Chapitre 35
Paroles de la Sainte
Vierge Marie à l’épouse, qui expliquent les douleurs tolérées en la
passion de Jésus-Christ. Comment, par Adam et Ève, le monde a été
vendu, et en quelle manière il a été racheté par Jésus-Christ et par
sa Mère.
Considérez, ma fille,
disait la Vierge Marie, la passion de mon Fils, dont les membres
furent presque mes membres et dont le cœur fut presque mon cœur :
car lui, comme le reste des enfants, a été dans mon sein, mais il a
été conçu d’un fervent amour de la dilection divine, et les autres,
de la concupiscence de la chair. De là vient que saint Jean, son
cousins, dit bien à propos : Le Verbe s’est fait chair ; car par une
incomparable charité, il est venu et il a demeuré en moi. Or, la
parole et l’amour le produisirent en moi. Je ressentais comme si la
moitié de mon cœur sortait de moi, et quand il souffrait, j’en
ressentais la douleur, comme si mon cœur eût enduré ses tourments.
Car comme ce qui est la moitié dehors et la moitié dedans, ce qui
est dedans le ressent, de même, quand mon Fils était frappé et
flagellé, mon cœur l’était aussi.
J’ai été aussi la plus
proche de lui dans sa passion. Je ne me séparai pas de lui ; je
restai près de la croix ; et comme ce qui est plus près du cœur est
affligé plus rudement, de même sa douleur m’était plus amère qu’à
tous. Quand il me regarda du haut de la croix et que je le regardai,
des torrents de larmes sortaient de mes yeux ; et quand il me vit
brisée de douleur, il ressentit tant d’amertume de ma douleur, que
la douleur de ses plaies lui sembla assoupie. Partant, j’ose dire
que sa douleur était ma douleur, d’autant que son cœur était mon
cœur ; car comme Adam et Ève ont vendu le monde par une pomme, de
même mon cher Fils et moi l’avons racheté comme par un cœur.
Considérez donc, ma fille, quelle j’étais en la mort de mon Fils, et
il ne vous sera pas fâcheux de laisser le monde et de vous en
dégoûter.
Chapitre 36
Notre-Seigneur répond à
l’ange qui priait pour cette épouse. Il lui faut donner les
tribulations du corps et de l’esprit, d’autant que les plus grandes
tribulations sont données aux âmes les plus parfaites.
Notre-Seigneur répondit
à l’ange qui priait pour l’épouse de son Seigneur, lui disant : Vous
êtes comme un soldat qui ne laisse jamais son heaume par
mécontentement, et à qui la peur ne fait jamais détourner les yeux
du combat, quoique sanglant. Vous êtes stable comme une montagne,
ardent comme une flamme. Vous êtes comme un monde d’éclat, et
partant, vous n’avez point de tache. Vous demandez miséricorde pour
mon épouse, bien que vous sachiez toutes choses et les voyiez en
moi. Toutefois, dites-moi en sa présence quelle miséricorde vous
demandez pour elle, car il y a trois sortes de miséricordes : une
par laquelle le corps est puni, et on pardonne à l’âme, comme on fit
à Job, mon serviteur, dont la chair fut livrée à toutes sorte de
douleurs et dont l’âme fut sauvée.
La deuxième
miséricorde, c’est quand on pardonne au corps et à l’âme, et qu’on
les rend quittes de la peine, comme à ce roi qui jouit de toute
sorte de plaisirs, et ne ressentit, pendant qu’il vécut dans le
monde, aucune sorte de douleur, ni dans son corps ni dans son
esprit. La troisième miséricorde, c’est quand le corps et l’âme sont
punis, afin qu’on ressente la tribulation en la chair et la douleur
dans le cœur comme saint Pierre, saint Paul et autres saints.
Dans le monde, les
hommes sont partagés en trois états : l’un est de ceux qui tombent
dans le péché et se relèvent de nouveau : je permets que parfois
ceux-ci aient des tribulations au corps, afin qu’ils soient sauvés ;
l’autre état est de ceux qui vivraient volontiers éternellement,
pour pécher éternellement, qui ont tous leurs désirs liés et abîmés
dans le monde : que si parfois ils font quelque chose pour moi, ils
le font avec intention que les choses temporelles s’augmentent et
s’accroissent.
À ceux-ci ne sont pas
données les tribulations du corps ni grande affliction d’esprit,
mais ils sont laissés en leur puissance et en leur propre volonté,
car pour un petit bien qu’ils ont fait pour l’amour de moi, ils en
reçoivent ici leur récompense, pour être tourmentés éternellement en
l’autre onde. En effet, puisque leur volonté de pécher est
éternelle, éternelle aussi doit être leur peine.
Le troisième état de
ceux qui craignent plus mon offense que la peine qui leur en est
due, et qui aimeraient mieux être éternellement tourmentés par des
peines intolérables, que de provoquer mon ire et mon indignation. A
ceux-ci sont données les peines et les tribulations corporelles et
spirituelles, comme à saint Pierre, à saint Paul et à d’autres
saints, afin qu’ils s’amendent, dans le monde, de tout ce qu’ils ont
fait dans le monde, ou bien afin qu’ils soient purifiés pour quelque
temps, pour une plus grande gloire et pour l’exemple des autres.
J’ai cette triple
miséricorde en ce royaume avec trois personnes qui vous sont
connues.
Donc, maintenant, ô
ange, mon serviteur, quelle miséricorde demandez-vous pour mon
épouse ? L’ange répondit : Je demande la miséricorde de l’âme et du
corps, afin qu’elle amende en ce monde toutes ses fautes, et
qu’aucun de ses péchés ne vienne en jugement.
Notre-Seigneur lui
repartit : Qu’il soit fait selon votre volonté. Après, il parla à
son épouse : Vous êtes à moi, partant je ferai en vous comme il me
plaira. N’aimez rien autant que moi. Purifiez-vous donc du péché,
suivant la direction et le conseil de ceux à qui je vous ai confiée.
Ne leur cachez aucun péché ; examinez-les tous ; ne pensez pas
qu’aucun péché soit petit ; n’en négligez pas un, car tout ce que
vous laisserez, je le réduirai en mémoire et je le jugerai. Certes,
aucuns de vos péchés, qui, en cette vie, auront été effacés par la
pénitence, ne seront soumis à mon épouvantable jugement. Or, ceux
dont on n’aura pas fait pénitence en cette vie mourante, seront
purgés en purgatoire, ou par quelque autre moyen ou occulte
jugement, s’ils ne sont amendés ici par quelque satisfaction.
Chapitre 37
La Sainte Vierge Marie
parle à son épouse sainte Brigitte de l’excellence de son Fils. En
quelle manière, maintenant, Jésus-Christ est plus cruellement
crucifié par des chrétiens, ses mauvais ennemis, que par les Juifs ;
et par conséquent, ces chrétiens seront punis plus rigoureusement.
Mon cher Fils avait
trois biens, disait la Mère de Dieu. Premier bien : nul n’a jamais
eu un corps aussi délicat que le sien, parce qu’il était de deux
bonnes, excellentes, éminentes natures : de la Divinité et de
l’humanité. Ce corps était si pur, que, comme dans un œil limpide on
ne peut voir aucune tache, de même on ne pouvait pas trouver en ce
corps précieux la moindre difformité. Le deuxième bien était qu’il
n’avait jamais péché. Les autres enfants portent souvent les péchés
de leurs parents et les leurs, mais celui-ci n’a jamais péché, et il
a néanmoins porté les péchés de tous. Le troisième bien était que
quelques-uns meurent pour l’amour de Dieu et pour une plus belle
couronne ; mais lui, il mourut pour ses ennemis, comme pour moi et
ses amis.
Mais quand ses ennemis
le crucifièrent, ils lui firent quatre choses : 1° ils le
couronnèrent d’épines ; 2° ils lui percèrent les pieds et les mains
; 3° ils lui donnèrent à boire du fiel ; 4° ils lui percèrent le
côté. Mais je me plains maintenant de ce que mon Fils est plus
cruellement crucifié par ses ennemis qu’il ne l’était alors par les
Juifs : car bien que la Divinité soit impassible et immortelle,
néanmoins, ils la crucifient par leurs propres vices. En effet,
comme un homme qui offenserait et briserait l’image de son ennemi
lui ferait injure, bien que l’image n’en sentît rien, toutefois, à
cause de la volonté qu’il aurait de l’offenser, il en serait repris
et condamné, de même, les vices de ceux qui crucifient
spirituellement mon Fils, sont plus abominables que les vices de
ceux qui l’ont crucifié corporellement. Mais peut-être m’en
demanderez-vous la manière.
Je vais vous la dire :
1° ils le clouent sur la croix qu’ils lui ont préparée, quand ils
désobéissent et qu’ils ne se soucient pas des commandements de leur
Créateur et de leur Seigneur, et ils le déshonorent, quand, par ses
serviteurs, il les avertit de le servir, et qu’ils s’en moquent pour
accomplir ce qui leur plaît. Après, ils crucifient sa main droite,
quand ils prennent l’injustice pour la justice, disant que les
péchés ne sont pas si graves ni si odieux à Dieu qu’on le dit ; que
Dieu n’afflige personne éternellement, mais qu’il nous a ainsi
menacés pour inspirer de la crainte et de la terreur : car pourquoi
rachèterait-il l’homme, s’il voulait le perdre ? Ils ne considèrent
pas que le moindre péché sans punition, aussi ne laisse-t-il pas le
moindre bien sans récompense. Partant, ceux-là auront un supplice
éternel, d’autant qu’ils ont eu une volonté éternelle de pécher,
laquelle mon Fils, qui voie le cœur, répute comme mise à effet,
d’autant certes qu’il n’aurait pas tenu à eux, si mon Fils l’eût
permis.
Puis, ils crucifient sa
main gauche, quand ils tournent la vertu en vice, voulant pécher
jusqu’à la fin, disant : Si nous disions une fois, à la fin de nos
jours, qu’il ait pitié de nous, la miséricorde de Dieu est si grande
qu’elle nous pardonnera. Cela n’est pas vertu de vouloir pécher sans
vouloir s’amender, vouloir le prix sans la peine, à moins que la
contrition et le désir de s’amender ne fussent dans le cœur, si
l’infirmité ou quelque autre empêchement était ôté.
Ils lui crucifient les
pieds, quand ils se délectent à pécher, et ne considèrent pas une
seule fois la passion amère de mon Fils, ni ne lui en rendent grâces
une seule fois avec un amour et une reconnaissance intimes, disant :
Ô Dieu ! que votre passion est amère ! Louanges vous soient rendues
pour votre mort ! Ces remerciements ne sortent jamais de leur
bouche.
Ils le couronnent de la
couronne de moquerie, quand ils se moquent des serviteurs de Dieu et
pensent qu’il est inutile de le servir. Ils lui donnent à boire du
fiel, quand ils se complaisent malheureusement en leur péché, et ne
pensent pas combien ce péché est détestable et grand. Ils lui
percent le côté, quand ils ont la volonté de persévérer en leur
péché.
Je vous dis en vérité,
ma fille, et vous pourrez le dire à mes amis, que ceux qui font
toutes ces choses, sont, devant mon Fils, le juste des justes, plus
injustes que les Juifs, plus cruels que ceux qui le crucifiaient,
plus impudents que celui qui l’a vendu, et il est dû à ceux-ci une
plus grande peine qu’à ceux-là. Pilate a bien su que mon Fils
n’avait pas péché et qu’il ne méritait point la mort ; néanmoins,
parce qu’il craignait de perdre la puissance temporelle et une
sédition parmi les Juifs, il condamna comme par force mon Fils à
mort. Or, qu’auraient ceux-ci à craindre s’ils servaient mon Fils ?
Ou bien quel honneur, quelles charges, quelles dignités
perdraient-ils, s’ils l’honoraient ? aucunes.
C’est pourquoi ils sont
devant mon Fils plus coupables que Pilate, et ils seront jugés plus
rigoureusement, d’autant que Pilate l’a jugé avec quelque crainte,
pressé par les Juifs et par la volonté d’autrui ; mais ceux-ci le
jugent de leur propre volonté et sans crainte, quand ils le
déshonorent par leurs péchés, dont ils pourraient s’abstenir, s’ils
voulaient ; mais ils ne s’abstiennent pas de pécher, et ils ne
rougissent pas de les avoir commis, attendu qu’ils ne pensent pas
être indignes des récompenses de celui qu’ils offensent tant, et ne
le servent pas. Ils sont pire que Judas, d’autant que Judas, ayant
trahi Notre-Seigneur, savait bien qu’il avait vendu celui qui était
Dieu, reconnut l’avoir grandement offensé, fut désespéré, et se
croyant indigne de vivre, se pendit, se livra au démon.
Or, ceux-ci connaissent
bien la laideur de leur péché, et néanmoins, ils y persévèrent,
n’ayant pas en leur cœur la moindre contrition ; mais ils veulent
avec violence et puissance ravir le royaume des cieux, quand ils
pensent l’avoir, non par de bonnes œuvres, mais par une confiance
vaine et par une folle présomption, ce qui n’est octroyé à personne,
si ce n’est à ceux qui font de bonnes œuvres et qui souffrent
quelque chose pour Dieu.
Ils sont pires aussi
que ceux qui le crucifièrent, car quand ils virent les œuvres
merveilleuses de mon Fils, ressuscitant les morts et guérissant les
lépreux, ils pensaient en eux-mêmes : Cet homme fait des prodiges et
des merveilles inouïes ; il abat avec une parole ceux qu’il veut
abattre ; il sait nos pensées et il fait ce qu’il veut. Si on le
laisse faire, nous serons tous sous sa puissance et lui serons
soumis. Partant, afin de ne pas lui être soumis, ils le crucifièrent
; car s’ils eussent su qu’il était le Roi de gloire, ils ne
l’eussent jamais crucifié. Mais ceux-ci voient journellement ses
grandes et admirables œuvres ; ils jouissent de ses faveurs et de
ses bienfaits, et savent comment il la faut servir et comment il
faut aller à lui. Mais hélas ! se disent-ils, faut-il laisser toutes
les choses temporelles ? faut-il rompre notre volonté et faire la
sienne ? Oh ! que ceci est lourd et insupportable ! Partant,
méprisant s volonté et ne voulant pas lui obéir, ils crucifient mon
Fils par l’endurcissement et l’insensibilité de leurs cœurs,
entassant sur leur conscience péchés sur péchés.
Ceux-ci sont pires que
ceux qui l’ont crucifié, car les Juifs le faisaient, poussés par
l’envie et parce qu’ils ne savaient pas qu’il fût Dieu, mais ceux-ci
le crucifient spirituellement avec une malice préméditée, avec
cupidité et présomption, et cela avec plus d’amertume que les Juifs
ne le crucifièrent corporellement ; car ceux-ci sont rachetés, et
ceux-là ne l’étaient point. Obéissez donc à mon Fils, ô épouse ! et
craignez-le, car comme il est infiniment miséricordieux, il est
aussi infiniment riche.
Chapitre 38
Colloque agréable de
Dieu le Père avec le Fils. En quelle manière le Père a donné
l’épouse au Fils. Comment le Fils l’accepte, et de quelle sorte
l’Époux instruit l’épouse, par son exemple, à souffrir et à être
simple.
Le Père parlait à son
Fils, lui disant : Je suis venu avec amour à la Vierge et ai
travaillé à l’ineffable incarnation : c’est pourquoi vous êtes en
moi et je suis en vous. Comme le feu et la chaleur ne se séparent
jamais, de même il est impossible que la Divinité se sépare de
l’humanité. Le Fils répond : Que tout honneur et toute gloire vous
soient rendues, ô mon Père ! que votre volonté soit faite en moi et
la mienne en vous.
Le Père répond : Voici,
mon Fils, que je vous donne cette nouvelle épouse pour la gouverner
et la nourrir comme une brebis. Vous en êtes le maître et le
possesseur. Elle vous donnera du lait pour boire et pour vous
rafraîchir, et de la laine pour vous vêtir. Mais vous, ô épouse !
vous devez lui obéir, car il faut que vous ayez trois choses : la
patience, l’obéissance et la franchise.
Alors le Fils dit au
Père : Que votre volonté avec la puissance, la puissance avec
l’humilité, l’humilité avec la sagesse, la sagesse avec la
miséricorde, soit faite, qui est sans commencement et sera sans fin
en moi. Je la prends en mon amour, en votre puissance et en la
conduite du Saint-Esprit, qui ne sont pas dieux, mais un seul Dieu
en trois personnes. Alors l’Époux dit à sa très chères épouse : Vous
avez entendu comment mon Père vous a donnée à moi comme une brebis :
il faut donc que vous soyez simple et patiente comme une brebis, et
féconde, pour nourrir et vêtir vos enfants spirituels, car il y a
trois choses au monde : la première est toute nue, la deuxième est
pressée par la soif, la troisième est famélique.
La première signifie la
foi de mon Église, qui est toute nue, d’autant que tout le monde a
honte de parler de la foi, de mes commandements ; et s’il se trouve
quelqu’un qui en parle, on s’en moque et on l’accuse de mensonge.
Partant, les paroles qui sortent de ma bouche doivent en quelque
sorte revêtir de laine cette foi, car comme la laine croît sur le
corps de la brebis par la chaleur naturelle, de même, de la chaleur
de ma Divinité et de mon humanité, sortent des paroles qui touchent
votre cœur, qui y revêtent ma foi sainte par le témoignage de vérité
et de sagesse, et montrent qu’elle est vraie, bien que maintenant
elle soit réputée fausse et vaine, afin que ceux qui ont eu la
lâcheté jusqu’aujourd’hui de ne pas revêtir leur foi de bonnes
œuvres, ayant entendu mes charitables paroles, soient illuminés, et
poussés à parler fidèlement et à faire généreusement de bonnes
œuvres.
La deuxième signifie
mes amis, qui désirent, avec autant d’ardeur que ceux qui sont
dévorés par la soif désirent de boire, d’accomplir mon honneur, et
se troublent quand je suis déshonoré : ceux-ci, ayant goûté la
douceur de mes paroles, sont enivrés d’une plus grande charité, et
les morts mêmes sont, avec eux, embrasés de mon amour, voyant
combien de faveurs je fais aux pécheurs.
Le troisièmes signifie
ceux qui disent en leur cœur : Si nous savions la volonté de Dieu,
comment il nous faut vivre, et si nous étions guidés sur le chemin
de la vie parfaite, nous y ferions tout ce que nous pourrions.
Ceux-ci sont comme des faméliques : ils brûlent de savoir ma voie,
et nul ne les rassasie, d’autant que nul ne leur montre parfaitement
ce qu’il faut faire ; et si on le leur montre, pas un ne vit comme
cela. Et partant, je leur montrerai moi-même ce qu’ils doivent
faire, et je les rassasierai de ma douceur, car les choses
temporelles et visibles sont ardemment désirées presque par tous, et
ne peuvent pourtant rassasier l’homme, mais exciter de plus en plus
en lui l’appétit de les acquérir. Mais mes paroles et mon cœur
rassasieront les hommes et les rempliront d’indicibles et abondantes
consolations. Donc, vous, mon épouse, qui êtes ma brebis, tâchez
d’avoir la patience et l’obéissance, car vous m’appartenez par toute
sorte de droits, et partant, il faut que vous suiviez ma volonté.
Or, celui qui veut
suivre la volonté d’un autre doit avoir trois choses : 1° un même
consentement avec lui ; 2° semblables œuvres ; 3° se retirer de ses
ennemis. Or, qui sont mes ennemis, sinon la superbe et insupportable
et tous les péchés ? Vous devez donc vous retirer de ceux-là, si
vous désirez suivre ma volonté.
Chapitre 39
En quelle manière la
foi, l’espérance et la charité, furent en Jésus-Christ en sa
passion, et sont imparfaitement en nous, misérables que nous
sommes !
J’ai eu trois choses en
ma mort : la première, une foi, ou, pour mieux dire, une licence que
j’avais, sachant que mon Père pouvait me délivrer de la passion,
quand je l’en suppliais à genoux ; la deuxième, une espérance, qui
fait dire une attente, quand je disais constamment : Qu’il soit
fait, non pas comme je veux ; la troisième, un amour, quand je
disais : Que votre volonté soit faite. J’eus aussi des angoisses
corporelles provenant de la crainte naturelle que j’avais de ma
passion, quand la sueur de sang sortit de mon corps, afin que mes
amis ne se crussent pas délaissés, quand ils seraient assaillis par
les craintes et les tribulations.
Je leur ai montré en
moi que l’infirmité de la chair fuit toujours les peines : mais vous
pourriez vous enquérir comment la sueur de sang sortit de mon corps.
Certes, comme le sang d’un infirme se sèche et se consomme dans les
veines, de même, par la douleur naturelle que je ressentais de ma
mort prochaine, mon sang était consommé. Enfin mon Père, voulant
manifester la voie par laquelle le ciel est ouvert, et que l’homme,
qui en avait été chassé, pouvait y rentrer, son amour m’a abandonné
dans la passion, afin qu’après ma passion, mon corps fût glorifié :
car, de droit et de justice, mon humanité ne pouvait arriver
autrement à la gloire, bien que je le pusse par la puissance de ma
Divinité.
Comment donc
mériteraient d’entrer dans la gloire ceux qui ont une petite foi,
une vaine espérance et nulle charité ? Si enfin, ils avaient la foi
des joies éternelles et des supplices horribles, ils ne désireraient
autre chose que moi. S’ils croyaient que je vois et que je sais
toutes choses, que je suis puissant en tout et que je demande raison
de tout, le monde leur serait vil, et ils auraient plus de crainte
de m’offenser pour mon respect que pour le regard des hommes. S’ils
avaient une ferme espérance, alors leur esprit et leurs pensées
seraient en moi. S’ils avaient la charité, ils penseraient à tout ce
que j’ai fait pour l’amour d’eux, quelle a été ma peine en la
prédication, quelle a été ma douleur en ma passion, voulant plutôt
mourir que les laisser perdues. Mais leur foi est infirme et menace
ruine, car ils croient tant qu’ils ne sont pas tentés, et se défient
de moi quand ils sont contrariés. Leur espérance et vaine, d’autant
qu’ils espèrent que leur péché leur sera pardonné sans justice et
sans vérité de jugement.
Ils pensent obtenir
gratuitement le royaume des cieux ; ils désirent obtenir la
miséricorde sans justice. Leur charité envers moi est toute froide,
car ils ne s’enflamment jamais à me rechercher, s’ils n’y sont pas
contraints par les tribulations. Comment pourrais-je être avec eux,
qui n’ont ni foi droit, ni espérance ferme, ni amour fervent ?
Parant, quand ils crieraient et me demanderaient miséricorde, ils ne
méritent pas d’être ouïs ni d’être en ma gloire, car aucun soldat ne
peut plaire à son chef ni obtenir de lui sa grâce après la chut,
s’il ne s’est pas humilié pour la faute dont il s’est rendu
coupable.
Chapitre 40
Paroles par lesquelles
Dieu le Créateur propose trois belles questions : la première, de la
servitude du mari et du commandement de la femme ; la deuxième, du
labeur du mari et de la prodigalité de la femme, et la troisième, du
mépris du maître et de l’honneur du serviteur.
Je suis votre Créateur
adorable et votre redoutable Seigneur. Dites-moi trois choses que je
vais vous demander, ô mon épouse ! Comment subsiste cette maison où
la femme est habillée en maîtresse et son mari en serviteur? Cela
convient-il ? Alors l’épouse répondit intimement en sa conscience :
Non, Seigneur, il ne convient pas que cela soit ainsi.
Notre-Seigneur lui dit : Je suis Seigneur de toutes choses et Roi
des anges.
J’ai vêtu mon
serviteur, c’est-à-dire, mon humanité seulement, pour l’utilité,
pour la nécessité. Car dans le monde, j’ai voulu être nourri et vêtu
pauvrement. Mais vous, qui êtes mon épouse, vous voulez être comme
maîtresse, avoir des richesses, des honneurs, et marcher
honorablement : à quoi servent toutes ces choses ? Certainement,
elles sont toutes vaines, et un jour, on les laissera toutes avec
confusion. Et de fait, l’homme n’a pas été créé pour une si grande
superfluité, mais pour avoir les seules nécessités de nature ; mais
la superfluité misérable a été inventée par la superbe qu’on aime,
et on la regarde maintenant comme une loi.
En deuxième lieu,
est-il décent et raisonnable que le mari travaille depuis le matin
jusqu’au soir, et que la femme consomme dans une heure tout ce qui
aura été amassé ? Alors elle répondit : Il n’est pas non plus
raisonnable, mais la femme doit vivre et faire selon la volonté de
son mari. Notre-Seigneur repartit : J’ai fait comme un mari qui
travaille depuis le matin jusqu’au soi, car j’ai travaillé depuis ma
jeunesse jusqu’à ma passion, montrant la voie qui conduit au ciel,
prêchant et accomplissant les œuvres que je prêchais. Quand la femme
qui devait être mienne de même que tout mon labeur, vit
luxurieusement, ce que j’ai fait ne lui sert de rien, et je ne
trouve en elle aucune vertu dans laquelle je puisse me complaire.
En troisième lieu,
dites-moi : n’est-il pas indécent, voire abominable, en quelque
maison que ce soit, que le maître soit méprisé et que le valet soit
honoré ? Elle répondit : Oui, certes. Notre-Seigneur repartit : Je
suis le Seigneur de toutes choses ; le monde est ma maison et
l’homme devrait être mon serviteur. Je suis le Seigneur qui est
maintenant méprisé dans le monde, et l’homme est honoré. Et partant,
vous que j’ai choisie, ayez soin de faire ma volonté, parce que tout
ce qui est dans monde n’est que comme un écume de mer et comme une
vision vaine.
Chapitre 41
Paroles du Créateur
dites en la présence des troupes célestes et de l’épouse, avec
lesquelles Dieu se plaint en quelque manière de cinq sortes de
personnes : du Pape et de son clergé, des mauvais laïques, des Juifs
et des païens. Elles traitent aussi du secours de ses amis, par
lesquels sont entendus tous les hommes, et de la cruelle sentence
fulminée contre les ennemis.
Je suis le Créateur de
toutes choses. Je suis engendré du Père avant les astres, et suis
inséparablement en mon Père, et mon Père est en moi, et un Esprit en
tous deux. Partant, le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont pas
trois dieux, mais un seul Dieu. Je suis celui qui a promis à Abraham
l’héritage éternel. J’ai tiré, par Moïse, mon peuple de l’Égypte. Je
suis le même qui parlait par la bouche des prophètes. Mon Père m’a
envoyé dans les entrailles de la Vierge, ne se séparant pas de moi,
mais demeurant inséparable avec moi, afin que l’homme, se retirant,
retournât à Dieu par mon amour.
Or, maintenant, en la
présence de mes troupes célestes, de vous, qui voyez en moi et savez
en moi toutes choses, néanmoins, pour l’instruction de mon épouse
ici présente, qui ne peut comprendre les choses spirituelles que par
les choses corporelles, je me plains devant vous de cinq hommes qui
sont ici présents, parce qu’ils m’offensent en plusieurs choses. Car
comme autrefois par le mot Israël j’entendais en la loi ancienne
tout le peuple d’Israël, de même par ces cinq hommes, j’entends tous
les hommes du monde.
Le premier est le
gouverneur de l’Église ; le deuxième son clergé ; les Juifs sont le
troisième, les païens le quatrième, mes amis le cinquième. Mais de
vous, ô Judée ! j’en excepte tous les Juifs qui sont secrètement
chrétiens, et qui me servent avec un amour sincère, une foi droite
et par des œuvres parfaites. Mais de vous, païens, j’en exceptent
tous ceux qui marcheraient par la voie de mes commandements, s’ils
savaient comment et s’ils étaient instruits, et ceux qui font de
bonnes œuvres autant qu’ils peuvent ; ils ne seront aucunement jugés
avec vous.
Donc, maintenant, je me
plains de vous, ô chef de mon Église ! qui êtes assis sur le siège
que j’ai donné à Pierre et à ses successeurs, pour y être assis avec
une triple dignité et une triple autorité : 1° afin qu’ils aient le
pouvoir de lier et de délier les âmes du péché ; 2° afin qu’ils
ouvrent le ciel aux pénitents ; 3° afin qu’ils le ferment aux
maudits et à ceux qui me méprisent. Mais vous, qui deviez délier les
âmes et me les présenter, vous en êtes le meurtrier ; car j’ai
établi Pierre pasteur et gardien de mes brebis, et vous en êtes le
dispensateur et celui qui les blesse. Or, vous êtes pire que
Lucifer, car lui m’enviait et ne désirait tuer autre que moi, afin
qu’il régnât à ma place, mais vous êtes pire que lui, attendu que,
non seulement vous me tuez, me repoussant de vous par plusieurs
mauvaises œuvres, mais vous tuez les âmes par votre mauvais exemple.
J’ai racheté de mon
sang les âmes, et je vous les ai confiées comme à un fidèle ami :
mais vous, vous les livrez à mon ennemi duquel je les avais
rachetées. Vous êtes plus injuste que Pilate, qui ne condamnait à
mort autre que moi : mais non seulement vous me jugez comme celui
qui n’a aucun pouvoir et qui est indigne de tout bien, mais vous
condamnez même les âmes innocentes et vous pardonnez aux coupables.
Vous m’êtes plus ennemi que Judas, qui me vendit seul : et vous,
vous ne me vendez pas seul, mais aussi les âmes de mes élus par un
sale lucre et par une vanité de nom : Vous êtes plus abominable que
les Juifs, car ils crucifièrent seulement mon corps, mais vous
crucifiez et punissez les âmes de mes élus, auxquelles votre malice
et votre transgression sont plus amères que le couteau tranchant. Et
partant, parce que vous êtes semblables à Lucifer, que vous êtes
plus injuste que Pilate, plus cruel que Judas et plus abominable que
les Juifs, je me plains avec raison de vous.
Aux hommes de la
deuxième sorte, c’est-à-dire, aux laïques, Notre-Seigneur parle en
ces termes : J’ai créé toutes choses pour votre utilité ; vous étiez
avec moi et j’étais avec vous ; vous m’aviez donné votre foi et vous
aviez juré de me servir : or, maintenant, vous vous êtes retirés de
moi comme un homme qui ignore son Dieu ; vous réputez mes paroles à
mensonge, mes œuvres à vanité, et vous dites que ma volonté et mes
commandements sont fâcheux et trop pesants. Vous avez enfreint la
foi que vous m’aviez donnée ; vous avez violé votre jurement et avez
laissé mon nom ; vous vous êtes séparés des saints, vous vous êtes
enrôlés au nombre des diables et vous êtes leurs compagnons. Il vous
semble qu’il n’y a que vous qui soyez dignes de louanges et
d’honneur. Tout ce qui est pour moi et tout ce que vous êtes tenus
de faire, vous est difficile, et tout ce qui vous plaît vous est
facile : c’est pourquoi je me plains de vous avec raison, car vous
avez violé la foi que vous m’aviez donnée au baptême et après le
baptême. En outre, pour l’amour que je vous ai montré tant en parole
qu’en effet, vous m’accusez de mensonge ; vous m’appelez insensé
pour avoir enduré la passion.
Notre-Seigneur parle en
ces termes aux hommes de la troisième espèce, c’est-à-dire, aux
Juifs : J’ai commencé la charité avec vous ; je vous ai élus pour
mon peuple ; je vous ai affranchis de la servitude qui vous écrasait
sous son faix ; je vous ai donné ma loi ; je vous ai introduits en
la terre que j’avais promise à vos pères ; je vous ai envoyé des
prophètes pour vous consoler ; après, j’ai choisi parmi vous la
vierge la plus sainte de laquelle j’ai pris l’humanité. Or,
maintenant, je me plains de vous, parce que vous ne pouvez pas
croire encore, disant : Jésus-Christ n’est pas venu, mais il
viendra.
Notre-Seigneur parle
ainsi aux hommes de la quatrième sorte, c’est-à-dire, aux gentils :
Je vous ai créés et rachetés comme des chrétiens, et j’ai fait tous
les biens pour l’amour de vous, mais vous êtes comme des insensés,
car vous ne savez ce que vous faites ; comme des aveugles, puisque
vous ne savez où vous allez, car vous honorez la créature pour le
Créateur, vous prenez le faux pour le vrai, et vous courbez le genou
devant celui qui est moindre que vous : c’est pourquoi je me plains
de vous.
Notre-Seigneur parle
ainsi aux hommes de la cinquième sorte, c’est-à-dire, à ses amis : O
mes amis! approchez-vous de plus près. Et soudain, il dit aux
troupes célestes : Mes amis, j’ai un ami, par lequel j’entends
plusieurs : il est comme un homme entouré de méchants et est en une
dure captivité ; s’il fait du bien, on enfonce une lance dans sa
poitrine. Voyez, mes amis, et vous tous, ô saints ! combien de temps
les souffrirai-je en un tel mépris.
Saint Jean-Baptiste
répondit : Vous êtes comme un miroir sans tache, car en vous comme
dans une glace bien polie, nous voyons et savons toutes choses sans
parole. Vous êtes une douceur incomparable en laquelle nous goûtons
toute sorte de biens ; vous êtes comme un glaive tranchant qui jugez
avec équité. Notre-Seigneur lui répondit alors : Mon ami, vous dites
la vérité, car en moi, tous les élus voient tout bien et toute
justice, voire les diables, en quelque sorte, quoiqu’ils ne soient
pas dans la lumière, mais en la conscience naturelle des choses. En
effet, comme, en prison, un homme qui avait auparavant appris les
lettres, sait ce qu’il avait appris, bien qu’il soit dans les
ténèbres et qu’il n’y voie pas, de même les diables, bien qu’ils ne
voient pas ma justice en l’éclat de ma splendeur, la savent
néanmoins et la voient en leur conscience. Je suis aussi comme un
glaive qui partage en deux; je donne à chacun ce qu’il mérite.
Notre-Seigneur dit
encore à saint Pierre : Vous êtes fondateur de la foi de mon Église
; dites en présence de ma cour céleste le droit et la justice de ces
cinq sortes de personnes. Saint Pierre répondit : Que louange et
honneur vous soient à jamais rendus pour votre amour, ô Seigneur !
Soyez béni de votre cour céleste, d’autant que vous nous faites voir
et savoir en vous toutes les choses qui sont faites et qui seront ;
en vous, nous voyons tout et savons tout.
Or, voici quelle est la
vraie justice : que celui qui est assis sur votre trône et a les
œuvres de Lucifer, perde avec confusion le siège sur lequel il a cru
s’asseoir, et qu’il soit participant des peines de Lucifer. Du
deuxième : telle est la rigueur de la justice : que celui qui s’est
retiré de la foi descende en enfer la tête en bas et les pieds en
haut, car il vous a méprisé, vous qui deviez être son chef, et il
n’a aimé que soi-même. Du troisième : telle est ma sentence : qu’il
ne voie point votre face, mais qu’il soit puni conformément à sa
malice et à sa cupidité, car les perfides et déloyaux ne méritent
point de vous voir.
Du quatrième : telle en
est la condamnation : qu’il soit enfermé comme un insensé en des
lieux fort obscurs. Du cinquième : tel est son jugement : qu’on lui
envoie du secours. Toutes ces choses étant entendues, Notre-Seigneur
dit : Je jure par la voix de mon Père, que Jean-Baptiste ouït sur le
bord du Jourdain ; je jure par le corps que Jean a baptisé, vu et
touché sur le bord du Jourdain ; je jure par l’Esprit, qui apparut
en forme de colombe sur le bord du Jourdain, que je ferai justice de
ces cinq sortes de personnes.
Alors Notre-Seigneur
reprit et dit au premier des cinq : Le glaive de ma sévérité percera
votre corps, commençant par la tête, si profondément et si
puissamment qu’on ne le pourra jamais arracher. Votre siège sera
submergé comme une lourde pierre, qui ne s’arrêtera que quand elle
sera au fond. Vos doigts, c’est-à-dire, vos conseillers, brûleront
en un feu de soufre puant et inextinguible. Vos bras, c’est-à-dire,
vos vicaires, qui devaient s’occuper de l'avancement des âmes et
s'étendre, et qui ne se sont étendus que vers l’utilité et les
honneurs du monde, seront condamnés à la peine prononcée par David :
que ses enfants soient orphelins, que sa femme soit veuve, et que
les étrangers ravissent et enlèvent sa substance. Quelle est cette
femme, sinon cette âme, qui sera délaissée de la gloire céleste, et
sera veuve de Dieu, son époux ? Qui sont ses enfants, sinon les
vertus qu’il semblait avoir? Et les âmes simples qui étaient sous
eux leur seront arrachées, et leurs dignités et leurs biens seront à
d’autres.
Et pour toute dignité,
ils hériteront d’une confusion éternelle. Après l’ornement de leur
tête sera submergé dans le bourbier infernal, d’où ils ne sortiront
jamais, afin que, comme ils ont ici surpassé les autres en honneur
et en superbe, de même ils soient enfoncés et plongés en enfer
par-dessus les autres, de sorte qu’ils n’en puissent jamais sortir.
Tous les fauteurs et imitateurs du clergé leur seront arrachés et
seront séparés comme un mur qu’on bat en ruine, où on ne laisse pas
pierre sur pierre, et aucune pierre ne sera jointe à une autre avec
le ciment, afin que ma miséricorde ne vienne jamais sur eux, attendu
que mon amour ne les a jamais échauffés, et il ne leur édifiera
jamais une demeure dans le ciel ; mais s’étant privés de tout bien,
ils seront tourmentés avec leur chef.
Je parle ainsi au
deuxième : D’autant que vous ne voulez pas me garder la foi promise,
ni m’aimer, j’enverrai un animal qui sortira du torrent impétueux et
vous engloutira ; et comme le torrent impétueux coule incessamment
en bas, de même cet impétueux animal vous entraînera au plus bas de
l’enfer. Et comme il vous est impossible de monter contre le torrent
impétueux, de même il vous est impossible de sortir jamais de
l’enfer.
Je dis au troisième :
Vous, ô Juifs ! vous ne voulez pas croire que je suis venu : quand
je viendrai au second jugement, vous me verrez, non en ma gloire,
mais en la frayeur de votre conscience, et vous vous convaincrez que
tout ce que j’avais dit était vrai. Maintenant, il vous reste le
châtiment dû à vos démérites. Je dis au quatrième : D’autant que,
maintenant, vous ne vous souciez de croire ni ne voulez savoir et
connaître, vos ténèbres reluiront un jour, et votre cœur sera
illuminé, afin que vous sachiez que mes jugements étaient vrais.
Néanmoins, vous ne viendrez pas à la lumière.
Je dis au cinquième :
Je vous ferai trois choses : 1° je vous remplirai intérieurement de
mon fervent amour ; 2° je rendrai votre bouche plus dure et plus
forte qu’aucune pierre, de sorte que les pierres qu’on jettera sur
elle rejailliront sur ceux qui les jettent ; 3° je vous armerai
tellement qu’aucune lance ne vous nuira, mais toutes choses
fléchiront et fondront devant vous comme la cire devant le feu.
Donc, raffermissez-vous et soyez généreux, car comme le soldat qui,
dans la guerre, espère le secours de son seigneur, combat tout
autant qu’il trouve quelque force en lui, de même soyez fort et
combattez, car Dieu, votre Seigneur, vous prêtera un secours auquel
personne ne pourra résister. Et parce que vous avez un petit nombre
de soldats, je vous honorerai et vous multiplierai.
Voici que vous, mes
amis, voyez et savez que cela est en moi, c’est pourquoi vous
demeurez devant moi stables et fermes. Les paroles que je viens de
dire s’accompliront : mais ceux-là n’entreront jamais en mon
royaume, tant que je serai Roi, à moins qu’ils s’amendent, car on ne
donnera le ciel à personne, si ce n’est à ceux qui s’humilient et
font pénitence. Alors, toute la troupe céleste répondit: Louange à
vous, Seigneur Dieu, qui êtes sans commencement et sans fin !
Chapitre 42
Paroles par lesquelles
la Vierge Marie exhorte l’épouse, comment elle doit aimer son Fils
par-dessus toutes choses, et en quelle manière toutes les vertus et
toutes les grâces sont renfermées en la Vierge glorieuse.
J’ai eu éminemment
trois choses par lesquelles j’ai plu à mon Fils, disait la Mère de
Dieu à l’épouse: 1° l’humilité, de sorte que ni homme, ni ange, ni
aucune créature n’a été plus humble que moi ; 2° j’ai eu
excellemment l’obéissance, parce que je me suis étudiée à obéir à
mon Fils en toutes choses ; 3° j’ai eu à un sublime degré une
charité singulière, c’est pourquoi j’ai été triplement honorée de
lui, car en premier lieu, j’ai été plus honorée que les anges et les
hommes, de sorte qu’il n’y a pas de vertu de Dieu qui ne reluise en
moi, bien qu’il soit la source et le Créateur de toutes choses. Je
suis sa créature, à laquelle il a donné sa grâce plus éminente qu’à
tout le reste des créatures. Secondement, j’ai obtenu une si grande
puissance à raison de mon obéissance, qu’il n’y a pas de pécheur,
quelque corrompu qu’il soit, qui n’obtienne son pardon, s’il se
tourne vers moi avec un cœur contrit et un ferme propos de
s’amender.
En troisième lieu, à
cause de ma charité, Dieu s’approche ainsi de moi, de telle sorte
que qui voit Dieu me voit, et qui me voit peut voir en moi, comme
dans un miroir plus parfait que celui des autres, la Divinité et
l’humanité, et moi en Dieu ; car quiconque voit Dieu voit en lui
trois personnes, car la Divinité m’a enfermée en soi avec mon âme et
mon corps, et m’a remplie de toutes sortes de vertus, de manière
qu’il n’y a pas de vertu en Dieu qui ne reluise en moi, bien que
Dieu soit le Père et l’auteur de toutes les vertus.
Quand deux corps sont
joints ensemble, ce que l’un reçoit, l’autre le reçoit aussi : il en
est ainsi de Dieu et de moi, car il n’y a pas en lui de douceur qui
ne soit pour ainsi dire en moi, comme celui qui a un cerneau d’une
noix en donne à un autre la moitié. Mon âme et mon corps sont plus
purs que le soleil et plus nets qu’un miroir. Comme dans un miroir,
on verrait trois personnes, si elles étaient présentes, de même on
peut voir en ma pureté le Père, le Fils et le Saint-Esprit, car j’ai
porté le Fils dans mon sein avec la Divinité ; on le voit maintenant
en moi avec la Divinité et l’humanité comme dans un miroir, d’autant
que je suis glorieuse. Étudiez-vous donc, ô épouse de mon Fils ! à
suivre mon humilité ; et n’aimez que mon Fils.
Chapitre 43
Paroles que le Fils de
Dieu adresse à l’épouse. Comment d’un peu de bien l’homme s’élève à
un bien parfait, et d’un peu de mal, descend à un grand supplice.
D’un peu de bien naît
quelquefois une grande récompense, disait le Fils de Dieu à
l’épouse. La datte est d’une merveilleuse odeur, et elle renferme
une pierre : si elle est mise dans une terre grasse, elle
s’engraisse et fructifie, et devient peu à peu un arbre ; mais si
elle est mis dans une terre aride, elle se dessèche, car elle est
bien aride pour le bien, la terre qui se délecte et prend plaisir
dans le péché ; si la semence des vertus y est jetée, elle ne s’y
engraisse pas. Mais la terre de l’esprit de celui-là est grasse, qui
connaît le péché et se repent de l’avoir commis ; si la pierre de
datte y est mise, c’est-à-dire, s’il y sème la sévérité de mon
jugement et de ma puissance, trois racines s’étendent dans son
esprit.
1° Il pense qu’il ne
peut rien faire sans mon secours ; partant, il ouvre sa bouche pour
me prier.
2° Il commence aussi de
donner une petite aumône en on nom.
3° Il se défait et
s’affranchit des affaires pour me servir, puis il s’adonne au jeûne
et quitte sa propre volonté : et c’est là le tronc de l’arbre.
Ensuite croissent les rameaux de la charité, quand il attire vers le
bien tous ceux qu’il peut y attirer ; puis le fruit vient en
maturité, quand il enseigne les autres autant qu’il sait ; il
cherche le moyen avec une entière dévotion d’accroître mon honneur :
un tel fruit me plaît beaucoup. Ainsi donc, d’un peu de bien, il
s’élève à un bien parfait et accompli. Quand premièrement il a pris
racine par une médiocre dévotion, le corps s’augmente par
l’abstinence, les rameaux se multiplient par la charité, et le fruit
s’engraisse par la prédication.
De la même manière, par
un petit mal, l’homme descend à une malédiction, à un supplice
insupportable. Ne savez-vous pas qu’il est très pesant, le fardeau
des choses qui croissent incessamment ? Certainement, c’est un
enfant qui ne peut naître, qui meurt dans les entrailles de sa mère,
qui la torture et la tue ; le père porte au tombeau et ensevelit la
mère et l’enfant : de même le diable en fait à notre âme, car elle
est vicieuse comme la femme du diable, laquelle suit en toutes
choses sa volonté, qui est alors conçue par le diable, quand le
péché lui plaît et se réjouit en lui : car de même qu’un peu de
pourriture rend la mère féconde, de même notre âme apporte un grand
fruit au diable, quand elle se délecte et prend plaisir dans le
péché : d’où sont formés les membres et la force du corps, quand on
ajoute et augmente tous les jours péchés sur péchés.
Les péchés étant
augmentés de la sorte, la mère s’enfle, voulant enfanter, mais elle
ne peut, parce que la nature étant consommée dans le péché, sa vie
l’ennuie, et elle voudrait commettre librement plus de péchés ; mais
elle ne peut, en étant empêchée par le saint, qui ne le lui permet
pas. Alors, la crainte la saisit, la joie et la force se retirent
d’elle, parce qu’elle ne peut accomplir sa volonté. Elle est
environnée de toutes parts de chagrins et de douleurs ; alors son
ventre se rompt, quand elle désespère de pouvoir faire quelque chose
de bien, et meurt en même temps, quand elle blasphème et reprend le
juste jugement de Dieu ; elle est ainsi menée par le diable, son
père, au sépulcre infernal, où elle est ensevelie à jamais avec la
pourriture du péché, elle et le fils de la délectation dépravée.
Voilà comment le péché s’augmente de peu et croît pour la damnation
éternelle.
Chapitre 44
Paroles du Créateur à
son épouse. Il dit combien il est maintenant blâmé et méprisé des
hommes, qui n’écoutent pas ce qu’il a fait par charité, quand il les
a avertis par ses prophètes, qu’il a tant souffert pour eux, pour
eux qui ne se sont pas souciés de la juste indignation qu’il a
exercée contre les obstinés, les corrigeant cruellement.
Je suis l’adorable
Créateur et le Seigneur redoutable de toutes choses. J’ai fait le
monde, et le monde me méprise. J’entends résonner du monde une voix
comme la voix d’une mouche supérieure qui amasse le miel sur la
terre ; car comme elle vole, elle s’abaisse aussitôt vers la terre,
et jette une voix grandement enrouée : de même j’entends maintenant
résonner dans le monde cette voix enrouée, disant : Je ne me soucie
point de ce qui vient après toutes ces choses.
Certes, tous crient
maintenant : Je ne m’en soucie point. Vraiment l’homme ne se soucie
pas ce que j’ai fait. Ému de charité, je l’ai averti par mes
prophètes, je lui ai prêché moi-même, j’ai souffert pour lui… Il
méprise ce que j’ai fait en ma colère, corrigeant et punissant les
désobéissants et les mauvais. Ils se voient mortels et incertains de
la mort, et ils n’en tiennent aucun compte.
Ils voient et ils
entendent les épouvantables rigueurs de ma justice, que j’ai exercée
sur Pharaon et les Sodomites à raison de leurs péchés, que j’ai
fulminée sur les princes et sur les rois, et que je promets de
rendre avec le tranchant du glaive et autres tribulations, et toutes
ces choses leurs sont comme cachées. C’est pourquoi ils volent à
tout ce qu’ils veulent comme les mouches supérieures.
Ils volent quelquefois
aussi comme en sautant, parce qu’ils s’élèvent par leur superbe ;
mais ils s’abaissent plutôt quand ils retournent à l’abominable
luxure et à leur gourmandise. Ils amassent ainsi de la douceur, mais
pour eux et en la terre, parce que l’homme travaille et amasse, non
pour l’utilité de l’âme, mais pour celle du corps, non pour
l’honneur éternelle, mais pour l’honneur terrestre. Ils se tournent
le bien temporel en une peine insupportable. Celui qui n’est utile à
rien a un supplice éternel. Partant, à cause des prières de ma Mère,
j’enverrai ma voix claire qui prêchait ma miséricorde à ces mouches,
dont mes amis se sont exemptés et affranchis, qui ne sont point au
monde, sinon en leur corps ; que s’ils l’écoutent, ils seront
heureusement sauvés.
Chapitre 45
Réponse de la Vierge
Marie, des anges, des prophètes, des apôtres et des diables, faite à
Dieu en la personne de l’épouse, lui témoignant sa magnificence et
sa grandeur dans la création et la rédemption, et comme les hommes
contredisent maintenant toutes ces choses, et de leur sévère
jugement.
O épouse de mon Fils,
vêtissez-vous et demeurez stable, parce que mon Fils s’approche de
vous, disait la Mère de Dieu à l’épouse. Sa chair a été serrée comme
en un pressoir : car comme l’homme a manqué et failli malicieusement
en tous ses membres, mon Fils a aussi satisfait à proportion en tous
les siens. Ses cheveux étaient étendus, ses nerfs séparés, ses
jointures disjointes, ses os meurtris, ses mains et ses pieds cloués
; son esprit était troublé ; son cœur était affligé de douleur ; ses
intestins étaient collés à son dos, d’autant que l’homme a péché en
tous ses membres.
Après, le Fils de Dieu
parla et dit, en présence de la troupe céleste : Bien que vous
sachiez que toutes choses sont faites par moi, toutefois, à cause de
mon épouse qui est ici, je prends la parole et je vous demande, ô
anges ! ce que cela veut dire, que Dieu a été sans commencement et
sans fin, et ce que veut dire ceci, qu’il a créé toutes choses et
que nul ne l’a créé. Répondez, et portez témoignage en ceci.
Les anges répondirent
d’une commun voix, disant : Seigneur, vous êtes celui qui est, car
nous vous donnerons témoignage de trois choses : 1° que vous êtes
notre adorable Créateur, et le Créateur de toutes choses qui sont au
ciel et sur la terre ; 2° que vous êtes sans commencement, que vous
serez sans fin, et que votre redoutable puissance durera
éternellement : car sans vous rien n’a été fait, et sans vous, rien
ne peut être ni subsister ; 3° nous témoignons que nous voyons en
vous toute votre justice, et toutes les choses qui ont été et
seront, et toutes ces choses en vous-même, et vos idées, sans fin et
commencement.
Puis, se tournant vers
les patriarches et les prophètes, il leur dit : Je vous le demande,
quel est celui qui vous a affranchis de la servitude, pour vous
rendre la liberté, qui a divisé les eaux devant vous, qui vous a
donné la loi, qui a donné à vos prophètes l’esprit de parler ? Ils
lui répondirent : C’est vous, ô Seigneur que nous adorons, qui nous
avez tirés de servitude, qui nous avez donné la loi, et qui avez
incité notre esprit à parler.
Après, il dit à sa Mère
: Ma Mère, portez témoignage de vérité de ce que vous savez de moi.
Elle répondit : Avant que l’ange, qui était envoyé de vous, fût venu
à moi, j’ai été seule avec mon âme et mon corps. Mais quand l’ange
eut parlé, votre corps fut en moi, avec la Divinité et l’humanité,
et je sentis en mon corps votre corps. Je vous ai porté sans douleur
; je vous ai enfanté sans angoisses ; je vous ai enveloppé de langes
; je vous ai nourri de mon lait ; j’ai été avec vous depuis votre
naissance jusqu’à votre mort.
Puis, il s’adressa aux
apôtres, disant : Quel est celui que vous avez vu, entendu et senti
? Ils lui répondirent : Nous avons entendu vos saintes et puissantes
paroles, et nous les avons écrites ; nous avons ouï vos merveilles
signalées, quand vous avez donné la loi nouvelle. Par votre parole
efficace, vous avez commandé aux démons enragés de fureur, et ils
ont pris la fuite aux accents de votre parole puissante. Vous avez
ressuscité les morts et guéri les malades. Nous avons vu avec un
corps humain. En votre humanité, nous avons vu vos merveilles en la
gloire divine ; nous vous avons vu livré aux ennemis et cloué sur la
croix ; nous avons vu en vous une passion très amère ; nous vous
avons enseveli. Nous vous avons aperçu et vu, lorsque vous êtes
ressuscité ; nous avons touché vos cheveux et votre face, vos
membres et vos plaies. Vous avez mangé avec nous, et vous nous
donniez vos paroles. Vous êtes vraiment le Fils de Dieu et le Fils
de la Vierge. Nous vous avons aussi vu et touché, lorsque vous êtes
montés à la droite de votre Père avec une humanité où vous êtes sans
fin.
Après, Dieu dit aux
diables : Esprits immondes, bien qu’en votre conscience vous cachiez
la vérité, je vous commande toutefois de dire ce qui diminue votre
puissance. Ils lui répondirent : Tout ainsi que les larrons ne
disent point la vérité s’ils ne sont mis sur le cep, de même nous ne
la disons point si nous n’y sommes contraints par votre divine,
infinie et terrible puissance. C’est vous qui, avec votre force,
êtes descendu en enfer. Vous avez pris le droit de l’enfer. Alors
Notre-Seigneur dit : Voici tous ceux qui ont un esprit et ne sont
point revêtus de corps, lesquels me disent la vérité ; mais ceux qui
ont un esprit et un corps, savoir, les hommes, me contredisent et
vont à l’encontre de moi.
Or, les uns n’ignorent
rien, mais savent tout ; toutefois ils n’en tiennent pas compte et
ne s’en soucient pas. Les autres ignorent tout et ne savent rien, ce
qui fait qu’ils ne s’en soucient pas, mais disent que toutes choses
sont fausses. Notre-Seigneur dit encore aux anges : Ceux-ci disent
que votre témoignage est faux, que je ne suis point Créateur, que je
n’ai pas la connaissance de toutes choses : c’est pourquoi ils
aiment mieux la créature que moi. Il dit aussi aux prophètes : Ils
vous contredisent, disant que la loi est vanité et que vous avez
parlé par votre propre volonté. Mais il dit à sa Mère : Ma Mère, les
uns disent que vous n’êtes pas vierge, les autres que je n’ai pas
pris mon corps de vous : ils le savent, mais ils ne s’en soucient
pas. Puis il dit aux apôtres : Ils vous contredisent, d’autant
qu’ils disent que vous êtes des menteurs, que la loi nouvelle est
sans raison et inutile. Il y en a d’autres qui croient que toutes
choses sont vraies, mais ils n’en tiennent pas compte.
Maintenant donc, je
vous demande quel sera leur juge. Ils me répondirent tous : C’est
vous, ô Dieu adorable ! qui êtes sans commencement et sans fin ;
c’est vous, ô Jésus-Christ ! à qui le Père en a donné le jugement ;
c’est vous qui êtes le juge juste et équitable de ceux-là. Le
Seigneur leur répondit : Je suis maintenant le juge, moi qui me
complaignais sur eux ; mais bien que je connaisse et puisse toutes
choses, toutefois prononcez sur eux votre jugement.
Ils lui dirent : Tout
ainsi qu’au commencement du monde, tout le monde périt par les eaux
du déluge, de même le monde mérite maintenant de périr par le feu,
parce, maintenant, l’iniquité et l’injustice sont plus grandes
qu’elles ne l’étaient alors. Le Seigneur répondit : D’autant que je
suis juste et miséricordieux, je ne juge pas sans miséricorde, et je
ne fais pas miséricorde sans justice. C’est pourquoi, à cause des
prières de ma très chère Mère et de mes saints, j’enverrai encore
une fois ma miséricorde au monde ; mais si le monde ne veut ni
l’écouter ni l’embrasser, ma justice n’en sera que plus rigoureuse.
Chapitre 46
Paroles de louange que
se disaient, en présence de l’épouse, la Mère et son Fils. Comment
Jésus-Christ est maintenant réputé des hommes, très vil, très
difforme et très déshonnête. Éternelle damnation de ceux qui le
traitent ainsi.
La Vierge Marie parlait
à son Fils, disant : Soyez béni, mon Fils, vous qui êtes sans
commencement et sans fin ; vous qui avez eu un corps très honnête et
décent plus que tout autre ; vous qui avez été l’homme le plus
adroit et le plus vertueux qui ait existé ; vous qui avez été la
plus digne créature du monde !
Son Fils lui répondit,
disant : Ma Mère, les paroles qui sortent de votre bouche, me sont
agréable, et abreuvent les plus secrètes pensées de mon cœur comme
d’un breuvage très doux et suave ; vous m’êtes plus doux qu’aucune
créature du monde. Car comme on voit en un miroir divers visages,
mais qu’aucun plaît davantage que le propre, de même, bien que
j’aime mes saints, je vous aime toutefois d’un amour plus ardent,
plus singulier, et plus excellent, d’autant que je suis engendré de
votre chair.
Vous êtes comme la
myrrhe choisie, dont l’odeur monte jusqu’à la Divinité et la conduit
en votre corps : la même odeur a attiré votre corps et votre âme
jusqu’à elle, où vous êtes maintenant en corps et en âme. Vous,
soyez bénie, parce que les anges se réjouissent à cause de votre
beauté ; et à raison de votre vertu, tous ceux qui vous invoquent
avec un cœur pur seront délivrés. Tous les démons tremblent à votre
lumière ; ils n’oseraient pas s’arrêter en elle, parce qu’ils
veulent toujours êtres dans les ténèbres.
Vous m’avez donné une
triple louange, disant, 1° que j’avais un corps très honnête, 2° que
j’étais un homme très adroit, 3° que j’étais la plus digne de toutes
les créatures. Mais ceux-là seulement qui ont un corps et une âme
contredisent ces trois choses, car ils disent que j’ai un corps
déshonnête, que je suis un homme très abject et maladroit, et que je
suis la plus vile de toutes les créatures. Qu’y a-t-il en effet de
plus déshonnête que de provoquer les hommes au péché ? Ils disent
aussi que le péché n’est pas si difforme, et qu’il ne déplaît pas
tant à Dieu, comme on dit, car, disent-ils, rien ne peut être, si
Dieu ne le veut, et tout a été créé par lui. Pourquoi donc ne nous
servirons-nous pas des choses qui ont été faites pour notre utilité
? La fragilité de la nature a demandé cela, et tous ceux qui ont été
devant nous et qui sont à présent, ont vécu et vivent maintenant de
la sorte.
A présent, ma Mère, les
hommes me parlent ainsi, tournant mon humanité en déshonneur, en
laquelle j’ai apparu vrai Dieu entre les hommes, et par laquelle
j’ai dissuadé le péché, et j’ai montré combien il était lourd et
pesant, comme si j’avais conseillé le déshonneur et la saleté.
Certes, ils disent qu’il n’y a rien de plus honnête et qui plaise
davantage à leur volonté que le péché, bourreau de l’âme. Ils disent
aussi que je suis un homme très déshonnête ; car qu’y a-t-il de plus
déshonnête que lui, qui, lorsqu’il dit la vérité, est frappé de
pierres sur la face, et sur sa bouche qui se brise. Et en outre, il
entend l’opprobre de ceux qui disent : S’il était homme, il se
défendrait et se vengerait.
Voilà comment ils me
traitent. Je leur parle par la bouche des docteurs et par la sainte
Écriture, mais ils disent que je suis un menteur. Ils frappent ma
bouche à coups de pierres et à coups de poings, quand ils commettent
un adultère, un homicide et un mensonge, et disent : S’il était
homme, s’il était Dieu très puissant, il vengerait une telle
transgression. Mais je supporte avec patience toutes ces choses, et
je les entends tous les jours, disant que la peine n’est point
éternelle et fâcheuse, comme on le prétend, et disent que mes
paroles véridiques sont des mensonges.
En troisième lieu, ils
me croient la plus vile créature du monde : car qu’y a-t-il de plus
vil et de plus abject en une maison qu’un chat ou un chien, pour
lesquels, si quelqu’un voulait librement faire un échange, il
recevrait un cheval ? Mais l’homme m’estime moins qu’il n’estime un
chien, d’autant que, s’il devait perdre son chien ou me choisir, il
ne voudrait pour cela me recevoir, il me rebuterait plutôt que de le
perdre. Mais quelle est la chose, si petite qu’elle soit, qu’on ne
désire avec un plus fervent amour qu’on ne me désire moi-même ?
S’ils m’estimaient en effet plus qu’aucune créature, ils
m’aimeraient plus que toute autre ; mais il n’est rien de vil et
d’abject qu’ils n’aiment plus que moi. Ils ont pitié de toutes
choses ; de moi ? nullement. Ils sont marris de leurs dommages
propres et de ceux de leurs amis ; ils se fâchent d’une petite
parole ; ils sont dolents et affligés de ce qu’ils offensent les
autres, plus excellents qu’eux, mais ils ne s’affligent pas de ce
qu’ils m’offensent, moi qui suis le Créateur de toutes les
créatures. Quel est l’homme, si abject qu’il soit, que l’on
n’écouterait pas, s’il parlait, à qui on ne donnerait pas quelque
chose, s’il donnait ? Je suis donc la plus abjecte et la plus vile
de toutes les créatures en leur présence, d’autant qu’ils ne me
croient digne d’aucun bien, quoique je leur aie donné tout ce qu’ils
ont.
Donc, ô ma Mère, comme
vous avez goûté plus que tout autre ma sagesse infinie, et qu’il
n’est jamais sorti de votre bouche que la vérité, de même il ne
sortira jamais de la mienne que la vérité. Je m’excuserai en la
présence de mes saints, devant le premier qui a dit que j’avais un
corps très déshonnête, et je prouverai jusqu’à l’évidence que j’ai
un corps très honnête, sans péché, sans difformité, et il sera en
opprobre éternel à la face du monde. Quant à celui qui disait que
mes paroles étaient un mensonge, et ne savait pas si j’étais Dieu ou
non, je lui prouverai vivement que je suis vraiment Dieu : et
celui-là, comme une boue puante, tombera dans l’enfer. Quant au
troisième, qui m’a jugé et estimé être la plus vile de toutes les
créatures, je le jugerai et le condamnerai à un supplice éternel, de
sorte qu’il ne verra jamais la splendeur de ma gloire ni ma joie
incomparable.
Après, Notre-Seigneur
dit à l’épouse : Soyez ferme et constante en mon service. Vous êtes
venue comme entre quelque mur, vous y avez été emprisonnée. Vous ne
pouvez ni sortir de cette prison ni la percer. Supportez donc
volontairement une petite tribulation, et vous éprouverez en mon
bras, dont les pouvoirs sont adorables, un repos éternel. Vous avez
connu la volonté de mon Père, vous entendez la parole de son Fils,
et vous sentez les mouvements amoureux de mon Esprit. Vous avez une
consolation et un contentement indicibles en la parole de ma Mère et
de mes saints : donc, soyez ferme et constante, sinon vous sentirez
les horribles rigueurs de ma justice, par laquelle vous serez
contrainte de faire ce dont je vous avertis maintenant avec tant
d’amour.
Chapitre 47
Comment Notre-Seigneur
s’entretenait avec son épouse et lui objectait les paroles de la
nouvelle loi. Comme la nouvelle loi est maintenant réprouvée et
rejetée du monde, et comment les mauvais prêtres ne sont point
prêtres de Dieu, mais des traîtres à son égard. Malédiction et
damnation des mauvais prêtres.
Je suis ce Dieu
éternel, qui était jadis appelé le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac
et le Dieu de Jacob. Je suis Dieu, ce législateur qui a donné la loi
à Moïse, laquelle était comme un vêtement. Car comme la mère qui a
un enfant dans son sein, lui prépare des vêtements, de même Dieu a
préparé une loi, qui n’était autre chose qu’un vêtement, une ombre
et une figure des choses qui se devaient faire. Pour moi, je suis
couvert de ce vêtement de la loi ; et comme l’enfant qui, devenu
plus grand, se dépouille de ses vieux vêtements pour en prendre de
nouveaux, ayant accomplie et déposé le vêtement de la vieille loi,
je me suis revêtu d’un nouveau, vêtement, c’est-à-dire, de la
nouvelle, et je l’ai donné à tous ceux qui ont voulu être vêtus
comme moi. Or, ce vêtement n’est ni étroit ni difficile, mais il est
en tout et partout modéré et proportionné.
Je n’ai pas commandé en
effet de trop jeûner, de trop travailler, ni de se tuer ou de faire
l’impossible, mais de faire des choses propres et convenables pour
châtier ou modérer l’âme et le corps. Car quand le corps est trop
attaché au péché, le péché se consomme et le réduit au néant. C’est
pourquoi, dans la loi nouvelle, se trouvent deux choses : 1° une
tempérance modérée, et un droit et légitime usage de toutes les
choses qui servent et pour l’âme et pour le corps ; 2° la facilité
de garder la loi, parce que celui qui ne peut s’arrêter en une
chose, le peut en une autre. On trouve en elle qu’à celui qui ne
peut être vierge, il est permis d’être marié ; que celui qui tombe
peut se relever. Mais cette loi est maintenant réprouvée et méprisée
à cause du mal, car ils disent que cette loi étroite est fâcheuse et
difforme ; ils l’appellent étroite, d’autant qu’elle recommande de
s’abstenir des choses nécessaires et de fuir les choses superflues.
Or, ils veulent jouir
et s’assouvir de toutes ces choses qui sont hors de raison, comme
les juments par-dessus les forces de leur corps, c’est pourquoi elle
leur est étroite. Secondement, ils disent qu’elle est fâcheuse,
d’autant que la loi ordonne de prendre la volupté avec raison et en
ce temps, mais ils veulent accomplir leur volupté plus que de raison
et plus qu’il n’est ordonné. En troisième lieu, ils disent qu’elle
est difforme, parce que la loi commande d’aimer l’humilité, et de
déférer et d’attribuer tout notre bien à Dieu ; mais ils veulent
s’enorgueillir des biens qu’ils ont reçus de Dieu, et s’élever :
c’est pourquoi elle leur est difforme, et de la sorte, ils méprisent
mon vêtement.
J’ai achevé et accompli
plus tôt tout ce qui était de la vieille loi, et après, j’ai
commencé la nouvelle, parce que les corps qui appartenaient à la
vieille étaient grandement difficiles pour durer jusqu’à ce que je
vinsse au dernier jugement. Mais ils ont jeté avec mépris le
vêtement dont l’âme était couverte et revêtue, c’est-à-dire, la foi
droite, et ils ajoutent et amoncellent péchés sur péchés, d’autant
qu’ils veulent aussi me trahir. David ne dit-il pas en son psaume :
Ceux qui mangeait mon pain méditent contre moi une trahison ? Par
ces paroles, je veux que vous remarquiez deux choses : 1° parce
qu’il ne veut point dire ici : Ils pensent mal ; il a parlé comme si
la chose était déjà passée ; 2° de ce que le passé dénote qu’il n’y
a qu’un seul homme qui ait trahi. Pour moi, je vous dis que ceux-là
me sont traîtres qui sont au présent, non pas ceux qui ont été ou
qui seront, mais ceux qui vivent maintenant. Je vous dis aussi qu’il
n’y a pas un homme traître, mais qu’il y en a plusieurs.
Or, vous me demanderez
peut-être : N’y a-t-il pas deux pains, l’un invisible et spirituel,
dont les anges et les saints se nourrissent, l’autre de la terre,
dont vivent les hommes ? Mais les anges et les saints ne veulent
autre chose, sinon que tout soit conforme à votre volonté, et les
hommes ne peuvent rien, sinon comme il vous plaît : comment donc
peuvent-ils vous trahir ?
Je vous réponds à cela,
ma cour céleste l’entendant, afin que vous sachiez qu’ils savent et
voient toutes choses en moi, mais le tout se dira pour votre sujet :
Il y a vraiment deux sortes de pain : l’un des anges, qu’ils mangent
en mon royaume, afin de se rassasier d’une gloire ineffable :
certes, ceux-là n’ont garde de me trahir d’autant qu’ils ne veulent
que ce que je veux. Mais ceux-là me haïssent, qui mangent mon pain à
l’autel.
Je suis vraiment ce
pain, dans lequel on voit trois choses : la rondeur, la figure et le
goût, parce que, comme sans pain toute viande est presque sans goût
et comme de nul appui, de même, sans moi, tout ce qui est, est sans
goût, faible et vain. J’ai aussi la figure du pain, parce que je
suis de la terre, car je suis né d’une Mère vierge, ma Mère tire sa
source d’Adam, Adam, de la terre. J’ai aussi la rondeur où ne se
trouvent ni commencement ni fin, parce que je suis sans commencement
et sans fin. Personne ne peut considérer ni trouver de fin ou de
commencement en ma sagesse incroyable, en ma puissance infinie, en
mon éternelle charité. Je suis d’une manière admirable en toutes
choses, par-dessus toutes choses et hors de toutes choses. Bien que
quelqu’un volât sans relâche et toujours aussi vite qu’une flèche,
jamais il ne trouverait ni la fin ni le fond de ma puissance, de ma
vertu.
Donc, à cause de ces
trois choses, savoir, le goût, la figure, la rondeur, je suis ce
pain que l’on voit et que l’on sent sur l’autel ; mais il est changé
en mon corps, qui a été crucifié. Car de même qu’une chose aride et
sèche brûle soudain, si le feu y est mis, et en même temps est
consumée, et il ne demeure rien du bois qui lui est apposé, mais
tout est converti en feu, de même, ces paroles étant prononcées,
savoir : CECI EST MON CORPS, ce qui a été pain auparavant, est au
moment même, changé et transsubstantié en mon corps, et ne se brûle
point par le feu, comme le bois, mais par ma Divinité. Partant, me
trahissent ceux-là qui mangent indignement de mon pain.
Mais quel meurtre
pourrait être plus abominable que lorsque quelqu’un se tue soi-même
; ou quelle trahison plus détestable que lorsque deux personnes
conjointes ensemble par un lien indissoluble, comme, par exemple,
les personnes mariées, se trahissent l’un l’autre ?
Mais que fait le mari
quand il veut trahir sa femme ? Il lui dit : Allons, ma femme, en un
tel lieu, afin que j’accomplisse ma volonté avec vous. Or, étant
prête en tout et partout à suivre la volonté de son mari, elle s’en
va avec lui avec une vraie simplicité. Mais lorsqu’il a trouvé un
lieu propre et un temps opportun pour mettre son entreprise à
exécution, il tire contre elle trois instruments de trahison:
certes, l’un est tellement pesant qu’il la tue d’un seul coup ;
l’autre est tellement aigu qu’il entre aussitôt dans les entrailles
; le troisième est en telle sorte qu’elle est bientôt étouffée, car
il lui enlève l’air vital. Mais après que da femme est morte, ce
traître dit en lui-même : Maintenant, j’ai fait le mal : s’il est
découvert et publié, je serai condamné à mort. C’est pourquoi il
s’en va, et met le cadavre de sa femme en un lieu caché, de peur que
son péché ne soit découvert.
Les prêtres qui me
trahissent agissent de la sorte : car nous sommes liés ensemble par
un seul lien, quand ils prennent le pain, et que, proférant les
paroles sacramentelles, ils le changent en mon vrai corps, que j’ai
pris de la Vierge. Tous les anges ensemble ne pourraient faire cette
chose, parce que j’ai donné cette dignité aux prêtres seuls, et les
ai élevés pour les plus grandes charges : mais il me font comme des
traîtres, car ils me montrent une face joyeuse et gracieuse, et me
mènent en un lieu caché et secret pour me trahir. Ces prêtres-là
montrent alors leur face joyeuse et gracieuse, quand ils semblent
être bons et simples devant tous ; mais quand ils s’approchent de
l’autel, ils me conduisent en une prison. Alors, comme l’époux ou
l’épouse, je suis prêt à accomplir leur volonté, mais ils me
trahissent.
1° Ils m’appliquent une
chose bien lourde et bien pesante, lorsque le divin office leur est
grandement fâcheux et ennuyeux, quand ils le disent en mon honneur :
car ils disent plutôt cent paroles pour plaire au monde et pour
avoir ses bonnes grâces, qu’une seule pour mon honneur ; ils
donneraient plutôt cent marcs d’or pour le monde qu’un denier pour
moi ; ils travailleraient cent fois plus pour leur propre utilité et
pour celle du monde, qu’une seule fois pour mon honneur ; ils
m’accablent par ce fardeau, comme si j’étais mort dans leur cœur.
2° Ils me frappent
comme avec un fer aigu, qui entre dans mes entrailles, lorsque le
prêtre s’approche de l’autel, qu’il se souvient d’avoir péché et
s’en repent, pensant en soi-même avec une ferme volonté de pécher de
nouveau, dès qu’il aura achevé l’office. Bien, disent-ils, je me
repens de mon péché, mais je ne quitterai point l’occasion en
laquelle j’ai péché, afin de ne plus pécher : ceux-là me frappent
comme avec un fer très aigu.
3° Mon esprit est
presque suffoqué quand ils pensent ainsi entre eux : C’est une chose
bonne et délectable d’être avec le monde ; c’est une chose bonne de
s’abandonner à toute sorte de voluptés ; et pour moi, je ne puis
m’en empêcher. Je suivrai en tout et partout ma volonté corrompue
pendant que je suis jeune ; car quand je viendrai sur le point de ma
vieillesse, alors je m’abstiendrai de toutes ces choses et je m’en
corrigerai. Mon esprit est suffoqué de cette pensée très méchante.
Mais on demande comment
leur cœur se refroidit tellement et devient si tiède pour tout bien,
de sorte qu’il ne pourra jamais s’échauffer ni se relever en ma
charité. Je vous dis qu’il sera comme de la glace : en effet, comme
la glace, bien qu’on y mette le feu, ne produit pas des flammes,
mais au contraire se fond et se sèche, de même seront ceux qui ne
s’élèvent pas au chemin de la vie éternelle, mais qui se dessèchent
et ne tiennent compte d’aucun bien, quoique je leur aie donné ma
grâce, et qu’ils aient entendu les paroles d’avertissement que je
leur ai envoyées.
Ils me trahissent donc
en ceci, savoir : ils se montrent simples et ne le sont pas ; ils
sont accablés et troublés à raison de l’honneur qu’ils me doivent et
dont ils devraient se réjouir merveilleusement ; ils ont la volonté
de pécher, et ils promettent d’être pécheurs jusqu’à la fin. Ils me
cachent presque, ils me mettent en un lieu occulte, quand ils
pensent entre eux : Je sais que j’ai péché ; toutefois, si je
m’abstiens du sacrifice, je serai jugé de tous et je serai confus.
Et de la sorte, ils s’approchent impudemment de l’autel, me mettent
devant eux, me manient, moi qui sis vrai Dieu et vrai homme, que les
anges craignent et adorent. Je suis avec eux comme en un lieu caché,
d’autant que personne ne sait ni ne considère combien ils sont
difformes ou dépravés, devant lesquels, moi qui suis Dieu, je
demeure couché comme en cachette, parce que, bien que l’homme
quelque méchant qu’il soit, pourvu qu’il soit prêtre et qu’il ait
prononcé ces paroles, savoir : CECI EST MON CORPS, le consacre
véritablement, et je demeure devant lui, moi qui suis vrai Dieu et
vrai homme.
Mais dès que je suis
dans sa bouche, alors, je me retire de lui par grâce
Moi, ma Divinité, et mon humanité ; mais la forme et le goût du pain
lui demeurent, non que je ne sois véritablement aussi bien avec les
méchants qu’avec les bons, à cause de l’institution du sacrement,
mais parce que les bons et les méchants n’ont pas semblable effet.
Je vous dis que tels prêtres ne me sont point vrais prêtres, mais
vrais traîtres, car ils me vendent et me trahissent comme des Judas.
Je jette la vue sur les païens et sur les Juifs, mais je n’en vois
point de si abominables, de si détestables qu’eux, parce qu’ils ont
le même péché par lequel Lucifer est tombé. Maintenant aussi, je
vous dis que leur jugement, et le jugement de ceux qui leur sont
semblables, ne sont autre chose que malédiction : tout ainsi que
David a maudit ceux qui n’ont point obéi à Dieu, lequel, étant juste
roi et prophète tout ensemble, ne les a point maudits en son ire, ou
par mauvaise volonté, ou par impatience, mais par justice.
Que toutes les choses
donc qu’ils reçoivent de la terre et qui leur sont utiles et
profitables, soient maudites, d’autant qu’ils ne louent point Dieu,
leur Créateur, qui leur a donné d’une main libérale et amoureuse ces
choses ! Que la viande et le breuvage qui entrent dans leur bouche,
qui nourrissent et entretiennent leur corps, pour être un jour la
pâture des vers, et leur âme, pour être plongée dans l’enfer, soient
maudits ! Maudit soit leur corps, qui ressuscitera pour l’enfer et
brûlera sans fin ! Que leurs ans soient maudits, les ans qu’ils ont
vécu inutilement ! Maudite soit l’heure où ils ont commencé d’entrer
dans l’enfer, puisqu’elle ne finira jamais ! Que leurs yeux, par
lesquels ils ont vu la lumière du ciel, soient maudits ! Maudites
soient leurs oreilles, par lesquelles ils ont entendu mes douces et
attrayantes paroles, dont ils n’ont pas tenu compte ! Que leur goût
soit maudit, par lequel ils ont goûté mes dons favorables ! Maudit
soit leur odorat, par lequel ils ont senti et flairé les parfums
agréables, et n’ont pas tenu compte de moi, qui suis la plus
agréable et la plus choisie de toutes les choses du monde !
Mais on demande :
Comment seront-ils maudits ? Certainement, leur vue est maudite,
parce qu’ils ne verront point en moi la vision de Dieu, mais les
ténèbres palpables et les intolérables supplices de l’enfer. Leurs
oreilles sont maudites, parce qu’ils n’entendront point mes douces
paroles, mais les cris d’horreur et de désespoir de l’enfer. Leur
goût est maudit, parce qu’ils ne goûteront point la joie de mes
biens éternels, mais une éternelle amertume. Leur attouchement est
maudit, parce qu’ils ne me toucheront pas, mais toucheront un feu
ardent et éternel.
Leur odorat est maudit,
parce qu’il ne flairera pas les parfums agréables qui sont en mon
royaume, parfums qui surpassent toutes les odeurs aromatiques, mais
ils auront en enfer une puanteur plus amère que le fiel, plus puante
que le soufre. Ils sont maudits du ciel, de la terre, et de toutes
les créatures insensibles, d’autant que celles-là obéissent à Dieu
et le louent, et celles-ci l’ont méprisé. A cette cause, je jure en
ma vérité, moi qui suis la vérité même, que, s’ils mourraient de la
sorte en la disposition où ils sont maintenant, jamais ma charité ni
ma vertu ne les embraseront ni ne les défendront, mais ils seront
damnés éternellement.
Chapitre 48
Comment, en la présence
de l’épouse et de la troupe céleste, la Divinité parle à l’humanité
contre les chrétiens, tout ainsi que Dieu parlait à Moïse contre le
peuple d’Israël. Comment les mauvais prêtres aiment le monde et
méprisent Jésus-Christ. De leur malédiction et damnation.
Dieu dit à une grande
armée qu’on voyait au ciel : Voici que je vous parle en faveur de
mon épouse, qui est ici présente, à vous qui savez, entendez et
voyez en moi toutes choses, mes amis l’entendant. Je vous parle tout
ainsi que quelqu’un fait à soi-même : de même ma Divinité parle à
l’humanité.
Moïse demeura quarante
jours et quarante nuits sur la montagne avec le Seigneur. Quand le
peuple eut vu qu’il restait si longtemps, il prit de l’or, le jeta
dans le feu, d’où fut fait un veau, qu’il appela Dieu. Alors Dieu
dit à Moïse : Le peuple à péché : je l’effacerai comme on efface une
chose écrite sur un livre. Moïse lui répondit : Non, mon Seigneur !
souvenez-vous que vous les avez mis hors de la mer Rouge, et que
vous leur avez fait des choses merveilleuses. Si donc vous les
effacez, où est à présent votre promesse ? Je vous prie, mon
Seigneur, de ne point faire cela, parce qu’alors vos ennemis
diraient : Le Dieu d’Israël est méchant : il a tiré de la mer son
peuple, et il l’a fait mourir au désert. Dieu fut adouci et apaisé
par ces paroles.
Je suis ce Moïse en
figure. Ma Divinité parle à l’humanité comme à Moïse, disant : Voyez
et regardez ce que votre peuple a fait, comment il m’a méprisé. Tous
les chrétiens seront tués, et leur foi sera effacée. Mon humanité
lui répondit : Non, mon Seigneur ! souvenez-vous que vous l’avez
tiré hors de la mer du péché par mon sang, quand j’ai été déchiré
depuis la plante des pieds jusqu’au sommet de la tête ; je leur ai
promis la vie éternelle. Je vous prie donc d’avoir pitié et
compassion d’eux à raison de ma passion.
La Divinité, ayant
entendu ces paroles, en fut apaisée et adoucie, et dit : Que votre
volonté soit faite, d’autant que tout jugement vous est donné.
Regardez, mes amis, combien est grande cette charité. Mais
maintenant, je me plains devant vous, mes amis spirituels, savoir :
les anges et les saints, et devant mes amis corporels qui sont au
monde, et qui toutefois n’y sont pas, sinon de corps, je me plains
de ce que mon peuple a amassé du bois et en a fait du feu, dans
lequel il a jeté de l’or, d’où s’est levé un veau qu’ils adorent
comme Dieu. Il se tient debout, comme un veau, sur quatre pieds,
ayant une tête, un gosier et une queue.
Or, Moïse tardant trop
à descendre de la montagne, le peuple dit : Nous ne savons ce qui
lui est arrivé. Et il lui déplut d’avoir été par lui tiré de la
captivité. Ils dirent : Cherchons un autre Dieu qui marche devant
nous. Les méchants prêtres en agissent maintenant ainsi, car ils
disent : Pourquoi mènerons-nous une vie plus austère que celle des
autres, ou quelle récompense en aurons-nous ? Il nous est bien
meilleur de vivre en paix et selon notre volonté Aimons et
chérissons le monde duquel nous sommes assurés, car nous n’avons
aucune certitude, aucune assurance de sa promesse.
Ensuite, ils amassent
du bois, c’est-à-dire, ils appliquent tout leur soin à l’amour du
monde ; ils y allument le feu, lorsqu’ils se livrent avec ardeur à
l’amour du monde ; mais ils le brûlent, quand, dans leur esprit, la
volupté s’échauffe, et qu’ils la mettent à exécution. Ensuite, ils y
jettent l’or, c’est-à-dire : la charité et l’honneur qu’ils me
devraient donner, ils les donnent à l’honneur du monde. Alors se
lève le veau, c’est-à-dire, l’amour de monde est accompli ; et cet
amour a quatre pieds, savoir : la paresse, l’impatience, la vaine
joie et l’avarice. Car ces prêtres-là, qui devraient être toujours
près de moi pour mon honneur et pour ma gloire, portent à regret
l’honneur qu’on me rend ; ils usent et passent le reste de leur vie
dans la joie trompeuse du monde, et ne sont jamais contents ni
rassasiés des biens temporels.
Ce veau a aussi une
tête et un gosier, c’est-à-dire, qu’ils n’ont d’autre but que la
satisfaction de leur gourmandise, de sorte qu’elle ne peut jamais
être rassasiée, quand même toute la mer entrerait dans eux. La queue
de ce veau, c’est leur malice, d’autant que, s’ils pouvaient, ils ne
permettraient pas qu’aucun possédât ce qui lui appartient. Certes,
par leur exemple dépravé et par leur mépris, ils blessent et
corrompent tous mes serviteurs. Voilà de quel amour leur cœur est
porté à ce veau, et quelle joie et quel plaisir ils y prennent. Mais
ils pensent de moi comme ces Juifs pensaient de Moïse, et disent :
Il y a longtemps qu’il est absent ; ses paroles sont vaines et ses
œuvres fâcheuses ; faisons maintenant notre volonté, et qu’elle et
notre puissance soient notre Dieu. De plus, non contents de ces
choses, ils ne m’oublient pas tout à fait, mais ils me regardent
comme une idole.
Les gentils idolâtres
adoraient du bois, des pierres et des hommes morts, du nombre
desquels ils adoraient une idole que s’appelait Béelzébut. Les
prêtres de cette idole lui offraient de l’encens et faisaient des
génuflexions devant elle avec des applaudissements et des louanges.
Tout ce qui, dans leur sacrifice, était vain et inutile, tomba, et
les oiseaux et les mouches le mangèrent ; mais toutes les choses qui
étaient utiles, les prêtres les réservaient pour eux, fermaient la
porte de leur idole, et gardaient la clef, de peur que quelqu’un n’y
entrât et découvrît leur dessein pernicieux.
À présent, les prêtres
m’en font de même : ils m’offrent de l’encens, c’est-à-dire, ils
prêchent de belles paroles, non pas à raison de mon amour et de ma
charité, mais pour leur louange propre, et pour leur ravir quelque
chose de temporel : car tout ainsi qu’on ne prend pas l’odeur de
l’encens, mais qu’on le sent et qu’on le voit, de même leurs paroles
ne font aucun effet à leurs âmes, de sorte qu’elles y puissent
prendre racine, où elles puissent être détenues, mais on entend
seulement le son des paroles, et elles semblent donner quelque
plaisir à l’oreille pour un temps ; ils m’offrent des prières, mais
ils ne me plaisent point. Ils sont comme ceux qui prêchent mes
louanges du bout des lèvres, mais dont le cœur garde le silence. Ils
se tiennent presque contre moi, criant de leur bouche, mais ils font
avec leur cœur tout le tour du monde. S’ils devaient parler à
quelque homme qui eût quelque charge et quelque dignité, leur cœur
accompagnerait la parole, de peur qu’ils ne ’écartassent en parlant,
et ne fussent par hasard remarqués peu sensés en quelques-unes.
Or, les prêtres prient
devant moi presque comme les hommes qui sont en extase, qui parlent
autrement de bouche que leur cœur ne leur dicte et le leur suggère,
paroles dont l’auditeur ne peut tirer une assurance certaine. Ils
fléchissent les genoux devant moi, c’est-à-dire, ils me promettent
l’humilité et l’obéissance, mais en vérité, ils sont humbles comme
Lucifer ; ils obéissent à leurs désirs et non aux miens. Ils germent
aussi la porte sur moi et gardent la clef, quand ils ne me louent ;
et alors, ils ouvrent la porte sur moi et me louent, quand ils
disent : Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel ;
mais ils la ferment sur moi, lorsqu’ils font leur volonté et ne
veulent voir ni ouïr la mienne, comme si elle était d’un homme
enfermé et de nulle puissance. Ils gardent la clef lorsque
quelques-uns veulent faire ma volonté, et ils les en retirent par
leur exemple, et s’ils pouvaient librement, ils leur défendraient
aussi que ma volonté ne sortît en effet et ne fût accomplie que
selon leurs désirs déréglés. Après, ils gardent en leur sacrifice
toutes les choses qui leur sont nécessaires et utiles, et exigent
pour eux tout l’honneur et tous les devoirs qu’ils peuvent. Mais le
corps de l’homme que la mort frappe, pour lequel principalement ils
devraient offrir des sacrifices, ils le jugent et le tiennent comme
inutile, l’abandonnant aux mouches, c’est-à-dire, aux vers, se
souciant fort peu de ce qu’ils lui doivent et du salut de son âme.
Mais qu’a-t-il été dit
à Moïse : Tuez ceux qui ont fait cette idole. Là, si quelques-uns
sont morts, tous ne le sont pas. Mes paroles viendront maintenant,
et les tueront, quelques-uns pour le corps et pour l’âme, pour être
éternellement damnés ; les autres pour la vie, afin qu’ils se
convertissent et vivent ; ceux-ci à une mort soudaine, d’autant que
ces prêtres-là me sont grandement odieux. Et de grâce, à quoi les
comparerai-je ? Ils sont semblables au fruit d’épine qui, au-dehors,
est beau et rouge, mais qui, au-dedans, est plein d’immondices et
d’aiguillons. Ils s’approchent ainsi de moi comme des hommes rouges
par la charité, afin de paraître purs et nets au dehors, mais ils
sont au dedans pleins d’immondices et d’ordures. Si ce fruit est de
nouveau mis en terre, d’autres épines en sortiront et croîtront : de
même ceux-là cachent dans leur cœur comme dans la terre leurs péchés
abominables et leurs détestables malices, et de la sorte, ils ont
pris tellement racine dans le mal, qu’ils n’ont pas même honte après
de le mettre en lumière, de s’en vanter, de s’en glorifier. Les
autres, en prennent, non seulement l’occasion de pécher, mais sont
aussi grièvement blessés et scandalisés dans leur âme, pensant ainsi
entre eux : Si le prêtres font ceci, à plus forte raison il nous est
permis de le faire.
Certes, ceux-là ne sont
pas seulement semblables au fruit de l’épine, mais à l’épine même,
parce qu’ils dédaignent et méprisent les corrections et admonitions
qu’on leur fait, et ne réputent personne plus sage qu’eux. C’est
pourquoi ils pensent pouvoir faire tout ce qu’ils veulent. Partant,
je jure en ma Divinité et en mon humanité, tous les anges
l’entendant, que je briserai la porte qu’ils ont fermée sur ma
volonté ; et elle sera accomplie, et la leur sera anéantie et fermée
sans fin dans l’intolérable supplice. À cause de quoi, comme il est
dit d’ancienneté, je commencerai mon jugement par mon clergé et par
mon autel.
Chapitre 49
Paroles que
Jésus-Christ adressait à son épouse. Comment en figure Jésus-Christ
ressemble à Moïse tirant le peuple d’Égypte. Comment les méchants
prêtres, lesquels, au lieu de ses prophètes, il a choisis pour ses
plus grands amis, crient maintenant : Retirez-vous de nous.
Le Fils de Dieu parlait
à son épouse : Dès la commencement, je me suis comparé en figure à
Moïse. Lorsqu’il tirait le peuple de l’insupportable captivité,
l’eau, à droite et à gauche, se tenait ferme et arrêtée comme un
mur. Certainement, je suis ce Moïse en figure : j’ai tiré le peuple
chrétien de la servitude, c’est-à-dire, je lui ai ouvert le ciel et
montré le chemin. Mais maintenant, j’ai élu pour moi d’autres amis
plus signalés et plus secrets que les prophètes, savoir : les
prêtres, qui n’entendent pas seulement ma parole, et voient quand
ils me voient moi-même ; mais aussi ils me touchent avec leurs mains
sacrées, ce qu’aucun des prophètes ni des anges ne pourrait faire.
Ces prêtres-là, que
j’ai choisis de toute éternité pour amis au lieu de mes prophètes,
crient après moi, non avec désir et charité comme les prophètes,
mais ils crient avec deux voix contraires, car ils ne crient pas
comme prophètes : Voyez, ô Seigneur, parce que vous êtes doux ; mais
ils crient : Retirez-vous de nous, parce que vos paroles sont
amères, et vos œuvres sont lourdes et pesantes et nous font du
scandale.
Voyez ce que ces
méchants prêtres disent. Je demeure devant eux comme une brebis très
douce, dont ils prennent la laine pour se vêtir et le lait pour se
nourrir ; et maintenant, en récompense d’un tel amour, ils m’ont en
horreur et en abomination. Je demeure devant eux comme un hôte qui
dit : Mon ami, donne-moi les choses nécessaires à la vie, parce que
j’en ai besoin, et tu recevras de Dieu une très bonne récompense.
Mais ceux-là me chassent comme un loup, épiant les brebis du père de
famille, à raison de ma simplicité. A cause de mon hospitalité, ils
me troublent, et ils refusent de me recevoir, et ils me traitent
comme un traître indigne de loger chez eux. Mais que doit faire
l’hôte, lorsqu’il est repoussé ? Ne doit-il pas prendre les armes
contre le domestique qui l’a repoussé ? nullement, car cela n’est
pas justice, d’autant que celui qui jouit de son bien peut le donner
et le refuser à qui bon lui semble.
Que doit donc faire
l’hôte ? Certainement, il est tenu et obligé de dire à celui qui le
refuse : Mon ami, puisque vous ne voulez pas me recevoir, je m’en
irai à un autre qui me fera miséricorde, qui me dira, venant à moi :
Vous, soyez le bienvenu, mon Seigneur ! Tout ce que j’ai est à votre
service. Soyez maintenant maître, car pour moi, je veux être
serviteur et hôte en une hôtellerie où j’entends une telle voix. Il
me plaît d’y demeurer et d’y loger, car je suis comme l’hôte rebuté
et repoussé des hommes. Mais bien que je puisse entrer partout par
ma puissance, toutefois je n’y entre point, ma justice en étant
éloignée : j’entre en ceux qui, avec une bonne volonté, me
reçoivent, non pas comme hôte, mais comme vrai Seigneur, et qui
mettent leur volonté entre mes mains.
Chapitre 50
Paroles de louange et
de bénédiction que la Mère et le Fils se disaient. De la grâce
concédée par le Fils à sa Mère, pour ceux qui sont détenus en
purgatoire et pour ceux qui demeurent en ce monde.
La Mère de Dieu parlait
à son Fils, disant : Mon cher Fils, que votre nom soit éternellement
béni avec votre Divinité infinie ! Il y a en votre Divinité trois
choses merveilleuses, savoir : votre puissance, votre sagesse et
votre vertu. Votre puissance infinie est comme un feu très ardent,
devant lequel tout ce qui est fort et ferme est coupé et rompu,
comme la paille desséchée par le feu. Votre sagesse inscrutable est
comme la mer, qui ne peut être épuisée à cause de sa grandeur, et
qui couvre les vallées et les montagnes, lorsque ses flots impétueux
croissent et décroissent : de même personne ne peut arriver ni
atteindre à la connaissance de votre sagesse, ni ne peut trouver les
voies pour la sonder et y parvenir.
Oh ! que sagement vous
avez créé l’homme et l’avez constitué et établi sur toutes vos
créatures ! Oh ! que vous avez sagement disposé et mis en ordre les
oiseaux en l’air, les bêtes sur la terre, les poissons dans la mer,
et leur avez donné à tous et leur temps et leur ordre ! Oh ! que
merveilleusement vous donnez et ôtez la vie à tous ! Oh ! que
sagement vous donnez la sagesse aux insensés, et l’enlevez aux
superbes ! Votre insigne et prodigieuse vertu est comme la lumière
du soleil qui luit aux cieux et remplit la terre de son éclat : il
en est de même de votre vertu, qui rassasie les choses d’en haut et
d’en bas et les remplit toutes. Pour cela, soyez béni, ô mon cher
Fils ! vous qui êtes mon aimable Dieu et mon Seigneur de majesté !
Son Fils lui répondit :
Ma Mère bien-aimée, vis paroles me sont douces et agréables, parce
qu’elles proviennent de votre âme, qui est toute belle et toute
pure. Vous êtes comme la belle et blonde aurore, qui, vous levant
avec clarté et sérénité, avez jeté vos rayons lumineux sur tous les
cieux, et votre lumière et fermeté surpassent tous les anges. Par
votre ineffable clarté, vous avez doucement attiré à vous le vrai
Soleil, c’est-à-dire, ma Divinité, en tant que soleil de ma Divinité
venant en vous, il s’est lié et uni à vous ; et vous avez été plus
que tous échauffée de sa chaleur par mon amour, et par ma sagesse
divine, vous avez été, plus que tous, illuminée de sa splendeur. Par
vous se sont dissipées les épaisses ténèbres de la terre, et tous
les cieux ont été illuminés. Je vous dis en vérité que votre pureté
incomparable, qui m’a plus davantage que la pureté des anges, a
attiré en vous mon adorable Divinité, afin que vous soyez enflammée
du feu de cet Esprit divin, par lequel vous avez enfermé en votre
sein le vrai Dieu et le vrai homme, et par lequel l’homme a été
illuminé et les anges se sont réjouis.
Partant, ô ma Mère !
soyez bénie de votre Fils béni. Pour cet effet, vous ne me
demanderez rien qui ne vous soit accordé ; et à cause de vous, tous
ceux qui demanderont ma miséricorde avec volonté de se corriger,
recevront ma grâce, parce que, de même que la chaleur procède du
soleil, ainsi, par vous, toute miséricorde sera donnée : car vous
êtes comme une fontaine qui s’épand de toutes parts au long et au
large, et de laquelle ma miséricorde découle sur les méchants.
De nouveau la Mère
répondit à son Fils : Mon Fils, que toute gloire et toute vertu
soient avec vous. Vous êtes mon Dieu et ma miséricorde. Tout ce que
j’ai de bien est de vous. Vous êtes comme la semence qui n’a point
été semée, et qui, toutefois, a crû et donné son fruit au centuple
et mille pour un. Toute miséricorde prend sa source de vous,
laquelle, parce qu’elle est indicible et innumérable, peut bien à
propos être signifiée par le nombre cent, par lequel est marquée la
perfection, parce que toute perfection et tout profit dépendent de
vous.
Le Fils dit à sa Mère :
Ma Mère, vraiment, vous m’avez fort bien comparé à la semence qui
n’a point été semée, et qui toutefois a crû, d’autant que je suis
venu en vous avez ma Divinité et mon humanité, et elle n’a point été
semée avec mélange, laquelle a toutefois crû en vous, et de laquelle
ma miséricorde a coulé abondamment en tous et pour tous ; partant,
vous avez bien dit. Maintenant donc, demandez tout ce que vous
voudrez, et il vous sera donné, car vous tirez puissamment ma
miséricorde infinie, par les douces paroles de votre bouche.
Sa Mère lui répondit,
disant : Mon Fils, d’autant que j’ai acquis et obtenu de vous
miséricorde, j’ose vous demander miséricorde et secours pour les
pauvres misérables. Certes, il y a quatre lieux : le premier est le
ciel, où sont les anges et les âmes des saints, qui n’ont besoin de
personne, sinon de vous, qu’ils possèdent d’une manière ineffable,
car en vous, ils jouissent à souhait de tout bien. Le deuxième lieu,
c’est l’enfer effroyable, dont les habitants sont remplis de malice
et de désespoir, et sont exclus de toute miséricorde : c’est
pourquoi éternellement rien de bien ne peut entrer en eux.
Le troisième lieu est
le purgatoire ; ceux qui y sont détenus ont besoin d’une triple
miséricorde, parce qu’ils sont affligés triplement : 1° ils sont
troublés en l’ouïe, parce qu’ils n’entendent que cris, douleurs,
peines et misères ; 2° ils sont affligés par la vue, attendu qu’ils
ne voient rien que leur misère ; 3° ils sont affligés par
l’attouchement, d’autant qu’ils sentent la chaleur intolérable du
feu et la gravité des peines. Mon Fils et mon Seigneur, donnez-leur
miséricorde à raison de mes prières.
Son Fils lui répondit :
Je leur donnerai librement, par considération pour vous, une triple
miséricorde: 1° leur ouïe sera allégée, leur vue sera adoucie, leur
peine sera plus douce et plus agréable. De plus, tous ceux qui
maintenant sont en la plus grande peine du purgatoire, viendront au
milieu, et ceux qui sont au milieu viendront en une peine légère ;
mais ceux qui sont en une peine légère, s’en iront dans le repos
éternel.
Sa Mère lui répondit :
Mon Seigneur, louange et honneur vous soient donnés ! Et incontinent
après, elle ajouta et dit à son cher Fils : Le quatrième lieu, c’est
le monde, dont les habitants ont besoin de trois choses : 1° de
contrition pour leurs péchés ; 2° de satisfaction ; 3° de force pour
le bien.
Son Fils lui répondit :
Quiconque invoquera votre nom et aura espérance en vos prières, avec
la résolution de corriger et d’amender ce qu’il aura fait, ces trois
choses lui seront données, et après, le royaume céleste, car je sens
tant de douceur en vos paroles que je ne puis refuser ce que vous me
demandez ; car aussi vous ne voulez que ce que je veux. Enfin, vous
êtes comme la flamme luisante et ardente par laquelle les lumières
éteintes sont allumées, et leur ardeur augmente davantage : de même,
à raison de votre charité, qui a monté dans mon cœur et m’a attiré à
vous, ceux qui sont morts et tièdes dans les péchés comme de la
fumée noire et fâcheuse, revivront en la vie vivante de mon amour
infini.
Chapitre 51
Paroles de bénédiction
de la Mère de Dieu à son Fils, en présence de l’épouse. En quelle
manière le Fils glorieux figure très bien sa très douce Mère par une
fleur éclose.
La Mère de Dieu parlait
à son Fils, disant : Que votre nom soit éternellement béni, ô
Jésus-Christ, mon très cher Fils ! Honneur soit rendu à votre
humanité par-dessus toutes les choses qui ont été créées. Gloire
soit à votre Divinité éternelle, par-dessus tous les biens, Divinité
qui est un Dieu avec votre humanité.
Son Fils lui répondit :
Ma très chère Mère, vous êtes semblable à cette fleur qui est éclose
et qui a crû en une vallée proche de laquelle il y avait cinq hautes
montagnes. Cette fleur est sortie de trois racines, avec une tige
droite, laquelle n’avait aucuns nœuds ; elle avait cinq feuilles
pleines de toute sorte de suavité et de douceur. Or, cette humble
vallée s’est élevée avec sa fleur par-dessus ces cinq montagnes, et
ses feuilles se sont élargies et épandues sur toute l’étendue du
ciel et par-dessus tous les chœurs des anges. C’est vous, ma Mère
bien-aimée, qui êtes cette vallée, à raison de votre humilité, que
vous avez eue par-dessus les autres. Celle-ci a dépassé les cinq
montagnes.
La première montagne,
c’était Moïse, à raison de sa puissance, car par ma loi, il a eu
puissance sur mon peuple comme si ce peuple eût été enfermé dans son
poing : mais vous avez enfermé dans votre sein le Seigneur et le
législateur divin de toutes les lois : partant, vous êtes plus
élevée que cette montagne.
La deuxième montagne
était Élie, qui a été tellement saint qu’il fut ravi et élevé en
corps et en âme en un lieu sait : mais votre âme, ma très chère
Mère, est montée, et avec elle, votre corps très pur, par-dessus
tous les chœurs des anges : partant, vous êtes plus haute et plus
éminente qu’Élie.
La troisième montagne,
c’était la force incomparable de Sanson, laquelle il a eue
par-dessus tous les hommes, et toutefois, le diable l’a vaincu et
surmonté par sa tromperie et sa subtilité : mais vous avez surmonté
le diable par votre force admirable : partant, vous êtes plus forte
que Samson.
La quatrième montagne,
c’était David, qui a été selon mon cœur et selon ma volonté, lequel
toutefois est tombé en péché abominable et cruel : mais vous, ma
Mère, vous avez suivi en tout et partout les arrêts et les décrets
de ma volonté, et n’avez jamais péché.
La cinquième et la
dernière montagne, c’était Salomon, qui a été rempli de sagesse, et
qui toutefois devint insensé : mais vous, ma Mère, vous avez été
remplie de toute sagesse, et n’avez jamais été insensée, déçue ni
trompée : partant, vous êtes bien plus éminente que Salomon.
Or, cette fleur est
sortie de trois racines, d’autant que, dès votre jeunesse, vous avez
eu trois choses : l’obéissance, la charité et l’intelligence divine.
Certes, de ces trois racines s’est élevée cette tige droite et sans
aucun nœud, c’est-à-dire, votre volonté, qui ne fléchissait jamais
qu’à la mienne. Cette fleur aussi a eu cinq feuilles, qui se sont
étendues par-dessus tous les chœurs des anges.
Vraiment, ma Mère, vous
êtes cette fleur à cinq feuilles. La première feuille, c’est votre
honnêteté, en sorte que mes anges, la considérant, ont vu qu’elle
surpassait la leur, qu’elle était beaucoup plus éminente en sainteté
et en honnêteté que la leur ; partant, vous êtes plus excellente que
les anges.
La deuxième feuille,
c’est votre miséricorde, qui a été si grande que, lorsque vous voyez
la misère de toutes les âmes, vous en avez une grande compassion, et
vous avez souffert et enduré une grande peine en ma mort. Les anges
sont pleins de miséricorde ; toutefois ils ne souffrent jamais de
douleur : mais vous, ma très chère Mère, vous avez eu pitié des
misérables, lorsque vous sentiez toute la douleur de ma mort, et
avez voulu souffrir et endurer plus de douleur à raison de votre
miséricorde, que d’en être exempte: partant, votre miséricorde a
excédé et surpassé celle de tous les anges. La troisième feuille,
c’est votre douceur : Certes, les anges sont bons et débonnaires, et
désirent le bien à tous : mais vous, ma très chère Mère, comme un
ange, vous avez eu en votre âme et en votre corps, devant votre
mort, la volonté de bien faire à tous, et l’avez fait très
spécialement ; et à présent, vous ne la refusez à aucun de ceux qui
vous demandent avec raison leur profit et leur avancement : et
partant, votre douceur est plus excellente que celle des anges.
La quatrième feuille,
c’est votre prodigieuse et admirable beauté, car les anges,
considérant entre eux la beauté des uns et des autres, et admirant
la beauté de toutes les âmes et de tous les corps, voient que toute
la beauté de votre âme surpasse toutes les choses qui sont créées,
et que l’honnêteté de votre corps surpasse celle de tous les hommes,
qui ont été créés du néant : et de la sorte, votre beauté a surpassé
tous les anges et toutes les choses qui ont été créées.
La cinquième feuille,
c’était votre divine délectation, d’autant que rien ne vous plaisait
que Dieu, comme rien autre chose ne délecte les anges sinon Dieu, et
chacun d’eux sent et ressent en soi une indicible délectation. Mais
lorsqu’ils ont vu quel était le contentement, la délectation que
vous preniez avec Dieu, il leur semblait en leur conscience que la
leur brûlait comme une lumière en la divine charité ; mais voyant
que votre délectation était comme un monceau de bois brûlant avec un
feu très véhément et très ardent, qui s’élevait si haut que sa
flamme approchait de ma Divinité, partant, ma très douce Mère, ils
conclurent que votre délectation brûlait, et montait par-dessus tous
les chœurs des anges ; et d’autant que cette fleur a eu ces cinq
feuilles, savoir : l’honnêteté, la miséricorde, la douceur, la
beauté et la grande délectation, elle était remplie de toute douceur
et de toute suavité. Or, quiconque voudra goûter la douceur et la
suavité, doit s’en approcher et la recevoir en soi, comme vous avez
fait, ma bonne Mère ; car vous avez été si amoureusement douce à mon
Père, qu’il vous a toute reçue en son esprit, et votre amoureuse
douceur lui a plu par-dessus toutes les autres.
Cette fleur aussi porte
la semence par la chaleur et par la vertu du soleil, duquel croît le
fruit. Mais ce soleil béni, savoir, ma Divinité, a reçu l’humanité
de vos entrailles vierges : car de même que la semence, en quelque
endroit qu’elle soit semée, engendre telles fleurs que la semence a
été, de même mes membres ont été conformes et semblables aux vôtres
en forme et en face ; toutefois, j’ai été homme, et vous, vous avez
été Vierge Mère. Cette vallée et sa fleur ont été éminemment élevées
par-dessus toutes les montagnes, quand votre corps et votre âme
sainte ont été exaltés par-dessus tous les chœurs des anges.
Chapitre 52
Paroles de bénédiction
de la Mère de Dieu à son Fils, afin que ses paroles fussent dilatées
et épandues par le monde, et prissent racine dans les cœurs de ses
amis. Comme elle est merveilleusement signifiée par la fleur qui
naît dans le jardin. Paroles de Jésus-Christ envoyées par son épouse
sainte Brigitte au pape et aux autres prélats de son Église.
La bienheureuse Vierge
Marie parlait à son Fils, disant : Soyez béni, mon Fils, vous qui
êtes mon Dieu, le Seigneur des anges et le Roi de gloire ! Je vous
en prie, que les paroles que vous avez prêchées prennent racine dans
les cœurs de vos amis, et qu’elles soient fixées et collées en leurs
esprits, comme l’était la poix dont l’arche de Noé était enduite,
que les vents ni les orages n’ont pu dissoudre ; qu’elles se
dilatent et s’épandent aussi parmi le monde comme des rameaux et des
fleurs suaves et douces, dont l’odeur s’exhale et se répand ; en
outre, qu’elles fructifient, et deviennent douces comme la datte,
dont la douceur délecte l’âme.
Son cher Fils lui
répondit : Soyez bénie, ma chère Mère ! Mon ange Gabriel vous dit :
Marie, soyez bénie par-dessus toutes les femmes ; et moi, je porte
témoignage assuré que vous êtes bénie et que vous êtes très sainte
par-dessus tous els chœurs des anges. Vous êtes comme la fleur
épanouie qui est dans le jardin, laquelle, bien qu’elle soit
environnée de fleurs de diverses odeurs et senteurs, toutefois les
surpasse toutes en odeur, en beauté et en vertu. Ces fleurs, qui
sont plantées dans le jardin du monde, ont fleuri et relui par
diverses vertus, lesquelles sont toutes élues et choisies d’Adam
jusqu’à la fin du monde. Mais entre toutes celles qui ont été et qui
seront et qui seront, vous avez été la plus excellente en odeur de
bonne vie et d’humilité, en la beauté gracieuse de votre virginité
et en la vertu de votre abstinence. Certes, je porterai témoignage
de vous, que vous avez été plus que martyre en ma passion, plus
sobre qu’aucun des confesseurs, et plus qu’un ange en votre
miséricorde et en votre bonne volonté. C’est pourquoi, à cause de
vous, j’enracinerai mes paroles comme de la poix très forte dans les
cœurs de mes amis ; elles se dilateront et s’épandront comme des
fleurs odoriférantes, et fructifieront comme la datte très douce et
suave.
Après, Notre Seigneur
parlait à son épouse sainte Brigitte, lui disant : Dites à votre
Père confesseur, qui est mon ami et est selon mon cœur, qu’il
déclare diligemment ces paroles écrites à l’archevêque ; et ensuite,
il les laissera par écrit à un autre évêque : lesquels étant
diligemment informés, qu’il les envoie ensuite au troisième évêque.
Dites-lui aussi de ma
part : Je suis votre Créateur et le Rédempteur des âmes ; je suis ce
Dieu que vous aimez par-dessus tout. Considérez et voyez que les
âmes que j’ai rachetées par mon sang, sont comme les âmes de ceux
qui ignorent Dieu, lesquelles sont si horriblement captives du
diable, qu’il les afflige furieusement en tous leurs membres, comme
dans un pressoir étroit, à cause de quoi, si vous goûtez et
connaissez mes plaies en votre esprit ; si ma flagellation vous est
présente, et si vous avez douleur de la réputation de quelqu’un,
montrez à vos pauvres combien vous m’aimez, et déclarez en public
les paroles que j’ai dites de ma propre bouche, et les annoncez
personnellement au chef de l’Église.
Certes, je vous
donnerai mon Esprit. En quelque lieu que ce soit, quand il y aura
dissension entre deux personnes, si elles croient en mon nom, vous
pourrez les rallier et les réconcilier par la vertu qui vous est
donnée. De plus, pour une plus grande évidence de mes paroles, vous
porterez avec vous leur témoignage au pontife : ils les goûtent et
se délectent en elles, car mes paroles sont comme de la graisse qui
se fond et qui se liquéfie d’autant plus tôt qu’elle a plus de
chaleur au-dedans ; mais lorsque la chaleur lui manque, elle est
rejetée et ne parvient pas jusqu’au-dedans. Il en est de même de mes
paroles, parce que, plus l’homme est enflammé de ma charité, plus il
les médite et les dévore, et plus il s’engraisse de ma douceur, de
la joie céleste et de celle de mon amour, et partant, plus il
s’embrase en mon amour.
Mais il y en a qui
n’aiment pas mes paroles, mais qui les ont en leur bouche comme de
la graisse, qu’ils rejettent dès qu’ils l’ont goûtée, et la foulent
aux pieds : de la sorte mes paroles sont méprisées de quelques-uns,
d’autant qu’ils ne goûtent pas la douceur des choses spirituelles.
Or, le prince de la terre, que j’ai élu et choisi pour mon membre et
que j’ai fait vraiment mien, vous aidera virilement, et dans ce
pèlerinage, vous administrera ce qui est nécessaire de ses biens
justement acquis.
Chapitre 53
Paroles de bénédiction
et de louange que la Mère de Dieu et son Fils se disaient. Comme la
Vierge est figurée par l’arche, où étaient la verge d’Aaron, la
manne, et les tables de la loi. Dans cette figure sont contenues
plusieurs choses admirables.
La Vierge Marie parlait
à son très cher Fils, disant : Soyez béni, mon Fils, vous qui êtes
mon Dieu et le Seigneur des anges ! Vous êtes celui dont les
prophètes ont entendu la voix, dont les apôtres ont vu le corps, et
que les Juifs et vos ennemis ont ressenti. Vous êtes un Dieu avec la
Divinité, l’humanité et le Saint-Esprit, car les prophètes ont
entendu votre Esprit, les apôtres ont vu la gloire de votre
Divinité, et les Juifs ont crucifié votre humanité. C’est pourquoi
soyez béni, ô mon Fils, sans fin et sans commencement !
Son Fils lui répondit,
disant : Soyez bénie, vous qui êtes vierge et mère tout ensemble !
Vous êtes cette arche qui était en la loi, dans laquelle il y avait
trois choses, savoir : la verge, la manne et la table.
Trois choses ont été
faites avec la verge : 1° elle a été changée en serpent, qui était
sans venin ; 2° la mer a été divisé par elle ; 3° par elle l’eau est
sortie de la pierre. Je suis cette verge en figure, moi qui suis
resté dans votre sein et ai pris de vous mon humanité.
Je suis, en premier
lieu, terrible et épouvantable à mes ennemis, ainsi que le serpent
l’était à Moïse ; car ils me fuient, comme ils fuient le regard du
serpent ; ils ont peur de moi, et m’ont en horreur et en abomination
comme un serpent, bien que toutefois je sois plein de toute
miséricorde, et que je sois sans venin de malice. Je souffre qu’ils
me tiennent et me touchent, s’ils veulent me tenir et me toucher ;
s’ils me cherchent, je me trouvent vers eux ; s’ils m’invoquent et
m’appellent à leur secours, je cours à eux, comme la mère court à
son fils qu’elle avait perdu et qu’elle retrouve ; s’ils me
demandent pardon de leurs fautes, je leur fais miséricorde et
pardonne leurs péchés. Je leur fais toutes ces choses, et ils m’ont
encore en horreur comme un serpent.
Secondement, par cette
verge, la mer a été divisée par la mer de mon sang, et par les
torrents de ma douleur, j’ai ouvert le chemin pour aller au ciel,
lequel était fermé par le péché. Certes, alors la mer a été rompue
et divisée, et un chemin a été fait où il n’y en avait point, quand
la douleur de tous mes membres s’est jointe à mon cœur, qui s’est
brisé et divisé, à cause de la violence de la ouleur. Après, le
peuple étant passé par la mer, Moïse ne le mena pas tout aussitôt en
la terre promise, mais il le conduisit au désert, afin qu’il y fût
instruit et éprouvé : de même mon peuple, ayant maintenant reçu la
foi et mon commandement, n’est pas tout aussitôt mis et introduit
dans le ciel, mais il est nécessaire que les hommes soient éprouvés
au désert, c’est-à-dire, dans le monde, pour voir et éprouver de
quel amour ils aiment Dieu.
Mais le peuple provoqua
et irrita Dieu, au désert, par trois choses : 1° parce qu’il se fit
une idole et l’adora ; 2° parce qu’il regretta et souhaita les
viandes qu’il avait eues en Égypte ; 3° par la superbe, lorsqu’il
voulut monter et combattre avec ses ennemis, sans la volonté de
Dieu.
De même aussi l’homme
pèche maintenant contre moi en ce monde : 1° il adore l’idole,
d’autant qu’il aime plus le monde et toutes les choses qui y sont,
que moi qui suis son Créateur. Oui, le monde est son Dieu, et moi je
ne le suis pas. Certes, j’ai dit, dans mon Évangile, que là où est
le trésor de l’homme, là est son cœur : mais le trésor de l’homme,
c’est le monde, d’autant qu’il a son cœur en lui et non en moi ;
c’est pourquoi, ainsi que ceux-là sont tombés, au désert, par le
glaive en leur corps, de même ceux-ci tomberont en leur âme par le
glaive de l’éternelle damnation, en laquelle ils vivront sans fin.
2° Il a péché par la
concupiscence des viandes, car j’ai donné à l’homme toutes les
choses nécessaires pour l’honnêteté et par mesure, mais il veut
avoir toutes choses sans mesure et sans discrétion, car sui la
nature pouvait y satisfaire, il voudrait s’adonner sans cesse au
péché de volupté, voire sans relâche et désirer outre mesure les
choses vaines. Car tant qu’il aurait le moyen et la commodité de
pécher, il ne s’en abstiendrait jamais, c’est pourquoi il leur
arrive comme il arriva à ceux-là du désert, qui y moururent d’une
mort subite et inopinée. Qu’est-ce en effet que la vie de ce temps,
sinon un certain point passager, au regard de l’éternité ? Pour
cela, leur corps mourra comme d’une mort subite à raison de la
brièveté de cette vie, et leur âme vivra dans une peine
insupportable et dans un tourment sans fin.
3° Il péchait au désert
par la superbe, parce qu’il voulait monter au combat sans la volonté
de Dieu : de même les hommes veulent monter au ciel par leur
superbe, et ne se fient point en moi, mais en eux, faisant leur
volonté et laissant la mienne. C’est pourquoi, de même que ceux-là
ont été défaits et tués par leurs ennemis, de même seront-ils
défaits et tués par les diables en leurs âmes, et leur tourment sera
éternel. Ils me haïssent donc comme ils haïssent un serpent, et en
mon lieu et place, ils adorent une idole ; ils ont plus en
recommandation leur concupiscence que moi, et au lieu de mon
humilité profonde, ils aiment leur superbe exécrable. Toutefois, je
suis encore si miséricordieux, que, s’ils se convertissent à moi
avec un cœur contrit, je me tournerai vers eux et les recevrai comme
un père pieux reçoit son enfant.
Troisièmement, par
cette verge, la pierre donna de l’eau. Cette pierre, c’est le cœur
endurci de l’homme, car s’il est une fois frappé par la crainte et
par mon amour, tout aussitôt les larmes de contrition et de
pénitence en coulent. Il n’y a personne, quelque méchant qu’il soit,
qui n’éprouve un tressaillement dans tous ses membres qui le presse
à la dévotion, et qui verse un torrent de larmes, s’il se tourne
vers moi ; s’il considère ma passion du plus profond de son cœur ;
s’il jette les yeux sur ma puissance ; s’il pèse et considère avec
soin ma bonté, qui fructifie comme la terre et les arbres.
Ensuite, la manne a
demeuré dans l’arche : de même le pain des anges, des saintes âmes
et de ceux qui sont justes sur la terre, auxquels rien ne plaît,
sinon ma douceur, et à qui tout le monde est mort, et qui, si
c’était ma volonté, voudraient être sans aucune viande corporelle, a
demeuré en vous, qui en vous, qui êtes vierge et mère tout ensemble.
En dernier lieu, les
tables de la loi étaient en cette arche : de même en vous, ô ma Mère
! était le Seigneur, le législateur de toutes les lois. Pour cela, ô
ma Mère ! soyez bénie par-dessus toutes les choses qui sont créées
au ciel et sur la terre. Ensuite, Notre Seigneur parlait à son
épouse sainte Brigitte, disant : Dites à mes amis trois choses : Je
conversais au monde avec mon corps ; j’ai tempéré mes paroles de
telle sorte que les bons devenaient d’eux-mêmes plus forts et plus
fervents, et les méchants devenaient meilleurs, comme il paraît en
sainte Magdeleine, en saint Matthieu et en plusieurs autres.
J’ai aussi tellement
tempéré mes paroles que mes ennemis ne les pourraient affaiblir, à
cette cause, que ceux-là travaillent avec ferveur, auxquels mes
paroles sont envoyées, afin que, par mes paroles, les bons
deviennent plus ardents pour le bien, et que les méchants se
retirent du mal et qu’ils prennent garde que mes paroles ne soient
empêchées par mes ennemis. Certes, je ne fais point une plus grande
injure au diable qu’aux anges qui sont dans le ciel, car si je
voulais, je pourrais parler que tout le monde m’entendrait: il me
suffirait aussi d’ouvrir l’enfer, afin que tout le monde vît les
supplices qu’on y endure ; mais cela ne serait pas juste, d’autant
que l’homme me servirait alors avec crainte, au lieu de me servir,
comme il le doit, avec amour et charité, car personne n’entrera au
royaume des cieux, sinon celui qui a la charité.
Alors, certes, je
ferais injure au diable, si je recevais de lui, sans bonnes œuvres,
celui qui lui est obligé de droit ; je ferais injure à l’ange qui
est dans le ciel, si l’esprit de l’homme immonde était égal et
pareil au sien, qui est pur et très fervent en charité. Partant,
personne n’entrera dans le ciel, sinon celui qui aura été éprouvé
comme l’or dans le feu du purgatoire, ou par les bonnes œuvres, et
qui s’est exercé de telle sorte dans le monde par une épreuve
journalière, qu’il n’y a tache en lui qui ait besoin d’être nettoyé
et effacée.
Si vous ignorez à qui
mes paroles doivent être envoyées, je vous dirai que celui-là est
digne de les avoir, de les concevoir et de les goûter (afin qu’il
arrive au royaume des cieux), qui veut mériter et bien faire par
œuvres, ou celui qui les avait méritées par de bonnes œuvres
précédentes : ou, c’est à ceux-là que mes paroles doivent être
déclarées ; elles doivent entrer dans leurs cœurs, car ceux qui
goûtent mes paroles, qui espère humblement que leur nom soit écrit
au livre de vie, ceux-là ont mes paroles ; mais ceux qui ne les
goûtent point, certes, ils les considèrent, et tout aussitôt, ils
les rejettent et les vomissent.
Chapitre 54
Paroles de l’ange à
l’épouse sainte Brigitte, touchant l’esprit de ses pensées, savoir,
s’il était bon ou mauvais ; et comme il y a deux esprits, l’un
incréé et l’autre créé, et de leurs qualités.
Il y a deux esprits,
disait l’ange à l’épouse sainte Brigitte, l’un incréé, l’autre créé.
L’incréé contient en soi trois choses : 1° il est chaud ; 2° il est
doux ; 3° il est pur et net.
1° Il échauffe, non par
le moyen de quelques choses créées, mais de soi-même, d’autant qu’il
est avec le Père et le Fils tout-puissant et créateur de toutes
choses, mais il échauffe, quand l’âme brûle en l’amour de Dieu. 2°
Il est doux, quand rien ne plaît à l’âme que Dieu, et qu’elle n’a
autre douceur ni ne goûte autre que lui et le souvenir de ses
bienfaits et de ses œuvres admirables. 3° Il est pur et net, de
sorte qu’il ne peut se trouver en lui aucun péché, rien de difforme,
rien de corruptible, rien de changeant. Mais il échauffe, non pas
comme le feu matériel ni comme le soleil visible, qui fond et
ramollit quelque chose, mais sa chaleur, c’est l’amour intérieur de
l’âme, qui remplit son désir l’abîme en Dieu.
Il est aussi doux à
l’âme, non pas comme le vin désirable, ou la misérable volupté, ou
quelque autre chose mondaine ; mais la douceur de cet esprit
surpasse toutes les douceurs temporelles, et personne ne peut
atteindre à la connaissance et au sentiment de cette douceur. Enfin,
cet esprit est pur et net ainsi que les rayons du soleil, auxquels
on ne peut trouver aucune tache ni souillure. Le second esprit, qui
est créé, contient pareillement en soi trois choses : 1° il brûle ;
2° il est amer ; 3° il est impur.
1° Il brûle et consume
le feu, parce qu’il possède l’âme, qu’il enflamme toute par le feu
de la luxure et de la convoitise dépravée, de sorte que l’âme ne
peut penser ni désirer autre chose, sinon que de se rassasier de ces
choses, dans lesquelles elle perd la vie temporelle, tout son
honneur et toute sa consolation.
2° Il est amer comme du
fiel, d’autant qu’il embrase en telle sorte l’âme par sa
délectation, que les joies futures lui semblent être nulles et
vaines, et les biens éternelles, des sottises. Toutes les choses
aussi qui sont et proviennent de la source divine, et qu’il est
obligé de faire, lui semblent amères et abominables comme du fiel.
3° Il est impur, d’autant qu’il fait en telle sorte l’âme vile et
encline au péché, qu’il ne rougirait d’aucun et ne le quitterait,
s’il ne craignait plus la honte des hommes que celle de Dieu,
attendu que cet esprit est ardent comme du feu, d’autant qu’il brûle
à raison des feux de l’iniquité, et allume avec soi tous les autres.
Il est amer aussi, parce que tout bien lui est amer, et veut que les
autres soient amers avec lui ; mais il est impur, d’autant que tout
son contentement et tout son plaisir ne sont que dans l’impureté, et
il cherche d’avoir avec soi des personnes qui lui soient semblables.
Mais vous pouvez
maintenant me demander et me dire : Pourquoi donc n’êtes-vous pas
tel ? Je vous réponds que je suis vraiment créé par le même Dieu que
lui, d’autant qu’il n’y a qu’un seul Dieu : le Père, le Fils et le
Saint-Esprit, et ces trois ne sont pas trois dieux, mais un seul. Et
nous sommes tous deux créés pour le bien, d’autant que tout ce que
Dieu a créé est bon. Mais moi, je suis comme une étoile, parce que
je suis demeuré en la bonté et en la charité de Dieu, en lesquelles
j’ai été créé ; mais lui, il est comme un charbon, parce qu’il s’est
retiré de l’amour de Dieu. Donc, ainsi qu’une étoile n’est point
sans clarté ni sans lumière, ni un charbon sans noirceur, de même un
bon ange, qui est comme une étoile, n’est pas sans le Saint-Esprit,
car tout ce qu’il a, il l’a de Dieu, c’est-à-dire, du Père, du Fils
et du Saint-Esprit, par l’amour duquel il s’échauffe par sa
splendeur, et lui est continuellement attaché, et se conforme
entièrement à sa volonté, ni ne veut jamais autre chose que Dieu,
c’est pourquoi il brûle et est pur et net. Mais le diable est
difforme et laid comme un charbon, plus laid que toutes les
créatures, d’autant que, tout ainsi qu’il était la plus belle des
créatures, il est devenu aussi la plus laide de toutes, parce qu’il
s’est opposé à son Créateur.
Et tout ainsi que
l’ange brille par la lumière de Dieu et brûle incessamment de son
amour, de même le diable brûle, étant détenu, serré et affligé
continuellement par le feu de sa malice enragée, de laquelle il est
insatiable, comme sont inénarrable la bonté de l’Esprit de Dieu et
sa grâce. Car il n’y a personne au monde, quelque enraciné qu’il
soit avec le diable, que le bon Esprit ne visite quelque fois, et ne
lui excite et émeuve le cœur. Il n’y aussi personne, quelque bon
qu’il soit, que le diable ne tourmente par quelque tentation.
Certes, il y a plusieurs bons et plusieurs juges qui sont tentés par
le démon, enragé par la permission de Dieu, et non pour leurs maux,
mais pour la plus grande gloire de Dieu, car le Fils de Dieu, un en
Divinité avec le Père et le Saint-Esprit, après avoir pris notre
humanité, fut tenté : combien à plus forte raison le seront
davantage ses élus, pour leur plus grande récompense.
Quelquefois aussi,
plusieurs bonnes personnes tombent en des péchés, et leur conscience
est obscurcie par la fallace du diable ; mais elles se relèvent
courageusement, et se tiennent vaillamment debout par la vertu du
Saint-Esprit. Mais toutefois, il n’y a personne qui ne sache en sa
conscience, s’il veut l’examiner avec soin, si la suggestion du
diable conduit, ou à la difformité du péché ou au bien.
C’est pourquoi, ô
épouse de mon Seigneur, vous ne devez douter de l’esprit de vos
pensées, savoir, s’il est bon ou mauvais, car votre conscience vous
dicte clairement les choses qu’il faut laisser et celles qu’il faut
choisir. Mais que fera celui qui a le diable avec lui ? Certes, le
bon esprit ne peut pas entrer en lui, parce qu’il est rempli du
méchant esprit.
Il faut qu’il fasse
trois choses : 1° une pure et entière confession de ses péchés,
laquelle, bien qu’elle soit dans un cœur contrit, il ne pourra tout
aussitôt mettre à exécution, à raison du cœur endurci ; elle lui
sert toutefois, en tant qu’à cause d’elle, le diable donne quelque
relâche et entrée au bon esprit. 2° Il faut qu’il aie l’humilité,
savoir, qu’il se propose de corriger les péchés qu’il a commis, et
de faire de bonnes œuvres autant qu’il pourra : alors, le diable
commence de sortir d’une telle personne. 3° Afin qu’il obtienne de
nouveau le bon esprit, il doit, avec une humble prière, faire
requête à Dieu, et se repentir avec une vraie charité, des péchés
qu’il a commis, d’autant que la vraie charité en Dieu chasse le
diable : car le diable aimerait cent fois mieux mourir, avant que
l’homme fit à son Dieu le moindre bien de charité ; et ainsi, il est
envieux et malicieux.
Après, la bienheureuse
Vierge parlait à l’épouse sainte Brigitte, disant : O épouse
nouvelle de mon Fils ! revêtez-vous de vos vêtements ; mettez votre
collier à votre cou, c’est-à-dire, la passion de mon Fils. Sainte
Brigitte lui répondit : Mettez-le moi, ô Vierge sainte ! Et la
Vierge lui dit : Certes, je le ferai de bon cœur, et je vous dirai
comment mon Fils était disposé, et pourquoi il était désiré des
Pères avec tant de ferveur.
Il se tenait debout
comme un homme entre deux villes ; et une voix de la ville où il
était né, criait à lui, disant : O homme qui êtes debout au milieu
du chemin qui est entre les deux villes, vous êtes sage, car vous
savez vous garder des périls qui se penchent sur votre tête. Vous
êtes pareillement fort à endurer les maux qui arrivent inopinément.
Vous êtes aussi magnanime et généreux, d’autant que vous ne craignez
rien. Certes, nous vous avons désiré, et maintenant nous vous
attendons. Ouvrez donc notre porte, de peur qu’elle ne soit ouverte
à nos ennemis et qu’ils ne l’assiègent.
On entendait une voix
de la seconde ville ; cette voix disait : O homme très débonnaire et
très fort, entendez notre complainte et notre gémissement. Nous
sommes assis dans d’épaisses ténèbres, et nous endurons la faim,
enragés et la soif insupportable. Considérez donc notre misère et
notre pitoyable disette. Certes, nous sommes frappés comme le foin
qu’on coupe avec la faux ; nous sommes privés de tout bien, et notre
force nous manque. Venez à nous, ô Seigneur ! et sauvez-nous, parce
que nous n’avons attendu que vous, et nous n’avons espéré notre
affranchissement et notre délivrance que de vous seul. Venez donc,
et pourvoyez à notre disette ; changez notre complainte en joie, et
soyez notre secours et notre salut. Venez, ô corps très digne et
béni, qui est venu de la Vierge pure et immaculée.
Mon Fils a entendu ces
deux voix de deux villes, savoir, du ciel et de l’enfer : c’est
pourquoi, étant saisi de compassion, il ouvrit, par sa passion très
amère et par l’effusion de son sang, la porte de l’enfer, et délivra
ses amis ; il ouvrit le ciel, réjouissant tous les anges ; il y mit
ceux qu’il avait délivrés des limbes. Pensez à toutes ces choses, ma
fille, et ayez-les toujours devant les yeux.
Chapitre 55
Jésus-Christ est
comparé à un puissant seigneur qui édifie une grande cité et un très
beau palais, par lesquels sont signifiés l’Église et le monde.
Comment les juges et les défenseurs, et ceux qui travaillent en
l’Église de Dieu, sont changés en un méchant arc.
Jésus-Christ disait :
Je suis semblable à un puissant seigneur qui, édifiant une cité, la
nomme de son nom propre, puis bâtit un palais dans cette cité, où il
y avait diverses demeures pour serrer les choses nécessaires. Ce
palais étant bâti et toutes ses affaires disposées, il range son
peuple en trois parties et le met par ordre.
Mes voies, dit-il, sont
dans les lieux et dans les demeures les plus éloignées. Travaillez
courageusement pour mon honneur, car je vous ai ordonné et assigné
les choses qui vous sont nécessaire et ce qui est de votre vivre.
Vous aurez des juges qui vous jugeront ; vous aurez des défenseurs
qui vous défendront de vos ennemis. Je vous ai aussi constitué des
personnes pour travailler, qui vous nourriront, et me payeront de
leur travail la dixième partie, qu’ils réserveront à mon honneur et
utilité.
Mais quelque temps
s’étant écoulé, le nom de la cité s’est oublié, et alors les juges
ont dit : Notre maître et seigneur s’en est allé en des lieux fort
éloignés. Rendons un jugement droit, et faisons la justice, afin que
nous ne soyons pas repris lorsqu’il sera de retour, mais que nous en
remportions de l’honneur et de la bénédiction. En même temps, les
défenseurs dire : Notre maître et seigneur se confie en nous et nous
a laissé la garde de sa maison ; abstenons-nous donc de trop boire
et de trop manger, de peur que nous ne soyons inaptes au combat ;
abstenons-nous aussi du sommeil désordonné, de crainte que nous ne
soyons déçus à l’improviste et faute d’avoir été sur nos gardes ;
soyons bien armés et veillons continuellement, de peur que nous ne
soyons prêts quand nos ennemis viendront pour nous assaillir, car
l’honneur de notre maître est en nous, et le salut de son peuple
dépend entièrement de nous.
Alors aussi ceux qui
travaillent dirent : C’est la plus grande gloire de notre maître et
seigneur, et la récompense qu’il nous garde est glorieuse.
Travaillons donc vaillamment, et donnons-lui non seulement la
dixième partie de notre labeur, mais offrons-lui tout ce qui sera
superflu à notre vie, car notre récompense sera d’autant plus
glorieuse qu’il verra que notre charité sera fervente.
Après ces choses,
derechef, quelque temps se passant, le maître de la cité et du
palais a été mis en oubli ; et alors les juges dirent en eux-mêmes :
Notre maître demeure longtemps en son voyage ; nous ne savons s’il
reviendra ou non ; jugeons donc selon notre volonté, et faisons ce
que nous trouverons bon de faire.
Après, les défenseurs
dirent : Nous sommes bien insensés, attendu que nous travaillons, et
nous ne savons quelle récompense nous en aurons : faisons plutôt
paix et alliance avec nos ennemis, et nous dormirons et boirons avec
eux, et nous n’aurons point de souci de savoir quels auront été nos
ennemis.
Puis ceux qui
travaillent dirent : Pourquoi gardons-nous pour un autre notre or,
notre trésor, et nous ne savons pas qui est celui qui l’emportera
après nous ? Il vaut mieux donc que nous nous en servions nous-mêmes
et que nous en disposions à notre volonté ; certes, donnons-en la
dixième partie aux juges ; quand ils seront apaisés et adoucis, nous
pourrons faire ce que nous voudrons.
Vraiment, je suis
semblable à ce puissant seigneur, dit la Sagesse infinie : je me
suis édifié une cité, c’est-à-dire le monde, où j’ai bâti mon
palais, c’est-à-dire, mon Église. Le nom du monde a été ma divine
sagesse, parce que, dès le commencement, il a eu ce nom, d’autant
qu’il était fait par ma main toute-puissante et par ma sagesse
infinie. Ce nom était profondément révéré et honoré de tous, et Dieu
était loué merveilleusement, publié et annoncé par ses créatures, à
cause de l’insondable abîme de ma sagesse.
Mais maintenant, le nom
de la cité est déshonoré et changé, et on a joint à elle un nom
nouveau, c’est-à-dire, l’humaine sagesse ; car les juges, qui
auparavant jugeaient en la justice et en la crainte du Seigneur,
sont maintenant changés et convertis en superbe, et trompent les
hommes simples. Ils désirent d’être éloquents afin d’obtenir la
louange des hommes ; ils disent des choses qui plaisent à l’oreille
des auditeurs, afin d’avoir de la faveur et du support ; ils sèment
des paroles douces et emmiellées, afin d’être appelés doux et
débonnaires ; ils reçoivent des présents et pervertissent le
jugement ; ils sont sages pour leur profit temporel et pour leur
propre volonté, mais ils sont muets à ma louange ; ils marchent sur
le pied des simples et les rendent muets ; ils étendent leur
convoitise sur tous, et d’une bonne cause, ils en font une mauvaise.
Maintenant, cette sagesse est aimée et chérie, mais la mienne est
mise en oubli.
Or, les défenseurs de
l’Église, qui en sont les gardiens et les soldats, voient mes
ennemis et les persécuteurs de mon Église, et le dissimulent ; ils
entendent les paroles de reproches qu’ils me font, et ne s’en
soucient pas ;ils entendent et sentent les œuvres de ceux qui
contreviennent à mes commandements, et toutefois, ils le supportent
patiemment ; ils regardent tous les jours ceux qui commettent
librement tous les péchés mortels, et n’en sont point touchés ; mais
ils dorment et conversent avec eux, et par serment, ils se lient à
leur compagnie. Mais ceux qui travaillent (qui sont tout une
communauté), rejettent mes commandements, retiennent mes dons et mes
décimes ; ils offrent des dons à leurs juges pour les corrompre, et
leur portent de l’honneur, afin qu’ils les trouvent faciles et
bienveillants. Vraiment, je puis dire hardiment que le glaive de ma
colère et de mon église est méprisé dans le monde, et qu’à sa place,
on a pris l’argent.
Chapitre 56
Sentence que Notre
Seigneur prononce contre telles personnes. Comme Dieu soutient les
méchants pour quelque temps, à cause des bons.
Moi, la Sagesse
éternelle, je viens de vous dire que le glaive de mon Église était
mépris, et qu’à sa place on a pris la bourse d’argent qui, d’une
part, est ouverte, et de l’autre, est tellement profonde, que tout
ce qui y entre ne touche jamais le fond et qu’elle n’est jamais
remplie. Ce sac, c’est la convoitise qui surpasse toute règle et
mesure, et a eu tant de force et de vertu, que le Seigneur en étant
méprisé, on ne désirait rien autre chose que l’argent et la propre
volonté. Mais toutefois, je suis comme le Seigneur, qui est Père et
juge, à qui les assistants disent, lorsqu’il va au jugement :
Seigneur, précipitez vos pas, hâtez-vous et jugez. Le Seigneur leur
répondit : Attendez jusqu’à demain, parce que d’aventure mon fils se
corrigera encore derechef.
Or, venant le jour
suivant, le peuple lui dit : Avancez-vous, Seigneur, et jugez les
coupables. Jusques à quand différerez-vous le jugement ? Le Seigneur
leur répondit : Attendez encore un peu pour voir si mon fils ne se
corrigera point, et alors, s’il ne revient à lui et s’il ne se
corrige, je ferai ce qui est juste. De même, je souffre patiemment
l’homme jusqu’au dernier point, parce que je suis Père et juge. Mais
toutefois, parce que ma justice est immuable, et bien qu’elle soit
différée longtemps, toutefois, ou je punirai les pécheurs, s’ils ne
se corrigent point, ou je ferai miséricorde à ceux qui se
convertissent.
Je vous ai déjà dit que
j’ai divisé le peuple en trois parties, savoir : en juges, en
défenseurs et en personnes de travail. Certes, ces juges ne
signifient autre chose que les clercs, qui ont converti la divine
sagesse en une vanité d’espérance. Ces clercs ont coutume de faire
comme ceux qui entendent beaucoup de paroles, les mettent et
assemblent en peu, et ce peu signifie autant que toutes ensemble. De
même les clercs de ce temps ont reçu mes commandements et les ont
mis et colligés en une parole. Que veut dire cette parole : Étendez
la main et donnez de l’argent ? C’est là leur sagesse, que de parler
avec des paroles choisies et hors du commun, et de faire mal ; et
sous prétexte de faire quelque chose pour mon service, ils agissent
méchamment contre moi. Enfin ceux-là, à cause des présents, endurent
librement les pécheurs en leurs péchés, et ils précipitent les
simples par leur exemple dépravé. De plus, ils haïssent ceux qui
marchent par ma voie.
Secondement, les
défenseurs de l’Église, c’est-à-dire, les gardiens, qui sont
infidèles, parce qu’ils ont rompu et faussé leur promesse et leur
serment, tolérant et souffrant librement ceux qui péchaient contre
la foi de mon Église et la constitution. En troisième lieu, les
personnes de travail, c’est-à-dire, la communauté, sont comme les
taureaux indomptés qui ont trois choses : 1° ils fouissent la terre
avec leurs pieds ; 2° ils se remplissent jusqu’à ce qu’ils soient
saouls ; 3° ils mettent en effet leur volupté selon leur désir : de
même la communauté ne se remplit maintenant que de toutes sortes
d’affections temporelles ; elle se remplit par la gourmandise
immodérée et de la vanité du monde ; elle accomplit sans raison la
délectation de sa chair.
Mais bien que j’aie
plusieurs ennemis, toutefois, parmi eux, j’ai beaucoup d’amis, bien
qu’ils soient cachés. Comme il est dit d’Élie, qui pensait qu’il ne
m’était resté aucun ami que lui seul, j’ai dit : Il y a sept mille
hommes qui ne fléchissent point les genoux devant Baal : de même,
bien que j’aie plusieurs ennemis, j’ai toutefois parmi eux plusieurs
amis occultes qui pleurent tous les jours, voyant que mon nom est
méprisé et que mes ennemis l’aient prévalu : c’est pourquoi, à cause
de leurs prières, comme un roi bon et charitable qui sait les œuvres
méchantes de sa cité, tolère et supporte patiemment les habitants,
et envoie des lettres à ses amis, les avertissant de leur péril, de
même j’envoie mes paroles à mes amis, qui ne sont pas aussi obscures
que l’Apocalypse, laquelle j’ai montrée avec obscurité à saint Jean,
afin qu’en son temps, lorsque je le trouverais à propos, elle fût
expliquée et déclarée par mon Esprit ; et elles ne sont pas
tellement cachées qu’elles ne doivent être annoncées, comme ce que
saint Paul voyait de mes mystères, desquels il n’était loisible de
parler; mais elles sont si claires et si manifestes, que tous,
petits et grands, les entendent ; elles sont si faciles, que tous
ceux qui veulent y porter leur esprit, peuvent les comprendre.
Donc, que mes amis
annoncent mes paroles à mes ennemis, afin que si d’aventure ils se
convertissent et qu’ils connaissent leur péril et leur jugement, ils
se repentent de leurs faits, autrement, le jugement de la cité se
donnera ; et de même qu’un mur s’écroule, lorsqu’on n’y laisse
pierre sur pierre, et qu’au fondement deux pierres ne se trouvent
jointes ensemble, de même il en arrivera à la cité misérable,
c’est-à-dire, au monde. Mais les juges brûleront d’un feu très
ardent. Or, il n’y a pas de feu plus ardent que celui qui est nourri
par quelque graisse. Ces juges ont été gras et replets, parce qu’ils
ont eu plus d’occasion d’accomplir leur volonté que pas un ; ils
surpassaient de beaucoup les autres en honneurs et en abondance des
choses temporelles ; ils abondaient aussi plus que les autres en
malice et en iniquité. Partant, ils brûleront dans des flammes très
ardentes, mais les défenseurs seront pendus en un infâme et haut
gibet.
Certes, le gibet est
composé de deux pièces de bois, c’est leur peine très cruelle, qui
est composée comme de deux pièces : la première est qu’ils
n’espéraient pas que mon prix fût éternel et infini, et qu’ils ne
travaillaient pas pour l’acquérir. La seconde pièce est qu’ils se
défiaient sans sujet de ma puissance et de ma bonté, et disaient que
je ne pouvais pas toutes choses ; et si je les pouvais, que je ne
leur voulais donner et départir toutes choses suffisamment. Mais la
pièce qui est en travers, c’est leur conscience dépravée, fondée en
ce que, sachant certainement le bien, ils faisaient le mal, et
n’avaient point de honte de le faire contre leur conscience, qui s’y
opposait. Or, la corde du gibet, c’est le feu éternel, qui ne
s’éteint jamais ; et ils seront, comme des traîtres, remplis de
confusion ; et ils éprouveront des supplices insupportables,
d’autant qu’ils ont été infidèles. Ils entendront des opprobres et
des injures, parce que mes douces et attrayantes paroles leur ont
déplu.
Malheur sera en leur
bouche, d’autant que leur honneur propre leur a été doux et
agréable. Les corbeaux vivants, c’est-à-dire, les diables cruels,
les déchireront et les mettront en lambeaux sur ce gibet ; et ces
diables ne se lasseront jamais, bien qu’ils les aient mis en pièces.
Les pendus vivront sans fin, et sans fin les bourreaux vivront pour
les tourmenter. Là sera le plus grand des malheurs, qui ne finira
jamais, une misère sans miséricorde, qui ne s’adoucira jamais.
Malheur à eux d’avoir vécu dans le monde ! Malheur à eux parce que
leur vie a été prolongée !
En troisième lieu, la
justice de ceux qui travaillent est semblable à celles des taureaux,
qui ont une peau et une chair très dure : c’est pourquoi leur
jugement est un fer très aigu. Ce fer, c’est la mort horrible et
effrayante de l’enfer, laquelle tourmentera ceux qui m’ont méprisé,
et qui, au lieu de me chérir et d’obéir à mes commandements, ont
aimé leur propre volonté.
L’Écriture donc,
c’est-à-dire, ma parole est écrite, que mes amis travaillent, afin
qu’ils viennent sagement et discrètement à mes ennemis, pour voir si
par hasard ils veulent les entendre et se corriger. Or, si
quelques-uns, après avoir entendu mes paroles, disent : Attendons
encore un peu ; le temps n’est point encore venu ; l’heure n’est pas
arrivée ; je jure en ma Divinité, qui a chassé Adam du paradis, qui
a envoyé à Pharaon dix plaies, je jure que je viendrai à eux plus
tôt qu’ils ne pensent. Je jure en mon humanité, que j’ai prise sans
péché pour le salut des hommes, dans le sein de la Vierge, humanité
dans laquelle j’ai eu des tribulations en mon cœur et en ma chair,
j’ai enduré la peine et souffert la mort pour la vie des hommes, et
dans laquelle je suis ressuscité, je suis monté au ciel, et me suis
assis, vrai Dieu et vrai homme en une personne, à la droite de mon
Père, je jure que j’accomplirai mes paroles. Je jure en mon Esprit,
qui a été envoyé le jour de la Pentecôte sur les apôtres, et les a
enflammés afin qu’ils parlassent toute sorte de langues, que, s’ils
ne reviennent à moi avec amendement, comme des serviteurs fragiles,
je me vengerai sur eux en ma colère et en mon indignation.
Alors, malheur sera sur
eux, en leur corps et en leur âme ! Malheur à eux, d’autant que j’ai
vécu dans le monde, et qu’ils y sont venus et y ont vécu sans
m’imiter ! Malheur à eux, d’autant que leur plaisir a été petit et
vain ! Mais leur tourment sera perpétuel ; ils sentiront à cette
heure-là ce qu’ils dédaignent de croire maintenant ; ils verront que
mes paroles ont été des paroles de charité. Alors, ils entendront
que je les ai avertis comme père et qu’ils n’ont pas voulu
m’écouter. S’ils ne veulent de bon cœur ajouter foi à ces paroles,
qu’ils y croient à tout le moins par œuvres lorsqu’ils viendront.
Chapitre 57
Paroles de Notre
Seigneur à son épouse sainte Brigitte. Comment il est, dans les âmes
des chrétiens, une viande abominable et méprisée ; et au contraire,
comment le monde se plaît aux mauvaises œuvres et les aime. Du
jugement terrible rendu contre telles personnes.
Le Fils de Dieu parlait
à l’épouse sainte Brigitte, disant : Les chrétiens me font
maintenant ce que les Juifs m’ont fait. Ceux-là m’ont jeté hors du
temple, et ils avaient une parfaite volonté de me faire mourir ;
mais parce que mon heure n’était pas encore venue, je me suis
échappé de leurs mains.
Les chrétiens m’en font
maintenant de même : ils me jettent hors de leur temple,
c’est-à-dire, de leur âme, qui devrait être mon temple, et me
feraient volontiers mourir, s’ils pouvaient. Je suis en leur bouche
comme de la chair pourrie et puante, et je leur semble comme un
homme qui dit des mensonges ; et ils ne se soucient pas de moi ; ils
me tournent le dos ; et moi je leur tournerai le derrière de la
tête, parce qu’il n’y a en leur bouche que cupidité et convoitise.
En leur chair, ils s’adonnent comme des juments à la luxure puante.
Seule, la superbe a pris lieu et place en leur ouïe. En leur vue,
ils prennent plaisir et se délectent grandement aux choses du monde,
mais ma passion et ma charité leurs sont abominables, et ma vie leur
est insupportable.
A cette cause, je ferai
comme cet animal qui a plusieurs tanières, lequel, après avoir été
poursuivi en une par les chasseurs, s’enfuit en l’autre : j’en ferai
de même, parce que les chrétiens me poursuivent par mauvaises
œuvres, et me mettent hors de la tanière de leur cœur. Pour cela, je
veux entrer dans le cœur des païens, en la bouche desquels je suis
maintenant amer et sans goût, où je serai plus doux que le miel.
Néanmoins, je suis encore tellement miséricordieux que quiconque me
demandera pardon et dira : Seigneur, je connais que j’ai grièvement
péché. Je veux librement me corriger par votre grâce.
Ayez pitié de moi, par
le mérite de votre amère passion : je le recevrai joyeusement. Mais
ceux qui persisteront en leur mal, je viendrai à eux comme un géant
armé de trois choses, savoir : la frayeur, la force et la rigueur.
Je viendrai aux chrétiens, tellement épouvantable, qu’ils n’oseront
pas même mouvoir contre moi leur petit doigt ; je viendrai tellement
fort qu’ils succomberont et seront comme culbutés devant moi ; en
troisième lieu, je viendrai à eux tellement rigoureux, qu’ils
sentiront leur malheur dès à présent et éternellement.
Chapitre 58
Paroles de la Mère de
Dieu à l’épouse. Doux colloque de la Mère et du Fils. Comme
Jésus-Christ est amer, plus amer, très amer aux méchants, et comme
il est doux, plus doux, très doux aux bons.
La Mère de Dieu disait
à l’épouse sainte Brigitte : Considérez, ô épouse nouvelle, la
passion très douloureuse de mon Fils, passion qui a passé en
amertume celle de tous les saints ; car tout ainsi qu’une mère
serait très cruellement troublée, si elle voyait son fils vif,
j’étais de la sorte troublée en la passion de mon Fils, ayant vu
toute son amertume.
Et puis, elle parlait à
son Fils, disant : Vous, soyez béni, ô mon Fils, parce que vous êtes
saint, comme on le chante : Saint, saint, saint, le Seigneur, Dieu
des armées ! Vous, soyez béni, parce que vous êtes, non seulement
doux, plus doux, mais très doux ! Vous étiez saint au-delà du monde
et avant l’incarnation, saint en l’incarnation et saint après
l’incarnation. Vous avez aussi été doux avant la création du monde,
plus doux que les anges, et m’avez été très doux en l’incarnation.
Son Fils lui répondit,
disant : Ma Mère, vous, soyez bénie par-dessus tous les anges, car
ainsi que vous avez dit maintenant que j’ai été très doux, de même
je suis aux mauvais, non seulement amer, plus amer, mais très amer.
Je suis amer à ceux qui disent que j’ai créé plusieurs choses sans
causes, qui blasphèment et disent que j’ai créé l’homme pour la mort
et non pour la vie.
O misérable et folle
pensée ! N’est-il pas vrai que je suis très juste et très vertueux ?
et toutefois, ils disent que j’ai créé les anges sans raison ! Si
j’eusse créé l’homme pour la mort, l’eussé-je enrichi et orné avec
une si grande bonté ? Certes, j’ai fait toutes choses bien et en
considération de ma charité.
J’ai donné à l’homme
tout le bien qui se pouvait désirer, mais il change et tourne ce
bien en mal, non que j’aie fait quelque chose mal, mais parce que
l’homme meut autrement sa volonté que selon l’ordonnance et
disposition divine. Mais je suis plus amer à ceux qui disent que
j’ai donné le libre arbitre pour pécher, et non pour faire du bien ;
qui disent que je suis injuste, parce que je justifie les uns et
réprouve les autres ; qui mettent la faute sur moi, de ce qu’ils
sont méchants, parce que je retire d’eux ma grâce. Mais je suis très
amer à ceux qui disent que ma loi et que mes commandements sont très
difficiles et que personne ne les peut accomplir ; qui disent que ma
passion ne leur a servi ni profité de rien, c’est pourquoi ils n’en
font aucun état.
Partant, je jure par ma
vie, comme je jurais autrefois par mes prophètes, que je m’excuserai
devant les anges et en la présence de tous les saints, lesquels
prouveront à ceux à qui je suis amer, que j’ai créé toutes choses
bien à propos et avec raison, pour l’utilité et la science de
l’homme, que même un petit ver ne subsiste pas sans cause. Or, ceux
qui me tiennent plus amer approuveront que j’ai sagement donné aux
hommes le libre arbitre pour le bien.
Ils savent aussi que je
suis juste, moi qui donne à l’homme bon et pieux le royaume éternel,
et à l’homme méchant, l’éternel supplice. Car il ne serait pas à
propos que le diable, qui a été créé bon par moi et qui est tombé
par sa malice, eût compagnie avec le bon. Les méchants prouveront
aussi que ce n’est pas par ma faute qu’ils sont méchants, mais à
raison de leur propre malice ; car s’il était possible, je prendrais
librement une telle peine pour chaque homme en particulier, telle
que j’ai reçue une fois sur la croix pour tous les hommes en
général, et cela, afin qu’ils revinssent à l’héritage promis.
Mais l’homme a toujours
sa volonté contraire à la mienne, lui à qui pourtant j’ai donné la
liberté de me servir ou de ne me servir pas ; que s’il voulait me
servir, il aurait une récompense éternelle, mais que, s’il ne
voulait pas, il aurait un supplice éternel avec le diable difforme
et horrible, la malice duquel, et le consentement volontaire qu’il y
a donné, ont été cause que l’enfer a été justement fait. Certes,
d’autant que je suis très charitable, je ne veux pas que l’homme me
serve par crainte ou contrainte, comme l’animal irraisonnable, mais
je veux qu’il me serve par ma divine charité, parce qu’une personne
qui me sert à regret ne peut voir ma face à cause de la peine.
Or, ceux auxquels je
suis très amer verront en leur conscience que ma loi a été très
facile et mon joug très suave, et seront fâchés d’avoir méprisé ma
loi, de lui avoir préféré le monde, dont le joug est beaucoup plus
lourd et plus difficile que le mien.
Alors sa Mère lui
répondit : Vous, soyez béni, mon Fils, mon Dieu et mon Seigneur !
comme vous m’avez été très doux, que les autres soient participants
de ma douceur, je vous en prie. Son Fils lui dit : Vous, soyez
bénie, ma très chère Mère ! Vos paroles sont douces et pleines de
charité : c’est pourquoi votre douceur servira grandement quiconque
l’aura reçue en sa bouche et l’aura goûtée parfaitement ; mais celui
qui l’aura reçue et rejetée, aura un supplice d’autant plus amer.
Alors, la Vierge lui répondit : Vous, soyez béni, mon Fils, en toute
l’étendue de votre amour !
Chapitre 59
Paroles de Jésus-Christ
dites en la présence de l’épouse, lesquelles expliquent comment
Jésus-Christ est désigné et figuré par un rustique ; comment les
bons prêtres sont désignés par un bon pasteur, les mauvais, par un
mauvais pasteurs, et les bons chrétiens par une femme. Il est ici
traité de plusieurs choses utiles.
Je suis la Vérité, qui
n’ait jamais dit un mensonge. Je suis regardé dans le monde comme un
rustique méprisable ; mes paroles sont censées fade, et ma maison
est regardée comme une vile loge. Un rustique eut une femme qui ne
voulut jamais rien que selon la volonté de son mari ; tout ce
qu’elle avait, elle le possédait en commun avec lui, et elle l’a
regardé et honoré toujours comme son seigneur, lui obéissant en tout
comme à son maître.
Cet homme rustique eut
aussi plusieurs brebis, pour la garde desquelles il loua un pasteur
à cinq écus de gages, afin qu’il eût ce qui était nécessaire à sa
vie, d’autant que ce pasteur était bon, usait de l’or pour le seul
profit, et des vivres pour les nécessités de sa vie. Après ce
pasteur quelque temps s’étant écoulé, vint un autre pasteur, qui
était plus méchant que lui, qui acheta avec l’or une femme, à
laquelle il apporta tous ses vivres, prenant continuellement ses
plaisirs avec elle, ne se souciant pas des brebis, qui furent
misérablement éparses çà et là par la cruauté des bêtes farouches.
Alors le rustique,
voyant ses brebis égarées s’écria et dit : Mon pasteur m’est
infidèle ; mes brebis sont toutes dispersées çà et là, quelques-unes
dévorées, et j’ai perdu leurs corps et leur laine par les bêtes
farouches ; quelques autres sont mortes, mais leurs corps n’ont pas
été dévorés. Alors la femme dit à son mari : Il est certain que nous
n’aurons jamais les corps qui ont été mangés ; portons donc à la
maison les corps qui sont demeurés entiers, et servons-nous en, bien
qu’ils soient morts, car il nous serait intolérable d’être frustrés
de tout.
Le mari lui répondit :
Que ferons-nous ? car les animaux qui les ont tuées ont leurs dents
envenimées; leurs corps sont infectés d’un poison mortel ; la peau
en est corrompue, la laine entassée en un monceau. La femme repartit
: Si tout est infecté, tout est ôté. De quoi vivrons-nous ? Le mari
répliqua : Je vois en trois lieux des brebis vivantes ;
quelques-unes sont comme mortes, qui n’osent respirer de crainte ;
quelques autres sont dans le bourbier profond et ne peuvent en
sortir ; quelques autres sont dans des tanières, et elles n’osent en
sortir. Venez donc, ma femme, aidons à sortir celles qui
s’efforcent, et qui ne le peuvent sans secours, et servons-nous
d’elles.
Je suis ce rustique
seigneur, qui suis réputé des hommes comme celui qui est
curieusement nourri en son lit, conformément à ses manières et à ses
mœurs. Mon nom est la disposition de la sainte Église : elle est
réputée vile, attendu qu’elle reçoit comme par dérision les
sacrements, le Baptême, l’Ordre, l’Extrême-Onction, la Pénitence et
le Mariage, et les donne aux autres par ambition. Mes paroles sont
estimées comme des fadaises, d’autant que j’usais de similitudes
sensibles pour faire entendre les choses spirituelles. Ma maison
leur semble méprisable, parce qu’on aime et qu’on choisit les choses
terrestres pour les choses célestes.
Par ce premier pasteur
que j’ai eu, j’entends les prêtres qui sont mes amis, que j’ai eus
autrefois dans mon Église : car par le mot qui est au singulier,
j’entends plusieurs. A ceux-ci j’ai commis mes brebis, c’est-à-dire,
le pouvoir de consacrer, de gouverner et de défendre les âmes de mes
élus, auxquels aussi j’ai donné cinq biens plus précieux que l’or,
savoir : 1° l’esprit de discerner le bien du mal, le vrai du faux,
et de connaître tout ce qui est irraisonnable ; 2° je leur ai donné
l’intelligence, la sagesse des choses spirituelles, qui est
maintenant en oubli, et la sagesse humaine est aimée en son lie ; 3°
je leur ai donné la chasteté ; 4° je leur ai donné la tempérance en
toutes choses, et l’abstinence, pour modérer et pour retenir le
corps ; 5° je leur ai donné la stabilité dans les bonnes mœurs, dans
les paroles et dans les œuvres.
Après ces pasteurs, qui
étaient mes amis et qui étaient autrefois dans mon Église, d’autres
s’y sont maintenant glissés, qui, au lieu de l’or de la chasteté,
ont acheté une femme ; et au lieu de ces cinq dons, ils ont épousé
un corps efféminé, c’est-à-dire, l’incontinence, à raison de quoi
mon Esprit s’est retiré d’eux. Car quand ils ont assouvi les désirs
du péché et satisfait pleinement leurs voluptés infâmes, mon Esprit
se retire d’eux, attendu qu’ils ne se soucient pas du dommage que
mon bercail souffre, pourvu qu’ils puissent se plonger et se vautrer
dans leurs sales voluptés.
Or, les brebis qui sont
entièrement dévorées, sont celles dont les âmes sont en enfer et les
corps dans les sépulcres, attendant la résurrection pour être damnés
avec les âmes. Mais les brebis dont l’esprit s’en est allé et dont
le corps demeure, ce sont celles qui ne m’aiment ni ne me craignent,
qui n’ont ni soin ni dévotion. De ceux-là mon Esprit est grandement
éloigné, car leur chair, étant déchirée par les dents envenimées des
bêtes, et tout empoisonnée, c’est-à-dire, leur âme et les pensées de
leur âme désignées par la chair et par les intestins des brebis,
m’est tellement amère et abominable, que je ne me puis non plus
plaire en eux qu’en une chair envenimée. Leur peau, c’est-à-dire,
leurs corps est aride et sec à tout bien, à tout amour, et ne sert à
mon royaume pour autre usage que pour jeter dans le feu éternel
après le jour du jugement. Leur laine, c’est-à-dire, leurs bonnes
œuvres sont partout inutiles, de sorte qu’on ne trouve en elles rien
qui soit digne de ma grâce ni de mon amour.
Qu’est-ce donc, ô ma
femme, c’est-à-dire, ô bons chrétiens ? Que ferons-nous ? Je vois en
trois lieux des brebis vivantes : quelques-unes sont semblables aux
mortes, qui de crainte n’osent respirer : celles-là sont les
Gentils, qui voudraient librement avoir une foi droite, s’ils en
savaient la manière, mais ils n’osent respirer, c’est-à-dire,
n’osent abandonner la foi qu’ils ont ni prendre la foi droite.
Les autres sont des
brebis qui sont dans les tanières et n’osent sortir : celles-là sont
les Juifs qui sont comme sous des voiles, d’où ils sortiraient
librement s’ils savaient que je fusse né. Or, ils se cachent comme
sous des voiles, d’autant qu’ils attendent leur salut dans les
figures et dans les signes qui prédisaient autrefois ce qui est
maintenant accompli. Et à raison de cette vaine espérance, ils
craignent de venir à la vraie et droite voie.
En troisième lieu, les
brebis qui sont plongées dans le bourbier, ce sont les chrétiens qui
sont en péché mortel, car ceux-là, pour la crainte du supplice, en
sortiraient librement, aidés par ma grâce ; mais ils ne le peuvent,
à cause de la gravité de leurs péchés, et parce qu’ils n’ont point
d’amour pour moi. Donc, ô bons chrétiens, aidez-moi, car comme la
femme et le mari ne sont qu’une chair, de même le chrétien et moi ne
sommes qu’un, d’autant que je suis en lui et qu’il est en moi.
Partant, ô femme, c’est-à-dire, ô bons chrétiens, courez avec moi à
ces brebis qui ont encore la vie ; tirons-les de là, et
fomentons-les par l’amour.
Compatissez avec moi,
car je les ai achetées fort chèrement ; recevez-les avec moi, et moi
avec vous, vous sur le dos, moi sur la tête, et ainsi je les
conduirai joyeusement entre mes mains. Je les ai portées une fois
sur mon dos, quand j’étais tout blessé, lié et attaché à la croix. O
mes amis, j’aime si tendrement mes brebis, que, s’il était possible,
j’aimerais mieux mourir autant de fois pour chacune d’elles de la
mort que je souffris sur la croix pour la rédemption de toutes, que
d’en être privé. Je crie à mes amis qu’ils ne s’épargnent point,
mais qu’ils travaillent pour l’amour de moi ; qu’ils fassent de
bonnes œuvres. Que si on vomissait contre moi des opprobres et des
calomnies, pendant que j’étais au monde, lorsque je disais la
vérité, qu’eux aussi ne cessent de dire la vérité pour moi. Je n’ai
pas eu honte de subir, pour l’amour d’eux, une mort ignominieuse :
j’étais nu devant les yeux de mes ennemis comme le jour où je naquis
; je fus frappés aux dents d’un coup de poing ; je fus tiré par les
cheveux ; je fus frappé de leurs fouets ; je fus attaché au bois par
leurs clous et par leurs instruments, et fus pendu en la crois avec
les larrons.
Ne vous épargnez donc
pas, ô mes amis, puisque l’amour m’a tant fait souffrir pour vous.
Travaillez généreusement, et aidez aux brebis souffreteuses et
indigentes. Je jure par mon humanité que je suis en mon Père et que
mon Père est en moi, et par ma Divinité, qui est en mon Esprit, et
l’Esprit en elle, et le même Esprit en moi et moi en lui, et ces
trois un Dieu en trois personnes, que tous ceux qui travailleront et
porteront avec moi mes brebis, j’irai au-devant d’eux au milieu du
chemin pour les secourir, et je leur donnerai une récompense très
précieuse, c’est-à-dire, moi-même en joie éternelle.
Chapitre 60
Paroles du Fils de Dieu
à son épouse, par lesquelles il traite de trois sortes de chrétiens,
préfigurés par les Juifs qui étaient en Égypte, et comment il faut
publier et prêcher ce qui a été révélé à cette épouse, aux amis de
Dieu qui les ignorent.
Le Fils de Dieu parlait
à son épouse, disant : Je suis le Dieu d’Israël et celui qui parlait
avec Moïse, quand il était envoyé à mon peuple. Il demanda un signe,
disant : Autrement on ne me croira pas. S’il était envoyé au peuple
de Dieu, pourquoi se défiait-il ? Mais vous devez savoir qu’en ce
peuple, il y avait trois sortes de personnes. Quelques-uns croyaient
à Dieu et à Moïse ; les autres croyaient à Dieu et se défiaient de
Moïse, pensant que Moïse peut-être ne présumât de dire et de faire
telles choses, poussé à cela par vanité ou de sa propre invention.
Les derniers ne croyaient ni à Dieu ni à Moïse ; et de la sorte, il
y a entre les chrétiens trois sortes de personnes marquées par les
Hébreux : quelques-uns croient à Dieu et à mes paroles. Les autres
croient à Dieu, mais ils se défient de mes paroles, attendu qu’ils
ne savent discerner le bon du mauvais esprit. Ceux qui sont de la
troisième sorte ne croient ni à moi ni à vous, bien que je leur aie
parlé.
Mais comme j’ai dit,
bien que quelques Hébreux se défiassent de Moïse, néanmoins, tous
passèrent la mer Rouge avec lui et allèrent au désert, où ceux qui
s’en défiaient honoraient les idoles, et provoquèrent l’ire et
l’indignation de Dieu; et partant, ils furent consommés par une mort
misérable. Mais ce malheur ne fut commis que par ceux qui avaient
une mauvaise foi ; et d’autant que l’esprit humain est tardif à
croire, mon ami transporta ma parole à ceux qui croyaient, et eux
s’épandirent après en ceux qui ne savent discerner le bon esprit du
mauvais.
Que si les auditeurs
demandent quelque signe, qu’on leur montre la verge, comme le fit
jadis Moïse, c’est-à-dire, qu’on leur explique mes paroles : car
comme la verge de Moïse était droite et terrible, parce qu’elle se
changeait en serpent, de même mes paroles sont vraies, et il ne se
trouve en elles aucune fausseté ; elles sont terribles, d’autant
qu’elles portent un jugement droit et équitable ; qu’ils leur
proposent et certifient que le diable s’est retiré de la créature de
Dieu à sa seule parole, le diable est si fort que, si je ne le
retenais, il pourrait changer les montagnes. Quelle était alors la
puissance que Dieu lui permettait ? Quelle qu’elle fût, il
s’enfuyait à sa seule parole.
Partant, comme ces
Hébreux qui n’ont ni cru à Dieu ni à Moïse, passèrent avec les
autres, comme en le contraignant, de l’Égypte en la terre promise,
de même plusieurs chrétiens vont avec mes élus comme contraints, car
ils ne se confient point en ma puissance, et ne pensent pas qu’elle
les puisse sauver ; ils ne croient aucunement à mes paroles ; ils
ont une vaine espérance en ma vertu. Néanmoins, mes paroles
s’accompliront sans leur volonté, et ils seront comme contraints
d’être parfaits, jusqu’à ce qu’ils arrivent où il me plaira.
FIN
DU LIVRE PREMIER
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