoir, le roi, aille auprès de l’autel et qu’il lui dise :
Voulez-vous être chevalier ? S’il répond oui, qu’il ajoute et lui
dise : Promettez-vous à Dieu et à moi que vous défendrez la foi de
la sainte Église, et d’obéir à ses prélats en tout ce qui est de
Dieu ?
S’il répond oui, qu’il
lui baille l’épée en sa main et qu’il lui dise :
Voici que je vous donne
l’épée en vos mains, afin que vous n’épargniez pas votre vie pour la
foi et pour l’Église de Dieu ; afin que vous opprimiez les ennemis
de Dieu et défendiez ses amis. Après, qu’il lui donne le bouclier,
et qu’il lui dise : Voici que je vous donne le bouclier, afin que
vous vous défendiez contre les ennemis de Dieu, afin que vous soyez
l’aide et l’appui des veuves et des orphelins, et que vous
augmentiez l’honneur et la gloire de Dieu. Tout de suite il lui met
la main au cou, disant : Voici que vous êtes sujet à l’obéissance et
à la puissance : prenez donc garde que vous vous êtes lié par cette
profession, que de même vous l’accomplissiez par œuvre et par effet.
Enfin, qu’il mette son manteau et son lien, pour qu’il se souvienne
continuellement du vœu qu’il a fait à Dieu, et qu’il est obligé par
sa profession, à la face de l’Église, de défendre, avant tous les
autres, l’épouse de Dieu, qui est l’Église.
Ces choses étant
parachevées et l’Agnus Dei étant dit, que le prêtre qui célèbre la
messe lui donne mon corps, afin qu’i défende la foi de mon Église
sainte et sacrée. Je serai en lui et il sera en moi. Je lui donnerai
les forces et l’enflammerai des feux de mon amour, afin qu’il ne
veuille ni ne désire autre que moi, et qu’il ne craigne autre que
moi, qui suis son Dieu. Que si par aventure, il est dans le camp,
qu’il s’y enrôle dans la milice pour mon honneur et pour défendre ma
foi ; et que si son intention est droite en tout, il profitera et
méritera toujours. Enfin, je suis partout par ma puissance, et tous
ceux qui ont une bonne et droite intention, me plaisent partout. Je
suis la charité même, et aucun ne peut venir à moi, si ce n’est ceux
qui ont la charité : c’est pourquoi je n’ai pas commandé, mais
conseillé cette milice, car on m’y eut servi par crainte. Mais qui
voudra de la sorte s’enrôler en ma milice, me pourra plaire et
agréer. Certes, il serait digne et raisonnable que celui qui s’est
retiré de la profession de la milice par la superbe, y retournât par
l’humilité.
(On croit que ce
chevalier a été le fils de sainte Brigitte.)
Chapitre 14
En quelle manière
Notre-Seigneur Jésus-Christ est signifié par un ouvrier, et les
paroles de Dieu, par l’or. Comment il faut préférer telles paroles,
la charité et la bonne conscience, aux sentiments désordonnés ; et
comment les prédicateurs de la parole de Dieu doivent être soigneux,
et non paresseux, de vendre cet or, c’est à dire, de prêcher la
parole de Dieu.
Je suis comme un
orfèvre qui envoyant son serviteur pour vendre son or par le monde,
lui dit : vous devez faire trois choses : 1° vous ne devez bailler
mon or à pas un, si ce n’est à ceux qui ont les yeux clairvoyants ;
2° ne le donnez point à ceux qui ont mauvaise conscience ; 3° Vendez
mon or pour dix talents, le pesant deux fois, car celui qui ne le
voudra pas peser deux ou trois fois, n’aura point mon or.
Or, mon ennemi a trois
choses contre toi desquelles tu te dois prendre garde : 1° Il te
veut rendre fainéant et paresseux à montrer l’esprit et la valeur de
mon or ; 2° Il veut mélanger quelque chose d’impur en mon or, afin
que ceux qui le verront et l’éprouveront, croient que mon or n’est
que boue et pourriture ; 3° Il met en la bouche de ses amis les
moyens de résister à vos desseins et de faire hautement et
impudemment dire que mon or n’est pas bon.
Je suis l’ouvrier qui
ni fait tout ce qui est au ciel et sur la terre, non avec des
marteaux et des instruments, mais avec ma puissance adorable et mon
admirable vertu ; et toutes choses ont été, sont et seront en ma
présence, car le moindre vermisseau et le moindre grain ne sont pas
sans moi ni ne peuvent subsister sans moi, ni chose, quelque petite
qu’elle puisse être, ne se peut cacher de ma présence, car toutes
choses sont de moi et dépendent de moi.
Néanmoins, entre toutes
les choses que j’ai faites, les paroles que j’ai dites de ma bouche
sont plus dignes que toutes ces choses susdites, comme l’or est plus
éminent que tous les métaux. Partant, mes amis familiers, à qui
j’envoie l’or de ma parole par les terres étrangères, doivent faire
trois choses :
1° qu’ils ne
communiquent point l’or de ma parole à ceux qui n’ont pas les yeux
clairvoyants. Mais vous pourriez me demander : Que veut dire les
yeux clairvoyants ?
Certes, celui-là voit
clairement qui a la sapience divine avec son amour. Mais comment
faut-il connaître cela ? Vraiment, cela est manifeste, car celui qui
vit comme il sait ; qui se retire de la vanité du siècle et de la
curiosité du monde ? qui ne cherche rien avec tant de passion que
Dieu ? oui celui qui vit de la sorte est illuminé et clairvoyant, et
c’est à celui-là qu’il faut communiquer et commettre l’or de ma
parole divine. Or celui qui a la science et non pas l’amour divin,
et fait ce qu’il connaît, celui-là est semblable à un aveugle, qui
semble avoir les yeux tournés vers Dieu. Mais il n’en est pas ainsi,
car il regarde le monde des yeux de son esprit, et tourne le dos à
Dieu.
2° Il ne faut pas
communiquer l’or de ma parole à celui qui n’a point bonne
conscience. Or, qui est celui qui a bonne conscience, sinon celui-là
qui dispose les choses périssables pour l’éternité ; qui a l’esprit
dans le ciel et le corps sur la terre ? qui pense incessamment à la
manière dont il faut sortir de la terre, et comme il sera fidèle à
Dieu en toutes ses actions ? C’est à celui-là qu’il faut communiquer
et commettre l’or de ma parole.
3° Il doit avoir mon or
vénal pour le poids de dix talents pesés deux fois, ce qui est
marqué en la balance en laquelle on ne pèse autre chose que la
conscience. Quelle sera la main qui la pèsera, sinon la bonne
volonté et l’ardent désir ? Que faut-il peser, sinon les œuvres
corporelles et les œuvres spirituelles ? Donc, celui qui voudra
acheter mon or, c’est-à-dire, mes paroles, doit examiner sa charité
en la balance de sa conscience, et considérer avec une bonne
volonté, afin qu’on lui rende dix talents pour ses œuvres, pesées
selon ma volonté.
Le premier talent est
la vue de l’homme sage et modeste ; afin qu’il pense combien de
distance il y a de la vue corporelle à la vue spirituelle ? quelle
est l’utilité de la vue et beauté corporelle ? quelle honnêteté est
en la beauté et l’honneur des anges et des vertus célestes, qui
surpassent en éclat les astres du firmament ; quelle douceur et
quelle joie d’esprit sont dans les commandements de Dieu ou à
l’honorer. Ce talent, savoir, la vue corporelle et spirituelle, qui
est dans les commandements de Dieu, dans la chasteté et la pudeur ;
ne peut se peser avec une balance égale, car la vue spirituelle
surpasse de beaucoup la vue corporelle, parce qu’il faut ouvrir les
yeux aux nécessités corporelles et spirituelles, et les clore aux
choses vaines et légères.
Le deuxième talent est
une bonne ouïe. Que l’homme donc considère à quoi profitent les
paroles légères et vaines, à quoi les ineptes et excitant : le rire
: certes, elles ne sont que vanité et un air qui passe, fuit et se
perd. Il doit donc ouïr les louanges de Dieu, ses cantiques, et ce
que mes saints ont fait et dit : Il doit écouter ce qui est
nécessaire au corps et à l’âme pour l ‘édification de tous deux, car
ouïr ceci doit plus peser en la balance que ce qu’on a ouï de vain
et de léger. Que cela donc pèse grandement, et que ceci s’évanouisse
dès l’instant.
Le troisième talent est
le talent de la bouche. Que l’homme pèse dans la balance de sa
conscience les paroles d’édification et de modestie ? combien elles
sont utiles et honnêtes, et qu’il considère aussi combien sont
nuisibles les paroles vaines et oiseuses, afin qu’il laisse les
paroles vaines et qu’il aime les bonnes.
Quatrième talent :
qu’est autre chose le goût du monde, si ce n’est misère en son
commencement, labeur en son progrès, fâcherie et amertume à la fin ?
Que l’homme pèse diligemment et considère attentivement le goût
spirituel avec le temporel, et que le spirituel surpasse le
temporel, car le goût spirituel n’a jamais de bornes, n’apporte
jamais de dégoût et ne se diminue jamais en soi. Ce goût spirituel
commence en cette vie, en la mortification fidèle des voluptés, en
la prudente et sage disposition et règlement de sa vie, et dure sans
fin dans le ciel avec la jouissance et la douceur de Dieu.
Le cinquième talent est
l’attouchement. Que l’homme pèse quelle sollicitude et misère il
ressent de son corps ? quelle inquiétude du monde ? quelle
contrainte du prochain et quelle misère partout. Qu’il considère de
quel repos jouissent une âme et un esprit bien morigénés ? quelle
douceur de n’être sollicité des choses superflues, et lors, il
ressentira partout et en tout une grande consolation. Que celui donc
qui voudra bien peser ceci, mette en la balance l’attouchement
spirituel et corporel, et fasse en sorte que le poids de
l’attouchement des choses spirituelles l’emporte sur celui des
choses corporelles. Cet attouchement spirituel prend son
commencement, son avancement et ses progrès en la patience de ce qui
nous contrarie, en la persévérance des commandements de Dieu, et
dure éternellement en la paix et repos. Or, celui qui a plus de
poids en la balance de l’attouchement des choses corporelles et
mondaines, des joies temporelles que des éternelles, n’est pas digne
de toucher mon or ni de jouir de ma joie.
Les œuvres des hommes
sont le sixième talent : Que l’homme pèse diligemment en la balance
de sa conscience, les œuvres spirituelles et corporelles : celles-là
conduisent au ciel et celles-ci au monde ; celles-là à la vie
éternelle sans supplice, et celles-ci aux tribulations cuisantes
avec des supplices horribles. Mais que celui qui désire mon or fasse
plus d’œuvres spirituelles en mon amour et dilection, pour mon
honneur et gloire, que d’œuvres corporelles, car les spirituelles
demeurent, et les corporelle périssent.
Le septième talent est
la disposition du temps: L’homme partage le temps, tant pour vaquer
aux choses spirituelles, tant pour la nécessité du corps, sans
laquelle il ne peut être, ce qui est au nombre des choses
spirituelles quand on le fait avec raison, tant pour l’exercice et
l’utilité du corps. Et d’autant que l’homme doit rendre compte et
raison de son temps et de ses œuvres, il doit faire en sorte que son
temps soit si bien disposé et si bien examiné, que le poids des
œuvres spirituelles soit plus grand que celui des œuvres
corporelles.
Le huitième talent est
une égale dispensation des biens temporels que Dieu leur a donnés,
de sorte que celui qui est riche en départe aux pauvres avec charité
et à proportion de ses richesses. Mais vous pourriez vous enquérir à
quoi est tenu et obligé le pauvre qui n’a rien : il doit avoir une
bonne volonté de donner. Qu’il pense en soi-même : si j’avais
quelque chose, j’en élargirais franchement aux pauvres ; car cette
volonté est réputée par l’effet. Or, si le pauvre a une telle
volonté que, s’il était riche comme les autres, et qu’il n’en voulût
donner aux pauvres que peu, et encore des choses les plus viles,
cette volonté lui sera réputée pour une œuvre fort petite. Donc, que
l’homme riche qui a des biens, en distribue charitablement, et que
celui qui n’en a point, ait volonté d’en donner, et cela lui
profitera. Or, celui qui entasse plus de choses corporelles que de
choses spirituelles, qui me donne un denier, cent au monde, et à soi
mille, ne mesure pas bien également, et celui-là est indigne d’avoir
mon or, car moi, qui ai donné toutes choses et qui puis les ôter, je
mérite la plus grande part.
Or, les choses
temporelles sont créées, non pour la superfluité de quelques-uns,
mais pour l’utilité de tous les hommes.
Le neuvième talent est
une diligente considération du temps passé. Que l’homme considère
ses actions, quelles elles ont été, en quel nombre, quantité et
qualité ; comment et combien dignement elles ont été amendées, étant
vicieuses ; qu’il voie aussi si ses bonnes œuvres sont moindres que
les mauvaises et en plus petit nombre ? qu’il prenne la ferme
résolution de s’amender, et qu’il s’excite à une vraie et poignante
contrition des fautes et offenses commises. Que s’il fait ceci, en
vérité il sera devant Dieu de plus grand prix que tous les péchés
n’étaient horribles.
Le dixième talent
consiste en la considération et disposition du temps qui est à
venir. Si l’homme a une telle intention de ne vouloir rien aimer ni
chérir que Dieu et celui qui lui appartient, rien désirer que ce qui
plaît à Dieu, de pâtir et souffrir franchement même les peines
horribles de l’enfer, si Dieu le voulait ainsi, il aurait un talent
très excellent, et on éviterait facilement par celui-là toutes les
rencontres mauvaises, et les choses difficiles nous seraient
faciles.
Quiconque donc donnera
ces dix talents aura l’or de mes paroles. Mais que ceux qui
apportent l’or de mes paroles prennent garde que l’ennemi les en
veut empêcher, comme j’ai dit, par trois manières: il les veut
rendre lâches et paresseux. Il y a deux lâchetés : l’une est
corporelle, et l’autre spirituelle.
La lâcheté corporelle,
c’est quand le corps se dégoûte du travail, se fâche de se lever, et
n’est point prompt aux exercices divins.
La lâcheté spirituelle,
c’est quand l’homme spirituel, sentant la douceur et la pureté de
mon Esprit et de ma grâce, aime mieux se reposer en cette douceur
qu’aller aider les autres, afin qu’ils participent avec lui à la
même douceur. Eh quoi ! saint Pierre et saint Paul ne
ressentirent-ils pas une grande et indicible douceur de mon Esprit ?
Que si la suavité intérieure qu’ils ressentaient, m’eût été plus
acceptable que la conversion des âmes, ne se fussent-ils pas plutôt
cachés dans la terre que d’aller parmi le monde ?
Néanmoins, afin de
faire les autres participants des douceurs indicibles qu’ils
ressentaient, et pour les gagner et les attirer à Dieu, ils aimèrent
mieux sortirent, pour l’avancement d’autrui et pour leur grande
gloire, que de demeurer seuls et ne pas consoler les autres des
grâces dont Dieu les avait comblés. De même aussi maintenant, mes
amis, bien qu’ils voulussent, être seuls, et se réjouissent des
joies qu’ils ressentent, sortent néanmoins afin de rendre les autres
participants des suavités et des douceurs dont ils tressaillent. Car
comme celui qui foisonne en richesses temporelles, ne s'en réjouit
pas seulement tout seul , mais aussi les communique aux autres, de
même mes grâces et mes faveurs ne doivent pas être cachées , mais
doivent être communiquées à tous, afin qu’eux et les autres en
soient édifiés.
Car il y a trois sortes
de personnes que mes amis doivent aider et secourir: Les premières
sont les damnés selon la présente justice ; les secondes sont les
pécheurs qui tombent et se relèvent ; les troisièmes sont les bons,
qui persistent en la bonté. Mais vous pouvez demander: Comment
est-ce qu’on peut aider les damnés , puisqu’ils sont indignes de ma
grâce et qu’il leur est impossible d’y revenir? A quoi je veux vous
répondre par un exemple.
Si , dans un profond
abîme il y avait des fosses infinies, par lesquelles il faudrait que
passât celui qui y tomberait, si quelqu’un bouchait une de ces
fosses , celui-là ne descendrait pas aussi bas qu’un autre, si
aucune fosse n’était bouchée: il en est de même des damnés ; car
bien que par ma justice, à cause de leur malice , ils doivent être
damnés à temps fixe et déterminé, leur supplice ne serait pas si dur
et si horrible s’ils étaient retenus par quelqu’un des méchancetés
qu’ils commettent, et s’ils étaient incités à quelque bien. Voyez
combien miséricordieux je suis, même envers les damnés. .Et combien
ma justice leur voudrait pardonner ma justice néanmoins et leur
malice s'y opposeraient.
En deuxième lieu, ils
peuvent aider ceux qui tombent et ceux qui se relèvent , s’ils leur
enseignent comment il faut se relever , s’ils les avertissent des
danger de chopper, s'ils leur enseignent les manières d’avancer et
de résister à leurs cupidités.
En troisième lieu, ils
peuvent profiter au justes et au parfaits, car ne les voyons-nous
pas tomber? Oui, vraiment mais pour leur plus grande gloire et pour
la plus grande confusion du diable; car comme le soldat qui est
légèrement frappé à la guerre , est plus excité et animé contre ses
ennemis, il en est de même de mes élus, qui s'excitent et
s‘encouragent étant importunés par les tentations diaboliques, aux
labeurs spirituels et à l'humilité et: s'efforcent d'autant plus
d'acquérir la couronne de gloire. Que mes paroles donc ne soient pas
cachées à mes amis, car ayant ouï parler de mes grâces et de mes
faveurs, .ils peuvent être excités davantage à la vraie dévotion.
Quant au deuxième, que
l'ennemi fasse en sorte que mon or ressemble à de la boue , par
quelque déception et tromperie c’est pourquoi quand l'écrivain
transcrit quelque chose, il prend deux hommes fidèles ou bien un
d'une bonne conscience, pour examiner ce qui est écrit , ce qu’il
communique après à qui il veut, de peur que si , par aventure cet:
écrit tombe entre les mains des ennemis , on y ajouta quelque chose
de faux, dont la parole de vérité pu être dénigrée devant les
simples.
Quant au troisième, qui
est que mon ennemi, met dans la bouche de ses amis des suggestions
pernicieuses afin de résister à l'or de ma parole , mes amis diront
à ceux qui contredisent ces paroles: Dans les paroles qui nous sont
montrées il n'y a quasi que trois mots, car elles enseignent
droitement, d’aimer pieusement, et de désirer sagement les choses
célestes. Examinez ces paroles et voyez-les ; et si vous les trouvez
autrement, contredisez-les.
Chapitre 15
Des paroles de Jésus
à son épouse où il parle de la voie du paradis ouverte à son
avancement; de l’ardente charité qu’il nous a manifestée ,
souffrant, depuis le jour de sa naissance jusqu’au jour de sa mort ,
tant de peines et de travaux, et le tout, pour l’amour de nous. En
quelle manière la. voie de l’enfer est large, et celle du paradis
étroite.
Vous admirez avec
étonnement pourquoi je dis et pourquoi je vous ai montré tant de
choses. Pensez-vous que ce soit seulement pour votre seule
édification ? Certes , je ne l’ai pas fait pour votre seul salut,
mais pour enseigner et sauver les autres , car le monde était jadis
comme une vaste solitude en laquelle il n’y avait qu’une seule voie,
qui conduisait au grand et profond abîme. (Mt. 25.)
Or, dans cet abîme, il
y avait deux réceptacles : l’un était si profond qu’il n’avait point
de fond, dans lequel celui qui tombait une fois n’en sortait jamais.
L’autre n’était pas si profond ni si horrible que le premier, mais
quiconque y descendait, attendait secours, avait des désirs et
quelque dilection , mais ne ressentait pas les misères ; il
expérimentait les ténèbres et non les peines.
Or, ceux qui étaient en
ce second réceptacle, criaient tous les jours à quelque très bonne
cité qui leur était contiguë, qui était pleine de toute sorte de
biens et de plaisirs. Or, ils criaient hautement, car ils savaient
la voie pour aller à cette cité; mais la solitude était si profonde,
la forêt si touffue et si épaisse, qu’ils étaient empêchés d’aller à
raison de la diversité et de l’épaisseur; ils n’avaient pas même la
force de se frayer un chemin. Mais ceux qui criaient, criaient en
cette sorte.: O Dieu! venez; donnez-nous votre secours, montrez-nous
la voie et illuminez-nous, nous vous attendons il n'y a de salut
qu’en vous.
Cette clameur
déplorable et entrecoupée montait au ciel entrait en mes oreilles
elle m’a attiré à faire miséricorde. Or, étant apaisé par une si
grande clameur, je suis venu en cette solitude comme en. pèlerin.
Mais avant que je commençasse d’aller et de travailler, une voix
résonna et me dit: La cognée est maintenant à l’arbre.
Quelle a été cette voix
sinon celle de saint Jean-Baptiste., qui devant moi envoyé au désert
, s'écriait: La cognée est maintenant à l’arbre? Comme s'il disait :
Que l’homme soit préparé;. maintenant , puisque la cognée est
préparée, et il est venu, celui qui préparera la voie au ciel,
coupant tous les empêchements et obstacles.
Or moi, étant venu,
j’ai travaillé dès la pointe du jour jusques au soleil couchant,
c'est-à-dire, dès mon incarnation ineffable jusques à ma passion et
à ma mort odieuse sur la croix. J’ai opéré le salut des hommes-;
fuyant dès le commencement en cette solitude à raison qu'Hérode me
pourchassait . J'ai été tenté du diable et ai souffert des
persécutions des hommes. Après, j'ai souffert et enduré un nombres
infini d'opprobres. Je mangeais et je buvais, et j’ai accompli le
reste des nécessités de nature sans pécher , pour l’institution de
la foi , et pour marquer et manifester que j’avais pris d’une
manière ineffable la nature humaine, préparant la voie pour aller à
cette cité céleste, et détruisant la contraire, les épines
poignantes ont cruellement percé ma tête, et les clous ont
douloureusement blessé mes mains; mes pieds et mes mains, mes dents
et mes joues ont été frappés cruellement. Or, moi, souffrant tout
cela patiemment, je n’ai pu reculer, mais j’ai avancé avec plus de
ferveur.
Comme un animal pressé
par la faim, voyant que l’homme lui tend la lance, se rue sur cette
lance, pour le désir qu’il a de dévorer l’homme; et plus l’homme
enfonce sa lance dans le ventre de l’animal , d’autant plus l’animal
se pousse contre la lance pour approcher de l’homme le plus près ,
jusqu’à ce que ses entrailles, son ventre et son corps soient tout
percés, de même moi, j’ai brûlé d’un feu d’amour si grand envers
l’âme, que plus l’homme se portait volontairement à me tuer, plus
j’étais ardent à pâtir pour le salut des âmes.
C’est donc de la sorte
que je marche en la solitude de ce monde, en labeur et misère, et ai
préparé la joie du ciel, en mon sang et en ma sueur. Certainement,
le monde pouvait être appelé à juste raison une solitude, attendu
qu’il n’y avait pas une seule vertu , et seulement les vices s’en
étaient emparés , et il n’y avait qu’une voie par laquelle tous
descendaient en enfer , les damnés à la damnation , les bons
allaient seulement aux ténèbres. Exaucent donc miséricordieusement
les longs et ardents désirs d’un salut futur, je suis venu comme un
pèlerin , pour travailler et étant inconnu, selon ma Puissance et ma
Divinité, j'ai préparé et disposé la voie qui conduit. au ciel. Mes
amis voyant cette voie, et considérant mes labeurs et mes peines, et
la générosité de mon esprit, m'ont suivi fidèlement et joyeusement
un long temps. Mais maintenant, la voix qui criait : Soyez prêts
s’est changée, et ma voie aussi; et derechef, les épines et lés
broussailles ont crû dans cette solitude, de sorte que personne n'y
marche plus.
La voie de l’enfer est
ouverte, plusieurs passent par elle. Toutefois, afin que ma voie ne
fut point mise en oubli , un petit nombre de mes amis, atteints et
touchés du désir de la patrie céleste passent encore par ma voie, à
guise des oiseaux qui vont de branche en branche et de buisson en
buisson et comme servant par crainte et en cachette. Il semble à
tous que c'est un bonheur aussi de passer par la voie du monde. Et
parce que ma voie et étroite et celle du monde large, je crie
maintenant dans la solitude c'est-à-dire , dans le monde, à mes
amis, afin qu'ils arrachent les épines et les broussailles de la
voie qui conduit au ciel, et qu'ils la disposent à ceux qui y
marchent; car il est écrit: Bienheureux ceux qui m'ont cru et ne
m'ont pas vu; de même bienheureux ceux qui maintenant croient à mes
paroles et accomplissent par œuvres ce qu'ils croient.
Vraiment , je suis
comme une mère qui, va au-devant de son fils qui est errant et
vagabond, qui lui donne de la lumière en la voie, afin qu’il voie le
chemin; elle lui va au-devant, poussée par l'amour, abrégeant son
chemin, et s’en étant approchée, elle l’embrasse, se congratulant
avec lui. J’en fais de même à tous ceux qui reviennent à moi, et
j’irai avec amour au-devant de tous mes amis, et j’illuminerai leur
esprit et leur âme à la sagesse divine. Je les veux embrasser avec
toute sorte de gloire, et avec toutes mes troupes célestes, où il
n’y a point de ciel en bas, ni terre, mais la vision divine; où il
n’y a point de viande ou boisson, mais une divine délectation. Or,
aux mauvais , la voie de l’enfer est ouverte; ceux qui entrent dans
l’enfer n’en sortent jamais ; ils seront privés de la gloire et de
la joie, et seront remplis de misère et d’éternels opprobres. C’est
pourquoi je dis ces paroles et vous manifeste mon amour , afin que
ceux qui se sont retirés de moi reviennent à moi et me reconnaissent
pour leur Créateur, lequel ils ont oublié.
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